Jeudi 23 avril 2020
- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Communication sur les incendies survenus dans la région de Tchernobyl
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques s'est réuni, le jeudi 23 avril 2020, en visioconférence, pour prendre connaissance d'une communication de Mme Émilie Cariou, députée, sur les incendies survenus dans la région de Tchernobyl et pour poursuivre la veille entreprise sur l'épidémie de Covid-19.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, a indiqué qu'à la demande d'Émilie Cariou, un entretien avait eu lieu le mercredi 22 avril avec M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), et M. Jean-Christophe Gariel, directeur général adjoint, chargé de la santé et de l'environnement.
Tchernobyl est évidemment un lieu très sensible en termes de sûreté nucléaire et de radioprotection. Des incendies se sont déclarés il y a environ deux semaines à une distance significative de la centrale, soit 20 à 30 km. Certains se sont approchés à un kilomètre, mais les opérations récurrentes de déforestation préventive dans un rayon d'un kilomètre de la centrale limitent très fortement le risque d'incendie du site proprement dit. Les incendies provoquent une remise en suspension dans l'air de particules radioactives. L'IRSN a présenté une simulation des déplacements du « nuage » : celui-ci s'est d'abord dirigé vers le sud-est de l'Europe puis s'est répandu sur la moitié sud du continent, recouvrant en partie le territoire français. Le nuage ne connaît pas de frontières mais ne contient de radioactivité que dans des proportions infinitésimales, à la limite de la sensibilité des appareils de détection.
Répondant à une question portant sur le risque causé par une éventuelle panne d'électricité pour la sûreté des piscines à combustibles, l'IRSN a estimé que la situation n'était pas préoccupante car il n'y a pas de risque d'assèchement ou d'évaporation de l'eau de refroidissement.
Mme Émilie Cariou, députée, a indiqué qu'elle avait souhaité que soit organisé un entretien avec l'IRSN sur les conséquences des incendies dans la région de Tchernobyl car, à l'instar de plusieurs associations comme la CRIIRAD et Greenpeace, l'Institut s'en était fait l'écho, en publiant des notes de situation.
L'accident survenu le 26 avril 1986 à l'occasion d'un essai de routine effectué sur l'un des quatre réacteurs de la centrale nucléaire de Tchernobyl a provoqué des émissions massives de radionucléides dans l'atmosphère qui se sont diffusées jusqu'en Europe de l'ouest. Autour de la centrale, une surface d'environ 200 000 km2 a été fortement contaminée, ce qui a conduit à la création de deux zones d'exclusion, en Ukraine et en Biélorussie. La zone évacuée reste pour l'essentiel inhabitée mais plusieurs centaines de personnes continuent à travailler à l'entretien de la centrale arrêtée et à la surveillance des installations de stockage et d'entreposage des déchets. Les radionucléides sont concentrés dans les dix premiers centimètres du sol ; ils sont absorbés en partie par les végétaux, puis retournent au sol lorsque ceux-ci meurent et se décomposent. Ce cycle se répétera pendant plusieurs milliers d'années.
Depuis 1986, la fréquence des incendies s'est accrue, notamment en raison de l'extension de la forêt due à l'abandon des activités agricoles dans la zone d'exclusion, et d'une augmentation des épisodes de sécheresse et de canicule. Ils sont essentiellement d'origine humaine et accidentelle.
Lorsqu'il a eu connaissance des incendies, l'IRSN a immédiatement gréé au niveau 1 son centre de crise, afin d'évaluer leurs conséquences en Ukraine et en France. Cette évaluation s'appuie sur des mesures et des données météorologiques. L'IRSN dispose du réseau d'alerte Teleray, constitué de 438 sondes mesurant en permanence les rayonnements gamma, et du réseau Opera-Air, constitué d'une cinquantaine de stations de collecte de poussières atmosphériques, dont une dizaine à haut débit (ces stations permettent de réaliser des mesures très précises, en accumulant par filtration les particules de l'air pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines). Des systèmes équivalents existent dans le reste de l'Europe, notamment en Ukraine. Les résultats des mesures effectuées par le réseau Opera-Air devraient être disponibles dans quelques jours ; l'IRSN s'attend à ce qu'ils soient proches de l'évaluation faite à partir de l'estimation du terme-source et de la modélisation météorologique, à savoir un débit de dose de l'ordre du micro-becquerel.
Les incendies déclarés à partir du 4 avril 2020 ont atteint la zone d'exclusion de Tchernobyl vers le 8 avril, en s'approchant à un kilomètre de la centrale nucléaire. Plus de 20 000 hectares de forêt ont déjà brûlé. Les incendies ont repris après un premier épisode pluvieux qui les avait réduits ; ils devraient prendre fin avec le deuxième épisode prévu en fin de semaine.
L'estimation par l'IRSN de l'impact dosimétrique des incendies conclut à leur innocuité pour les populations situées à proximité. Même pour les pompiers ukrainiens, la dose est négligeable en regard de celle directement reçue du sol. En France, l'impact résultant de l'inhalation de la radioactivité transportée par les masses d'air devrait être insignifiant.
