Lundi 27 avril 2020
- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office -
La visioconférence est ouverte à 14 h 05.
Audition de M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique, sur les initiatives numériques de l'État pour lutter contre l'épidémie de Covid-19
L'Office parlementaire d'eìvaluation des choix scientifiques et technologiques s'est reìuni, le lundi 27 avril 2020, en visioconfeìrence, pour auditionner M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique, sur les initiatives numériques de l'État pour lutter contre l'épidémie de Covid-19.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, a remercié M. Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, d'avoir accepté de consacrer du temps pour présenter à l'Office les initiatives numériques de l'État au service de la lutte contre le Covid-19. L'Office a beaucoup travaillé sur ce sujet et souhaite pouvoir éclairer pleinement le Parlement sur les enjeux, les bénéfices et les risques des outils numériques qui pourraient être déployés pour contribuer à la lutte contre l'épidémie.
Cette audition a pour but de discuter de l'utilisation du numérique dans les solutions visant à tracer les personnes potentiellement contaminées par le SARS-CoV-2, avec le double objectif de rassurer les citoyens et de permettre un retour à une situation plus normale que celle qui prévaut actuellement.
M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique, s'est réjoui de pouvoir s'exprimer devant l'Office sur un sujet aussi important dans le débat public et a indiqué partir du principe que l'Office a déjà connaissance des grandes lignes de l'application StopCovid et de son fonctionnement.
StopCovid est une application pour smartphone qui historise les contacts de proximité en enregistrant sur le téléphone, sous la forme de pseudonymes, les personnes avec lesquelles le porteur du smartphone a été en contact. Différentes architectures existent pour mettre en oeuvre une telle fonction.
Ce n'est pas une solution de géolocalisation comme ont pu en choisir certains pays européens, mais une solution reposant sur la technique Bluetooth, qui ne permet de repérer que des positions relatives, de détecter une proximité. Personne, pas même l'État, n'a accès à la liste des interactions sociales. L'utilisateur ne peut lui-même connaître ni la liste de ses interactions, ni le contact d'où aurait pu venir la contamination en cas d'alerte.
L'application permet de se déclarer positif au Covid-19 pour que les personnes avec lesquelles on a été en contact soient averties, puissent se mettre en relation avec des enquêteurs sanitaires et puissent prendre des mesures de prophylaxie pour ne pas contaminer d'autres personnes.
Pour les épidémiologistes, ces enquêtes sont le seul moyen d'éviter la reprise de l'épidémie et un nouveau confinement, avec ses conséquences économiques et sociales, voire démocratiques. Elles ont été réalisées à petite échelle en France, notamment aux Contamines-Montjoie, et à très grande échelle en Corée du Sud, qui a mis en place pour cela une organisation quasi industrielle. Elles devront être mises en oeuvre par tous les pays du monde. Les exemples japonais, chinois ou singapourien montrent que les tests et les masques, s'ils sont nécessaires, ne sont pas suffisants. Il est également indispensable de mettre en place un système d'enquête sanitaire, humain et peut être technique.
Les enquêtes sanitaires sont menées sous forme d'un entretien en face-à-face ou téléphonique, ce qui n'implique donc aucune exigence pour les individus concernés en termes de connectivité ou de possession d'un smartphone. Ainsi, aux Contamines-Montjoie, des enquêteurs sont allés voir les personnes identifiées ou leur ont téléphoné. Ces enquêtes se heurtent néanmoins à plusieurs difficultés, dont deux significatives. D'une part, en raison du stress lié à la contamination, les individus porteurs du virus ne se souviennent pas de l'ensemble des personnes croisées, même parmi leurs connaissances, ne serait-ce que dans les cinq derniers jours. De fait, en dehors des périodes de confinement, le nombre de contacts quotidiens peut être de vingt à quarante, d'après les spécialistes. D'autre part, dans les zones urbaines denses, notamment dans les transports en commun, les lieux publics et les commerces, retrouver les personnes croisées s'avère impossible. Par exemple, personne ne serait capable d'identifier les passagers rencontrés par un patient dans le métro. Au mieux, ceux-ci seront symptomatiques et contamineront d'autres personnes durant quelques jours, avant d'être testés et isolés. Au pire, ils seront asymptomatiques et en contamineront un très grand nombre. C'est un cas de figure où l'application trouve toute son utilité : pour une population urbaine, active, empruntant les transports en commun, qui se croise dans des lieux de forte densité.
Il faut bien comprendre comment l'application sera utilisée. Certains commentateurs politiques, probablement insuffisamment informés, affirment qu'il faudrait que 60 % au moins de la population utilisent l'application pour qu'elle soit efficace. Ce taux n'a aucun sens, comme l'a clairement indiqué Christophe Fraser, épidémiologiste à Oxford, directeur de l'étude qui a été publiée sur ce sujet dans la revue Science1(*). Dès que l'application commence à être diffusée et utilisée, notamment en zone urbaine, elle permet de toucher des personnes que les enquêtes sanitaires ne pourraient jamais atteindre d'une autre façon. Ces quelques pourcents ou quelques centaines de personnes pourront entrer dans un processus sanitaire, alors qu'elles en resteraient exclues faute d'application. Bien sûr, plus sa diffusion sera large, plus l'application sera utile, parce qu'elle permettra de toucher plus de monde. La question d'un taux minimum de diffusion dans la population n'a donc pas grand sens, ainsi que les plus éminents épidémiologistes et de nombreux personnels sanitaires l'ont rappelé dans une tribune parue le 25 avril dans le quotidien Le Monde.
Pour autant, l'utilité indéniable de cette application ne donne évidemment pas un blanc-seing au Gouvernement sur les conditions de son déploiement. Toutes les garanties sont prises pour que la vie privée soit préservée : l'installation de l'application est volontaire ; l'application est non identifiante, car compte tenu du protocole choisi, il n'existe nulle part de liste des personnes infectées, y compris sur un serveur central ; personne n'a accès à la liste des interactions sociales d'un utilisateur de l'application, car celui-ci n'est alerté que dans la mesure où il a été en contact avec une personne infectée, et il ne reçoit cette information que pour être averti du risque qu'il court et qu'il peut faire courir à ses proches ; enfin, les données seront effacées après un nombre de jours déterminé, qui sera fixé par les épidémiologistes, en fonction des connaissances sur la temporalité de l'infection. Évidemment, l'application n'a pas vocation à réaliser d'autres opérations que celles décrites ici, ou à être déployée au-delà de l'épidémie.
Enfin, ce projet est totalement transparent. Le protocole développé par l'INRIA et l'Institut Fraunhofer, dénommé Robert, a été publié voici une dizaine de jours. L'application sera open source, ce qui implique que tout informaticien pourra examiner son code et assurer à la société civile qu'elle fait bien ce que le Gouvernement annonce. Pour la partie serveur, dont le code est nécessairement moins accessible, le Gouvernement souhaite installer un comité de suivi et de transparence, composé d'organisations non gouvernementales, de spécialistes du numérique, de parlementaires, de juristes, etc. Ce comité aura toute latitude pour faire réaliser les audits techniques qui permettront de garantir aux Français que l'ensemble de l'architecture est conforme aux objectifs affichés.
Ce projet est un projet interétatique européen. Y travaillent en effet les Anglais, les Italiens, les Espagnols, les Français et les Allemands, ainsi que les Luxembourgeois et les Monégasques, ou encore les Estoniens. Au demeurant, la France a demandé, par la voix du secrétariat d'État au numérique, qu'une réunion du Conseil de l'Union européenne « Télécommunications » se tienne début mai, afin de mieux coordonner les efforts européens. Un lien étroit a été établi avec le commissaire Thierry Breton, car le sujet entre dans son champ d'attributions.
Un débat a lieu, au sein de la communauté scientifique, sur les risques que présentent les deux types de protocoles pouvant être utilisés, à savoir le protocole décentralisé DP3T et le protocole centralisé Robert.
À l'origine, la France et l'Allemagne ont étudié les deux protocoles, avant même que Google et Apple n'entrent dans le débat. Au tout premier stade, les Suisses préconisaient un protocole décentralisé et les Allemands un protocole centralisé - la France ne s'est en effet jointe à la réflexion qu'une semaine après eux.
Selon les estimations concordantes de l'INRIA, de l'Institut Fraunhofer, de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) et de son homologue allemand, le protocole Robert offre plus de garanties, tant dans le domaine de la protection de la vie privée qu'en matière d'interactions avec le système de santé.
D'abord, même s'il n'y a pas de solution technique sans défaut, le protocole Robert se borne à enregistrer, sous forme de pseudonymes, l'historique des contacts de chaque individu sur son téléphone au gré de ses allées et venues. Cet historique n'existe que sur son téléphone. Le jour où l'utilisateur est déclaré positif au Covid, son application envoie cette liste de pseudonymes de contacts sur un serveur central. Ce dernier centralise donc, sous forme de pseudonymes, les contacts de toutes les personnes testées positives, mais non la liste de ces personnes elles-mêmes. Des listes de contacts cohabitent ainsi sur un serveur central, sans qu'il soit possible de les relier à une quelconque personne testée positive. Régulièrement, chaque téléphone sur lequel est installée l'application consulte le serveur pour savoir si l'un de ses propres pseudonymes n'est pas présent dans ces listes. Le cas échéant, le téléphone se voit notifier immédiatement que son possesseur a été en contact avec une personne testée positive au Covid.
