Mercredi 15 janvier 2020
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Proposition de loi visant à rétablir les droits sociaux des travailleurs numériques - Examen des amendements de séance
M. Alain Milon, président. - Nous examinons les amendements de séance sur les droits sociaux des travailleurs numériques : nous sommes saisis d'un seul amendement, présenté par Mme Monique Lubin.
Mme Nadine Grelet-Certenais, rapporteure. - L'amendement n° 1 rectifié bis limite l'obligation d'adhérer à une coopérative d'activité et d'emploi (CAE) aux travailleurs ayant recours à une plateforme qui détermine les caractéristiques de la prestation de service fournie ou en fixe le prix. Le texte viserait ainsi certaines plateformes de placement des travailleurs indépendants dans l'hôtellerie-restauration ou l'événementiel, ou encore de « jobs étudiants », qui participent à « l'ubérisation » du marché du travail. Il ne viserait plus, en revanche, les plateformes qui se contentent de jouer un rôle d'intermédiaire. Je propose de donner un avis favorable.
Mme Frédérique Puissat. - Cette précision serait certes utile mais, comme nous avons rejeté la proposition de loi, nous voterons contre cet amendement, par cohérence.
M. Martin Lévrier. - Nous aussi.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1 rectifié bis.
TABLEAU DES AVIS
Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
Article unique |
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Mme LUBIN |
1 rect. bis |
Limitation aux plateformes qui déterminent les caractéristiques de la prestation ou fixent son prix. |
Défavorable |
La réunion est suspendue de 9 h 40 à 10 heures.
« Plan de mobilisation nationale en faveur de l'attractivité des métiers du grand âge 2020-2024 » - Audition de Mme Myriam El Khomri
M. Alain Milon, président. - Nous avons le plaisir d'entendre ce matin Mme Myriam El Khomri pour une présentation de son rapport sur les métiers du grand âge. Ce rapport s'inscrit dans la continuité des travaux de la concertation « grand âge et autonomie » lancée par le Gouvernement le 1er octobre 2018, dont les conclusions ont été rendues le 28 mars 2019.
Depuis, comme je l'indiquais lors de l'audition de Dominique Libault devant notre commission, le contexte a changé de façon radicale. Alors que la crise de 2008 a privé notre pays des moyens nécessaires à la mise en place d'un cinquième risque de la sécurité sociale pour la prise en charge de la dépendance, il semble que la crise des gilets jaunes ait mobilisé les marges disponibles pour la relance de ce dossier par le Gouvernement.
Le report du texte sur le grand âge a discrètement été acté par une interview du Premier ministre en décembre dernier, et il ne semble pas que la réforme des retraites envisagée soit de nature à améliorer la situation de nos comptes sociaux.
Les ressources humaines sont un élément décisif pour la prise en charge de la dépendance et un consensus s'est dégagé au cours de la concertation sur le grand âge et l'autonomie sur la nécessité de renforcer l'attractivité des métiers concernés.
Je vous laisse donc la parole, madame la ministre, pour nous exposer les conclusions de votre rapport avant d'engager le débat avec notre rapporteur du PLFSS pour le volet médico-social, Bernard Bonne, puis avec les commissaires qui souhaiteront vous interroger.
Mme Myriam El Khomri, auteure du rapport « Plan de mobilisation nationale en faveur de l'attractivité des métiers du grand âge 2020-2024 ». - Je présente tout d'abord à chacun d'entre vous mes meilleurs voeux, en espérant que cette loi annoncée sur le grand âge interviendra le plus tôt possible - et je pense en particulier à toutes celles, puisque ce sont surtout des femmes, qui sont présentes auprès des personnes âgées, surtout dans le contexte rendu plus difficile par les grèves de transports.
La ministre Agnès Buzyn m'a confié, le 3 juillet dernier, cette mission sur l'attractivité des métiers du grand âge. Il ne s'agissait nullement de refaire la concertation excellemment conduite par Dominique Libault, mais de trouver de nouvelles pistes d'attractivité pour ces métiers - alors que le nombre de candidates a baissé d'un quart en quelques années. Notre mission a donc été d'emblée très opérationnelle. Dans ces délais très courts - nous avons rendu notre rapport le 29 octobre -, j'ai souhaité intégrer des professionnels dans l'équipe : c'est ce que nous avons fait et nous avons pu, lors de nos quelque 150 auditions et déplacements, travailler avec trois professionnels d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Nous avons choisi de nous focaliser sur le métier d'aide-soignante et celui d'auxiliaire de vie. Il y a d'autres professions en difficulté, mais ces deux-là nous sont apparues les plus déterminantes pour régler la crise actuelle. Ensuite, nous nous sommes demandé pourquoi ces métiers si utiles socialement sont si dévalorisés dans la société. L'inégalité salariale, liée à la féminisation, n'est pas la seule réponse : il faut aussi regarder du côté de la façon dont on regarde le grand âge. Les professionnels nous ont dit se sentir invisibles dans la société, peu reconnus, et mal vivre ce décalage entre l'utilité de leur métier et l'image qu'ils ont dans notre société. Celle-ci valorise en effet la performance ; elle renvoie donc le grand âge à l'inutilité, et façonne le regard que nous portons sur lui. Cet aspect de la reconnaissance professionnelle est essentiel, nous devons y travailler.