L'IRSN a affirmé que les installations nucléaires situées dans la zone d'exclusion, que ce soit la centrale elle-même, avec ses quatre réacteurs à l'arrêt, ou les différents entreposages et stockages de déchets radioactifs, ne seraient pas mises en danger. Les précautions prises pour éviter que le feu n'atteigne ces installations sont de même nature que celles mises en oeuvre dans le reste de l'Europe, c'est-à-dire le déboisement périphérique. L'IRSN ne dispose d'aucune information sur l'éventuelle présence à proximité de réserves d'eau supplémentaires.
Il convient de rappeler qu'un article scientifique publié en décembre 2014 dans la revue Environment International étudiait le risque d'incendie à proximité de la centrale nucléaire de Tchernobyl et cherchait à évaluer ses conséquences potentielles.
Les combustibles usés se trouvent actuellement dans une installation provisoire d'entreposage sous eau (une « piscine »), dénommée ISF-1 ; une installation de stockage à sec, dénommée ISF-2, doit prochainement les accueillir. La piscine ISF-1 n'est en effet plus aux normes et connaît des problèmes d'étanchéité.
L'évaluation faite par l'IRSN rejoint celles effectuées à l'étranger, notamment par l'autorité de sûreté ukrainienne, et aussi en partie celle de la CRIIRAD, même si cette association se pose des questions sur l'impact radiologique effectif des incendies pour les populations riveraines et la sûreté des installations nucléaires, ainsi que sur la prévention de ces incendies.
Sur un autre plan, l'entretien avec l'IRSN a aussi permis de constater que, malgré l'épidémie - une soixantaine de collaborateurs de l'IRSN ont été contaminés - et le confinement, l'Institut assure la continuité de l'expertise scientifique sur la sûreté nucléaire. L'IRSN a récemment publié plusieurs avis, dont l'un très attendu sur les réacteurs de 900 mégawatts, et des notes, notamment sur la situation à Tchernobyl, et il a maintenu ses relations avec l'Autorité de sûreté nucléaire et les exploitants. Seules les activités de recherche sont ralenties, pour leur partie expérimentale, car les études sur dossier peuvent se poursuivre.
Une quarantaine de personnes continuent à travailler sur site, pour les fonctions touchant à l'informatique et à la sécurité, pour poursuivre la production des dosimètres nécessaires aux personnels hospitaliers, ou pour contribuer aux travaux sur les solutions de filtration de virus, domaine dans lequel l'Institut possède une expertise.
Il est rassurant de voir que, malgré l'épidémie, la continuité du système français de contrôle de la sûreté des installations nucléaires est assurée, ce que devrait confirmer l'audition de l'Autorité de sûreté nucléaire, prévue le 28 mai prochain, pour la présentation de son rapport annuel.
L'IRSN suit de près la situation à Tchernobyl. Il faudra continuer à travailler avec les autorités ukrainiennes pour veiller à un entretien des forêts aux alentours de la centrale nucléaire et pour sécuriser encore davantage la zone.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, a indiqué rejoindre ces préoccupations et s'est interrogé sur la capacité de la Russie, pays constructeur de la centrale, et de l'Ukraine, pays exploitant, à coopérer sur ces sujets compte-tenu du contexte conflictuel entre les deux pays.
Mme Émilie Cariou, députée, a souligné que, dans le contexte soviétique, les travaux de sécurisation et de nettoyage de la zone contaminée étaient assurés par la Russie, qui centralisait toutes les opérations, mais aujourd'hui c'est l'Ukraine qui prend en charge ces missions. Les informations sur le degré de coopération entre les deux pays sont assez parcellaires.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, et M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, ont tous deux estimé qu'il serait intéressant d'en savoir plus.
Mme Émilie Cariou, députée, a indiqué ne pas savoir si les autorités ukrainiennes disposent réellement des moyens de nettoyer correctement les zones boisées environnant la centrale.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, a rappelé que l'Ukraine est un pays de tradition industrielle et dispose de compétences réelles dans ce domaine, notamment dans l'armement, mais on peut se demander si l'efficacité des ingénieurs sur le terrain n'est pas limitée par une organisation politique et administrative trop peu performante. L'Union européenne est très impliquée et puisque deux entreprises françaises, Vinci et Bouygues, ont construit le deuxième sarcophage, la France doit certainement détenir des informations.
Mme Émilie Cariou, députée, est convenue que la France a beaucoup fait pour la conception et le bon achèvement du deuxième sarcophage.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, s'est réjoui que l'IRSN, bien que touché par le coronavirus, continue à assurer ses missions avec autant de détermination. Il est réconfortant de voir une administration aussi motivée.
Point de situation sur l'épidémie de Covid-19
Venons-en à notre second point à l'ordre du jour : le suivi de l'épidémie de Covid-19. Chaque jour, de nouvelles informations surgissent, de nouveaux événements doivent être pris en compte, et des auditions doivent être mises en place, dans des délais extrêmement courts. Les travaux sur l'épidémie de coronavirus ont donné lieu à des entretiens avec Éric Caumes, qui exerce à la Pitié-Salpêtrière, et des équipes de modélisateurs, autour de Pascal Crépey, Pierre-Yves Boëlle, Vittoria Colizza et Samuel Alizon. Il faut aussi saluer les excellents échanges avec le Gouvernement, en particulier le cabinet du ministre de la Santé, avec lequel les contacts sont très fluides.