Voilà comment fonctionne le protocole Robert. Il n'y a nulle part de liste des personnes contaminées. Il y a certes un serveur central sur lequel sont stockées les listes des pseudonymes des contacts des personnes contaminées. Mais, de ce fait, il n'existe pas de liste des personnes contaminées elles-mêmes, sur laquelle un groupe de hackers ou une agence de renseignement pourrait mettre la main après s'être introduit frauduleusement sur le serveur. C'est un avantage très important par rapport à la solution dite « décentralisée ».
Le protocole DP3T, promu par les Suisses et favorisé par Apple et Google, prévoit d'emmagasiner de la même manière l'historique des pseudonymes des contacts sur le téléphone de l'utilisateur. Si celui-ci est déclaré positif au Covid, son propre pseudonyme est communiqué, non à un serveur central, mais à un outil répartiteur (dispatcheur), qui le renvoie à l'ensemble des téléphones sur lesquels l'application est installée. Chaque téléphone rapproche alors le pseudonyme reçu de la liste des pseudonymes de contacts qu'il a stockés, pour voir s'il y apparaît.
Par conséquent, l'ensemble des pseudonymes des personnes contaminées au niveau européen est transmis à l'ensemble des téléphones des citoyens européens... Cela doit amener à considérer de plus près le mot « décentralisé ». Car ce que l'on décentralise ici, c'est... une centralisation.
Évidemment, l'application est protégée et cryptée. Mais tant l'INRIA que l'ANSSI considèrent que ce type d'architecture est vulnérable à des attaques telles que l'« attaque du paparazzi ». Celle-ci consiste à exploiter la liste des pseudonymes des gens testés positifs afin de savoir, au prix de quelques manipulations, si votre voisin d'immeuble est contaminé ou de connaître le nombre de personnes contaminées dans votre immeuble. Cela n'est pas possible avec le protocole Robert, puisqu'avec lui il n'existe pas de liste de personnes contaminées. C'est pourquoi l'INRIA et l'ANSSI, en lien avec l'Institut Fraunhofer, estiment que le protocole décentralisé n'est pas une option acceptable au regard de la protection de la vie privée.
Sur ces entrefaites, Apple et Google sont entrés dans la discussion, au moment où les autorités étaient de plus en plus inquiètes de la situation à Singapour, où l'application s'avère ne pas fonctionner, ou très mal, sur iPhone : en effet, les iPhones ne permettent pas d'utiliser la connexion Bluetooth en arrière-plan de façon continue. Or une détection efficace des contacts suppose que l'application soit opérationnelle non par intermittence, mais en permanence, et il n'est pas possible d'en faire en permanence la tâche de premier plan, car la personne doit évidemment pouvoir utiliser son smartphone à autre chose.
Apple et Google ont proposé de travailler à une architecture technique qui permette de mieux intégrer et interconnecter les iPhones et les smartphones Android. Mais ils ont refusé de travailler à un protocole centralisé, préférant les options retenues par DP3T. Telle est la condition qu'ils ont posée à leur coopération. La discussion n'était pas facilitée par le fait qu'à ce moment-là, les Suisses étaient encore présents dans le consortium et qu'ils discutaient donc en parallèle, d'un côté avec Apple et Google, de l'autre avec nous.
La France et l'Allemagne ont opposé une fin de non-recevoir aux propositions d'Apple et Google. Elles ont, de manière souveraine, après avoir consulté leurs autorités de santé et pris en considération leurs systèmes d'information, considéré que le protocole promu par ces entreprises n'était pas protecteur des citoyens et qu'il ne permettait pas un interfaçage efficace avec les organisations sanitaires. Elles ont donc demandé de modifier la manière dont fonctionnent les iPhones - les téléphones fonctionnant sous Android posent moins de problèmes.
Ce débat est encore en cours. Mais il n'y aura pas d'application française qui fonctionne sur l'interface de programmation d'application (API) développée par Apple et Google, dans la mesure où celle-ci contraint à utiliser le protocole DP3T. Cela pourrait aboutir, dans certains cas, à ce qu'une telle application ne puisse être déployée que sur 80 % des téléphones, à savoir ceux fonctionnant sous Android. Cela serait très insatisfaisant, mais ce serait déjà mieux que rien, dans un contexte où chaque alerte envoyée à un cas contact réduit le risque de transmission du virus.
Cependant, on peut encore espérer faire entendre raison à Apple. Cet espoir est raisonnable, dans la mesure où la discussion est menée de manière coordonnée avec l'Italie, l'Espagne, la Commission européenne et l'Allemagne.
Revenons à l'Allemagne, dont les positions ont pu paraître surprenantes. Il y a seulement trois jours, un porte-parole indiquait que ceux qui « préfèrent les États » devraient passer par un système centralisé, tandis que ceux qui « préfèrent Apple et Google » devraient passer par un système décentralisé. Cette présentation rapide a le mérite de mettre l'accent sur la nature de l'instance décisionnelle ultime en matière d'application sanitaire.
Mais, ce dimanche, l'Allemagne a annoncé vouloir travailler à une solution décentralisée, tout en donnant à cette déclaration une formulation assez sibylline. La raison de cette volte-face n'est pas technique : le gouvernement allemand demeure persuadé que l'application centralisée est la meilleure solution pour protéger la vie privée des citoyens. La raison est politique : les partisans d'une application décentralisée risquaient d'avoir un poids assez important dans la coalition gouvernementale. Cependant, au-delà des effets d'annonce, le lien entre les équipes françaises et les équipes allemandes n'est pas rompu. Elles continuent à travailler à une solution qui soit la plus proche et la plus interopérable possible.
Quoi qu'il en soit, la position des autorités allemandes ne remet pas en cause l'utilité de l'application comme élément d'un système sanitaire global pour contrôler l'épidémie ; elle ne fait qu'ouvrir la possibilité d'une application qui, le cas échéant, ne serait pas interopérable avec la solution retenue par la France. Cela traduirait une coordination européenne clairement sous-optimale, inconvénient certain mais cependant secondaire par rapport à l'utilité réelle de l'application. On ne peut que regretter ces atermoiements, d'autant que la nouvelle position allemande n'a pas été communiquée aux autorités françaises avant d'être rendue publique. Les discussions avec les autorités allemandes continuent et l'on peut espérer que sera finalement mise en oeuvre l'architecture initialement évoquée, en lien avec l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et d'autres pays européens. Tenir la date du 11 mai est un défi compliqué, mais n'est pas impossible. Il faudra en effet tester l'application pour vérifier son bon fonctionnement et son calibrage.
Les entités les plus impliquées dans le projet d'application StopCovid en France sont : l'INRIA, qui assure la maîtrise d'ouvrage et qui est spécialement chargé des algorithmes et de l'interfaçage avec les pays européens ; CapGemini, qui est chargé de la maîtrise d'oeuvre, de l'infrastructure globale et de l'architecture du projet ; Dassault Systèmes, qui héberge les données - il n'y a donc pas d'interférences possibles à l'égard du Cloud Act - ; Orange, qui s'occupe de la partie applicative, de l'interfaçage avec les téléphones et des questions de connectivité. Deux start-up françaises sont aussi très impliquées : Lunabee Studio réalise l'interface utilisateur en tant que telle et Withings, entreprise connue dans le monde de l'« Internet des objets » - les objets connectés -, travaille sur la capacité à déployer une solution qui ne passe pas par les smartphones. Cette solution ne serait pas disponible le 11 mai, mais plus probablement vers le 15 juin. Elle aurait l'avantage de pouvoir être déployée au profit des personnes n'ayant pas de smartphone ou ne sachant pas s'en servir. Mais la capacité à réussir ce dernier projet reste sujette à caution et son industrialisation serait compliquée.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, a remercié M. Cédric O pour les informations détaillées ainsi portées à la connaissance de l'Office.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a relevé que les États européens se sont accordés sur le protocole Robert, mais que plusieurs acteurs développent néanmoins leurs projets séparément. Des équipes allemandes développent-elles en parallèle leur propre solution ?
M. Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, a rappelé que les différents projets sont fondés sur des briques communes, notamment le recours à la technique Bluetooth et l'exigence d'interopérabilité.
L'interopérabilité est d'abord liée à l'architecture choisie. Il n'est pas certain que DP3T soit interopérable avec le protocole Robert. Pour être certain de l'interopérabilité, il faut s'appuyer sur la même architecture. C'est pourquoi Italiens, Français et Allemands travaillaient sur une même base, même si les applications qui en découleront ne seront pas forcément identiques. Cela tient aussi à ce que la définition d'un cas contact n'est pas la même d'un pays à l'autre, non plus que les critères d'inclusion d'un cas positif dans l'application. Les messages officiels diffèrent eux aussi, de même que les conséquences qui en sont tirées sur le plan sanitaire.
Même si l'infrastructure est commune, la partie émergée de l'iceberg ne l'est donc pas forcément. Ainsi une équipe allemande développe une interface allemande et une équipe française développe une interface française.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, s'est interrogé sur le rôle de l'INRIA : l'Institut travaille-t-il pour la seule partie française ou dans un cadre plus large ?
M. Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, a indiqué que l'INRIA et l'Institut Fraunhofer effectuent des développements parallèles, mais communiquent régulièrement. Par exemple, les équipes allemandes ont réalisé un travail très important sur la calibration du Bluetooth, c'est-à-dire sur la manière dont est calculée la distance entre deux smartphones, point qui a longtemps constitué une difficulté importante. Elles ont communiqué leurs résultats à l'INRIA et celui-ci a pu les exploiter dans le cadre du projet français.
Chacun a ensuite poursuivi ses développements propres. Il y a donc à la fois de la coordination et des travaux parallèles. Le but est d'aboutir à des applications certes interopérables, mais dont l'utilisation se fera essentiellement dans un cadre sanitaire national.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a souligné l'importance du fait que deux protocoles différents existent pour une application de type StopCovid. L'attention a été attirée sur les critiques faites au protocole Robert, notamment celles formulées par un collectif de chercheurs dans le texte « Le traçage anonyme, dangereux oxymore. Analyse de risques à destination des non-spécialistes ». Le protocole DP3T est certes décentralisé, mais conduit à copier sur le téléphone de chaque utilisateur la base de données des personnes contaminées. Dans le protocole Robert, une telle base n'existe pas. L'ANSSI estime que ce protocole est donc le plus sûr face aux attaques de pirates. Que répondent à cela Google, Apple ou les équipes suisses ?
M. Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, a relevé que le document évoqué, disponible sur le site risques-tracage.fr, énumère des failles possibles, mais que certaines sont déjà prises en compte par le protocole. Par exemple, celui-ci ne permet pas de notifier une alerte à une personne dont les contacts ont été trop peu nombreux. Le scénario « paparazzi » présenté dans le document ne peut donc pas se réaliser, puisqu'il consiste à placer un téléphone dédié à côté d'une célébrité de sorte qu'une alerte signifiera que c'est cette célébrité, contact unique du téléphone, qui est infectée. Certaines « failles » ne sont que pures hypothèses.
Pour autant, d'autres failles évoquées dans le document ne font pas débat. Chacune des solutions, Robert et DP3T, présente des inconvénients qui sont appréciés diversement selon les pays. Apple, Google et les équipes suisses ne nient pas que DP3T est sensible au « risque paparazzi », mais ils estiment que ce risque est préférable à celui qui résulte du transit des données par un serveur central placé sous le contrôle d'un État, comme c'est le cas avec le protocole Robert. Cela exprime des préférences collectives différentes et, en quelque sorte, clôt le débat.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a estimé que Google et Apple craignent d'ouvrir des droits qui les conduiraient à devoir demain fournir des solutions à des États qui surveillent leurs citoyens.
M. Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, a admis que c'était, en effet, une préoccupation d'Apple et de Google - car, sur un plan purement technique, il ne serait pas très difficile à ces entreprises d'accéder à la demande du gouvernement français. Mais ce serait pour Apple créer un précédent. Apple ne veut pas ouvrir un accès permanent au Bluetooth afin d'éviter qu'un État puisse surveiller ses citoyens. Il considère qu'il ne peut pas accepter d'ouvrir cet accès à des pays tels que le nôtre et le refuser à d'autres. C'est un argument qu'un État démocratique ne peut pas entendre, surtout dans un temps de crise. Qu'Apple argue ainsi de sa qualité d'entreprise privée pour décliner tout engagement, pour refuser de choisir, voilà qui témoigne d'une extrême inconséquence. Même dans un secteur aussi sensible que l'armement, les entreprises ont la possibilité de choisir leurs clients et d'ajuster leur offre. Mais Apple paraît envisager autrement les rôles respectifs des États et des entreprises privées.
Pour éviter de se retrouver dans une position délicate vis-à-vis d'autres pays, l'entreprise pourrait au demeurant déléguer la décision d'ouvrir l'accès au Bluetooth à une tierce autorité, comme le Comité européen de la protection des données (CEPD). Il reviendrait à cet équivalent européen de la CNIL de certifier, tous les trois mois, que l'application française reste respectueuse des libertés publiques et mérite de demeurer sur sa « liste blanche ». En refusant de faire aucune distinction entre les États, Apple se soustrait à ses responsabilités. C'est dramatique dans la crise sanitaire que nous vivons, alors que des dizaines de milliers de personnes décèdent sur le sol européen.
M. Julien Aubert, député, a interrogé le secrétaire d'État sur le statut des données qui seront générées par l'application.
M. Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, a confirmé qu'il s'agissait de données de santé.
M. Julien Aubert, député, s'est interrogé sur le fait que ces données de santé puissent être hébergées par une entreprise d'armement, de droit privé, dépourvue de tout lien avec une activité médicale.
M. Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, a précisé que Dassault Systèmes n'est pas une entreprise d'armement, mais une entreprise de logiciels informatiques, impliquée depuis longtemps dans la production de services numériques pour le secteur médical - elle est connue pour la réalisation de simulations du système cardiovasculaire. Son expertise a été enrichie par la récente acquisition de l'entreprise américaine Medidata, ce qui en fait l'une des meilleures entreprises de logiciels au niveau mondial dans le domaine de la santé. L'entreprise a donc des activités totalement distinctes de celles du groupe Dassault, même si elle a des liens capitalistiques avec celui-ci.
M. Julien Aubert, député, a demandé des précisions sur l'appartenance des données générées par l'application StopCovid, au regard des modalités de leur hébergement. Si une entreprise privée les héberge, ces données ne risquent-elles pas d'être utilisées par celle-ci ou par ses filiales, comme pourraient le faire des filiales des GAFAM ?
S'agissant de données de santé, il semblerait plus pertinent que la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) héberge ces données, comme elle le fait déjà pour beaucoup d'autres données médicales. Pourquoi, dans un système centralisé, ne pas faire confiance à la Sécurité sociale - qui n'est d'ailleurs pas l'État ? Un tel dispositif pourrait tirer avantage du fait que la CNAM connaît déjà le numéro d'identification spécifique à chaque individu, et serait alors en mesure d'alerter directement ceux ayant été en contact avec une personne signalée positive au Covid-19. Un dispositif public est préférable à une intervention des entreprises privées, même si celles-ci sont françaises.
M. Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, a rappelé que tout le protocole repose sur l'anonymat : un crypto-identifiant est généré par l'application, ce qui rend les données non identifiantes. Elles le seraient si le numéro de sécurité sociale leur était associé. Il est vrai que l'anonymisation totale des données rend la solution moins efficace, d'un point de vue sanitaire. D'autres pays, asiatiques mais aussi européens, ont fait le choix de systèmes moins anonymes et plus intrusifs, mais plus efficaces sur le plan sanitaire. En tout état de cause, un stockage de données identifiantes n'aurait probablement pas été approuvé par la CNIL, compte tenu de la législation française.
S'agissant de l'hébergement des données par une entreprise privée, en l'espèce Dassault Systèmes, il faut rappeler que le ministère des solidarités et de la santé reste le responsable légal du traitement des données. L'entreprise Dassault Systèmes a été choisie car elle est bien meilleure que l'État pour déployer une solution de serveur cloud sécurisé. L'entreprise, dont les solutions PLM (Product Lifecycle Management - Gestion du cycle de vie d'un produit) sont utilisées par de très nombreuses entreprises industrielles à travers le monde, est soumise à des milliers d'attaques informatiques chaque jour ; elle est donc rodée à la sécurisation des données. Ses capacités de résilience aux attaques informatiques vont bien au-delà de celles de la CNAM. Choisir la meilleure entreprise française du domaine nous apporte les meilleures garanties.
M. Ronan Le Gleut, sénateur, a indiqué qu'une lettre ouverte, signée par 140 experts en sécurité informatique, du CNRS, du CEA, de l'INRIA et de différentes universités, alertait sur le fait que l'application StopCovid, retraçant les interactions des individus, permettrait de reconstituer ce que l'on appelle le « graphe social ». Les solutions sur lesquelles travaillent les équipes françaises apportent-elles toutes les garanties au regard des inquiétudes ainsi manifestées ?
M. Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, a assuré que toutes les garanties possibles sont apportées. Dans le cadre institutionnel et démocratique actuel, l'action du Gouvernement est contrôlée par des contre-pouvoirs et un usage illégal des données est impossible.
Néanmoins, toute solution informatique comporte des risques, tels que ceux pointés par les experts en sécurité informatique. À ce stade, une mise au point s'impose si l'on veut clarifier quelque peu les termes du débat : il n'appartient pas aux experts du numérique de dire si une application est utile ou non pour sortir d'une épidémie. Leur rôle est d'alerter sur de potentielles failles ou d'argumenter en faveur d'une solution plutôt qu'une autre, sur la base des garanties de sécurité qu'elles apportent. Cette expertise est reconnue et bienvenue. Néanmoins, la décision relative à l'utilité de l'application dans la lutte contre l'épidémie de Covid-19 revient aux épidémiologistes, seuls compétents en la matière.
C'est à la CNIL et aux juristes qu'il revient de dire si celle-ci respecte nos lois, nos règles et nos valeurs - la CNIL l'a d'ailleurs fait le week-end dernier, estimant que la solution envisagée était proportionnée au regard des circonstances actuelles.
Enfin, compte tenu de ces informations et de l'ensemble des options disponibles, c'est aux responsables politiques qu'il appartient de prendre la décision finale - en l'occurrence le choix entre un déconfinement suivi d'un reconfinement, et un déconfinement associé à certains outils, dont une application, visant à éviter un reconfinement.
