- Mardi 28 avril 2020
- Mercredi 29 avril 2020
- Bilan annuel de l'application des lois au 31 mars 2020 - Communication de M. Vincent Éblé, président (en téléconférence)
- Audition de Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), M. Nicolas Dufourcq, directeur général de la société anonyme Bpifrance (en téléconférence)
Mardi 28 avril 2020
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 16 heures 10.
Audition de Mme Florence Lustman, présidente de la Fédération Française de l'Assurance (FFA) (en téléconférence)
M. Vincent Éblé, président. - Dans le cadre de notre suivi des conséquences économiques et financières de la crise sanitaire, nous entendons aujourd'hui Mme Florence Lustman, présidente de la Fédération française de l'assurance (FFA) depuis octobre 2019.
La question de la mobilisation des assureurs pour soutenir notre tissu économique a été posée dès le début de la crise sanitaire. En effet, de nombreuses entreprises, contraintes de cesser toute activité, se sont alors tournées vers leurs assureurs, pensant que leurs contrats pourraient couvrir une partie de leur perte de chiffre d'affaires, d'autant qu'ils n'en étaient pas responsables.
Or cette crise sanitaire a révélé que les risques épidémiques n'étaient pas considérés comme des risques assurables. En effet, leur caractère systémique ne permet pas de mutualiser leur prise en charge entre les assurés.
Ainsi, le secteur assurantiel a été mis à contribution par un autre biais, celui de la participation, aux côtés de l'État et des collectivités territoriales, au Fonds de solidarité à destination des très petites entreprises (TPE). Vous avez également annoncé, madame la présidente, plusieurs mesures de soutien à vos assurés. Vous nous détaillerez le montant total et les différentes composantes de cette aide, en distinguant ce qui relève de votre contribution au titre du Fonds de solidarité, des mesures de trésorerie pour les entreprises assurées et des gestes commerciaux décidés par certaines des compagnies que vous fédérez.
Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé la mise en place d'un groupe de travail avec les assureurs, afin de travailler à la définition, pour l'avenir, d'un régime assurantiel dédié aux risques exceptionnels, comme les épidémies. Plusieurs initiatives parlementaires ont d'ailleurs été déposées en ce sens au cours des dernières semaines.
Nous reviendrons également sur l'examen récent de la dernière loi de finances rectificative, au cours duquel la question du juste niveau de la contribution du secteur des assurances au soutien de l'économie a fait l'objet de débats nourris et circonstanciés.
Mme Florence Lustman, présidente de la Fédération française de l'assurance (FFA). - Je vous remercie de me donner l'occasion de vous éclairer sur l'implication du secteur de l'assurance dans la crise. Pour ce faire, sont à mes côtés pour contribuer à cette audition Philippe Poiget, délégué général de la FFA, Stéphane Pénet, délégué général adjoint, Christian Pierotti, directeur des affaires publiques et internationales, lequel est accompagné de Viviana Mitrache-Rimbault, responsable du département « Affaires parlementaires », Armelle de Selancy, directrice de la communication, et Christophe Gauer, mon directeur de cabinet.
Je rappelle que les assureurs ont été mobilisés dès le début de la crise de façon extrêmement intense, puisque l'annonce brutale du confinement a fait basculer en télétravail environ 150 000 salariés du secteur en quarante-huit heures. Le secteur de l'assurance a donc d'abord été très occupé par des questions opérationnelles. Un certain nombre d'entre elles avaient déjà été envisagées dans les plans de continuité d'activité (PCA), par exemple, mais il est clair que le déclenchement de la crise et l'ampleur du télétravail qui en a résulté nous ont conduits à devoir résoudre des questions pratiques de manière à pouvoir être disponibles en permanence pour les assurés, pour répondre à leurs questions, qui ont été extrêmement nombreuses, mais également pour indemniser ceux d'entre eux qui subissaient des sinistres. De fait, il ne faut pas perdre de vue que tous les sinistres de la vie courante - dégâts des eaux, incendies, etc. - continuent pendant le confinement. Les assureurs sont sur le pont pour analyser et indemniser ces sinistres, dans des conditions particulières, notamment en faisant un usage beaucoup plus extensif des capacités vidéo. Les experts d'assurance eux-mêmes travaillent à distance. Nous avons donc employé toute notre énergie à poursuivre notre activité.
Par ailleurs, les assureurs, comme tous les Français, sont évidemment extrêmement conscients des conséquences tragiques de la crise sur les victimes, leur entourage, les soignants et tous ceux qui aident à la prise en charge des malades. Étant implantés sur tout le territoire, nous sommes aux premières loges pour constater les difficultés des commerces de proximité sur le terrain.
Les assureurs ont été dès le début très conscients des énormes difficultés que cette crise était en train de créer pour l'ensemble de nos concitoyens, qu'il s'agisse de personnes privées ou de professionnels, et totalement mobilisés pour remplir leur mission de service essentielle. Je reconnais que nous n'avons peut-être pas suffisamment communiqué à cette période sur ce que nous faisions et sur notre prise de conscience de la gravité de la crise qui touchait notre pays. Néanmoins, nous étions aux affaires. Je note d'ailleurs que nous n'avons pas eu de réclamations sur les sinistres que nous étions en train de gérer.
Le secteur de l'assurance est lui aussi gravement touché par la crise sanitaire et, évidemment, par la crise financière qui en résulte. Dans un communiqué de presse, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a estimé que le Covid-19 l'affectait de trois manières.
En premier lieu, avec la chute des marchés financiers, nous avons perdu 250 milliards d'euros sur nos actifs. Personne n'en parle. Pourtant, ce montant est absolument énorme. C'est quasiment le montant des prêts garantis par l'État. Cela a évidemment des conséquences pour nous.
Ensuite, nous sommes affectés par les difficultés de nos clients à honorer le paiement de leur prime. Il y aura beaucoup de créances irrécouvrables.
Enfin, l'ACPR, qui contrôle tout le marché, note qu'une forte dérive de la sinistralité est prévisible - et je le confirme.
Au total, l'ACPR estime que l'on est très loin de pouvoir évaluer l'ensemble des incidences de cette crise sur le secteur des assurances - je reconnais que c'est perturbant, mais il faut bien comprendre que des évolutions de la sinistralité sur quelques jours ne préjugent en rien de l'évolution de la sinistralité sur le reste de l'année -, et conclut que les assureurs subiront un impact majeur sur leur bilan et leurs comptes de résultat.
La FFA regroupe 280 compagnies d'assurance, qui vont de la petite mutuelle de bateaux de pêche à de grands groupes internationaux, caractérisées par des tailles et des statuts juridiques très différents et qui assurent des risques très variés. Il est évident que celles qui assurent les entreprises sont plus fortement touchées par la crise que celles qui n'assurent que les particuliers, voire une catégorie très spécifique de particuliers. L'impact de la crise est donc à la fois très important et divers. Il n'est pas homogène sur l'ensemble du secteur.
Nous avons, dans un premier temps, annoncé toute une série de mesures collectives.
Nous avons choisi de couvrir, en dehors de toute garantie contractuelle, les indemnités journalières des personnes qui se sont déclarées fragiles sur le site internet Ameli de la sécurité sociale et qui sont donc arrêtées sans être malades.
Nous avons décidé collectivement de maintenir en garantie les entreprises contraintes de fermer qui seraient défaillantes dans le paiement de leurs primes. Nous avons également pris des mesures collectives sur les reports de loyers, accordés non seulement aux très petites entreprises (TPE), mais également aux petites et moyennes entreprises (PME).
Enfin, nous nous sommes engagés à abonder le Fonds de solidarité, à hauteur de 200 millions d'euros dans un premier temps. En effet, si nous sommes parfaitement conscients des immenses difficultés engendrées par la crise, en particulier sur les TPE et les indépendants, nous avons estimé qu'il ne nous appartenait pas de choisir la catégorie d'entreprises qui devaient bénéficier de nos gestes de solidarité. Fallait-il aider les cafés-restaurants, les fleuristes, les cordonniers, les pressings, les esthéticiennes ? Nous avons estimé que le mieux était d'abonder le Fonds de solidarité créé par l'État, qui, en équité, gérera cette première tranche de 200 millions d'euros que nous avons mis à disposition.
Cette première série de mesures a été adoptée par l'ensemble des membres de la FFA. Les discussions intenses que nous avions déjà tant avec M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, qu'avec Édouard Philippe, le Premier ministre se sont poursuivies. Ils ont jugé que l'effort global n'était pas suffisant. Ils ont néanmoins parfaitement compris que l'on ne pouvait pas mettre davantage à contribution l'ensemble du secteur de façon systématique et homogène, tous les acteurs n'étant pas touchés au même degré.
C'est la raison pour laquelle se sont ajoutés, à la première série d'engagements, d'autres engagements pris par certaines compagnies d'assurances et pas par d'autres.
Au total, les engagements du secteur des assurances pour accompagner le pays face à la crise sanitaire et économique se montent aujourd'hui à 3,2 milliards d'euros. Cette somme est absolument colossale. Elle a d'ailleurs été reconnue comme telle par le Premier ministre et par Bruno Le Maire, qui ont salué, dans la presse, l'effort très important que nous avons consenti.
Parmi ces 3,2 milliards d'euros, les mesures extracontractuelles et solidaires, par lesquelles nous allons plus loin que ce qui est prévu dans nos contrats, représentent 1,75 milliard d'euros. Je veux les détailler.
Nous avons consacré 850 millions d'euros aux travailleurs non-salariés et aux petites entreprises, acteurs économiques dont nous pensons qu'ils sont les plus touchés par la crise. Nous avons aussi fait des gestes tout spécifiques à destination des personnes les plus exposées à la crise sanitaire, en particulier les personnes fragiles, mais pas seulement. De nombreuses aides sont également apportées via les entreprises d'assistance, qui sont les filiales des assureurs.
Nous avons fléché une partie des aides vers les héros des temps modernes que sont les personnels médicaux mobilisés au quotidien dans la lutte contre le Covid-19. Nous avons pris un certain nombre de décisions extracontractuelles en ce sens. De façon très pragmatique, nous avons décidé de couvrir leurs véhicules assurés pour un usage personnel, mais utilisés à des fins professionnelles dans le cadre de la crise. Nous avons choisi de mettre à leur disposition des logements gratuits, d'étendre leur assurance multirisques habitation lorsqu'ils sont amenés à se loger dans d'autres logements que ceux pour lesquels ils sont habituellement assurés, de leur accorder des réductions tarifaires pour leurs assurances personnelles et, surtout, d'étendre leur garantie de responsabilité civile médicale.
En effet, ces professionnels exercent aujourd'hui leur art dans des conditions qui ne sont pas conformes à celles qu'ils ont déclarées : certains peuvent aider à la prise en charge du Covid-19 alors que ce n'est pas leur spécialité ou encore exercer dans d'autres lieux que ceux où ils exercent habituellement. Nous avons fait de même pour les établissements de santé temporairement habilités à traiter de la maladie.
Je note, au passage - cela illustre bien l'impossibilité de chiffrer l'impact final de la crise sur le secteur des assurances -, que l'on assiste déjà à une hausse significative des mises en cause de ces professionnels liées à la crise. Ce phénomène s'observe également pour les chirurgiens.
Dans le même état d'esprit, nous avons étendu la couverture des entreprises qui se sont lancées dans la fabrication de masques et de gel hydroalcoolique alors même que ce n'était pas leur activité première.
Nous avons également pris toute une série de mesures spécifiques à destination de nos assurés, notamment de nombreuses mesures individuelles pour aider les particuliers qui sont en difficulté financière et pour mieux couvrir ceux qui sont en télétravail. S'y ajoutent de nombreuses initiatives que je pourrais qualifier de « citoyennes » : dons substantiels - à hauteur de millions d'euros - à la recherche médicale, aux hôpitaux, aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), à des associations ; mise à disposition gratuite de logements ; don de plus de 3 millions de masques, de combinaisons intégrales, etc.
Au-delà de ces mesures extracontractuelles et de solidarité, nous avions à la fois l'envie et le devoir, en tant qu'investisseur institutionnel, de participer à la sortie de la crise financière et économique et d'aider le pays. C'est quelque chose que nous savons faire, comme nous l'avons déjà montré par le passé. Nous avons décidé de mobiliser pas moins de 1,5 milliard d'euros en faveur des entreprises de taille intermédiaire (ETI), des PME et dans le secteur de la santé.