Globalement, au cours des entretiens, des informations se précisent mais une certaine inquiétude se fait jour chez les professionnels entendus, en raison de la complexité des opérations de sortie progressive du confinement.
Les entretiens se sont tout d'abord concentrés sur la modélisation des épidémies. Les scientifiques ont évoqué leurs études, notamment les modélisations fondées sur les modèles à compartiments. Ceux-ci répartissent la population en plusieurs compartiments : les sujets susceptibles d'être infectés, exposés à l'infection, hospitalisés, guéris, décédés, etc. ; des équations décrivent les flux passant d'un compartiment à l'autre, qui dépendent des modes de contamination, des interactions sociales, des effets des mesures de distanciation, etc. Le modèle le plus simple, datant d'environ un siècle, comporte trois compartiments : les individus susceptibles d'être infectés, les individus infectés et les individus guéris. Les modèles récents sont beaucoup plus complexes : les équipes de recherche reconnues utilisent couramment une dizaine de catégories différentes. Une note est en cours d'élaboration et devrait être présentée à l'Office prochainement.
La modélisation de l'épidémie est une activité à la fois complexe et cruciale, car un objectif majeur de la réponse sanitaire à la crise est d'éviter que le nombre de malades nécessitant une hospitalisation dépasse le nombre de lits disponibles. Comme on ne pourra pas arrêter l'épidémie ou éradiquer le virus avant longtemps, l'enjeu consiste à maintenir le nombre de personnes nécessitant des soins intensifs en-dessous de nos capacités. C'est pourquoi, dans sa dernière intervention devant la presse, le Premier ministre a commencé par évoquer ce sujet.
Les chercheurs ont décrit en détail leurs expériences et modélisations. L'équipe de Samuel Alizon propose des simulations en ligne très intéressantes, qui permettent de modifier les paramètres du modèle sous-jacent et de constater les effets de ces modifications sur le développement de l'épidémie. Ils ont ainsi « exploré » les deux stratégies évoquées le 16 avril par l'Académie nationale de médecine : limiter au maximum et dans la durée la diffusion du virus, ou laisser celui-ci se répandre dans la population « sans risque ». Les modélisateurs ont clairement exprimé leur préférence pour la première stratégie, la seconde conduisant à des conséquences majeures au regard du nombre de victimes.
L'enjeu du confinement et des mesures qui le prolongeront consiste à réduire le « nombre de reproduction » de l'épidémie. Il s'agit du nombre de personnes susceptibles d'être contaminées, en moyenne, par une personne infectée. Pour le virus SARS-CoV-2, le nombre de reproduction est environ 3 en conditions naturelles, sans mesures prophylactiques. Le confinement vise à l'amener au-dessous de 1 : en effet, même s'il n'est que très légèrement supérieur à 1, la capacité du système hospitalier est saturée en quelques mois. Les estimations diffèrent suivant les équipes, mais le nombre de reproduction est aujourd'hui sans doute proche de 0,7 : il est donc inférieur à 1, mais pas de beaucoup, et cette estimation est cohérente avec la décrue très lente du nombre de cas. À ce jour la maîtrise du virus reste très fragile.
Les spécialistes en modélisation n'ignorent pas les incertitudes importantes qui affectent leurs modèles, notamment en raison de la difficulté à estimer les probabilités de contamination. Par exemple, ils ne s'engagent pas sur le taux de protection effectif des masques qui seraient utilisés par la population. Le nombre élevé de paramètres et le fait que certains ne peuvent être fixés que de façon un peu arbitraire font que l'on peut parler de « choix de modélisation » et que les résultats peuvent être très différents d'une équipe à l'autre. Cependant, malgré ces incertitudes importantes, les modèles joueront un rôle majeur dans l'évaluation de la situation et la prise de décision.
Au regard d'une éventuelle différenciation du confinement selon des catégories de population, les équipes entendues ont toutes basé leurs calculs sur deux hypothèses : la non réouverture des écoles et le confinement prolongé des seniors et des populations dites « à risque ». Ces hypothèses ont été contestées dans les débats publics de la semaine écoulée, mais les chercheurs ne disposent pas, à ce jour, de simulation permettant d'éclairer les choix. Faute de mieux, ils vont retourner à leur copie... avec un degré élevé d'incertitude, en particulier pour les écoles. En effet, il se pourrait que la contamination au sein des écoles soit globalement bien moins importante pour le coronavirus que pour la grippe, notamment parce que les enfants sont très peu symptomatiques. La question est néanmoins sérieuse, puisque les conséquences sur la santé d'une infection au coronavirus peuvent être plus graves que celles de la grippe.
