- Mardi 9 juin 2020
- Mercredi 10 juin 2020
- Audition de M. Marc Kaszynski, président du laboratoire d'initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti), membre du groupe de travail national « Réhabilitation des friches » mis en place par le ministère de la transition écologique et solidaire (en téléconférence)
- Audition de Mme Laura Verdier, consultante en gestion des sites et sols pollués, fondatrice de LVR Consulting (en téléconférence)
Mardi 9 juin 2020
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La téléconférence est ouverte à 14 h 30.
Table ronde de professionnels de la dépollution des sols (en téléconférence)
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'audition de représentants du secteur de la dépollution des sols. Nous accueillons donc M. Franck Bouché, président de l'Union des professionnels de la dépollution des sites (UPDS), accompagné de Mme Christel de La Hougue, déléguée générale de l'UPDS, et de MM. Jean-François Kalck, président du collège Ingénierie de l'UPDS et Tanguy Latron, adhérent à l'UPDS, ainsi que Mme Muriel Olivier, déléguée générale de la Fédération nationale des activités de la dépollution et de l'environnement (Fnade).
Nous comptons sur cette audition pour nous éclairer sur les méthodes d'identification des polluants dans les sols, sous-sols et eaux souterraines, qui restent un exercice difficile, compte tenu du très grand nombre de substances polluantes qui existent aujourd'hui, ainsi que sur les travaux qui peuvent être mis en oeuvre pour traiter ce type de pollution.
En particulier, quelle évaluation faites-vous des techniques de dépollution aujourd'hui disponibles en France au regard non seulement de leur faisabilité, mais aussi de la maîtrise de leur coût ? À cet égard, quel est votre sentiment sur la qualité des diagnostics des sols réalisés par les bureaux d'études certifiés et sur leurs recommandations en matière de dépollution ? Celles-ci vous semblent-elles généralement pertinentes, réalistes et maîtrisées dans leur coût ?
Enfin, quel est votre sentiment sur la méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués, réactualisée en 2017 ? Est-elle suffisamment précise et favorise-t-elle une approche ambitieuse en matière de dépollution et de réhabilitation des sites pollués ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de huit à dix minutes que vous pouvez vous répartir entre vous, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Dans le cadre de cette visioconférence, vous êtes appelés à prêter serment en laissant bien entendu votre caméra et votre micro allumés. J'invite chacun d'entre vous, dans l'ordre où je vous appellerai, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et dire : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Franck Bouché, Mme Christel de La Hougue, MM. Jean-François Kalck et Tanguy Latron ainsi que Mme Muriel Olivier prêtent serment.
M. Franck Bouché, président de l'union des professionnels de la dépollution des sites (UPDS). - L'UPDS existe depuis trente ans et regroupe une cinquantaine des entreprises du secteur, soit 70 %, pour un chiffre d'affaires total d'environ 500 millions d'euros, et quelque 2 300 salariés. Elle se compose de deux collèges, l'un rassemblant l'ingénierie, soit 300 salariés, l'autre les travaux. M. Kalck, ici présent, est le président du premier. Les hommes et les femmes de l'UPDS - et particulièrement les femmes, qui sont plus nombreuses dans le collège « Ingénierie » - ont la passion de ce métier pluridisciplinaire par définition et qui constitue une véritable vocation : le sol est comparable à un être vivant, en interaction avec l'être humain, nous posons des diagnostics, nous proposons des stratégies de remédiation puis nous opérons. Nos salariés sont donc un peu des soignants du sol et ils en sont fiers. En outre, nous n'avons pas attendu la mode de l'économie circulaire, pour la pratiquer : nous le faisons depuis des années. Aujourd'hui, nos messages à ce sujet sont chaque mieux entendus à travers des évolutions réglementaires de plus en plus favorables à ces processus.
Je souhaite insister aujourd'hui sur quatre points particuliers.
Premièrement, il nous semble qu'il faut davantage encadrer notre métier, qui est complexe. La pratique de la médecine ou de la pharmacie relève de lois spécifiques, alors que l'on manque de cadre législatif en matière de sol. Songez qu'il n'existe même pas de définition officielle d'un sol pollué ; évoquer cette notion est donc déjà risquer un malentendu !
Deuxièmement, nous avons besoin d'objectifs clairs : quels sont-ils en matière de restauration de la qualité des sols ? Nous souhaitons ainsi systématiser le retrait des sources concentrées de pollution et inciter davantage au recyclage des terres excavées. Ces évolutions sont en cours, mais il faut les renforcer.
Troisièmement, nous sommes les soignants de notre sol et nous devons être reconnus comme tels. Les médecins et les architectes reçoivent un diplôme dans leur spécialité. Notre système s'est bâti sur la certification, nous oeuvrons pour faire reconnaître cette certification comme une compétence à part entière. Il ne viendrait en effet à l'idée de personne de se faire opérer par quelqu'un qui ne serait pas chirurgien. Nous souhaitons qu'il en aille de même dans nos spécialités.
Enfin, quatrièmement, notre métier est en faible croissance, tout juste supérieure à l'inflation, et met en oeuvre à 70 % de l'excavation et non des techniques innovantes. Nous appelons de nos voeux des évolutions fiscales et réglementaires pour inciter à la dépollution vertueuse, car c'est dans ce domaine que nous développons des techniques moins coûteuses et plus vertueuses pour l'environnement et le climat. Nous avons besoin d'appui pour cela. Jusqu'à présent, chaque petit saut dans la réglementation a entraîné un saut de prise de conscience très utile pour la qualité de nos travaux.
M. Jean-François Kalck, président du collège « Ingénierie » de l'union des professionnels de la dépollution des sites (UPDS). - En réponse aux questions introductives sur la méthodologie nationale, je souscris à ce qui vient d'être dit : son ambition n'est pas très contraignante, en l'absence d'une loi sur les sols. Il existe donc beaucoup de trous dans la raquette en matière de gestion de certaines contraintes, s'agissant en particulier du retrait des sources concentrées et de la gestion des pollutions hors site, qui sont des sujets préoccupants. Une loi sur les sols permettrait d'imposer plus de contraintes pour éviter que certains sites parviennent à passer outre ces exigences.
Mme Muriel Olivier, déléguée générale de la fédération nationale des activités de la dépollution et de l'environnement (Fnade). - La Fnade, qui est l'organisation professionnelle représentative des industriels de l'environnement, regroupe huit syndicats adhérents, soit l'ensemble des acteurs de la filière de la gestion des déchets et de la dépollution des sols, avec cinq syndicats spécialisés dans les déchets, dont l'UPDS, des constructeurs d'usines de traitement, des fabricants de matériel et des bureaux d'études spécialisés dans la gestion des déchets, et, depuis peu, dans l'énergie. Nous menons des travaux communs au moyen de collèges et de commissions, avec des groupes de travail spécifiques en fonction des sujets, dont un se penche sur la sortie du statut de déchet des terres excavées.
Nous représentons au total 223 entreprises pour 9,1 milliards d'euros de chiffre d'affaires et près de 48 000 salariés. L'un de nos syndicats, le syndicat national des activités du déchet (SNAD) porte, en outre, la convention collective de la filière. Nous sommes, enfin, membres de la fédération européenne des activités de la dépollution et de l'environnement (FEAD) qui dispose d'une représentation permanente à Bruxelles.
Je souhaite alerter la commission d'enquête sur les évolutions réglementaires en cours à propos de la gestion des terres excavées, avec un projet d'arrêté de sortie du statut de déchet de ces terres, sur lequel nous avons travaillé, ainsi que sur les modifications législatives issues de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC), notamment sur la suppression de l'obligation d'opérer les sorties du statut de déchet dans une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), emportant une perte de pouvoir d'autorisation et de contrôle de l'État, ainsi que le renforcement des conditions de traçabilité des terres excavées et sédiments, avec un projet de décret qui fait l'objet d'une consultation des parties prenantes qui doit aboutir le 19 juin. La Fnade est très vigilante pour éviter dans le futur toute dispersion de terres qui n'aurait pas les qualités requises. Nous n'étions pas favorables à la suppression de l'obligation de passage par le statut d'ICPE, mais, dès lors que la décision a été prise, il est impératif de renforcer la traçabilité et le contrôle des terres excavées susceptibles d'être réutilisées.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je souhaite tout d'abord recueillir votre sentiment sur la pertinence et l'efficacité du dispositif du tiers demandeur introduit par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), censé favoriser la mise en oeuvre de travaux de dépollution et la réhabilitation des friches. À votre avis, ce dispositif est-il suffisamment mobilisé par les responsables et par les acteurs de la dépollution ? Est-il satisfaisant, s'agissant, notamment, des garanties qu'il offre au tiers demandeur et à l'exploitant ? Quelles en sont selon vous les faiblesses éventuelles ? Quelles seraient les pistes à envisager pour favoriser sa montée en puissance ?
Par ailleurs, il nous a été indiqué que, bien souvent, les travaux de dépollution étaient conçus en fonction de l'usage futur envisagé pour le site. Or de plus en plus de spécialistes de la réhabilitation des sols recommandent désormais que ce soit l'usage futur qui soit adapté à la situation du site et à ses possibilités de dépollution. Partagez-vous cette analyse ?
S'agissant de la réglementation relative aux terres excavées, l'imminence d'un arrêté ministériel ne nous a pas échappé. Quelle lecture en faites-vous ? Faut-il, selon vous, assouplir les critères de sortie du statut de déchet pour permettre une meilleure valorisation des terres excavées dans le cadre de projets de réaménagement ? Ne risque-t-on pas de perdre en traçabilité et en maîtrise du risque sanitaire pour ces terres, qui relevaient jusqu'ici de la police spéciale des déchets ?
Quelles sont vos propositions concernant la problématique des friches gelées ? Il semble qu'un certain nombre d'exploitants de friches se contentent de mettre les sites en sécurité, car ils ne souhaitent pas les dépolluer en raison des risques associés. Quelles sont, selon vous, les principales raisons du gel de ces friches ? Le problème vient-il du coût des travaux de dépollution ou de la valeur foncière insuffisante des terrains concernés ? S'agit-il de craintes sur des pollutions dangereuses qu'on pourrait découvrir a posteriori ? Que pourrait-on faire, selon vous, pour débloquer cette situation ?