Notre rapport propose une réforme en profondeur autour de quatre axes : l'amélioration des conditions d'emploi et de rémunération, la baisse de la sinistralité, l'accès à la formation, et la place de l'innovation. Notre réflexion a porté sur l'ensemble des établissements, publics et privés, non seulement parce que nous voulons donner à l'ensemble des professionnels la possibilité de passer d'un secteur à l'autre, mais aussi parce que l'avantage classique du secteur public, la stabilité de l'emploi, ne joue manifestement plus, étant donné la faible attractivité du secteur.
Il convient d'abord d'assurer de meilleures conditions d'emploi et de rémunération. On dénombre pas moins de sept conventions collectives dans le secteur privé : il faut les rapprocher. Les rémunérations prévues pour l'aide à domicile du secteur associatif, sous agrément national du ministère de la santé, ont évolué moins rapidement que le SMIC : c'est ainsi que le salaire moyen dans le secteur est de 802 euros par mois, à cause du temps partiel et fragmenté, et qu'il arrive à certaines de ces personnes de rester de neuf à treize ans au SMIC. Il est donc urgent que l'État et les départements s'entendent pour faire évoluer les rémunérations. Nous avons demandé une étude à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) sur le sujet : le taux de pauvreté est de 17,5 % chez les intervenants à domicile, contre 6,5 % pour l'ensemble des salariés. Il est difficile de rendre les métiers attractifs dans ces conditions.
Nous avons également constaté une inégalité territoriale dans la prise en compte des temps de trajet. Or le budget de l'essence et de la voiture est un gouffre, sachant que ces professionnels ont très rarement des voitures de service, et qu'ils accompagnent parfois les personnes âgées avec leur propre véhicule. Seuls 30 % des départements respectent l'avenant 36 de la convention collective nationale de la branche de l'aide, de l'accompagnement, des soins et des services à domicile (BAD), qui prévoit une meilleure prise en compte des temps de trajet.
Nous avons également auditionné des responsables du programme Renault Mobilize pour étudier la mise en place d'une offre compétitive de mise à disposition des intervenants à domicile de voitures en leasing. Souvent achetés sur Leboncoin.fr, les véhicules des intervenants tombent souvent en panne, ce qui engendre de l'absentéisme. Renault Mobilize propose des dispositifs de micro-crédit, qui permettent de disposer d'un véhicule pour 60 à 70 euros par mois tous frais compris. Le travail que nous proposons sur les conventions collectives doit aussi inclure une réflexion sur ce point, ainsi qu'une meilleure indemnisation des temps de trajet.
Autre difficulté, le manque de professionnels dans les Ehpad et les structures de services à domicile. Notre mission a donc réfléchi aux pistes d'amélioration du taux d'encadrement, pour répondre à la principale revendication du personnel concerné : ne plus avoir à choisir entre faire vite et faire bien. Six minutes pour donner à manger le midi - c'est le temps que nous a indiqué une personne que nous avons entendue -, ce n'est pas tenable, voire relève de la maltraitance. Le sens de ces métiers est la prévention de la dépendance : ne pas faire à la place, mais aider à faire. Ce sont des métiers de l'accompagnement avant tout.
Nous avons évalué à près de 66 500 postes par an d'ici à 2024 le besoin d'aides-soignants et d'accompagnants à domicile, en prenant pour référence une augmentation de 20 % du taux d'encadrement. Le vieillissement de la population nécessitera 20 700 ETP supplémentaires à la même échéance. Nous sommes face à des professionnels confrontés à l'effondrement des corps et des esprits, et parfois à la mort, ce qui induit une charge physique mais aussi mentale. C'est pourquoi nous avons défini un seuil impératif de quatre heures de temps collectif par mois dans les services d'aide à domicile et les Ehpad, contre deux aujourd'hui dans les Ehpad et une dans les services de soins et d'aide à domicile (SSAD). Cela représenterait 5 100 ETP supplémentaires, qui ne sont pas financés à ce jour. Au total, nous arrivons à 92 000 postes supplémentaires d'ici à 2024. En y ajoutant les 60 000 offres d'emploi non pourvues actuellement, et la compensation du turnover et des départs massifs à la retraite - 200 000 postes - le total s'élève à 352 000 aides-soignants et intervenants à domicile à former d'ici à 2024, soit 70 000 personnes par an. Cela représenterait un doublement des formations.
Le deuxième axe de travail est une sinistralité record et indigne de notre pays : 100 accidents de travail pour 1 000 salariés pour une moyenne nationale de 34 pour 1 000, et 60 dans le bâtiment. Notre mission a entendu les représentants du secteur du bâtiment et de la branche AT-MP, qui ont mis en place une cotisation spécifique pour faire baisser la sinistralité. Le coût de la sinistralité pour la branche AT-MP est bien sûr social ; ce sont souvent des métiers de seconde carrière, où les corps sont déjà fatigués, avec des postures pénibles, des charges lourdes. Le coût total est évalué à 602 millions d'euros, en curatif et non en préventif. Sur la base d'une analyse de ce qui existait en Allemagne ainsi que des mesures mises en place par l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), nous proposons un programme de prévention de la sinistralité, abondé à hauteur de 100 millions d'euros, pour financer des aides techniques en Ehpad et à domicile, des formations des professionnels à la prévention des risques, et surtout le remplacement des salariés qui partent en formation.