Enfin, nous avons d'ores et déjà lancé des travaux en vue de faire une proposition concrète pour construire un régime d'assurance contre les événements sanitaires majeurs de type Covid-19. Stéphane Pénet pourra vous en dire plus à ce sujet. Nous avons trois sponsors de très haut niveau, qui sont de grands dirigeants du secteur de l'assurance.
Nous avons commencé à travailler sur les réponses à quatre questions clés pour structurer ce régime d'assurance contre les catastrophes sanitaires de grande ampleur : quels types d'événements entraîneraient le déclenchement d'un tel dispositif ? Quels préjudices indemniserait-on, et avec quelle profondeur ? Quelles entreprises seraient concernées ? Quels financements peut-on envisager pour en assurer la solvabilité ?
Dans les réflexions que nous avons entamées pour être prêts à participer au groupe de travail qui a été lancé hier par Bruno Le Maire, sous l'égide de la direction du Trésor, nous sommes associés avec de très nombreux assureurs, mais aussi des actuaires, des statisticiens, des réassureurs, des spécialistes de ces questions, des parlementaires, des risk managers, etc.
En conclusion, nous avons mobilisé 3,2 milliards d'euros, qui se répartissent entre 1,75 milliard de mesures extracontractuelles et de solidarité, lesquelles incluent 400 millions d'euros au bénéfice du Fonds de solidarité, et 1,5 milliard d'investissements dans les PME, les ETI et plus spécifiquement dans le domaine de la santé. Enfin, les travaux pour construire le futur régime de catastrophe sanitaire sont d'ores et déjà lancés.
M. Vincent Éblé, président. - Les mesures de confinement se sont traduites par une réduction considérable de nombre de sinistres, en particulier automobiles, entraînant une chute des indemnisations versées par les assureurs. La dernière loi de finances rectificative prévoit d'ailleurs la remise d'un rapport au Parlement permettant d'apprécier la chute de cette sinistralité. Disposez-vous d'une première évaluation des effets du confinement sur celle-ci ? Est-il possible d'avoir une vision différenciée selon les segments ?
Certaines compagnies d'assurance ont présenté des initiatives de solidarité au bénéfice de leurs assurés. Par exemple, la MAIF a ainsi reversé 100 millions d'euros en raison de la chute de la sinistralité de l'assurance dommages. Plusieurs compagnies ont également annoncé une prise en charge des pertes d'exploitation, même lorsque les garanties souscrites ne le permettent pas. Or la multiplication des initiatives de la part de certaines compagnies suscite l'interrogation, voire la défiance des assurés, qui ne comprennent pas pourquoi leur propre assureur ne fait pas de geste exceptionnel. Pourquoi le secteur assurantiel peine-t-il tant à apporter une réponse commune à cette crise ? La situation des compagnies est-elle trop différenciée pour que cela soit possible ?
Lors de l'examen du dernier projet de loi de finances rectificative (PLFR), le Sénat a adopté, en première lecture, deux amendements visant, d'une part, à augmenter la taxe sur les excédents de provisions et, d'autre part, à rétablir une taxe de 10 % sur les réserves de capitalisation. Si ces deux dispositions n'ont in fine pas été retenues dans le texte issu de la commission mixte paritaire (CMP), il est probable que le débat sur la mise en place d'un prélèvement fiscal visant le secteur assurantiel revienne rapidement. Avez-vous procédé à une évaluation de ces propositions et pouvez-vous nous donner des éléments d'information qui nous seront utiles lors de la reprise des discussions ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Lors du vote du projet de loi de finances rectificative, le Gouvernement a été, dans un premier temps, incapable de chiffrer le montant correspondant au rétablissement de la taxe exceptionnelle de 10 % sur les réserves de capitalisation mise en place en 2011. Cela signifie-t-il que ces réserves de capitalisation sont mal connues de Bercy ? L'ACPR ne dispose-t-elle pas aisément de ce chiffre ?
La commission mixte paritaire n'a pas retenu la création de nouvelles taxes sur les assurances. Nous avons accepté de suspendre les mesures adoptées par le Sénat dans l'attente du résultat du travail en commun qui doit être mené entre Bercy et le secteur des assurances sur une participation plus importante de celui-ci. Cette question reviendra dans peu de temps, sans doute à l'occasion de l'examen du prochain PLFR. Où en sont les discussions avec Bercy à ce sujet ?
Mme Florence Lustman. - Vous posez la question centrale de savoir pourquoi les assureurs ne font pas tous la même chose en même temps. Le secteur français de l'assurance est extrêmement divers et peu concentré - à elle seule, la FFA compte 280 membres. Que les assurances concernées soient obligatoires ou facultatives, les contrats sont tous différents les uns des autres. Il s'agit de permettre à l'assuré de trouver le contrat qui lui convient le mieux, au meilleur prix. Le marché français de l'assurance est ainsi le plus concurrentiel en Europe.
La mutualisation opère à plusieurs niveaux. D'abord, au sein d'une même branche : en ce qui concerne l'assurance auto, par exemple, les primes des assurés qui n'ont pas subi de sinistres servent à indemniser les conducteurs sinistrés. Et c'est précisément la raison pour laquelle on ne peut assurer un risque systémique comme une pandémie : cela reviendrait à ce que tous les assurés subissent un sinistre au même moment, les assureurs ne pouvant alors verser aux assurés que le montant de leur prime, ce qui n'est pas d'une grande utilité...
La mutualisation peut aussi opérer entre branches - branche automobile, branche dommages aux biens de particuliers, branche dommages aux biens de professionnels, branche responsabilité civile, branche catastrophes naturelles... Notre métier consiste aussi à gérer cette mutualisation. Si l'assurance auto est déficitaire une année, une compensation pourra s'opérer avec les autres branches. La directive européenne dite Solvabilité 2 comporte ainsi la notion de « bénéfice de diversification » selon laquelle un assureur diversifié, dont les risques vont non pas se cumuler, mais se compenser, a besoin de moins de fonds propres qu'un assureur « monobranche », qui subira toutes les dérives de sinistralité de « sa » branche une année donnée.
Aujourd'hui, un assureur ayant beaucoup d'entreprises dans son portefeuille, et qui est donc très touché en termes de sinistralité par la crise actuelle, ne pourra redistribuer les excédents des autres branches. Or la mutualisation entre branches fait partie de son « business model ».
Monsieur le président, vous avez cité la MAIF qui a la particularité de ne pas assurer d'entreprises. Elle propose beaucoup d'assurances auto et d'assurances multirisques habitation à des particuliers spécifiques. Elle ne va donc pas pâtir du même excédent de sinistralité que d'autres compagnies qui auraient, par exemple, un important portefeuille de prévoyance collective d'entreprises. Je comprends que cela puisse être perturbant. On aimerait que le secteur de l'assurance ressemble à un beau jardin à la française, toutes les compagnies ayant peu ou prou le même portefeuille. Encore une fois, cette situation est à l'avantage des assurés, qui trouvent les contrats qui leur conviennent sur le marché français. J'ai expliqué cette situation au Premier ministre et au ministre de l'Économie et des finances qui l'ont parfaitement comprise. L'autorité de contrôle dit la même chose.
Par ailleurs, si les assureurs sont diversement touchés, tous sont concernés par la baisse de 10 % des actifs. C'est absolument énorme. Ces deux derniers mois, à de rares exceptions près, les particuliers n'ont pas beaucoup roulé. La baisse de la sinistralité des assureurs de la branche auto va donc être extrêmement importante. Toutefois, la perte de valeur des portefeuilles d'actifs des compagnies est encore plus importante. Un assureur doit supporter non seulement la charge du sinistre - considérable -, mais aussi les frais de commercialisation et de gestion qui correspondent à peu près au montant de la prime. Depuis des années, l'assurance auto s'équilibre à peine grâce aux produits financiers. Or, cette année, les taux sont passés en territoire négatif. Le gain induit de la moindre sinistralité ne permettra pas de compenser les pertes très importantes des portefeuilles.
En outre, on ignore encore ce qu'il en sera lors des prochains mois. Les transports publics ne vont pas pouvoir fonctionner à plein régime dès la fin du confinement. Sachant qu'il sera difficile d'y respecter les gestes barrières, les gens préféreront sans doute prendre leur voiture. Nous nous attendons donc à un fort rebond de l'utilisation des véhicules à la sortie du confinement, et ce d'autant plus cet été puisque nos concitoyens ne pourront partir à l'étranger. Les parlementaires ont demandé une évaluation de la sinistralité au 30 juin, mais elle ne peut s'évaluer que sur un an au minimum.
De plus, en ce qui concerne les flottes d'entreprise, les contrats prévoient que, si les véhicules ne roulent pas, la prime baisse. Les chiffres étonnants qui ont parfois été évoqués ne me semblent pas en tenir compte...
Sur la question de nos engagements, je me permets de vous renvoyer à un excellent entretien paru aujourd'hui dans L'Argus de l'assurance : le ministre ne dit plus que les assureurs n'en font pas assez. Au contraire, ils ne cessent d'annoncer des mesures individuelles en faveur de leurs assurés en sus de toutes les mesures collectives déjà rappelées. L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a même mis en garde les assureurs, soulignant qu'il serait extrêmement dangereux qu'ils acceptent de couvrir des garanties explicitement exclues de leurs contrats. Personne ne nous demande aujourd'hui d'aller au-delà de ce qui figure dans les contrats.
Le premier intérêt des assurés dans cette crise est que les assureurs restent solvables. Au regard des conséquences incertaines que pourrait avoir cette crise sur le secteur de l'assurance, ces actions de solidarité doivent être très clairement limitées par le respect de l'équilibre financier des compagnies. C'est la première garantie que nous devons à nos assurés.
Monsieur le rapporteur général, vous m'avez interrogée sur le nouveau régime de couverture des catastrophes sanitaires. Je laisserai Monsieur Pénet vous répondre. Sur la réserve de capitalisation et les bonis de liquidation, monsieur le président, Monsieur Poiget va vous fournir des chiffres et vous expliquer les raisons pour lesquelles ces taxes sont une très mauvaise idée.
M. Vincent Éblé, président. - Nous nous doutons que vous trouvez cette idée mauvaise, madame la présidente, mais il nous importe de savoir combien cela pourrait rapporter. Nous nous offusquons qu'à ce titre le Gouvernement n'ait intégré aucune recette dans l'article d'équilibre, alors que ce dispositif avait été voté par la majorité du Sénat.
M. Philippe Poiget, délégué général de la Fédération française de l'assurance (FFA). - La réserve de capitalisation du secteur de l'assurance, qui correspond à une provision technique obligatoire en assurance vie, s'élevait à 19,4 milliards d'euros à la fin de l'année 2018. Depuis dix ans, cette provision n'est plus constituée en franchise d'impôt et elle a fait l'objet de deux « exit taxes », en 2011 et 2012. Les dotations afférentes à cette provision supportent donc intégralement l'impôt sur les sociétés (IS).
La taxation préconisée ne serait pas légitime dans le cadre de la lutte contre le COVID-19. Se pose par ailleurs le problème de sa validité juridique puisqu'elle n'est plus déductible de l'assiette de l'IS, ce qui reviendrait à rajouter une taxe supplémentaire, ce que nous considérons être discriminatoire. Enfin, la référence à la fiscalité de 2011 n'est pas légitime : à cette époque, la taxe exceptionnelle était destinée à assurer la fiscalisation de la réserve de capitalisation, alors dotée par tous les assureurs.
Dans le contexte actuel, je souligne que les assureurs vie sont fortement affectés par la crise actuelle du fait de l'environnement persistant de taux bas et de la baisse des souscriptions d'assurances vie. Une telle taxe, qui représenterait 2 milliards d'euros, serait donc inappropriée et anti-économique, notamment pour le respect des ratios prudentiels.
La taxe sur le boni de liquidation, spécifique à l'assurance de dommages, représente 90 millions d'euros, donc l'ordre de grandeur est très différent de la taxe sur les réserves de capitalisation. Toutefois, nous relevons qu'il n'y a pas de lien direct et immédiat entre son assiette et la baisse de la sinistralité constatée. Cette taxe s'applique en effet a posteriori, dès lors qu'un sinistre a été trop provisionné, tandis que la baisse de sinistralité se traduit par une moindre constitution de provisions pour sinistres. Les deux mécanismes sont différents. Majorer le taux, d'ores et déjà très élevé, de cette taxe reviendrait à la rendre punitive, voire confiscatoire.
