- Jeudi 16 janvier 2020
- Compte rendu, par Mme Élisabeth Lamure, du déplacement de la délégation en Haute-Garonne les 11 et 12 décembre 2019
- Communication de Mme Pascale Gruny sur les conclusions du rapport n° 10 (2019-2020), du 2 octobre 2019, fait au nom de la commission des affaires sociales : « Pour un service universel de santé au travail »
- Présentation, par Mme Élisabeth Lamure, du rapport d'information n° 208 (2019-2020), du 16 décembre 2019, fait au nom de la délégation aux entreprises : « Accès des PME à la fibre : non-assistance à concurrence en danger ? »
- Questions diverses
- Table ronde sur le thème « Formateurs et employeurs face aux défis du recrutement et de l'évolution des métiers »
Jeudi 16 janvier 2020
- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente de la Délégation aux entreprises -
La réunion est ouverte à 8 heures 30.
Compte rendu, par Mme Élisabeth Lamure, du déplacement de la délégation en Haute-Garonne les 11 et 12 décembre 2019
Mme Élisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises. - Mes chers collègues, comme nous venez de le voir dans ce reportage réalisé par le service de communication du Sénat, et en dépit des difficultés d'acheminement, une délégation composée de Michel Canevet, Jacques Le Nay, Sébastien Meurant, Jackie Pierre et moi-même, s'est rendue le jeudi 12 décembre en Haute-Garonne, et plus précisément à Revel, à l'invitation d'Alain Chatillon, notre collègue de la Haute-Garonne. Mme Brigitte Micouleau, sénatrice du même département, nous a également accompagnés.
Revel est l'une des dernières bastides du XIIIe siècle, fondée en 1342 par Philippe VI de Valois, et le « château d'eau » du canal du Midi. La délégation a séjourné face au superbe lac de Saint-Ferréol, retenue artificielle des eaux de la rigole de la montagne Noire, construite à l'initiative de Pierre-Paul Riquet, fermier général, entre 1667 et 1680. Ce fut, à l'époque, le deuxième chantier du royaume après celui du château de Versailles. Cet ouvrage le ruina.
C'est donc un territoire héritier d'une culture entrepreneuriale audacieuse que nous avons découvert. À l'occasion de la table ronde, la vingtaine de chefs d'entreprise du département présents ont fait état des freins qu'ils rencontrent dans le développement de leur activité.
La première demande des entrepreneurs rencontrés est adressée à l'État en tant que producteur de normes trop abondantes, trop instables, et appliquées de façon trop tatillonne. Les cadres juridiques bougent trop souvent et la France est sur-contrôlée, notamment par les directions régionales de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement. Il leur est reproché « d'autoproduire de la norme pour la contrôler » et « d'empêcher ainsi l'action des élus locaux de se déployer conformément au principe de libre administration ».
Plusieurs exemples de réglementation tatillonne, voire absurde, ont été fournis ; nous les avons relayés dans un communiqué de presse. La palme revient certainement aux quatre pages de prescriptions adressées à un élu, également chef d'entreprise, pour aménager un parking ; il lui était demandé des mesures de prévention contre « un risque de chikungunya dans l'eau stagnante » en cas de création de flaques d'eau sur le parking... On comprend mieux l'exaspération des PME, lorsqu'est cité l'exemple de l'une d'entre elles dont un des 33 salariés voit son poste presque dédié à la compréhension et l'application de la réglementation en matière de poids lourds. Le comble est atteint lorsqu'une amende est infligée à une PME locale, qui travaille dans le BTP, pour défaut d'eau chaude dans des sanitaires de chantier, tandis qu'elle cohabite sur le même chantier avec une société éphémère qui sera dissoute dès son achèvement afin de s'exonérer de l'obligation d'acquitter des cotisations sociales pour des travailleurs détachés...
Le norme est surabondante et ne protège plus nos entreprises, faute de pouvoir réguler les plateformes qui infligent une concurrence déloyale à nos circuits de distribution ; en effet, ces derniers acquittent la taxe d'aménagement, assise sur la valeur forfaitaire par mètre carré de la surface de construction, et la taxe sur les surface commerciales, assise à la fois sur le chiffre d'affaires annuel imposable de l'année précédente et sur la surface de vente. C'est la raison pour laquelle l'harmonisation de l'imposition des plateformes, par l'OCDE, est vivement attendue. L'OCDE prépare un projet de taux d'imposition minimum global ciblant au premier chef les entreprises du numérique, dont les actifs, par nature immatériels, sont plus difficiles à capter à l'échelle nationale.
La deuxième demande des entreprises est de mieux accompagner l'innovation. Encore une fois les entreprises regrettent que le crédit d'impôt recherche, dont chacun s'accorde à reconnaître qu'il constitue l'un des outils les plus pertinents pour notre compétitivité, soit souvent « chicané » par l'administration, qui délègue des experts. Ces derniers, souvent dépassés par les innovations qu'ils sont censés auditer, contestent l'éligibilité de la dépense de l'entreprise au titre de la recherche, avant parfois de se contredire et de la reconnaître au bout d'une procédure trop longue. Entretemps, la PME aura dépensé beaucoup d'argent en contre-expertises. Lorsque le CIR est accordé, il est souvent versé avec retard.
La troisième demande est de mieux concilier environnement et développement économique.
Premier sujet : les agriculteurs ne comprennent pas les oppositions à la création de retenues d'eau, lesquelles deviennent de plus en plus nécessaires compte tenu du réchauffement climatique. France Eau Publique organisait, sur ce sujet, une réunion au Sénat le 27 novembre 2019, pour élaborer une politique de long terme prenant en compte la raréfaction de cette ressource, en particulier pour répartir les usages et assurer la solidarité entre territoires.
Deuxième sujet : l'objectif de « zéro artificialisation nette du territoire à court terme », annoncée par le Président de la République, laisse dubitatif un chef d'entreprise qui a eu le mérite de citer « l'Instruction du Gouvernement du 29 juillet 2019 relative à l'engagement de l'État en faveur d'une gestion économe de l'espace », bien que celle-ci n'ait pas été publiée au Journal officiel. À cet égard, je rappelle que, dans le plan biodiversité présenté par le gouvernement à l'été 2018, atteindre le « zéro artificialisation nette » dès 2030 nécessiterait, d'une part, de réduire de 70 % l'artificialisation brute, par exemple en fixant des densités de construction minimales dans les PLU ou en réservant les politiques de soutien au logement neuf aux constructions sur des zones déjà artificialisées, et, d'autre part, de « renaturer » 5 500 hectares de terres artificialisées par an.
Troisième sujet : il semble que l'eau récupérée dans un processus de méthanisation ne puisse pas être utilisée pour l'irrigation en raison d'obscurs obstacles administratifs.
Par ailleurs, en écho aux travaux de nos collègues Michel Canevet et Guy-Dominique Kennel, les chefs d'entreprise ont également évoqué leurs difficultés de recrutement. L'amélioration de l'efficacité de Pôle emploi ne se constate pas encore sur le terrain. Les salariés des zones rurales, et notamment des plus jeunes, sont aspirés par les métropoles. Les PME ont du mal à conserver les salariés qu'ils ont formés. La prise de conscience, y compris dans ce tissu local, des mutations de l'emploi accélère le cycle de vie des métiers et rendent impératif un effort soutenu de formation permanente.
Certains chefs d'entreprise se sont étonnés que, dans le bassin d'emploi, deux lycées professionnels sur dix seulement encouragent la formation en alternance, au motif que les lycéens seraient davantage intéressés par le travail concret dans l'entreprise au détriment de leur formation générale et académique. L'image des métiers manuels reste à revaloriser, quand bien même ils permettent de structurer une filière dynamique, comme celle de l'ébénisterie d'art.
S'agissant de l'utilisation du crédit d'impôt recherche, si un chef d'entreprise s'est réjoui que les doctorants soient enfin inscrits, depuis février 2019, au Répertoire national de la certification professionnelle (RNCP), il a regretté que leur qualification ne soit toujours pas reconnue dans les conventions collectives.
Un patron de PME nous a présenté son processus interne de recrutement. Il a « challengé » ses salariés afin qu'ils trouvent eux-mêmes et forment un nouveau salarié, y compris si ce dernier est en situation précaire ou très éloigné du marché de l'emploi ou s'il s'agit d'un ressortissant d'un pays n'appartenant pas à l'Union européenne. Il assure ainsi régler les difficultés de recrutement.
Le coût élevé des procédures de recrutement pour les PME et TPE ayant été évoqué, j'ai cité l'exemple du regroupement d'employeurs qui permettrait de mutualiser la compétence « ressources humaines » entre PME d'un même bassin économique. Les obstacles sont ici plus psychologiques que réglementaires. Nos PME semblent encore trop individualistes, contrairement à l'Italie, et n'ont pas suffisamment l'habitude de la mise en commun de leurs problématiques.
La délégation s'est ensuite rendue à l'IMARA (Institut des métiers d'art et de l'artisanat d'art) et au musée du bois et de la marqueterie de Revel. L'IMARA est un organisme de formation professionnelle habilité, qui fêtera ses 25 ans cette année. Il forme des jeunes et des personnes en reconversion à des métiers manuels liés au travail du bois, en particulier l'ébénisterie, la restauration de mobilier, la marqueterie.
Il s'inscrit ainsi dans la tradition de ce territoire. En effet, cette technique a contribué à la renommée internationale de Revel, labellisée « Ville et Métiers d'Art », cité du meuble d'art. Un ébéniste versaillais, Alexandre Monoury, s'installe dans la ville en 1888. Il est à l'origine de la production de meubles de style, décorés de marqueterie. Revel connaît son âge d'or dans les années 1930. À cette époque, 140 ateliers d'artisans emploient 700 personnes.