Ce n'est pas, à nos yeux, une dépense nouvelle mais un investissement. Dans les Ehpad, le taux d'absentéisme est de 8 à 15 %, dans l'aide à domicile de 10 à 20 %. Or un point d'absentéisme représente 1,2 à 2 % de masse salariale. Le seul moyen de le réduire est d'agir sur les trois axes que j'ai mentionnés. L'OPPBTP a fait baisser de 20 % sa sinistralité sur les dix dernières années en investissant 50 millions d'euros, notamment dans la féminisation et les formations. Nous avons également prévu, pour améliorer la qualité de vie au travail, des conventions pluriannuelles d'objectifs. Les indicateurs de taux de fréquence doivent être pilotés dans les CPOM. Il convient que les départements aient une meilleure compréhension du phénomène.
M. Gérard Dériot. - C'est plutôt une question de moyens !
Mme Myriam El Khomri. - C'est un investissement : le coût lié aux 10 à 20 % d'absentéisme est supporté par le département. Les indicateurs montreront l'enjeu que représente la qualité de vie des salariés. L'absentéisme est un coût pour tous les acteurs concernés. Au demeurant, notre rapport propose en conclusion la possibilité de faire sortir ces engagements financiers du cadre du pacte de Cahors.
Troisième axe, la modernisation des formations. Nous proposons de former près de 18 000 personnes par an d'ici à 2025. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a libéré l'apprentissage, dans le secteur médico-social, les possibilités d'y recourir sont limitées par un décret. Il n'y a que 600 aides-soignants en apprentissage, dans le cadre de partenariats avec la Croix-Rouge et Korian. Les stages attirent davantage les employeurs, en particulier ceux du secteur public, que les dispositifs d'apprentissage. Il convient que l'effort de formation soit réparti entre les différentes voies d'accès. Notre première proposition est de porter à 10 % d'ici à 2025 la part des diplômes d'aide-soignant et d'accompagnant éducatif et social (AES) issus de l'apprentissage. La ministre Muriel Pénicaud, que nous avons rencontrée, s'est engagée à identifier ces formations comme prioritaires dans le plan d'investissement dans les compétences (PIC) ; le doublement des formations sera financé par le PIC, si les régions maintiennent leur effort. La Pro A - reconversion ou promotion par l'alternance - étant à l'arrêt, nous avons besoin de cet appui.
Nous avons proposé la suppression du concours d'accès d'aide-soignant : il n'est pas impératif de savoir ce que veut dire le sigle DGOS pour devenir aide-soignant, en revanche il faut savoir faire preuve d'empathie et vouloir s'engager dans un métier de relations humaines. Il conviendrait donc de privilégier les évaluations orales.
Le diplôme d'État d'AES (DEAES), réformé il y a quelques années, compte désormais trois filières - domicile, établissement et inclusion - mais la première et la troisième n'attirent que 15 % des étudiants. Notre mission a voulu développer la polyvalence entre l'établissement et le domicile, en créant des liens entre les deux diplômes d'AES et d'aide-soignant. Or la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a travaillé sur le référentiel du premier, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) sur celui du second... Il conviendrait qu'un AES puisse obtenir plus rapidement le diplôme d'aide-soignant.
Alors qu'un infirmier peut devenir aide-soignant à l'issue de sa première année d'études, un aide-soignant est contraint, quelle que soit son expérience, de passer le concours et de suivre trois années d'études pour devenir infirmier. Or la formation de ces personnes coûte à l'AP-HP près de 140 000 euros. C'est pourquoi nous proposons de supprimer le concours d'accès pour les aides-soignants et de réduire la durée de la formation à deux ans. Imposer un concours et trois ans de formation à une personne qui a dix ans d'expérience, c'est lui apprendre à désapprendre. Nous proposons aussi que ces formations soient gratuites : 5 à 7 % des aides-soignants ont déboursé 5 000 à 7 000 euros de leur poche pour le devenir dans le cadre d'une reconversion professionnelle - alors que la formation des médecins est gratuite.
Les plateformes départementales des métiers du grand âge sont l'une des préconisations les plus importantes de notre mission. Elles représentent un budget d'environ un million d'euros par an. Il en existe déjà plusieurs, dont la plateforme Invie, dans les Yvelines, créée par la ville des Mureaux puis reprise sous forme associative. Ces structures réunissent les acteurs de l'emploi pour les former à la réalité de ces métiers d'empathie, de relation et d'engagement, qui ne conviennent pas à tous les demandeurs d'emploi. La plateforme Invie touche mille personnes par an, en lien avec tous les employeurs de l'aide à domicile. Des « sas » de quinze personnes sont pris en charge pour une semaine. Leur degré d'acquisition de la langue, leur empathie sont évalués et la réalité de ces métiers leur est présentée ; 500 personnes sur les 600 reçues partent en formation. Ces plateformes sont le bras armé, très opérationnel, du plan de mobilisation, le catalyseur des mesures et programmes de communication.
Notre mission préconise également un développement massif de la validation des acquis de l'expérience (VAE). Nous sommes confrontés à un glissement des tâches : les intervenantes à domicile se voient confier des tâches qui n'entrent pas dans leur périmètre de compétences, comme la pose de bandes de contention. Il est impossible de les valoriser car elles sont pour ainsi dire réalisées illégalement. Cela nécessite un travail de reconnaissance de la réalité du métier, notamment dans les zones tendues. Les aides à domicile ont l'impression de jouer le rôle de bouche-trous : elles effectuent ces tâches supplémentaires, qui engagent leur responsabilité, sans avoir été formées pour cela et sans recevoir la rémunération associée à ces qualifications. Pour y remédier, il faut un grand plan d'accompagnement à la VAE. Les perspectives de carrière sont insuffisantes.
