Mardi 2 juin 2020
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La téléconférence est ouverte à 16 h 30.
Audition de représentants de la direction générale de la santé du ministère des solidarités et de la Santé (en téléconférence)
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l'audition de représentants de la direction générale de la santé du ministère des Solidarités et de la Santé, dont :
- Mme Caroline Paul, cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé ;
- Mme Delphine Caamano, son adjointe ;
- M. Michel Rouge et Mme Stéphanie Loyer, chargés de mission au sein du même bureau.
Nous comptons sur votre audition pour nous éclairer sur le rôle du ministère des Solidarités et de la Santé dans la prévention des risques sanitaires liés à une pollution des sols d'origine industrielle ou minière, et sur son articulation avec le ministère de l'Écologie.
Il serait ainsi intéressant que vous reveniez sur les mécanismes mis en place pour traiter les alertes sanitaires en lien avec la pollution des sols, que ces alertes soient transmises par des associations de riverains, des élus locaux, des bureaux d'études ou les Dreal. Quel est le rôle, en particulier, des agences régionales de santé (ARS) et des agences sanitaires pour évaluer le risque sanitaire associé à une pollution des sols d'origine industrielle ? Quelle est leur articulation avec les services déconcentrés de l'État pour définir et mettre en oeuvre des mesures de protection de la population ?
À cet égard, depuis une instruction du 27 avril 2017, des comités de coordination associant les Dreal et les ARS sont censés être mis en place par les préfets pour l'élaboration de mesures de gestion sanitaire : quel bilan faites-vous à ce stade de ces comités ? De la même manière quelle évaluation faites-vous des comités de suivi de site en termes de gestion du risque sanitaire ?
Enfin, est souvent revenue dans nos auditions la problématique des valeurs toxicologiques de référence pour évaluer la pollution des sols : trouvez-vous ce système satisfaisant à l'heure actuelle ? Quelles en sont les forces et les faiblesses en matière de prévention de l'impact sanitaire de la pollution des sols ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de huit à dix minutes, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite chacun à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Caroline Paul et Delphine Caamano, M. Michel Rouge et Mme Stéphanie Loyer prêtent serment.
Mme Caroline Paul, cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé. - L'occupation et l'exploitation des sols et sous-sols par l'homme depuis des millénaires ont généré une pollution dont nous n'avons pas toujours gardé la mémoire. Cette pollution devient problématique du fait de la croissance des populations qui tendent de plus en plus à s'installer et à vivre sur ces sols ou à proximité. Nous constatons donc des situations d'exposition de plus en plus fréquentes.
De ce fait, la gestion des sites et sols pollués et la protection de la santé des populations qui y vivent sont devenues une nécessité et une préoccupation croissante pour les acteurs en charge de la santé publique et de l'environnement, et même une question majeure de santé environnementale.
Parallèlement, l'augmentation des connaissances permet d'appréhender de mieux en mieux les effets, même si la part de questions non résolues reste majoritaire. Encore faut-il aussi passer de la connaissance à l'action publique, et le chemin n'est pas toujours simple.
Je vous propose de présenter les actions de la DGS dans ce domaine et la manière dont elle appréhende les expositions et leurs impacts sur la santé de la population afin de déterminer les mesures de protection et de prévention à mettre en oeuvre.
Notre bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » est chargé d'assurer la gestion et la coordination des situations de sites et sols pollués induisant des impacts sanitaires, et le cas échéant d'assurer un appui aux ARS dans le cadre de leur gestion des situations locales. Les actions du ministère de la santé qui concernent les aspects sanitaires interviennent toujours en complément de celles du ministère de la transition écologique et solidaire qui agira sur les aspects relatifs à la gestion des sols.
Notre bureau est composé de dix personnes réparties en trois pôles :
- pôle en charge des risques chimiques ;
- pôle en charge des risques physiques et émergents ;
- pôle en charge des risques liés aux activités humaines, qui gère la question des sites et sols pollués, ainsi que celles de la pollution de l'air extérieur, des déchets d'activité de soins...
Nous traitons une grande variété de sujets dont la plupart sont inscrits dans les plans nationaux Santé-Environnement (PNSE).
Le bureau travaille sur la question des sites et sols pollués en relation avec trois autres bureaux de la sous-direction : le bureau de l'eau, le bureau de l'alimentation et le bureau de l'environnement intérieur et de l'habitat. Les missions des trois pôles du bureau sont soutenues par de grandes actions transversales indispensables à la gestion de l'ensemble des dossiers, notamment celui des sites et sols pollués. Les principales actions sont celles de la biosurveillance et de la coordination de la toxicovigilance.
La mise en oeuvre du programme national de biosurveillance a été confiée à Santé publique France à la suite de la loi Grenelle de 2009. Plusieurs études ont été réalisées dans ce cadre, notamment l'étude Esteban et le volet périnatal de la cohorte Elfe gérée par l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Ces deux font suite notamment à une étude nationale Nutrition Santé de 2016 qui mesurait déjà l'imprégnation de la population française. Il s'agit donc de connaître les niveaux d'imprégnation moyens de la population française aux polluants les plus courants (métaux, pesticides, organochlorés), car les données ainsi obtenues permettent d'objectiver le cas échéant des sur-imprégnations notamment dans des situations de sites et sols pollués ou bien des situations accidentelles.
La coordination de la toxicovigilance assurée par les centres anti-poisons a été confiée à l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS), ce qui a été confirmé par la loi de modernisation de notre système de santé en 2016. L'objectif de la toxicovigilance est de développer une compétence en toxicologie médicale qui soit mobilisable notamment en situation de crise tant au niveau local que national, et qui puisse permettre une évaluation de l'exposition des populations et des travailleurs via l'utilisation de produits chimiques dans la vie courante et sur les sites industriels. Nous reviendrons sur ces deux points gérés par le pôle en charge des risques chimiques du bureau et qui sont d'une grande importance pour la gestion des impacts sanitaires des sites et sols pollués.
Un troisième axe de travail plus récent est celui du développement d'une compétence médicale en santé-environnement et d'outils pour les médecins traitants. L'idée est que ceux-ci sachent prendre en charge les personnes exposées à certains risques environnementaux et à certains polluants. La toxicologie était jusqu'à présent peu enseignée dans le cursus universitaire des médecins généralistes, qui peuvent se retrouver désarmés lorsqu'ils doivent prendre en charge une situation individuelle d'exposition, a fortiori d'imprégnation voire d'intoxication. Or ce sont les médecins qui sont au plus de la près de la population qui auront à répondre aux questions posées par les personnes exposées. L'arrêté du 31 juillet 2019 a inscrit l'enseignement en santé-environnement dans la formation continue des professionnels de santé. Il s'agit de développer des outils servant de support à ces formations.
Nous allons décliner l'orientation n° 6 de l'arrêté du 31 juillet 2019 « prévention et prise en compte des pathologies imputables à l'environnement ». En matière de santé-environnement, nous sommes régulièrement confrontés à des incertitudes scientifiques, il s'agit de favoriser ou de commanditer des études permettant de lever le doute, au moins partiellement ou bien de mettre en évidence un risque et de le quantifier. Il s'agit de mieux interpréter les risques et de mieux les situer sur des échelles de risques relatifs liés à l'environnement.
L'environnement est en évolution permanente : les changements technologiques sont de plus en plus rapides et les risques induits ne sont pas nécessairement toujours maîtrisés. Il s'agit également d'exercer une veille sur les risques émergents qui résultent de ces évolutions. Ces risques émergents peuvent par exemple être le changement climatique, qui va probablement modifier et atteindre de façon radicale l'environnement et avoir notamment une action sur les sols, voire jouer un rôle dans la répartition des polluants, comme en cas d'inondations. Il peut également s'agir de la prise en compte d'un nouveau polluant qui n'a pas été mesuré pour l'instant simplement par manque de connaissance sur sa présence ou ses impacts sanitaires potentiels. La non-observation d'un risque ne suffit donc pas pour conclure à la non-existence de ce risque. Dans ce champ-là, les travaux sont encore immenses à réaliser.
Enfin, selon les résultats des études, nous pourrons être amenés à faire évoluer les réglementations afin de réduire les expositions. Il est très clair que les textes réglementaires, notamment les instructions aux ARS pour ce qui concerne la direction générale de la santé, évoluent dès que possible, dès que les connaissances sont disponibles, en tenant compte du contexte européen et toujours en concertation interministérielle.
Nous travaillons essentiellement avec deux ministères sur cette question : celui de la transition écologique et solidaire et celui chargé de l'agriculture. Il convient de rappeler que la politique de gestion des sites et sols pollués est portée par le ministère de la transition écologie et solidaire. Ainsi, toute notre action s'inscrit dans le cadre de la méthodologie nationale de gestion de ces sites, portée par la direction générale de la prévention des risques, ce qui implique un travail étroit avec les services du ministère de l'écologie, chef de file. Par ailleurs, le ministère de l'agriculture est très concerné, du fait de la contamination des denrées végétales et animales en cas de pollution des sols. La direction générale de la santé (DGS) travaille donc étroitement avec les services de concernés de ce ministère. Les expositions aux polluants sont à 80 % issues de l'alimentation et 20 % par d'autres voies - aériennes notamment.
La gestion des sites et sols pollués requiert une coordination permanente des échanges, un travail d'harmonisation des positions interservices, et des messages à porter. Il peut s'agit par exemple en interministériel d'une saisine commune d'agences sanitaires, de financer des études, d'élaborer une communication, de coordonner et réaliser des actions avec les différents acteurs concernés notamment les agences régionales de santé (ARS) et souvent sous pilotage du préfet. Cette communication se doit d'être transparente et proactive.