M. Stéphane Pénet, délégué général adjoint de la Fédération française de l'assurance (FFA). - Dans la crise actuelle, le « shutdown » économique a été déclenché non par l'épidémie de Covid-19, mais par la décision administrative prise par les pouvoirs publics, laquelle aurait pu intervenir à l'occasion d'un autre événement, un acte de terrorisme ou une catastrophe naturelle par exemple.
Plusieurs questions se posent. S'agit-il de prévoir un dispositif pour mettre à l'abri les entreprises afin qu'elles passent le cap de la crise, ou pour indemniser les préjudices subis ? Les pertes d'exploitation représentent pour les petites entreprises des primes de 200 millions d'euros, et pour l'ensemble des entreprises des primes à hauteur de 500 millions. Nous estimons à 60 milliards d'euros les pertes d'exploitation pour la France. Il faudrait 110 années de primes pour réparer ces dégâts...
Devons-nous protéger toutes les entreprises, du bistrot du coin jusqu'à Air France, ou nous concentrer sur les plus vulnérables d'entre elles, celles de petite taille et les PME ? Cela pose le problème, sur lequel nous travaillons, de la contribution des entreprises et de l'équilibre à trouver.
Un tel dispositif ne pourra pas être financé par les seuls assurés. Il faudrait établir un partage entre les assureurs et les pouvoirs publics, sur le modèle du partenariat public-privé (PPP) prévu pour les catastrophes naturelles : les assureurs seraient mobilisés en cas de « petits » événements et, au-delà d'un certain montant, on ferait jouer la réassurance via la Caisse centrale de réassurance (CCR), et in fine la garantie de l'État.
Nous avons constitué un groupe de travail restreint et pluridisciplinaire sur ce sujet, consulté de nombreuses personnalités qualifiées, et sommes en contact étroit avec les services du Trésor de façon à être en phase avec leur vision des choses.
M. Jean-François Husson. - Si vous devez rattraper un tel retard en matière de communication aujourd'hui et si les ministres ont dit tant de mal du secteur de l'assurance, c'est d'abord parce que les assureurs ont manqué de réactivité.
L'opinion publique et les professionnels se sont majoritairement élevés contre une forme d'attentisme, pour ne pas dire d'apathie. Je sais que ce n'est pas si simple et je partage les observations de Madame Lustman sur le fait, notamment, que les 280 membres de la FFA n'ont évidemment pas tous les mêmes contraintes et les mêmes portefeuilles d'actifs, mais il est singulier qu'il ait fallu une participation financière - en deux temps - du monde de l'assurance au Fonds de solidarité pour que les choses s'améliorent. Il est regrettable que vous n'ayez pas su prendre votre communication à bras-le-corps. En tout cas, comme vous l'avez indiqué, Madame Lustman, on ne règle pas ces questions au jour le jour. La commission des finances, sous l'autorité de son président et de son rapporteur général, suivra le sujet avec une attention particulière dans les mois et les années à venir.
La seconde raison pour laquelle les assureurs sont au coeur de l'actualité, c'est à cause des mesures prises individuellement par certaines compagnies. Pour éviter la foire d'empoigne entre professionnels du secteur, la FFA devrait peut-être mettre en place un cadre d'action et de réflexion, qui ne serait pas contraignant, mais qui délimiterait et fixerait les critères d'indemnisation.
Pour ce qui concerne l'avenir, des réflexions sont actuellement conduites par la FFA, évidemment, et par le ministère de l'économie et des finances. D'une certaine façon, le Sénat a une petite longueur d'avance : Catherine Dumas, Vincent Segouin et moi-même avons élaboré une proposition de loi qui a obtenu le soutien de 160 parlementaires à ce jour et qui s'inscrit parfaitement dans la dialectique décrite par Stéphane Pénet. Dans le contexte actuel, il existe une exigence de vérité, un besoin de transparence si l'on veut créer l'indispensable lien de confiance qui doit unir la communauté des assurés aux assureurs, ce même lien de confiance qui s'est distendu entre la classe politique et les Français.
Dans notre texte, nous proposons de réfléchir à un tandem entre l'État et les assureurs, au sein duquel il faudra définir le rôle et la place de chacun. Nous proposons par ailleurs de privilégier le soutien au monde professionnel et de compenser les pertes d'exploitation des entreprises. Nous envisageons même - c'est en tout cas notre choix de départ - de créer une clause obligatoire dans les contrats d'assurance, sous la forme d'une garantie additionnelle, à l'instar de ce qui existe pour la couverture des dommages résultant de catastrophes naturelles ou d'attentats et d'actes de terrorisme. En effet, nous savons désormais que personne n'est à l'abri de la crise, y compris les grands groupes.
En tant qu'institution et partenaire économique majeur, il est de votre rôle de faire des propositions, comme dans le cadre d'un partenariat public-privé. Contrairement à l'État qui peut s'endetter, les assureurs sont tenus de respecter un certain équilibre des comptes en faisant des provisions. Nous devons présenter des mesures qui, si elles devaient être mises en oeuvre pour couvrir de futurs risques sanitaires, permettraient de répondre immédiatement à la crise, et ce au meilleur niveau de couverture possible.
M. Bernard Delcros. - Je serai bref, car Madame Lustman a déjà apporté de nombreux éléments de réponse. Je me questionnais sur l'absence d'une voix commune dans le monde de l'assurance, qui a nui à la lisibilité de son engagement dans la crise. Je m'interrogeais également sur les conséquences de la baisse de la circulation sur la sinistralité. Enfin, j'avais une question sur les mesures envisagées pour l'éventuelle couverture d'un risque équivalent à celui que fait peser la crise exceptionnelle que nous traversons.
M. Yvon Collin. - Comme mon collègue Bernard Delcros, j'avais trois questions particulièrement pertinentes auxquelles Madame Lustman et ses collaborateurs ont déjà brillamment répondu. La première concernait la mise en place d'une assurance dite « catastrophes sanitaires », la deuxième les règles de la directive Solvabilité II, et la troisième la diminution de la sinistralité durant le confinement, ainsi que ses conséquences.
M. Antoine Lefèvre. - J'ai bien entendu les observations de Madame Lustman sur le Fonds de solidarité et celles de Monsieur Pénet sur les pertes d'exploitation, notamment le ratio entre le montant des primes versées par les entreprises pour compenser leurs pertes d'exploitation et le montant estimé de ces pertes.
Ma question porte sur le secteur de l'hôtellerie-restauration, particulièrement touché par la crise. Disposez-vous d'ores et déjà d'une évaluation des pertes subies par ce secteur, ainsi que de ses futurs besoins compte tenu du confinement auquel il est soumis ?
M. Philippe Dallier. - Je me pose la question de la mise en cause de la responsabilité pénale des décideurs, qu'il s'agisse des chefs d'entreprise ou des décideurs publics. J'espère que les élus locaux, par exemple, sont couverts par les contrats d'assurance auxquels ils ont l'obligation de souscrire. De manière générale, comment appréhendez-vous le risque pour tous ceux qui auront pris des décisions pour gérer la crise sanitaire ? Je pense aux maires et aux préfets que le Premier ministre, dans sa déclaration, vient d'appeler à agir de concert pour la remise en route du pays.
M. Jérôme Bascher. - En 2019, les compagnies ont dégagé des bénéfices substantiels pour leurs activités de réassurance au titre des catastrophes naturelles. Quel est le montant global des économies réalisées à ce titre par l'ensemble des sociétés de la FFA ?
Mme Florence Lustman. - Monsieur Husson, vous faites observer que nous avons manqué de réactivité et que nous avons peu communiqué. Certes, mais je ferai tout de même remarquer que le secteur de l'assurance ne bénéficie d'aucune garantie de la part de l'État face à la crise. Si nous avons compris la gravité de celle-ci dès le début, je rappelle que le métier d'assureur n'est pas - vous l'avez d'ailleurs rappelé - de réagir au jour le jour, mais sur la durée. Notre métier nous conduit à opérer avec prudence. C'est pourquoi nous cherchons avant tout à évaluer les effets de la crise sur nos entreprises pour protéger nos bilans et nos comptes de résultat.
Dans un monde qui se caractérise par l'instantanéité et les réseaux sociaux, les assureurs agissent à rebours et de manière contracyclique. C'est ce que nous faisons, par exemple, en investissant 150 millions d'euros dans le secteur du tourisme. L'économie a besoin de secteurs comme le nôtre, des « paquebots » qui ne se manoeuvrent certes pas aisément, mais pour lesquels l'important est moins d'être réactif que d'être capable de continuer à flotter. Notre mission première est de tenir nos engagements vis-à-vis de nos assurés : nous nous sommes donc comportés en professionnels responsables et ne nous sommes pas précipités pour verser de l'argent ici ou là.
Je veux également souligner un paradoxe : nous sommes le seul secteur économique à contribuer de façon très significative - 400 millions d'euros - au Fonds de solidarité mis en place par l'État et, pourtant, nous sommes les seuls à être sous le feu des attaques. C'est assez incompréhensible. On nous dit que notre contribution est insuffisante, mais ces 400 millions d'euros ne représentent qu'une partie de notre engagement qui s'élève, je le répète, à 3,2 milliards d'euros au total.
Vous m'interrogez sur les restaurateurs, par exemple. Mais parmi nos assurés, on trouve aussi bien des cafés-hôtels-restaurants que des coiffeurs, des fleuristes ou des cordonniers. De nombreux secteurs ou professionnels ont subi des pertes lourdes. C'est pourquoi nous avons estimé que la manière la plus équitable de les aider était d'abonder massivement le Fonds de solidarité.
Pour alimenter la réflexion sur un futur régime de couverture des catastrophes sanitaires ou des fermetures administratives - selon la nature du risque que l'on retiendra -, je souhaite préciser que, dans les circonstances actuelles, le risque pandémique n'est pas assurable. Aujourd'hui, les règles comptables empêchent les compagnies d'assurance de constituer des « provisions d'égalisation » pour les reverser lors d'une situation exceptionnelle. Compte tenu des normes comptables et fiscales en vigueur, ces richesses ne sont pas reconnues comme de véritables provisions et ne sont pas déductibles fiscalement, ce qui entrave toute gestion pluriannuelle des risques. Lever cette difficulté permettrait peut-être de mieux couvrir les risques à l'avenir et, accessoirement, de rapatrier les captives de réassurance dans notre pays, ce qui serait une bonne chose pour relancer l'activité économique.
M. Stéphane Pénet. - La question de la mise en cause des responsabilités est très vraisemblablement l'un des « sinistres » à venir.
Il y a tout d'abord la question de la responsabilité des employeurs vis-à-vis de leurs salariés. Si ces derniers contractent le COVID-19 sur leur lieu de travail, ils seront dans un premier temps indemnisés dans le cadre du régime des accidents du travail et des maladies professionnelles de la sécurité sociale. Le COVID-19 a ainsi été reconnu comme maladie professionnelle pour les professionnels de la santé même si, malgré les pressions, il ne l'est pas encore pour les autres professions. Quoi qu'il en soit, la crise constitue de ce point de vue un risque possible pour un certain nombre d'employeurs.
En revanche, si la faute inexcusable de l'employeur est reconnue, c'est-à-dire que le salarié est parvenu à démontrer que celui-ci a manifestement sous-estimé les mesures de sécurité à prendre, les compagnies d'assurance sont directement concernées, car elles couvrent ce type de risque. C'est avant tout dans le secteur médical que les saisines devraient s'accroître.
Il y a ensuite la mise en cause de la responsabilité du personnel médical par les patients. Nous nous attendons dans les mois à venir à une recrudescence de saisines pour des infections nosocomiales liées au Covid-19, notamment dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), dont les sociétés d'assurance couvrent la responsabilité civile.
Enfin, nous prévoyons également une hausse des sinistres engageant des élus locaux qui sont assurés, je le rappelle, par les contrats qui couvrent les collectivités locales.
Aujourd'hui, beaucoup d'assureurs renforcent leurs actions de prévention en informant leurs assurés des mesures préconisées pour garantir la protection des salariés. Pour autant, dans les six à douze mois qui viennent, nous nous attendons à une vague de sinistres.