Enfin, s'agissant de la réhabilitation des friches ou des sites pollués, certains bureaux d'études ou certaines sociétés de dépollution proposent encore, par facilité, l'envoi en décharge, alors qu'aujourd'hui, des pratiques plus vertueuses peuvent être mises en oeuvre. Avez-vous mené quelques actions, voire des formations, en ce sens auprès de vos adhérents pour favoriser l'essor des techniques de réhabilitation alternatives ?
M. Franck Bouché. - S'agissant de la loi ALUR et de la garantie du tiers demandeur, cette loi n'est pas très bien comprise par beaucoup d'acteurs et son application demande un travail de pédagogie afin qu'elle puisse être perçue comme un élément de simplification. Auparavant, on pouvait acquérir une friche et opérer un changement d'usage, sans qu'aucun mécanisme ne fournisse de garantie quant à la tenue et au prix des travaux de dépollution, ou ne contribue à faciliter la relation entre le vendeur et l'acquéreur. C'est, à mon sens, une bonne loi, mais il faut bien l'expliquer. Toutefois, la loi ne suffit pas : la gestion d'une friche demande des moyens, un portage financier, du temps et un mode d'accord des parties : bien souvent le vendeur considère qu'il est assis sur une mine d'or alors que l'acquéreur craint de prendre un risque. La pollution n'étant pas encore suffisamment caractérisée, il faut compléter les études pour porter un diagnostic sur l'usage futur du site par l'acquéreur, qui va conditionner la valorisation du terrain.
La loi ALUR a des carences : les projets durent parfois plusieurs années et il peut arriver qu'un acquéreur abandonne, car le projet n'est plus viable ou qu'il n'a pas suffisamment de moyens. Nous avons donc demandé que soit facilité le transfert vers un autre tiers demandeur afin que l'on ne redémarre pas la procédure à zéro si un tiers demandeur jette l'éponge au milieu du gué. Au total, il s'agit donc d'une bonne loi, qui rend plus facile la rénovation de friches, mais qui est trop méconnue. Elle n'a pas de grave défaut à mes yeux, sinon celui que je viens d'exposer.
M. Jean-François Kalck. - Je fais mienne cette remarque : la plus grande faiblesse reste la méconnaissance de la loi.
Comment dégeler les situations où les friches sont bloquées ? Cela dépend surtout de la localisation, de la valeur foncière de la friche, laquelle rend plus ou moins difficile d'intégrer le coût de la dépollution. Une friche en centre-ville sera ainsi bien plus facile à dépolluer et restera bloquée moins longtemps qu'une friche dans un secteur industriel lui-même délaissé. Quant à la façon de dépolluer, aux méthodes retenues, nous sommes force de proposition auprès de nos clients et nous ne privilégions jamais une dépollution hors site, sachant que l'intervention in situ nous fait faire davantage d'ingénierie, qu'elle est donc pour nous plus intéressante. Un critère essentiel est celui du temps : la dépollution prend du temps, la faire in situ exige donc d'intervenir assez tôt dans le projet. Il nous faut arriver le plus tôt possible, pour identifier au plus tôt les pollutions, initier la dépollution dès que possible, éviter cette situation en réalité courante où les travaux doivent commencer bientôt et qu'il n'y a donc plus que le temps d'évacuer les éléments pollués. Il faut donc diagnostiquer le plus tôt, pour traiter au plus tôt et donner ainsi toutes ses chances à la dépollution in situ.
M. Franck Bouché. - Est-ce que la
dépollution est fonction de l'usage futur du site ? Il y a
nécessairement un lien, au sens où, par exemple, vous n'aurez
jamais un projet de crèche sur un ancien site Seveso. Dans la
réalité, le projet naît en réponse aux besoins de la
population alentour, c'est notre point de départ. Ensuite, je crois que
c'est le business model de bien des opérations qui
conduit à ce qu'on ne peut qu'évacuer, plutôt que
traiter
sur place : le plus souvent, les travaux ne sont lancés
qu'une fois garantis des volumes suffisants de vente, avec des contrats et des
dates de livraison. Il faut certes tendre à intégrer la
dépollution au plus tôt, mais dans la réalité,
sachant que l'aménageur doit avoir une vision très claire de son
projet, des éléments très précis, pour obtenir
quitus des autorités et les permis de construire, celui qui
accepte de dépolluer à l'avance prend beaucoup de risques. Gagner
du temps en évacuant, c'est gagner de l'argent, il y a des enjeux
financiers, c'est de cela qu'il faut tenir compte quand on veut des
méthodes plus vertueuses.
M. Tanguy Latron, adhérent à l'union des professionnels de la dépollution des sites (UPDS). - Dès lors que les travaux sont définis par le porteur du projet et que la dépollution n'est plus possible in situ, je crois qu'il faut favoriser la plateforme de traitement, en dehors du site, plutôt que l'envoi en décharge. Cette piste renvoie à la question de la sortie du statut de déchet, c'est-à-dire au prix des matériaux traités, sachant que la dépollution totale n'existe pas.
Les promoteurs ou porteurs de projets utilisent la technique
du compte
à rebours : avant l'acquisition du terrain, ils en
connaissent le prix de sortie au mètre carré construit, en ayant
calculé la surface construite d'après le règlement
d'urbanisme et en lui ayant appliqué une fourchette de prix du
marché immobilier ; une fois ce prix de sortie connu, ils en
retirent tous les coûts de construction, d'aménagement, de mise en
vente... et il leur reste alors la charge foncière, la somme qu'ils
peuvent mettre dans l'achat du terrain et la dépollution. Cette
méthode de calcul montre directement que l'usage futur est
déterminé par l'équilibre entre la valorisation,
c'est-à-dire le prix de sortie, et les coûts de
l'opération. On comprend par-là que la solution dépend
aussi des règles d'urbanisme : des opérations seraient
rendues possibles par un petit élargissement des droits à
construire, par exemple. Des friches sont gelées tout simplement parce
que les opérations envisagées sur leur site ne sont pas
rentables, dans les règles actuelles, coûts et valeur
foncière sont liés.
M. Franck Bouché. - Quand un industriel fait un projet sur une friche, il doit rendre le terrain compatible à l'usage qu'il projette, y compris en le dépolluant. La loi ALUR a mis fin à la difficulté qui avait cours jusqu'alors, où il fallait dans certains cas deux dépollutions, par l'ancien et par le nouveau propriétaire. Il faut comprendre aussi que la notion de friche industrielle n'est pas juridique, des industriels préfèrent aller vers la cessation lente d'activité plutôt que d'avoir à fermer complètement un site et à le dépolluer, ils y maintiennent alors une toute petite activité qui leur donne le droit de laisser les terrains en l'état.
Il me semble que le gel de friches tient au manque de porteur de projet quand les projets y sont trop risqués et la rentabilité trop faible. C'est plus vrai dans certaines zones délaissées que dans celles où le foncier est tendu, donc où la rentabilité est plus forte. Pour changer les choses, il faut donc peut-être regarder du côté du coup de pouce que l'État pourrait donner dans certaines zones trop peu rentables. Je parle ici du seul calcul économique, sachant qu'il y a d'autres facteurs qui contribuent au gel des terrains : des difficultés liées aux successions, aux dépôts de bilan...
Nous sommes très attachés à la question de la traçabilité des éléments pollués, donc à la sortie du statut de déchet. Oui, le fait de pouvoir excaver à moindre coût est utile pour la gestion des friches, mais attention, il faut bien encadrer cette activité. Quand il s'agit simplement d'excaver, nos savoir-faire en matière de dépollution peuvent être négligés, car nous serons parfois plus chers que des entreprises de terrassement - et s'il n'y a pas de règles précises de certification, si personne ne suit le devenir des terres excavées, le remède sera pire que le mal. Nous avons donc besoin d'une traçabilité stricte, contrôlée par des experts indépendants, car la tentation peut être grande quand sur une simple qualification, la tonne de terre excavée passe d'une valeur nulle à une valeur chiffrable en euros sonnants et trébuchants.
Mme Christel de La Hougue, déléguée générale de l'union des professionnels de la dépollution des sites (UPDS). - La valorisation des terres excavées est une question sur laquelle on réfléchit depuis une dizaine d'années, un guide a été publié en 2012, mais on constate que ces terres restent peu valorisées et qu'elles gardent le plus souvent le statut de déchet. Le projet d'arrêté ministériel est une bonne chose, il devrait améliorer l'économie circulaire. Mais attention, pas à n'importe quel prix : il ne s'agit pas de valoriser des terres polluées. Un deuxième guide est en préparation sur les infrastructures linéaires de transport et de structures routières, qui s'ajoutera à celui sur les aménagements, l'un et l'autre mettent en place des valeurs seuil à respecter, précisément pour que les terres qui sortent du statut de déchet ne soient pas polluées. Ces seuils doivent être contrôlés, par des experts indépendants, pour que les terres ainsi dépolluées puissent être réutilisées. Dans le projet d'arrêté ministériel, le respect de ces seuils est d'ailleurs un préalable à la sortie du statut de déchet.
M. Tanguy Latron. - Dans notre expérience, le système mis en place par la loi ALUR fonctionne bien, à deux ou trois cas près où la garantie financière s'est avérée trop élevée, ce qui a bloqué les projets. C'est d'ailleurs ce succès qui nous a conduits à discuter avec le ministère pour savoir si on ne devrait pas étendre le dispositif au-delà des sols pollués. Je confirme que notre intérêt est bien de développer les traitements plutôt qu'envoyer en décharge, et que nous nous y employons.
M. Franck Bouché. - Un mot sur l'innovation : l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) propose des subventions, elles sont utilisées : elles pourraient être plus élevées, mais elles ont au moins le mérite d'exister.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Monsieur Kalck, vous déplorez des trous dans la raquette de la réglementation sur la pollution des sols, notamment la pollution hors site : quelles réglementations manque-t-il, plus précisément ?