Dernier sujet, l'innovation et l'organisation du travail. Il est très difficile aux structures existantes de modifier leur organisation. Des méthodes ont pourtant été développées, qui laissent davantage de place à l'initiative des salariés, et davantage de responsabilités. La méthode Buurtzorg (« Soins de quartier »), née aux Pays-Bas, en est un exemple. J'ai visité des centres qui l'appliquent comme Alenvi à Paris, des structures à Douai et Amiens. Cette méthode est fondée sur une sectorisation territoriale de proximité. Les intervenants à domicile sont moins nombreux, et ils gèrent eux-mêmes leur planning. Cela semble avoir un effet positif sur la qualité de vie au travail, l'absentéisme et la qualité de service. Une personne âgée m'a récemment dit : « Trouvez-vous normal que j'aie montré mes fesses à 27 personnes différentes ce mois-ci ? ». Il conviendrait que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) offre un soutien aux équipes qui veulent s'engager dans une réorganisation en ce sens, avec une étude sur l'impact d'une telle organisation sur les indicateurs et les finances des structures concernées.
Tout intervenant en Ehpad, même en dehors des établissements spécialisés Alzheimer, devrait recevoir une formation d'assistant de soins en gérontologie, qui donne des armes face aux troubles cognitifs. L'approche domiciliaire demandera de nouvelles compétences à ces professionnels. Il convient également de créer des infirmiers en pratique avancée (IPA) en gérontologie.
Nous avons évalué le coût des mesures proposées dans notre rapport à environ 820 millions d'euros pour 2020. Ce total inclut la revalorisation des rémunérations inférieures au SMIC, pour 170 millions d'euros, les 18 500 postes à créer annuellement, qui représentent 450 millions d'euros, auxquels il faut ajouter un million d'euros pour la suppression des concours, 100 millions d'euros pour les plateformes départementales, et enfin le coût de la campagne de communication préconisée dans le rapport et déjà mise en oeuvre : la semaine dernière, le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa) a lancé quatre spots réalisés par Olivier Babinet, intitulés « C'est la vie », pour rendre plus attractifs les métiers du grand âge.
Notre mission estime que la loi autonomie doit être traduite en termes budgétaires dès 2020, dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale. L'organisation du secteur doit être revue : il y a sept conventions collectives, une trentaine de fédérations, si bien que le passage d'un secteur à un autre occasionne des pertes d'ancienneté. Il faut aussi traiter les questions de la pénibilité et de la reconnaissance.
Nous avons repris à notre compte la proposition, formulée dans le rapport Libault, de diriger vers le secteur de l'autonomie le produit de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) une fois que celle-ci sera résorbée, soit, d'après les prévisions, en 2024.
Il est vital que les départements, les régions et l'État dépassent leurs différends. J'ai rencontré des présidents de conseil départemental qui ne savaient pas que le prix de journée alloué aux structures ne permettait pas de respecter le minimum conventionnel du SMIC. L'organisation administrative et financière a pris le pas sur la qualité de vie au travail et la qualité de service. Il y a une véritable déshumanisation et une taylorisation de ces métiers. Faisons confiance aux acteurs du territoire : l'État, les régions et les départements doivent s'entendre pour définir de nouvelles perspectives.
M. Alain Milon, président. - Notre commission s'intéresse depuis longtemps à la VAE, qui a fait l'objet d'un rapport de notre ancienne collègue Isabelle Debré. Relevons aussi que la CRDS attire toutes sortes de convoitises, alors que sa création en 1996 par le gouvernement Juppé avait entraîné des manifestations massives...
M. Bernard Bonne. - Votre intéressant rapport s'inscrit dans la suite du rapport Libault et des propositions que notre commission avait faites - je songe au rapport de mars 2018 sur les Ehpad ou à celui, coécrit avec Michelle Meunier, intitulé « Diminuer le reste à charge des personnes âgées dépendantes : c'est possible ! ». Beaucoup de recommandations sont communes à ces travaux.
Il convient d'aborder en premier lieu la question du financement. Il est aisé d'avoir des idées dont, au demeurant, un grand nombre ont déjà été étudiées par les départements, les associations et les parlementaires ; mais nous n'avancerons pas tant que les financements n'auront pas été trouvés. Vos propositions seront difficiles à mettre en oeuvre dès 2020, et la loi sur le grand âge, annoncée depuis plusieurs années, se fait toujours attendre.
Votre rapport met l'accent sur l'augmentation du taux d'encadrement dans les Ehpad, mais le maintien au domicile semble oublié. Il faudra pourtant qu'il figure parmi les principaux objectifs de la loi sur le grand âge. Faire baisser le nombre d'entrées en établissement serait une grande victoire.
Sur les 350 000 postes à créer que vous mentionnez, quelle est la proportion d'emplois d'aide à domicile et en établissement ? La plupart des personnes qui interviennent à domicile ne sont pas formées. De plus, les plans d'aide mis en place par les départements ne sont souvent consommés que partiellement pour des raisons de coût, car la participation financière du bénéficiaire est plus importante à domicile qu'en établissement. Il faudrait commencer par les mettre en oeuvre entièrement.
Deuxième coût non chiffré, celui des trajets. Ne faudrait-il pas prendre en compte le temps et le trajet dans les financements supplémentaires ?
Sur la sinistralité, il faut bien voir qu'elle est considérablement augmentée par la faiblesse du taux d'encadrement. Vous évoquez à ce propos un objectif d'augmentation de 20 %, alors que le rapport Libault mentionne 25 %...