Nous avons échangé avec le proviseur de cet institut de formation et des enseignants et des étudiants qui ont témoigné de leur parcours, qu'ils suivent une formation initiale ou soient en reconversion. Nous avons été impressionnés par la passion qui les anime pour se former à ces métiers manuels nobles et créatifs. Ils ont souligné la qualité de l'enseignement, qui fait la part belle à la transmission des savoir-faire, avec une organisation pédagogique adaptée aux besoins. Les formateurs sont des professionnels en activité, tant pour la partie formation pratique que pour la transmission de compétences transverses, telles que l'histoire de l'art, le dessin d'art, le marketing, la communication ou les enjeux liés à la création d'entreprise.
D'ailleurs, certains étudiants et étudiantes nous ont dit souhaiter créer leur propre entreprise, sans toujours se sentir encore prêts à se lancer cependant. Ceci nous montre à quel point il est indispensable que les organismes de formation intègrent pleinement la préparation à l'insertion dans la vie professionnelle aux parcours proposés à leurs étudiants. De ce point de vue, l'IMARA paraît être un bon exemple à suivre.
Puis nous nous sommes rendus sur le site de l'entreprise Nutrition et Santé, premier fabricant français d'aliments diététiques et biologiques, même s'il appartient depuis 2009 à un groupe japonais, leader de l'alimentation diététique en Asie. Cette belle réussite entrepreneuriale débute en 1972, lorsque notre collègue Alain Chatillon acquiert Gerblé et fonde Diététique & Santé, qui adopte son nom actuel en 1991 lors de la fusion avec Céréal, premier acteur français en alimentation biologique. Il a l'intuition du développement d'une alimentation alternative et végétale.
L'entreprise fabrique ses produits en respectant des normes rigoureuses (labélisées ISO 14 000 et ISO 22 000), et commercialise des produits sans gluten ou sans sucre ou sans viande, comme des « steaks soja et blé » ou des « « émincés vegan » au soja, que nous avons pu déguster. L'entreprise produit notamment du substitut de viande, produit alimentaire dont les qualités esthétiques (principalement la texture, la flaveur et l'apparence) et chimiques sont similaires à un certain type de viande.
S'agissant de l'appellation « steak végétal », je rappellerai qu'en avril 2018, un amendement à la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, avait été adopté par l'Assemblée nationale afin d'interdire l'emploi des termes « traditionnellement utilisés pour désigner des denrées alimentaires d'origine animale » pour la désignation et la promotion de produits « contenant une part significative de matières d'origine végétale » . Cet amendement a été censuré par le Conseil constitutionnel qui a considéré qu'il s'agirait d'un cavalier budgétaire. Cette initiative avait même été condamnée par l'Association végétarienne de France car elle « stigmatisait les alternatives végétariennes à la viande en les qualifiant de pratiques commerciales trompeuses ».
En règle générale, les substituts de viande sont fabriqués à partir de produits non carnés et parfois excluent aussi tous les produits d'origine animale, tels les produits laitiers. La majorité de ces substituts est à base de soja, blé, céréales, petits pois, plantes photosynthétiques diverses, cultures bactériennes ou fongiques (tel le Quorn, seul aliment à base de mycoprotéine présent sur le marché, mis au point au bout de douze ans de recherches à partir d'un champignon, qui a un goût de poulet). Ces substituts sont dénaturés par traitement chimique et mécanique pour obtenir un produit ayant la forme d'une viande qui est ensuite aromatisée. La fabrication de ces produits requiert sept fois moins de ressources, notamment en eau, que celle des véritables viandes. Certaines start-ups essaient même de fabriquer de la viande artificielle avec des imprimantes 3D : c'est ce que l'on appelle le « bio-printing ».
Nutrition et Santé est implanté dans plus de 40 pays sur plusieurs réseaux de distribution (grandes et moyennes surfaces, pharmacies et drugstores, magasins spécialisés et autres distributeurs) avec cinq segments de marché : diététique bien-être, nutrition minceur, nutrition sportive, bio et l'alternative végétale. Le vaste site de l'usine, avec des lignes de production dans des bâtiments longs de plus de 160 mètres, a été rénové en 2013. Une nouvelle usine de barres diététiques a été créée en 2014 et une usine de biscuits sans gluten en 2015. La rénovation de l'usine en 2017 a permis de doubler sa production : ainsi la production de 16 millions de biscuits Gerblé, bien connus, nécessite une cadence de 1 000 par minute. En raison à la fois d'une forte demande (en particulier sur les références en sans sucre, sans gluten et sans viande), de capacités de production croissantes, d'une communication forte, d'innovations permanentes, et de plus de 500 recettes fabriquées sur les sites, le chiffre d'affaires a atteint 431 millions en 2018. 45 % des volumes de vente s'effectuent à l'export, principalement en Espagne, autour d'une trentaine de marques, par 1 750 collaborateurs au total, dont plus d'un millier en France.
C'est donc une très belle réussite que nous avons visitée, une belle entreprise de taille intermédiaire (ETI) en fort développement sur un marché porteur. Ce marché répond aux attentes de nouveaux consommateurs qui souhaitent diversifier leur alimentation et la « décarner ». Cette entreprise est ancrée dans son territoire et fait vivre une filière agricole de proximité, le soja notamment provenant d'exploitations à moins de 100 kms de l'usine.
Hasard du calendrier, notre déplacement s'est effectué le jour même où la Cour des comptes rendait public son rapport sur la politique de lutte et de prévention de l'obésité, lequel plaide pour rendre obligatoire le Nutri-Score - échelle de couleurs qui note la qualité nutritionnelle des aliments industriels -, mais n'est présent que sur 5 % des produits vendus en grande distribution.
Je vous remercie et remercie à nouveau notre collègue Alain Chatillon de nous avoir ainsi accueillis dans ce département de Haute-Garonne, où le tissu économique est très actif.
M. Sébastien Meurant. - Outre la découverte d'un écosystème en ébénisterie et la rencontre de jeunes talents, nous avons visité, avec Nutrition et Santé, une belle réussite entrepreneuriale dans une filière nouvelle et locale. Nous avons hélas encore constaté les difficultés de recrutement puisque cette entreprise n'a pu embaucher qu'un faible nombre des salariés de la conserverie Spanghero, fermée en 2013 à la suite du scandale de la fraude à la viande de cheval, située a seulement une trentaine de kilomètres. La distance géographique est l'un des éléments constitutifs de la trappe à inactivité, mais il n'est pas le seul.
Mme Élisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises. - S'y ajoute en effet l'aspiration des salariés de ces zones rurales par la métropole de Toulouse. Néanmoins, Revel reste un bel exemple de réussite de bassin économique éloigné des métropoles.
M. Jacques Le Nay. - Au même titre que dans tous les déplacements, nous sentons un enthousiasme de la part des entrepreneurs qui évoquent également les normes et les contraintes administratives qui pèsent sur eux. C'est une forme de harcèlement textuel !
M. Michel Canevet. - Nous avons vu dans ce déplacement que l'action publique pouvait remédier à certaines difficultés, notamment dans la formation. Les acteurs publics ont joué un rôle important dans la création des instituts de formation, au même titre que ceux de l'Aisne qui ont contribué à la création de formations dans le numérique. Nous voyons ainsi que l'implication des élus est essentielle au développement des activités commerciales et de service.
M. Michel Forissier. - Au sujet des difficultés de recrutement, on remarque que les meilleurs systèmes en Europe, comme celui de l'Allemagne, mettent les entreprises au coeur de la formation. Nous devons rompre avec l'idée que le Ministère de l'Éducation nationale et le monde des entreprises ne puissent pas dialoguer : ces deux parties sont, ensemble, responsables de la formation. Dans l'agglomération lyonnaise, celle relative aux métiers de la restauration fait office de référence. Néanmoins, les personnes formées ne poursuivent pas toujours leur parcours professionnel dans ce secteur, car les salaires ne sont pas attractifs compte-tenu du rythme de travail décalé et intense de ces métiers. Aussi, il est impératif de réguler la formation en fonction des besoins du marché. Certains parents inscrivent leurs enfants dans un CFA, par peur de l'inactivité ou qu'ils s'orientent vers des métiers sans avenir, mais sans la certitude que ces derniers puissent trouver un emploi à l'issue de leur apprentissage.
Mme Pascale Gruny. - J'aimerais rebondir sur la question des normes, sujet récurrent évoqué par les entreprises et les élus. Dans mon département, une de nos entreprises, vendue par son propriétaire et ayant trouvé repreneur, attend depuis déjà deux ans une autorisation de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), ce qui compromet la reprise convenue. Certes l'entreprise est polluante mais le préfet ne peut accélérer l'instruction de ce dossier par la DREAL. La situation est bloquée. Les compétences octroyées aux DREAL, notamment en matière de contrôle des normes, devraient pouvoir être débattues.
Mme Agnès Canayer. - J'acquiesce au propos de Pascale Gruny au sujet des DREAL, qui imposent une lourdeur normative à certaines entreprises. Il y a parfois confusion entre la loi et la norme, représentant l'hypertrophie administrative exercée par les services de l'État.
Au sujet de la formation, je pense que les écoles de production peuvent nous aider à former in situ aux métiers de l'entreprise, remobiliser des jeunes en situation de déscolarisation et répondre aux attentes des employeurs. Nous travaillons sur la création d'une école au Havre qui pourrait aider un secteur sous tension comme celui de la chaudronnerie.
M. Michel Forissier. - Le groupe Total a dégagé 60 millions d'euros sur dix ans pour créer des écoles de production.
Mme Agnès Canayer. - Dont 1 million pour celle du Havre !
Mme Élisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises. - En effet, nous comptons de beaux exemples d'écoles de production dans le département du Rhône et je pense que cette initiative est à dupliquer.