M. Jean-François Kalck. - Je
pense à deux sujets, le traitement hors site et le retrait des
sources concentrées. Dans la méthode utilisée avec des
sites pollués, les professionnels utilisent des guides pour faire ce que
nous appelons l'interprétation de l'état des milieux (IEM) et
voir leur compatibilité avec l'usage futur du terrain. Cependant, il n'y
a pas d'obligation au-delà de cette correspondance, de même qu'il
n'y a pas d'obligation de retirer la source concentrée. C'est pour cela
que l'on peut envisager qu'une loi oblige à retirer les sources
concentrées et à traiter les pollutions hors site,
peut-être avec un avantage
fiscal - la compensation est une autre
question. Il faut bien voir que le maintien de terrains pollués et de
sources concentrées contribue à dégradation des milieux,
des sols et des eaux souterraines, qu'il peut entraîner demain des
dégazages, autant de contraintes d'autant plus difficiles à
gérer quand la pollution est transférée hors site
- qui en est alors responsable et qui doit la traiter ? Il faut
préciser ces obligations, c'est une question de santé publique,
via la qualité des milieux.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Le guide de valorisation des terres excavées comprend un seuil pour que le matériau perde son statut de déchet. Comment conférer à ce guide une valeur réglementaire ?
Mme Christel de La Hougue. - D'après nos informations, les deux guides que j'ai mentionnés - l'un sur les opérations d'aménagement, l'autre sur les infrastructures de transport - devraient être cités dans l'arrêté ministériel, ce qui les rendrait opposables, c'est ce que nous a proposé le ministère.
Mme Muriel Olivier. - J'insiste sur
l'importance du contrôle par un tiers
expert : le contrôle
doit être très précisément défini et porter
aussi sur les sites receveurs de terres excavées, il faut pouvoir bien
identifier le projet de ces sites pour éviter l'enfouissement de
déchets. La réglementation doit claire sur ces points :
identification de l'expert, avis explicite sur les terres excavées, leur
qualité et les sites qui vont les recevoir.
M. Tanguy Latron. - En réalité, la responsabilité civile du pollueur est engagée, il y a donc bien un levier. Cependant, il faut voir comment cette responsabilité civile est mise en oeuvre : quand une pollution sort du site, nous informons le propriétaire, et il n'y a pas de suivi spécifique, sauf plainte de riverains.
M. Alain Duran. - Comment réconcilier économie et écologie ?
Quand vous dites qu'une friche industrielle au fin fond de la Lorraine restera toujours une friche industrielle polluée, cela pose un problème. C'est que dans des régions où le foncier est moins valorisé qu'ailleurs, nous ne parvenons pas à trouver un équilibre économique pour la dépollution.
Monsieur Kalck, vous avez évoqué la possibilité de concevoir une politique fiscale incitative. À quoi pensez-vous ? Dans d'autres auditions, certains avaient évoqué un fonds spécifique - dont il resterait à définir les contours et les contributeurs...
M. Bouché dit préférer à l'excavation des techniques moins coûteuses et plus respectueuses de l'environnement - et on ne peut que le suivre. Mais un cadre réglementaire a-t-il été posé préalablement au sein de vos professions concernant ces techniques ? Il ne faudrait pas que le remède miracle se révèle finalement pire que le mal.
M. Jean-François Kalck. - Je suis désolé d'avoir cité des départements en particulier, mais je pensais à tous ceux qui ont un passif industriel et minier.
À l'occasion du projet de loi de finances pour 2020, nous avions proposé une approche pragmatique dans le but de faciliter le traitement sur site, que les friches aient ou non un projet d'aménagement. Nous avions ainsi pensé à alourdir le poids fiscal des sites dont les propriétaires seraient tentés de ne rien faire, en augmentant la taxe foncière, par exemple. Aujourd'hui, il existe une enveloppe de l'Ademe, dont le montant varie tous les ans, destinée à aider à la réhabilitation d'anciens sites, mais il faut qu'il y ait un projet derrière. C'est une contrainte. Il peut pourtant être intéressant d'enlever une source concentrée même en l'absence de projet. Il peut même être utile de traiter au plus tôt, pour que le site devienne intéressant s'il y a un développement tout autour de lui.
Nous avions pensé à la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), à la taxe d'aménagement ; nous avions parlé de défiscaliser des travaux de dépollution, d'exonérer de droit d'enregistrement les sites qui auraient été dépollués, de travailler sur la taxe foncière des sites ayant fait l'objet d'un traitement. Ce ne sont que des briques, mais nous espérons qu'elles servent à construire un pont plutôt qu'un mur.
M. Laurent Lafon, président. - Les murs peuvent être utiles, eux aussi ! Vous dites qu'il n'existe pas de définition du sol pollué. Est-ce parce que cette définition serait difficile à concevoir, qu'elle risquerait d'être incomplète ? Outre le comblement des deux lacunes citées par M. Kalck, qu'espériez-vous d'autre d'une loi sur les sols ?
M. Jean-François Kalck. - Il existe une loi sur l'air, une loi sur l'eau ; le code de l'urbanisme intervient aussi dans ce domaine. C'est que l'eau, on la boit, tandis que le sol, on ne le mange pas. C'est pourtant la base de tout ce que l'on mange, et cela influence aussi ce que l'on respire, avec les émanations de poussières qui sont observées de plus en plus souvent. Une loi permettrait d'aller plus loin dans la gestion des pollutions. On pourrait même espérer aller plus loin, avec une approche agronomique, et réfléchir à la manière dont on peut rétablir un sol en état de faire pousser des plantes.
Aujourd'hui, il existe des guides plus ou moins bien appliqués, plus ou moins bien compris. Passer au niveau législatif permettrait d'obtenir une application systématique. Nous pourrions espérer passer un jour d'un sol pollué aujourd'hui à un sol où l'on fait pousser des carottes demain.
M. Laurent Lafon, président. - J'entends bien ce qu'apporterait une définition légale de la qualité de la terre, mais cela ne répond pas à l'absence de modèle économique, en dehors du modèle classique, où la valorisation foncière permet à l'aménageur de trouver un financement - et sa principale limite : sans projet d'aménagement, pas de financement.
M. Jean-François Kalck. - Lors du vote de la première loi sur l'eau, le législateur ne s'est pas demandé comment on financerait les schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) et les schémas directeurs d'aménagement et de gestion de l'eau (Sdage) ; il ne les a pas moins institués.
Mme Christel de la Hougue. - Ils ont été rendus obligatoires.
Le grand problème de la pollution des sols, c'est qu'on ne la voit pas, et qu'on la sent rarement tant qu'on ne creuse pas. Bien des polluants sont inodores et incolores. Comme elle ne se voit pas, on l'oublie. C'est pourtant le milieu où l'on vit, où l'on cultive ce que l'on mange, où l'on construit des habitations.
M. Jean-François Kalck. - Pour faire un calcul économique complet, il faudrait intégrer le coût pour l'assurance maladie des pollutions chroniques. Mais s'il est facile, dans le cadre d'une pollution aiguë, de tracer la relation de cause à effet entre une exposition par inhalation au benzène par exemple, et un cancer, c'est bien plus difficile pour une pollution chronique : si le benzène est dans la nappe phréatique sous une école, les enfants ne seront pas malades maintenant, mais dans cinq ou dix ans.
M. Franck Bouché. - Je souhaiterais répondre aux deux questions de M. Duran. Comment financer la dépollution là où le coût de la dépollution est supérieur au prix du mètre carré ? On peut passer par l'incitation fiscale, mais aussi par des mécanismes de compensation : on pourrait ainsi imaginer une mutualisation entre les zones où il est facile de revaloriser une friche et les autres, à travers une assurance peu chère payée par les pollueurs, qui financerait un fonds d'amorçage là où le foncier n'est pas dense. On peut donner des subventions d'amorçage à verser à partir du moment où l'acquéreur ne gagne pas d'argent sur une acquisition, mais il ne faudrait pas que la subvention lui paye son acquisition foncière. Une telle réflexion en amont coûterait un peu plus d'argent, mais dégagerait des projets de plus long terme.
Concernant le traitement sur site, comment éviter que le remède soit pire que le mal ? Dans le métier de la dépollution des sols in situ, il y a beaucoup de chercheurs, d'ingénieurs, de techniciens, qui doivent être à la fois humbles et persévérants. Il faut aussi se méfier des chants des sirènes qui vous expliquent que l'on va dépolluer avec des champignons ou des bactéries miraculeux : il y a des cas où ce n'est pas possible - en cas de pollution à trois mètres de profondeur - et des cas où c'est possible, mais où cela présente des inconvénients. Il n'est pas facile, de fait, de trier le bon grain de l'ivraie, car les polluants des sols sont difficiles à dégrader, car ultrastables.
Mme la rapporteure demande si une friche peut être gelée demain à cause de nouveaux polluants. Oui, je pense à des polluants émergents, comme les perfluorés, issus des produits de lutte contre les incendies industriels, et qu'on retrouve dans l'estomac des pingouins et des phoques en Antarctique et en Arctique, par exemple.
Il faut donc accepter que l'on chauffe le sol à 150 degrés, que l'on fasse des traitements par oxydoréduction. À un instant t, toutes les techniques ne peuvent pas être favorables à toutes les fonctions du sol en même temps. C'est pourquoi il faut des entreprises compétentes, et des bureaux d'études qui conçoivent leurs plans d'intervention. Dans les plans de conception de travaux, nous appliquons toujours des pilotes pour développer à petite échelle les techniques innovantes avant de passer à grande échelle. Le guide de 2019 encadre l'action des entreprises, imposant par exemple un pilote en laboratoire puis à petite échelle. C'est utile : une entreprise a remporté un prix de l'innovation, car elle avait su dégrader des polychlorobiphényles (PCB) avec des bactéries. Toutefois, la technique fonctionnait en laboratoire, mais pas sur le chantier.
Aujourd'hui, rien n'impose au propriétaire d'un terrain pollué d'en mesurer l'état, sauf si une industrie cesse son activité. Un autre problème est que l'on sait ce qu'est une eau potable, mais que l'on ne sait pas ce qu'est un sol pollué. On ne le mange pas, même si on y fait pousser des artichauts et on y construit des écoles. Il faut définir ce que l'on attend d'un sol et arrêter de le traiter comme un déchet. Aujourd'hui, notre activité relève de lois sur les déchets. Il faut une nomenclature définissant ce qu'est un sol pollué, les valeurs-seuils, les usages. Nous pouvons vous transmettre des éléments. Il y a tout à faire.
M. Laurent Lafon, président. - Nous sommes preneurs.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Nous nous rendons bien compte qu'il faut une loi sur les sols pollués qui prenne en compte la diversité des pollutions. Dans l'Aude, quand on croit une pollution circonscrite, le dérèglement climatique la fait réapparaître. Les pollutions ne sont pas figées, surtout si elles touchent aux eaux souterraines. Même lorsque la nature reprend ses droits sur ce qu'on appelle des terrils dans le Nord, et qui sont chez nous des retenues de déchets collinaires.