Pour répondre à la question qui nous est posée sur la couverture des dommages liés aux catastrophes naturelles, j'aimerais préciser que, s'il y a bien un domaine pour lequel l'analyse doit porter sur le temps long, c'est celui des catastrophes naturelles. Depuis 2009, rares ont été les années lors desquelles il n'y a pas eu une catastrophe naturelle majeure : je citerai Irma en 2017, les inondations dans le Var ou celles de la Seine... L'année 2019 fait figure d'exception et le gain réalisé par les compagnies d'assurance cette année-là est malheureusement très faible en comparaison des pertes enregistrées auparavant. Au sein de la FFA, nous menons, depuis longtemps déjà, un travail pour évaluer l'impact du changement climatique sur nos régimes d'assurance. Ces dernières années, la tendance est à un doublement des coûts indemnisés par les assureurs au titre des catastrophes naturelles.
M. Vincent Éblé, président. - En conclusion, Madame Lustman, je souhaite vous interroger sur cette fameuse contribution volontaire de 400 millions d'euros au Fonds de solidarité. Où en êtes-vous du paiement de cette somme ? Quelle est la part d'ores et déjà versée à l'État, et dans quel délai pensez-vous décaisser le solde ?
Mme Florence Lustman. - Nous avons d'ores et déjà versé 185 ou 190 millions d'euros au Fonds de solidarité mis en place par l'État.
M. Vincent Éblé, président. - Ce chiffre confirme nos informations.
Mme Florence Lustman. - Nous nous apprêtons à payer la seconde partie de la contribution après avoir mobilisé l'ensemble des assureurs.
Petite précision, ce ne sont pas 400 millions d'euros, mais 600 millions d'euros que nous verserons au total, car, en définitive, cette somme n'est pas déductible des impôts. Je le regrette d'ailleurs, parce que cela n'a pas aidé à convaincre les membres de la FFA de contribuer au fonds. Je sais que l'État cherche à mobiliser d'autres acteurs économiques : le fait que ces gestes de solidarité ne soient pas déductibles fiscalement est quelque peu dissuasif.
M. Vincent Éblé, président. - Je vous remercie pour l'ensemble de ces éclairages très utiles.
La téléconférence est close à 17 h 35.
Mercredi 29 avril 2020
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 10 h 40.
Bilan annuel de l'application des lois au 31 mars 2020 - Communication de M. Vincent Éblé, président (en téléconférence)
M. Vincent Éblé, président. - En cette période, il me revient de vous faire un état des lieux du contrôle de l'application des lois promulguées entre le 1er octobre 2018 et le 30 septembre 2019 et qui entrent dans le champ de compétence de la commission des finances. Cet état des lieux couvre la période allant jusqu'au 31 mars 2020 pour la publication des textes réglementaires, des ordonnances et des rapports.
Parmi les six lois que nous avons examinées au fond, trois ne renvoyaient à la publication d'aucune mesure d'application. Il s'agit de :
- la loi du 1er août 2019 de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2018 ;
- la loi du 10 décembre 2018 de finances rectificative pour 2018 ;
- et la loi du 25 février 2019 autorisant l'approbation d'une convention fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg.
Aussi, ce sont trois lois qui devaient faire l'objet d'un suivi cette année par notre commission :
- la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 ;
- la loi du 24 juillet 2019 portant création d'une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés ;
- la loi du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, pour les articles que nous avions examinés dans le cadre d'une délégation au fond de la commission de la culture.
Il faut y ajouter la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, qui a été examinée par une commission spéciale, mais pour laquelle notre commission est responsable du suivi de l'application de 61 articles entrant dans son champ de compétence.
Outre ces lois récentes, nous contrôlons également la mise en application du « stock » des lois antérieures au 1er octobre 2018, soit 14 lois, la plus ancienne étant la loi de finances pour 2012.
À la suite de cet examen, je voudrais vous faire part de mes principales observations.
Première observation, l'essentiel des mesures renvoyant à un texte réglementaire pour la session 2018-2019 sont concentrées sur la seule loi de finances initiale pour 2019, du fait du recentrage de la loi de finances rectificative de fin d'année sur le schéma de fin de gestion.
Je relève ainsi une forte augmentation de dispositions appelant une mesure réglementaire, qui s'explique par l'inflation du nombre d'articles de la LFI, mais pas seulement. Avec 119 renvois à un texte réglementaire, la LFI 2019 dépasse largement la somme cumulée des textes réglementaires prévus par la LFI pour 2018 et la LFR pour 2017.
C'est d'ailleurs pour ce texte, ainsi que pour la loi dite « Pacte », que restent le plus de mesures d'application à prendre. La loi du 24 juillet 2019 portant création d'une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés ne contenait qu'une seule disposition d'application réglementaire. Les articles de la loi du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, ayant été examinés par notre commission, étaient également d'application directe, hormis une demande de rapport. En incidence je mentionne que le comité de suivi, réunissant le Premier président de la Cour des comptes et les présidents des commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances ou de la culture, ne s'est pas encore réuni.
Deuxième observation, le taux de mise en application globale progresse par rapport à l'an dernier (88 % contre 81 %), même si je dois regretter l'allongement moyen des délais de publication, moins du tiers des textes réglementaires ayant été publiés avant le délai de 6 mois prescrit par la circulaire du Premier ministre du 29 février 2008. S'agissant des lois antérieures, le « déstockage » s'avère plus important que l'an dernier, 4 lois sur 14 sont enfin intégralement appliquées.
Troisième observation, 7 dispositions de la LFI 2019 conditionnent la publication d'une mesure réglementaire à la réception préalable d'une réponse de la Commission européenne sur leur conformité avec le régime des aides d'État, contre une seule l'an dernier. 4 de ces dispositions sont ainsi inappliquées, en l'absence de réponse, et 2 ont été déclarées non conformes.
Il s'agit tout d'abord du crédit d'impôt cinéma, à l'article 146 de la LFI 2019, qui introduisait un taux de déduction fiscale égal à 40 %, pour les oeuvres de fiction intensives en effets visuels. La Commission européenne a notamment jugé que le dispositif territorialisait les dépenses éligibles en France. Elle a également refusé de valider l'article 56 qui créait un dispositif de suramortissement des navires utilisant des énergies propres, et des ajustements ont dû être apportés par l'article 48 de la loi de finances pour 2020.
Par ailleurs, au 31 mars 2020, quatre mesures d'application de la LFI 2019 restent conditionnées à une réponse de la Commission européenne. Elles concernent la réforme du régime d'imposition des produits de cession ou concession de brevets ; la prorogation d'une année du taux renforcé de la réduction d'impôt « Madelin » ; la prorogation des aides fiscales à l'économie ultra-marine, assortie de mesures anti-abus ; enfin les taux du crédit d'impôt recherche (CIR) et du crédit d'impôt innovation (CII) pour les dépenses éligibles exposées dans des exploitations situées sur le territoire de la Corse. Le Gouvernement devrait faire toutes les diligences nécessaires pour obtenir une réponse de la Commission européenne, et en rendre compte, alors que ces mesures dépendantes d'une telle réponse tendent à augmenter.
Quatrième observation, en dehors de ces cas, seules quelques dispositions de la loi de finances pour 2019 ne sont pas encore appliquées, souvent parce que la mesure d'application n'est pas nécessaire immédiatement ou est devenue sans objet. À noter toutefois, parmi les retards, celui de l'application de l'article 231 qui autorise la cession à l'État, à titre onéreux, des emprises immobilières d'une superficie de 8 650 m² contiguës aux abords du bâtiment du Grand Palais dans le cadre du projet de restauration de celui-ci. Aux fins de réalisation de cette opération, un arrêté devait préciser les références cadastrales des parcelles concernées. Cet arrêté est toujours attendu, sans que les raisons de ce retard en soient clairement explicitées.
Pour ce qui concerne la loi dite « Pacte », dix mesures de nature réglementaires restent à prendre, et notamment celles concernant la prise d'un décret fixant chaque année, après avis de la Commission de surveillance de la Caisse des dépôts et des consignations, le montant du versement à l'État. Il nous est indiqué une difficulté d'interprétation de la loi, des discussions étaient en cours pour définir si l'obligation de fixer ce montant par décret, après avis de la commission de surveillance, s'applique à compter de 2020 ou 2021...ce qui peut paraître surprenant. On nous indique que le décret serait pris en juin. Comme nous entendrons bientôt le directeur général de la Caisse des dépôts, il pourrait être interrogé sur ce point. Par ailleurs, pour les raisons que vous connaissez, à savoir d'abord le lancement d'une procédure de référendum d'initiative partagée (RIP) puis la chute des marchés financiers, la plupart des textes d'application des articles relatifs à la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP) contenus par la loi PACTE n'ont pas été publiés.
Cinquième observation, pour ce qui concerne les lois antérieures, on remarquera qu'il ne faut pas désespérer de l'application de certains textes. Ainsi, trois ans après l'entrée en vigueur de la loi « Sapin 2 », le décret précisant les modalités d'affectation sous forme de don des sommes déposées sur le livret de développement durable et solidaire a finalement été publié le 4 décembre 2019, et entrera en vigueur le 1er juin 2020. On ne sait si cette mise en oeuvre tardive résulte davantage de la réticence des pouvoirs publics ou de celle des acteurs bancaires...
Dans le même ordre d'idée, l'article 68 de la loi de finances pour 2018 avait prévu, à l'initiative de notre commission et en particulier du rapporteur général, un plafonnement du montant des frais et commissions payés lors de l'acquisition d'un logement faisant l'objet du dispositif « Pinel ». Le décret d'application a été pris avec un retard de près de deux années, le 20 décembre 2019, avec une application aux actes authentiques signés à compter du 1er avril 2020. J'avais interrogé le ministre sur ce point l'an passé...il avait justifié le retard par des délais de consultation...
Enfin, l'article 171 de la loi de finances pour 2018 prévoyait de rendre gratuite l'utilisation des autoroutes pour les véhicules d'intérêt général prioritaires en opération. Lors du dernier bilan de l'application des lois au Sénat, il avait été rappelé que l'absence de publication de ce décret s'expliquait par des difficultés juridiques, le Conseil d'État estimant qu'une telle exemption serait inconstitutionnelle. Faute de décret, le ministère de la transition écologique et solidaire a annoncé en avril 2019 que la mise en oeuvre de cette mesure se ferait par une révision des conventions entre les sociétés concessionnaires d'autoroute (SCA) et les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Cette solution représente une avancée mais elle se limite aux SDIS, alors que sont aussi concernés les véhicules de la police, de la gendarmerie, des services d'aide médicale urgente (SAMU) etc. et dans les faits, la mesure n'est donc pas appliquée par une disposition réglementaire.
Enfin, s'agissant des lois ayant une certaine ancienneté, il y a lieu de tirer le signal d'alarme quand des mesures prévues en 2011, 2013 et 2014 concernant le régime des redevances pour l'obtention de certificats sanitaires en matière agricole ne sont toujours pas prises au motif que des négociations avec certaines professions seraient toujours en cours...parfois près de neuf ans après la prise de la disposition légale. Il conviendrait d'avoir des explications sur des retards aussi importants et sur la pertinence de maintenir en l'état les dispositions légales.
Sixième observation, pour ce qui concerne la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, particulièrement suivie par notre commission, 16 mesures d'application étaient nécessaires. J'avais attiré votre attention l'an passé sur des dispositions d'application manquantes, elles ont désormais toutes été prises à l'exception de deux. Celles-ci concernent les articles 14 et 15 de la loi qui octroient respectivement aux agents des douanes et aux agents de l'administration des impôts un droit de communication des données de connexion pour les besoins des enquêtes portant sur les délits douaniers et fiscaux les plus graves. Cette prérogative est soumise à une autorisation préalable du procureur de la République. Quoique la disposition soit entrée en vigueur le 1er janvier 2019, son application effective requiert un décret en Conseil d'État afin de déterminer les modalités d'application de ce droit de communication.
