Mardi 19 mai 2020
- Présidence de M. Henri Leroy, président d'âge -
La téléconférence est ouverte à 16 heures.
Réunion constitutive (en téléconférence)
M. Henri Leroy, président d'âge. - En tant que président d'âge, il me revient d'ouvrir notre réunion constitutive.
Notre mission, qui comprend vingt-trois membres, a été créée sur l'initiative du groupe La République En Marche, en application de son droit de tirage. La liste de ses membres a été approuvée par le Sénat lors de sa séance du 13 mai 2020.
Procédons dès à présent à l'élection de notre président. Je rappelle que le règlement du Sénat prévoit que les fonctions de président et de rapporteur d'une mission d'information sont partagées entre la majorité et l'opposition lorsque la mission résulte de l'usage de son droit de tirage par un groupe.
Je suis saisi de la candidature de M. Olivier Cigolotti.
Il n'y a pas d'opposition ?...
La mission d'information procède à la désignation de son président, M. Olivier Cigolotti.
- Présidence de M. Olivier Cigolotti, président -
M. Olivier Cigolotti, président. - Je vous remercie pour la confiance que vous me témoignez.
Je vous propose de passer à l'élection du rapporteur de notre mission. Je vous rappelle que l'article 6 bis du Règlement du Sénat prévoit que, lorsque le groupe à l'origine de la demande de création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information sollicite la fonction de rapporteur pour l'un de ses membres, elle est de droit s'il le souhaite.
Je suis saisi de la candidature de M. Antoine Karam.
Il n'y a aucune opposition à cette désignation ?...
La commission procède à la désignation de son rapporteur, M. Antoine Karam.
M. Olivier Cigolotti, président. - Venons-en à présent à la désignation des autres membres du bureau. Afin de refléter le plus possible la composition du Sénat, nous pourrions désigner un vice-président par groupe, ainsi qu'un vice-président supplémentaire pour le groupe majoritaire.
Avec le rapporteur, nous avons un représentant pour le groupe La République En Marche. Quant à moi, je représente le groupe Union Centriste. Pour le groupe Les Républicains, j'ai été saisi des candidatures de M. Mathieu Darnaud et de Mme Chantal Deseyne ; pour le groupe socialiste et républicain de celle de M. Michel Dagbert ; de celle de M.Guillaume Arnell pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et, puisqu'ils sont les seuls représentants de leur groupe dans cette mission, de celles de M. Fabien Gay pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste et de M. Joël Guerriau pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires.
Il n'y a aucune opposition à ces désignations ?...
La commission procède à la désignation des autres membres de son bureau : M. Mathieu Darnaud, Mme Chantal Deseyne, MM. Michel Dagbert, Guillaume Arnell, Fabien Gay et Joël Guerriau.
M. Olivier Cigolotti, président. - Notre rapporteur va nous expliciter les objectifs de nos travaux.
M. Antoine Karam, rapporteur. - La Guyane, territoire de la République, est confrontée à des enjeux spécifiques qui sont liés à sa situation géographique particulière. Comme vous le savez, j'ai déjà interrogé à plusieurs reprises le Gouvernement sur le sujet de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Nos enfants - ceux qui transportent la drogue, ceux qui la consomment - sont les premières victimes de ce trafic d'ampleur.
Depuis une dizaine d'années, la production mondiale de cocaïne, essentiellement en provenance de Colombie, n'a cessé d'augmenter. Dans un rapport de juin 2018, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime indiquait que la fabrication mondiale de cocaïne avait atteint en 2016 un niveau historique de 1 410 tonnes, soit 25 % de plus qu'en 2015.
Dans ce trafic à l'échelle internationale, les changements intervenus dans la géopolitique sud-américaine ont fait des Antilles et de la Guyane un espace majeur de transit de la cocaïne. Pointe-à-Pitre et Fort-de-France sont non seulement des points stratégiques de réexpédition de la cocaïne destinée à l'Europe, mais aussi des marchés de gros secondaires où se rencontrent la criminalité locale et celle qui est issue de l'Hexagone.
