Jeudi 9 avril 2020
- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Technologies de l'information utilisées pour limiter la propagation de l'épidémie de Covid-19
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques s'est réuni, le jeudi 9 avril 2020, en visioconférence, afin d'examiner une note relative aux technologies de l'information utiliseìes pour limiter la propagation de l'eìpideìmie de Covid-19.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, s'est associé au président Gérard Longuet pour remercier les membres de l'Office d'être si nombreux à participer à cette réunion par visioconférence.
L'épidémie de Covid-19 a pris une place centrale dans les travaux de l'Office et celui-ci a un rôle important à jouer dans la période actuelle. En effet, les sciences n'ont jamais été aussi présentes dans les médias et dans le débat public, même si les décisions relèvent toujours d'un arbitrage final de nature politique.
La gestion de l'épidémie fait intervenir des questions très diverses dans les domaines de la biologie, de la chimie, de l'informatique, des mathématiques, de la médecine ou de la logistique. Cette diversité apparaît dans les auditions menées actuellement et les notes qui ont été publiées ces derniers jours par l'Office ; celui-ci tire un grand profit des conseillers scientifiques et ingénieurs stagiaires qui ont rejoint son secrétariat.
Le projet de note qui a été transmis aux membres de l'Office en vue de la réunion de ce jour porte sur les technologies de l'information utilisables pour lutter contre l'épidémie. C'est un sujet très sensible, avec des enjeux éthiques forts, et qui a donné lieu à de nombreuses interventions publiques.
La note aborde d'abord les aspects techniques, en distinguant selon qu'ils concernent les données de santé ou les données de localisation.
Les données de santé (description des symptômes, imagerie, etc.) visent à faciliter les diagnostics et à améliorer la connaissance scientifique de l'épidémie (par exemple la caractérisation d'éventuels profils à risque). Elles ont vocation à être intégrées dans de grandes bases de données (Programme de médicalisation des systèmes d'information - PMSI pour les données hospitalières, Système national des données de santé - SNDS, etc.). Les applications destinées à les recueillir ne posent pas de problèmes techniques ou éthiques particuliers puisqu'elles s'inscrivent dans des processus classiques liés au diagnostic, au parcours de soins ou à l'analyse statistique de données de santé.
Les données de localisation visent à conforter les mesures de distanciation sociale ou aÌ eìtudier les mouvements de population. Elles permettent de localiser les individus ou de renseigner sur des positions relatives, donc de réaliser un traçage ; le mot anglais tracking renvoie à une localisation en temps réel, alors que tracing renvoie à une localisation a posteriori. Les techniques employées sont très diverses (GPS, Bluetooth, wifi, utilisation des cartes bancaires, etc.), tout comme les usages possibles (vérification du respect du confinement, identification des cas contacts, etc.). La collecte, la consolidation, le stockage et l'usage de ces données posent de nombreux problèmes éthiques et juridiques au regard de la protection des données personnelles, des possibilités de « profilage », de la portée du consentement, etc.
La note aborde ensuite les aspects organisationnels. La gestion des données connaît de nombreuses complications et des délais conséquents, dus aux modalités de leur saisie et de leur consolidation. Constituer des ensembles de données fiables nécessite des mois plutôt que des semaines. Il ne faut donc pas croire que les considérations juridiques et éthiques sont le seul frein à l'utilisation de ces données : les contraintes organisationnelles sont majeures. Ainsi, les données intégrées au SNDS ne sont complètement consolidées qu'une fois par an ; elles peuvent e?tre deìbloqueìes de fac?on mensuelle, mais elles ne sont alors pas consolideìes.
Par ailleurs, certaines modalités d'accès aux données ne sont pas encore opérationnelles. Ainsi, le Comiteì eìthique et scientifique pour les recherches, les eìtudes et les eìvaluations dans le domaine de la santeì (CEREES), qui est chargé d'apprécier la pertinence des programmes de recherche souhaitant obtenir un accès aux données, n'est pas encore opérationnel. L'Office devra recommander d'accélérer sa mise en place.
La note aborde enfin les aspects éthiques. Le corpus juridique en matière de protection des données personnelles est très exigeant et repose sur des principes fondamentaux tels que l'obligation d'un consentement explicite, l'interdiction du profilage par des systèmes automatisés, le droit à l'effacement des données personnelles, l'absence de publicité des données individuelles collectées ainsi que, de façon générale, la proportionnalité de la collecte de données aux finalités du traitement.
La distinction, dans le discours public, entre tracing et tracking apparaît importante, aussi bien en pratique que pour l'opinion. Le mot tracking fait peur, car il implique un suivi en temps réel des déplacements individuels, alors que le traçage ou tracing est moins anxiogène car il consiste à reconstituer a posteriori les contacts interpersonnels. Aucune étude ne permet de définir précisément les critères d'un tel contact. À Singapour, est considéré comme « contact » un rapprochement pendant une demi-heure à moins d'un mètre. Mais d'autres conditions pourraient être prises en compte, notamment au regard du contexte : il n'est pas équivalent de rester une demi-heure à proximité d'une personne contaminée dans un train, dans une supérette ou à l'extérieur.