M. Michel Canevet. - Concernant la régulation de la formation, il faut veiller à éviter son excès car cela représente des délais administratifs. Il faut de la souplesse pour répondre aux besoins des entreprises. Il existe des filières de qualifications autres que celles crées par le CAP ou le BEP, notamment par les certificats de qualification professionnelle (CQP) qui répondent davantage aux besoins actuels comme nous avons pu le voir à Revel. Il apparaissait que les formations de CAP étaient déconnectées, dans leur contenu, des besoins des élèves, comme le soulignait le proviseur du lycée dispensant les formations.
M. Olivier Cadic. - Encore une fois, on peut regretter que les velléités politiques de simplification des normes soient remises en question. Un exemple a été donné à Revel avec la « prime Macron » qui nécessite désormais un justificatif. Notre Délégation a déjà travaillé sur la simplification administrative mais je constate qu'il faut persister pour étudier le phénomène qui consiste à ajouter sans cesse de nouvelles normes. Je regrette que la situation ne s'améliore pas.
Au sujet de l'entreprise Nutrition et Santé, je me réjouis que la Délégation aux entreprises mette en lumière dans ses déplacements de telles entreprises d'avenir. Ses produits sont disruptifs en utilisant sept fois moins d'eau. Ils viennent de nos terroirs : pourquoi ne pas les inscrire à la carte du Restaurant du Sénat afin de leur donner de la visibilité ? Il faut réinventer la cuisine française pour les nouvelles générations de consommateurs.
Mme Élisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises. - En effet, il a été intéressant de visiter cette entreprise, montrant l'ouverture de notre Délégation à tous les secteurs. De nombreux sujets ont été évoqués lors de ces échanges et font écho aux missions d'information menées actuellement par notre délégation.
Communication de Mme Pascale Gruny sur les conclusions du rapport n° 10 (2019-2020), du 2 octobre 2019, fait au nom de la commission des affaires sociales : « Pour un service universel de santé au travail »
Mme Élisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises. - Comme nous l'avions évoqué lors de la dernière réunion de la Délégation, notre collègue Pascale Gruny va nous présenter le rapport, fait au nom de la commission des Affaires sociales, sur la santé au travail, faisant écho à la mission d'information sur les entreprises responsables et engagées dans laquelle Jacques Le Nay et moi-même sommes co-rapporteurs.
Mme Pascale Gruny. - Madame la Présidente, Chers collègues,
La commission des Affaires sociales du Sénat a adopté en octobre dernier, à l'unanimité, le rapport sur la santé au travail que j'ai rendu avec mon collègue Stéphane Artano. Il s'inscrit dans la perspective d'un éventuel projet de loi réformant l'organisation de la santé au travail dans le courant de l'année 2020. Nous l'avons élaboré parallèlement aux travaux menés par les partenaires sociaux dans le cadre du conseil d'orientation des conditions de travail (COCT). Notre rapport fait également suite à celui de notre collègue députée Charlotte Lecocq, qui a fait couler beaucoup d'encre. Pour mémoire, le rapport Lecocq proposait une révolution copernicienne du système de santé au travail autour d'une agence nationale et de guichets uniques régionaux.
Nous avons donc souhaité prendre part à ce débat en proposant une alternative sénatoriale au rapport Lecocq. Nos conclusions viennent au terme d'un long travail, de plus de 50 auditions et deux déplacements, dans les Hauts-de-France et au Danemark.
Le rapport formule des propositions articulées autour de 4 objectifs : améliorer la cohérence et la lisibilité de la gouvernance ; garantir un service universel de santé au travail ; renforcer les moyens humains et financiers de la santé au travail ; faire de la santé au travail une composante à part entière de notre politique de santé publique en l'imposant comme un levier de la prévention primaire. Il ne l'est pas suffisamment et c'est un enjeu pour la ministre de la Santé.
En matière de gouvernance, nous proposons la création d'une agence nationale regroupant sous forme de GIP (groupement d'intérêt public) l'État, la sécurité sociale et les agences sanitaires, et qui serait le fruit de la fusion de l'Anact (agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail), de l'INRS (institut national de recherche et de sécurité) et d'Eurogip (GIP entre le CNAM et l'INRS).
En effet, le réseau des services de santé au travail (SST) pâtit de l'absence d'un pilotage national capable de garantir des prestations de qualité sur tout le territoire et pour l'ensemble des entreprises, quel que soit leur effectif.
Au niveau local, nous écartons la mise en place d'un guichet unique régional proposée par le rapport « Lecocq ». Nous estimons qu'il est souhaitable de préserver le réseau des services de santé au travail, tout en introduisant le principe de leur certification selon un référentiel défini par l'agence nationale. Nous proposons également de créer des caisses régionales de santé au travail regroupant les Aract et la partie AT-MP (accidents du travail-maladies professionnelles) des Carsat. Nous excluons tout « big bang » car il faut maintenir un lien avec les territoires, au plus près des bassins d'emplois.
S'agissant du financement des services de santé au travail, nous sommes défavorables à la proposition consistant à fusionner la cotisation AT-MP et la cotisation au SSTI (service de santé au travail interentreprises). L'une est une cotisation de sécurité sociale tandis que l'autre correspond à la prise en charge par l'employeur de son obligation de prévention.
Nous formulons un certain nombre de propositions visant à étendre le suivi médical aux travailleurs qui n'en bénéficient pas aujourd'hui.
Il s'agit notamment des travailleurs non-salariés, catégorie qui regroupe aussi bien les artisans et commerçants que les chefs d'entreprise. Aux difficultés liées à leur activité s'ajoutent bien souvent des risques psychosociaux importants, du fait de leur responsabilité personnelle, comme leur solitude, et aussi un certain déni de leurs problèmes de santé.
Nous proposons que les chefs d'entreprise puissent être suivis, à leur demande et selon des modalités qu'ils choisiraient, par le service de santé au travail de leur entreprise (comme c'est déjà possible dans le secteur agricole). Compte tenu du faible coût marginal que représenterait cette dépense supplémentaire, il nous semble qu'il peut être prévu sans cotisation supplémentaire.
S'agissant des autres travailleurs non-salariés, il nous semble nécessaire d'aller vers une obligation de rattachement à un service de santé au travail. La mise en place d'une telle obligation devra résulter de la concertation avec leurs représentants. Nous formulons également des propositions de nature à améliorer l'attractivité de la médecine du travail et à trouver des solutions palliatives à la pénurie de médecins du travail. Nous proposons ainsi d'autoriser, dans des zones sous dotées en médecins du travail, la signature de protocoles de collaboration entre le SST et des médecins non spécialisés en médecine du travail : ces protocoles prévoiraient des garanties en termes de formation des médecins non spécialistes.
Nous recommandons également un élargissement du champ de l'exercice infirmier en pratique avancée au diagnostic de certains risques professionnels, dans un souci de renforcement de la pluridisciplinarité des équipes de santé au travail et de libération du temps médical disponible.
Par ailleurs, notre rapport met l'accent sur la rénovation indispensable du contenu des missions des SST pour enfin faire de la prévention primaire en milieu de travail, une réalité.
Le procès des dirigeants de France Télécom ou encore l'extension du champ du préjudice d'anxiété montrent à quel point il est important pour les employeurs de prouver qu'ils ont mis tout en oeuvre pour répondre à leur obligation de sécurité.
Nous plaidons donc pour une implication obligatoire des SST dans l'élaboration du DUERP (document unique d'évaluation des risques professionnels) afin d'accompagner l'employeur et les représentants des salariés dans l'inventaire des risques et l'identification des actions et outils de nature à protéger les salariés. Cette obligation date de 2000 mais la moitié des entreprises ne l'ont pas élaborée, cette carence pouvant avoir de lourdes conséquences en cas d'accident grave.
Le développement de la prévention primaire par les SST suppose également un décloisonnement entre la médecine du travail et la médecine de ville. Nous proposons ainsi un accès, partiel ou total, du médecin du travail au DMP (dossier médical partagé) sous la stricte réserve du consentement explicite du travailleur.
Notre rapport fait également une large place à la prévention et à la gestion des risques psychosociaux, ainsi qu'à l'amélioration de la qualité de vie au travail. L'exemple danois nous a en effet inspirés. Il nous a surtout permis de prendre la mesure du retard accumulé par notre pays dans l'adaptation des modes d'organisation du travail aux besoins des travailleurs. Le pays mise sur le management bienveillant et l'écoute. Le bien-être au travail est même devenu un enjeu réputationnel pour les entreprises. Au Danemark, chaque entreprise fait l'objet d'une évaluation triennale de son niveau de conformité aux standards de qualité de la santé au travail afin de se voir décerner, par un organisme accrédité, un certificat de conformité. Les résultats de cette évaluation sont rendus publics sous la forme de « smileys » de quatre niveaux. Ainsi, un « smiley » prenant la forme d'une couronne royale récompense des efforts exceptionnels mis en oeuvre pour garantir un haut niveau de santé et sécurité, tandis qu'un « smiley » rouge indique que l'entreprise a fait l'objet d'une injonction ou d'un avis de suspension ou d'interdiction d'activité. Au Danemark, chaque salarié qui consulte une offre d'emploi s'y réfère.
Dans cette logique, il pourrait être pertinent de charger les SST de conduire une évaluation triennale de la qualité de vie au travail dans chaque entreprise.