À cet égard, ceux qui, dans l'écosystème numérique, indiquent ne « jamais » vouloir céder au suivi par une application ont beau jeu d'invoquer les grands principes libertaires, car ils n'en assument en aucune manière les conséquences, qu'il s'agisse du nombre de victimes ou d'un nouveau confinement.
M. Pierre Ouzoulias, sénateur, a souligné qu'une application telle que StopCovid sera nécessairement complémentaire des enquêtes sanitaires, qui resteront la base de la lutte contre la pandémie. C'est d'ailleurs ce que démontre l'exemple de la Corée du Sud, État démocratique qui connaît le prix des libertés publiques et a eu recours à cette solution. En France, l'État sait aussi se donner les moyens nécessaires quand la situation l'exige : 32 maladies infectieuses sont ainsi soumises à déclaration obligatoire et donnent lieu systématiquement à une enquête sanitaire qui permet de remonter les chaînes de contamination.
Le choix fait par le Gouvernement de garantir un degré élevé d'anonymat n'est-il pas, justement, contradictoire avec cet objectif d'identification des chaînes de contamination ?
Ensuite, que répondre à l'objection de la CNIL, qui, dans son récent avis, a relevé que l'algorithme 3DES n'est pas recommandé par l'ANSSI car il ne garantit pas un chiffrement suffisamment sécurisé et qu'il ne devrait donc plus être utilisé ?
Enfin, alors qu'Apple persiste dans son opposition à toute forme d'interopérabilité et n'entend pas céder aux demandes des pouvoirs publics, il apparaît urgent que la France se préoccupe de sa souveraineté numérique, sujet qui a été analysé de façon très approfondie par une récente commission d'enquête du Sénat.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a estimé que, si le Covid-19 devait être inscrit au nombre des maladies à déclaration obligatoire, ce que plusieurs professionnels demandent, il faudrait - comme le suggère l'Ordre des médecins - que la déclaration soit faite par le médecin lui-même pour des raisons d'efficacité, via le système d'information de l'assurance-maladie ou du ministère de la santé. Cela n'implique pas que le fichier ainsi constitué soit le même que celui qui serait issu de la mise en oeuvre de StopCovid.
M. Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, a indiqué qu'il n'était pas envisagé de faire du Covid-19 une maladie à déclaration obligatoire, tout en rappelant que seul le ministre des solidarités et de la santé était compétent sur le sujet.
S'agissant de l'apparente contradiction entre l'objectif de garantie de l'anonymat et la nécessité de remonter les chaînes de contamination, le Gouvernement assume son choix de privilégier la protection des libertés publiques. Ce choix pourrait susciter un débat, mais la culture française fait que ce n'est pas le cas.
Certes, l'efficacité de cette application dépend du nombre de ses utilisateurs ; mais dès lors qu'elle commencera à être diffusée, notamment dans les villes ou auprès de personnes qui auront été sensibilisées aux bénéfices qu'elle apporte, elle sera utile, même si elle ne touche que quelques pourcents de la population française et quelques dizaines de pourcents dans les villes. Le Gouvernement fera donc tout pour déployer cette application aussi largement que possible, une fois que tous les paramètres en auront été validés. Pour ce faire, il sait pouvoir compter sur la mobilisation de nombreux acteurs, comme les élus de France urbaine, ainsi que les élus des autres collectivités locales, très demandeurs d'une telle solution du fait des risques propres aux transports en commun, les agences régionales de santé (ARS), les professionnels de santé ou encore les associations caritatives, soucieuses de toucher des publics peu équipés en outils numériques.
Si les Français parviennent à être rassurés sur les garanties que l'application présente, ils l'installeront. Ne s'agit-il pas d'une application non risquée, qui permet non seulement de savoir si l'on prend des risques pour soi, mais aussi si l'on en fait courir à ses proches ?
S'agissant des réserves de la CNIL sur l'algorithme 3DES, il n'a pas semblé que celles-ci soient dirimantes, mais il est trop tôt pour apporter une réponse définitive à ce stade. Le sujet est étudié par l'ANSSI.
S'agissant de la souveraineté numérique, la crise actuelle montre avec encore plus de force la dépendance de la France aux outils américains, en l'absence d'outils européens de qualité équivalente. On peut être impressionné par la qualité de certains outils de visioconférence proposés par des sociétés américaines ; toujours est-il que toutes les garanties ne sont pas nécessairement au rendez-vous. Après avoir étudié différentes solutions françaises, le Gouvernement vient d'ailleurs de décider d'utiliser une solution proposée par Orange.
S'agissant des modalités de déclaration, nous travaillons à un système d'information très robuste capable de gérer les alertes associées à plus de 100 000 tests par jour. Un patient testé positif pourra se signaler dans l'application, en scannant avec son smartphone le QR code non-identifiant figurant sur le document qui lui sera remis. Certes, rien ne garantit que celui qui scannera le QR code et le patient infecté seront bien la même personne, mais c'est là une conséquence indépassable d'un système que le Gouvernement a tenu à organiser sur une base volontaire.
Mme Florence Lassarade, sénatrice, a demandé si les collégiens et lycéens, dont le retour en établissement est imminent, seraient autorisés à communiquer eux-mêmes leurs données s'ils sont déclarés positifs ou s'il leur faudrait l'accord de leurs parents.
M. Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, a estimé que, compte tenu des modalités prévues pour le traitement des données, il ne devrait pas y avoir d'obstacle à ce que les mineurs puissent s'équiper de StopCovid - la solution inverse ferait d'ailleurs fi de ce qu'ils semblent être, en l'état des connaissances, un facteur important de diffusion du virus. Au demeurant, les enquêtes sanitaires sont traditionnellement réalisées par entretien direct ou téléphonique, ce qui concerne les mineurs comme les majeurs. Anne Genetet, membre de l'Office, qui a réalisé de telles enquêtes sanitaires, pourrait faire part à l'Office de son expérience. Cela pourrait utilement éclairer le fait que cette application est singulièrement mieux disante que les enquêtes traditionnelles au regard de la protection de la vie privée.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, a remercié M. Cédric O pour la richesse des informations apportées à l'Office au cours de cette audition et indiqué que celle-ci l'avait conforté dans son opinion favorable à une politique d'alerte numérique volontaire, dans le respect des conditions présentées par le secrétaire d'État.
La visioconférence est close à 15 h 10.
Jeudi 30 avril 2020
- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office -
La visioconférence est ouverte à 9 h 40.
Examen d'un projet de note sur la modélisation épidémiologique au service de la lutte contre l'épidémie de Covid-19
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques s'est réuni, le jeudi 30 avril 2020, en visioconférence, pour examiner un projet de note sur la modélisation épidémiologique au service de la lutte contre l'épidémie de Covid-19.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, a remercié les membres de l'Office de se prêter à nouveau à l'exercice de la visioconférence. Après avoir souhaité savoir si des éléments nouveaux avaient émergé depuis la dernière réunion de l'Office - notamment sur la contagiosité des enfants, l'acquisition d'une immunité et la maîtrise de « l'orage immunitaire » -, il a invité Cédric Villani à présenter le projet de note sur la modélisation qui a été communiqué la veille aux membres de l'Office.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a indiqué que les entretiens qu'il avait conduits ces derniers jours dans le cadre de la veille sur l'épidémie de Covid-19 méritaient effectivement une brève présentation.
Il y a une semaine seulement, on disait que les enfants étaient moins contagieux que les adultes. Ces deux derniers jours, les informations sont devenues plus confuses, voire contradictoires. Pas plus tard qu'aujourd'hui, le célèbre professeur Drosten, virologue à l'hôpital de la Charité de Berlin, a indiqué que les charges virales ne sont pas moins importantes chez les enfants que chez les adultes. En Allemagne, les autorités se demandent si elles ont bien fait de commencer à rouvrir les écoles. Partout en Europe ont été rapportés des cas d'enfants hospitalisés avec des syndromes d'inflammation cardiaque très inhabituels, évoquant le syndrome de Kawasaki, maladie rare.
On parle aussi de thrombose, de coagulation, d'inflammation généralisée, etc. Il est question, en particulier, d'inflammation de l'endothélium. L'attaque virale a des effets délétères aussi bien sur les poumons, le coeur, les vaisseaux et les reins que le cerveau, par le biais d'inflammations et par la formation de caillots. Les symptômes et le tableau clinique de la maladie sont plus divers que ce qui apparaissait au début de l'épidémie.
Le centre national de référence n'a pas encore publié les résultats des évaluations qu'il a effectuées sur les sérums et les tests sérologiques. Apparemment, les analyses sont terminées et la publication des évaluations ne devrait plus tarder Ces tests sont au coeur d'enjeux industriels importants, au-delà de leur intérêt pour la santé publique.
En ce qui concerne le protocole Discovery, la publication des résultats intermédiaires ne paraît pas être à l'ordre du jour. Les résultats à ce stade ne sont sans doute pas encore assez clairs pour faire l'objet d'une communication.
Par ailleurs, le débat sur l'application de traçage numérique confronte chacun à un haut niveau de complexité scientifico-politique. Vous savez que deux protocoles, l'un centralisé, l'autre décentralisé, sont sur la table et donnent lieu à d'intenses discussions. Après avoir soutenu, avec la France, l'architecture centralisée, l'Allemagne s'est tout récemment déclarée favorable à une architecture décentralisée, tandis que le pilotage du projet y passait de l'Institut Fraunhofer à l'Institut Robert-Koch.