Selon les informations transmises par l'administration, le Conseil d'État a été saisi d'un projet de décret fin 2018. Cependant, il a indiqué fin mars 2019 que ce projet appellerait un avis défavorable de sa part dès lors les garanties procédurales prévues pourraient être insuffisantes au regard des exigences issues du droit de l'Union européenne. Ainsi, des réflexions sont engagées afin de définir une solution alternative qui pourrait consister en un recours au juge des libertés et de la détention pour autoriser le recueil des données de connexion, ou, à l'instar de l'Autorité des marchés financiers ou de l'Autorité de la concurrence, à l'obtention d'une autorisation d'accès auprès du contrôleur des données de connexion.
Septième observation, en ce qui concerne le suivi des habilitations et des ordonnances, la seule ordonnance attendue depuis le dernier contrôle a bien été prise, mais les 9 ordonnances qui étaient en attente de ratification le sont toujours, alors que 7 ordonnances ont été publiées il y a plus de 4 ans, et la plus ancienne a été signée le 2 avril 2015. Il conviendrait d'accélérer le processus qui implique le Gouvernement comme le Parlement.
Dernière observation, le nombre de dispositions prévoyant la remise d'un rapport demeure élevé (24 en 2018-2019, 36 en 2017-2018), alors que le taux de remise s'avère très bas. Moins du quart des 23 rapports attendus ont ainsi été remis. Il convient de relever par ailleurs que 82 % des dispositions demandant la transmission d'un rapport sont issues d'un amendement de l'Assemblée nationale. Nous devons collectivement nous interroger sur la pertinence des demandes de rapports, lorsque les informations peuvent être par exemple sollicitées directement par les rapporteurs spéciaux. D'autant que même lorsqu'ils sont remis, leur qualité laisse souvent à désirer, on peut ainsi donner l'exemple du rapport relatif à l'évolution des dépenses et des ressources de la Société du Grand Paris remis en novembre dernier, qui était attendu, mais qui n'a donné aucune information réellement nouvelle.
Enfin, en conclusion, je voudrais évoquer le sujet des expérimentations, point sur lequel nous avons été invités à faire un focus particulier cette année. Nous avons peu d'exemples pour la période examinée, mais je peux citer l'article 268 de la LFI pour 2019 qui concernait l'expérimentation du service du RSA par la remise d'un titre de paiement délivré par la caisse d'allocations familiales en Guyane, à Mayotte et à Saint-Martin. Le Conseil d'État, saisi pour avis du projet de décret d'application, a estimé que les dispositions étaient contraires à l'article 74 de la Constitution... D'autres expérimentations sont néanmoins prévues par la loi de finances pour 2020, notamment en matière de logement : l'article 164 prévoit que le zonage de la réduction d'impôt dite Pinel est défini à titre expérimental jusqu'à la fin 2021 par le préfet de région en Bretagne, et non par des règles nationales. La préfète de la région Bretagne a bien pris l'arrêté de zonage le 19 mars, avec une mise en application dès le 1er avril. Le dispositif a donc été rendu applicable plus rapidement que dans le délai maximal prévu au 1er juillet 2020 par la loi, ce dont il faut se féliciter.
C'est par ce point positif que je termine et donne la parole à Albéric de Montgolfier, rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je souhaiterais revenir sur la loi relative à la lutte contre la fraude » du 23 octobre 2018. J'avais lancé au début de l'année un travail tendant à établir un bilan de sa mise en oeuvre. Je remercie d'ailleurs le Président Vincent Éblé qui m'a accompagné dans le cadre de mes premières investigations, puisque nous nous sommes rendus en février dernier au service du contrôle fiscal, afin de vérifier sur place si la nouvelle procédure de transmission automatique des dossiers de contrôle fiscal les plus graves remplaçant le « Verrou de Bercy » s'appliquait bien.
Vous savez que la loi a prévu désormais la transmission obligatoire des infractions les plus graves au parquet par l'administration fiscale, dès lors que certains critères sont remplis, cette dernière pouvant, en tout état de cause, toujours choisir de déposer plainte, sous réserve d'un avis préalable de la commission des infractions fiscales.
D'après ce bilan, la loi est efficace puisqu'en 2019, 965 dossiers ont fait l'objet d'une dénonciation obligatoire et 672 ont été transmis à la commission des infractions fiscales en dehors des cas de dénonciation obligatoire, contre 813 dossiers transmis en 2018. On peut donc dire que le dispositif que nous avons voté fonctionne effectivement.
Dans les premiers mois de son application, la typologie des dossiers conduit à constater une forte prévalence des dossiers les plus graves, portant sur une majoration de 100 %.
En outre, il s'agit majoritairement de dossiers portant sur des fraudes à l'impôt sur les sociétés et à la taxe sur la valeur ajoutée, conséquence de l'application du critère du montant de 100 000 euros de droits fraudés : il est plus facilement atteint pour des sociétés que pour les dossiers de personnes physiques qui sont plus rares.
Les dossiers sont transmis par les directions départementales des finances publiques au parquet, de manière décentralisée, une fois par trimestre et de façon dématérialisée.
J'avais prévu de me déplacer dans une direction territoriale pour voir concrètement le travail de traitement et de tri des dossiers. En raison des conditions sanitaires actuelles, je poursuivrai ultérieurement ce travail d'investigation.
La question majeure s'avère désormais celle du traitement des dossiers transmis par la justice : que pourra en faire l'autorité judiciaire ? C'est un contentieux qui n'apparaît pas forcément comme prioritaire, ce que nous craignions. Certains voulaient transmettre tous les dossiers : je soulignais au cours de nos débats le risque d'enlisement, les parquets sont par ailleurs sollicités par des affaires bien plus graves (violences familiales, crimes, terrorisme etc). La fraude fiscale risque donc de ne pas être une priorité.
Ainsi sur les 965 dossiers transmis automatiquement, le taux de correctionnalisation s'élève à moins d'un quart à l'heure actuelle : près de 19 % ont conduit le parquet à engager une suite judiciaire, 5 % ont été classés sans suite. Les trois-quarts des dossiers transmis sont en attente de traitement et restent sans réponse.
Lors de notre déplacement à Bercy nous avons aussi relevé une très grande hétérogénéité des traitements selon les parquets. Par choix, par contrainte d'organisation ou du fait de leur saturation, les parquets ont des taux de traitement très différents. Par exemple, en Seine-Saint-Denis les dossiers auront tendance à être classés beaucoup plus vite, tout simplement car, comme l'a déjà souligné notre collègue Philippe Dallier, le parquet de Bobigny est dans une situation de tension forte et permanente. Autant l'administration fiscale a un traitement relativement homogène sur le territoire national, autant les parquets risquent de connaître des situations très différentes selon leurs moyens ou leurs priorités. Ce qui renvoie à la question de l'égalité de traitement.
Ainsi, le système de tri fonctionne, le nombre de dossiers transmis au parquet augmente mais il faudra voir quel sera le traitement des dossiers par la justice, qui doit évidemment exister pour les fraudes les plus graves. Parfois le traitement judiciaire montre des limites et peut, en tout état de cause, s'avérer, en termes de rentrées fiscales, moins efficace que le traitement par Bercy, qui s'appuie sur des systèmes de majoration dissuasifs.
Je poursuivrai en tout état de cause mon contrôle sur l'application de la loi relative à la lutte contre la fraude dans les prochains mois.
M. Vincent Éblé, président. - Merci Monsieur le rapporteur général, je souscris entièrement à vos observations.
M. Philippe Dallier. - S'agissant de la situation en Seine-Saint-Denis, serait-il possible, à l'occasion d'un déplacement, de constater dans quelle proportion le contribuable échappe au contrôle moyen qui existe dans d'autres départements?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général - J'avais effectivement prévu de me déplacer dans un département qui doit traiter de nombreux dossiers fiscaux et ayant par ailleurs une forte activité, à l'image de la Seine-Saint-Denis. Quoiqu'il en soit, il est probable qu'une entreprise a beaucoup moins de chance d'être contrôlée en Seine-Saint-Denis que dans un département rural. Ce sera aussi le cas au niveau du parquet, il y a moins de poursuite et pas le même taux de traitement.
Il est instructif de regarder le nombre d'agents de la DGFiP par département et au regard d'un même nombre d'habitants. Sur les postes difficiles, certains départements peinent à attirer les agents et connaissent un renouvellement fréquent de leurs équipes, ce qui se traduit par une moindre efficacité des contrôles. Mais, dès que les conditions sanitaires le permettront, nous poursuivrons ce contrôle en nous rendant sur place.
Audition de Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), M. Nicolas Dufourcq, directeur général de la société anonyme Bpifrance (en téléconférence)
M. Vincent Éblé, président. - Le mécanisme des prêts garantis par l'État (PGE), que nous avons adopté à l'occasion de l'examen du premier projet de loi de finances rectificative et ajusté la semaine dernière lors de la discussion du deuxième collectif budgétaire, permet aux banques d'octroyer aux entreprises des prêts de trésorerie bénéficiant de la garantie de l'État, sous le contrôle de Bpifrance.
Le déploiement en a été à la fois rapide et massif : en dépit des mesures de confinement, ce sont 25 milliards d'euros de prêts qui ont été distribués sur tout le territoire en un mois.
Nous avons tous cependant été saisis de difficultés d'accès aux PGE qui, quoique ponctuelles, menacent la survie de nombreuses entreprises, parfois essentielles pour un bassin d'emploi. Le deuxième collectif devrait lever certains obstacles juridiques, en particulier pour les entreprises en difficulté. À la demande du Sénat, une solution subsidiaire pour les entreprises écartées du bénéfice des PGE a également été introduite.
Le rapporteur général et moi-même représenterons le Sénat au comité de suivi, avec un troisième sénateur qui sera prochainement nommé. Après une première phase à marche forcée, des obstacles pratiques restent encore à lever, tels que des formalités exigées par certaines banques au-delà de ce qui est prévu. C'est pourquoi nous avons souhaité faire un point sur le déploiement du PGE et, plus largement, sur les mesures d'urgence prises en réponse à la crise actuelle.
Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française, et M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance. Au-delà du PGE, nous serons ravis d'évoquer les engagements pris par les établissements bancaires pour permettre à leurs clients de faire face aux difficultés, ainsi que les actions mises en oeuvre plus largement par Bpifrance.
Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF). - C'est un honneur pour nous de vous présenter ce que nous faisons. Nous parlons de banques, qui sont elles-mêmes des entreprises, avec des femmes, des hommes, des systèmes, des processus de décision et une attention constante à la continuité de l'activité. Puisque la période que nous traversons est celle d'un recentrage sur l'essentiel, il est primordial de le rappeler. C'est ce qui explique que la décision a été prise de permettre aux banques de continuer leur activité pour aider les autres entreprises à le faire.
Nous comptons 115 banques étrangères parmi nos membres. Nos 103 comités territoriaux constituent des relais très importants dans tous les départements et permettent partout un échange avec les pouvoirs publics. Cette connexion est un facteur de réussite.
Non seulement la mobilisation du secteur a été rapide au démarrage, mais elle s'est maintenue pour améliorer le dispositif en continu. Vous l'avez vécu de l'intérieur : le PGE a été adopté définitivement par le Parlement le vendredi 20 mars, et il a été mis en place le mercredi 25 mars. L'information des chargés de clientèle, la diffusion dans les systèmes, les services commerciaux et les services risques se sont donc faites très rapidement, en deux jours ouvrables : les 23 et 24 mars. Un dispositif lancé en si peu de temps ne peut pas être parfait - s'il l'était, ce serait inquiétant au regard du temps que nous passons à mettre en place les dispositifs en dehors des temps de crise !
L'approche a été pragmatique et modeste. Nous sommes partis très fort : dès le 26 mars, des entreprises avaient obtenu un préaccord. Mais l'idée était de régler les problèmes lorsqu'ils surviendraient.
Mercredi 1er avril, le ministère de l'économie et des finances a publié le fruit du travail collectif qu'il a engagé avec Bpifrance et nous : une « foire aux questions » (FAQ) spécifique au PGE, qui clarifie par exemple les périmètres en termes de chiffre d'affaires ou ce que les banques prennent en considération lorsque les comptes des entreprises ne sont pas encore certifiés. Cette réponse commune très utile comprend aussi des engagements forts de la profession bancaire en termes de simplification et de rapidité.