Mme Myriam El Khomri. - Nos recommandations sont ciblées sur les métiers d'AES et d'aide-soignant, alors que le périmètre de celles du rapport Libault englobe tous les métiers liés au grand âge.
M. Bernard Bonne. - Pour concilier vos 20 % et les 25 % du rapport Libault, faudrait-il donc une augmentation plus forte de l'encadrement par les professions médicales et administratives ?
Autre problème : la plupart des intervenants au domicile ne sont pas formés, et beaucoup de remplaçants dans les établissements ne le sont pas non plus. Il est indispensable de veiller à la formation dans l'effort de recrutement.
Vous proposez la création d'un observatoire national, d'un comité des métiers du grand âge, de plateformes départementales... Or n'avons-nous pas déjà tout ce qu'il faut ? Les départements ne sont-ils pas capables de gérer la prise en charge des personnes en autonomie ? N'ont-ils pas la proximité nécessaire pour le faire ? Faisons-leur confiance.
Le rapport que Michelle Meunier et moi-même avions écrit préconisait d'identifier un unique financeur, afin de clarifier les relations entre les acteurs. Laissons les départements gérer ces questions - et les ARS pour le volet médical.
Les 170 millions d'euros que vous prévoyez pour la remise à niveau des rémunérations au SMIC seront-ils engagés annuellement, ou une fois pour toutes ?
M. Philippe Mouiller. - Je salue la qualité et de l'ampleur de vos travaux. Comme mon collègue Bernard Bonne, j'estime qu'il sera difficile de rendre les métiers plus attractifs sans financements prévus. En matière d'organisation du travail et d'organisation de la prise en charge de la personne dépendante, il convient de favoriser la polyvalence et la fluidité. Comment imaginer une autre organisation territoriale qui permette une meilleure reconnaissance des métiers et une diminution du temps partiel ? Enfin, peut-être votre réflexion sur la prise en charge du grand âge pourrait-elle contribuer à la réflexion sur la réforme des retraites...
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Vous estimez qu'au vu de l'absentéisme, dont le coût retombe sur les départements, les dépenses que vous proposez sont en réalité un investissement qui, à terme, fera baisser la sinistralité. Mais nous avons besoin d'argent dès maintenant !
Vous évoquez également la possibilité d'équiper de véhicules propres les intervenants à domicile, mais les associations n'en ont pas les moyens. Quant à la plateforme départementale des métiers du grand âge, qui coûterait un million d'euros par an, qui la financera ?
Le temps collectif de quatre heures par mois se fait dans toutes les associations, mais le soir, à 21 heures... Les associations ont le sentiment que leur situation n'est pas prise en compte. Le département du Lot-et-Garonne les rémunère 20,73 euros de l'heure alors que le prix de revient est de 21,50 euros. C'est dans l'immédiat que nous avons besoin d'être sauvés - parce que c'est bien de sauvetage qu'il s'agit !
Mme Marie-Pierre Richer. - Merci pour la qualité de votre rapport, qui conforte de nombreux travaux qui l'ont précédé. Vous préconisez de supprimer le concours d'aide-soignant, mais la formation reste découpée en une partie théorique et une partie pratique. Vous voulez développer l'apprentissage, mais votre rapport n'évoque pas le tutorat. Avons-nous suffisamment de tuteurs sur le terrain ?
Les recrutements pérennes sont limités, dans les Ehpad, par les concours de la fonction publique où, cette année, le seuil d'admission était une moyenne de 17 sur 20. Ainsi, certains salariés qui donnent satisfaction et savent faire preuve d'empathie finissent par renoncer, faute de pouvoir être titularisés.
Dans le Cher, certains établissements comme l'Ehpad de Nohant-en-Gout appliquent la méthode Montessori. C'est un plus pour tout le personnel, y compris administratif. Les aides-soignants deviennent des facilitateurs. Ne faudrait-il pas redéfinir le métier et son approche pour le valoriser ?
Dernière problématique, le taux d'encadrement insuffisant, qui accentue la pénibilité.
Mme Michelle Meunier. - La suppression du concours me semble bienvenue. Il apparaît que ces métiers, que vous appelez à raison des métiers d'engagement, sont souvent de deuxième, voire de troisième choix, ce qui nourrit des craintes sur les risques de renoncement lors de la découverte de leur réalité quotidienne. Compte tenu des besoins grandissants dans le vieillissement et l'offre de formation, comment laisser ouvertes les possibilités d'engagement dans ces métiers ? La loi de financement de la sécurité sociale de 2020 prévoit la création de 5 200 postes : le compte n'y est pas.
Je partage l'impatience de Bernard Bonne à l'égard du projet de loi sur l'autonomie et le grand âge, et je ne vois pas de place, dans le calendrier législatif, pour un examen en 2020...
M. Michel Forissier. - Merci de votre rapport aux conclusions duquel j'adhère pleinement. À Meyzieu, j'ai contribué à la construction d'une maison de retraite publique, à la mise en place d'un service associatif qui compte 150 salariés dont 24 infirmiers. Ces structures sont d'extraordinaires outils d'insertion. Cependant, les formations ne sont plus régulées. Votre rapport décrit un monde idéal ; quant à moi, il m'a été reproché de qualifier les salariés à l'excès, d'allouer trop de moyens et de trop équiper les domiciles que nous suivions, car j'avais fait remplacer des baignoires par des douches et installer des lits médicalisés !