Lorsque les exploitants sont partis depuis des années et qu'on hérite de sols historiquement pollués, cela peut prendre des dimensions astronomiques avec des cours d'école polluées, des reconstructions nécessaires et des personnes qui ne peuvent plus cultiver leurs légumes dans leur jardin à cause de la pollution à l'arsenic. Nous devons donc chercher à encadrer ces questions au mieux, y compris en mobilisant la réglementation. Quand tout a disparu, on ne peut pas se fonder sur un guide de méthodologie. Et quand les agences régionales de santé (ARS) interviennent, les contours deviennent encore plus flous pour nos concitoyens. Nous recevrons donc avec plaisir vos propositions pour une future loi sur les sols.
M. Franck Bouché. - Dernière question : la commission d'enquête a-t-elle été prolongée en raison de la crise sanitaire ?
M. Laurent Lafon, président. - Oui, jusqu'en septembre. Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La téléconférence est close à 16 h 00.
Mercredi 10 juin 2020
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La téléconférence est ouverte à 16 h 45.
Audition de M. Marc Kaszynski, président du laboratoire d'initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti), membre du groupe de travail national « Réhabilitation des friches » mis en place par le ministère de la transition écologique et solidaire (en téléconférence)
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'audition de M. Marc Kaszynski, président du laboratoire d'initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti), également membre du groupe de travail national « Réhabilitation des friches » mis en place par le ministère de la transition écologique et solidaire.
Votre audition nous sera précieuse pour mieux cerner l'enjeu de la réhabilitation des friches industrielles ou minières. Il serait intéressant à cette occasion que vous nous présentiez les travaux et, le cas échéant, les conclusions du groupe de travail national mis en place par le ministère de la transition écologique et solidaire pour favoriser la réhabilitation des friches. En matière d'information sur les sites et sols pollués, quel est d'ailleurs votre sentiment sur la qualité des bases de données existantes ? Dispose-t-on aujourd'hui d'une évaluation solide du nombre de friches industrielles et minières qui nécessiteraient des travaux de dépollution pour permettre leur réutilisation ? Par ailleurs, quels freins observez-vous à la reconversion des friches industrielles ? Quelles seraient, selon vous, les pistes à envisager pour répondre à l'enjeu de la réhabilitation des friches gelées, souvent pénalisées par le coût des travaux de dépollution et la faible valeur foncière des friches dans certaines régions ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de huit à dix minutes, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Marc Kaszynski prête serment.
M. Marc Kaszynski président du laboratoire d'initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti), membre du groupe de travail national « Réhabilitation des friches » mis en place par le ministère de la transition écologique et solidaire. - Au cours de ma carrière, j'ai surtout, entre 1996 et 2015, dirigé l'établissement public foncier (EPF) du Nord-Pas-de-Calais. J'y ai conduit des requalifications de friches minières, industrielles, urbaines et de tout nature - polluées ou non - correspondant à une superficie de 5 000 hectares de friches ce qui représentait la moitié du volume identifié dans les années 1990, dans le cadre des politiques publiques soutenues, en particulier, par le fonds européen de développement régional (Feder). J'ai souhaité prolonger cette expérience, après mon départ en retraite, en créant le laboratoire d'initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti) : il s'agit d'un fonds de dotation, comme une fondation, avec des partenaires privés - j'appartiens moi-même à cette catégorie - qui ont souhaité mettre en place un centre de ressources sur les questions foncières appréhendées dans leur transversalité, à 360 degrés et donc sous tous les angles : logement, environnement et développement économique.
À travers la question du foncier, dans laquelle doivent s'impliquer les propriétaires, les aménageurs et d'autres acteurs du secteur public ou privé, nous avons immédiatement identifié le gisement des friches. J'ai connu la période où les inventaires de friches se limitaient aux friches industrielles, essentiellement dans les régions l'arc Nord-Est de la France. Ces friches faisaient l'objet, soit d'opérations de requalifications, soit d'une prise en charge par des collectivités locales porteuses de projets d'intérêt public, ou encore, hors marché, pour traiter ces friches dont on ne savait plus quoi faire. Dans le Nord-Pas-de-Calais, beaucoup de ces friches étaient d'origine minière et celles-ci se sont souvent transformées en gisements de biodiversité. Nous avons donc expérimenté le lien entre reconversion des friches et reconversion d'espaces pour une biodiversité régénérée. Nous avons également traité d'importants sites pollués comme ceux de Pechiney (PCUK), notamment à Wattrelos, avec une opération qui a servi de prototype pour amener l'État à réfléchir sur la notion de tiers demandeur et sur les modalités de transfert pour la remise en état des sites. S'y ajoutent des opérations ayant pour objectif la création de logements, qui relèvent du portefeuille de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) ainsi que des EPF institués dans ce but.
Dès la création du Lifti en 2017, nous avons tout de suite posé la question de l'inventaire. En effet, il faut rappeler que les fonds européens se sont surtout déplacés vers l'Europe centrale et orientale et que la Commission européenne, comme l'État, se sont surtout intéressés aux friches susceptibles de produire à nouveau de l'activité économique et de l'emploi ; si bien que nous nous sommes retrouvés avec des panels de friches hors marché qui soulevaient des difficultés, avec, simultanément, une absence de mise à jour des informations. Tout ceci a abouti à une obsolescence des bases de données : je ne parle pas ici de Basias mais de l'information sur les friches, qui recoupent plus ou moins Basol et Basias.
Il fallait donc, pour traiter la question des friches, commencer par traiter la question de leur identification. Tel a été l'objet de la mission que nous avons confiée à la Junior entreprise de Centrale Lille qui a établi un premier état des lieux que je vous ai transmis et qui montre la grande disparité des situations territoriales, avec des travaux d'inventaire ponctuels qui ont étés menés sans vision d'ensemble. Pour reconstruire une vision globale, il ne faut plus se limiter aux seules friches industrielles. En effet, des friches impactées par la digitalisation de l'économie sont apparues non seulement dans les secteurs industriels mais aussi ruraux, avec une dispersion sur l'ensemble du territoire. D'où la nécessité de reprendre la question des friches en élargissant le concept : une friche, c'est, au fond, un bien laissé à l'abandon et ne peut pas retrouver un intérêt sur le marché, soit parce qu'il n'y a plus de perspective économique, soit parce que l'ampleur de la remise en état du site n'est pas rentable pour un opérateur privé. Nous avons donc élargi la cible de l'inventaire à tout type d'espace abandonné : militaire, SNCF, hôpitaux, centres commerciaux, logistique, reconversion des sites industriels datant des années 1970.
C'est une des raisons pour lesquelles nous avons été associés par la secrétaire d'État Emmanuelle Wargon au groupe de travail sur la réhabilitation des friches et, en particulier, à la coprésidence d'un groupe de travail sur les inventaires, avec l'association des maires de France (AMF). Nous avons tenu des réunions entre juillet et septembre 2019, puis remis un certain nombre de propositions et d'indicateurs endogènes - qui qualifient les sites - et exogènes - pour caractériser l'environnement du site. Les deux sont liés : on ne peut pas reconvertir une friche sans faire le lien avec sa localisation et tenir compte de son contexte en termes de politiques publiques, d'environnement, d'attractivité, de risque... Nous travaillons donc à une « structuration de la data » pour disposer d'outils adaptés, avec une démarche de « bottom up - top down ».
Cela signifie que le meilleur lieu pour construire l'information est local. Pour avoir piloté, en lien avec le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), la constitution de fichiers Basias, je peux souligner que le contact du terrain est fondamental, avant de « rabouter » les informations avec les données nationales. Le niveau territorial est déterminant car c'est là que les données vont servir le plus directement, avec la plus grande efficacité. Ensuite, il faut bien entendu pouvoir comparer ces données et les assembler : le niveau régional est ici important pour donner du sens à ces informations afin de mieux documenter les politiques régionales articulées avec le niveau national et européen. Le récolement au niveau national doit enfin permettre de rencontrer les grandes stratégies que l'État peut porter dans ce domaine.
Je tiens beaucoup à ce lien entre le local et le national et, pour le fortifier, nous avons besoin de référentiels partagés. Tel est le sens de notre travail et nous avons transmis au ministère concerné le référentiel que nous avons construit. Nous sommes aujourd'hui au milieu du gué. Nous envisageons, avec l'AMF, de poursuivre la mise en réseau des informations sur les friches.
Ces inventaires doivent structurer une connaissance de base, sans leur demander l'intégralité des opérations conduites sur les friches, d'autant que, selon le projet dont on est porteur, le besoin d'information est différent. Il faut donc bien distinguer une couche infrastructurelle de données qu'il faut homogénéiser au niveau national, et l'autre sujet qui s'ouvre quand on rentre dans une phase opérationnelle : celle-ci doit alors s'appuyer sur la documentation utilisée par le propriétaire, le porteur de projet. Il faut donc résister à la tentation de vouloir tout savoir sur les friches, ce qui aboutit à des blocages faute de moyens et d'ingénierie suffisants.
Il est donc important qu'une telle démarche
d'inventaire ne doit pas être octroyée par l'État
- par exemple sous forme d'un logiciel devant être
téléchargé par les
collectivités - mais
qu'elle puisse, dans un schéma « bottom
up », s'appuyer sur les remontées de terrain.
Les revendications en termes de financement d'ingénierie et de projets doivent pouvoir être exprimées. Le Lifti est attentif au processus de financement complet de la chaîne du recyclage, depuis sa conception jusqu'aux actions opérationnelles portées par le public ou le privé. Il faut ici voir précisément qui doit apporter sa contribution et à quel moment, sans se contenter de la mobilisation des fonds européens, du financement des travaux, des possibilités de défiscalisation pour le propriétaire... Nous souhaitons donc stimuler une approche globale à partir d'une connaissance active, intelligente - c'est la base de tout projet efficace - et rattachée à des démarches de suivi et d'évaluation des politiques publiques. Pour savoir où on va, il faut connaître plus précisément les gisements de friches ainsi que les projets de réhabilitation, tout en mettant en place des outils de conception et de suivi, en développant des démarches itératives pour opérer les ajustements nécessaires.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je vous remercie pour cet exposé liminaire. Tout d'abord, pensez-vous que les documents d'urbanisme et de planification urbaine tiennent suffisamment compte de la qualité des sols ? Les informations disponibles sur les bases de données Basol et Basias et dans les secteurs d'information sur les sols ou les outils de diagnostic des sols sont-ils suffisamment mobilisés par l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse des promoteurs et aménageurs ou des collectivités territoriales, avant d'entreprendre tout projet d'aménagement ? Par ailleurs, quelle évaluation faites-vous du dispositif du tiers demandeur introduit par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) : cet instrument, censé favoriser la mise en oeuvre de travaux de dépollution pour la reconversion de sites pollués, a-t-il fait la preuve de son efficacité ? Identifiez-vous des faiblesses et des voies d'amélioration pour permettre sa montée en puissance ?