Les entretiens ont également porté sur la situation sur le terrain, dans les hôpitaux. Le professeur Éric Caumes n'a pas la langue dans sa poche ; or, initialement très critique vis-à-vis de l'action du gouvernement, il s'est dit satisfait des orientations qui ont été prises au plan sanitaire, de la bonne compréhension des phénomènes et de l'attention portée au monde médical par le ministre de la santé et le Premier ministre. Il s'inquiète cependant d'une situation qui reste très fragile : des hôpitaux et des services restent saturés et accueillent un nombre de patients supérieur à leur capacité nominale, celle d'avant la crise. On observe aussi une baisse des consultations et des hospitalisations pour les affections autres que le Covid-19, ce qui suggère que les malades concernés ne se font plus soigner, soit parce que le système les en empêche, soit parce qu'ils se limitent eux-mêmes. Des conséquences inquiétantes apparaissent, certaines personnes ayant laissé se prolonger un état médical insatisfaisant, d'autres étant entrées dans un état psychologique très dégradé.
Ces constats ont conduit Eric Caumes à changer d'avis sur le confinement des seniors. Voici encore une ou deux semaines, il était partisan d'une approche stricte, consistant à maintenir quelque temps les seniors confinés. Mais, estimant que le débat public sur ce sujet s'est mal engagé et qu'apparaît désormais aussi un tableau clinique de personnes « malades du confinement » plutôt que du Covid-19, il estime qu'il faut maintenant chercher un nouvel équilibre. Pour lui, les seniors devront prendre durablement des précautions dans un contexte de risque sans pour autant être soumis à une contrainte pesante.
Il faut souligner qu'Éric Caumes n'évoque pas la crainte d'une deuxième « vague », mais d'un deuxième « col », car il estime que la France reste sur un haut plateau sans être véritablement redescendue aux niveaux antérieurs à la crise. Le système de santé n'est pas sorti de la saturation et n'a pas eu le temps de reprendre son souffle. De plus, les signaux internationaux ne sont guère encourageants : des pays asiatiques qui semblaient pourtant bien contrôler la situation, comme Singapour, connaissent de nouveaux départs épidémiques.
Pour Éric Caumes, la clef du déconfinement sera la prévention et non les traitements. Or la France n'a pas cette culture de la prévention. Cela aura un impact négatif sur la détermination des personnes à tester, qui a donné lieu à des prises de position différenciées dans le débat public, y compris de la part des plus hautes autorités de l'État.
La capacité du système à retracer les chaînes de contamination sera déterminante pour la sortie du confinement. Or, Éric Caumes a expliqué que même au sein de l'AP-HP, ce traçage n'est pas réalisé correctement. Le service de santé au travail avait identifié des personnels contaminés au sein d'un service et avait demandé qu'ils rentrent à leur domicile ; mais aucun dépistage systématique au sein de ce service n'avait été entrepris. Éric Caumes a insisté pour que ce soit fait et cela a permis d'identifier deux clusters au sein de son hôpital. Il souligne donc que le système de santé doit être plus efficace pour détecter les chaînes de contamination et isoler les personnes contaminées. Dans les pays qui ont réussi à juguler l'épidémie, la clef du succès a été l'efficacité du dépistage « manuel », plus que celle du traçage automatique ; l'Allemagne vient d'ailleurs d'annoncer 20 000 recrutements pour réaliser un tel dépistage. La France doit parvenir à mettre en place l'organisation administrative et humaine nécessaire.
Le troisième sujet abordé était celui des sondages visant à évaluer la prévalence du virus, c'est-à-dire la proportion de personnes ayant été infectées. Des études récentes réalisées sous l'égide de l'Inserm ou d'autres organismes ont fait quelque bruit car elles concluaient qu'un faible pourcentage de personnes (5 % à 6 % seulement) avaient été infectées à travers la France, des disparités géographiques étant néanmoins relevées. Ces estimations se fondent essentiellement sur des extrapolations à partir du nombre de cas graves et du nombre de morts.
Tout autre est l'approche qui consiste à effectuer des tests sérologiques sur un échantillon représentatif de la population. L'Inserm coordonne une étude nationale sur ce sujet en coopération avec plusieurs régions. En parallèle, Paris pilote une expérience ambitieuse, qui s'appuie sur une méthodologie rigoureuse pour la détermination de l'échantillon représentatif et la façon de prendre contact avec les personnes sélectionnées dans cet échantillon - il est prévu qu'elles se rendent dans un laboratoire agréé pour s'y faire tester, sous le contrôle d'un médecin, et non qu'elles envoient aux investigateurs un échantillon contenant une goutte de sang obtenue par autoprélèvement au domicile. L'entreprise est en cours. Elle s'avère étonnamment complexe.
Au-delà des difficultés propres à la constitution de l'échantillon aléatoire, des incertitudes subsistent sur la qualité des tests sérologiques. Le Centre National de Reìfeìrence des virus des infections respiratoires, hébergé par l'Institut Pasteur, devait rendre en début de semaine le résultat des « évaluations de performance » des tests qui lui ont été soumis, mais cette restitution a été repoussée de quelques jours. Le déploiement à grande échelle des kits de test correspondants est donc lui aussi repoussé.
La mise en place de campagnes de tests sérologiques doit également surmonter une très classique complexité administrative même si, dans le contexte actuel, des procédures accélérées ont été décidées. Pour monter des études, il faut nommer des référents et obtenir toutes les autorisations de la part des organismes agréés. Le déploiement des tests se ressent de la lourdeur de la machine institutionnelle.