Il est indispensable de réformer la répartition des compétences, car plus personne n'est responsable de rien. Je n'ai jamais cru aux compétences partagées : le département est la bonne échelle pour le grand âge. Or on lui retire des compétences, tout en lui demandant d'investir ! À côté du canton dont j'étais conseiller général se trouve un canton plus pauvre où les élus locaux ne pouvaient mettre en place des services de qualité équivalente.
Il convient que l'animation, l'assistance à domicile et les soins soient assurés par le même intervenant. C'est souvent la seule visite que certaines personnes âgées ont dans une journée.
Mme Catherine Fournier. - Je m'associe à mes collègues pour saluer la qualité de votre rapport, qui était très attendu.
La perte d'autonomie se décomposant en phases, la personne âgée doit être maintenue dans ses repères autant que possible. Les familles, pour cela, peuvent également faire appel à des indépendants, dans le cadre de l'emploi-service.
C'est un métier d'engagement. Il ne faut pas oublier que les personnes âgées sont un public particulier. Il existe un décalage important entre l'idée que l'on se fait de la profession et sa réalité, ce qui explique un grand nombre d'échecs. Puisque nous vivons dans une société de l'individualisme et de l'immédiat, il faudrait faire prendre conscience aux jeunes que nous formons du fait que le vieillissement n'est pas chose facile, et que la perte d'autonomie n'est pas toujours acceptée. Il faut également prendre en compte la confrontation avec le vieillissement du corps. Beaucoup de jeunes, au cours de leur formation, sont confrontés au plus dur : l'accompagnement aux toilettes. Il faut s'appuyer sur l'éducation, la pédagogie, phaser l'apprentissage du public jeune.
Mme Martine Berthet. - Il faut améliorer l'image, mais aussi la rémunération et la formation pour renforcer l'attractivité de ces métiers, pour augmenter le taux d'encadrement, réduire les recrutements par intérim, pourvoir les postes de nuit en Ehpad. Où en est la mise en place des nouvelles grilles de rémunération ? On parle de 2021. Cela fait longtemps que nous interrogeons la ministre à ce sujet.
Le leasing de véhicules propres n'est qu'une partie de la réponse au problème des coûts et des temps de déplacement, importants dans nos départements de montagne. Qui va payer ? Il serait normal que le département, souvent mis à contribution, soit chef de file. Certains départements ont commencé à mettre en place des schémas globaux de prise en charge, mais il faut tenir compte de la limitation à 1,2 % de la progression des dépenses de fonctionnement...
Mme Catherine Deroche. - Je partage votre diagnostic, madame la ministre ; j'espère que nous aurons les moyens du traitement. Dans une association de mon département, les Petites Mains, les frais kilométriques ne sont pas même pris en charge au barème fiscal. C'est un sujet important.
Mme Florence Lassarade. - Je n'ai rien entendu à propos de la prévention dans votre exposé, or la prévention des chutes, par exemple, ou le sport sur ordonnance, prolongent le maintien à domicile. À Bordeaux, le dispositif « Un jeune, un senior » s'inscrit dans cette démarche : l'accompagnement des personnes âgées par des étudiants, même non professionnels, est très stimulant pour elles. Avez-vous réfléchi à cette question ?
Mme Nadine Grelet-Certenais. - Merci de ce rapport exhaustif et fidèle aux réalités. Les difficultés des départements rejaillissent sur les collectivités territoriales : de nombreuses municipalités et communautés de communes qui gèrent le grand âge grâce à leurs centres communaux et intercommunaux d'action sociale finissent par y renoncer et par laisser ce service aux départements.
Avez-vous intégré l'aide au déplacement, voire à l'hébergement dans l'accès à la formation ? Dans la Sarthe, ce sont les collectivités territoriales qui sont mises à contribution.
J'ai vu des associations recruter des jeunes en jobs d'été pour l'aide à domicile qui, sans formation préalable, ont dû s'occuper de la toilette des personnes âgées. Cela a choqué l'une des jeunes filles avec qui je me suis entretenue.
Beaucoup d'aides-soignants ne songent pas à devenir infirmiers ; ils demandent simplement une reconnaissance de leur métier qu'ils apprécient, et une meilleure rémunération. Une aide-soignante m'a dit la semaine dernière qu'elle était payée 1 600 euros par mois après trente années dans la même clinique.
Dans le cadre de la réorganisation des aides à domicile, il avait été envisagé de partir du socle des Ehpad, et d'y articuler les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) qui connaissent bien le terrain. Cela peut avoir un effet réel sur les coûts. Y êtes-vous favorable ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Les chiffres que vous avez cités - le taux de pauvreté de 17,5 %, le taux d'accidents de 100 salariés sur 1 000 - sont particulièrement choquants. Cependant les 825 millions d'euros que vous proposez ne sont pas à la hauteur. Les besoins sont urgents, le personnel est en souffrance. Élus, nous rencontrons régulièrement des associations qui n'en peuvent plus, dont le personnel est fatigué par l'absence de reconnaissance du métier et, souvent, des salaires qui avoisinent 800 euros.
La réforme des retraites ne va pas arranger les choses : il a été proposé aux aides-soignants de se mettre à temps partiel deux ans avant la retraite, sans perte de revenu. Mais puisque la pension sera désormais calculée sur la base des revenus de l'ensemble de la carrière, elle va passer, dans certains cas, à 600 euros par mois !
L'attractivité des métiers du grand âge nécessite davantage qu'une revalorisation à hauteur du SMIC.
Le coût des mesures de votre plan d'action s'ajoute-t-il à celui des mesures prévues dans la LFSS 2020 ?