Un rôle important de la DGS est de travailler avec les agences sanitaires, qui constituent le deuxième grand groupe d'acteurs avec lesquels elles travaillent en permanence :
- l'ANSéS, chargée de l'évaluation des risques en France conformément à ses missions définies par l'article L. 1313-1 du code de la santé publique. Elle apporte son concours par la fixation pour l'examen critique de valeurs sanitaires de référence pour les substances chimiques, de valeurs toxicologiques de référence, de valeurs sanitaires de l'air intérieur, de valeurs d'imprégnation biologique... ;
- Santé Publique France, conformément à ses missions définies à l'article L. 1413-1 du code de la santé publique, apporte son expertise dans l'analyse d'un signal, tel que l'investigation des suspicions de clusters, notamment ceux pouvant être en lien avec une pollution des sols, la réalisation d'études visant à vérifier ou caractériser l'impact de l'environnement sur la santé des populations (étude d'imprégnation, de faisabilité, de pertinence de mise en oeuvre d'études épidémiologiques...) et d'études épidémiologiques, et enfin la définition d'indicateurs sanitaires pertinents à surveiller à proximité des sites et sols pollués ;
- le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), qui a pour mission de fournir aux pouvoirs publics l'expertise relative à la gestion des risques sanitaires. Ses missions relèvent de l'article L. 1411-4 du code de la santé publique. À ce titre, il peut proposer des valeurs repères d'aide à la gestion pour des polluants spécifiques, accompagnées de recommandations pour la définition et la mise en oeuvre de mesures de gestion ;
- la Haute Autorité de santé (HAS) élabore des recommandations de bonnes pratiques pour les professionnels de santé, en application de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale, particulièrement pour la prise en charge des personnes exposées et sur-imprégnées à des polluants donnés. Elle travaillera le cas échéant avec la société française de toxicologie qui regroupe la plupart des centres anti-poisons français.
La mobilisation et la coordination de l'ensemble des agences sanitaires nationales sur la question des sites et sols pollués a été impulsée par la DGS, grâce à un comité d'animation du système d'agences (CASA) prévu par l'article L. 1411-5-1 du code de la santé publique. Il s'agit d'une instance de travail collectif au plus haut niveau entre la DGS et les principaux opérateurs nationaux des politiques de prévention et de sécurité sanitaire.
L'inscription du sujet « sites et sols pollués » au CASA thématique du 15 juin 2017 a permis d'initié les actions et d'élaborer une première feuille de route inter-agences validée par tous les acteurs. Il s'agissait notamment d'établir trois axes de travail :
- un premier axe sur l'élaboration des valeurs de référence ;
- un deuxième axe sur la prise en charge médicale des personnes exposées ;
- un troisième axe concernant les retours d'expérience de l'ensemble des situations de sites et sols pollués sur lesquelles les autorités sanitaires ont déjà eu à intervenir.
Les différents ministères concernés sont invités à y participer le cas échéant. La question des sites et sols pollués a déjà fait l'objet de deux CASA, la troisième est prochainement prévue à l'été 2020, mais risque d'être reportée compte tenu de l'impact de la gestion de la crise liée à la covid-19 qui a bousculé les calendriers.
Si nous évoquons à présent le travail que nous réalisons avec les ARS, celles-ci gèrent d'elles-mêmes les situations de sites et sols pollués, les situations sanitaires et environnementales locales et toutes ne remontent pas au niveau de la DGS. Pour préciser le cadre des missions sur les situations de sites et sols pollués, la DGS a élaboré plusieurs instructions, dont la dernière est en date du 13 juin 2019 et décrit le processus de gestion des situations de crise locales.
Les ARS interviennent à plusieurs étapes de la gestion, avec l'appui le cas échéant d'experts. Elles évaluent la situation sanitaire des populations riveraines, généralement avec l'appui de la cellule d'intervention en région (CIRe) de Santé publique France, elles participent aux comités de coordination pilotés par le préfet, elles définissent et mettent en oeuvre au regard des recommandations issues des différentes études une stratégie d'intervention qui passe souvent par l'émission de recommandations hygiéno-diététiques. Elles définissent également les modalités de prise en charge médicale individuelle le cas échéant. Enfin, elles assurent le suivi, la traçabilité et l'évaluation des mesures de gestion sanitaires mises en oeuvre.
D'une manière générale, la DGS apporte un appui aux ARS dans la gestion sanitaire des sites et sols pollués de la manière suivante :
- en définissant le cadre des actions dans ce domaine en santé-environnement ;
- par la mise à disposition d'outils d'aide à la gestion, notamment via le réseau professionnel d'échanges en santé-environnement ;
- par la saisine ponctuelle des agences nationales d'expertise si la situation le justifie ;
- et d'une façon générale par un accompagnement de la gestion en situation de crise notamment.
Les travaux de la DGS consistent donc à développer des outils pour la gestion de ces situations de sites et sols pollués à destination des ARS et des médecins confrontés aux inquiétudes de la population, de soutenir les études de surveillance afin de disposer de valeurs repères de l'imprégnation de la population générale, notamment de s'assurer de leur financement, et d'élaborer à partir de travaux d'expertise des outils destinés aux médecins pour assurer le suivi des patients exposés, selon les polluants rencontrés.
D'une façon plus générale, notre programme de travail consiste à développer les compétences des médecins en toxicologie, coordonner les agences sanitaires, organiser des séminaires ou des échanges d'expériences, demander des retours d'expérience à Santé publique France, développer des outils de communication vers le public, car ces sujets sont difficiles à exprimer de manière non anxiogène.
Par ailleurs, la DGS réalise un travail au niveau international avec l'organisation mondiale de la santé (OMS) et a poussé à inscrire la gestion des sites et sols pollués dans les sept grands axes de travail définis par la déclaration de l'OMS d'Ostrava de juin 2017 sur la santé environnementale. On constate dans ce cadre que le sujet des sites pollués est partagé par tous : chaque pays possède une expérience dans ce domaine. L'Europe a financé un programme de recherche COST sur les sites et sols pollués, qui a été finalisé l'année dernière et qui a réuni près de 150 acteurs et agences européennes. Nous avons tous souligné la complexité du sujet sur le plan scientifique, partagé nos compétences et échangé sur les résultats et méthodologies appliquées. Santé publique France a été impliquée sur ce programme et celui-ci devrait se poursuivre, à la demande quasi unanime des États participants aux travaux de l'OMS en santé-environnement.
Au niveau européen, on peut signaler le programme de surveillance HBM4EU (« European Human Biomonitoring Initiative »), dans lequel la France est très impliquée. Les ministères de la santé, de la recherche et de l'environnement l'ont porté : plus de huit organismes français de recherche d'expertise y participent (centre nationale de recherche scientifique, Inserm, Santé publique France, ANSéS, commissariat à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables, institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles...) au sein d'un réseau national associé. Ce programme devrait nous permettre d'harmoniser nos pratiques de surveillance afin d'obtenir des résultats comparables entre pays, de permettre de mieux comprendre les sources et les différentes voies d'exposition aux polluants, les risques sanitaires qu'ils présentent, les pathologies associées et in fine de mieux les gérer.
En conclusion, le ministère de la santé porte quatre grands axes de travail :
- soutenir les travaux de recherche ;
- surveiller l'imprégnation de la population ;
- améliorer la formation des médecins en santé-environnement ;
- renforcer les communications auprès du public.
Une question complémentaire consiste à savoir comment renforcer la possibilité au niveau local de réaliser des études d'imprégnation en trouvant des modes de financement notamment dans les situations de sites orphelins. Selon nous, le coût doit logiquement être supporté par le pollueur selon le principe « pollueur/payeur ».
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Ma première question porte sur la surveillance épidémiologique des risques sanitaires liés à la pollution des sols. L'agence Santé publique France dispose justement de cellules d'intervention en région, les CIRe, qui se trouvent souvent dans les mêmes locaux que l'ARS. Ces cellules sont-elles mobilisées pour traiter les alertes sanitaires émises au niveau local, que ce soit par les élus ou les riverains, face à une pollution des sols ? Le positionnement de ces cellules auprès des ARS ne pourrait-il pas justement permettre de renforcer le lien entre l'analyse épidémiologique et la définition des mesures de correction sanitaire par l'ARS et la préfecture ?
D'une façon générale, quelles pourraient être les pistes d'amélioration pour renforcer, au niveau local le plus proche de la source de pollution, la réactivité du traitement des alertes sanitaires et la mise en oeuvre de mesures de gestion du risque sanitaire ? À cet égard, quelle évaluation faites-vous du rôle de la commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement (CNDASPE) ? Cette commission est-elle saisie d'alertes sur des risques sanitaires liés à des pollutions des sols industrielles ou minières ? Si oui, comment ces alertes sont-elles traitées par la commission vers le ministère de la santé et les ARS ?
Je me permets également de revenir sur un enjeu de pollution chimique qui est revenu récemment sur le devant de la scène, notamment au travers d'un film sorti récemment et qui s'intitule « Dark Waters » : il s'agit de la pollution des eaux par les émissions industrielles de perfluorés, qu'on appelle aussi parfois les « PFAS » ou les « PFOS ». Il semble que l'ANSéS avait fait une première évaluation de l'incidence de cette pollution en 2011. Le ministère des solidarités et de la santé continue-t-il néanmoins de suivre la problématique de la contamination des populations par des perfluorés notamment issus de la pollution de sols et des eaux souterraines ? Des mesures sont-elles envisagées pour maîtriser le risque sanitaire associé à ce type de pollution ?
Enfin, quelle évaluation faites-vous de la prise en compte de la prévention et de la gestion du risque sanitaire dans les diagnostics des sols et eaux souterraines réalisés par les bureaux d'études certifiés sur les sites des ICPE ? Le risque sanitaire, au même titre que le risque écologique, est-il suffisamment bien pris en compte ? La méthodologie employée par ces bureaux ou l'institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) pour effectuer les prélèvements de sols est-elle, selon vous, pleinement satisfaisante pour évaluer les risques sanitaires ? Il nous a en effet été suggéré que ces prélèvements étaient parfois imparfaits, car ils ne couvraient pas suffisamment toute l'étendue de la pollution ou qu'ils se limitaient à identifier certains polluants prédéterminés et pas d'autres.