En particulier, le dispositif du tiers demandeur suppose que celui-ci apporte des garanties financières à l'État. Si cela peut sembler pertinent pour des sociétés privées de réaménagement, le mécanisme des garanties financières semble plus difficile à mettre en oeuvre pour des collectivités territoriales ou des établissements publics fonciers locaux qui sont soumis à la comptabilité publique. Pensez-vous qu'il faille simplifier ce mécanisme de garanties financières pour des personnes publiques qui souhaiteraient se positionner comme tiers demandeur pour la réhabilitation de friches ?
Enfin, que pensez-vous des transactions d'anciens terrains
industriels qui ont conduit des collectivités ou exploitants à
céder à des sociétés de réaménagement
des friches pour un euro symbolique, à charge pour ces
sociétés de réaliser les travaux
de
dépollution : comment peut-on s'assurer que les projets de
réaménagement entrepris dans ce cadre s'inscriront bien dans une
démarche d'aménagement durable ? J'ajoute que, dans ce
domaine, l'information des citoyens et la concertation avec ceux-ci me semblent
essentiels. Or vous nous avez alertés, dans les documents que vous nous
avez transmis, sur l'aspect anxiogène de certaines études de
risques : quelles solutions préconisez-vous pour diffuser
l'information aux citoyens de façon pédagogique ? Mon
attention a également été attirée sur le fait que
vous considérez la loi ALUR comme la première étape de la
construction d'un droit du sol : quelles sont, à votre avis, les
étapes suivantes ?
M. Marc Kaszynski. - S'agissant du dispositif du tiers demandeur, je précise avoir contribué à l'élaboration - ou à la promotion, à travers nos opérations de terrain - de l'article 173 de la loi ALUR. Le fait d'inscrire des informations sur les sols pollués dans les pièces annexes des documents d'urbanisme a été une grande avancée pour réarticuler le code de l'environnement, dans son volet gestion des installations classées, et le droit de l'urbanisme décentralisé auprès des collectivités territoriales. Le sujet vient juste de démarrer. Dans ces périmètres pollués où un aménageur souhaite intervenir, une procédure s'applique pour le suivi conforme de son projet mais dans les autres zones, nous n'en sommes pas encore là. Nous avons donc franchi une première étape liée à l'évolution des esprits. C'est un mécanisme presque culturel qu'il faut insuffler lorsqu'on intervient dans des espaces urbains qui ont été pollués et comportent divers risques pour la santé et l'environnement. Nous sommes en train de prendre conscience de ces phénomènes et cela concerne aussi bien les élus locaux et les populations que les façons de travailler avec les services de l'État.
Il faut aussi introduire une culture de la démarche de projet - qui va au-delà de l'approche purement réglementaire - pour venir en aide au porteur de projet : j'ai vécu sur le terrain des réussites qui reposent sur une adhésion générale à un projet. La clef de la réussite réside encore plus dans la pratique des acteurs publics et privés que dans la modification des documents d'urbanisme. N'oublions pas également l'importance de l'implication du propriétaire. Depuis 1968, la problématique de l'urbanisme reposait un peu sur la tendance à « sortir le propriétaire » : il fallait empêcher le propriétaire - d'un terrain le plus souvent agricole - de capter la plus-value résultant du changement d'usage pour faciliter le financement d'infrastructures dans les opérations d'aménagement. Aujourd'hui le problème se pose différemment : nous sommes en présence de biens complexes et on prend des risques en expropriant des friches car on ne connait pas bien leurs caractéristiques. Il est dès lors nécessaire de partager les données avec le propriétaire dès le départ de l'opération tout en l'associant à la construction de l'information la mieux adaptée. Je me situe donc ici sur le plan des pratiques plus que de la réglementation.
S'agissant du dispositif du tiers demandeur, il se trouve que je préside également le groupe de travail « sites et sols pollués » du conseil supérieur de la prévention des risques technologiques dont la dernière réunion a eu lieu le 4 juin 2019. Nous avons à cette occasion demandé à l'administration de nous informer sur l'avancement des dossiers relevant de ce dispositif. Bien entendu, certains dossiers font l'objet de négociations et leur contenu ne peut pas être dévoilé mais il faudrait progresser dans la diffusion des informations, au-delà de l'arrêté préfectoral qui désigne le tiers demandeur. On pourrait imaginer que le ministère concerné informe sur les opérations en cours pour qu'on puisse juger de leur état d'avancement.
J'estime que ces démarches sont prometteuses car elles
sont utilisées par les industriels pour gérer entre eux des
transferts d'usage ou des reprises de sites, grâce au cadre juridique du
tiers demandeur qui est plus solide qu'auparavant. Ce mécanisme va donc
dans le sens d'une clarification des responsabilités. Il est important
de bien noter, pour le
preneur - tiers demandeur que sa
responsabilité n'est engagée que sur la partie du projet qu'il
porte et qu'il va gérer : ce point n'est pas encore suffisamment
bien connu par des preneurs qui pensent souvent à tort être
concernés par l'ensemble des dispositifs ICPE qui s'appliquent à
l'ancien détenteur-exploitant. Or l'ancien exploitant reste redevable
vis-à-vis de l'administration des obligations concernant les biens non
transférés. Il y a donc là plus de pédagogie
à mettre en oeuvre.
Nous souhaitons une montée en régime du dispositif du tiers demandeur et, à ma connaissance, des dossiers importants sont en cours de préparation, ce qui permettra aux détenteurs industriels de multiples sites de réfléchir afin de se positionner avec une attitude proactive. J'ajoute que les premières opérations auxquelles on peut penser sont celles qui portent sur des opérations immobilières rentables, mais les projets peuvent également porter sur du foncier destiné à accueillir de la biodiversité, des centrales photovoltaïques...
S'agissant des garanties financières, j'avais
noté que, pour les EPF d'État, la garantie n'est pas
exigée mais il faut une démarche spécifique de la tutelle
permettant aux EPF de s'engager comme tiers demandeur pour des
opérations dont je rappelle qu'ils n'interviennent pas en tant
qu'aménageurs. La difficulté est donc que l'engagement ne porte
que sur une seule phase de l'opération de reconquête des friches
que l'on appelle le pré ou proto-aménagement, avant la cession
à un aménageur ou à un promoteur. L'EPF doit se contenter
d'une remise en état et d'une préfiguration du site qui facilite
l'aménagement mais il n'a pas la charge de ce dernier. Il faut donc
adapter le cahier des charges dans ce cas précis et prévoir
également comment de dossier géré par l'EPF peut
être transféré vers
l'aménageur : il y a
donc une chaîne entre l'aménageur privé et public.
Nous signalons par ailleurs que la procédure devrait pouvoir s'appliquer non seulement après la déclaration de cessation d'activité mais aussi avant, pour pouvoir engager des démarches en mode projet : une telle adaptation doit être possible sans grande difficulté.
De plus, ce que je viens d'indiquer pour les EPF doit pouvoir s'appliquer également aux collectivités locales et à leurs opérateurs publics ou privés mandatés par ces collectivités. Dans ce dernier cas, un examen juridique plus poussé me paraît utile.
En ce qui concerne les cessions à l'euro symbolique, j'ai fait figurer dans le dossier un schéma qui explique comment, à partir d'un bien immobilier qui se dégrade, on peut aboutir à quatre cas de figure selon que le marché est porteur ou pas et selon que le site nécessite un niveau de travaux important ou pas. Il est possible de réaliser des travaux, y compris dans des zones en décroissance immobilière, si le coût de ces travaux est compatible avec la charge foncière de l'opération. Inversement, en zone tendue, on peut se retrouver dans des situations de blocages si le niveau de dépollution atteint des montants excessifs. Par conséquent, dans les cas de cession à l'euro symbolique, il est difficile de savoir a priori qui va bénéficier d'une « bonne affaire ». Il faut que les expertises préalables aux cessions soient les plus documentées possibles avec des règles de retour à bonne fortune que la société nationale des chemins de fer (SNCF) pratique assez bien en prévoyant un réexamen du prix en cas d'évolution du marché. Ce qui importe le plus est de mettre en place un mécanisme calcul à rebours pour déterminer si l'économie du projet nécessite ou pas l'aide apportée par un prix de cession fixé à un niveau faible ou à l'euro symbolique. Tout ceci renvoie à la nécessité d'une approche non pas spéculative mais portant sur la valeur économique du projet.
Enfin, votre question qui porte sur l'information des citoyens
renvoie à mon propos précédent sur l'acculturation. Il
faut construire le dialogue entre les acteurs mais je fais observer que l'on
n'a pas exigé explicitement de mettre les secteurs d'information sur
les sols (SIS) en annexe des documents d'urbanisme : on n'a pas
osé l'écrire, ce qui témoigne d'une intention de
procéder étape par étape. L'information doit ainsi
être liée à une stratégie d'acculturation. Sur des
projets précis, il faut sans doute « mettre les informations
sur la table » en particulier pour favoriser le dialogue entre les
associations et les diverses parties prenantes.
En tout état de cause, je distingue bien l'information générale, nécessaire pour construire des politiques publiques, et l'information liée à la démarche relative à un projet spécifique.
M. Laurent Lafon, président. - En suivant votre raisonnement qui consiste à procéder par étapes, une définition légale des terres polluées et un nouveau droit des sols vous paraissent-ils nécessaires ?
M. Marc Kaszynski. - En prenant comme référence la base Basias, il y a souvent des percolations entre les termes de sols pollués et de friches industrielles. Un ancien site industriel peut ne pas être un site pollué et, inversement, un sol pollué n'est pas nécessairement une ancienne friche industrielle, par exemple si la pollution résulte de bombardements pendant la seconde guerre mondiale.