J'aborderai enfin la question de la prévention de la désinsertion professionnelle, qui doit être une des finalités de la protection de la santé de salariés. Il convient d'encourager la prévention des arrêts de travail, souvent liés à l'organisation et aux conditions de travail dans l'entreprise. Chaque entreprise devrait avoir connaissance de son profil d'absentéisme en comparaison avec les autres entreprises de son secteur d'activité. Nous proposons pour cela que la CNAM transmette aux entreprises les informations qu'elle tire du signalement des arrêts de travail. Nous recommandons également que l'entretien professionnel bisannuel soit l'occasion, pour les salariés exposés à des facteurs de pénibilité, d'évoquer la possibilité d'une évolution professionnelle interne à l'entreprise vers un poste moins exposé. Enfin, pour favoriser le maintien dans l'emploi, il faudrait systématiser les visites de pré-reprise et faire intervenir cette visite le plus tôt possible. Il serait également pertinent que les services de santé au travail bénéficient tous en leur sein d'une cellule spécifiquement dédiée au maintien dans l'emploi.
Voilà, mes chers collègues, quelques-unes des 43 recommandations de notre rapport, qui ne prétend pas couvrir la question de la santé au travail de manière exhaustive mais qui, nous l'espérons, apportera une contribution utile au débat public.
Mme Élisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises. - Merci pour le résumé de ce riche rapport, qui évoque les investigations que nous menons par ailleurs sur « l'entreprise responsable et engagée » et la RSE, dont la vocation est naturellement plus large. Je note votre proposition du regroupement des agences publiques, toute rationalisation de l'action publique étant positive.
M. Michel Canevet. - J'aimerais rebondir sur la proposition de création de l'agence : relèverait-elle d'une gouvernance uniquement publique ou bien également privée ? Il est important que cette agence soit le fruit d'une interaction entre les acteurs privés et les pouvoirs publics. De la même façon, nous aurions intérêt à ce qu'il y ait des passerelles entre les dispositifs de médecine au travail du secteur public et du secteur privé, sans nuire à leur droit à bénéficier d'un dispositif qui leur est propre, afin que les services soient plus efficients sur les territoires, où je suis attaché à leur maintien. Aussi, la mission propose que la gouvernance de ces services continue d'être assumée par les chefs d'entreprise, ce que je trouve fondamental. J'ajoute qu'il est encore difficile d'appréhender les risques psychosociaux où des travaux doivent être menés. Enfin, des mesures doivent être envisagées pour remédier à la pénurie de médecins.
M. Michel Forissier. - Pascale Gruny a évoqué, à juste titre, certaines catégories d'entreprises confrontées à des risques particuliers. Certaines organisations professionnelles se sont emparées du sujet, notamment sur la préparation à la pénibilité des travaux, et il faudrait que cette initiative soient étendue à tous les départements. Il faut sensibiliser les chefs d'entreprise concernés aux démarches qu'elles doivent effectuer. Par ailleurs, je suis d'accord avec les propositions du rapport qui rationnalisent l'existant au lieu de multiplier les structures.
Mme Pascale Gruny. - Au sujet de l'agence, les décisions doivent évidemment s'appuyer sur le travail mené sur le terrain. Concernant les pénuries, nous avons proposé de sensibiliser les jeunes étudiants à la médecine du travail dès leurs premières années d'étude. Cette pénurie pourrait être comblée par les choix des médecins qui, en fin de carrière, souhaitent parfois se réorienter, mais aussi par les médecins travaillant dans une grande entreprise et qui s'occupent de patients venant de sous-traitants. Enfin sur la question des risques psychosociaux, ils sont surtout liés au mode d'organisation des entreprises et à la prise en compte de l'humain sur son poste de travail. Nous aimerions que les services de santé au travail viennent aider les chefs d'entreprise qui ont, pour la plupart, des difficultés à évaluer ces risques et contribuer au retour à l'emploi. Le Danemark, dont on parle souvent au sujet de la qualité de vie au travail, est également affecté par ces questions : les services de santé travaillent au retour à l'emploi, même pour un temps partiel, bien que beaucoup de personnes prennent des retraites anticipées pour des raisons de santé au travail.
Présentation, par Mme Élisabeth Lamure, du rapport d'information n° 208 (2019-2020), du 16 décembre 2019, fait au nom de la délégation aux entreprises : « Accès des PME à la fibre : non-assistance à concurrence en danger ? »
Mme Élisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises. - Je voulais vous informer rapidement des suites données à nos récents travaux consacrés au numérique et en particulier à la concurrence sur le marché de gros des télécoms à destination des entreprises, qui ont fait l'objet d'une conférence de presse le 5 décembre dernier.
Je vous rappelle que le sujet concernait l'accès à la fibre FttH (Fiber to the home), initialement prévue pour le marché résidentiel, mais tout à fait adaptée aux besoins des PME et TPE en raison de son coût très raisonnable. Dans la continuité des travaux de notre collègue Pascale Gruny sur l'accompagnement de la transition numérique des PME, nous avions initié un cycle d'auditions conjointement avec le groupe Numérique présidé par Patrick Chaize, en raison des risques de liquidation pesant sur le seul opérateur neutre du marché (la société KOSC), pourtant salué par les entreprises de services numériques fournissant les PME.
À la suite de notre réunion du 14 novembre dernier, nous avons publié, sous forme de rapport d'information, les comptes rendus des différentes auditions, organisées pour comprendre les enjeux du dossier et alerter le Gouvernement. Vous en avez reçu le lien par mail en amont de la présente réunion. Précédés d'une présentation des enjeux et de préconisations, ces comptes rendus mettent en évidence les dysfonctionnements préjudiciables à la numérisation des PME : d'abord, le constat d'une concurrence insatisfaisante est partagé notamment par l'Autorité de la concurrence (ADLC) et par l'Arcep ; ensuite, le manque de dialogue entre partenaires publics et privés est surprenant, voire choquant, compte tenu de l'argent public investi et des enjeux en termes de politiques publiques ; enfin, la coordination entre autorités de régulation n'est manifestement pas optimale, alors même que certains comportements d'opérateurs en situation oligopolistique, voire duopolistique, posent manifestement problème. Dans ce contexte, le modèle wholesale-only, qui est celui de l'opérateur KOSC dont il est aujourd'hui question, semble le plus à même de favoriser une concurrence saine sur le marché de gros des entreprises et de faire baisser le coût de l'accès à la fibre pour les entreprises de taille modeste. Nous attendons d'en savoir plus sur le sort qui sera réservé à cette société, dont les offres de reprise peuvent être formulées a priori jusqu'au 27 janvier.
L'enjeu est double : il porte sur les 65 000 TPE et PME qui pourraient se trouver en difficulté pour accéder à la fibre et à l'ensemble des services numériques dont elles ont besoin si l'opérateur KOSC et/ou, avec lui, le modèle d'opérateur neutre venaient à disparaître. Outre l'existant, l'enjeu concerne aussi la nécessaire amplification de la concurrence dans ce secteur, pour éviter le retour du duopole. Si KOSC était reprise par un opérateur intégré, la seule alternative possible, à nos yeux, consisterait à imposer aux grands opérateurs l'activation de tout le réseau, comme c'est le cas dans les réseaux d'initiative publique (les RIP).
Coordination des autorités de régulation, activation du réseau FttH, etc. : nous préparons actuellement une proposition de loi pour traiter ces sujets en espérant que le Gouvernement réagira rapidement pour garantir une sortie par le haut et efficiente dans un délai rapproché.
Nous sommes confortés dans notre démarche par la réaction des sociétés qui servent d'intermédiaire entre les opérateurs fournissant un accès au réseau et les entreprises sur l'ensemble du territoire. La conférence de presse du 5 décembre a réuni non seulement plus d'une dizaine de journalistes mais également des représentants de l'écosystème numérique, c'est-à-dire des sociétés qui fournissent aux TPE et PME les services du « dernier kilomètre ». Ce sont ainsi environ 1500 « opérateurs de proximité » qui, ensemble, représentent le troisième opérateur de détail du marché des entreprises. Or, leur réaction a été très nette puisqu'ils ont commencé leur intervention en indiquant : « L'écosystème est en panique », compte tenu de la situation de la société KOSC qu'ils ont qualifiée de « RIP de la zone privée ». Ils ont rappelé l'enjeu essentiel pour les entreprises de taille modeste pour lesquelles le budget « internet » ne peut dépasser 100 euros par mois alors que les offres dédiées aux entreprises, appelées FttO, sont souvent 3 ou 4 fois plus élevées. Pour elles, la transformation numérique des entreprises ne doit pas constituer une alternative mais une priorité, dont les autorités publiques doivent se saisir de toute urgence.
Nos travaux ont été largement relayés puisque de nombreux articles ont été publiés depuis : une revue de presse vous a été communiquée. Je précise que Patrick Chaize et moi-même avons alerté le Gouvernement et les régulateurs à plusieurs reprises afin de solliciter une réaction constructive des pouvoirs publics, un peu trop attentiste, autant que nous puissions en juger. Suite à notre première alerte informelle de novembre dernier relative aux risques imminents de reconcentration du marché de gros des télécoms d'entreprise au détriment de la numérisation des entreprises dans les territoires, le Premier ministre, M. Edouard Philippe, nous a bien indiqué - par courrier du 27 décembre - avoir saisi du dossier M. Bruno Le Maire. Plus récemment, nous avons transmis notre rapport et nos attentes au Gouvernement et nous sommes donc dans l'attente de la réponse du Gouvernement dans des délais que nous espérons proches compte tenu de l'urgence du dossier. Ce dernier doit se positionner pour donner toutes les chances d'une reprise réussie du seul opérateur neutre du marché, s'assurer d'une plus grande constance des régulateurs afin de tenir le cap, et d'un soutien public afin de garantir la sauvegarde de « l'intérêt général numérique » de notre pays et de ses entreprises.
Il est encore temps de sauver la crédibilité des acteurs publics sur ce dossier mais l'urgence est réelle et nous en appelons donc à l'esprit de responsabilité de chacun. Tel est le sens des courriers que nous avons envoyés à la fois au Premier ministre et aux différents ministres concernés ainsi qu'aux présidents de l'Autorité de la concurrence et de l'ARCEP.