Le dernier sujet est celui du traçage automatique. La portée du vote qui aura lieu à l'issue du débat parlementaire prévu le 28 avril est incertaine puisque l'application dont il sera question n'existe pas encore : le vote portera-t-il sur le principe du recours à une application ou sur la mise en oeuvre de celle-ci ? Cela n'est pas clair. Or il est possible d'avoir une position de principe positive sur l'application tout en nourrissant des réserves sur sa mise en oeuvre, par exemple en raison d'éventuelles failles de sécurité.
Si le débat s'est engagé de façon confuse, c'est aussi dû au fait que plusieurs projets sont sur la table, construits sur des options techniques (ou « protocoles ») différentes. Les institutions françaises promeuvent le protocole Robert, qui implique l'Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), Orange et d'autres acteurs. Un protocole dénommé DP3T est promu par les Écoles polytechniques fédérales de Lausanne (EPFL) et de Zurich (ETHZ). Les principales craintes auxquelles doivent obvier les divers protocoles envisagés sont le dévoiement de l'outil par l'autorité centrale et son piratage par des acteurs extérieurs.
Le débat est devenu encore plus confus quand un collectif incluant des chercheurs de l'Inria a publié tout récemment un document extrêmement critique sur le principe même du recours à une application de traçage. Les auteurs y font la liste détaillée des scénarios, plus ou moins réalistes, dans lesquels l'outil pourrait être détourné de son but.
On sait également que le projet français est confronté à l'épineuse question de l'accès de l'application à la fonctionnalité Bluetooth en tâche de fond. Apple n'a jamais laissé faire cela à un opérateur extérieur. Or sans un tel accès, l'efficacité réelle de l'application Stop Covid risque d'être très limitée.
Pour conclure sur ce point, la note que l'Office a récemment consacrée au sujet reste tout à fait pertinente. En revanche, une certaine confusion s'est instaurée lorsque le débat a commencé d'entremêler des questions politico-éthiques et des questions purement techniques.
M. Pierre Ouzoulias, sénateur, a souhaité replacer la question du Covid-19 dans la perspective de l'intégrité scientifique, sujet sur lequel il travaille avec Pierre Henriet, député, l'Office ayant été saisi à cet effet.
Depuis une dizaine d'années, on observe en France et partout dans le monde une recrudescence des actes de mauvaise conduite scientifique. Dans le domaine de la recherche médicale, cette expansion est tout à fait « remarquable » - et condamnable. La pandémie ne marque aucune rupture de tendance à cet égard. Ainsi, l'Inserm indique qu'actuellement, sa cellule de veille sur l'intégrité scientifique reçoit 100 à 150 signalements par jour, ce qui est considérable. Des cas de méconduite scientifique avérée concernent des équipes qui sont aujourd'hui sur le devant de la scène : il s'agit parfois de leur façon de publier des résultats extrêmement précaires, loin des standards de l'intégrité scientifique ; il s'agit parfois de problèmes beaucoup plus sérieux, tenant par exemple à la méthodologie des essais cliniques réalisés.
En période normale, les atteintes à l'intégrité scientifique sont déjà préoccupantes. En période de crise, quand la susceptibilité des médias et de l'opinion publique est extrême par rapport aux avancées de la science, des travaux qui ne respectent pas les standards de la déontologie peuvent avoir des conséquences catastrophiques. Ne rencontrez-vous pas régulièrement, dans vos permanences, des personnes qui viennent demander que soient généralisés des remèdes expérimentés dans le Midi ?
À l'issue de la crise actuelle, il faudra que le Parlement traite de façon approfondie le sujet de l'intégrité scientifique, pour donner une assise supplémentaire, sur un plan législatif, aux activités du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) et, surtout, de son département constitué sous la forme de l'Office français de l'intégrité scientifique (OFIS). Ces instances fonctionnent bien, mais doivent être confortées par un statut juridique renforçant leur indépendance et leur capacité à analyser des faits comme ceux que je viens de vous présenter.
M. Pierre Médevielle, sénateur, a souligné que la qualité des tests sérologiques laissait effectivement à désirer. Une expérience a été menée par une plateforme toulousaine sur des échantillons de sérum vieux d'un an et demi, donc bien antérieurs à l'épidémie. Le test a révélé la présence du virus dans 15 % d'entre eux ! De manière évidente, un problème de fiabilité se pose.
Des témoignages intéressants apparaissent sur les pays asiatiques, par exemple celui de Jean-Noël Poirier, ambassadeur de France au Vietnam jusqu'en 2016, qui a été hospitalisé à Hanoï pour Covid-19. Passée une première phase de doute sur les chiffres annoncés par les autorités vietnamiennes, il s'avère bel et bien que le nombre de cas constatés ne dépasse pas 300 et qu'il y a zéro décès. Dans ce pays de culture confucéenne, la défense du groupe est placée au-dessus des intérêts individuels. C'est la base sur laquelle y sont effectués les dépistages. Mais les autorités ont aussi été très réactives. Alors qu'elles avaient détecté le premier cas le 23 janvier, elles ont fermé dès le 1er février la frontière avec la Chine. Les écoles étaient fermées elles aussi, tandis qu'étaient prises des mesures non seulement de confinement, mais aussi d'isolement, comme cela a été fait par la suite en Allemagne.