Les applications en cours de développement en Europe reposent sur un principe commun : une fois qu'un utilisateur ayant préalablement donné son accord est diagnostiqué, un message est automatiquement envoyé à toutes les personnes avec lesquelles il s'est trouvé en contact rapproché dans les jours précédents, alors qu'il était potentiellement contagieux. Ce message alerte sur le contact avec une personne contaminée, sans préciser son nom, et incite à prendre des précautions, comme le dépistage, sur la base du volontariat.
Les questions posées par l'utilisation des données de santé sont nombreuses. Il faudra faire un arbitrage sur la mise en place de mesures volontaires ou contraignantes. On peut noter que l'épidémie de Covid-19 montre une létalité de l'ordre de 0,5 % à 1,5 % ; la capacité de la société à accepter des restrictions de liberté pourrait être différente si l'on était confronté à une épidémie induisant une mortalité bien supérieure. Le degré d'acceptation d'une restriction des libertés individuelles est également lié à la culture : les sociétés occidentales sont très attachées aux libertés individuelles alors que les sociétés asiatiques peuvent accorder une place plus importante au collectif. Il convient de respecter ces différences. Pour ce qui est de la France, le substrat culturel est bien intégré dans les grands principes posés par les textes européens et français et le rôle donné à différentes autorités indépendantes comme la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), le comité d'éthique du numérique du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) ou le Contrôleur européen de la protection des données.
La note s'achève par un appel à la vigilance sur un éventuel « effet de cliquet », c'est-à-dire le risque qu'une mesure de restriction des libertés acceptée en période de crise devienne permanente. Actuellement, la très grande majorité de la population accepte la restriction des libertés individuelles résultant du confinement, dans la mesure où elle est temporaire et s'inscrit dans un horizon de temps borné, encore indéfini mais qui ne devrait pas durer de longs mois.
L'Office devrait donc se pencher sur les différentes options acceptables pour le traçage et l'exploitation des données de santé, en prenant en compte les questions de souveraineté : ce qui doit relever du niveau national ou européen, ce qu'il est acceptable de confier à des opérateurs privés - et lesquels. Il nous faut souligner le rôle du débat public, du débat parlementaire, des institutions et des autorités indépendantes, ainsi que la multiplicité des usages et des outils liés aux technologies de l'information. L'architecture scientifico-administrative doit accroître son efficacité au regard de la disponibilité des bases de données ; en particulier, la mise en place du conseil scientifique associé à la plateforme nationale de données de santé ne doit plus souffrir de retard. Il est inacceptable que les dispositifs nécessaires à la plateforme nationale de santé ne soient pas opérationnels. Cette défaillance est la manifestation d'une viscosité administrative détestable.
Il faut aussi insister sur le sujet de l'efficacité technique. Celle de l'application de traçage qui pourrait éventuellement être déployée dépend de son acceptation par le public et des modalités d'implémentation, par exemple de l'efficience de la détection par technologie Bluetooth.
Plusieurs d'entre vous sont déjà intervenus sur le fil de discussion : Julien Aubert a souligné à juste titre l'importance du respect de la langue française, le mot « traçage » devant être préféré à « tracing » ; Valéria Faure-Muntian s'est interrogée sur la contagiosité du coronavirus. C'est un paramètre très important des modèles développés pour estimer la propagation de l'épidémie, sur lequel on sait encore peu de choses. Ce paramètre de contagiosité est noté R0 en situation naturelle, au début de l'épidémie, et Re en conditions particulières, par exemple après intervention de la puissance publique.
Il est égal au nombre de personnes qu'une personne infectée va contaminer à son tour. S'il est supérieur à 1, l'épidémie progresse de manière exponentielle ; s'il est, au contraire, strictement inférieur à 1, l'épidémie s'éteint d'elle-même.
Il est clair que le R0 (contagiosité en configuration naturelle, en l'absence de mesures de restriction) était supérieur à 1. Nous disposons cependant d'indices forts tendant à prouver que les mesures de confinement limitent la contagiosité. Le fait est documenté, notamment pour l'épidémie de grippe espagnole qui a sévi en 1917 et 1918, puis en vagues ultérieures.
Ce qui compte, c'est donc la façon dont les mesures prises vont peser sur le paramètre de contagiosité. Or nous ne disposons pas d'estimation précise à ce sujet, pas plus que nous ne disposons d'estimation sur la proportion de la population qui est infectée.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, a estimé que le projet de note soumis à l'Office était excellent. Il serait irresponsable de ne pas mettre à profit la lutte contre l'épidémie pour approfondir les problèmes techniques qu'elle soulève. Certains croient que tout est facile et qu'il suffit d'appuyer sur un bouton, et que les seuls obstacles seraient d'ordre politique ou éthique. Il n'en est rien. Il faut casser cette idée.
L'épidémie actuelle doit nous permettre de progresser au sujet du traçage et du suivi du développement de toutes les épidémies. Nous ne pouvons plus nous contenter de lutter avec les méthodes datant du temps de la peste noire, c'est-à-dire avec la seule quarantaine. Celle-ci, bien qu'efficace, a un coût économique et social tellement élevé que nous avons l'obligation absolue d'explorer des systèmes de suivi de l'épidémie qui soient plus simples, plus fins, faute de quoi la confiance dans les institutions risquerait d'être d'ébranlée.
Mais nous ne pourrons basculer vers de tels systèmes qu'une fois que la preuve de leur efficacité aura été apportée. Alors seulement, nous pourrons ouvrir le débat sur les aspects éthiques, de façon à garantir une mise en oeuvre maîtrisée.