D'autre part, concernant les polluants récurrents, comment assurez-vous une mission d'ensemble des enjeux sanitaires liés aux sols pollués en France ? La pollution au plomb par exemple est récurrente sur le territoire français : existe-t-il un protocole national de gestion des pollutions au plomb qui intègre notamment la pollution sur les surfaces bétonnées ou les surfaces urbaines ?
Il est évident que l'échelon européen est une piste qui en matière de santé doit être exploitée dans toutes ses déclinaisons. Espérons que nous pourrons coordonner nos actions au plan européen, notamment en matière de pollution des sols et de pollutions environnementales et de suivi des sites industriels ou miniers.
Je viens du département de l'Aude, à une encablure de la vallée de l'Orbiel et je suis par conséquent extrêmement sensible à la question du suivi des sites en post-exploitation industrielle ou minière, car mêmes plusieurs années plus tard, au regard des risques climatiques auxquels nous sommes confrontés, les pollutions se déplacent et peuvent revenir sur le devant de la scène. Cela a une incidence particulière pour nos concitoyens qui sont très sensibles aux questions environnementales et de santé. Des familles s'installent sur de nouveaux sites, dont elles ne connaissent pas toujours l'historique. L'accompagnement des populations et des élus dans ce cheminement est majeur.
Mme Caroline Paul. - Concernant la surveillance épidémiologique, les CIRe et les ARS sont systématiquement mobilisées pour traiter les situations. Pour réaliser une étude épidémiologique, il est nécessaire de disposer d'un échantillon suffisamment important afin de pouvoir en tirer des conclusions exploitables. C'est rarement le cas dans cas des situations de sites et sols pollués, souvent locales. Nous avons demandé à Santé publique France de réaliser des études multicentriques permettant de prendre en compte l'ensemble des données existant sur les différents sites pollués afin d'en sortir les données d'impact sanitaire de ces expositions, que l'on connaît assez mal.
On peut constater des situations de sols fortement pollués, avec des concentrations très importantes, pour lesquels on ne constatera pas d'imprégnation de la population. Il existe également des situations dans lesquelles nous en constaterons. Nous n'avons pas encore suffisamment d'éléments pour comprendre ce qui a généré l'imprégnation ou pas (la biodisponibilité du métal, le type de sol...). Nous attendons beaucoup de ce retour d'expérience demandé à Santé publique France pour améliorer la prise en charge locale dans des situations sur la base de ces données.
La question des perfluorés est un des sujets de préoccupation de la DGS. L'Italie est très en avance sur le sujet, car elle a été impactée par une pollution aux perfluorés et elle a déjà engagé un important travail à cet égard. Ces polluants font partie de ceux qui sont suivis dans les études de biosurveillance nationale et pour lesquels nous disposons de données d'imprégnation que l'on peut comparer avec celles qui existent dans les autres pays et potentiellement dans une situation de pollution plus marquée au niveau local.
Concernant les polluants récurrents, et notamment le plomb, à la suite à l'incendie de Notre-Dame, nous nous sommes interrogés sur la pertinence de compléter les protocoles existants par un protocole de mesure sur les dalles et les sols les plus courants en ville (macadam des rues). Ce travail est en cours et devrait encore améliorer la méthodologie existante.
Mme Delphine Caamano, adjointe à la cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé. - La méthodologie employée pour réaliser les études, les évaluations de risque et l'interprétation de l'état des milieux (IEM) a été récemment définie dans une instruction de la direction générale de la prévention des risques en 2017, qui actualise cette méthodologie initialement publiée en 2007. Le document est robuste et a bénéficié d'un retour d'expérience depuis 2007. Dans certaines situations, l'étude d'évaluation de risques a justifié des allers-retours et les ARS ont pu émettre des recommandations pour par exemple en étendre le périmètre, étendre la palette des polluants considérés... Nous avons tenu compte de ces éléments lorsque nous avons rédigé la récente instruction du 13 juin 2019. L'instance de concertation auprès du préfet recommandée dans ce cadre permet aux ARS d'apporter par anticipation toutes leurs connaissances des sites pollués afin que dès le démarrage de l'IEM, l'ensemble des éléments portés à la connaissance du bureau d'études puisse être pris en compte. Je souligne l'intérêt d'une concertation en amont impliquant notamment les ARS et les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), qui peut également se faire en aval, une fois l'IEM restituée. Dans ce cas, l'ARS peut également être amenée à faire des observations sur ces documents.
Mme Caroline Paul. - S'agissant de la commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement (CNDASPE), nous n'avons pas du tout été associés à cette commission. Nous n'avons pas d'information à ce stade sur l'inscription des sites et sols pollués à son programme de travail.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - J'entends vos réponses et je suis très respectueuse des études et des concertations. J'ai abordé dans mon questionnement la procédure d'alerte. Lorsque l'on se trouve devant un risque sanitaire majeur, qui se rappelle aux populations à l'occasion d'épisodes dramatiques - onze morts dus aux inondations chez nous -, tout un chacun avait totalement oublié l'exploitation des mines, car la région est devenue un pôle touristique avec ses châteaux cathares. Nous pensions que la pollution était contenue. Je comprends que vous deviez vous concerter aux plans national et européen, qu'il soit nécessaire de veiller au rendu, mais ne pensez-vous pas que l'enjeu de la réactivité soit important ? Lorsque je compare le degré de réactivité lié à l'incendie de Notre-Dame de Paris et celui constaté dans d'autres domaines, malgré les différentes commissions mises en place comme les commissions locales d'information (CLI), je m'interroge... Comment s'articulent les CLI et autres commissions en préfecture avec l'ensemble des organismes que vous avez cités ? Chacun décline son discours, dans des termes souvent inaudibles pour les personnes autour de la table et notamment les élus locaux. Lorsque l'exploitant est présent, la situation est plus facile à gérer. Mais lorsque l'activité industrielle ou minière a totalement cessé, qu'il n'y a plus d'exploitant, nous n'arrivons pas à avoir de réponse. On nous explique longuement qu'il n'y a pas de ratio suffisant et l'on comprend que rien ne se passe. Il est regrettable que la réactivité de la puissance publique se fasse sous la pression des parents qui décident de faire réaliser des analyses à leurs enfants atteints par l'arsenic chez nous.
Ne pensez-vous pas qu'à l'heure actuelle, au-delà de l'implication de tous les organismes que vous avez cités et de la bonne volonté de personnes qui ont envie de faire évoluer les choses sur le plan environnemental et de la gestion des friches, qu'il manque, comme c'est le cas dans les plans communaux de sauvegarde, un système permettant d'aller plus vite et de s'inscrire dans le principe de précaution ? Les populations sont amenées à se poser des questions : les bureaux qui interviennent sont qualifiés et certifiés, mais c'est le résultat qui compte. Lorsque la saisine se fait non pas à la lecture du compte rendu, mais sous la pression élective ou des populations, cela pose question.
Vous qui êtes au coeur de ces problématiques de santé, ne pensez-vous pas qu'un correctif ou une amélioration des cadres législatifs soient nécessaires ? Vous avez parlé de méthodologie, mais elle n'a pas valeur de circulaire ou réglementaire. Comment pouvons-nous perfectionner le système ? Nous sommes là pour essayer de clarifier ce système, qui est une véritable jungle. Les bureaux d'études, les organismes de santé... : chacun se renvoie la balle et l'on ne sait plus au final comment déterminer les responsabilités et comment déclencher l'action.
Mme Delphine Caamano. - Vous avez demandé en introduction de votre intervention comment se traitent les alertes. Au sein des ARS, un dispositif spécifique existe via les cellules régionales de veille, d'alerte et de gestion sanitaire (CRVAGS). Ce dispositif se décline en cellules départementales. Une organisation opérationnelle est bien prévue au sein des ARS pour traiter les alertes. Cette organisation a une mémoire au sein de la DGS, la sous-direction veille et sécurité sanitaire, chargée de recevoir et de traiter les signaux. Une organisation robuste existe donc tant au sein de la DGS que des ARS.
Vous avez cité différents exemples, comme l'incendie de Notre-Dame de Paris ou des situations de pollution de sols par des contaminants de type arsenic ou plomb. Il faut distinguer les deux natures de situation.
La première, comme celle de Notre-Dame, expose accidentellement les populations à des polluants non habituellement présents dans l'environnement (plomb, mélanges complexes issus des fumées d'incendie...). L'exposition est dans ce cas aiguë, immédiate et limitée dans le temps. Les manifestations sanitaires attendues sont liées à des effets aigus et sont sous la surveillance de Santé publique France qui a déployé des systèmes de surveillance syndromique. Ces systèmes consistent à examiner, au travers un certain nombre d'indicateurs régulièrement monitorés, si un infléchissement apparaît. Ces situations de crise sont traitées par les CRVAGS.
L'autre nature de situation concerne l'exposition à des contaminants chimiques au travers des sites et sols pollués. Dans ces situations, les populations sont exposées de manière chronique à des polluants également présents dans l'environnement, à des ordres de grandeur peu éloignés de ceux des polluants environnementaux. Cette pollution peut être remobilisée à l'occasion de crues, mais nous sommes confrontés à des effets sanitaires plus complexes à mettre en évidence, notamment parce que les personnes sont exposées par différentes voies d'exposition, que le temps de latence entre l'apparition des effets et l'exposition est long... Le cadre de gestion est donc différent : la prise en compte et les cadres de référence ne sont pas identiques entre ces deux types de situations.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je comprends que les problématiques soient différentes, mais il est nécessaire de définir un process pour les populations. Nous devons connaître le process et savoir qui saisir en cas de problème. Vous parlez des CRVAGS déclinées au niveau départemental : si j'avais su qu'une telle cellule existait, je l'aurais immédiatement saisie. Il est nécessaire d'établir un protocole permettant de faire des saisines.