Au-delà de la qualité des tests, la clef de la réussite réside dans le civisme et dans la discipline observée en matière de confinement et de quarantaine. Cela a permis aux Vietnamiens de reprendre une vie sociale, y compris dans le secteur de l'hôtellerie, de la restauration et des brasseries. C'est pourquoi, en fonction de l'état sanitaire des régions françaises, la réouverture de ce type de commerces - en respectant des contraintes en matière de capacité, de distance entre les tables et de port de gants et de masques par le personnel - doit désormais être revendiquée ; c'est l'objet d'une tribune qui a été récemment publiée.
En effet, dans tous les pays qui ont fait l'expérience du confinement ou qui l'ont évité, il n'y a pas vraiment de rebond du nombre de cas, hormis peut-être en Corée du Sud. Il faut revoir la façon de se comporter, pour éviter de sombrer dans ce débat confus de juristes sur le traçage et l'atteinte aux libertés individuelles, car l'intérêt du groupe devrait prévaloir.
M. Michel Amiel, sénateur, a estimé qu'en matière d'intégrité scientifique, il ne faut pas craindre de faire explicitement référence au professeur Didier Raoult et à l'hydroxychloroquine. Une confusion s'est cependant installée dans le débat public entre l'enthousiasme du grand public, soulevé par les déclarations fracassantes du professeur, et la capacité des médecins - qui, bien sûr, n'est pas absolue - à prescrire le médicament de leur choix, qui a été ici réduite par une interdiction très mal perçue. Alors que la situation était encore très peu claire, il était délicat pour un praticien de dire à un patient : « on ne peut pas vous donner ce médicament parce que cela est désormais interdit ».
Cela ne remet pas en cause la nécessité de procéder à la recherche médicale avec la plus grande rigueur scientifique et selon les méthodes habituelles : essais randomisés, en double aveugle, etc.
Mme Catherine Procaccia, sénatrice, vice-présidente de l'Office, s'est interrogée sur le calendrier d'achèvement du rapport en cours sur l'intégrité scientifique. Le contenu de celui-ci serait-il affecté si, finalement, certains traitements s'avéraient efficaces sans que les protocoles les concernant aient suivi les règles habituelles ? Cette question concerne évidemment l'hydroxychloroquine mais aussi les indications plus récentes sur un éventuel effet protecteur de la nicotine. Est-ce que de tels résultats remettraient en cause le système de validation des recherches ?
Mme Laure Darcos, sénatrice, a signalé que la note publiée le 30 mars par l'Office sur les traitements, vaccins et tests diagnostiques avait été très utile pour un échange qui a eu lieu ces jours derniers avec Christophe d'Enfert, directeur de la technologie et des programmes scientifiques de l'Institut Pasteur. Cet échange a eu lieu dans le cadre d'un groupe de travail sur la fin du confinement constitué au sein de la commission de la Culture, de l'éducation et de la communication du Sénat. Christophe d'Enfert a présenté le vaccin sur lequel il travaille, qui se rapproche de celui contre la rougeole. Il était assez catégorique sur le fait qu'a priori, le virus ne mute pas et que, si l'on arrive à trouver un vaccin, la population pourrait donc être protégée pendant une dizaine d'années.
Il était assez embarrassé par les problèmes de gouvernance qui sont apparus dans cette crise sanitaire. On peut facilement partager ce sentiment. Que ce soit sur la gestion des masques ou la réouverture progressive des écoles à partir du 11 mai, où est la cohérence entre ce que disent l'Académie de médecine, le Comité analyse recherche et expertise (CARE) - qui pour l'instant ne dit pas grand-chose... -, le conseil scientifique installé auprès du Président de la République et tous les chercheurs et laboratoires auditionnés par les instances parlementaires ou questionnés par les médias ?
Bien sûr, on tâtonne. C'est normal en sciences. Mais pour les politiques comme pour la population, il est très difficile de s'y retrouver et d'avoir les éléments qui permettraient de se forger une opinion éclairée - d'autant que les réseaux sociaux s'enflamment à la moindre rumeur. On pouvait avoir le sentiment que le CARE servirait à cela : collecter les données, les synthétiser et établir les avancées ponctuelles. Ce n'est malheureusement pas le cas.
M. Pierre Ouzoulias, sénateur, a précisé que le rapport sur l'intégrité scientifique n'a pas vocation à discuter concrètement les méthodes mises en oeuvre et les résultats scientifiques obtenus, y compris par rapport à la situation actuelle. Il traite de l'éthique scientifique, c'est-à-dire de la façon dont on garantit la conformation des pratiques scientifiques à un certain nombre de règles essentielles dans le domaine de la science : ce sont par exemple les règles qui gouvernent la manière dont un chercheur publie et avec quelle revue - c'est un point tout à fait essentiel -, la manière dont on respecte la propriété intellectuelle des personnes qui collaborent à la recherche, les conditions dans lesquelles les données ont été collectées et diffusées, etc. Le rapport ne dira rien sur la pandémie en cours, si ce n'est qu'il est encore plus important de respecter l'intégrité scientifique en période de crise, car les conséquences peuvent être très néfastes.