L'enjeu essentiel, à mon avis, reste celui du renouvellement urbain. Il reste très difficile de définir juridiquement une friche et j'indique que le traitement des friches industrielles est différent de celui des friches commerciales. L'important est de garder à l'esprit que le facteur commun à tous ces sites est l'obsolescence de leur usage et l'intérêt à les recycler. Je vois donc mal la création d'une catégorie juridique consacrée aux friches.
En revanche, il faut certainement progresser dans le rapprochement entre le mot « sol » - utilisé dans les débats sur la biodiversité ou en agriculture - et le « foncier », lequel relève de la sphère de l'urbanisme. L'enjeu est de réarticuler dans un droit du sol la question du foncier appréhendé comme une notion juridique et socio-économique avec l'approche sur la qualité des sols. On peut imaginer que les documents d'urbanisme puissent évoluer en contenant plusieurs strates d'informations sur la qualité des sols en partageant ces indications comme c'est le cas pour l'exposition aux risques. Je perçois plus une démarche progressive et une acculturation permettant à terme, quand on dépose une demande de permis de construire, de consulter un catalogue d'informations incluant des données sur la qualité des sols.
M. Laurent Lafon, président. - D'après votre expérience, les travaux de dépollution sont-ils systématiquement conduits en fonction de l'usage projeté du site et ne faudrait-il pas, à l'inverse, envisager l'usage du site en fonction du niveau de pollution et des techniques de dépollution disponibles ?
M. Marc Kaszynski. - Voilà un sujet essentiel. La démarche nationale délivre le message suivant : on ne peut accepter un usage sur un site que si les traitements de dépollution aboutissent à un niveau de risque acceptable pour cet usage spécifique. Il faut donc adapter le site au projet mais aujourd'hui on recherche également une adaptation du projet à l'état du site.
Ici encore, intervient un aspect culturel. En zone urbaine, on a souvent envisagé des gestes de composition urbaine en vérifiant seulement dans un second temps la compatibilité de l'état des sols avec le projet. De deux choses l'une : si le projet est remarquable, il faut dépolluer en conséquence ou alors on s'efforce de tenir compte des contraintes de pollution. Ce processus itératif est en train de se construire : la culture de construction en site urbain commence à intégrer dès la phase initiale l'état des sols et les enjeux de dépollution, ce qui renvoie au calcul économique. Les situations sont variables et les EPF peuvent ici jouer un rôle de « sas » : avant de s'engager dans des reconfigurations urbaines, ces établissements peuvent faire valoir les difficultés de financement de la dépollution.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Vous avez surtout évoqué les pollutions en milieu urbain. N'oublions pas les pollutions en milieu naturel, comme dans mon département qui subit les difficultés consécutives à une exploitation minière, avec des jeunes couples qui ont acquis des biens sans qu'apparaissent dans la documentation fournie par le notaire les risques de pollution. Nous avons des collines de déchets recouvertes par la nature - parfois elle-même toxique - avec de beaux paysages, mais en cas d'inondation les pollutions réapparaissent. Alors que l'acquisition d'un bien immobilier s'accompagne d'exigences de nombreux diagnostics portant sur le plomb, l'amiante ou autres, rien n'est demandé pour le type de pollution que j'évoque ici.
Au-delà de la question des friches urbaines, je voudrais recueillir votre sentiment sur la situation actuelle : compte tenu de l'importance des questions environnementales et du désir de qualité de vie des populations, on a travaillé sur la pollution de l'eau et de l'air mais pas sur la pollution des sols. Tout se passe comme si on voulait éviter cette dernière question mais, à mon avis, on ne pourra plus éviter longtemps d'avoir à clarifier les données sur la pollution des sols avec une cartographie précise portée à la connaissance des citoyens. Certes, la pollution existe partout mais, à un moment donné, il faut vaincre certaines peurs ainsi que certains blocages et combler les vides en termes d'information des citoyens. Je souhaitais vous faire réagir sur ce point. Il subsiste aujourd'hui un déséquilibre ; or les citoyens doivent pouvoir aujourd'hui vivre partout sur notre territoire dans une situation égale vis-à-vis du risque.
M. Marc Kaszynski. - Je partage totalement votre position quant au devoir d'information environnemental et sur la qualité des sols. Nous avons d'ailleurs préconisé l' « open data du foncier » pour permettre une meilleure connaissance des marchés. Le site minier que vous évoquez doit figurer dans des répertoires consultables. Je rappelle que sur les sites miniers du Nord-Pas-de-Calais, les charbonnages de France avaient l'obligation, dans le cadre de la fermeture des concessions, de réaliser des travaux et de faire figurer des informations sur les secteurs pollués. Il n'y a pas eu le même réflexe sur les territoires ruraux ou la présence industrielle était moins forte et où la nature a repris ses droits. Je vous rejoins donc sur la nécessité de construire une information sur l'anthropisation des sites pour permettre aux usagers de se positionner de manière éclairée lorsqu'ils achètent un bien car il y a eu trop de cas de découvertes tardives de pollution.
Je signale à ce sujet qu'on est en train de passer de l'inventaire de listes de sites à la géolocalisation des sites. L'administration évoque à présent Casias, c'est-à-dire un fichier géo-référencé, dans le prolongement des bases Basias et Basol et on pourrait adosser Casias aux documents d'urbanisme. Dans certaines agglomérations, des travaux sont conduits en liaison avec le BRGM pour construire des inventaires historiques urbains détaillés ; certes, les données datent parfois d'une époque éloignée et peuvent ne plus correspondre à la situation actuelle.
Techniquement, ces inventaires sont réalisables ; encore faut-il avoir la volonté de les mettre à disposition des collectivités. Nos efforts pour cartographier les friches vont exactement dans ce sens.
M. Laurent Lafon, président. - Nous vous remercions pour cet échange et les réponses écrites que vous nous avez transmises.
M. Marc Kaszynski. - Sachez que nous sommes, à tout moment, prêts à partager notre expérience technique et financière avec vos territoires.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La téléconférence est close à 17 h 45.
Audition de Mme Laura Verdier, consultante en gestion des sites et sols pollués, fondatrice de LVR Consulting (en téléconférence)
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'audition de Mme Laura Verdier, consultante en gestion des sols pollués, fondatrice de LVR Consulting. Votre audition sera l'occasion que vous nous présentiez votre expérience en matière de gestion des sites et sols pollués et les enjeux de cette thématique.
En particulier, quel regard portez-vous sur la chaîne des responsabilités dans la prévention et la gestion des risques sanitaires et écologiques de l'exploitation passée d'un site industriel ou minier ? De votre point de vue, la réglementation vous semble-t-elle suffisante, ou existe-t-il des angles morts et des insuffisances qu'il conviendrait de combler ?
En matière de réhabilitation des friches, quelle évaluation faites-vous du cadre juridique applicable ? Estimez-vous qu'il existe par exemple des « trous dans la raquette », notamment pour les friches qui n'ont pas relevé du statut d'ICPE ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de huit à dix minutes, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Laura Verdier prête serment.
Mme Laura Verdier, consultante en gestion des sites et sols pollués, fondatrice de LVR Consulting. - Je vais rapidement présenter mes activités. Je suis ingénieure formée dans les sciences de la terre. J'ai commencé à exercer mes fonctions dans un bureau d'études certifié en matière de sites et sols pollués, puis dans un grand cabinet de conseil. J'ai fondé en 2009 mon entreprise pour mener des activités de conseil en environnement. Mes clients sont aussi bien des industriels que les pouvoirs publics, ce qui reflète l'étendue de mes missions : en tant qu'ingénieure, je traite de sujets techniques tels que la pollution des eaux, des sols ou les déchets, mais j'ai également une approche plus large sur les sujets de développement durable des grands groupes ou sur la ville durable.
En matière de sites et sols pollués, mon rôle est généralement l'assistance à la maîtrise d'ouvrage et le pilotage de la gestion des sols pollués. À ce titre, nous élaborons des stratégies de gestion ; nous lançons des appels d'offres envers les bureaux d'études et de dépollution pour mener à bien la dépollution des sites ; nous suivons les travaux et études ; et nous participons à la rédaction des clauses dans les baux et contrats. J'élabore donc des politiques de dépollution pour nos clients. Nous effectuons des missions de long-terme, mais aussi de la gestion de crise, via des réunions de conciliation, de concertation publique et via des approches de prévention de crise.
En tant que consultante sur les thématiques environnementales, je dois faire le pont entre les acteurs publics et privés, les attentes des citoyens et riverains, et les actions des professionnels que sont les bureaux d'études et de dépollution.
Au vu de mon expérience des sites et sols pollués et des missions que je vous ai présentées, je souhaite porter à votre attention trois points particuliers.
Le premier est l'information du public. Nous vivons actuellement une crise de confiance envers les élus et envers les scientifiques. Il y a une attente très forte de la part de toutes les parties prenantes pour que les thématiques environnementales soient clairement explicitées. En matière de sites et sols pollués, les bases sont incomplètes, difficilement lisibles pour le grand public sans compétence techniques. Les discours sont parfois complexes. Collectivement, il faut arriver à un discours plus pédagogique et plus clair.
Le second est la question de la loi. Les sols sont aujourd'hui le dernier milieu qui n'est pas réellement protégé par le code de l'environnement en France. L'eau ou les déchets font l'objet de plusieurs centaines d'articles législatifs. Pour les sols, il existe en 2020 seulement trois articles de loi et six articles réglementaires, tous relatifs aux secteurs d'information sur les sols (SIS). Le cadre légal est donc quasi-inexistant, ce qui implique que même les acteurs de bonne volonté tels que les propriétaires fonciers qui souhaitent développer leurs territoires ne savent pas où ils vont en raison de ce vide juridique. Il faut leur fournir une base solide et stable pour travailler. Le point central selon moi est l'absence d'obligation de déclaration en cas de découverte de pollution des sols. Par exemple, un promoteur qui découvrirait une pollution dans le cadre de travaux de construction sera chargé de gérer correctement cette pollution, mais rien ne l'obligera à la déclarer aux autorités publiques. Il en va de même qu'il s'agisse d'un promoteur, d'un particulier ou d'un industriel. Une obligation existe uniquement au moment de la cessation d'activité d'une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), les exploitants devant déclarer tout incident ou accident. Ces zones d'ombre créent une instabilité.