Les autorités de sécurité des systèmes d'information accordent une préférence au modèle centralisé, mais il y a une telle force de conviction dans la communication déployée par la communauté des développeurs en faveur du modèle décentralisé que celui-ci est en train de gagner du terrain. Seules la France et la Grande-Bretagne poursuivent désormais un projet fondé sur une architecture centralisée.
En tout état de cause, il paraît clair que l'application française ne sera pas prête mi-mai et qu'elle ne le sera peut-être pas avant début juin.
Dans ce contexte foisonnant, l'Office doit poursuivre ses travaux et le programme des auditions à venir est à cet égard conséquent : il est notamment prévu d'approfondir les réflexions sur le projet d'application StopCovid, de solliciter des intervenants étrangers pour mieux apprécier les modalités de gestion de crise dans leur pays et de recueillir des informations supplémentaires sur le dispositif humain qui sera mis en place pour identifier les cas contacts et reconstituer les chaînes de contamination.
Pour élargir ce qui a été entrepris jusqu'ici, nos collègues Jean-Luc Fugit et Pierre Ouzoulias se lancent dans la rédaction de deux notes : le premier sur les questions de pollution liées à la crise du Covid-19, le second sur la façon dont les sciences humaines appréhendent l'épidémie. Par-delà sa dimension dramatique, cette crise touche tous les champs du savoir, tous les domaines de la vie en société.
J'en viens à la présentation de la note sur la modélisation épidémiologique. Il s'agit d'assurer une représentation mathématique de l'épidémie et de déterminer son évolution en fonction de cadres conceptuels et de paramètres caractérisant les processus d'infection et de guérison. La modélisation épidémiologique est une science qui a environ un siècle d'existence et vise à évaluer l'incidence de l'épidémie dans une population pour mieux apprécier sa dynamique et anticiper les besoins en matière d'hospitalisation à court et à long terme.
La modélisation épidémiologique permet aussi d'évaluer l'impact des mesures destinées à limiter la propagation de l'épidémie. Mais il y a beaucoup d'incertitudes. Certains phénomènes, comme l'intensité des relations sociales, sont difficiles à faire entrer dans une modélisation mathématique. Les paramètres sont souvent difficiles à déterminer. La modélisation ne se concentre pas sur l'individu, mais sur la foule, les modèles prenant en compte le comportement moyen des individus.
La modélisation épidémiologique se heurte à de nombreuses incertitudes, mais c'est le seul outil dont nous disposons pour estimer le nombre à venir de malades ou la gravité d'une épidémie. Au fond, dans cette crise du Covid-19, c'est la modélisation qui a été le déclencheur de la décision inédite de confinement. Ce n'est pas la gravité de la maladie en tant que telle, mais la crainte d'atteindre la limite des capacités d'accueil du système de santé qui a guidé la décision.
Ce qui a prévalu est le souci d'éviter une situation où certains patients seraient morts faute d'avoir eu accès aux soins. Édouard Philippe et Olivier Véran ont commencé leur dernière conférence de presse en évoquant la capacité du système de santé. Car c'est le déterminant fondamental qui guide tout le reste. C'est l'épidémiologie qui doit avoir le dernier mot.
Les modèles épidémiologiques les plus utilisés sont des modèles compartimentaux. On répartit la population en différentes catégories. Le modèle le plus simple est celui à 3 compartiments : S (individus sains), I (individus infectés) et R (individus retirés) - cette dernière catégorie rassemblant aussi bien les patients guéris que les morts. Des équations gouvernent l'évolution de l'effectif présent dans chaque compartiment. En début d'épidémie, il y a une croissance exponentielle du nombre d'infectés. Cette dynamique a en effet été observée dans tous les pays où l'infection s'est déclarée. Si l'on avait attendu sans prendre de contre-mesures, on serait parvenu à un plateau très élevé, puis le nombre de malades aurait régressé après qu'une immunité de groupe aurait été atteinte. En France, en mettant en oeuvre des mesures de confinement, les autorités ont arrêté la progression de l'infection bien avant que ce plateau ne soit atteint.
Le paramètre important est le coefficient R0, qui correspond au nombre de personnes que chaque personne infectée peut contaminer pendant le temps où elle est contagieuse. R0 est le taux de contamination qui prévaut en l'absence de contre-mesure. Il doit être comparé au R effectif (Reff), celui qui prévaut lorsque des mesures sont prises. Le coefficient Reff dépend de différents facteurs : le nombre de contacts quotidiens, la proximité des contacts, la durée de contagion, etc. Selon qu'il est inférieur ou supérieur à 1, le système de santé peut résister à l'épidémie ou s'effondrer.
Ce coefficient Reff est entré dans le discours politique : tant Édouard Philippe qu'Angela Merkel l'ont évoqué ; c'est très inhabituel pour un concept mathématique... Ce coefficient est le paramètre plus important pour décrire la dynamique d'une épidémie.
Le projet de note insiste sur la possibilité d'élaborer des modélisations plus complexes. On peut aller vers des modèles probabilistes plutôt que déterministes. Mais on peut aussi utiliser des modèles épidémiologiques plus complets allant au-delà de 3 compartiments : les modèles que l'on utilise aujourd'hui comptent jusqu'à 11 compartiments. On peut aussi effectuer des stratifications par âge. Tous ces modèles servent à réaliser des simulations, mais aussi à formuler des recommandations.
Certaines des équipes qui ont été auditionnées ont mis en garde contre la stratégie qui consisterait à rechercher une immunité de groupe chez les personnes à faible risque. Une telle stratégie aurait obligé à confiner davantage les personnes à risque, mais sa réussite supposait des probabilités de contact entre ces deux groupes tellement faibles qu'elle en était irréaliste. C'est sur des éléments tels que ceux-ci que le conseil scientifique avait préconisé de garder les écoles fermées et de maintenir des mesures de confinement plus strictes pour les personnes âgées.
Le projet de note fait le point sur les apports et les limites de ces modèles. La façon d'estimer les paramètres numériques qui permettent les simulations apparaît cruciale. La note présente également des comparaisons et prédictions issues de certains travaux de modélisation quant à l'évolution à court et à long terme de l'épidémie, ainsi que certains résultats intéressants dans le cadre de la stratégie de déconfinement.
Cette note, qui ne fait pas l'impasse sur les incertitudes de la modélisation, est l'une des plus techniques que l'Office ait jamais eu à examiner.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, a noté, lui aussi, que les responsables politiques s'appuient sur des coefficients, tels le R0 ou le Reff, dont ils ignoraient l'existence voici encore quelques semaines.
La note révèle clairement l'insuffisante connaissance, à ce jour, de certains paramètres influant fortement sur le résultat des modélisations, comme l'impact des patients asymptomatiques et la période durant laquelle ceux-ci sont contaminants. Par ailleurs, s'il est vrai qu'en France, la mise en oeuvre des gestes barrières s'est traduite par un creusement de l'écart entre le R0 et le R effectif, il serait intéressant de bénéficier d'un éclairage sur l'effet des différentes politiques menées actuellement dans des pays relativement transparents, tels que la Corée du Sud, le Japon, Taïwan ou Singapour.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a indiqué qu'il était difficile de connaître les R effectifs de ces pays. La Corée du Sud maîtrise tellement bien l'épidémie qu'il devient délicat d'y réaliser des statistiques. De plus, le R effectif dépendant de multiples facteurs, il est rarement possible d'en isoler un parmi les autres. Comment distinguer les impacts du masque, de l'isolement, de l'efficacité des tests ? Les modélisateurs entendus ont eux-mêmes refusé de s'engager, par exemple sur une quantification de l'efficacité des masques. Ils ignorent son incidence, d'autant que les courbes de transmission de la grippe ne sont pas significativement différentes dans les pays où le port des masques est ancré dans les moeurs. Cela étant dit, les comparaisons internationales donnent le sentiment que les masques ont une réelle influence sur la contagion.
Compte tenu des incertitudes, les modélisateurs en sont parfois réduits à fixer des coefficients de façon assez arbitraire, par exemple en supposant que les contacts sont divisés par trois, quatre, ou dix. Même des paramètres fondamentaux sont encore en cours d'ajustement. Ainsi, le professeur Éric Caumes indiquait que, suite à des publications récentes, la durée de contagion asymptomatique ne serait pas de 1 jour et demi, mais plutôt de 2,5 jours.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, s'est interrogé sur les études à venir au sujet de la mortalité mensuelle en France en fonction de l'âge ; se pourrait-il qu'elles montrent que l'épidémie a simplement « anticipé » l'essentiel des décès à venir ? Incontestablement, l'augmentation manifeste et spectaculaire de la mortalité constatée dans quelques départements touche plus fortement certaines catégories d'âge. Mais, en 2003, malgré un nombre de décès très élevé associé à la canicule, la mortalité annuelle moyenne s'était finalement avérée assez comparable à celle d'autres années.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a noté qu'il était, pour plusieurs raisons, moins pertinent de compter en termes de vies épargnées qu'en termes d'années de vie gagnées, raison pour laquelle le débat sur la capacité du système hospitalier est majeur. Des personnels hospitaliers ont indiqué qu'en début d'épidémie ils ont été obligés, à certains moments, d'écarter de la réanimation certains patients âgés, compte tenu des faibles chances de guérison, afin de réserver les lits à des patients plus jeunes, ayant une meilleure chance de survie. Cette question du « déplacement » des décès est donc importante.