Il nous revenait que, dans le doute, certains conseillers - il suffit parfois d'une ou deux personnes pour qu'on ait le sentiment que cela arrive souvent - demandaient des garanties personnelles aux chefs d'entreprise. Nous avons très vite communiqué pour dire que non, il n'y avait pas lieu d'en demander. Cet irritant rectifié, les retours se sont atténués la semaine suivante et ont disparu celle d'après. Autre point à clarifier : il convient d'accomplir des diligences appropriées à la situation du client - pour les très petites entreprises (TPE), ne pas exiger de documentation excessive et s'appuyer autant que possible sur la connaissance préalable du client.
Pour autant, le PGE est un prêt qui doit être remboursé. Toutes les entreprises ne souhaitent pas forcément s'endetter. La montée en puissance du dispositif est le fait d'entreprises qui sont prêtes à le faire. C'est une logique différente de celle du fonds de solidarité ; mais, pour pouvoir bénéficier du deuxième étage du fonds de solidarité, une entreprise a besoin de prouver qu'un PGE a été refusé... C'est ce qui explique que beaucoup d'entreprises soient pressées d'obtenir une réponse, qu'elle soit positive ou négative. Nous instruisons dans un délai de cinq jours - ce qui est très court -, parfois moins si le dossier est extrêmement simple. Mais, pour les dossiers complexes, une journée d'attente est encore trop longue, a fortiori s'il est nécessaire que le refus de PGE ait été signifié pour pouvoir engager d'autres démarches qui prendront, elles aussi, du temps.
Nous sommes attentifs aux réalités concrètes. Le Parlement a souhaité des notifications écrites de refus, alors que les réponses se faisaient beaucoup jusqu'à présent par téléphone, pour aller plus vite. Mais comme il faut une réponse écrite pour d'autres démarches...
Beaucoup de problèmes concrets ont donc été résolus et les procédures ont été diffusées à 60 000 personnes sur le terrain, chargés de clientèles et personnel des sièges des banques, chacun devant mettre en oeuvre une organisation particulière pour la distanciation sociale et les gestes barrières. Il leur a fallu digérer ces informations pour assurer la fluidité.
Quelques chiffres ; hier soir, 409 000 dossiers avaient été déposés, dont 301 000 ayant reçu un préaccord. Nulle part en Europe on atteint ce niveau. L'encours des dossiers en phase d'instruction était de 77,2 milliards d'euros et 46 milliards d'euros de prêts avaient déjà été préaccordés. Le montant moyen par demande est de 150 000 à 190 000 euros. Cela reflète le fait que, dans l'immense majorité des cas, les demandes émanent de PME et de TPE. D'après l'étude de la Banque de France sur le stock de prêts préaccordés au 15 avril, 90 % des crédits en nombre et plus de la moitié en montant avaient été attribués à des TPE, pour 90 000 euros en moyenne. Pour des montants inférieurs, de l'ordre de la dizaine de milliers d'euros, les toutes petites entreprises peuvent aussi passer par le crédit, mais la majorité d'entre elles trouvent des solutions via d'autres dispositifs
Parlons maintenant du sujet important des refus. Le taux de refus est de moins de 5 %, ce qui correspond aux chiffres de la Médiation du crédit, qui est saisie de moins de 5 % des dossiers instruits. C'est peu d'un point de vue macroéconomique, mais pour l'entreprise qui voit son dossier refusé, c'est un très grand problème. Le deuxième collectif budgétaire apporte de nouvelles solutions. Certaines entreprises n'étaient pas éligibles du fait de l'application de critères européens ou de la loi. Les dispositions que vous avez votées et les négociations menées par le ministère de l'économie et des finances avec la Commission européenne ont permis de les desserrer.
Un certain nombre de dossiers étaient écartés du fait de ces critères couperets du droit de l'Union européenne qui qualifiaient une structure d'entreprise en difficulté. Si votre capital était de 100 000 euros et vos fonds propres de 49 000 euros, vous ne pouviez pas prétendre au PGE ; vous le pouviez s'ils étaient de 51 000 euros... Ce critère empêchait les banques d'examiner les situations au cas par cas. Avec l'accord de la Commission européenne, des dossiers peuvent aujourd'hui être rouverts. Cela ne signifie pas pour autant que ces entreprises obtiendront un prêt aussi facilement que celles bénéficiant d'une cotation Banque de France bonne ou même moyenne, pour lesquelles c'est automatique.
Des entreprises de tous les secteurs sont servies. Les TPE en représentent l'immense majorité. Pour nous, l'essentiel est de conserver un contact continu et de trouver des solutions pour l'ensemble des professionnels, que ce soit par le biais du crédit ou par d'autres voies.
Je souhaite pour terminer vous assurer du dévouement des salariés du secteur bancaire, secteur dont une des forces est la qualité du dialogue social. J'ai entendu qu'ils avaient été salués par le ministre de l'économie et des finances et par certains sénateurs : merci pour ces marques de reconnaissance, qui comptent beaucoup.
M. Nicolas Dufourcq, directeur général de la société anonyme Bpifrance. - Je rejoins les propos qui viennent d'être tenus. Pour résumer, je dirais que nous avons retourné toutes les pierres... Les 15 000 agences bancaires sont au front et travaillent principalement sur les PGE et les reports des échéances de leurs clients.
Aujourd'hui, le montant des préaccords de PGE s'élève à environ 3 milliards d'euros par jour. Nous avons atteint la fin de la première étape de ce programme et les banques vont nous envoyer leur premier listing de clients garantis. Nous entrons dans une deuxième phase : les entreprises qui n'ont pas encore mobilisé totalement leur capacité d'emprunt, égale - je le rappelle - à trois mois de chiffre d'affaires, pouvant discuter d'une nouvelle enveloppe avec leur chargé de clientèle.
Quelque 320 000 entreprises ont reçu un PGE. Le taux de refus est compris entre 3 % et 5 %, ce qui n'est pas anecdotique. Il nous faut trouver des solutions pour ces entreprises, autant que faire se peut. Pour une part significative - environ 40 % -, ces refus tiennent au fait que les entreprises concernées étaient classées comme étant en difficulté au sens de la réglementation européenne. Ce problème est maintenant traité, sauf pour les entreprises qui étaient en cessation de paiement à la fin de l'année 2019. Ainsi, il est désormais possible d'accorder un PGE à des petites et moyennes entreprises dont les fonds propres soit sont négatifs, soit ont beaucoup diminué dans la période récente.
Par ailleurs, les crédits du Fonds de développement économique et social (FDES) atteignent 1 milliard d'euros, dont la moitié est destinée au versement d'avances remboursables pour des TPE et PME. Les réseaux déconcentrés de l'État sont chargés d'instruire ces dossiers. Nous sommes en discussion avec la direction générale des entreprises pour que notre plateforme, qui est entièrement numérique, puisse être utilisée comme outil de gestion de ce dispositif. Le taux de pertes attendu est naturellement très supérieur à ce que le monde bancaire peut accepter.
La plupart des conseils régionaux ont monté, en partenariat avec les intercommunalités, les métropoles, les départements et la Caisse des dépôts et consignations (CDC), des fonds appelés de résilience ou de résistance. Ces fonds qui sont dotés à hauteur de deux euros par habitant vont permettre le versement de petites avances remboursables à des TPE, à des associations ou à des structures de l'économie sociale et solidaire qui n'entreraient pas dans le champ des PGE ou qui n'auraient pas obtenu ces prêts. Certaines régions demandent à Bpifrance d'être l'opérateur de gestion de ces fonds.
Bpifrance prête également directement à des entreprises et nous avons lancé un véritable « pont aérien » de cash dès le 15 mars au matin. Depuis lors, nous avons accordé des prêts à hauteur de 3,2 milliards d'euros. Dans notre gamme de prêts, il y a un prêt à taux zéro, sans garantie, d'une durée de six ans, financé par les conseils régionaux et appelé prêt « rebond », qui connaît un grand succès, mais est épuisé dans certaines régions, et un prêt, appelé prêt « atout », d'une durée de six ans, avec deux ans de différé de remboursement et un taux de 2,5 %. En Auvergne-Rhône-Alpes, le conseil régional a souhaité faire un investissement très significatif, en dotant le fonds de 50 millions d'euros, ce qui permettra d'accorder entre 150 millions et 200 millions d'euros de prêts. D'autres dispositifs s'ajoutent à ces prêts. L'enveloppe de 3 milliards d'euros destinée initialement aux prêts « atout » est épuisée.
Là aussi, nous allons maintenant entrer dans une deuxième étape, en assurant directement la distribution des PGE auprès des 80 000 clients actifs de Bpifrance, dont seulement 10 000 ont, à ce stade, demandé soit un prêt « atout », soit un prêt « rebond », soit un PGE. Nous pensons verser ainsi entre 2 milliards et 3 milliards d'euros en PGE. Pour cela, nous nous appuierons sur la plateforme 100 % numérique que nous avons ouverte jeudi dernier ; pour assurer l'intégrité des données fournies par les entreprises, nous avons noué un partenariat avec les experts-comptables. Cette plateforme est une véritable nouveauté sur le marché bancaire français.
Autre point que je veux mentionner à ce stade, nous menons des actions importantes dans le secteur du tourisme, qui est évidemment très affecté par la crise. Ce secteur a beaucoup bénéficié des PGE : à la fin de la semaine dernière, l'encours distribué était de 2,5 milliards d'euros, pour 30 000 restaurants et 6 000 hôtels. Nous pensons qu'il faut aller plus loin, en mettant en place des prêts immédiatement longs. C'est pourquoi la Banque des territoires et Bpifrance proposent le prêt « tourisme », sans garantie, sur dix ans et avec deux ans de différé de remboursement. Ce prêt est très demandé, si bien que la CDC a décidé de nous accompagner, en dotant le fonds de garantie ad hoc à hauteur de 100 millions d'euros, ce qui nous permettra de disposer d'une enveloppe de 500 millions d'euros de prêts destinés aux hôtels, aux restaurants et aux autres acteurs de cette profession.
M. Vincent Capo-Canellas. - Le secteur du transport aérien est très affecté par cette crise, que ce soient les compagnies aériennes ou les entreprises industrielles. Comment Bpifrance intervient-elle en faveur de ce secteur ? Pouvez-vous nous donner des précisions sur l'accord trouvé avec Air France ? La compagnie Corsair est-elle éligible aux PGE ? Comment comptez-vous soutenir les petites compagnies ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'enveloppe globale de PGE, fixée à 300 milliards d'euros par la première loi de finances rectificative, paraît largement suffisante à ce stade. Que pensez-vous de ce volume ? Savez-vous comment il a été déterminé ?
Durant l'examen du deuxième projet de loi de finances rectificative, le Sénat a souhaité compléter les PGE et le recours au FDES par un autre outil. Cela a finalement débouché sur une proposition du Gouvernement de mettre en place des prêts participatifs, que la commission mixte paritaire a intégrée au texte. Comment ce mécanisme sera-t-il mis en oeuvre ? Quelles seront les entreprises concernées ?
Par ailleurs, il est vrai que la mise en oeuvre des PGE s'est aujourd'hui très largement améliorée par rapport au début. Nous le devons au travail des banques et à celui du médiateur du crédit, ainsi qu'aux améliorations apportées par le législateur. Je souhaiterais donc vous interroger sur l'après... Comment allons-nous sortir de tous ces dispositifs, PGE et autres prêts FDES ou participatifs ? Que va-t-il se passer dans un an, si une entreprise ne peut pas rembourser son prêt ? Il ne faudrait pas que tout cela se transforme en sinistres pour les banques et pour l'État.
M. Vincent Éblé, président. - Il est vrai que nous sommes moins souvent saisis qu'auparavant par des entreprises rencontrant des difficultés pour obtenir un PGE, mais les chiffres qui viennent de nous être donnés montrent qu'environ 15 000 entreprises ont essuyé un refus.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est pour cette raison que nous avons voté d'autres dispositifs lors de l'examen du deuxième projet de loi de finances rectificative.
Mme Maya Atig. - Il faut savoir que l'ensemble des crédits de trésorerie accordés aux entreprises non financières atteint habituellement un peu plus de 200 milliards d'euros par an et que l'encours des PGE devrait passer la barre des 100 milliards d'euros. Le calibrage de l'enveloppe des PGE se situe donc à un niveau très élevé, ce qui envoie un signal clair : la limite ne peut pas être atteinte rapidement et il ne doit pas y avoir d'inquiétude à ce sujet.