À quel montant évaluez-vous le coût total des mesures du plan d'action, les organisations syndicales considérant que le besoin de financement se chiffre à 10 milliards d'euros ? Vous avez annoncé 92 500 postes à créer en cinq ans ; combien cela représente-t-il de personnel en plus pour chaque Ehpad et pour les associations ?
Mme Véronique Guillotin. - Je salue la qualité de ce rapport et insiste sur l'importance des coûts de déplacement. C'est la première demande du personnel concerné, en dehors du salaire.
En Grand Est, lors d'une réunion sur la crise des ressources humaines que traverse le territoire, le directeur général de l'ARS nous a indiqué que les premiers métiers touchés n'étaient pas les médecins, mais les aides-soignantes et les infirmières. Alors que les nouveaux plans État-Région se profilent, il faudrait y faire entrer la santé, notamment autour de l'enjeu de la formation.
La mesure 30 de votre rapport prévoit une réduction du nombre de diplômes du secteur. Dans le Grand Est, nous avons 2 000 aides-soignants titulaires d'un bac professionnel et 2 000 titulaires d'un diplôme d'aide-soignant. Ne faudrait-il pas intégrer ces bacs pro dans les conventions collectives plutôt que d'en réduire le nombre ?
Si vous proposez 10 % de diplômés en alternance, il faut insister sur la formation des tuteurs et la qualité de l'accueil, qui semblent faire défaut. L'engagement des tuteurs mériterait d'être gratifié, or cela ne figure pas dans le rapport.
Dans une région frontalière comme la mienne, les difficultés sont doublées. Nous avons du mal à trouver des solutions.
M. Jean Sol. - Merci de l'intérêt que vous portez aux métiers du grand âge. Le budget affecté par la LFSS à la prise en charge à domicile suscite des interrogations. Il est également insuffisant pour les unités de soins de longue durée (USLD), qui présentent d'autres problématiques de prise en charge. Ne serait-il pas judicieux, en s'adossant sur une organisation territoriale, de développer un parcours de soins qui accompagne nos aînés en perte autonomie à domicile, en Ehpad puis dans les USLD ?
Désormais inadaptée, la formation initiale est à refonder. Quant à la formation continue, les aides-soignants ont beaucoup de difficultés à se libérer pour en bénéficier. La formation doit s'agréger au projet d'investissement et de soins.
Enfin, je suis très favorable à l'investissement sur les aides techniques, à condition que le personnel reçoive les formations nécessaires pour les utiliser à bon escient.
Mme Myriam El Khomri. - Peut-être aurais-je dû commencer par préciser ma position. J'ai accepté de préparer ce rapport au mois de juillet, à la demande de la ministre des solidarités et de la santé. Cependant, je ne représente aucunement le Gouvernement ; je n'aurai, en outre, bientôt plus de fonctions politiques.
Le périmètre de mon travail, qui fait suite au rapport Libault, n'inclut pas la gouvernance du secteur. Nous avons en effet souhaité le restreindre aux questions de la qualité de vie au travail et de la qualité de service.
La gestion budgétaire a pris le pas sur la réalité de terrain. Or, d'après l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss), 10 % de personnes âgées sont restées cet été sans aide à domicile !
Je ne suis pas responsable des engagements budgétaires qui seront pris. C'est pourquoi je me suis permis, avec la pleine liberté que m'a donnée la ministre, d'évaluer le coût en année pleine des mesures que nous proposons.
J'ai mentionné une augmentation de 20 % du taux d'encadrement, et non de 25 %, parce que la LFSS 2020 a prévu des créations de postes. Mais ces postes, financés, ne sont pas pourvus ! Il faut d'abord que ceux qui occupent un poste ne le quittent pas pour des raisons d'inaptitude ou d'épuisement. Si un responsable de secteur fait 80 % de remplacements, 80 % de son temps consiste à trouver des personnes à remplacer : dans ces conditions, on finit par renoncer. Notre analyse est partie de la crise actuelle, de ce que nous disent les professionnels et les employeurs privés, associatifs et publics, qui rencontrent tous les mêmes difficultés pour explorer des pistes et donner de l'espoir.
En revanche, je n'ai pas de solutions pour le financement, car cela n'entre pas dans mes fonctions. Je me suis permis, dans le cadre du rapport, de reprendre à mon compte la proposition de M. Libault sur la CRDS, parce que ce secteur doit bénéficier de ressources propres et pérennes.
Le département est en effet la bonne échelle pour le grand âge. On ne peut financer ce secteur de la même manière en hyper-ruralité et dans les territoires urbains. La situation des outre-mer et départements frontaliers présente d'autres spécificités. Au Luxembourg, le premier salaire est de 2 100 euros...
Le tarif national socle est préconisé par le rapport Libault pour réduire les disparités. Le secteur associatif n'a pas la charge des personnes les plus dépendantes ni des plus grands trajets ; il a besoin de soutien. La nécessité de ce tarif est une évidence, mais les travaux sur la question ne prenaient pas en compte le respect du minimum conventionnel du SMIC. Il faut relancer la réflexion. Nous sommes confrontés à une crise démographique majeure où les départements sont en première ligne. Il faut éviter que le salaire de ces professionnels soit lié à l'agrément national, dont la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap) est sortie.
Cela nous renvoie à la désorganisation du secteur, avec ses sept conventions collectives dans le privé et ses trente fédérations. Les professionnels du secteur doivent porter des communications collectives et faire un travail sur la lisibilité des formations. Les fonctions de tuteur, de formateur, de coordinateur doivent être valorisées dans les conventions collectives.