Le bilan en termes de surmortalité pourra être effectué après la crise, sachant cependant que l'épidémie de grippe semble avoir été moins forte que d'habitude cette année. Actuellement, les experts convergent sur un taux de létalité du virus proche de 0,5 %. Mais il est possible qu'avec des études sérologiques plus étendues, ce taux soit révisé à la baisse. Il sera par ailleurs nécessaire de le corriger pour prendre en compte l'impact important sur le nombre de décès qu'aurait eu une saturation du système de santé, celle-ci pouvant empêcher certains patients d'avoir accès aux soins nécessaires. De ce point de vue, la polémique en cours sur l'éventuel excès de pessimisme des estimations présentées par les modélisateurs n'a pas encore d'issue très claire.
Mme Laure Darcos, sénatrice, a relevé qu'à l'inverse, il n'existait pas d'estimation du nombre de malades morts à domicile d'une autre pathologie, comme le diabète ou un accident vasculaire cérébral (AVC), par crainte de se rendre à l'hôpital. De ce fait, il sera très complexe de faire la part entre les morts du coronavirus évitées et les morts supplémentaires résultant d'autres pathologies, mais attribuables à l'épidémie, du fait du non recours aux soins.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a approuvé cette observation et souligné que le bilan du confinement commence à apparaître lourd : dérives psychologiques ou psychiatriques, augmentation très importante des violences domestiques, phénomènes d'addiction, en particulier à l'alcool, malades ne venant pas se faire soigner, etc.
Pour aller au fond des choses, il faudra aussi prendre en compte le bilan humain résultant, en ricochet, de la crise économique à venir, avec un nombre indéterminé de personnes souffrant de troubles liés au chômage, de désorientation ou de dépression. Ainsi, le niveau d'anxiété général est élevé, en particulier parmi les enseignants contactés en circonscription. Leur mauvais état psychologique relève parfois d'une peur panique à l'idée de sortir du confinement. Avec tous les messages anxiogènes véhiculés par les médias, le confinement a un réel impact sur la santé ; il va certainement influer sur les statistiques de mortalité dans les années à venir.
À l'heure actuelle, la surmortalité apparaît comparable à celle résultant de la canicule de 2003, même si elle montre une croissance plus rapide. Dès à présent, l'année 2020 apparaît exceptionnelle sur ce plan.
M. Philippe Bolo, député, a salué la qualité du travail réalisé, qui permet aux membres de l'Office de disposer de notes éclairantes, permettant de contredire les informations erronées qui circulent massivement. Ces notes mériteraient donc d'être diffusées plus largement, afin d'informer le plus grand nombre.
Néanmoins, la note présentée ne met pas suffisamment en relief le sujet de la mortalité, au risque de laisser croire que les modèles permettent de l'évaluer, alors que ce n'est pas le cas. Le modèle SIR se concentre à bon escient sur le compartiment I des individus infectieux, en lien avec la capacité du système hospitalier à traiter les malades les plus atteints, alors que le compartiment R confond personnes guéries et décédées, ce qui s'avère assez déroutant et mérite d'être mis en évidence.
Il serait donc utile de signaler que l'évaluation de la mortalité constitue l'une des limites de ces modèles, d'autant que leurs prévisions ont justifié beaucoup de décisions, notamment le confinement. Ainsi, les dernières communications officielles présentaient une évaluation, à hauteur de 60 000 à 65 000, du nombre de morts évitées par le confinement. Pouvoir s'appuyer sur des modèles précis serait évidemment beaucoup plus robuste, solide, compréhensible, fiable et sécurisant du point de vue de la communication.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a noté que la situation de la Suède est un exemple patent du débat sur l'efficacité des modèles, ce pays n'ayant pas considéré qu'ils donnaient un fondement suffisamment solide à un confinement. Il est vrai que le nombre de décès y est très inférieur à ce que l'on pourrait attendre en l'absence de contre-mesures, mais la croissance de l'épidémie y semble incontrôlée, si bien que rien ne permet de penser que ce pays soit tiré d'affaire.
Sur ce plan, en France, les modélisations disponibles dans les semaines et les jours précédant l'entrée en confinement n'ont pas été prises en compte dans la décision. Elles apparaissaient trop abstraites et le souvenir des dernières épidémies nées en Asie a certainement influé, consciemment ou inconsciemment, sur la réponse de la puissance publique à des prévisions jugées alarmistes. À l'époque, le virus s'était en effet avéré beaucoup moins néfaste et virulent que prévu, si bien que le grand plan Bachelot était apparu très excessif.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, a indiqué qu'il éprouvait, rétrospectivement, une certaine honte au sujet du reproche de gaspillage adressé à Roselyne Bachelot, ministre chargée de la santé, quant aux dépenses engagées à l'époque pour lutter contre la grippe H1N1. Suivant les analyses de son rapporteur général et de son rapporteur spécial, la commission des finances du Sénat avait adhéré aux analyses très sévères de la Cour des comptes. Les collaborateurs de Roselyne Bachelot avaient été entendus par la brigade financière et échappé de peu à des poursuites pour dilapidation d'argent public.
Par sa place dans la mémoire collective, l'affaire du sang contaminé a peut-être conduit le monde politique à exagérer l'importance du principe de précaution ; à l'inverse, les polémiques ayant suivi la gestion de l'épidémie de grippe H1N1 ont conduit ce même monde à se défier des mauvaises nouvelles et à accorder un crédit parfois trop limité à leurs porteurs. La modélisation devrait permettre aux responsables de rester froid devant les faits et de s'adapter à la situation présente, échappant à la tentation de lutter contre l'épidémie en appliquant un plan stratégique du passé.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a souligné qu'à bon escient, Roselyne Bachelot se refuse aujourd'hui à tout triomphalisme tout en se disant insupportée par les donneurs de leçons. Dans sa déclaration devant l'Assemblée nationale, mardi 28 avril, le Premier ministre a su appeler à l'humilité, y compris pour lui-même.
M. Bruno Sido, sénateur, a jugé que la note était hautement intéressante. Le modèle élémentaire qui repose sur la distinction entre population exposée au virus, population infectée par le virus et population ayant dépassé la maladie, dit modèle SIR, paraît être rendu plus complexe par la nécessaire prise en compte des cas asymptomatiques.
Pense-t-on toujours que toute la population doive s'infecter progressivement, sans que l'on sache combien de temps cela peut prendre ? Où en sont les recherches relatives à la vaccination ? Des projets britanniques et américains semblent avancer à grands pas.
Pour le déconfinement, il convient de revenir au bon sens, par exemple l'interdiction des rassemblements massifs, tels les matchs de football ou les concerts de rock. Les enseignants ont peur de la réouverture des classes.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, a estimé que la note présentée contient des exemples qui permettraient de présenter de manière très concrète la notion de calcul différentiel à des classes de Terminale. La modélisation des relations entre proies et prédateurs sert d'ailleurs parfois à faire comprendre à ces mêmes classes comment un équilibre naturel peut s'instaurer, lorsque les proies ne sont plus en nombre suffisant pour permettre à des prédateurs trop nombreux de survivre. Peut-on imaginer une analogie entre ce modèle et la propagation du virus, qui conduirait à prévoir une stabilisation des effectifs présents dans chaque compartiment ? Le virus peut-il s'épuiser ? La question n'est pas sans importance, au regard de la possibilité d'une deuxième ou d'une troisième vague de contamination.
M. Pierre Ouzoulias, sénateur, a rappelé que le confinement pose lui aussi des problèmes sanitaires. D'abord, il conduit à des reports de soins. Mais surtout, à Paris, les hôpitaux publics ont également observé une forte hausse des suicides, notamment par défenestration. Le confinement impose en effet des conditions de vie psychiques qui ne sont ni naturelles ni normales. Cela montre qu'il est impératif de réfléchir à la façon dont on doit sortir du confinement.
La note pourrait faire le point sur la façon de prendre en compte le fait que le virus ne se diffuse pas de manière homogène. Les taux de contamination sont en effet très différents selon les départements. En Île-de-France, on observe des taux bas dans le Val-de-Marne mais des taux élevés et quasiment identiques en Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine, alors que leurs caractéristiques sociales sont très différentes. Or le déconfinement est censé se fonder sur des données départementales...
Le séquençage du génome du virus pourrait donner des indications sur sa dynamique de propagation. Comment se fait-il qu'il ait pu se diffuser en Alsace, mais pas de la même façon dans les Vosges ou dans le Doubs ? Il faudrait sans doute se pencher sur la phylogénie du virus, pour examiner les relations entre ses différentes souches. Par exemple, dans la ville de New York, les souches observées paraissent venir plutôt d'Europe que d'Asie.
Mme Véronique Guillotin, sénatrice, a rappelé que le Premier ministre, dans son discours devant l'Assemblée nationale deux jours plus tôt, a annoncé que des campagnes massives de tests auraient lieu, le gouvernement ayant fixé un objectif de 700 000 tests réalisables par semaine, pour repérer tous les sujets contacts des personnes infectées et pour tester celles qui présentent des symptômes cliniques.