Ne rouvrons donc pas de vaine polémique, comme il y a pu en avoir sur l'hydroxychloroquine : alors qu'aucun consensus ne se dégage parmi les experts, les pouvoirs publics ne peuvent prendre de décision et apparaissent ainsi comme incapables de trancher. C'est un exemple de cas où tout le monde se retrouve perdant. Notre message clef doit être qu'il faut chercher plutôt à progresser dans la connaissance.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a signalé que les personnes entendues au cours des entretiens ont toutes indiqué que les sujets étaient très compliqués, que chacun avait conscience de la nécessité d'aller vite mais que la mise au point des solutions prendrait du temps - plusieurs semaines.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office, a insisté sur l'intérêt de capitaliser sur l'expérience « grandeur nature » de l'épidémie actuelle pour se préparer à de prochaines épidémies.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, après avoir souligné l'intérêt et l'importance de la note, a souhaité être éclairée sur la précision relative à la proximité renseignée par les systèmes GPS et Bluetooth, le GPS étant plus ou moins fiable selon le lieu où l'on se trouve.
Par ailleurs, si l'on ne laisse pas le Gouvernement aller au bout des possibilités qui pourront lui être ouvertes en matière de libertés publiques dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, il sera très difficile de combattre la maladie et d'évaluer la fiabilité de technologies comme le traçage. Il faut dire aux citoyens qu'un choix politique - temporaire - sera fait permettant de recourir à ces technologies, qu'un tel recours devra être assorti d'un contrôle strict du Gouvernement, mais que si on laisse à chaque individu la possibilité de refuser la collecte de ses données, on s'expose au risque de nouvelles contaminations : la décision devra donc relever de l'État.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a précisé que le terme « GPS » du langage courant recouvre en réalité plusieurs technologies de repérage absolu de la position : le GPS au sens strict, mais aussi les connexions aux bornes Wifi déployées par les fournisseurs d'accès à Internet, par exemple. Telle ou telle technologie sera mise en oeuvre selon l'endroit où l'on se trouve, avec une maille plus ou moins fine, car elles n'ont pas toutes la même granularité de positionnement. La technologie Bluetooth renseigne sur la position relative de deux dispositifs ; sa précision dépend aussi des conditions locales et l'on ne sait pas trop de quel secours le procédé peut être dans les circonstances actuelles, car il n'a pas été développé pour l'usage qu'on voudrait en faire aujourd'hui.
Le « mandat » qui serait donné au Gouvernement devra être défini par la loi et exercé sous le contrôle du Parlement. La temporalité est une question majeure : la durée de ces procédés doit être limitée au temps de la crise et les données ne doivent pouvoir être recueillies qu'avec le consentement explicite des utilisateurs volontaires, qui devrait être confirmé en cas de renouvellement des mesures.
La fracture numérique existe : il semble que 80 % de la population seulement aurait un smartphone ; de plus, tous les détenteurs d'un tel appareil ne seront pas forcément en mesure de télécharger et d'utiliser les applications proposées. Le traçage ne saurait donc être la solution miracle sur laquelle reposera le dispositif de lutte contre l'épidémie. Ce sera seulement un outil parmi d'autres.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, a souhaité que la note prenne position plus fermement sur l'utilisation des données de santé.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, en est convenu puisque, comme l'a dit le président Gérard Longuet, les obstacles ne sont pas seulement d'ordre juridique ou éthique, mais d'abord d'ordre technique et organisationnel, qu'il s'agisse des algorithmes employés ou de la gouvernance du dispositif.
M. Philippe Bolo, député, a estimé que la note était une aide à la décision très utile au moment où s'ouvre un débat sur le recours à une application de traçage. En la publiant, l'Office remplit tout à fait son rôle. En l'occurrence, il faut mettre en évidence les limites que rencontrent les technologies évoquées. Il faut aussi rappeler de manière plus claire que les technologies en question ne sauraient être mises en oeuvre que sur la base du volontariat, et que beaucoup de personnes infectées sont asymptomatiques.
Il faudrait pouvoir évaluer l'impact d'une application de traçage sur le paramètre de contagiosité : à partir de combien d'utilisateurs cet outil peut-il avoir une incidence sur le R0 et le cycle de contamination ?
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a convenu qu'il subsiste de nombreuses incertitudes : l'efficacité du traçage est encore mal évaluée et toute solution sera de toute façon imparfaite car de nombreux paramètres sont mal connus : quand on entend dire « il faut que 60 % de la population utilise l'application pour qu'elle soit efficace », d'où provient ce taux ? Que signifie « être en contact » ? Certaines personnes sont-elles plus contagieuses ou ont-elles une charge virale plus importante que d'autres ? Beaucoup d'éléments restent obscurs.
On peut construire deux chemins narratifs autour de ces incertitudes : le premier dit que les inconnues sont telles qu'il est inutile de se lancer dans un traçage ; le second dit qu'il reste opportun d'essayer, d'innover, de prendre des marques en temps réel et en grandeur réelle pour se préparer à une future épidémie. En tout état de cause, la note doit mettre en évidence l'imperfection des méthodes envisagées.