Dernière information sur ce dossier : l'ADLC vient d'annoncer la création d'un service de l'économie numérique afin, je cite : « de renforcer les moyens humains consacrés à la détection et l'analyse des comportements mis en oeuvre par les acteurs du numérique ». Ce service sera « chargé de développer une expertise poussée sur ces sujets, d'intervenir en appui dans les dossiers à forte composante numérique, qu'il s'agisse de concentrations d'entreprises ou d'investigations sur des pratiques anticoncurrentielles et sur le respect du droit de la concurrence ». Peut-être les alertes du Sénat ont-elles contribué à cette décision très utile ? L'ADLC aura ainsi davantage d'expertise pour assurer une régulation efficiente du marchés de gros des télécoms et du numérique, en coordination avec l'ARCEP. Nous pouvons nous en réjouir ; nous resterons vigilants sur ce dossier et vous présenterons la proposition de loi lorsqu'elle sera prête. L'avenir immédiat de KOSC reste une actualité brûlante.
Mme Pascale Gruny. - J'ai trouvé, de la part de l'ADLC, un traitement un peu léger dans ce dossier lourd, car l'accès au numérique constitue pour les PME et TPE un besoin vital, et peut représenter pour ces entreprises un coût important.
Mme Élisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises. - Les deux opérateurs historiques qui ont déployé la fibre ont évité, dans un premier temps, de raccorder des entreprises, avant, dans un second temps, de le faire en leur demandant des tarifs très élevés. L'arrivée de KOSC sur ce marché a donc permis une connexion à un prix abordable car on ne peut disposer de RIP partout.
Mme Anne Chain-Larché. - J'ai trouvé également très surprenant que lors d'une récente audition, le PDG d'Orange ait invité les sénateurs à côtoyer davantage le monde de l'entreprise. Le traitement de ce dossier par notre Délégation lui donne tort.
Mme Élisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises. - Ce dernier a même « botté en touche » lorsque l'affaire KOSC a été abordée pendant cette audition, prétextant le contentieux avec SFR pour estimer qu'Orange n'était pas concernée. L'intervention de la Délégation aux entreprises a en effet fait bouger les lignes.
Questions diverses
Mme Élisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises. - Quelques informations diverses, mes chers collègues, avant notre table-ronde.
Dans l'agenda actualisé envoyé hier par mail et qui figure également sur le site du Sénat, sur la page de la Délégation aux entreprises, vous noterez le projet d'organiser deux déplacements à Paris le jeudi 27 février : Station F, d'une part, et l'école de cuisine du chef Thierry Marx, d'autre part. Nous effectuerons au moins trois déplacements dans des départements (dont la Seine-Saint-Denis) d'ici juillet 2020.
Par ailleurs, la Journée des entreprises sera organisée jeudi 2 avril, sur les thématiques de nos deux missions d'information.
Enfin, je vous prie de nous faire savoir si vous êtes intéressés par une immersion de deux jours en entreprise, que nous organisons en coordination avec CCI France.
La réunion est close à 10 heures.
- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente de la Délégation aux entreprises -
La réunion est ouverte à 10 h 10.
Table ronde sur le thème « Formateurs et employeurs face aux défis du recrutement et de l'évolution des métiers »
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Nous vous remercions d'avoir accepté de participer à cette table ronde, qui s'inscrit dans les travaux de la Délégation sénatoriale aux entreprises. Créée voilà presque cinq ans sur l'initiative de M. Gérard Larcher, Président du Sénat, qui souhaitait faire entendre la voix des entreprises, la délégation a pour mission d'informer le Sénat sur la situation et les perspectives de développement des entreprises, et de recenser les obstacles à leur développement. À cette fin, elle se déplace régulièrement dans les départements pour aller à la rencontre des entrepreneurs sur le terrain et recueillir de nombreuses informations.
Or, depuis plus d'une année, nous entendons parler des difficultés de recrutement, quels que soient les métiers - pas seulement ceux qui sont en tension. La délégation a donc confié une mission d'information à nos collègues Michel Canevet et Guy-Dominique Kennel, qui ont mené une série d'auditions depuis quelques mois.
Aujourd'hui, nous souhaitons creuser avec vous la question de la formation, initiale et continue, et celle des compétences, pour répondre aux besoins des entreprises. C'est une préoccupation ancienne de la délégation, mais nous souhaitons aller plus loin.
Avant de laisser la parole à nos rapporteurs pour introduire le sujet, je souhaite présenter rapidement nos intervenants.
Parmi les représentants des employeurs, nous avons le plaisir d'accueillir : Mme Marie Dupuis-Courtes, présidente de la commission Éducation Formation à la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) ; M. Julien Gondard, directeur général adjoint de CMA France ; M. Alain Griset, président de l'Union des entreprises de proximité (U2P) ; Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, directrice générale adjointe en charge du social au Mouvement des entreprises de France (Medef).
Pour représenter les acteurs publics de la formation, nous serons heureux d'entendre : M. François Germinet, président de l'université de Cergy-Pontoise et vice-président de la commission de la formation et de l'insertion professionnelle de la Conférence des présidents d'université (CPU) ; Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval, chef du service de l'instruction publique et de l'action pédagogique à la Direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco), au ministère de l'éducation nationale ; Mme Bénédicte Legrand-Jung, cheffe de service, adjointe au délégué général, à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (Dgefp), au ministère du travail.
Enfin, nous aurons le plaisir d'entendre, pour un premier bilan de ces échanges, M. Bertrand Martinot, qui connaît bien ces sujets à la fois en tant qu'économiste et au titre de ses anciennes fonctions, notamment en tant que délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Viendra ensuite le temps des échanges avec les sénateurs présents.
Nous espérons que cette table ronde contribuera à définir des solutions utiles pour le plus grand nombre, entreprises comme salariés. Le processus ne s'arrêtera pas ce matin puisque les travaux de nos rapporteurs feront l'objet d'un débat lors de la Journée des entreprises qui se tiendra le 2 avril prochain et rassemblera 150 chefs d'entreprise.
M. Michel Canevet, co-rapporteur. - Depuis le début de nos travaux, le 26 septembre dernier, nous avons recueilli de nombreux témoignages confirmant le constat des chefs d'entreprise rencontrés sur le terrain.
La bonne nouvelle, dont on peut se réjouir, est une reprise de l'activité en général et une hausse des prévisions de recrutement, avec une estimation de 350 000 pour 2019, dont les deux tiers sont directement liés à un développement de l'activité selon la Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Mais la mauvaise nouvelle est celle d'une hausse des recrutements jugés difficiles par les entreprises : selon Pôle emploi, ils sont passés de 37,5 % en 2017 à 50,1 % en 2019. Ce taux recouvre des réalités très différentes selon les métiers. Par exemple, les recrutements de carrossiers automobiles, géomètres, régleurs ou couvreurs sont difficiles à plus de 84 %, et ce taux est de 81,5 % pour les vétérinaires ou les aides à domicile et aides ménagères.
De nombreux métiers sont déjà en tension et cette tension va s'accentuer dans des secteurs tels que le bâtiment, l'hôtellerie-restauration ou encore l'aide à la personne, comme nous l'a rappelé le Commissaire général de France Stratégie. L'U2P nous a alertés sur la situation des entreprises de proximité dont le développement est freiné par les difficultés d'embauche, tandis que le Medef a indiqué que face à ces difficultés, ce sont entre 300 000 et 400 000 recrutements qui sont tout simplement abandonnés, soit la totalité des prévisions d'embauches supplémentaires.
La situation est donc grave, et elle va empirer si nous n'agissons pas puisque les emplois vont évoluer très fortement dans les dix années à venir sous l'influence des nouvelles technologies et de l'évolution de nos besoins, comme ceux liés au vieillissement de la population. Notre devoir est donc d'identifier les causes de ce paradoxe français où l'on voudrait embaucher, mais sans y parvenir, alors que l'on doit assumer un taux de chômage de 8,5 % de la population active, contre 3,1 % en Allemagne ou 5,2 % pour la zone OCDE et 6,3 % pour l'Union européenne.
Concernant les difficultés de recrutement, les causes sont multiples, mais les enquêtes de la Dares indiquent qu'arrive en tête l'inadéquation du profil du candidat, invoquée par 60 % des employeurs. Cette inadéquation est liée aux compétences techniques du candidat, à son expérience, aux qualités personnelles ou à l'éloignement géographique.
L'autre source de difficulté, invoquée par 55 % des employeurs, correspond aux caractéristiques du poste proposé, c'est-à-dire à sa technicité, aux horaires, au temps de travail ou à la pénibilité du travail. Pour Pôle emploi, il est important de poser le bon diagnostic sur l'origine des difficultés de recrutement pour chaque métier et dans chaque bassin d'emploi, car les réponses à apporter ne sont pas les mêmes selon les cas. Il est certain que la dimension territoriale est importante, et le Sénat y est, par nature, particulièrement sensible.
M. Guy-Dominique Kennel, co-rapporteur. - Si l'analyse des causes des difficultés de recrutement n'est pas le coeur du sujet de notre table ronde ce matin, nous avons noté, au cours des nombreuses auditions organisées jusqu'à présent, que la question des compétences constitue une réponse et un enjeu majeur pour tous les acteurs entendus. Ce sera donc le fil rouge de nos débats auxquels vous avez accepté de participer, ce dont nous vous remercions.
La question des compétences est essentielle pour aborder notre sujet, et les auditions l'ont confirmé à bien des égards, que ce soit pour faire face à l'évolution technique des métiers - je pense notamment à l'impact des nouvelles technologies -, à l'évolution des besoins - je pense ainsi à l'hypothèse de réorientation de salariés d'un secteur vers un autre en forte croissance -, ou tout simplement à l'évolution de la vie active, qui va de plus en plus nécessiter une forte employabilité et des compétences transférables, et a priori moins de savoirs stricto sensu.