Alors que la situation est très différente entre les départements « rouges », fortement touchés par l'épidémie, et les départements « verts », où sa propagation est plus réduite, n'aurait-il pas été opportun de concentrer les tests sur les départements rouges, avec des centres de tests accessibles facilement, par exemple en voiture ? La Moselle, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin, ou encore l'Oise, paraissent être autant de départements où l'activité du virus est encore importante. Ne serait-il pas plus rapide d'y procéder à un dépistage systématique ?
L'expérience personnelle acquise dans le courant du mois de mars dans un centre dédié au Covid-19, conduit à estimer que certains décès attribués au Covid-19 ne sont en fait que des décès précipités par lui, mais dont les causes sont différentes. Certains patients très âgés n'ont pas été admis en réanimation car ils présentaient d'autres pathologies, comme des cancers métastatiques.
Ne pas admettre un patient en réanimation n'est donc pas forcément la conséquence d'un tri, mais témoigne parfois d'une volonté d'éviter tout acharnement thérapeutique. La létalité du virus chez les personnes âgées sera très difficile à déterminer. Certains patients auraient simplement pu décéder quelques semaines plus tard s'ils n'avaient pas été victimes du Covid-19.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a confirmé que le nombre de 700 000 tests par semaine annoncé par le Gouvernement correspond à la capacité souhaitée pour tester 3000 cas suspects par jour ainsi que leur entourage. Pour chaque cas confirmé, la famille, les collègues, les personnes croisées récemment doivent être testés. Les personnes testées positives devront rester confinées chez elles ou à l'hôtel. C'est la doctrine pratiquée dans quasiment tous les pays.
Engager une campagne massive de tests virologiques, « à l'aveugle », n'est pas pertinent car cela n'offre aucune garantie que les chaînes de contamination sont brisées ; à la limite, il faudrait la recommencer à brève échéance et sur une base régulière. Même les pays qui contrôlent bien l'épidémie ne vont pas jusque-là. Un dépistage ciblé, accompagné de tests dans les hôpitaux et les EHPAD, suffit. La bonne stratégie est en effet « tester pour isoler ».
Au demeurant, le test virologique n'est pas une sinécure : il est assez inconfortable et nécessite des précautions pour éviter les « faux négatifs ». L'entreprise Abbott, l'une des plus importantes sur le marché, a indiqué que ses capacités s'élèvent à 70 000 tests par semaine, soit 10 % du total à assurer au niveau national. Il y a donc un effort important à fournir pour arriver à la capacité de test souhaitée par le Gouvernement. Par ailleurs, le statut sérologique des individus ne peut être déterminé de façon fiable qu'à trois conditions : le test doit avoir à la fois une bonne sensibilité et une bonne spécificité, le prélèvement doit être effectué au bon endroit et, en matière de test sérologique, des incertitudes devront être levées sur le fait que les anticorps détectés sont efficaces et en quantité suffisante.
Le témoignage dont il a été fait état à l'instant est très éclairant. Il rejoint d'ailleurs des témoignages similaires récents. Une société doit pouvoir affronter certaines réalités et sortir des non-dits : lorsqu'un malade est affecté de plusieurs pathologies graves, le placer en réanimation peut parfois relever davantage de l'acharnement, voire de la maltraitance, que de soin. Certaines personnes insistent d'ailleurs pour mourir chez elles, plutôt que d'aller à l'hôpital pour un simple mois de vie supplémentaire.
Nous devons être fiers de tous les parlementaires qui participent en première ligne au combat contre le virus.
Mme Catherine Procaccia, sénatrice, vice-présidente de l'Office, a noté qu'il est beaucoup question, dans la presse, de l'épidémie de grippe H1N1, mais que l'on y parle peu de la grippe asiatique ou de la grippe de Hong-Kong. Ces épidémies plus anciennes ont pourtant causé respectivement environ 20 000 et 30 000 morts en France, alors que la population du pays était moindre. Personne n'a souvenir d'une angoisse comparable à celle qui règne actuellement. Des informations sont-elles disponibles sur ce sujet ?
Peu d'entre nous savaient que l'épidémiologie est une science relativement ancienne, âgée de plus d'un siècle. La note le souligne opportunément, tout en précisant que les données médicales qui peuvent appuyer ses développements sont bien plus nombreuses aujourd'hui qu'à ses débuts.
À propos de la situation dans les départements d'Île-de-France, les informations disponibles auprès de l'ARS montrent que le Val-de-Marne est l'un des départements les plus touchés, même si c'est peut-être dû au fait que deux de ses hôpitaux ont ouvert des sections spécifiques au Covid-19. Pourquoi a-t-on attendu six semaines pour faire ces analyses statistiques entre départements ?
En dernier lieu, il semble qu'il faudrait que 60 % de la population ait été en contact avec le virus pour que soit atteinte l'immunité de groupe. Mais des études suggèrent que des personnes étaient peut-être déjà immunisées avant l'épidémie, que ce soit grâce au vaccin BCG ou du fait de contaminations antérieures par d'autres coronavirus. Pourrait-on préciser ce qu'il en est ?
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a rappelé les forts enjeux économiques de la mise au point d'un vaccin, sur laquelle de nombreuses entreprises sont très actives, notamment en Israël, au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Ces entreprises ont tendance à annoncer des résultats à un stade précoce de développement et les considérations financières ou boursières ne sont certainement pas étrangères à cette stratégie de communication. Il faut donc rester prudent. Pour l'instant, les scientifiques estiment toujours qu'il faudra un délai d'un an, voire 18 mois, pour développer un vaccin. Il n'y a pas de raison de penser que ce sera plus rapide.
De plus, de vraies incertitudes subsistent sur le pouvoir protecteur des anticorps comme sur la quantité qui devrait être produite par l'organisme pour développer une protection effective. Il se pourrait même que certains anticorps facilitent l'infection. Si Jérôme Salomon, directeur général de la santé, a tenu des propos rassurants à ce sujet, d'autres voix s'élèvent pour dire que l'immunité n'est pas forcément assurée.
S'agissant des mesures prises par les différents pays et du « bon sens » dont elles témoignent - ou non -, je vous recommande l'excellente série d'articles publiée depuis la mi-mars par Tomas Pueyo, notamment celui intitulé « The Hammer and the Dance », qui a été traduite dans de nombreuses langues. Ce travail, qui s'appuie sur des comparaisons internationales grâce à la contribution de nombreux bénévoles, distingue deux stratégies. Le « marteau » (hammer) correspond au confinement : il s'agit de faire baisser le coefficient de reproduction du virus aussi bas que possible et aussi vite que possible. La « danse » (dance) correspond à l'ensemble des mesures qui visent à maintenir ce coefficient inférieur à 1 mais à un niveau proche, autour de 0,9, afin d'éviter la survenue d'une nouvelle vague. Ces mesures, mises en place par tâtonnement et allers-retours, de façon quelque peu empirique, comprennent toute une panoplie d'outils, allant des dispositifs de protection bon marché (masques) à des mesures plus sophistiquées telles que le traçage, les tests, etc.
S'agissant du modèle proie-prédateur, l'analogie est claire avec le modèle SIR, à ceci près qu'il n'existe pas de processus de reproduction dans les compartiments concernés. C'est pourquoi le modèle SIR fait apparaître une seule grande vague, avant que l'épidémie ne s'arrête, là où le modèle proie-prédateur met en évidence des fluctuations dans les effectifs des populations. On peut cependant imaginer que l'épidémie actuelle pourra comporter plusieurs vagues, si la première n'est pas assez forte, si le virus mute, ou encore si les mesures de déconfinement et reconfinement se succèdent. Mais ces petites vagues ne seront en fait que l'épuisement progressif d'une même grande vague initiale. Au demeurant, nous n'avons pas à ce jour de raison de penser que le virus mute plus fréquemment que les autres virus. Il mute, mais à un rythme « normal » et sans indice que cela aboutisse à contrecarrer l'acquisition d'une immuniteì. Quelques cas de recontamination ont été signalés, mais il est beaucoup trop tôt pour savoir si cela est statistiquement significatif.
Le séquençage du génome des différentes souches virales peut effectivement donner des informations utiles en matière épidémiologique, mais aussi permettre de déterminer la circulation géographique du virus. Les dernières études suggèrent que, dans la majorité des cas, le virus en circulation aux États-Unis viendrait plutôt d'Europe que directement de Chine. De même, en France, la contamination ne viendrait ni directement de Chine, ni directement d'Italie.
Le coût psychologique du confinement, illustré notamment par la hausse des cas de suicides par défenestration, apparaît aujourd'hui plus clairement et le tableau clinique de ces troubles secondaires est inquiétant. Cela conduit d'ailleurs certains praticiens à modifier leur appréciation des mesures à mettre en oeuvre. Chacun peut voir d'ailleurs s'installer dans son entourage une certaine déprime lorsqu'on réalise que le 11 mai ne sera pas la libération tant attendue et que l'on devra peut-être porter des masques et utiliser du gel hydroalcoolique pendant des années... Le blues s'installe aussi au sein du personnel des EHPAD.
L'écart statistique relevé entre le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis est en effet surprenant. Les informations ne remontent et ne sont centralisées que trop lentement, ce qui est regrettable. Il est vrai que les multiples transferts de patients d'un hôpital à l'autre, d'un département à l'autre, voire d'un pays à l'autre, n'ont pas simplifié les choses.