M. Jean-François Eliaou, député, a insisté sur le rôle très important que doit jouer l'OPECST dans la période actuelle car le discours politique s'appuie sur des données scientifiques et le Gouvernement s'appuie sur la science pour prendre ses décisions. Or l'expertise scientifique est insuffisante au sein du Parlement et l'OPECST doit justement être le « conseil scientifique » de celui-ci. Il est d'ailleurs écouté, comme le montre un message reçu récemment par notre président Gérard Longuet, qui reproche à l'OPECST son silence sur le sujet de l'hydroxychloroquine.
Le contexte médical et scientifique est celui d'un virus inconnu, dont on ne connaît pas la contagiosité et qui provoque une épidémie dont on peine à percevoir la fin. Il n'existe que deux voies possibles pour sortir de cette épidémie : soit on confine les populations, soit on recherche la mise en place d'une immunisation de groupe, au prix de nombreux cas graves, de tensions majeures sur les services de santé et de décès en masse. Les pouvoirs publics sont partagés entre ces deux stratégies, mais les outils numériques que nous évoquons se placent dans le contexte de la seconde voie : déconfinement, suivi des personnes et prise en charge des patients avec des formes graves.
Nous n'avons actuellement aucune indication sur le degré d'immunisation de la population - or tant que 60 % de la population n'aura pas été en contact avec le virus, la contagion reprendra. Des études conduites en Italie ont montré que, même dans des localités situées au coeur de la crise, le taux d'immunisation globale était très faible - ce qui est assez classique pour les virus respiratoires, qui induisent une faible réponse immunitaire. Il est à craindre qu'une future vaccination n'offre qu'une faible immunisation et que la seule façon de sortir de l'épidémie passe par une contamination généralisée.
L'application StopCovid devrait utiliser la technologie Bluetooth mais on ne dispose d'aucune garantie sur son bon fonctionnement : la solution reste au stade de la « preuve de concept ». En cas d'échec, le risque politique est majeur et créera une défiance considérable vis-à-vis du politique et du scientifique. Par ailleurs, la solution proposée devrait reposer sur le volontariat, ce qui réduit ses chances de succès et présente un risque de stigmatisation à l'égard de ceux qui refuseraient de l'utiliser - sans même parler de la fracture numérique... Enfin, l'application n'a de sens qu'articulée avec une politique d'identification des personnes porteuses du virus ; or en matière de tests virologiques, le taux de « faux négatifs » s'élève à 30 % et il est donc impossible d'être déclaré de façon fiable.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a relevé que, pour se conformer à ce qu'implique l'expression « évaluation des choix scientifiques » contenue dans son sigle, l'OPECST doit analyser les différents choix qui s'offrent aux pouvoirs publics. Le risque politique est réel si l'on donne à croire que cette application est un remède miracle et qu'en fait, le dispositif ne marche pas. L'OPECST doit rappeler les incertitudes sur l'efficacité de la solution envisagée et insister sur la nécessaire cohérence entre le développement de l'application et la communication autour des conditions de son déploiement (nombre suffisant de volontaires, etc.) ; il pourrait tout à fait lancer comme message : « aujourd'hui, il n'y a pas d'obstacle eìthique majeur aÌ ce que cette expeìrimentation soit lanceìe car elle est utile maintenant et pour le futur ; mais un échec pourrait avoir des conseìquences néfastes. »
Il ne s'agit pas de stigmatiser les porteurs du virus et de revenir à la crécelle dont les lépreux étaient affligés au Moyen-Âge, ou, dans un sens plus positif, de faire porter un autocollant « Je suis civique » à ceux qui installeraient l'application : une telle installation doit rester un choix individuel et secret. N'oublions pas que la fracture numérique est bien réelle, d'autant que les populations âgées, qui sont le plus à risque, sont aussi celles qui utilisent le moins les outils numériques.
En ce qui concerne les dépistages, la fiabilité des tests sérologiques industriels - différents des tests développés par l'Institut Pasteur - n'est pas encore établie et ne pourra l'être que dans quelques semaines.
M. Michel Amiel, sénateur, a dit être en accord avec le contenu de la note et a estimé qu'il était possible d'outrepasser pour une durée limitée les limites habituellement posées pour la protection des libertés individuelles, afin de lutter contre l'épidémie. Aujourd'hui, les choix sont autant influencés par les études scientifiques que par la vox populi, comme le montre l'attitude de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur l'information délivrée par la Chine au début de l'épidémie.
Le déploiement des tests sérologiques sera une dimension importante du déconfinement. L'Office doit se donner les moyens de formuler un avis autorisé, au croisement de cette note et d'informations à recueillir autour des développements à venir en matière de sérologie.
Le débat concernant l'hydroxychloroquine doit autant à des études qu'à des « non études » et relève aussi de rivalités universitaires. Il en ressort une sorte de viscosité, fort regrettable, sur le sujet. Il est important que l'Office s'engage à ce propos.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a relevé que le confinement a été décidé dans des conditions telles qu'il n'y avait pas vraiment le temps d'un deìbat, y compris pour l'OPECST. Le déconfinement sera un processus plus long, plus compliqué, plus politique, avec de nombreux arbitrages difficiles autour de la santé, de l'économie, et des libertés publiques, qui sont des sujets sensibles. Il a été décidé que la mission d'information sur le Covid-19 qui a été créée par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale serait seule compétente sur la question du déconfinement. En revanche, l'Office a vocation à instruire les différentes composantes scientifiques et techniques du déconfinement : tests sérologiques, méthodes de traçage, etc.