C'est donc pour creuser ensemble cet aspect du sujet de notre mission d'information que nous allons vous entendre. Vous avez reçu en amont quelques questions qui vont nous permettre de délimiter le champ de notre travail collectif.
Nous allons ainsi donner, dans un premier temps, la parole aux employeurs, afin de connaître leurs attentes à l'égard des pouvoirs publics, de partager les initiatives les plus pertinentes, et d'évoquer les réformes nécessaires ainsi que la façon de traiter le cas des TPE et PME de taille modeste.
Les acteurs publics de la formation présents ce matin pourront ensuite répondre aux besoins exprimés par les employeurs, indiquer les mesures déjà prises ou en cours de mise en oeuvre pouvant contribuer à la formation utile de chacun, et enfin évoquer les éventuelles réformes, notamment législatives, qu'il conviendrait d'envisager.
M. Martinot pourra alors dresser un premier bilan de ce dialogue, avant de laisser la place aux échanges avec nos collègues. Pour conserver un temps suffisant pour ces échanges, nous demandons à chacun d'entre vous de ne pas dépasser 7 minutes pour répondre aux premières questions.
M. Alain Griset, président de l'Union des entreprises de proximité (U2P). - Nous nous félicitons des travaux de votre délégation et de l'importance que vous accordez à nos entreprises. Vos propositions correspondent souvent à nos besoins !
Le sujet que vous souhaitez aborder aujourd'hui est, pour nous, une préoccupation réelle, particulièrement depuis un an. En effet, nous assistons à une reprise d'activité, évaluée à 1,5 ou 2 %. Même si ce n'est pas énorme, c'est mieux que ce qu'on a connu pendant de nombreuses années ! Cette petite reprise nous a permis de constater que les difficultés habituelles sont amplifiées à tel point qu'on ne parle plus de secteurs en tension ou de territoires difficiles : les problèmes de recrutement touchent tous les métiers et toutes les entreprises, et vont jusqu'à empêcher de répondre à des marchés. Il existe même un risque d'atténuer une croissance qui pourrait être plus soutenue.
Quelles en sont les causes ? Certaines sont plus dicibles que d'autres, mais je vais toutes les citer.
D'abord se pose le problème de la mobilité. Dans certains bassins d'emploi, la population n'est pas toujours mobile, et refuse parfois de se déplacer de quelques kilomètres pour travailler. Des initiatives ont été prises : dans les Hauts-de-France, par exemple, avec des prêts de voitures ou de mobylettes.
Ensuite, il existe une inadéquation entre nos besoins et les compétences. Le système éducatif français n'offre pas aux jeunes la possibilité d'appréhender la panoplie extrêmement vaste des métiers. La plupart sortent du système éducatif sans avoir les éléments leur permettant de faire le bon choix - je ne parle même pas des compétences.
Enfin, et c'est la raison qui est la plus difficile à évoquer, nous constatons que les dispositifs d'accompagnement des chômeurs, qui sont plus larges que la seule assurance chômage, conduisent certains d'entre eux à refuser des emplois. Les décisions prises par le Gouvernement permettront peut-être de faire évoluer les choses.
Par ailleurs, pour les personnes ayant connu une longue période de chômage, la reprise de l'activité est difficile, car la modification de leur mode de vie demande un accompagnement particulier.
Dans l'artisanat, nous avons toujours été de fervents défenseurs de l'apprentissage et la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel répond en grande partie à nos demandes. Il reste un sujet sur lequel nous voulons insister : le mode de calcul de la rémunération du jeune. Celle-ci est toujours calculée sur l'âge, alors que nous préférerions qu'elle soit fonction du diplôme préparé. On ne prend parfois pas un jeune de 21-22 ans parce qu'il coûte plus cher qu'un jeune de 17-18 ans...
En ce qui concerne Pôle emploi, les situations sont variables. Dans ma région des Hautes-de-France, Pôle emploi a adapté des dispositifs aux besoins de nos entreprises. Une entreprise de 2-3 salariés ne reçoit pas 50 personnes pour un emploi : il faut qu'une présélection reposant sur les besoins de l'entreprise soit effectuée en amont.
À Dunkerque, nous avons pris l'initiative avec le réseau de transports urbains d'afficher dans les autobus les besoins de recrutement des entreprises devant lesquelles ils circulent. Le dispositif ne marche pas mal ! Nous aimerions que cette initiative soit développée dans d'autres villes. Tout est bon pour trouver des salariés !
Dans les secteurs que l'U2P représente - artisanat, professions libérales, commerçants -, nous constatons une prédominance très forte des recrutements en CDI : le taux de CDD est en moyenne de 45 %, contre 80 % dans l'ensemble des entreprises.
Je veux évoquer un phénomène inquiétant : le régime de la micro-entreprise incite à créer non pas des entreprises, mais des emplois. Le micro-entrepreneur ne prend ni apprenti ni salarié, et ne cotise pas pour la retraite, ce qui peut poser problème après quelques années. Il faudrait donc limiter ce régime à une durée de deux ans, à tout le moins pour ceux qui en font leur activité principale.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je vous remercie d'avoir pointé les trois raisons des problèmes de recrutement et d'avoir donné des exemples de secteurs géographiques dynamiques, comme les Hauts-de-France.
M. Julien Gondard, directeur général adjoint de CMA France. - Nous partageons les constats qui ont été dressés. Les intentions de recrutement augmentent, mais les difficultés pour recruter sont également à la hausse. Le taux de chômage des jeunes reste élevé, et trop peu d'entre eux sont en situation d'apprentissage. En Allemagne, l'apprentissage est très développé, et peu de jeunes sont au chômage.
L'évolution des métiers est rapide, ce qui impacte tous les secteurs. Les métiers d'aujourd'hui ne seront pas forcément ceux de demain : nous devons en tenir compte en termes tant de système de formation que de préparation des entreprises à ces mutations.
Dans le domaine de l'artisanat, l'apprentissage est un sujet stratégique, mais nous voulons également intégrer des politiques publiques innovantes. Je pense, par exemple, à l'accompagnement des publics immigrés, car ces personnes arrivent en France avec des compétences, une expertise, des qualifications. Dans le réseau des chambres de métiers, certaines chambres ont travaillé spécifiquement sur cette question.
Il faut améliorer le système d'orientation en France. Même si les choses s'améliorent, l'apprentissage, qui est une voie efficace vers l'emploi, n'est pas assez valorisé. Les mentalités changent - c'est certain -, mais on ne fera jamais assez pour permettre à des jeunes de choisir un parcours plutôt que de le subir, et ceci le plus tôt possible. L'ouverture du monde de l'Éducation nationale au secteur des métiers est une question majeure. Il faut permettre la complémentarité de ces deux univers dans tous les territoires, et ne pas les opposer.
Il est nécessaire d'accélérer le développement de l'apprentissage dans tous les niveaux de qualification. Le réseau des chambres des métiers a 112 centres de formation d'apprentis (CFA) : il est un acteur majeur de la formation. L'ensemble des chambres des métiers s'est engagé à former 40 % d'apprentis supplémentaires d'ici à 2022. Nous parviendrons ainsi à former 200 000 jeunes chaque année.
Il faut accompagner les entrepreneurs vers la création d'entreprise. Ils ont un métier, une expertise, mais il faut les aider à développer des compétences transversales : savoir gérer une entreprise, faire évoluer un modèle économique vers le numérique. Tout cela ne s'improvise pas. Des parcours de formation doivent être proposés tout au long de la vie, pour leur permettre d'acquérir, au-delà des compétences relatives au métier, des compétences de gestionnaire et de chef d'entreprise.
Les recrutements doivent être davantage sécurisés. Tout le monde a le droit à l'erreur, le droit de tester une voie et de constater que ce n'est pas forcément la bonne : les passerelles et les allers-retours doivent être permis. En cela, la prépa-apprentissage qui a été instituée dans la loi est une bonne disposition, puisqu'elle permet à un jeune qui cherche à s'orienter de découvrir les métiers.
En ce qui concerne les stratégies territoriales, il faut mettre autour de la table tous les acteurs de l'emploi, notamment Pôle emploi. Nous avons signé une convention hier avec Pôle emploi pour encourager les expérimentations territoriales et le partage de savoir-faire, notamment dans les métiers en tension.
Le nouveau dispositif qui institue 54 heures de sensibilisation aux métiers doit être travaillé en concertation avec l'éducation nationale afin de permettre des échanges constructifs avec notre secteur.
S'agissant de France compétences, nous souhaiterions que le rythme des certifications puisse être accéléré. La mise à jour rapide des référentiels de diplômes permet de répondre aux besoins des entreprises.
Enfin, il faut porter un regard particulier sur l'outre-mer, qui fait partie des secteurs pourvoyeurs d'emplois. Néanmoins, ces territoires rencontrent, de par leur situation, des problématiques particulières. Il faut adapter les dispositions à des modes de fonctionnement qui peuvent être éloignés de ce que nous connaissons en métropole.
Mme Marie Dupuis-Courtes, présidente de la commission Éducation Formation à la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). - Je vous remercie de nous entendre sur ces sujets essentiels. Je dirige une PME dans le secteur du bâtiment, avec 36 collaborateurs. Il est très difficile de recruter : je n'arrive pas à pourvoir 6 postes depuis le mois de septembre. L'année dernière, le manque à gagner lié à cette absence de recrutement en termes de chiffre d'affaires s'élevait à 300 000 euros.