S'agissant de la réaction semble-t-il bien plus forte pour l'épidémie de Covid-19 que pour la grippe asiatique de 1956-1958 et la grippe de Hong-Kong de 1968, il semble que, lorsque l'épidémie a éclaté en Chine, cela n'a pas inquiété les responsables politiques, y compris parlementaires, qui n'ont pas su se faire à l'idée que le virus allait être ravageur alors même qu'un confinement général était mis en place dans la province du Hubei et que les autorités construisaient à Wuhan un hôpital en moins d'une semaine. Cet échec est une responsabilité collective.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, a souligné l'importance d'analyser aussi l'épidémie à travers le prisme des sciences humaines. D'ailleurs, trois facteurs expliquent la grande vulnérabilité de nos sociétés que révèle la crise actuelle et, peut-être, la façon différente dont celle-ci est perçue par rapport à la grippe asiatique et la grippe de Hong-Kong. Premièrement, les médias sont omniprésents et se sont multipliés, alors que, jusque dans les années 1980, l'information ne passait pratiquement que par des chaînes de télévision ou des stations de radios contrôlées par l'État. Deuxièmement, les attentes de l'opinion ont changé : nous nous sommes habitués à ce que la science règle les problèmes et nous n'imaginons plus - donc nous n'acceptons plus - l'idée que puissent exister des maladies « fatales », comme le furent la grippe asiatique ou la tuberculose. Troisièmement, notre culture professionnelle fondée sur le principe du « juste à temps » fait que nos sociétés fonctionnent en flux tendu, sans marge de manoeuvre, et que toute perturbation y devient insupportable.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a estimé que cette dernière observation s'appliquait très bien au maintien du premier tour des élections municipales.
Nos sociétés sont en effet marquées par le développement d'une information racoleuse. Paradoxalement, le citoyen veut parfois ne pas entendre l'information inquieìtante et, parfois, ne peut pas s'en deìtacher... À cet égard, il y a eu une transition brutale entre le moment où l'épidémie, circonscrite à la Chine, ne représentait qu'une petite proportion des sujets traités dans les journaux télévisés ou radiodiffusés, et le moment où, arrivée en France, elle a occupé la quasi-totalité du temps d'information.
Mme Angèle Préville, sénatrice, s'est interrogée sur le rythme de mutation du virus.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a rappelé que le rythme de mutation d'un virus dépend de nombreux facteurs. Les virus à ARN - dont fait partie le SARS-CoV-2 - mutent plus souvent que les autres, mais le SARS-CoV-2 ne mute pas plus que les autres virus à ARN.
S'agissant de l'histoire de l'épidémiologie comme discipline scientifique, on peut faire remonter à Daniel Bernoulli son acte de naissance, au milieu du XVIIIe siècle : l'inoculation de la variole pour s'en protéger était une mesure contre-intuitive ; Bernoulli a conçu le premier modèle mathématique permettant d'estimer les risques comparés des deux attitudes : accepter ou refuser cette inoculation. En revanche, la formalisation mathématique par eìquations différentielles date du deìbut du XXe sieÌcle et les possibilités de simulation numérique se sont généralisées avec l'accroissement de la puissance des ordinateurs.
Mme Huguette Tiegna, députée, a demandé si les modèles épidémiologiques prenaient en compte la probabilité d'une rechute, au regard des incertitudes prévalant quant à l'acquisition d'une immunité et des risques de transmission par le contact avec des objets contaminés.
Le sujet d'une éventuelle transmission par les animaux est également inquiétant. On a entendu parler de chats porteurs du virus du sida et on sait que les gens aiment leurs chats. Ceux-ci peuvent-ils transmettre le Covid-19 ?
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a souligné qu'il n'existait pas pour l'instant de cas avérés chez les animaux, même si les animaux domestiques peuvent être indirectement victimes du virus : on a signalé des cas d'abandon ou de lavage à l'eau de Javel... L'hypothèse a cependant été évaluée par l'ANSES et la piste d'une contamination par les animaux domestiques a été à ce stade écartée.
Pour autant, le Covid-19 est à l'origine une zoonose et les chauves-souris sont vraisemblablement le réservoir du virus, en raison de leur système immunitaire remarquablement efficace. Le pangolin, dont la chair est recherchée dans certains pays, en serait l'hôte intermédiaire, mais l'épidémie trouve effectivement sa source dans les animaux sauvages.
Quoi qu'il en soit, dans la perspective de la sortie progressive du confinement prévue à partir du 11 mai, la région Île-de-France réfléchit déjà aux slogans les plus efficaces pour dissuader de prendre les transports en commun et privilégier les déplacements à pied ou à vélo.
M. Jérôme Bignon, sénateur, a mis en garde contre le risque de mésestimer les liens entre la pandémie de Covid-19 et la déforestation, l'artificialisation des sols et le changement climatique.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a jugé qu'il fallait prendre en compte dans la réflexion la question de la biodiversité et des rapports entre les humains et le monde animal. Des liens existent entre le réchauffement climatique et la pandémie. Même si le premier n'est pas la cause de la seconde, tout déséquilibre favorise les zoonoses.
Organisé le mercredi 6 mai à 17 heures, avec la participation d'une soixantaine de députés, l'atelier du collectif « Le Jour d'après » sera précisément consacré à une réflexion sur nos sociétés après la crise sanitaire du coronavirus. L'accent sera mis sur les sujets environnementaux et climatiques. De nombreux intervenants sont prévus, dont Gwenaël Vourc'h, qui est directrice de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) à Clermont-Ferrand, spécialiste des facteurs épidémiologiques et écologiques favorisant la diffusion des maladies infectieuses entre les populations, et Jean-François Guégan, qui est directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) à Montpellier, professeur à l'École des Hautes Études en Santé Publique, ancien membre du Haut Conseil de la Santé ?Publique, et spécialiste de la transmission des maladies infectieuses et parasitaires émergentes, notamment dans les pays tropicaux à risque.
M. Jean-Luc Fugit, député, a demandé si les modélisations évoquées dans la note pourront faire l'objet de mises à jour, par exemple en évaluant l'effet des mesures qui pourraient être prises dans les transports et en comparant à ce qui aurait pu être attendu en l'absence de telles mesures, ce qui permettrait d'éclairer le débat sur le nombre de morts évitées.
Parmi les effets induits par l'épidémie, il faut en effet noter les pertes de chance de survie liées à la moindre fréquentation des médecins. Dans le département du Rhône, certains parents refusent de se déplacer pour faire vacciner leurs enfants. Il sera difficile d'évaluer les décès liés à ces pertes de chance.
En sens inverse, certains effets induits sont positifs, notamment en matière de pollution de l'air. Une équipe de chercheurs finlandais montre ainsi une réduction moyenne des émissions d'oxydes d'azote en Europe de l'ordre de 40 %. Le phénomène concerne surtout les agglomérations les plus densément peuplées. Pour les particules fines, en revanche, la réduction moyenne ne s'établit qu'à 10 %, car la source principale de cette pollution est le chauffage et non les transports.
Sur les 400 000 décès prématurés liés traditionnellement chaque année à la pollution de l'air en Europe, dont 50 000 en France, cette étude évalue à 1 200 le nombre de décès évités en France depuis le 15 mars, à savoir le début du confinement. Des comparaisons avec les données des cinq années précédentes seraient instructives.
Je rejoins les propos de Jérôme Bignon sur l'intérêt de voir les choses de manière transversale. Le concept de « santé unique », ou « unifiée », ou « globale » développé par un certain nombre de chercheurs invite à considérer la santé des êtres humains en prenant aussi en compte l'alimentation, le climat, la flore, la faune, les sols, l'air, l'eau, etc., en fait nos écosystèmes. Cette vision globale doit motiver les recherches futures et, plus généralement, induire à changer de regard sur nos modes de vie. La pandémie de coronavirus plonge nos sociétés dans une phase de perturbations, mais elle nous conduit à beaucoup réfléchir, ce qui est une bonne chose.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, est convenu que les comparaisons souhaitées par Jean-Luc Fugit permettraient d'arbitrer, dans un temps ultérieur, le débat sur le nombre de morts évitées par les mesures de confinement.
Il ressort clairement de données de l'Insee qu'un pic de mortalité a été observé en mars-avril 2020 par rapport aux années précédentes. Ce pic est moins haut, mais plus large, que celui qui était lié à la canicule de 2003.
Quant aux effets indirects de mortalité supplémentaire ou de mortalité évitée, ils seront très compliqués à mettre en évidence de façon robuste, par exemple en ce qui concerne la baisse de la pollution et l'amélioration de la qualité de l'air.
On ne peut que constater que l'épidémie à laquelle le monde est confronté bouscule de nombreuses certitudes, y compris certaines qui paraissaient parmi les plus fermement établies. Les travaux que conduit l'Office sur les différentes dimensions du sujet n'en sont que plus indispensables.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, a formé le voeu que l'Office continue, par son travail collectif et l'implication remarquable de tous ses membres, à éclairer le Parlement et l'opinion conformément à sa vocation.
La visioconférence est close à 11 h 30.
* 1 Cette étude est parue
le 8 mai 2020. Elle est consultable à l'adresse
suivante :
www.
science.sciencemag.org/content/368/6491/eabb6936.