La Guyane connaît une évolution spectaculaire liée à l'augmentation des contrôles aéroportuaires entre le Surinam et les Pays-Bas, mais également à l'autonomisation des groupes criminels locaux. Aussi, selon l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, près de 30 % du marché français, évalué entre 25 et 30 tonnes, proviendraient de la Guyane. Cette attractivité pour les trafiquants de cocaïne est attestée par l'augmentation importante et régulière des saisies réalisées. Entre 2014 et août 2018, elles ont augmenté de 335 % sur le seul territoire guyanais.
Ce trafic est largement le fait de « mules », transportant des produits stupéfiants in corpore ou dans leurs bagages. Les réseaux de trafiquants puisent ainsi aisément dans le vivier des jeunes inactifs, pour lesquels une rétribution de 3 000 à 7 000 euros par vol effectué constitue une somme non négligeable. Les groupes criminels sont en pleine expansion et déploient une stratégie efficace consistant à « ceinturer » les services douaniers : on estime que chaque vol commercial au départ de Cayenne vers Paris compterait 20 à 30 mules. Les douaniers ne peuvent contrôler chaque passager... Les tribunaux, à Cayenne comme dans l'Hexagone, croulent sous les affaires de mules en provenance de Guyane. Au tribunal de Créteil, on recenserait trois affaires de mules lors de chaque séance de comparution immédiate. C'est pour répondre à cette situation que le Gouvernement a engagé en mars 2019 un plan d'action interministériel, reconduit par un plan anti-drogue en septembre dernier. La mise en place d'un scanner corporel à l'aéroport de Cayenne a été actée - j'avais demandé cette mesure dès 2015.
Le dossier est complexe, car il recouvre des problématiques sécuritaires, judiciaires et sociales qui s'entremêlent de la Guyane à l'Hexagone. La commission des lois, venue en Guyane il y a quelques mois, a proposé une grande loi pour la Guyane. Je suggère que notre commission évalue dans le détail le plan d'action interministériel un an après sa mise en oeuvre.
Nous devons porter une attention particulière au parcours judiciaire et à la réinsertion sociale des mules écrouées. Ce sont des proies faciles pour des trafiquants sans foi ni loi et sans scrupules. Nous ne pouvons pas rester indifférents à ceux qui ont déjà été condamnés et se retrouvent parfois emprisonnés plusieurs années à 8 000 kilomètres de chez eux.
Je suis heureux de travailler avec certains collègues qui ont des relations privilégiées avec la Guyane, comme Fabien Gay et Mathieu Darnaud.
Les élus, les associations et la population nourrissent de grandes inquiétudes. J'espère que nos travaux permettront de porter une écoute attentive à leurs préoccupations afin d'aboutir à des conclusions permettant d'améliorer le combat que nous menons pour lutter contre ce fléau, lequel n'est pas, pour moi, une fatalité. Nous devons prendre un engagement politique fort pour sauver la jeunesse de nos pays respectifs.
M. Olivier Cigolotti, président. - Merci pour cette introduction très complète. Le dossier, complexe, comprend un volet judiciaire, un volet pénal et un volet social. Permettez-moi de vous apporter quelques précisions sur les modalités de travail.
Les conclusions de cette mission sont attendues avant le démarrage de la prochaine session, ce qui nous laisse peu de temps, d'autant que les élections sénatoriales pourraient finalement bien avoir lieu en septembre. Aussi, avec le rapporteur, nous nous fixons l'objectif de rendre le rapport d'ici à la fin du mois de juillet ou au plus tard le 15 septembre, en mettant à profit la possible session extraordinaire qui nous mènera normalement jusqu'au 30 juillet.
Nous allons donc très vite nous mettre au travail, avec une première audition dès la semaine prochaine. Nous essaierons, si le contexte sanitaire nous le permet, de tenir quelques réunions « physiques » au Sénat au cours de la deuxième quinzaine de juin.
Les auditions seront programmées sur deux créneaux fixes : le lundi après-midi et le jeudi après-midi sur la tranche 14h30-17h00. Nous devons tenir compte du décalage horaire de cinq heures avec la Guyane.
Concernant les déplacements, la situation sanitaire rend difficile malheureusement d'envisager de se rendre sur place, mais nous y verrons plus clair d'ici au début du mois de juin. Nous allons tenter de rencontrer un maximum d'interlocuteurs locaux par visioconférence.