Pour autant, certaines informations commencent à circuler. Le professeur Raoult, avant la crise, était l'un des rares scientifiques français à publier en moyenne un article tous les deux jours - c'est un rythme qui interroge. Ces publications avaient lieu non seulement dans des revues de référence au plan international, mais aussi dans des revues plus locales dont le comité éditorial inclut des membres de l'équipe qui publie - c'est une situation qui interroge aussi.
Les atteintes à l'intégrité scientifique sont devenues un problème international depuis une dizaine d'années, qui apparaît en France avec un léger décalage par rapport aux États-Unis. Le Parlement devra conforter un certain nombre de dispositions générales et, surtout, renforcer les moyens d'action de l'Office français de l'intégrité scientifique.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a souhaité savoir si des membres de l'Office partageaient la remarque de Laure Darcos, sur l'impression de confusion et de manque de cohérence entre les avis du CARE, du conseil scientifique ou de l'Académie de médecine ou encore les recherches de l'INSERM, d'autant que le conseil scientifique et le CARE ont été mis en place dans le cadre de la crise actuelle et ne font pas partie des institutions établies au sein desquelles le débat aurait pu se développer.
M. Pierre Ouzoulias, sénateur, a estimé que la comparaison était éclairante avec le dispositif retenu pour la restauration et la reconstruction de Notre-Dame : un petit comité ad hoc a été institué, épaulé par un comité scientifique resserré et dirigé par un général doté d'un réel pouvoir de décision. Dans l'effort national de recherche contre la pandémie, la France ne s'est pas dotée d'une institution qui aurait disposé du même pouvoir moral, administratif et scientifique, une institution qui aurait pu identifier clairement les angles morts de la recherche sur le virus et qui aurait été capable de demander aux opérateurs, à l'Institut Pasteur et à d'autres, de concentrer leurs moyens sur tel ou tel aspect. Pour dire les choses de façon très directe, le CARE est un peu le Conseil de sécurité de l'ONU : tout le monde y est représenté, mais il ne peut parvenir à prendre des décisions fortes et surtout à les imposer à la communauté scientifique.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a estimé que cette comparaison était d'autant plus intéressante qu'elle rejoint certains enseignements que l'on peut tirer de comparaisons internationales. François Amblard, physicien et biologiste, directeur de recherche au CNRS, résidant en Corée du Sud, a récemment publié sur Mediapart un article intitulé « Comment la démocratie coréenne a-t-elle dompté Covid-19 ? ». C'est un récit détaillé, très structuré, de la façon dont se passe le contrôle de l'épidémie en Corée du Sud.
Il relève en premier lieu qu'en temps d'épidémie, le Centre coréen de contrôle et de prévention des maladies (KCDC) prend le contrôle des opérations avec rang de ministère et a le pouvoir d'imposer ses décisions aux administrations, en même temps qu'il impose une doctrine sanitaire. Cette instance est d'autant mieux acceptée par la population qu'elle ne représente pas le gouvernement. L'article de François Amblard est très intéressant parce qu'il mentionne aussi cet état d'esprit confucéen qu'évoquait Pierre Médevielle, où l'intérêt du groupe se voit accorder une importance majeure, mais dans un contexte qui n'est pas celui d'un régime autoritaire. La Corée est une démocratie avec des contre-pouvoirs, elle est sortie d'une période de dictature. Pour autant, l'idée de mettre temporairement entre parenthèses les libertés individuelles pour l'intérêt du groupe est très bien acceptée par la population et cela se traduit concrètement par une grande facilité à recueillir les informations nécessaires à la lutte contre l'épidémie. Cette situation contraste fortement avec le débat difficile relatif aux libertés individuelles qui se dessine aujourd'hui en France ou en Belgique, porté par le sujet du traçage automatique.
M. Jérôme Bignon, sénateur, a rappelé qu'il avait interrogé la veille le ministre des Solidarités et de la santé sur la réduction des prises en charge en médecine de ville et à l'hôpital au titre des pathologies autres que le coronavirus. Certaines personnes ne font plus vérifier leur tension, des diabétiques ne font plus d'examens, des personnes atteintes de cancer ne font plus de suivi, des personnes souffrant de troubles psychiatriques ne sont plus soignées, etc. Le coronavirus focalise toutes les capacités intellectuelles, techniques, scientifiques du pays, mais cela peut aboutir à laisser pour compte un grand nombre de personnes en difficulté, par exemple dans des territoires ruraux défavorisés. Il semble par exemple que, dans la Somme, aucun test n'ait été effectué depuis un mois et qu'il n'y ait plus d'opération de l'appendicite car les gens n'osent pas aller à l'hôpital. On risque d'aller vers une situation où des solutions seront trouvées contre le coronavirus mais où l'état de santé général de la population sera fortement dégradé. La communication sur ce sujet n'est pas bonne. Il faut mobiliser les Français : pour bien guérir du coronavirus, il faut être en bonne santé générale, donc il faut continuer à se soigner pour les maladies du quotidien.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a souligné le caractère indispensable d'une telle démarche, tout en relevant que l'une des principales difficultés politiques serait de trouver le bon message et le bon ton : être ferme sans se montrer autoritaire. Il faut effectivement convaincre les Français : « Si vous êtes malade, allez à l'hôpital et ne laissez pas votre santé s'aggraver. »
Mme Émilie Cariou, députée, a souhaité revenir sur le sujet des clusters dans les hôpitaux et de la détection chez les personnels soignants. Les soignants qui sont directement au contact du virus, notamment dans les services de réanimation, voudraient savoir s'ils sont malades, mais il n'y a pas de politique de dépistage généralisé dans les services. De plus, après qu'un soignant a été détecté positif et qu'il a été isolé, il revient très vite au travail, sans savoir s'il est encore contagieux, car les hôpitaux manquent encore de personnel.