Je rappelle que les entreprises concernées par les PGE sont celles qui sont en difficulté du fait du confinement. Le dispositif ne vise pas celles qui étaient déjà en difficulté auparavant, celles qui n'étaient pas viables. De ce fait, même en améliorant les choses, nous n'aurons jamais une absence totale de refus.
Selon les informations dont nous disposons à ce stade, le dispositif des prêts participatifs sera géré par l'État et nous n'avons pas encore eu de discussions détaillées à ce sujet, en particulier sur l'articulation des différents dispositifs.
Enfin, je vous remercie de dire que la situation s'est améliorée. Les banques ont produit un gros effort en ce sens, mais nous ne devons pas le relâcher. La question de l'après est évidemment très importante. Le prêt est amortissable au bout d'un an dans des conditions qui seront discutées entre l'entreprise et le ou les prêteurs. Cette période doit nous permettre d'examiner la structure financière de l'entreprise et d'anticiper, mais il est trop tôt pour imaginer les différents scénarios.
M. Nicolas Dufourcq. - Les prêts participatifs que vous évoquez, monsieur le rapporteur général, seront des avances remboursables qui seront attribuées par les services de l'État. Dans l'enveloppe totale de 1 milliard d'euros, 500 millions d'euros y seront consacrés. Ce dispositif interviendra lorsque le PGE n'aura pas été accordé, même après l'intervention du médiateur du crédit. Dans ce cas, le dossier passera dans les mains du comité départemental d'examen des problèmes de financement des entreprises (Codefi) et dans celles du commissaire au redressement productif, comme aujourd'hui pour les entreprises en difficulté. Telles sont les informations dont je dispose à ce stade. Encore une fois, nous pourrons utiliser notre plateforme numérique pour gérer ces avances remboursables, une fois qu'elles auront été accordées.
L'enveloppe de 300 milliards d'euros a été calculée de manière grossière sur la base des volumes annuels habituels de prêts de trésorerie. Le principe du PGE est simple : c'est une avance sur recettes calculée sur la base du chiffre d'affaires réalisé en trois mois. L'encours des PGE progresse rapidement et nous ne savons pas comment les choses évolueront durant le second semestre, le dispositif fonctionnant jusqu'au 31 décembre 2020. Je pense que nous tiendrons un volume de 3 milliards d'euros par jour et un encours global de 100 milliards d'euros. Cependant, les demandes qui portent sur des montants très élevés, quelques centaines de millions, voire un milliard d'euros, vont commencer seulement maintenant à aboutir, puisque leurs délais d'instruction sont évidemment plus longs. Les délais sont également plus longs lorsque les PGE sont partagés au sein d'un pool bancaire.
Les conditions des prêts qui se mettront en place au bout d'un an relèvent de la liberté contractuelle des relations des banques avec leurs clients. Il revient aux banques de donner ou non de la visibilité sur les taux qu'elles pratiqueront à ce moment ; c'est en tout cas ce que fait Bpifrance avec ses clients.
En ce qui concerne le transport aérien, je n'ai pas d'informations particulières sur l'accord conclu avec Air France. Il est certain que les sous-traitants aéronautiques de deuxième et troisième rangs vont souffrir et qu'il faudra leur apporter des fonds propres. En outre, il est fondamental que les délais de paiement soient tenus afin que les assureurs crédit restent actifs sur ce marché. Les entreprises du secteur ne sont aucunement dans le déni et savent très bien que trois années difficiles s'annoncent. Dans le même esprit, nous sommes également actifs dans le secteur automobile ; nous préparons un plan pour ces deux secteurs.
M. Julien Bargeton. - Comment les banques mettent-elles en oeuvre la demande du Gouvernement de ne pas accorder d'aide de trésorerie à des entreprises françaises ayant des filiales dans des paradis fiscaux ?
S'agissant des particuliers, est-ce que la situation de chômage partiel a un impact sur l'octroi d'un crédit immobilier ou sur la renégociation d'un prêt existant ?
Bpifrance compte-t-elle aussi mettre en place un « pont aérien » pour les start-ups ? Avez-vous repéré des « pépites » françaises dans le domaine de l'e-santé ? Quelle est la politique de Bpifrance en la matière ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Quels sont les coûts de fonctionnement de Bpifrance pour les PGE ? Quels frais appliquez-vous pour ce dispositif ? Par ailleurs, la mise en place des PGE aboutit-elle à une augmentation de la fraude ?
Mme Christine Lavarde. - Les start-ups ont parfois recours à une banque en ligne qui ne distribue pas de prêts, ce qui rend difficile pour elles l'obtention d'un PGE. Comment soutenir ces start-ups ?
M. Jérôme Bascher. - Le réseau des banques françaises reste très important. Sera-t-il remis en cause du fait de cette crise ?
Bpifrance distribue des prêts d'honneur. Qu'allez-vous faire pour les entreprises qui entrent dans le champ de ce dispositif ? Par ailleurs, est-ce que le fonds Lac d'argent mis en place par Bpifrance va intervenir dans cette crise ?
M. Éric Bocquet. - Les PGE sont accordés, pour l'essentiel, à des TPE-PME, mais ils profitent aussi à certains grands groupes. Lesquels d'entre eux vous ont sollicité ? Comment s'assurer que ces groupes respectent la règle concernant les paradis fiscaux ? Je regrette vraiment que le Gouvernement n'ait pas été favorable à un amendement que le Sénat a adopté sur ce sujet et que la commission mixte paritaire ne l'ait pas retenu.
M. Roger Karoutchi. - Il est vrai que nous sommes beaucoup moins souvent saisis aujourd'hui que nous l'étions il y a trois semaines de la situation d'entreprises ayant du mal à obtenir un PGE. Pour autant, les choses semblent toujours compliquées pour les organisateurs d'événements comme des festivals ou des concerts. Des dispositifs particuliers sont-ils prévus pour ces acteurs économiques culturels ? Ne sont-ils pas un peu oubliés ?
M. Sébastien Meurant. - Le secteur aérien est important pour les Français en termes de continuité territoriale, par exemple avec la Corse ou l'outre-mer. Il l'est également pour le secteur touristique français. Or les petites compagnies vont avoir grand besoin de soutien. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?
M. Jean-François Rapin. - Les dossiers qui seront financés par les fonds mis en place par les régions, les intercommunalités et la CDC connaîtront nécessairement une sinistralité assez forte. Comment le coût de cette sinistralité sera-t-il réparti entre les partenaires de ces fonds ?
Par ailleurs, de quelle enveloppe le plan « tourisme » mis en place par Bpifrance est-il doté ? Est-ce que les parcs d'attraction sont inclus dans ce plan ?
M. Yvon Collin. - Les banques américaines ont inscrit des provisions pour faire face aux risques de défaut de paiement. Les banques européennes semblent s'engager dans la même démarche. Ces provisions sont-elles raisonnables ? Traduisent-elles un manque de confiance dans les règles de solvabilité ? Sera-t-il nécessaire de réviser Bâle III ?
Que pensez-vous de l'action de la Banque centrale européenne (BCE) pour limiter la volatilité des taux d'intérêt des dettes souveraines européennes ? Malgré son ambitieux programme d'achat lié à l'urgence pandémique de 750 milliards d'euros, les écarts de taux persistent et l'Italie est en difficulté. Comment jugez-vous la situation des taux français ?
M. Claude Raynal. - Quelle est la situation financière de Bpifrance elle-même ? Sera-t-il nécessaire de renforcer cet outil dans les mois qui viennent ?
Mme Maya Atig. - En ce qui concerne les paradis fiscaux, cette question est traitée au cas par cas, dossier par dossier, par les services du ministère de l'économie et des finances, qui s'assurent que les emprunteurs prennent les engagements utiles.
M. Nicolas Dufourcq. - J'ajoute à ce sujet que les structures de conformité des banques fournissent un travail important en la matière.
Par ailleurs, nous nous sommes assurés que les start-ups aient accès aux PGE. Il est par exemple prévu, dans leur cas, de se référer à la masse salariale plutôt qu'au chiffre d'affaires, souvent peu représentatif de leur activité. De fait, les start-ups ont obtenu au total plusieurs centaines de millions d'euros au titre de ce dispositif. En outre, nous continuons de proposer notre gamme de prêts, dont certains sont adaptés aux start-ups. Enfin, Bpifrance commence à commercialiser le PGE à destination de ces entreprises, en leur indiquant les conditions futures du prêt qui leur sera proposé, au-delà d'un an. Notre objectif est de fournir une enveloppe comprise entre 300 millions et 500 millions d'euros.
Pour les start-ups qui avaient démarré une levée de fonds et qui n'arrivent pas à la clore, nous avons créé un fonds, dénommé French Tech Bridge, de 80 millions d'euros pour qu'elles puissent améliorer leur trésorerie. Il est doté par le programme d'investissements d'avenir.
De manière générale, je veux préciser que nous développons nos produits selon deux principes d'action : la vélocité et la simplicité.
Le « pont aérien » de cash prend la forme du maintien très volontariste de nos investissements dans le secteur de l'innovation française, que ce soit directement ou via des fonds de fonds. Dans les dernières semaines, nous avons souscrit à d'importants apports en capitaux, en particulier lorsque les levées de fonds prévues ne se passaient pas bien. En outre, nous continuons au même rythme qu'avant à injecter des capitaux dans les fonds privés français - 1 milliard d'euros est prévu à ce titre en 2020, une moitié en innovation, une autre en capital-développement. Ainsi, nous continuons de prendre des décisions très importantes pour faire en sorte que des « pépites » françaises ne soient pas rachetées par des entreprises étrangères.
Globalement, je n'ai pas l'impression que les start-ups ressentent un stress accru. L'État comme les fonds dédiés à l'innovation des grandes banques françaises sont très présents aux côtés de ces entreprises. Celles qui figurent dans notre portefeuille disposent en moyenne de douze mois de trésorerie. Bpifrance a créé un fonds dédié à l'e-santé, le fonds « patient autonome », et ce sujet est classé très haut parmi nos préoccupations.
En ce qui concerne les coûts de fonctionnement de Bpifrance, la première loi de finances rectificative a prévu que notre participerions au dispositif des PGE à titre gratuit. Je respecte naturellement cette décision du Parlement, mais ce n'est pas raisonnable. Nous allons devoir gérer dans la durée des centaines de milliers de dossiers, ce qui n'est évidemment pas gratuit. Cependant, je comprends que nous devions faire notre part du chemin et participer à l'union nationale au service des entrepreneurs, comme le font les banques puisqu'elles ont annoncé qu'elles ne réaliseraient pas de marge sur les PGE. De manière générale, les coûts de fonctionnement de Bpifrance sont faibles, puisque le coefficient d'exploitation sur son activité de prêteur direct est de 47 %, soit l'un des plus bas du secteur bancaire.
Nous travaillons sur le cas des start-ups recourant habituellement à une banque qui n'a pas l'agrément de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et qui n'est donc pas autorisée à prêter. Je pense que nous allons trouver des solutions, mais le dispositif des PGE est très encadré par le droit national comme par le droit communautaire.
Tout comme les autres prêts, les prêts d'honneur ont été rééchelonnés et nous sommes en train de créer, en renfort, un prêt permettant d'accompagner les petites entreprises qui, ayant déjà obtenu un prêt d'honneur, rencontrent des difficultés de trésorerie. Ce dispositif sera mis en place au travers des réseaux d'accompagnement que nous finançons -France active, Initiative France, l'Association pour le droit à l'initiative économique et les boutiques de gestion -, lesquels proposeront en outre un module de sortie de crise. Ainsi, ce prêt « renfort » sera accordé sous réserve que l'entreprise ait établi un scenario de sortie de crise.
Plus largement, nous augmentons notre capacité d'intervention en direction des publics fragiles, avec les prêts d'honneur, les prêts à taux zéro ou les prêts Nacre. Pour cela, nous avons besoin du fonds de cohésion sociale (FCS). C'est une ligne de la mission « Travail et emploi » à ne pas négliger, car c'est grâce à ce fonds que nous finançons ces programmes d'accompagnement.