S'agissant de l'hydroxychloroquine, la note relative aux traitements et aux vaccins récemment publiée par l'Office était claire : l'état des connaissances scientifiques ne permet pas de savoir si ce traitement est efficace, et il doit être étudié au même titre que les autres pistes envisagées. L'étude Discovery croît très rapidement et près de 600 patients ont déjà été recrutés en France. Plusieurs traitements sont étudiés simultanément, et ils doivent pour cela être administrés au même stade de la maladie. Pour les partisans de l'hydroxychloroquine, il faudrait cependant l'administrer très tôt, et Discovery comporterait donc un biais, défavorable à cet antipaludique. L'Office doit rester ferme sur le fait que les études doivent être menées rigoureusement, de façon randomisée et en double aveugle dans la mesure du possible, avant de mener à la préconisation d'un traitement. Au demeurant, d'autres essais sont en cours et donneront bientôt leurs résultats.
M. Michel Amiel, sénateur, s'est interrogé sur l'intérêt de la méthode « données de vie réelle » proposée par le docteur Cluzel, ancien responsable « R&D Monde » de Sanofi et président non exécutif de Morphosys, pour pallier les manques de l'étude du professeur Raoult.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a répondu que cette méthode était intéressante même si elle n'a pas la rigueur d'un essai randomisé, car elle repose sur la constitution ex post d'un groupe contrôle dont les membres doivent avoir les mêmes caractéristiques que les patients inclus dans l'étude à proprement parler. Le docteur Cluzel n'a malheureusement pas pu entrer en contact avec le professeur Raoult.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, a estimé que la note récemment publiée par Mounir Mahjoubi était très complète et très accessible et qu'elle pourrait être jointe à la note de l'Office.
Le GPS n'est pas accessible partout, par exemple dans le métro, au contraire de la technologie Bluetooth ; que celle-ci donne en revanche une position relative et non absolue ; que les utilisateurs ne peuvent être prévenus d'un « contact » que sur la base du volontariat ; qu'enfin, en ce qui concerne les tests, les faux positifs sont extrêmement faibles mais les faux négatifs sont très nombreux, ce qui est le plus important pour juger de l'efficacité de l'application.
Les applications de traçage ne seront donc pas un outil magique pour limiter la circulation du virus, mais quand bien même elles seraient peu utiles, autant essayer : quand on cherche à sauver quelqu'un de la noyade, on ne se demande pas si la bouée que l'on a sous la main est bien homologuée et si elle offre toutes les garanties de succès. Ce discours doit e?tre relayeì massivement par les pouvoirs publics, qui doit afficher clairement que me^me si le dispositif se fonde sur le volontariat, il ne pourra être efficace que si 60 % de la population au moins l'utilisent.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a convenu que la note de Mounir Mahjoubi exposait de façon très pédagogique ce qu'est le traçage. Par ailleurs, l'image de la noyade et de la bouée est bonne, et il faudra accepter l'idée que des gens puissent être contamineìs sans avoir eìteì alerteìs.
Mme Émilie Cariou, députée, a affirmé le ro?le crucial de l'OPECST, notamment en un temps ouÌ le Parlement ne peut occuper les espaces habituels du deìbat public. Elle s'est dite gênée par le fait qu'une telle application de traçage ait été annoncée avant me?me que l'on sache qui l'on veut vraiment tracer.
Le confinement s'imposait, mais ne pas avoir d'immuniteì de groupe sera un handicap demain ; il faut donc disposer de tous les outils indispensables au déconfinement à venir. Or, pas plus tard qu'avant-hier, le ministre des Solidarités et de la santé a encore dit qu'il n'est pas utile de tester toute la population car le fait que l'on ne soit pas malade aÌ l'instant t n'exclut pas la possibiliteì qu'on le soit au temps t + 1 ; mais alors, aÌ quoi serviront tous ces outils informatiques dont on parle ? La France a une attitude paradoxale : pendant des années, elle a été d'une frilositeì incroyable sur le dossier médical partagé (DMP) ; aujourd'hui, il faudrait aller treÌs vite pour déployer un dispositif de traçage applicable à toute la population. Comme de nombreuses questions ne sont toujours pas tranchées - par exemple, le virus persiste-t-il sur les surfaces inertes ? -, on ne sait pas si le tracage des contacts sera efficace. Il vaudrait mieux mettre l'accent sur des solutions sanitaires treÌs fortes, par exemple le port du masque obligatoire et le deìpistage geìneìraliseì, plutôt que sur des outils techniques à l'efficacité incertaine.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a relevé que cette intervention incluait tous les éléments du débat en cours sur le traçage. Actuellement, toutes les décisions publiques sont dictées par les phases de l'eìpideìmie : la saturation des ho?pitaux a conduit au renforcement des gestes barrieÌre et à la mise en place du confinement ; le deìconfinement progressif obligera à adapter les comportements et les reÌgles, en tenant compte de la disponibiliteì des instruments (tests, masques, etc.) et en ayant un discours clair sur ce qui sera obligatoire et ce qui sera volontaire. Le fait que le confinement relève de l'obligation et que l'application de traçage relève du volontariat montre qu'elle n'est pas une mesure clef mais qu'elle devra être inteìgreìe à un ensemble de mesures.