Je reste sur l'idée que pour bien évoluer ensemble, il est nécessaire de clarifier les rôles de chacun et les modalités de saisine de chacun. Ce n'est pas en empilant les études ni en superposant les organismes et les commissions ad hoc que nous sortirons les populations des situations qu'elles vivent et dont elles n'ont pas les clés, notamment les élus.
M. Laurent Lafon, président. - Nous éprouvons des difficultés à nous faire un avis tranché sur les valeurs toxicologiques de référence (VTR), qui ont le mérite d'exister. Elles sont certainement utiles d'un point de vue scientifique pour établir une « jauge », mais elles n'apportent pas toujours une clarté en termes d'éléments pédagogiques pour les populations. Quel est votre point de vue sur ces VTR ? D'autres éléments doivent-ils être pris en compte ? Vous avez également la préoccupation de la communication et de la pédagogie via cette notion de pollution, comme ceci transparaît dans l'instruction de 2017. Les populations n'ont pas toujours la formation scientifique leur permettant d'apprécier à sa juste valeur la signification de ces chiffres.
Mme Caroline Paul. - Les VTR sont indispensables pour réaliser des évaluations de risque sanitaires. Ces références permettent de comprendre les situations et d'évaluer un risque. Cette notion de risque relatif est très complexe à exprimer notamment lorsqu'il s'agit d'un risque chronique, sur le long terme. Il est souvent théorique et je conviens qu'il n'est pas très concret pour les personnes exposées et qui souhaiteraient disposer de davantage d'éléments. À cet égard, un travail de pédagogie global est nécessaire : cela demande un minimum de connaissances scientifiques pour comprendre cette notion de risque, qui est complexe.
Vis-à-vis de la population, ces explications relèveraient d'études menées par des sociologues ou des spécialistes susceptibles d'appréhender les données scientifiques et de traduire les études de manière compréhensible pour la population. Dernièrement, la notion de « cluster », très utilisée pendant la crise de la covid-19, a déclenché des réactions de forte incompréhension dans la population. Les gens se sentent perdus face à ces terminologies de plus en plus diffusées via le rendu de ces études et qui sont difficiles à comprendre. Un des objectifs du PNSE 4 qui est en préparation est de donner des outils d'appréhension pour tout un chacun de ce qu'est le risque sanitaire lié à l'environnement.
Les VTR sont utilisées partout dans le monde (États-Unis, Allemagne...). La France, grâce à l'ANSéS, s'est mise à niveau. La réglementation REACH (« Registration, Evaluation, Authorisation and restriction of CHemicals ») évalue à 30 000 substances chimiques sur le marché, pour lesquelles nous n'avons pas de VTR. 2 000 sont déjà disponibles. Les VTR sont des outils d'experts : il est nécessaire de travailler la traduction du résultat de ces expertises afin de les rendre plus compréhensibles. Les VTR sont élaborées dans le cadre d'une expertise collective indépendante par les agences. Elles ont une valeur scientifique intrinsèque et ne doivent pas être influencées par d'autres éléments industriels.
M. Laurent Lafon, président. - Le ministère de l'environnement avait engagé voici quelques années une démarche concernant les établissements accueillant des enfants (crèches, écoles) construits sur des sites pollués. Un travail d'inventaire et de recensement avait commencé, mais avait été interrompu. Quel intérêt portez-vous à ce genre d'étude sur le plan sanitaire ? Y-a-t-il matière à aller plus loin sur certains établissements pour lesquels les taux étaient élevés ? Y-a-t-il intérêt à poursuivre sur l'ensemble des établissements cet inventaire qui n'a pas été achevé ? Les premiers résultats connus ne devraient-ils pas inciter à aller jusqu'au bout de la démarche d'un point de vue sanitaire ?
Mme Caroline Paul. - Cette étude menée sur les établissements sensibles a été très intéressante, car elle a mis en évidence que l'on pouvait avoir quelques expositions dans certaines situations d'établissements construits sur d'anciens sites pollués. Tant le ministère de l'environnement que le ministère de la santé auraient souhaité pouvoir la poursuivre sur l'ensemble des établissements au niveau national. Ces études représentaient toutefois un énorme coût et la question budgétaire s'est posée et l'étude n'a pas pu se poursuivre sous sa forme précédente. Il serait intéressant de la poursuivre, mais en réfléchissant à une manière de la soutenir impliquant une participation des collectivités concernées. Nous y avons réfléchi avec le ministère de l'environnement et des pistes peuvent être explorées.
M. Laurent Lafon, président. - Une réflexion est donc en cours entre les deux ministères pour examiner son éventuelle relance.
Les secteurs d'information sur les sols (SIS) sont une identification relativement nouvelle. Quel est votre regard sur la question des risques sanitaires liés à la pollution des sols à travers ces SIS ? Donner l'information brute sans y associer la pédagogie nécessaire n'ajoute-t-il pas de la confusion sur cette appréhension du risque, déjà complexe à maîtriser ?
Mme Delphine Caamano. - Les SIS sont un dispositif récent et il est difficile d'en dresser le bilan ou de prendre du recul sur sa mise en oeuvre. Il s'agit d'une mesure de prévention, car c'est souvent la perte de la mémoire qui est mise en avant sur la question des sites et sols pollués. Ces pollutions sont parfois historiques et les SIS conservent la mémoire des pollutions, les portent à connaissance et garantissent qu'en cas de changement d'usage, un bureau d'études certifié réalise les diagnostics et prescrit les mesures permettant une compatibilité entre l'usage et le milieu. Cette mesure va dans le bon sens et allie à la fois l'aspect mémoriel et les éventuelles prescriptions données aux futurs aménageurs. L'adéquation de l'information avec la compréhension des personnes qui la reçoivent est une piste à explorer. Il paraît pertinent de s'entourer de compétences issues du domaine des sciences sociales pour transmettre ces messages de manière adéquate.
M. Joël Bigot. - Je suis décontenancé par cette audition. Je suis un élu amené à gérer des communes, des terrains pollués... J'entends vos propos et ne doute pas que nous avons affaire à des personnes très au fait des problèmes de santé. J'attendais toutefois des choses audibles et, à défaut d'être opérationnelles, qui nous permettent de construire une pensée et de faire des propositions. J'ai l'impression d'assister à une conférence universitaire, or nous sommes dans une audition sénatoriale composée d'élus.
Quelle est votre évaluation des normes actuelles : sont-elles suffisantes, sont-elles à la hauteur des enjeux de contamination de la terre, de l'eau et de l'air ? Quelle information peut-on distiller aux citoyens et aux élus locaux ? Il a été fait référence aux plans communaux de sauvegarde qui organisent une certaine opérationnalité. Nous avons besoin à l'issue de cette audition d'avoir à notre disposition un certain nombre d'éléments que nous pourrions intégrer dans une réflexion permettant de répondre à la difficulté liée à la pollution des sols. Nous sommes confrontés à des enjeux transversaux de population, de consommation de terres agricoles, de dispersion potentielle des polluants renforcée par les accidents climatiques... Quelles actions prévisionnelles pourrions-nous mettre en place ? Pourriez-vous nous proposer des pistes de réflexion à intégrer de manière pragmatique ?
Mme Caroline Paul. - Il y a encore beaucoup de choses à faire. Nous sommes encore dans l'amont de la procédure relative à l'évaluation, l'apport de données scientifiques, l'apport d'outils pour ceux qui vont intervenir sur site pour évaluer le risque pour la population. Les risques ne sont pas forcément d'origine industrielle, certains ont une pollution intrinsèque. Il faut savoir dans quel milieu on vit et comment on vit avec son environnement.
Nous examinons avec les ARS quelles recommandations hygiéno-diététiques faire aux populations pour qu'elles s'adaptent à leur environnement extérieur et aux expositions. Nous avons saisi le HCSP à cet égard et devrions recevoir prochainement un rapport permettant d'obtenir des conseils pratiques et pragmatiques pour les populations. Il existe des moyens simples, pratiques pour éviter les expositions aux poussières, les problématiques de pollution de l'air...
Nous sommes bien conscients du fait que les élus ont besoin d'outil. Nous avons l'intention d'inscrire cette thématique au programme des villes « Santé et Territoire » de l'OMS (70 villes et collectivités), avec lesquelles nous avons travaillé sur les questions de mobilité activité, de pollution de l'air, de santé climatique... Ce programme produit des outils de formation, d'évaluation de situation, de gestion locale...Nous croyons beaucoup en cette approche, qui se déroule bien. Un certain nombre de choses se font via le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), nous produisons et transmettons des informations. Des formations permettent de gérer ces questions de santé environnementale. Il faut avoir en tête que les sites et sols pollués ne sont qu'une source d'exposition, à rapprocher de l'ensemble des expositions environnementales (air, eau...). Les élus doivent pouvoir avoir conscience de ce que sont les déterminants de santé (mobilité, alimentation...). Nous allons développer avec le HCSP des recommandations hygiéno-diététiques qui seront un bon support d'information et d'éducation.
M. Laurent Lafon, président. - Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué la question du financement des études au niveau local, lorsqu'une pollution est identifiée et lorsque le pollueur n'est plus solvable ou n'existe plus. Je suppose que le problème se pose maintenant et n'existait pas auparavant. Cela est-il lié à des diminutions de crédit au niveau des agences et des ministères ?