Il faut également de nouvelles fonctions, avec des rémunérations associées, dans l'ensemble des conventions collectives ; 170 euros par mois consacrés aux déplacements, ce n'est pas tenable. Les associations sont épuisées. La réduction des coûts, avec la mise à disposition de véhicules corrects, doit être un objectif.
Je ne crois pas que votre reproche de ne pas évoquer les services à domicile, monsieur Bonne, soit justifié. C'est dans les services à domicile que l'injustice est la plus grande. Ils ont fourni d'importants contingents aux gilets jaunes, d'autant qu'ils se sentent peu représentés dans le mouvement syndical. Mais on ne peut nier que les départements recrutent des personnes aussi peu formées que possible, parce que cela leur coûte moins cher ! La ministre Agnès Buzyn a annoncé une grande conférence sociale. C'est le point de départ de la réflexion.
Notre rapport propose d'annualiser l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) : une personne âgée sortant d'hospitalisation a besoin d'un grand nombre d'heures d'aide à domicile. Or il faut attendre la réunion de la commission concernée - le comité Théodule, selon le mot de l'auxiliaire de vie qui m'en a parlé - ce qui peut prendre de deux à trois mois... Un plan annuel de l'APA permettrait aux acteurs d'évaluer en amont l'évolution des besoins. Ce sont des éléments concrets.
Les plateformes départementales ne sont pas un doublon. Il est encore des plans de prise en charge qui proposent une « aide-ménagère à domicile » ; or il ne s'agit pas d'aides-ménagères, mais bien d'auxiliaires de vie ! Les professionnels de l'emploi, l'ensemble des acteurs doivent mieux connaître ces métiers. Il suffit de trois ou quatre personnes pour se déplacer dans les EPIC, les commissions locales, les lycées. La force de ces plateformes est le sas d'orientation.
M. Bernard Bonne. - C'est donc le département qui organise.
Mme Myriam El Khomri. - Ce sont le département et la région. Ces plateformes départementales sont le bras armé du plan de mobilisation, et elles fonctionnent bien. La gouvernance est confiée au préfet. L'échelle départementale est la plus appropriée. Il y a de nouvelles organisations territoriales à créer ; je songe notamment aux groupements d'employeurs du secteur. À l'échelle d'un département, des partenaires publics, privés et associatifs pourraient porter ensemble une fonction de préventeur et de tutorat, en développant les mutualisations avec des incitations fiscales. L'exonération de TVA des groupements d'employeurs est cependant un problème délicat.
Beaucoup d'entre vous ont insisté sur le caractère immédiat des besoins. Je ne peux que partager ce constat.
Il convient de travailler sur le référentiel du métier d'aide-soignant, en créant un bloc de compétences commun avec celui d'AES. Il existe un besoin de renforcement des compétences dans ces deux métiers, notamment en matière de prévention des troubles cognitifs et d'accompagnement. Nous proposons un accès via Parcoursup à partir de 2021 : un tiers des aides-soignants ne sont pas titulaires du bac. Il ne s'agit pas de restreindre l'accès au métier, bien au contraire, mais il faut ménager d'autres débouchés pour ce public.
Près d'un million d'indépendants sont actifs dans l'aide à domicile. Nous n'avons pas eu l'occasion, madame Fournier, de travailler sur les services mandataires et les salariés de particuliers employeurs. La plateforme des Yvelines accueille un relais d'assistants familiaux, ce qui permet de briser l'isolement lié à ces métiers.
Une nouvelle mission a été demandée sur la VAE, qui portera plus spécifiquement sur notre secteur. Nous avons fait toutes sortes de propositions sur le sujet : VAE hybride, VAE inversée, etc.
Oui, bien des jeunes prennent le travail en Ehpad sans connaître ses réalités, il faut qu'ils rencontrent les professionnels en amont, des outils sont à disposition, comme des kits, il faut les utiliser. J'ai vu dans des visites un véritable investissement des professionnels, des ergothérapeutes qui valident à distance et interviennent ensuite, il faut les mobiliser.
D'autres idées sont également signalées, par exemple l'intervention de professeurs de sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) dans les Ehpad, ou encore le financement de brevets d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA) seniors, même s'il faut conserver les temps d'animation aux aides-soignantes - Audrey Dufeu-Schubert a proposé de telles innovations. Les initiatives rapprochant Ehpad et accompagnement à domicile vont aussi dans le bon sens et facilitent le développement du temps plein pour les salariés du secteur.
Sur le nombre d'emplois nouveaux, nous avons calculé un ratio entre le nombre de personnes accueillies et le nombre d'intervenants : les 20 % viennent de là ; les 20 700 ETP supplémentaires sont répartis entre Ehpad et services d'aide et d'accompagnement à domicile (SSAD), c'est à la page 58 du rapport.
L'ensemble de l'équipe du rapport compte sur vous pour sa mise en oeuvre.
M. Gérard Dériot. - Vous l'avez constaté comme nous, le problème reste financier et l'échelon départemental reste primordial ; mais dois-je vous rappeler que le gouvernement auquel vous avez participé a baissé de beaucoup les moyens des départements et qu'il envisageait, même, de supprimer cet échelon ? Vous le payez aujourd'hui. La région ne peut suppléer le département sur ces questions de proximité.
Mme Myriam El Khomri. - Certes, mais il faut tenir compte des inégalités territoriales, et les disparités obligent à des choix politiques.
M. Alain Milon, président. - Nous vous remercions.
La réunion est close à 12 h 15.