Il subsiste effectivement beaucoup d'incertitudes sur les modes de propagation du virus (transmission aeìrienne, persistance sur des surfaces ou des objets dans l'espace public, etc.).
Mme Émilie Cariou, députée, a indiqué que, si elle ne voyait pas d'obstacle à ce qu'on communique sur la « French Tech », elle était ge?neìe qu'un projet précis d'application soit évoqué de préférence à une strateìgie sanitaire globale. Il faut mettre en avant la lutte contre l'eìpideìmie pluto?t que l'application, ne serait-ce que parce que celle-ci doit aller de pair avec des tests.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a rappelé que, quel qu'il soit, l'outil va demander du temps - deux semaines au minimum - pour être mis au point. Or, si le Gouvernement déployait le dispositif sans l'avoir mis préalablement en deìbat, cela poserait un problème. Il est donc très sain qu'une communication soit entreprise sur ce projet et que le débat puisse se développer ; au demeurant, des informations circulent sur les usages observés en Asie et plusieurs pays europeìens. Mais il faut bien dire que ce dispositif n'est pas une panaceìe et qu'il doit s'inscrire dans une strateìgie sanitaire globale.
M. Patrick Hetzel, député, vice-président de l'Office, a marqué son accord avec les propos d'Émilie Cariou et a fait part de son impression qu'au moment où la citadelle est fortement attaquée, l'on débat du sexe des anges. Alors que certains sujets sont véritablement majeurs, l'on se concentre sur une question de nature technique, qui ne reìsoudra rien au regard de ce qu'il faudra mettre en oeuvre pour vaincre l'eìpideìmie. Le confinement vise à « aplatir la courbe » de la contagion afin que notre système de santé soit en mesure de prendre en charge les cas graves. Le « pic » va devenir un « plateau », mais le système de santé se trouve toujours sous une pression très importante, notamment en Alsace, d'où des malades continuent d'être évacués vers des régions disposant encore de lits.
L'Office doit donc se préoccuper des questions fondamentales : comment développer, à la sortie du confinement, une stratégie globale de lutte contre l'épidémie, fondée sur une diffusion très large des masques, etc. ? Comment systématiser les tests ? S'agit-il des tests permettant d'identifier les porteurs du virus ou des tests sérologiques vérifiant, dans un second temps, la présence d'anticorps ? Ces deux types de tests ne poursuivent évidemment pas les mêmes objectifs.
L'Allemagne a procédé très différemment de la France : le confinement n'est pas du même ordre que chez nous, et, depuis trois semaines, 500 000 tests sont pratiqués chaque semaine. Le ministre de la santé allemand admet que cela reste insuffisant pour diagnostiquer 80 millions d'habitants, mais nos voisins ont prioritairement et systématiquement testé les personnels de santé ou chargés des personnes vulnérables, par exemple dans les maisons de retraite, ce qui se traduit par une situation très différente, en termes de décès. Nous ne pouvons pas le passer sous silence et devons donc insister sur la nécessité de poursuivre la mise en place de certaines mesures sanitaires.
Je me réjouis de l'échange annoncé avec Simon Cauchemez, qui sera en mesure d'indiquer comment mettre en place très vite une étude de cohorte épidémiologique.
Encore une fois, je suis dubitatif sur le sujet du traçage car j'y vois peu de bénéfices et beaucoup de risques, y compris pour le Gouvernement. Je ne suis pas sûr qu'il soit pertinent pour l'Office de communiquer sur ce sujet qui peut induire un effet boomerang extrêmement violent. Par contre, je salue la qualité de la note, notamment pour la partie consacrée aux libertés publiques.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a salué la pertinence de cette intervention. L'Allemagne a été visiblement moins affectée que la France, où certains événements ont contribué à diffuser largement le virus, en particulier le rassemblement à Mulhouse. Avec un virus dont la propagation est si rapide, il suffit d'un événement « super-contaminateur » pour donner une dynamique très différente à l'épidémie.
La capacité de réalisation des tests est un élément essentiel dans la lutte contre l'épidémie : les laboratoires travaillent d'arrache-pied pour l'augmenter. Il faut distinguer les tests PCR (polymerase chain reaction), qui permettent d'identifier la présence du virus dans l'organisme, et les tests sérologiques, qui recherchent dans le sang la présence d'anticorps IgG et IgM, indicatifs d'une exposition passée au virus. L'immunité acquise suite à une infection n'est, pour l'instant, pas mise en doute, même s'il semble que certaines personnes guéries aient pu être contaminées à nouveau.
Le Gouvernement ne série pas les actions, au contraire. Une quantité inouïe de projets et d'initiatives sont en cours, sur l'utilisation des données de santé à des fins de traitement par l'intelligence artificielle, sur la compréhension de l'épidémie par la modélisation, sur le développement de vaccins ou de tests de sérologie, etc. Les équipes de recherche des opérateurs de télécommunications travaillent depuis plusieurs semaines, en analysant les systèmes existants, au développement de solutions informatiques. Les communautés de makers se mobilisent pour élaborer des protocoles de fabrication de respirateurs artificiels à bas coût, destinés aux situations d'urgence ou aux pays ayant des difficultés d'approvisionnement. Il n'est donc pas nécessaire de prioriser l'action publique. Tous ces projets sont menés en parallèle, et la puissance publique devra ensuite arbitrer, pour en retenir certains, afin de faire face à la situation, en fonction de ce qui est techniquement et éthiquement possible.