Au-delà d'une adaptation du numerus clausus, qui ne serait une solution qu'à long terme, il faudrait s'interroger sur la possibilité de former plus rapidement anesthésistes, infirmiers et aides-soignants. On s'achemine en effet vers une mobilisation des hôpitaux pendant plusieurs mois et ceux-ci devront prendre en charge les conséquences de l'épidémie, notamment les personnes qui, sorties de réanimation, présenteront des séquelles - phénomène que commencent à évoquer un nombre croissant de personnels de santé.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, est convenu que ces réflexions seront nécessaires pour la gestion de l'après crise, tant pour réévaluer la gouvernance que pour clarifier les règles applicables au système public de santé.
M. Pierre Ouzoulias, sénateur, a indiqué que sa fille, externe en médecine, s'était portée volontaire pour travailler dans un service qui soigne des patients atteints du Covid-19 en banlieue parisienne. Le taux d'infection par le virus chez les soignants y est de 50 %, et également de 50 % chez leurs proches. Les personnels soignants apportent donc largement la maladie dans leurs foyers.
Le déploiement des tests sérologiques est très important car, connaissant son statut au regard de l'immunité face au virus, il est possible à chacun d'adapter son comportement, qui ne sera pas le même que dans une situation de doute. On connaît en effet le risque que l'on fait encourir à son entourage et l'on peut donc prendre ses dispositions personnelles. Tout cela contribue à faire prévaloir l'intérêt du collectif sur l'intérêt individuel.
M. Pierre Médevielle, sénateur, a estimé que l'heure n'était pas à la polémique - elle viendra bien assez vite. Cependant, l'OPECST pourrait s'interroger sur le fonctionnement de l'OMS pendant la crise actuelle. Si elle avait joué son rôle dès le début, les autorités françaises auraient vraisemblablement réagi plus rapidement.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a souligné que la France avait quand même fait preuve d'un curieux aveuglement collectif lorsque la Chine mettait en confinement une ville de 10 millions d'habitants et construisait un hôpital dédié à la prise en charge de l'épidémie. Cela passait pour un problème asiatique qui ne pouvait survenir en Europe. Il y a beaucoup à apprendre de notre propre inertie : il est commode de chercher ailleurs des coupables, dont l'OMS, mais peut-être la France devrait-elle d'abord balayer devant sa porte. Même quand le virus sévissait déjà en Italie, au début du mois de mars, certains éminents professeurs affirmaient que le système français avait bien réagi et pensaient qu'il ne serait pas besoin de confiner la population, alors qu'à l'époque, dès le 12 mars, d'autres plaidaient déjà pour le confinement. L'idée prévalait souvent que notre système de santé ne pourrait pas fléchir.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, a souhaité que soient approfondis certains éléments du débat sur le traçage numérique et les éventuels conflits entre Google, Apple et le gouvernement français. Le traçage numérique est une piste très opportune, la technologie Bluetooth semble la plus respectueuse des libertés publiques, mais cela ne dépend pas complètement de des autorités françaises.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a répondu que le traçage soulève deux problèmes majeurs. Le premier est le risque de piratage. Il met en ce moment la presse en alerte et doit être résolu sur le plan technique. La technologie Bluetooth peut être détournée et, en effet, n'est pas totalement sûre. Certains scénarios d'atteinte à la vie privée relayés sur les réseaux sociaux sont cependant extrêmement invraisemblables. Il faut identifier le risque, qui pourrait être les pirates, et évaluer ce que la société est prête à accepter. Le coût associé à ces risques doit être mis en regard des bénéfices qu'une application de ce type peut apporter à la société.
L'autre débat, beaucoup plus technique, vient de ce que pour que l'application soit efficace, le Bluetooth doit être activé et l'application doit pouvoir l'utiliser même lorsqu'elle n'est pas la tâche effectuée « au premier plan » par le smartphone. Une telle possibilité n'a jamais été ouverte par Apple, que ce soit à un acteur institutionnel ou à un acteur privé. Apple s'attache en effet à démontrer qu'elle fait tout pour préserver la confidentialité des données de ses utilisateurs et de ses processus de développement. Le gouvernement se heurte actuellement à cette politique. Cependant, Apple et Google voulant montrer leur engagement contre l'épidémie, leurs positions pourraient évoluer. Le débat est donc en cours, sans qu'on puisse discerner aujourd'hui la façon dont il pourrait se dénouer.
La réunion est close à 11 h 05.