Le dernier porte sur les moyens humains et matériels à disposition des acteurs publics, en particulier les inspecteurs des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). Même avec un cadre réglementaire idéal, même avec une population intéressée et informée, il faut donner aux acteurs publics les moyens de travailler. Les inspecteurs des Dreal sont en sous-effectifs, alors qu'ils sont pourtant les « juges de paix » des sites et sols pollués. Bien sûr, il existe un mécanisme de certification des bureaux, mais celle-ci touche au format, à la méthode, à la manière de travailler. Elle ne vérifie pas le contenu des rapports et leur conformité à la législation ou aux bonnes pratiques. L'échange entre les inspecteurs, les industriels, les bureaux, les collectivités est fondamental ; or, du fait du manque d'effectif actuel et de leur concentration sur les IPCE, le dialogue ne fonctionne pas assez bien et l'Etat manque aujourd'hui de répondant.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Merci de nous avoir exposé ces éléments de façon très claire.
Nous avons déjà beaucoup évoqué, lors de nos auditions, le dispositif du tiers demandeur qui a été présenté, lors du vote de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), comme un bon instrument pour favoriser la mise en oeuvre de travaux de dépollution pour la reconversion de sites pollués. En votre expérience multifactorielle, quel bilan faites-vous de ce dispositif ? Identifiez-vous des faiblesses et des voies d'amélioration pour permettre sa montée en puissance ?
Quels sont selon vous les principaux motifs qui pourraient expliquer qu'un exploitant ou un propriétaire renonce à la dépollution d'un site ? Pensez-vous que ce soit essentiellement le coût des travaux de dépollution qui conduise l'exploitant à s'en tenir à une simple mise en sécurité d'un site pollué ?
Quel regard portez-vous sur la périodicité et inspections et contrôles périodiques des ICPE : faut-il la renforcer pour certaines catégories d'ICPE, notamment les installations soumises à déclaration ? Quels seraient, selon vous, les moyens de renforcer le suivi plus régulier de la problématique de la pollution des sols par les industriels, au-delà de la seule question des déchets et des eaux souterraines ?
Quelle évaluation faites-vous de la qualité de l'information disponible sur les sols pollués, et notamment des bases de données Basol et Basias, ainsi que des secteurs d'information des sols, dont nous avons du mal à estimer la pertinence et le rôle dans le dispositif actuel ? Pensez-vous que ces données soient suffisamment réactualisées ? Quelles seraient, selon vous, les pistes à envisager afin d'améliorer le recensement des sites pollués ? Les cartographies nous paraissent insuffisantes et peu évolutives.
Dans quelle mesure l'évolution de la législation minière, industrielle ou environnementale a-t-elle permis de renforcer la responsabilité des exploitants en matière de prévention des pollutions des sols et de réparation des dommages causés ?
Enfin, quelles seraient vos propositions vis-à-vis des friches gelées ? Comment résoudre ce type de situations de blocage ou d'abandon ?
Mme Laura Verdier. - Concernant la qualité de l'information disponible dans les bases, il faut tout d'abord comprendre que Basias n'est pas une base qui recense les sites pollués en France, mais les activités industrielles ou de services potentiellement polluantes qui ont eu cours sur le territoire français. Cette base est donc un outil intéressant, mais ce n'est pas une base de recensement des sites et sols pollués. Très utilisée par les bureaux d'études, elle n'est pas exhaustive car le travail est monumental et ne sera pas achevé avant de nombreuses années.
La seule vraie base de données de pollution des sites et sols est Basol. Sa qualité tient à ce qu'elle est complétée par les inspecteurs des Dreal, qui sont sachants en la matière. Mais l'information qu'elle contient est très littéraire et très technique. Il faudrait travailler sur un affichage plus visuel et sur une traduction sous forme de cartographie. Un tel exercice de carte en « code couleur » est par exemple demandé aux bureaux d'études dans le cadre de leurs rapports : cela devrait avoir cours au niveau de Basol également. Par ailleurs, il existe un biais qui tient à ce que les inspecteurs de la Dreal ne sont sollicités que sur des sites ICPE, et, de surcroît, sur des sites en fin d'activité. Les sites en cours de fonctionnement ne sont donc pas concernés, sauf si l'administration s'en est saisie : beaucoup de sites en zones urbaines ne figurent pas sur Basol. Cette base qui est donc à la fois très technique et non exhaustive n'est pas idéale du point de vue de l'information du public. Je travaille entre autres à former les notaires sur les sites et sols pollués : je constate souvent qu'ils ont connaissance de nombreux sites et sols pollués qui ne sont pas listés sur Basol. C'est là un problème en termes de confiance. À Marseille par exemple, seulement 40 sites sont référencés sur Basol : c'est irréel, les sites sont bien plus nombreux.
Les SIS me paraissent extrêmement importants car ils intègrent la thématique des sites et sols pollués aux documents d'urbanisme. Auparavant, chacun devait chercher et retrouver l'information par d'autres moyens tels que les bases... Ils figurent aujourd'hui sur les documents d'urbanisme eux-mêmes. Je relève toutefois un problème : les inspecteurs des Dreal ont complété ces SIS après consultation des propriétaires et des collectivités. À nouveau, on constate une « perte en ligne » : toujours à Marseille, seuls vingt sites sont listés dans les SIS, contre quarante dans Basol. Avec une telle perte de données, l'information devient si incomplète qu'elle pourrait être perçue par les populations comme un manque de sérieux, alors qu'elle reflète en réalité un manque d'information de l'administration.
La réglementation minière est en train d'être mise à jour, notamment sur son volet environnemental. Je ne suis pas en mesure de vous dire ce qui figurera dans ce texte de loi.
Au niveau du code de l'environnement, comme je l'ai mentionné, il n'existe que trois articles législatifs et six articles réglementaires relatifs aux sols pollués. On ne retrouve ces problématiques que dans la législation relative aux ICPE. Il n'y a aujourd'hui pas de définition des sols, ni de l'usage, alors que cette notion fonde pourtant la pratique de la gestion des sites et sols pollués. La réhabilitation n'est pas non plus définie. Nous devons donc rentrer dans ces débats au niveau des clauses et des contrats, ce qui génère beaucoup de contentieux : quel site, à quel endroit, quel type de pollution, quel sera l'usage... Nous nous dirigeons aujourd'hui vers un « droit mou » jurisprudentiel, sauf si un texte intervient pour mettre en place un « droit dur ».
Un autre sujet n'est pas traité par la réglementation : c'est celui du guide méthodologique national de gestion des sites et sols pollués. Il a été remodelé en 2007 et remis à jour en 2017. Il fonde tous nos travaux, nous suivons tous sa doctrine car c'est la seule que nous ayons, mais il n'a aucune valeur légale et n'est pas opposable à ceux qui ne le suivraient pas - y compris à ceux qui n'en sont pas informés. Ainsi, lors d'une formation, l'une des personnes m'a un jour transmis un rapport de bureau d'études qui ne suivait en aucune façon la méthodologie nationale... Aujourd'hui, la gestion des sites et sols pollués n'est régie que par de simples bonnes pratiques.
L'autre point fondamental, je l'ai dit, est l'absence d'obligation de déclaration de découverte de pollutions. Tant qu'il n'y aura pas de telle obligation, il n'y aura pas non plus d'information dans les bases, ni d'action de l'État ou des professionnels de la gestion des pollutions... Aujourd'hui, un industriel qui découvre une pollution peut parfaitement décider de gérer celle-ci en interne jusqu'à la fermeture du site plusieurs années après, tout cela sans intervention de l'administration. Sa seule responsabilité sera de ne pas atteindre à la santé des travailleurs et de ne pas laisser la pollution se répandre. Les inspecteurs de l'environnement devraient pouvoir agir comme garde-fous de ces pratiques.
Concernant les friches, là non plus, il n'en existe pas de définition. Généralement, il s'agit de terrains dont personne ne sait plus quoi faire et qui se retrouvent dans les mains des pouvoirs publics qui devront les gérer. Ces friches sont une problématique intéressante car elles s'inscrivent dans plusieurs politiques larges telles que la préservation de l'environnement ou la lutte contre l'étalement urbain. Un bon exemple de revitalisation de friches est celui de Lyon-Confluence, anciennement l'une des plus polluées de France. Cette expérience a permis aux acteurs français de la dépollution d'acquérir des compétences et de faire avancer la recherche et le développement. Cette opération a pu se faire car elle a bénéficié d'un coût élevé du foncier. Dans d'autres cas et dans d'autres zones, les prix ne seront pas suffisants pour « financiariser » la dépollution. Le nerf de la guerre est le financement de la dépollution.
Selon moi, il faut penser de manière innovante et ne pas se limiter aux seuls usages urbains, c'est-à-dire ne pas uniquement penser à la construction. Il existe des usages alternatifs, comme l'implantation d'installations photovoltaïques, à défaut de pouvoir construire de l'habitat sur ces terres. C'est une bonne option, mais elle est très longue à développer et ne pourra être mise en oeuvre partout. Une autre option est de faire de ces sites des zones d'expérimentations pour les acteurs de la dépollution. En France, majoritairement, on agit par excavation, en déplaçant la pollution ; ou bien par confinement de la pollution sur site, ce qui interroge sur le long-terme. Il existe cependant beaucoup d'autres méthodes de dépollution, mais elles sont peu utilisées pour des raisons de coût mais aussi de maturité technique.
Par exemple, il y a encore beaucoup de recherche et développement à réaliser sur la phytoremédiation. Pourquoi ne pas utiliser d'anciennes friches pour essayer de faire évoluer les connaissances sur les sites et sols pollués et sur les méthodes de dépollution ? Il est également possible de faire de ces friches des zones de compensation de la biodiversité, sous réserve que la biodiversité soit compatible avec l'état de pollution du sol. Une autre approche que je trouve intéressante et qui est en plein développement est celle des plateformes de tri, dans une logique d'économie circulaire d'un territoire. L'idée est de mettre, sur un site gelé, une installation de gestion et de traitement de terres et de permettre aux acteurs du territoire d'y apporter leurs terres sur cette zone, où elles seront traitées, puis rendues aux acteurs du territoire qui auraient des besoins, notamment dans le cas de travaux de construction.