Mme Caroline Paul. - Les ARS sont confrontées à un besoin d'évaluer au mieux l'exposition de la population et doivent pour cela réaliser des études d'imprégnation au niveau local. Il faut également que la population accepte d'y participer. C'est le cas dans un certain nombre de situations, mais pas dans toutes : nous menons un travail pour rendre les mesures d'imprégnation, les prélèvements et les analyses remboursables ou pris en charge par la sécurité sociale. C'est le cas de l'imprégnation au plomb et devrait l'être pour l'arsenic et le cadmium. L'indemnisation de ces études a un coût important. Elles sont pour le moment financées au cas par cas par le fonds d'intervention régional (FIR) des ARS. Pourquoi ces études seraient financées par le FIR et non par le pollueur qui est à l'origine de l'exposition ? Lorsque les pollueurs sont identifiés, il semble naturel qu'ils soient sollicités pour financer ces études d'imprégnation, qui participent à la gestion de la situation sanitaire. Nous rédigeons des projets dans ce sens, cela n'est pas simple et demande un travail législatif.
M. Laurent Lafon, président. - Quel est l'ordre de grandeur du volume de dossiers relatifs aux sites pollués qui arrivent à la DGS ?
Mme Caroline Paul. - Il est très variable selon les années : il s'agit de quelques dossiers par an, sachant que les ARS en gèrent également elles-mêmes. Nous avons pour cette raison demandé à Santé publique France, qui voit passer quasiment tous les dossiers car les CIRe sont systématiquement impliquées dans la gestion de ces situations, de réaliser un retour d'expérience sur l'ensemble des situations de sites et sols pollués prises en charge par les ARS.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - J'espère que la cellule de coordination « CASA » dresse des pistes d'avenir concrètes pour faire évoluer les dossiers. Concernant les VTR, chaque chose a son contre-exemple. Lorsqu'il y a eu une quasi-unanimité pour dire que les VTR n'étaient pas assez connues dans le cas d'enfants touchés par la pollution à l'arsenic en masse et que rien ne devait être fait, la HAS a considéré qu'il fallait néanmoins faire un dépistage de ces enfants après que des familles l'ont fait. Lorsque le rendu scientifique ne peut pas être corroboré, la décision a tranché en faveur de la précaution. Parfois, le principe de précaution et le bon sens pallient le fait de ne pas avoir le nombre voulu de cas pour baser l'étude sur un échantillon ayant une valeur scientifique. Quand on est dans l'urgence, le bon sens doit accompagner au mieux les missions qui nous sont confiées. Nous sommes tous là pour veiller à la bonne santé de nos concitoyens. Toute certitude se voit infliger une autre analyse que celle portée par les spécialistes.
M. Laurent Lafon, président. - En l'absence d'autres questions, je vous propose de mettre fin à l'audition et vous souhaite bonne soirée.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La téléconférence est close à 18 h 05.
Mercredi 3 juin 2020
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La téléconférence est ouverte à 16 h 45.
Table ronde de représentants des bureaux d'études certifiés pour les diagnostics des sols (en téléconférence)
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'audition en visioconférence de représentants de bureaux d'études certifiés réalisant notamment des diagnostics des sols pour le compte d'exploitants de sites industriels, avec MM. Nicolas Fourage, Nicolas Gauthey et Philippe Blin, représentants de la confédération des organismes indépendants tierce partie de prévention, de contrôle et d'inspection (Coprec), ainsi que M. Gaël Plassart et Mme Anne-Gaëlle Dazzi, cogérants de la société Envisol.
La Coprec représente plusieurs grands organismes intervenant de longue date sur le marché de la certification et des diagnostics environnementaux et immobiliers, qui inclut les études de sols. Elle compte parmi ses adhérents les sociétés Apave, Bureau Veritas, Dekra, Qualiconsult, SGS et Socotec. La société Envisol a, quant à elle, été créée plus récemment, en 2009, avec la volonté de fournir une ingénierie spécifiquement dédiée à la gestion des sites et sols pollués. Cette audition devrait donc nous permettre de recueillir des points de vue complémentaires sur l'activité des bureaux d'études certifiés dans le diagnostic des sols, l'évaluation des risques sanitaires et écologiques liés à une pollution des sols et la définition de mesures correctrices, voire de plans de réhabilitation de sites pollués.
Nous souhaitons en particulier que vous nous fassiez partager votre sentiment sur deux enjeux qui intéressent notre commission. Tout d'abord, quelle analyse faites-vous de l'équilibre de votre relation avec l'exploitant ? La nature commerciale et contractuelle de cette relation peut-elle selon vous peser sur la transparence et la rigueur des études de sols réalisées par les bureaux d'études ? Quel est, par ailleurs, votre positionnement par rapport aux services de l'État, notamment les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), qui sont parfois appelées à se prononcer sur la pertinence des recommandations formulées par les bureaux d'études, par exemple en matière de travaux de réhabilitation ?
Enfin, il ressort de nos précédentes auditions que la problématique de la pollution des sols est généralement abordée de façon trop ponctuelle pour les sites industriels : essentiellement au moment de l'autorisation pour les sites les plus importants ; éventuellement en cas d'accident ensuite ; et, enfin, au moment de la cessation d'activité. Dans quelle mesure pensez-vous qu'il faille renforcer la périodicité des diagnostics des sols pour surveiller plus étroitement les risques de pollution des sols, comme on peut le faire aujourd'hui en matière de surveillance des eaux souterraines ou des déchets ?
Avant de vous laisser la parole, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Nicolas Fourage, Nicolas Gauthey, Philippe Blin et Gaël Plassart et Mme Anne-Gaëlle Dazzi prêtent serment.
M. Nicolas Gauthey, représentant de la confédération des organismes indépendants tierce partie de prévention, de contrôle et d'inspection (Coprec). - La Coprec représente les organismes indépendants tierce partie de prévention, de contrôle et d'inspection. Nous intervenons dans tous les domaines d'activité, des transports à l'agriculture, en passant par l'industrie ou l'énergie. Le secteur compte 35 000 salariés en France.
Dans les domaines qui intéressent la commission d'enquête, nous menons des activités d'études, d'assistance et de contrôle dans les 450 000 installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) soumises à déclaration, car nous possédons un agrément de l'État pour cela, et nous menons des missions d'études ou d'assistance réglementaire dans les ICPE soumises à autorisation ou enregistrement. Nous réalisons ainsi 4 000 missions par an dans les ICPE soumises à autorisation ou enregistrement et 3 000 contrôles de conformité dans les ICPE à déclaration ainsi que plusieurs milliers de contrôles sur les émissions dans l'air ou dans l'eau, ce qui inclut la surveillance des eaux souterraines dans les ICPE.
Nous intervenons aussi sur les sites et sols pollués.
Nous avons émis plusieurs propositions pour améliorer la prévention de la pollution des sols, qui portent d'abord sur la réglementation et le suivi des ICPE. La surveillance périodique des sols dans les ICPE est, en effet, ponctuelle : en cas d'accident, en fin d'activité ou en début d'activité pour les installations soumises à la directive relative aux émissions industrielles, dite directive IED. Une surveillance périodique permettrait de mieux maîtriser le risque de pollution des sols pendant la durée d'exploitation. Il conviendrait aussi de rendre plus cohérent le régime des contrôles : le contrôle des ICPE soumises à déclaration est quinquennal, alors que certaines installations soumises à autorisation ne sont contrôlées que tous les sept ans. Les installations soumises à enregistrement devraient être contrôlées selon les mêmes modalités que les ICPE à déclaration. Enfin, il serait pertinent de prévoir un contrôle systématique des ICPE en cas d'arrêt de l'exploitation, car les ICPE à déclaration ne sont pas contrôlées ; cela est prévu par l'article 27 de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), mais les compétences requises pour le contrôle de la mise en sécurité ne sont pas les mêmes que pour les mesures de réhabilitation, ces dernières relevant plutôt des sites pollués, tandis que les premières renvoient à une compétence générale sur les ICPE.
La surveillance la qualité de l'air intérieur a été rendue obligatoire dans les établissements recevant du public et des enfants, mais il n'y a pas de diagnostic obligatoire de la pollution des sols avant construction.
Nous souhaitons aussi une meilleure vulgarisation sur les principes de gestion des sols pollués auprès des élus, des acteurs de la construction ou des services instructeurs des permis de construire. Il faudrait, de plus, rendre obligatoire le recours à des organismes certifiés pour tous les marchés publics.
Enfin, nous plaidons pour le recours à l'économie circulaire et l'utilisation de techniques de dépollution innovante, au-delà du camion-benne qui se contente de déplacer les déchets dans une décharge.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Merci pour la clarté de vos propos. Ma première question concerne la méthodologie mise en oeuvre par les bureaux d'études pour l'analyse des risques sanitaires en lien avec une pollution industrielle ou minière des sols. Il existe un certain nombre de référentiels, comme l'évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS), et une instruction ministérielle de 2017 renvoie à une méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués qui est définie et réactualisée par le ministère de l'écologie.
Trouvez-vous le cadre réglementaire en matière d'évaluation des risques sanitaires et environnementaux satisfaisant et suffisamment précis pour garantir une qualité de prestation homogène entre les différents bureaux d'études certifiés ? La certification des bureaux d'études par la norme NF-X-31-620 vous paraît-elle apporter les garanties suffisantes pour s'assurer de la qualité de ces prestations ? Avez-vous identifié d'éventuelles insuffisances ou angles morts dans cette certification et dans la méthodologie nationale de gestion des sols pollués, notamment en matière d'évaluation des risques sanitaires ?
Par ailleurs, je souhaiterais que vous reveniez sur vos interactions avec les Dreal. Les bureaux d'études échangent-ils des informations avec les Dreal, notamment lorsque leurs diagnostics des sols font état d'anomalies et proposent des mesures correctrices, ou l'exploitant peut-il souverainement décider de communiquer ou pas ces conclusions aux Dreal ?