Pour le fonds Lac d'argent, la situation est tout autre. Nous allons pouvoir procéder au premier closing à 4,1 milliards d'euros, dont 1 milliard d'euros investis par Bpifrance. Mais ce fonds, dans lequel nous sommes minoritaires, implique des capitaux privés, français et étrangers, et un rendement est légitimement attendu par les investisseurs. Ce n'est pas le véhicule qu'il faudra utiliser pour recapitaliser des entreprises cotées en difficulté, car il n'a pas été conçu pour cela et proposé comme tel aux investisseurs. Les opérations de sauvetage devront être financées sur les fonds propres de Bpifrance ou par l'Agence des participations de l'État par l'intermédiaire du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».
La question concernant le secteur de l'événementiel est tout à fait justifiée. Non contents d'avoir fortement augmenté les capacités du prêt « tourisme », nous allons également accroître celles du prêt aux industries créatives (PIC). Ce prêt étant financé par un fonds de garantie doté par l'Union européenne et la Banque européenne d'investissement, au travers du Fonds européen d'investissement et d'un autre programme, nous menons actuellement des discussions au niveau européen pour pouvoir renforcer la capacité d'intervention dans ce domaine.
La problématique de la continuité territoriale, s'agissant notamment des outre-mer, concerne des compagnies aériennes qui sollicitent de très importants PGE. Ces dossiers, cela a été dit, sont directement instruits par la direction générale du Trésor. Je n'ai pas en tête de dossiers concernant de telles compagnies dans lesquels Bpifrance interviendrait.
Par ailleurs, il ne faut pas confondre les fonds de résistance ou de résilience des régions et les prêts « rebond ». Les premiers, avec la dotation de 2 euros par habitant, peuvent être opérés via la plateforme numérique par Bpifrance pour le compte de certaines régions, mais ils ne figurent pas sur notre bilan, contrairement aux seconds, qui sont des prêts à taux zéro à six ans, avec deux ans de différé de remboursement, octroyés par Bpifrance, bonifiés et garantis par les fonds de garantie régionaux. Le montant global visé pour ces prêts « rebond » est d'environ 400 millions d'euros - ce sera plus si nous obtenons de nouvelles dotations.
Les prêts « rebond » devraient connaître une sinistralité supérieure à la moyenne du crédit bancaire français, mais pas dans une proportion considérable - de mémoire, le multiplicateur est compris entre 4 et 5. En revanche, les petits prêts des fonds de résistance ou de résilience sont conçus pour absorber des sinistralités beaucoup plus importantes.
Bpifrance consacrera plus de 1 milliard d'euros au plan établi pour le secteur du tourisme, mais je rappelle l'existence d'une banque publique du tourisme, constituée par Bpifrance et la Banque des territoires. Je présente souvent cette collaboration, qui est d'une grande cohérence et d'une fluidité totale, comme un fruit à deux moitiés : une moitié jaune représentant les entrepreneurs et les opérateurs ; une moitié rouge représentant les infrastructures foncières et les territoires. Le plan actuellement présenté à l'État est la résultante de l'emboîtement du plan de Bpifrance et de celui de la Banque des territoires.
Les parcs d'attraction, que Bpifrance finance déjà largement et dont elle est même parfois actionnaire, sont bien évidemment inclus dans son plan.
S'agissant du secteur bancaire, nous n'échapperons pas à la constitution de certaines provisions, qui sont mathématiquement prévues dans les dispositifs prudentiels réglementaires. Elles seront probablement significatives en 2020.
En tant que banquier, je suis très content de savoir que l'on peut présenter les PGE au guichet de la BCE et au titre des opérations de refinancement à plus long terme ciblées, les TLTRO. En outre, les injections de liquidités auxquelles la BCE procède sont incontestablement efficaces, et c'est grâce à cette politique de liquidités abondantes que nous avons pu réussir la première opération d'obligations Covid française sur le marché.
Enfin, il y a plusieurs manières d'interpréter la question de savoir si Bpifrance, en tant qu'outil, doit être renforcé.
Notre bilan nous permet-il de mener à bien toutes ces opérations ? Oui ! Avons-nous des contraintes de solvabilité dans les prochains mois ? Non ! Avons-nous des contraintes de liquidité ? Non !
Au-delà, avons-nous besoin d'être renforcés ?
La demande est toujours considérable en matière de prêts sans garantie et nous sommes limités par les enveloppes budgétaires. Nous aimerions, par exemple, encourager la digitalisation dans l'usine 4.0 ; nous ne pouvons pas le faire. Nous aimerions multiplier les prêts destinés à financer la transition écologique des usines françaises, les prêts « verts », et estimons qu'il faudrait leur consacrer une enveloppe de 1,5 milliard d'euros, bien supérieure à la dotation de 15 millions d'euros décidée récemment par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), dont je me réjouis néanmoins. Il faut donc aller chercher des dotations ; nous en avons besoin pour pouvoir proposer des prêts à long terme sans garantie, avec des différés de remboursement. Selon nous, c'est le moteur de la transformation des entreprises.
De la même manière, nous ne pouvons pas tout prendre sur nos fonds propres. Pour déployer nos fonds, par exemple les fonds d'obligations convertibles dans les territoires, qui nous permettent d'apporter du capital, plutôt que des prêts, à des entreprises de taille moyenne, il nous faut des dotations, qui viennent soit du programme d'investissements d'avenir, soit de nos actionnaires, soit d'investisseurs privés. Je pense aux assureurs ou à de grands groupes français, comme Sanofi ou Renault, qui ont déjà investi dans certains de nos fonds.
M. Emmanuel Capus. - Vous évaluez le montant total des PGE entre 100 milliards et 200 milliards d'euros. À combien estimez-vous le risque pour l'État en cas de non-remboursement de ces prêts ?
M. Nicolas Dufourcq. - Je ne peux pas répondre à cette question, n'ayant pas de boule de cristal ! En revanche, je peux vous livrer une intuition. Sur la période 2008-2009, dans le cadre des programmes de garantie Oséo, la sinistralité enregistrée s'est révélée plus faible qu'anticipé et les économistes, dont Jean-Noël Barrot, ont estimé que le plan mis en oeuvre alors avait rapporté de l'argent, en évitant des centaines de milliers de chômeurs. Tout dépend donc de l'aune à laquelle on mesure l'efficacité du programme... Si l'on prend en considération un montant total de 100 milliards d'euros au titre des PGE, avec une sinistralité de 10 %, nous avons là un scenario extrême, aboutissant à une perte de 10 milliards d'euros, dont 9 milliards d'euros pris en charge par l'État et 1 milliard d'euros par les banques. Il faut mettre ces chiffres en balance avec celui du chômage évité, lequel, sans ce dispositif, attendrait des niveaux considérables.
Mme Maya Atig. - L'accès au crédit immobilier dépendra surtout de la situation des emprunteurs au moment où celle de l'économie se décantera. Le sujet de la baisse de rémunération pendant ces deux mois de confinement - sachant que, la plupart du temps, le chômage partiel est complété par l'employeur - est minime au regard du fait que certaines personnes qui voulaient accéder au crédit voilà trois mois ne seront plus en mesure de le faire. Pour les crédits contractés, on procède déjà à des renégociations en agence, et les salariés en difficulté peuvent revoir leurs échéanciers. Toutes ces souplesses contractuelles, associées au choix de la France de protéger très massivement le revenu, expliquent que certaines situations ne se présentent pas encore.
Le sujet des banques en ligne a été traité dans un document diffusé, la semaine dernière, sur le site de Bercy, le nôtre et celui de Bpifrance. Effectivement, certaines d'entre elles ne sont pas agréées pour faire du crédit. Souvent, cette situation concerne de toutes petites entreprises, dont le chiffre d'affaires avoisine 10 000 euros. Celles-ci peuvent s'adresser à la banque agréée appartenant au même groupe que leur banque en ligne et, s'il n'y en a pas, à une autre banque. Néanmoins, dans ce cas, leur dossier ne sera probablement pas traité avec la même célérité que celui des entreprises clientes de longue date.
S'agissant des difficultés des banques françaises, je l'ai dit, ces dernières sont des entreprises avant tout, dont la matière première est la liquidité. La BCE fait ce qu'il faut, aujourd'hui, pour assurer une bonne tenue des marchés. Certes, la volatilité est très forte sur certains marchés, mais elle n'empêche pas l'accès au crédit et c'est ce qui compte actuellement. Autrement dit, les banques ont des possibilités de financement importantes.
Par ailleurs, leurs réserves ne sont pas uniquement constituées par leurs fonds propres. Elles ont des provisions importantes, qu'elles continuent de doter, de trimestre en trimestre, à mesure de leur production de crédits et de l'évolution de leurs risques. C'est dans ce premier coussin de sécurité qu'elles vont puiser, avant celui de leurs fonds propres. Il n'y a donc pas d'inquiétude particulière à avoir, même si les coûts du risque, que nous nous étions habitués à voir diminuer depuis plusieurs trimestres, risquent de remonter.
Une fois que la banque a payé le coût du risque, qu'elle dispose d'une bonne évaluation de la situation, alors elle peut examiner ses coûts de fonctionnement et sa manière de travailler. Au regard des standards européens, la France dispose d'un réseau bancaire très développé. C'est une spécificité totalement assumée, même si ce réseau fait l'objet d'efforts continus de modernisation. Le PGE, par exemple, n'aurait pu être aussi bien déployé sans outils et conseillers performants, donc sans cette logique de proximité. Ce n'est pas le moment de parler d'une éventuelle évolution du fonctionnement des banques, mais il ne fait pas de doute que l'efficacité opérationnelle continuera de les préoccuper, dans la perspective de pouvoir offrir un service de qualité tout en dégageant la rentabilité nécessaire au renforcement de leur solidité financière.
Nicolas Dufourcq a bien explicité l'intervention de Bpifrance sur les activités liées au tourisme, qui sont multiples sur le territoire. Ce secteur représente de 10 % à 20 % des efforts réalisés aujourd'hui en termes de PGE ou de moratoires de crédits, soit une proportion supérieure au poids de ces entreprises dans l'économie.
M. Vincent Éblé, président. - Merci de ces éclairages. La période est complexe pour tous, y compris pour les banques françaises. Votre rôle est primordial pour éviter que cette crise sanitaire ne se transforme en désastre économique, car la survie de nombreuses entreprises passe, aussi, par la possibilité pour elles de trouver un soutien auprès des fournisseurs de crédit. C'est pourquoi nous vous remercions pour votre travail.
M. Michel Canevet. -J'ai quelques questions supplémentaires à poser...
Le secteur touristique doit être appréhendé très largement : autour des hôteliers et des restaurateurs gravitent de nombreuses autres professions. En Bretagne, on nous a indiqué qu'il n'y avait pas de prêts « rebond ». Est-il envisagé d'en déployer dans toutes les régions ?
Des banques demandent, pour octroyer des PGE, des garanties comme le blocage des comptes courants d'associé. Est-ce légitime ?
Parmi les 409 000 demandes de PGE, avez-vous intégré les demandes émanant de pools bancaires ?
M. Nicolas Dufourcq. - Le prêt « rebond » a connu un grand succès en Bretagne. L'enveloppe est épuisée et nous discutons actuellement d'une possible nouvelle dotation. Des régions comme la Nouvelle-Aquitaine ont choisi de ne pas mettre en oeuvre ce prêt et la région d'Île-de-France est tout juste en train de le faire.
Mme Maya Atig. - Les comptes multiples sont bien inclus dans le chiffre donné. Ils ne le sont pas au niveau de Bpifrance, dont l'outil prévoit un seul ticket par entreprise, mais ils le sont plus en amont, au moment du dépôt de la demande. C'est pourquoi nous parlons de 409 000 dossiers. Cela étant, les pools bancaires sont peu nombreux. Ils concernent des entreprises d'une certaine taille alors que, comme nous l'avons précisé, 90 % des PGE sont accordés à des TPE, auxquelles il faut ajouter de 5 % à 6 % de PME. En arrondissant au millier inférieur, on obtient donc une bonne approximation du nombre d'entreprises concernées.
En termes de garanties par l'État des prêts bancaires, je rappelle qu'aucune garantie personnelle sur le chef d'entreprise ne peut être demandée, mais que l'établissement bancaire peut logiquement exiger des garanties portant sur l'entreprise. Il peut, par exemple, vouloir s'assurer que les actionnaires la soutiendront jusqu'au bout. C'est une explication possible pour la demande citée en exemple.
M. Vincent Éblé, président. - Merci à tous.
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