M. Antoine Karam, rapporteur. - Avec les Antilles, le décalage horaire est de six heures !
Mme Chantal Deseyne. - Sait-on qui sera auditionné ?
M. Olivier Cigolotti, président. - Rien n'est encore arrêté, hormis le fait que nous commencerons par entendre le préfet de Guyane pour un point de situation. Tout reste ouvert.
M. Antoine Karam, rapporteur. - Pour les auditions, j'ai déjà une liste de plusieurs dizaines de personnalités politiques, institutionnelles, associatives, médicales, ou encore de fonctionnaires des collectivités. Cela fait longtemps que les associations mènent un travail de pédagogie en Guyane pour expliquer à la jeunesse le fléau que représente le trafic de stupéfiants. Nous vous transmettrons cette liste et vous pourrez la compléter comme vous le souhaiterez.
M. Olivier Cigolotti, président. - Je vous recommande un reportage instructif sur la problématique des mules, disponible en replay sur la chaîne 23, RMC Story.
Mme Catherine Conconne. - Je remercie Antoine Karam pour son initiative. Le trafic de drogue est un problème important en Guadeloupe et à la Martinique. Il exploite un vivier de jeunes en décrochage social et sans emploi. L'appât du gain - de 3 000 à 7 000 euros pour une mule - en fait des proies faciles. Un de mes amis a récemment perdu sa fille de dix-neuf ans dans des conditions terribles, liées à ce trafic.
Cette mission est courageuse. Nous subirons peut-être des pressions. Mais nous tiendrons bon, car il faut de la transparence, de l'engagement et toute la détermination de l'État pour contrôler ce trafic. Les moyens manquent à la Martinique, notamment des bateaux pour surveiller les côtes.
Cette mission d'information doit se donner pour objectif de mettre le doigt là où ça fait mal et d'ouvrir des perspectives pour lutter contre le trafic de drogue.
Mme Victoire Jasmin. - Je remercie tous ceux qui contribueront à construire la dynamique de cette mission. Je salue particulièrement Catherine Conconne et Mathieu Darnaud.
La Guadeloupe est sérieusement touchée par le trafic de drogue qui transite depuis la Guyane. Des trafiquants ont été arrêtés à l'aéroport. Les jeunes ne sont pas les seuls à être touchés ; il y a aussi des mères de famille et des gens plus âgés. Le trafic fonctionne comme un business, autour d'un réseau organisé. Il constitue une source de revenus, mais qui empoisonne la vie des familles. Il tue les mules, mais il tue aussi ceux qui ingèrent ces substances fatales.
La lutte contre le trafic passe par la prévention et l'adaptation de la législation. Les moyens manquent, qu'il s'agisse de la police ou de la gendarmerie. Le cabotage entre les îles facilite le déplacement des trafiquants. On a même retrouvé des ballots de drogue sur le transporteur de la fusée Ariane !
M. Olivier Cigolotti, président. - Cette mission n'a pas pour objet de rédiger un énième rapport, mais de lister des propositions concrètes. Le dossier est complexe. Nous le décortiquerons point par point.
M. Michel Dagbert. - Je remercie ceux qui ont été à l'initiative de cette mission d'information. Je félicite le rapporteur et le président. Notre rapporteur l'a dit : des décisions ont été actées il y a à peine un an. J'espère que la mission pourra évaluer les effets positifs de ces décisions et identifier celles qui sont efficaces.
La dimension sociale du problème et la protection des plus jeunes sont des enjeux importants, même s'il n'y a pas que des jeunes qui se laissent entraîner dans ce type de trafic.
M. Olivier Cigolotti, président. - Nous nous retrouverons le lundi 25 mai à 18 heures pour l'audition du préfet de Guyane.
M. Antoine Karam, rapporteur. - Merci à tous pour vos encouragements. Il faut éviter que le fléau ne s'aggrave. La crise du Covid-19, qui frappe partout, contribue à faire diminuer le trafic, car il y a moins d'avions. Nous ne pouvons cependant pas nous en réjouir. Nous avons à mener un combat commun pour aboutir à des propositions concrètes. Nos jeunes doivent pouvoir nourrir d'autres espérances que celle de vivre du trafic de stupéfiants. Si tout va bien, je pourrai être à Paris avant la mi-juin.
La téléconférence est close à 16 h 30.