Pour sa part, l'Office doit identifier les différentes solutions, leurs avantages potentiels et leurs limitations. Il ne lui revient pas de donner plus de publicité au traçage qu'à d'autres techniques. Nous devons montrer au contraire qu'il faut travailler sur toutes les composantes de la solution : les tests, la sérologie, l'analyse des mouvements de population, etc. Mais l'Office doit donner un avis sur le traçage, en fonction de ce qui est techniquement possible et acceptable au plan de l'éthique. Il faut rester lucide sur les limites de cette solution. On pense qu'elle peut être utile, sans savoir dans quelle mesure. Le soin sera laissé au Parlement et au Gouvernement de trancher sur la base du rapport entre bénéfices et risques, en replaçant les enjeux scientifiques dans un cadre politique plus global. C'est ainsi qu'il faut concevoir la mission de l'Office.
Mme Huguette Tiegna, députée, vice-présidente de l'Office, a indiqué qu'elle avait été confrontée à de nombreuses questions sur le rôle de la science dans la crise actuelle. Plus que jamais le rôle de l'Office consiste à éclairer le Parlement et il aurait été souhaitable qu'il participe en tant que tel à la mission d'information créée par la Conférence des présidents. Les notes devraient être diffusées à tous les parlementaires ; de nombreuses demandes ont été reçues en ce sens.
On a réussi au début de la crise à appeler individuellement les personnes pour tracer les cas contacts. Mais la propagation du virus a débordé les agences régionales de santé car leurs moyens, notamment humains, sont limités. Les technologies de l'information offrent des solutions, mais nos concitoyens sont inquiets : à la fin de l'épidémie, leurs données seront-elles encore utilisées ? L'incertitude explique leurs réticences. Au demeurant, l'Office ne saurait privilégier une solution par rapport à d'autres ; il doit poursuivre sur la voie scientifique.
Il serait intéressant que l'Office organise une audition du comité scientifique.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a confirmé que les notes de l'Office sont appréciées et lues, car bien construites et pertinentes. Elles offrent des synthèses plus techniques que ce que l'on trouve sur les sites d'information grand public. Dans les circonstances actuelles, l'Office doit savoir se montrer visible, sans toutefois sacrifier à la rapidité son exigence de rigueur.
Il faudra formaliser le principe d'une communication et d'échanges réguliers entre l'Office et la mission d'information, dans le respect de la spécificité de l'Office en tant qu'interface entre le monde scientifique et le monde politique. Il pourra ainsi apporter son aide à la mission grâce à des informations constamment actualisées.
Les textes organisant l'Office prévoient que celui-ci ne peut travailler que sur saisine d'une autre instance parlementaire. Mais le contexte est inhabituel et nos récentes notes sont élaborées dans des circonstances exceptionnelles - elles sont d'ailleurs avant tout des notes à destination des membres de l'Office. À l'avenir, cependant, il faudrait que l'Office ait le pouvoir de s'autosaisir des sujets qui lui paraissent pertinents.
Il n'est en effet plus possible d'assurer un traçage individuel des cas contacts comme on le faisait en début d'épidémie. Lors des deux premières alertes, en janvier et au début de février, des contacts avec les entourages primaire et secondaire des patients avaient ainsi systématiquement été pris, après interrogatoire et recension manuelle des personnes concernées, définissant qui devait être testé. La diffusion de l'épidémie avait pu être maîtrisée. La surprise fut d'autant plus grande lorsqu'un foyer de contamination s'est déclaré fin février et que la vague est montée. Les pouvoirs publics ne l'ont pas vu venir.
Après l'épidémie, nous devrons réfléchir à la manière d'améliorer la réponse. Pour l'heure, il faut se tourner vers des solutions plus automatisées pour chercher à reconstituer les chaînes de contamination.
Quant aux données recueillies pendant l'épidémie, il est clair qu'elles ne devront pas être utilisées une fois la crise passée. Les techniques de traçage ne sont acceptables que si les grands principes fondamentaux sont respectés. Cinq points me paraissent essentiels : la collecte doit être anonyme et s'effectuer sous le contrôle de la CNIL ; la durée d'utilisation des données doit être limitée et déterminée à l'avance ; la collecte suppose le consentement éclairé du détenteur des données, qui s'y prête sur la base du volontariat ; la nature et le volume des données collectées doivent être proportionnés à la menace ; l'ensemble de la démarche doit être absolument transparent.
Dans ces conditions, on peut laisser jouer le libre arbitre de chacun pour installer et utiliser l'application. Car la collecte de données relève du choix personnel, dans la mesure où elle ne sera qu'un élément parmi d'autres de la lutte contre l'épidémie. Le choix final revient aux politiques, qui doivent assortir leur décision d'une communication très claire.
La note publiée par Mounir Mahjoubi est très pédagogique, plus longue que celle de l'Office, moins détaillée sur les modalités techniques de la collecte des données, mais avec des éclairages sur les outils mis en oeuvre à l'étranger. Les deux notes se distinguent par le public ciblé et sont en cela complémentaires.
Des entretiens ont eu lieu avec certains membres du comité scientifique, sans que l'organe ait été entendu en tant que tel. Je citerai le professeur Bruno Lina, entendu à deux reprises, Simon Cauchemez, qui est un spécialiste respecté de la modélisation épidémiologique, ou encore Arnaud Fontanet, qui représente la France au comité scientifique constitué auprès de la présidence de la Commission européenne. Par ailleurs, les Académies de médecine, des sciences et des technologies ont constitué un groupe de travail sur le déconfinement, qu'il pourra être intéressant d'entendre.