Enfin, au-delà des diagnostics des sols, votre société ou les organismes que vous représentez, dans le cas de la Coprec, s'investissent-ils aussi dans l'élaboration de plans de dépollution et de réhabilitation pour des sites pollués laissés en friche ? En matière de réhabilitation des sols pollués, pensez-vous que la méthodologie employée par les bureaux d'études soit satisfaisante, notamment en termes de maîtrise des coûts des travaux de dépollution ?
La loi ASAP comporte un article prévoyant l'obligation pour les exploitants d'ICPE autorisées ou enregistrées de faire appel à une entreprise spécialisée ou certifiée pour attester de la mise en oeuvre des mesures de mise en sécurité du site, mais aussi pour attester de la pertinence et de la mise en oeuvre des mesures de réhabilitation. Que vous inspire cette disposition ? La trouvez-vous suffisamment complète et exigeante pour garantir la mise en oeuvre de plans de réhabilitation ? N'aurait-il pas fallu également étendre cette obligation à certains types d'ICPE soumises à déclaration qui présentent néanmoins des risques de pollution des sols ? Je pense notamment aux stations-service, qui sont souvent des ICPE soumises à simple déclaration et qui ne se verront pas nécessairement appliquer d'obligations en termes de réhabilitation, hormis des mesures de mise en sécurité.
Enfin, je souhaiterais savoir si les organismes que vous représentez ont une activité majoritaire de contrôle ou de certification ou sont des bureaux d'études. Or la thématique des sites et sols pollués nécessite, d'après la méthodologie nationale de 2017, des études approfondies et non des contrôles aboutissant à classer le site conforme ou non conforme. Comment vous assurez-vous que les organismes que vous représentez ne favorisent pas, par facilité ou sous la pression des promoteurs, l'envoi systématique des déchets en décharge, méthode la plus rapide et la moins coûteuse, au détriment de méthodes de traitements des déchets plus intéressantes d'un point de vue environnemental ?
M. Nicolas Gauthey. - La Coprec considère que les exigences en matière de certification permettent d'obtenir des études de bonne qualité en général. Toutefois, un diagnostic comporte toujours des incertitudes, car nous n'avons jamais une vision complète du sous-sol dans la mesure où nous procédons par des échantillonnages. Cependant, le respect des guides méthodologiques et la certification des bureaux d'études permettent d'apporter des garanties sur la qualité des prestations et des études, y compris des EQRS.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Un simple guide méthodologique vous semble donc suffisant ?
M. Gaël Plassart, cogérant de la société Envisol. - Envisol est un bureau d'études spécialisé dans la gestion des sites et sols pollués. Notre équipe pluridisciplinaire de cinquante personnes comporte des professionnels formés à réalisation des EQRS. La certification est une garantie et les guides méthodologiques sont utiles, mais il faut aller plus loin. Les personnes qui réalisent les EQRS dans les bureaux d'études devraient posséder une formation spécifique, au moins équivalente à celle des ingénieurs qui relisent et valident les études au sein des agences régionales de santé (ARS) et qui ont souvent été formées à l'école des hautes études en santé publique de Rennes. La norme NF-X-31-620 a été un bon début, mais elle devrait être renforcée pour imposer d'avoir suivi un type d'études spécifiques et spécialisées.
Mme Anne-Gaëlle Dazzi, cogérante de la société Envisol. - La certification devrait porter aussi sur les aspects techniques. Elle signifie que les équipes sont pluridisciplinaires et comportent des personnels compétents ; elle garantit la présence de certaines informations, sur les polluants par exemple, mais elle n'entre pas dans le détail de la conduite des études, des choix des paramètres techniques ou des hypothèses. Il semble important de revoir cela si l'on veut s'assurer que n'importe qui ne réalise pas des EQRS et garantir une certaine homogénéité entre les prestations des uns et des autres.
M. Nicolas Gauthey. - Je suis d'accord. Le référentiel de certification définit le contenu des prestations. Il est évident que les personnes qui réalisent les études doivent avoir une compétence spécifique ; c'est le cas en pratique, mais ce n'est pas formalisé dans la norme.
Le choix des outils de modélisation reste assez libre, sans exigence de validation par des structures reconnues, comme l'institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) par exemple, et comme cela existe dans d'autres domaines : ainsi, lorsque l'on étudie les dispersions atmosphériques on doit respecter certains modèles qui ont été validés. En revanche, il n'y a pas de validation officielle des modèles de transfert pour les EQRS et les outils des bureaux d'études ne sont pas les mêmes.
M. Nicolas Fourage, représentant de la confédération des organismes indépendants tierce partie de prévention, de contrôle et d'inspection (Coprec). - Les EQRS sont anciennes, elles ont succédé aux études détaillées des risques (EDR). Leur méthodologie est reconnue et est fondée sur des standards internationaux. Tous les bureaux d'études ont donc plus ou moins la même manière de travailler. La certification apporte un cadre sur la façon de faire et les compétences des personnes qui réalisent les études.
Je veux mettre l'accent sur les données utilisées. La qualité de l'étude dépendra beaucoup des données prises en compte, ce qui renvoie à la question de la modélisation qu'évoquait M. Nicolas Gauthey. Il peut exister des disparités entre les modèles, de l'ordre parfois de 30 à 50 %. Il conviendrait donc de les uniformiser. De même, nous sommes favorables à une formalisation accrue de la méthodologie, car les guides ne sont pas contraignants.
Les compétences requises évoluent aussi. On fait ainsi de plus en plus appel à des toxicologues ou des écotoxicologues, voire à des médecins, pour relire nos analyses des risques sanitaires.
M. Philippe Blin, représentant de la confédération des organismes indépendants tierce partie de prévention, de contrôle et d'inspection (Coprec). - Vous nous interrogiez aussi sur nos relations avec les Dreal. Je suis responsable de la région Occitanie au sein de la société Apave. Nous intervenons sur les ICPE et les diagnostics de pollution des sols. Comme vous le souligniez, nous n'avons pas de relation directe avec la Dreal en cas de découverte de pollutions ; c'est l'exploitant qui leur communique ces données. On peut certes être amenés à échanger avec la Dreal, de manière tripartite, lorsque l'on présente le résultat des études ou que l'on discute des mesures de gestion envisagées, mais cela s'effectue dans le cadre d'une relation contractuelle avec le donneur d'ordres.
Le régime administratif de l'installation classée n'est pas pertinent pour apprécier le risque de pollution des sols. Des stations-service ou des dépôts pétroliers peuvent ainsi relever du régime de la déclaration, alors même que les risques de pollution des sols peuvent être importants. Ces installations ne font pourtant pas l'objet de mesures de gestion particulière, sinon une obligation de notification de cessation d'activité. On compte près de 400 000 installations classées de ce type en France. Certes, il s'agit de pollutions modestes, mais elles sont diffuses et s'accumulent sur tout le territoire.
M. Gaël Plassart. - Nous partageons cet avis. Le régime des ICPE à déclaration soulève des questions. Beaucoup de ces installations sont situées en centre urbain. Même si les pollutions sont plus faibles que dans des ICPE à autorisation, leur potentialité de nuisance est plus forte en raison de leur localisation. Il conviendrait de durcir la législation et de prévoir des contrôles accrus. Envisol travaille pour des clients industriels dans les ICPE, mais nous travaillons aussi, dans le cadre de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), avec d'autres donneurs d'ordres qui ne sont pas industriels. On doit constater que l'on observe des trous dans la raquette en ce qui concerne le recensement des pollutions potentielles. Il faudrait augmenter la fréquence des contrôles de pollution des sols, par exemple à chaque fois qu'une transaction foncière est conclue.
Mme Anne-Gaëlle Dazzi. - Il ne faut pas oublier non plus les sites qui ne sont pas des ICPE. Dans la vallée de l'Arve, par exemple, la plupart des sites de décolletage ne sont pas classés, alors qu'il s'agit pourtant d'activités polluantes. De même, de nombreuses friches urbaines ne sont plus classées. Parfois les acheteurs de maisons ont de mauvaises surprises... Même si les personnes sont sensibilisées, dès lors que l'on quitte le cadre des ICPE, la dépollution des sols relève d'une démarche volontaire du vendeur ou de l'acquéreur du terrain.
M. Gaël Plassart. - Les documents remis à la Dreal passent par l'exploitant, mais cela ne nous empêche pas de réaliser notre travail de conseil. On note aussi des évolutions. Les inspecteurs des Dreal sont moins nombreux, changent souvent d'affectation ou, parfois, de spécialité. Pour ces raisons, leur pertinence dans la relecture des rapports qui leur sont remis risque de s'en trouver de facto quelque peu affectée. Comme le recrutement de fonctionnaires n'est pas dans l'air du temps, il serait peut-être opportun de s'appuyer davantage sur les organismes certifiés pour faciliter la tâche des inspecteurs, quitte à ajouter un agrément visant les sols pollués. On pourrait aussi envisager pour les sites à forts enjeux de créer une sorte d'autorité, sur le modèle de l'Autorité de sûreté nucléaire, qui aurait la capacité d'appréhender des études complexes en toute indépendance.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Vous avez parlé de la formation et des agences régionales de santé (ARS), mettant à juste titre l'accent sur la dimension sanitaire. Beaucoup d'installations ne sont pas classées, en effet. Vous évoquez la responsabilité des exploitants, mais souvent on doit gérer des sites où l'activité a cessé depuis longtemps, où les responsables ont aussi disparu, et où des pollutions peuvent être découvertes ou apparaître à cause des risques naturels ou du dérèglement climatique. Comment améliorer la protection des populations face au risque sanitaire ? Ne faudrait-il pas envisager un plan d'action, à l'image du plan communal de sauvegarde ? Les élus sont en effet en première ligne, mais se trouvent souvent démunis. Comment travaillez-vous avec les ARS ?