Quand nous avons des jeunes en face de nous, nous cherchons à recruter non pas un diplôme, mais des compétences. Les jeunes qui passent des entretiens n'ont aucune culture de l'entreprise. Ce ne sont pas les quelques jours de stage en troisième qui suffisent à faire découvrir le monde de l'entreprise. Voilà un enjeu essentiel : tout au long de leur scolarité, les jeunes devraient être plus fréquemment en contact avec l'entreprise, pour ne pas en avoir peur. Je suis choquée par leur manque de confiance en eux malgré leurs diplômes et leurs connaissances. On leur demande s'il est possible de leur confier telle mission, et ils nous répondent qu'on ne leur a pas appris à le faire. Il faut passer d'un système de connaissances à un système de compétences et de capacités.
De nombreuses initiatives ont été prises en matière de découverte des métiers. Dans le secteur du bâtiment, on emmène des jeunes sur des chantiers au collège. Je pense aussi au dispositif « Un jour, un jeune, une entreprise ». Il y a quelques années, j'avais accueilli, à deux reprises, un principal de collège pendant quelques jours dans mon entreprise. Mais je n'ai plus été sollicitée - j'espère que ce dispositif existe encore, car il permettait un bon temps d'échange.
Quand les jeunes arrivent à 18 ans en entreprise, ils devraient savoir rédiger, connaître un minimum d'outils informatiques et comprendre un bulletin de salaire. Ils découvrent tout cela, et nous devons en faire des citoyens. Les diplômes doivent incorporer cette éducation à l'économie, qui fait partie prenante de nos vies.
Dans certains collèges ou lycées, on ferme les portes à des métiers qui sont considérés comme pas assez valorisants - je pense aux métiers de la propreté par exemple. Les jeunes doivent avoir vision complète de tous les métiers. La nouvelle organisation en matière d'orientation, qui repose maintenant sur les régions, doit soutenir la promotion des métiers, en s'appuyant sur les branches professionnelles.
Les Olympiades des métiers sont aussi de formidables vecteurs pour aider les jeunes à construire un projet professionnel.
Nous étions évidemment très favorables à la réforme de la formation professionnelle. Ouvrir au plus grand nombre l'apprentissage est une très bonne chose. L'année 2019 a été consacrée à la mise en oeuvre de la réforme ; nous aimerions que 2020, avec la mise en place de France compétences, soit celle de la projection : comment faire évoluer cet outil ? Il faut se poser la question dès maintenant, car il n'est pas satisfaisant de voter le premier budget de France compétences en déficit de plus de 3 milliards d'euros.
Si l'apprentissage se développe autant qu'on le souhaite, aura-t-on vraiment les moyens de cette politique ? Si ce n'est pas le cas, augmentera-t-on la cotisation des entreprises ou demandera-t-on tout simplement aux entreprises de payer la partie du coût du contrat qui ne sera pas prise en charge par France compétences ? Ces questions nous inquiètent. Aujourd'hui, moins d'une entreprise sur cinq forme par la voie de l'apprentissage : on ne peut pas faire reposer tout le système sur ces 20 % d'entreprises.
Par ailleurs, quelques points de la loi « Avenir professionnel » ne sont toujours pas mis en oeuvre. Nous avions évoqué une minoration des coûts contrats et des niveaux de prise en charge pour les organismes qui disposaient de financements publics. Une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a travaillé sur ce sujet. Il faut éviter que la solution envisagée ne devienne une véritable « usine à gaz ».
Quid des entreprises de plus de 50 salariés qui n'ont aujourd'hui plus accès aux fonds de la formation professionnelle, alors qu'elles continuent à cotiser ? Il faut trouver des réponses, car que l'entreprise ait 48 ou 52 collaborateurs, les besoins de formation sont les mêmes.
L'aide unique aux employeurs est une très bonne solution. Il est dommage qu'elle s'arrête au niveau infra-bac. Alors que des entreprises souhaiteraient accompagner des jeunes vers le niveau BTS, l'effet couperet tombe du jour au lendemain. Il faudrait envisager un système dégressif.
Le document qui nous a été fourni évoque la situation « difficile » des TPE-PME. Mais ces entrepreneurs sont volontaristes et essaient toujours de trouver des solutions ! Il existe déjà beaucoup de dispositifs d'accompagnement. J'ai bénéficié de la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC), qui est une très bonne solution. L'entreprise n'a pas besoin d'être accompagnée sur le très long terme : pour des PME, il suffit quelquefois que des consultants viennent trois ou quatre jours.
L'accompagnement doit se faire sur l'innovation. On parle beaucoup d'Intelligence artificielle, de machine learning, de blockchain... Peu d'entre nous peuvent définir précisément ces notions ! On peut prendre l'exemple de la Finlande, qui s'est fixé comme défi national de former au moins 1 % de sa population à ces concepts, dont il ne faut pas avoir peur, car c'est le monde qui nous attend demain. Nous avons besoin de rassurer les salariés : l'intelligence artificielle ne signifie pas qu'il n'y aura pas d'emplois demain, mais elle contribuera à faire évoluer les métiers. Si d'autres pays parviennent à relever ces défis, pourquoi ne pourrions-nous pas, nous aussi, collectivement, nous projeter de manière constructive dans l'avenir ?
Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, directrice générale adjointe en charge du social au Mouvement des entreprises de France (Medef). - Merci d'avoir organisé cette table ronde. Le Medef souscrit aux propos de l'U2P et de la CPME. Je concentrerai mon propos sur l'adéquation des compétences attendues et des compétences disponibles sur le marché du travail, nouvel enjeu de politique publique, non pas en soi, mais par l'intensité et la complexité qu'il revêt actuellement. Selon une enquête du Medef, 400 000 recrutements sont abandonnés chaque année, faute de candidats pour les postes offerts. C'est un phénomène nouveau pour la plupart des chefs d'entreprise, et d'autant plus aiguque les carnets de commandes se remplissent.
Nous sommes dans un cycle économique schumpeterien, avec une révolution technologique liée à l'intelligence artificielle : 50 % des emplois disponibles vont évoluer, 40 % évoluent et 10 % vont disparaître. Cette réflexion est posée dans un environnement mondialisé, avec l'apparition de nouveaux métiers comme les « data scientists », essentiels mais avec très peu de personnes compétentes disponibles. Comment résoudre ce problème ? Chacun a sa place à tenir, même si l'État, par son administration ou via le Parlement, a une responsabilité prioritaire. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, la loi réformant l'éducation nationale et la réforme du premier cycle de licence, avec la professionnalisation des formations, montrent que l'État a conscience du problème.
La loi du 5 septembre 2018 contient des avancées importantes : la réforme de l'apprentissage, la généralisation de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences... Nous saluons la création de France compétences, son cadrage et ses objectifs, mais nous sommes très réservés sur sa gouvernance, via un contrat d'objectifs et de moyens. Comme le disait Mme Dupuis-Courtes, il ne faudrait pas que la réforme de l'apprentissage ne soit qu'un gigantesque trompe-l'oeil, faute de financements suffisants.
La loi contient cependant un paradoxe sur le principe de formation utile. Comment faire en sorte que le salarié utilise son droit à la formation pour optimiser son employabilité, être mobile, adaptable, agile ? Afficher cet objectif suppose de mobiliser le droit à la formation dans le CPF et met l'employeur dans une situation délicate. Où et quand débattre de l'utilité des formations ? Il y avait un ancien plan de formation, il y a le nouveau plan de compétences... Cette question a été évacuée par la loi, alors que le sujet était central dans l'accord entre les partenaires sociaux de février 2018. Or cela conditionne l'employabilité des salariés.
Seconde limite, la loi définit les compétences des différents acteurs - régions, Éducation nationale, branches professionnelles -, mais ne règle pas leur mise en mouvement. Les partenaires sociaux ont un rôle à jouer si l'on veut que la loi débouche sur des projets partagés.
Le Medef propose qu'à l'échelle des régions, les entreprises contractualisent librement avec l'Éducation nationale, les branches, l'État dans des « pactes d'objectifs partagés ». Réunis autour de la table, tous ces acteurs s'accorderaient sur cinq chapitres : un diagnostic avec l'offre de formation initiale et continue et le positionnement de tous les acteurs ; la déclinaison des objectifs ; la définition des obligations de chaque acteur ; l'évaluation de la façon dont chacun a répondu aux objectifs ; et l'évaluation des résultats obtenus. Si les acteurs ne sont pas proactifs, il ne se passera pas grand-chose, hormis la redéfinition des compétences de chacun. La réforme de l'apprentissage est bonne, mais à elle seule, elle ne sera pas l'alpha et l'oméga de ce nouvel enjeu...
Le Medef a signé avec le ministère de l'Éducation nationale une convention-cadre qui se décline dans les régions. Nous devons faire la même chose avec le ministère de l'Enseignement supérieur. Cela ne suffira cependant pas.
L'urgence absolue, c'est de renforcer les liens entre l'école et l'entreprise, au sens large. L'entreprise n'est pas toujours la bienvenue à l'école, alors qu'il y a de très bonnes expériences de collaboration avec des établissements. Mais cela dépend de relations interpersonnelles, rien n'est systématisé ni pérennisé. Ouvrons ce dossier.
Interroger sur l'adéquation entre compétences attendues et disponibles a un contenu subversif par rapport aux habitudes des partenaires sociaux. Lorsque les organisations patronales évoquent les compétences, les organisations syndicales croient que cela signifie la fin des métiers et du recrutement sur la base des diplômes, ce qui remettrait en question les équilibres subtils des conventions collectives qui reposent sur les métiers et non sur les compétences.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je vous remercie. Après les employeurs, nous passons aux acteurs publics de la formation.
M. François Germinet, président de l'université de Cergy-Pontoise, vice-président de la commission de la formation et de l'insertion professionnelle de la Conférence des présidents d'université (CPU). - Les universités font partie des opérateurs qui ont, ces dernières années, fait le plus évoluer leur fonctionnement, leur statut et leurs diplômes. Elles rassemblent 1,6 million d'étudiants, soit cinq fois plus qu'en 1968. Ceux-ci ont des profils beaucoup plus divers et nécessitent des accompagnements différents. Nous n'avons eu de cesse d'augmenter la diversification de notre offre avec, au-delà des licences générales, de nombreuses formations professionnelles. Le supérieur compte aussi 440 000 stagiaires en formation continue, dont les trois quarts dans les universités, ainsi que 166 000 apprentis. Alors que l'apprentissage dans l'enseignement scolaire connaît des difficultés, il ne cesse de croître dans l'enseignement supérieur.