M. Jean-François Eliaou, député, a souligné que le devoir de l'Office est effectivement de renseigner le corps politique ; il est donc normal qu'il recense et analyse les outils numériques qui pourraient être utilisés dans la lutte contre l'épidémie. La note devrait d'ailleurs mieux prendre en compte les paramètres médicaux et épidémiologiques.
À cet égard, les décideurs politiques prennent les choses à l'envers : ils regardent ce qui peut être fait avec les outils les moins disruptifs au regard des libertés individuelles, en faisant abstraction du contexte épidémiologique et infectieux. Les épidémiologistes font les choses dans le bon sens : ils considèrent d'abord le contexte et les objectifs poursuivis : chercher l'immunité de groupe ou préserver les gens par le confinement. En fait, on n'a pas vraiment choisi la strateìgie à appliquer, ni les outils qui permettent de choisir - ce ne sont pas les outils numeìriques.
Il est extrêmement important de savoir qui porte le virus, donc qui est contaminant, et qui ne le porte pas. Or les tests virologiques montrent 30 % de « faux négatifs », ce qui est désastreux. Il y a également de fortes interrogations sur la protection qui pourrait être conférée par l'infection : les anticorps IgG sont-ils neutralisants ? Il est à craindre que la reìponse immunitaire individuelle soit faible, donc qu'il n'y ait pas d'immunisation suite à une infection et qu'il n'y ait pas de vaccination efficace.
Il faut donc continuer le confinement, puis déconfiner progressivement, par exemple en fonction de l'a^ge, et attendre d'avoir les bons outils pour suivre la réponse immunitaire et le virus avant de mettre en place des outils numériques tels que le traçage.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. L'épidémie ouvre de très nombreuses questions et c'est pour cela que plusieurs notes ont été rédigées, sur différents thèmes. Comme l'état des connaissances évolue rapidement, des actualisations seront utiles.
La présente note doit bien préciser que les technologies de l'information doivent être combinées avec d'autres outils, qui eux-mêmes ne sont pas encore au point ; il apparaît par exemple que des tests sérologiques fiables - cette fiabilité nécessitant d'être précisément évaluée par un centre national de référence - ne seront pas disponibles avant la mi-mai. Tous les outils sont pour l'instant imparfaits. Or, si la strateìgie doit s'appuyer sur des modeÌles, ceux-ci doivent être alimentés par des données, ce qui commande en partie les outils neìcessaires et les deìcisions des pouvoirs publics.
L'Office doit délivrer un message très clair : on ne pourra rela^cher la garde que treÌs progressivement ; la strateìgie de sortie de crise neìcessitera de combiner de nombreux leviers (masques, tests, outils numériques, etc.), notamment pour reìagir rapidement si un nouveau deìpart d'infection se produit.
Le public attend une solution unique alors qu'il faut une combinaison de solutions. De plus, d'une semaine sur l'autre, le focus change : une fois sur les tests, une autre sur le traçage. En fait, nous aurons besoin de tous ces outils. La mise au point d'une méthode de traçage informatique demande encore au minimum deux semaines ; les équipes techniques doivent donc continuer à travailler et à anticiper. En effet, le feu vert final devra porter sur tous les outils neìcessaires, qui devront tous e?tre prêts et disponibles.
Une information a circulé selon laquelle 3 % de la population française seulement auraient été infectés. Il s'agit de conclusions tirées de modèles épidémiologiques qu'il faut prendre avec précaution car d'un groupe de chercheurs à l'autre, les résultats peuvent différer. Au Royaume-Uni, plusieurs groupes de scientifiques conseillent le gouvernement, de façon à ce que celui-ci prenne en compte l'incertitude scientifique.
Les comparaisons internationales sur l'épidémie sont intéressantes dès lors qu'elles sont contextualisées. On n'est pas certain de la fiabilité des données provenant de Chine ; la Corée du Sud a bénéficié d'une excellente organisation logistique et industrielle ; il en est de même de l'Allemagne, qui a certainement connu moins de situations de contamination massive que la France. On pourrait néanmoins rapprocher ces indications de pheìnomeÌnes entrevus lors de preìparation de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche : il semble que l'efficacité de la réponse sanitaire puisse être corrélée à l'existence d'une strateìgie ambitieuse de recherche - même si la recherche n'est pas l'unique solution à la crise.
M. Jean-François Eliaou, député, s'est dit certain qu'il faut développer les outils sans attendre, pour être prêt le moment venu. Mais dans une société de communication, il faut faire attention à toute perturbation du message politique. Or de nombreux acteurs communiquent sur les technologies de traçage, sans trop de concertation. Il faudrait veiller à ne pas multiplier les messages comme cela a été le cas pour les masques.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, a estimé que l'Office doit oser dire les choses et rapporter ce que les technologies actuelles peuvent faire sur les plans technique, médical, juridique, et éthique, et ce qu'elles ne peuvent pas faire. L'Office doit fournir l'information la plus complète possible.
Il revient ensuite au pouvoir politique de disposer des outils et de choisir entre eux.
La réunion est close à 12 h 30.