L'aspect « sols » est absent des points de contrôle lors d'un contrôle d'une ICPE. Aujourd'hui, un inspecteur va vérifier la conformité des installations aux obligations prévues par les arrêtés en matière de mesure de rejet d'eau, de rejets dans l'air, de suivi de la quantité de déchets produits. Rien n'est demandé sur les sols pendant la vie de l'installation. Tant que l'installation fonctionne, l'industriel n'a aucune obligation de suivre l'état de ses sols. Il serait intéressant, au niveau des arrêtés préfectoraux et des arrêtés ministériels, d'ajouter des points de contrôle périodiques (il pourrait s'agir d'autocontrôles). Pour les installations soumises à déclaration, des contrôles périodiques sont réalisés par des acteurs privés. Il serait intéressant d'ajouter dans leurs points de contrôle un point sur les sols pollués parce qu'en cas de non-conformité majeure, il existe une obligation de faire remonter ce point à l'administration. Cela permettrait aux Dreal d'être informées sans même se déplacer.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Pouvez-vous développer l'aspect sanitaire de cette problématique et la question de la protection des populations ? Quel regard portez-vous sur l'articulation entre les ARS et les différents acteurs ? D'après vous, les « grandes messes » et commissions de suivi organisées au niveau des préfectures sont-elles pertinentes ? Ne conduisent-elles pas à une certaine illisibilité ?
Mme Laura Verdier. - Sur le terrain, nous voyons peu les ARS parce que nous voyons les inspecteurs de la Dreal, et ce sont eux qui s'en remettent directement aux ARS. Il est assez clair que nous avons un problème de réactivité des ARS aujourd'hui. On a pu le voir sur le cas de Notre-Dame : il a fallu que les élus locaux et les populations alertent pour que des mesures soient prises. Nous avons rencontré le même cas de figure concernant l'incendie du site Lubrizol à Rouen, où beaucoup de mesures ont été prises sur les sols, l'air et les eaux, mais il a fallu attendre un temps important pour que l'ARS lance des mesures épidémiologiques.
Les « grandes-messes » sont fondamentales car c'est justement le moment où l'ARS, la Dreal, le préfet, se concertent pour parler d'une même voix. Il existe néanmoins un problème de communication : cette concertation n'est pas claire pour l'élu ou la population car elle est trop technique. Il y a un besoin de messages clairs, structurés, pour donner une information qui rassure. On se retrouve parfois dans des situations où tout est très bien géré techniquement par l'administration mais tellement mal expliqué que cela fait très peur.
M. Joël Bigot. - Pouvez-vous nous confirmer que la seule base fiable est Basol ? Vous avez évoqué la possibilité de faire des sols pollués des zones de compensation pour la biodiversité, pourriez-vous nous donner quelques exemples ? Nous venons par ailleurs de voter une loi sur l'économie circulaire, et je souhaiterais que vous nous donniez des exemples de plateformes de tri pour le traitement et la gestion des terres pour le BTP ? Est-ce qu'il ne s'agit pas d'opérations coûteuses ?
Mme Laura Verdier. - Concernant les plateformes, je connais des exemples au niveau d'importants sites industriels, comme le cas d'une grande plateforme pétrolière, sur laquelle il y a des pollutions, et où le coût de la dépollution aurait été très élevé si elle avait dû être traitée au fur et à mesure. Le choix a été fait d'installer sur leur propre plateforme cette installation de tri, qui s'avère être beaucoup moins coûteuse qu'une dépollution, puisqu'elle permet d'économiser un apport de terre pour les travaux. À l'échelle d'une collectivité, il existe un projet de ce type sur le territoire de l'agglomération de La Rochelle, où l'économie circulaire des terres permettrait aux acteurs de l'agglomération de pouvoir faire rentrer leur terres polluées, de les traiter sur le site, pour qu'elles soient ensuite réutilisées par les acteurs de l'agglomération.
S'agissant de la compensation, j'ai observé des exemples dans un territoire situé dans l'Ouest. Certains industriels souhaitent s'étendre pour développer leur activité et ont besoin de zones de conservation. Et comme certaines parties de leur site étaient polluées, ils ont choisi de dépolluer à l'intérieur. C'est donc une manière de mettre en valeur leur propre territoire et d'utiliser une partie de leur site qui, de toute manière, était gelée, pour en faire quelque chose, ce qui est très intéressant du point de vue des coûts.
Sur les bases de données, Basias est aussi fiable mais son objectif n'est pas de recenser des pollutions mais des zones à risque de pollution. Basol est une base très fiable mais parcellaire, ce qui n'est pas de nature à rassurer la population.
M. Laurent Lafon, président. - J'ai été particulièrement sensible à ce que vous nous avez dit sur le fait que l'information qui peut être donnée à la population peut être inquiétante, par maladresse, alors même que le dossier est bien géré, puisque j'ai personnellement vécu cela dans le cas d'une école polluée.
Mme Laura Verdier. - C'est une des raisons pour lesquelles je fais beaucoup de gestion de crise, malheureusement. Il y a un vrai besoin de pédagogie sur les sols pollués. En matière de sols pollués, nous réalisons des évaluations quantitatives des risques sanitaires pour prendre en compte l'« effet cocktail ». Donc nous avons des choses très intéressantes à dire aux populations quand on sait leur expliquer.
M. Laurent Lafon, président. - Concernant le principe de précaution, quel regard portez-vous sur la marge d'interprétation qui existe au niveau des seuils de référence utilisés lorsque l'on examine le devenir d'un site anciennement pollué, en vue d'y construire des logements ou des structures collectives ? Faut-il mieux l'encadrer ?
Mme Laura Verdier. - La thématique des sols est assez récente : on a commencé à s'en préoccuper dans les années 1990 en France, et dans le monde on en est encore à chercher quelle est la toxicité de certaines substances. Il est donc obligatoire d'avoir une marge de manoeuvre et le principe de précaution est à ce titre fondamental. Je trouve qu'il est compliqué de fixer un niveau car cela s'étudie au cas par cas, en fonction d'un site et de sa géologie. La France est très complexe d'un point de vue géologique : naturellement, le centre de la France a de l'arsenic dans les sols. Avant 2007, quand on avait fixé des seuils, on demandait à des industriels de dépolluer en dessous des seuils naturels en arsenic de la zone. On est donc obligé d'avoir une approche très pratique. Sur ce point, il n'y a donc rien à changer, si ce n'est qu'il est nécessaire qu'il y ait un débat scientifique à chaque cas de figure. La discussion entre experts techniques a lieu dans le cas d'une installation ICPE mais il faut donner des moyens à l'État pour qu'il puisse assurer le contrôle scientifique, le contrôle sur le terrain des installations et, sur le long terme, les sanctions.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Les Dreal et les ARS sont des structures régionales. Or, avec l'extension de la taille des régions, n'y a-t-il pas, pour certains sujets, intérêt à revenir à un niveau décisionnel au plus près des territoires ?
Étant donné que vous travaillez également à l'étranger, pourriez-vous nous faire part de points de comparaisons ou de pistes qui pourraient intéresser notre commission d'enquête ?
Mme Laura Verdier. - Sur l'aspect local, le problème est que les sols pollués demandent des compétences techniques très importantes. Aujourd'hui, nous avons déjà du mal, au niveau régional, à ce que les inspecteurs de l'environnement aient tous les compétences sur tous les sujets. On a créé au sein des Dreal, des référents, par thématique technique, dont un sur les sols pollués, mais il est seul. Le fait de redescendre au niveau départemental risque d'être compliqué à mener pour les acteurs du département car ils n'auront pas les compétences. Peut-être y-a-t-il un travail de coordination à mener entre les Dreal et les départements qui travailleraient au niveau de l'inspection. Mais il me semble que l'échelon régional est intéressant pour le partage de compétences et que c'est peut-être l'échelon le plus intéressant à renforcer.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Ne faudrait-il pas quand même chercher à désengorger certains niveaux ? Nous rencontrons parfois des blocages pour une simple signature.
Mme Laura Verdier. - Je suis plus favorable à désengorger auprès des départements qu'auprès des acteurs privés. Car aujourd'hui on demande aux bureaux de contrôle de faire les inspections de la Dreal pour les installations classées soumises à contrôle : ce n'est rien d'autre qu'une externalisation de fonctions de la Dreal puisqu'on demande à un opérateur privé d'aller contrôler l'installation et de faire un retour. Je préfèrerais qu'on délègue aux départements plutôt que de déléguer au secteur privé.
J'en viens à l'aspect international. Je travaille
beaucoup avec les sociétés américaines. Les
États-Unis ont créé une norme dénommée ASTM,
qui encadre l'approche vis-à-vis des sols pollués. À vrai
dire, cette norme a été créée en réponse
à la complexité de la norme européenne car l'Europe est
bien avancée en la matière... Il ne faut donc pas
nécessairement aller chercher hors de l'Europe pour trouver des pistes
intéressantes, nous avons déjà des bonnes pratiques sur le
sol européen. Mais nous avons un énorme
problème :
si nous avons une directive-cadre sur l'eau, qui est extrêmement
importante, un projet de directive sur les sols patine depuis plus de
dix ans !
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Effectivement, j'ai été alertée sur ce point par mes collègues de la commission des affaires européennes.
Mme Laura Verdier. - Nous sommes complètement à l'arrêt sur ce sujet, une reprise des travaux serait donc une très bonne nouvelle ! Précédemment, la France était force de proposition au niveau européen : par exemple, le régime des installations IPCE a été traduit par la directive européenne dite IED (Integrated Emissions Directive). Depuis plusieurs années toutefois, c'est plutôt l'Europe qui a pris les devants sur ces sujets : nous pensions que l'Union européenne allait prendre l'initiative également sur le sujet des sols, mais nous attendons toujours... Il faudrait que la France puisse jouer un rôle moteur sur cette thématique et créer un cadre juridique qui pourrait inspirer la législation européenne.
M. Laurent Lafon, président. -A quoi ce blocage au niveau européen est-il dû ?
Mme Laura Verdier. - Il me semble que plusieurs pays étaient à l'origine d'un blocage politique, y compris la France. Ce n'est désormais plus le cas depuis deux ou trois ans, mais ce changement de position de la France est assez récent.
M. Laurent Lafon, président. - Nous vous remercions pour la clarté de vos propos et des réponses écrites que vous nous avez fournies.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La téléconférence est close à 19 h 05.