M. Gaël Plassart. - Nous notons un manque d'échanges et de complémentarité entre les ministères de l'écologie et de la santé. Il serait judicieux que ces deux ministères coordonnent mieux leurs actions.
Vous évoquez les sites orphelins. Alors que des dispositifs, comme la garantie de passif, ont été prévus pour les sites en activité, on pourrait sans doute imaginer, pour les sites où l'activité a cessé et les friches, des incitations fiscales afin d'encourager des requalifications vertueuses, développer l'économie circulaire ou mettre en place des solutions innovantes de dépollution sur site. La dépollution coûte cher, car les entreprises privilégient la rapidité et le gain à court terme, et donc la pelleteuse et le camion-benne. Des incitations fiscales permettraient de soutenir l'innovation et de promouvoir d'autres types de décontamination, ce qui permettrait, in fine, de trouver des moyens de dépolluer mieux et à moindre coût. Voilà vingt ans que l'on parle de la phytoremédiation, mais elle n'est toujours pas mise en oeuvre, car ce type d'approche longue ne correspond pas au business model des entreprises de travaux publics.
M. Nicolas Fourage. - Je partage le constat d'un manque de communication entre les ministères de l'environnement et de la santé.
La mise en place d'une incitation fiscale en faveur des entreprises de dépollution certifiées ou innovantes pourrait contribuer à contrecarrer les logiques à l'oeuvre et qui privilégient la rapidité. Beaucoup de friches restent en l'état, car le coût financier d'une dépollution est trop important. Il faut donc alléger le poids financier, privilégier les solutions innovantes et surtout encourager l'économie circulaire. Il faut réutiliser au maximum les remblais. La problématique de la gestion des friches est souvent, en effet, une problématique de la gestion des déblais et des déchets.
Mme Anne-Gaëlle Dazzi. - Il conviendrait aussi de mettre l'accent sur les aspects positifs et la valeur sociétale de la réhabilitation des friches. La dépollution permet ainsi de préserver les écosystèmes, de ramener de la vie en centre-ville, d'éviter de construire sur les terres agricoles... Ces aspects ne sont pas comptabilisés dans les bilans financiers, qui ne retiennent que les coûts de la dépollution. Si ces aspects sociétaux et environnementaux étaient pris en compte, on s'apercevrait qu'il est intéressant de procéder à des dépollutions sur des sites où l'on peut s'inscrire dans un horizon de temps de moyen, sinon de long terme. On pourrait ainsi mettre en oeuvre des solutions innovantes de dépollution in situ, plutôt que d'utiliser des camions-bennes qui se contentent de déplacer la pollution un peu plus loin.
M. Philippe Blin. - C'est essentiellement autour des aspects financiers que se noue la problématique des friches industrielles. Un dispositif de tiers demandeur a été instauré pour faciliter la reprise des friches industrielles, mais il est peu utilisé, alors que l'on compte pourtant beaucoup de friches exploitables. Cela pose la question de l'optimum technico-économique. On sait aller au-delà du retrait et de l'évacuation des déchets, mais il manque peut-être un levier financier pour convaincre les promoteurs. Il y a aussi un effort de pédagogie à réaliser pour faire la promotion de ces dispositifs qui sont mal connus, y compris parmi les promoteurs.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Vous n'avez pas évoqué le rôle des organismes dont l'activité majoritaire est le contrôle et la certification plutôt que les missions de bureau d'études. Concrètement, comment se passe le traitement sur site ?
S'agissant de la Dreal, vous avez évoqué la baisse du nombre et de la pertinence des inspecteurs et la piste d'une future agence sur ces questions. Je note cette proposition, mais je tiens à indiquer que les problèmes d'environnement, de pollution et de friches sont au coeur des préoccupations des citoyens et doivent donc également être au coeur de leurs représentants comme de l'État lui-même. Or, avec la régionalisation des Dreal, il apparaît que celui-ci, en réduisant ses moyens, n'assume plus ses missions dans ce domaine. Nous devons donc nous poser la question. Lorsque l'on veut faire respecter un cadre et évoluer vers une réglementation souple, mais plus rigoureuse, emportant la mise à jour des responsabilités et l'accompagnement des élus, on ne peut tout faire reposer sur des services de l'État tout en les rendant obsolètes !
M. Gaël Plassart. - Nous sommes d'accord. Nous sommes passionnés par notre métier et, lorsque nous échangeons avec les inspecteurs de la Dreal, nous souffrons pour eux, tant ils sont débordés et n'arrivent pas à travailler comme ils le devraient. C'est pourquoi nous proposons de déléguer certaines de leurs tâches. La compétence sites et sols pollués est par essence pluridisciplinaire : Envisol regroupe au moins dix spécialités différentes, il est très difficile de tout faire en même temps.
La certification NF-X-31-620 est positive, mais il faut peut-être aller plus loin, et envisager une délégation de service public sur certains sujets. Nous avons une filiale au Québec, où ce cap a été passé : des certificateurs agréés réalisent une partie du travail, même si, in fine, les services de l'État valident.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. -Je ne suis sénatrice que depuis six ans, mais j'ai pu constater que, dès que l'État engageait moins de moyens, on créait une agence, on imposait une multiplicité d'intervenants, au point qu'il devenait difficile de remonter les chaînes de responsabilité. Toutefois, sur le plan conjoncturel, votre position semble s'imposer.
M. Joël Bigot. - Face à la complexité de la réhabilitation des sites et sols pollués, vous avez évoqué le recours à l'économie circulaire comme une des pistes, pour laquelle on n'a sans doute pas assez poussé la recherche, même si beaucoup d'équipes pluridisciplinaires y travaillent. Quel est votre retour d'expérience sur la renaturation des sols pollués, notamment sur les techniques de phytoremédiation, que certaines collectivités cherchent à mettre en oeuvre avec l'objectif de développer la biodiversité et la permaculture ? Êtes-vous en mesure d'évaluer dans quelle mesure un sol pollué est « renaturable » ? Vous avez évoqué la faible proportion de recours au tiers demandeur, il est vrai lorsque l'on est élu local et que l'on se confronte à la complexité de la situation et aux coûts qu'elle emporte, on peut se décourager. Nous pourrions proposer, dans notre rapport, un éventail d'interventions qui permette de sortir de ce sentiment d'impuissance ; de ce point de vue, le recours à l'économie circulaire est intéressant, car il n'est pas très coûteux et engage un cycle vertueux.
M. Gaël Plassart. - Nous avons une expérience concrète du phytomanagement et de la phytoremédiation et nous poussons pour ces appliquer ces techniques. Il existe quelques exemples, mais il est vrai que l'on est souvent un peu démuni face à la complexité de la mise en oeuvre de ces techniques. Je vous transmets un lien à ce sujet et je vous propose de venir visiter une initiative importante que nous menons en ce sens à Pont-de-Claix, en partenariat avec l'établissement public foncier local du Dauphiné et la municipalité : Crisalid, un centre de recherche qui se présente comme un démonstrateur de technologies innovantes en matière de requalification des friches, par exemple par l'utilisation de champignons pour dégrader les polychlorobiphényles (PCB) dans les sols. La promotion de ce type d'approches passe par la création de tels démonstrateurs. L'économie circulaire est la clé, il faut rassembler tout le monde autour de la table et engager la dédiabolisation de ces procédés, car ils ne sont pas si complexes à mettre en oeuvre et ce sont des approches gagnant-gagnant. Crisalid est exemplaire en ce sens. Il est vrai que le tiers demandeur n'a pas encore rencontré le succès, parce qu'il est encore nécessaire de faire de la pédagogie et d'imaginer des business models différents basés sur le temps long et sur la réutilisation.
En outre, la confusion entre la gestion des terres excavées et la dépollution freine certaines opérations de requalification des friches, car des terres naturelles se retrouvent considérées comme polluées alors qu'il faudrait les distinguer des déchets et ne pas les traiter de la même manière. En la matière, le travail reste à faire : dans le cadre du Grand Paris, par exemple, des terres de couverture, c'est-à-dire de la terre végétale, ont été enlevées, mais comme cette terre ne satisfaisait pas aux critères de mise en décharge, elle a été envoyée dans des centres de traitement très onéreux, alors qu'elle aurait simplement pu être vendue. C'est absurde !
M. Nicolas Fourage. - Les techniques de phytoremédiation sont encore peu mises en oeuvre, car il s'agit de procédés de long terme qui ne sont pas toujours compatibles avec la reconversion rapide des sites. Ce sont de bonnes techniques, qui souffrent de cette limite. Depuis toujours, l'amalgame est fait entre la pollution et la gestion des déblais et des déchets. D'ailleurs, la notion de « sol pollué » n'a jamais été définie officiellement et chaque expert en a sa propre vision. Cette problématique pèse lourdement sur les terres naturelles : on peut y trouver un sulfate ou un chlorure, qui ne pose pas de problème sanitaire, mais qui entraîne le déclassement des terres et donne lieu à des surcoûts de gestion importants, presque de un à dix. Il faut travailler sur ce que l'on peut faire avec ces terres, car elles peuvent être réutilisées pour aménager des parcs, sans risque sanitaire. Elles ont seulement subi un déclassement dont l'impact financier est énorme : traiter 20 000 tonnes à 100 euros la tonne, c'est mirobolant, alors même que cela pourrait donner lieu à un autre type de gestion. Il ne s'agit même pas de pollution, mais seulement de gestion de terres.
M. Alain Duran. - Nous avons besoin de l'économie circulaire, aujourd'hui plus qu'hier, car les élus sont sensibles à l'artificialisation des sols et à la reconversion des friches industrielles. Grâce à votre expertise, la collectivité peut disposer de diagnostics de qualité et de conseils, mais la dépollution a un coût trop souvent insupportable. Au mieux, donc, on retarde le chantier, au pire, on attend trop longtemps et la pollution progresse. Dans votre quotidien, quelle proportion représentent ces situations de chantiers de dépollution en panne ? Quelle est alors la place de l'économie circulaire ? Pouvez-vous nous donner des précisions sur ce que vous vivez au quotidien dès lors qu'il s'agit de mener à bien un chantier de dépollution ?
M. Nicolas Fourage. - Plus nous disposons de temps pour travailler, d'informations et de données, plus nous pouvons trouver des solutions et rentabiliser le chantier. En matière de dépollution, on dit souvent qu'un euro bien investi peut en faire gagner dix. En revanche, lorsque l'on découvre la pollution au moment du terrassement, il n'y a plus de temps, et donc plus de solutions alternatives, car il faut aller vite, les frais d'arrêt de chantier devenant supérieurs au coût de la dépollution. Il nous faut donc pouvoir rapidement identifier les difficultés et prévoir des dispositifs pour que chaque opération ou chaque permis de construire prenne en compte la pollution des sols en amont et pas seulement sur les secteurs d'information sur les sols (SIS). Plus vite nous connaissons la réalité, plus nous pouvons proposer des solutions différentes basées, par exemple, sur la bioremédiation. Travailler dans l'urgence, cela coûte cher, il faut donc investir dans ces reconversions.
M. Philippe Blin. - Il faut en effet se préoccuper très en amont de cette question. Aujourd'hui, la pollution des sols est surtout prise en compte au moment de la cessation d'activité d'une installation industrielle, alors qu'il y a des choses à faire sur des sites en exploitation. Lorsque l'on découvre la pollution en cours de terrassement, après une transaction, le timing ne permet que l'excavation et l'élimination, il faudrait donc s'intéresser à la vie des installations, et pas seulement à celles qui font l'objet d'un classement. Nous partageons tous le constat suivant : aujourd'hui, le sujet n'est pas central dans l'inspection des installations classées, il intervient très tardivement dans le processus, quand nous n'avons plus le temps de bien faire.
M. Gaël Plassart. - Je suis d'accord : le temps, c'est la clé. Les opérations de dépollution coûtent cher, mais l'on peut faire aboutir des opérations de requalification dès lors que l'on a insisté sur le diagnostic, qui est souvent le parent pauvre de la question des sols pollués. Pourtant, un euro dépensé en diagnostic, c'est dix euros économisés sur la dépollution. Il faut donc remettre l'innovation et l'ingénierie au coeur de notre métier pour que le diagnostic soit plus rapide et plus précis, afin que nous puissions mieux requalifier. Nous le faisons en ce moment sur le site de Salsigne avec le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).
M. Laurent Lafon, président. -L'État, en effet, n'a plus les moyens d'être aussi présent qu'il le devrait, beaucoup de la charge repose donc sur vous. Vous l'avez dit, il faut accroître le contrôle, pas seulement au moment de la cessation d'activité, mais aussi pendant l'exploitation. Comment, toutefois, garantir votre indépendance, notamment dans la phase de diagnostic, au regard de celui qui vous paye ?
Nous n'avons pas encore évoqué les systèmes d'information, en particulier les bases de données Basol, recensant les sites et sols pollués, et Basias, concernant les anciens sites industriels et activités de service ? Quel regard portez-vous sur ces outils ? Quelle est leur fiabilité ? Ces bases sont-elles intéressantes et exhaustives ?
Enfin, vous avez indiqué que la construction d'établissements accueillant des enfants n'était assortie d'aucune obligation de contrôler la qualité des sols. Lorsque j'étais maire, nous le faisions pourtant systématiquement et il me semblait que c'était obligatoire.
M. Nicolas Gauthey. - Les lieux accueillant les enfants sont soumis à des exigences, assez récentes, en matière de qualité de l'air intérieur, mais il n'existe pas de réglementation imposant un diagnostic de pollution des sols en amont. Une moindre qualité de l'air intérieur peut découler d'une pollution des sols, mais ce qui déclenche le diagnostic, c'est l'histoire du site plutôt que le type d'établissement. Il peut donc arriver que des problèmes nous échappent lors de la construction d'un établissement sensible. On a ainsi parfois pu identifier des défauts de qualité de l'air intérieur nés d'un manque de contrôle des sols dans des établissements de soins ou dans des établissements accueillants des enfants. Il serait donc logique que le diagnostic soit réalisé quelle qu'ait été l'activité précédente sur le site.
S'agissant de l'indépendance, c'est le fer de lance de la Coprec. Notre métier, c'est le contrôle et l'impartialité est un point analysé lors des audits. Tout contrôleur, tout bureau d'études est audité, même si l'on peut discuter du référentiel. En matière d'accréditation des organismes de contrôle, correspondant à la norme ISO 17020, l'indépendance et l'impartialité sont des points importants de l'analyse de risque, pris en compte par l'auditeur qui étudie les relations avec les clients sur ces questions. Dans la norme NF-X-31-620, ce point est pris en compte par le prisme du conflit d'intérêt, mais pas au niveau de ce qui est mis en oeuvre pour les organismes de contrôle.
En ce qui concerne la gestion de l'activité majoritaire de contrôle, nos organismes de contrôles interviennent dans de multiples domaines, mais dans l'environnement, les compétences viennent surtout de la partie études, pour laquelle les missions sont plus longues, au point que notre activité dans le domaine, en dehors des émissions dans l'air et dans l'eau, relève à 90 % de l'étude et à 10 % du contrôle. Le seul contrôle réglementaire concerne les ICPE à déclaration, mais cela correspond à moins de 5 % de nos activités.
M. Philippe Blin. - Nous utilisons au quotidien les bases de données sur lesquelles vous nous interrogez pour le diagnostic, mais elles évoluent peu et lentement. Basias est une base d'inventaire des anciens sites qui remonte loin dans le temps, mais qui est parfois peu fiable. Basol est plus récente et mieux actualisée, relative à la pollution de sols. Il est dommage que, pour des raisons de propriété intellectuelle, elles ne recensent pas les sites ou les parcelles qui ont déjà fait l'objet d'études sites et sols pollués. Un tel outil pourrait permettre d'économiser certaines études en mettant nos ressources en commun. Nous pouvons faire beaucoup mieux en matière de mise à disposition d'informations. Le jeu en vaudrait la chandelle, même s'il faudra alors gérer la confidentialité de certaines données.
Mme Anne-Gaëlle Dazzi. - Il s'agit d'outils de base que nous utilisons au quotidien, sans pour autant les prendre pour argent comptant, car ils contiennent des erreurs, ils ne sont pas exhaustifs et ne sont pas souvent mis à jour. En outre, ils présentent de grandes disparités entre les départements et des régions. Basol, par exemple, ne concerne que les sites sur lesquels des problèmes ont déjà été recensés, alors que les autres sites paraissent tout aussi importants. Il faut donc les améliorer.
M. Gaël Plassart. - La réglementation de 2017 prévoit un nouvel outil : la levée de doutes - pollution (LEVE), qui permet de se renseigner directement sur un site. Si l'on rendait systématique la réalisation des diagnostics grâce à cette avancée, nous pourrions pallier le manque d'exhaustivité des bases de données. Il faudrait que cela intervienne, notamment, dans le cadre des transactions foncières, de même que la mise en oeuvre d'outils numériques plus modernes. Nous sommes partants pour cela, nous avons fait notre révolution numérique.
S'agissant des crèches et des écoles, j'ai le souvenir qu'une grande opération coup de poing de vérification des sites avait été pilotée par le BRGM. C'était un effort ponctuel, toutefois, la réglementation ne prévoyant pas de recherche systématique.
Enfin, en ce qui concerne l'indépendance, je partage les propos de nos collègues de la Coprec.
Mme Anne-Gaëlle Dazzi. - Une partie de la certification sites et sols pollués du Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE - SSP) traite de l'impartialité et de l'indépendance, mais cette question relève surtout de la qualité de notre qualité de travail et des relations que nous établissons avec nos clients comme avec les services de l'État.
M. Gaël Plassart. - Nous mettons tout en oeuvre pour garantir cette objectivité, il faut, à mon sens, insister sur le renforcement de la norme NF-X-31-620.
M. Nicolas Fourage. - L'étude du BRGM sur les écoles et les crèches a concerné 1 300 sites au niveau national, on est très loin de l'exhaustivité et beaucoup de sites sont passés entre les gouttes. C'est un point important, car les enfants sont très sensibles aux polluants, même à faibles doses et, comme on l'a beaucoup souligné ces derniers temps, portent facilement les mains à la bouche.
La LEVE est une mission qui ne coûte pas cher, qui est certifiée et normée et qui permet de faire un premier classement et de s'assurer qu'on ne passe pas à côté de quelque chose : activité industrielle, mais aussi apports de remblais, sidérurgiques, par exemple, comme on l'a beaucoup fait en milieu urbain à une époque. Il s'agit d'un premier élément très important pour rassurer et que l'on peut généraliser dans beaucoup de cas.
M. Laurent Lafon, président. - Nous connaissons le recensement des sites sensibles mené par le BRGM ; il a été interrompu pour raisons budgétaires, c'est dommage.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Sur le sol hexagonal comme ultramarin, nous devrons apprendre à vivre avec la pollution. Vous l'avez dit, ce qui nous manque, c'est une définition d'un sol pollué. Nous sommes confrontés à beaucoup de types de pollution, nous vivons tous dans des atmosphères polluées, cette problématique n'a pas la même physionomie qu'auparavant. Il nous faut définir les contours et les critères des pollutions. Je me souviens qu'à Salsigne, précisément, la pollution n'avait pas été officiellement reconnue, il y a donc une marge pour que le législateur fixe un cadre ! C'est cela qui avait justifié la création de cette commission d'enquête.
M. Laurent Lafon, président. - Il me reste à vous remercier de vos réponses.
La téléconférence est close à 18 h 15.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.