Par rapport aux années 2000, le système scolaire et supérieur global est beaucoup plus résilient : un étudiant peut changer de voie, il n'est pas obligé de suivre une classe préparatoire ou une licence de droit pour être heureux dans la vie et réussir professionnellement. Il peut commencer par faire un BTS, puis un master, pour finir par une thèse, et peut redoubler. Nous rassurons souvent les parents d'élèves de seconde qui se demandent ce que leur enfant fera après le bac.
Trois réformes ont impacté l'enseignement supérieur : la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (LORE) et ses deux appendices sur la pédagogie et la réussite, la loi sur la professionnalisation et la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel sur la formation continue et l'apprentissage.
La LORE a réformé l'accès à l'université avec Parcoursup, pour une meilleure orientation dans les lycées, grâce à un calage plus adéquat des tuyaux entre le lycée et le supérieur. Elle trouvera son aboutissement dans la réforme du lycée et les spécialités prévues par le ministre. Il n'est plus question de bourrer les amphithéâtres tant que des places sont disponibles, ni de faire souffrir les étudiants dans des formations ne leur convenant pas. Nous les faisons s'interroger sur les formations qu'ils veulent suivre, les prérequis, l'accompagnement, les métiers futurs, les compétences. C'est un mécanisme vertueux. La LORE a été suivie de deux répliques sur le premier cycle : un arrêté a modifié la structure de la licence générale, pour plus de flexibilité et d'accompagnement. L'étudiant peut récupérer des connaissances dont il a besoin pour suivre une formation, au lieu de faire comme s'il les avait toutes lorsqu'il change de formation. Des dispositifs d'accompagnement très puissants sont mis en place. Ensuite, une loi a réformé la formation professionnelle dans le supérieur, avec deux volets : la licence professionnelle, qui était hors-sol en troisième année, peut désormais être construite en trois ans, et non avec deux premières années de licence générale ; ensuite, le diplôme universitaire de technologie (DUT) passera de deux à trois ans - je préside la Commission consultative nationale des instituts universitaires de technologie (CCN-IUT).
Le ministre a évoqué la possibilité de formations Bac+1, très peu développées hormis quelques mentions complémentaires. La CPU pense qu'un accent particulier pourrait porter sur ces formations pour mûrir un projet professionnel par exemple après un bac pro, avant éventuellement de continuer dans le supérieur.
L'apprentissage est un moteur essentiel du supérieur, avec un fort effet vertueux. La loi permet aux universités de créer des centres de formation d'apprentis (CFA) en établissant de nouveaux liens et en maîtrisant mieux les outils de formation des apprentis. Nous voyons arriver dans les universités les cohortes d'enfants nés autour de l'an 2000. Nous avons proposé un grand plan réunissant les objectifs des lois ORE et « Avenir professionnel » pour créer 20 000 places d'apprentis en premier cycle, afin de dynamiser l'apprentissage et de répondre à l'augmentation des effectifs. De nombreux élèves sont issus de bacs professionnels et ne sont pas adaptés aux licences générales.
Nous sommes farouchement hostiles à la minoration des contrats d'apprentis pour les établissements publics, car grâce à l'apprentissage, nous avons pu augmenter notre offre de formation de 20 à 30 %.
L'apprentissage a bonne presse dans le supérieur, mais moins dans l'enseignement scolaire. Nous pourrions donc créer des formations d'apprentissage trans-baccalauréat, commençant au lycée, et se terminant à bac+1, pour renforcer l'apprentissage scolaire et que celui-ci bénéficie de l'image positive du supérieur. Cela créerait une couture plus souple entre l'infra et le post-bac.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci de cet état des lieux sur l'enseignement supérieur et de vos réflexions sur son évolution.
Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval, chef du service de l'instruction publique et de l'action pédagogique à la Direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco, au ministère de l'éducation nationale. - Enseignements scolaire et supérieur sont fortement articulés. Les sujets évoqués sont suivis par tous les ministères certificateurs : éducation nationale, enseignement supérieur, agriculture, culture, travail, affaires sociales...
Le positionnement du ministère de l'Éducation nationale, sur la formation initiale des plus jeunes, nous donne des obligations importantes pour l'orientation de nos élèves. Depuis la rentrée de 2019, les élèves, dès la classe de 4e, sont accompagnés pour voir, comprendre les milieux professionnels, imaginer leur parcours de formation dans l'enseignement scolaire ou supérieur, par l'apprentissage ou la validation des acquis de l'expérience. Ce sujet s'adresse aux élèves, mais aussi aux parents et à la société, car nous influençons tous les choix des élèves.
La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et les lois précédentes donnent aux régions un poids important pour l'accompagnement des élèves dès la 4e. L'âge moyen de sortie de 3e est de 15 ans et 6 mois : les élèves sont alors de grands enfants ou de jeunes adolescents, et non des adultes. Il faut adapter l'information aux besoins en compétences de proximité, tout en donnant de l'ambition aux enfants qui en ont envie. Ils doivent comprendre les métiers et les formations disponibles sur leur territoire. Travailler sur l'orientation est une première étape.
Le centre d'études et de formation en partenariat avec les entreprises et les professions (Cefpep) aide les enseignants et le personnel de l'éducation nationale à suivre des formations dans les entreprises, et son catalogue a été abondé par plus de 600 lieux d'accueil. Parmi les outils d'orientation, les campus des métiers et des qualifications (CPQ) sont des laboratoires rassemblant les établissements secondaires tant généraux, professionnels, techniques, que des établissements d'enseignement supérieur et des entreprises, pour la formation tant initiale que continue.
Nous voulons structurer les formations autour de spécialisations progressives. Actuellement, le choix est fait à la fin de la seconde de choisir une filière générale ou technologique, avec des enseignements de spécialité qui deviennent de plus en plus importants. Ils constituent une étape forte d'individualisation des parcours et imposent d'accompagner les élèves pour qu'ils identifient en quoi leur choix peut avoir un impact sur leur futur métier. Cela suppose de bien les informer.
Nous avons renforcé la capacité à faire des stages en cours de formation, que ce soit pour les établissements de la voie générale ou technologique. Ces élèves n'ont pas vocation à intégrer immédiatement des entreprises.
La plateforme Horizons 21, outil d'aide à l'orientation et au choix, fait des liens entre les formations et les métiers dès la classe de seconde. Tout se construit petit à petit. Certains jeunes voulant une insertion professionnelle dès la terminale peuvent aller sur les campus des métiers et des qualifications qui veulent attirer les élèves motivés pour des formations à des compétences nouvelles, pour une insertion professionnelle et rebondir ensuite. Cela se traduit par une augmentation des voeux vers la voie professionnelle de plus de 3 % dès la rentrée 2019. Pour les jeunes élèves de 3e souhaitant l'apprentissage, la conversion du voeu en réalité est parfois complexe. La loi de septembre 2018 a travaillé sur la fluidité des parcours de formation. Cela fait partie des objectifs de transformation. Nous accompagnons les établissements publics d'éducation.
Pour répondre aux besoins de compétences complémentaires, nous mettons en place des formations tenant compte du parcours des élèves. Ainsi, un élève ayant déjà un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) peut faire un autre CAP en un an, car il a déjà acquis certaines compétences. Il en est de même pour des mentions complémentaires permettant de compléter un premier diplôme obtenu.
Un travail est lancé sur la conférence des diplômes. Nous travaillerons au premier semestre 2020 avec tous les acteurs sur l'organisation de l'offre de formation professionnelle pour la rendre réactive, adaptée aux territoires et réinterroger la carte des formations sur nos territoires. Nous travaillons sur la concertation avec les organisations professionnelles dans certains secteurs sensibles : le numérique, la transformation écologique, les énergies, les services à la personne... Nous travaillons avec les organisations membres des commissions professionnelles consultatives ministérielles (CPC) pour identifier les parcours de formation de l'individu. La politique des petits pas est indispensable pour que l'élève puisse se projeter successivement sur un CAP, puis un bac pro, puis un BTS, et non d'emblée sur des études en cinq ans. La construction d'un parcours scolaire permet d'accroître ses compétences directement ou en reprise d'études.
Dès la rentrée 2021, il faudra adapter les cartes de formation professionnelle en lien avec les régions, qui doivent faire face à des contraintes d'équilibre du territoire et d'investissements lourds dans des plateaux techniques. Il faut renforcer le lien entre l'école et l'entreprise, avec une mise en oeuvre concrète au service des élèves, accompagnés dans leur diversité.
Mme Bénédicte Legrand-Jung, cheffe de service, adjointe au délégué général, à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) au ministère du travail. - Merci de votre invitation. Les difficultés de recrutement, avérées dans certains secteurs, la formation et les compétences sont des enjeux fondamentaux pour les politiques menées par le ministère du travail. Ils relèvent de multiples acteurs - entreprises, État et ses opérateurs, partenaires sociaux, et les leviers d'action sont multiples.
Premier niveau d'action, il faut connaître et anticiper les besoins en compétences à moyen et long terme. Alors que seules les grandes entreprises peuvent mettre en oeuvre ces démarches, le ministère du travail a mis en place des outils d'appui à la GPEC pour les PME, afin qu'elles puissent établir un diagnostic et déployer un parcours de formation, de certification et d'emploi.
Les pouvoirs publics doivent aussi mettre à disposition les études nécessaires. La Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares) et France stratégie mènent des études de prospective pour identifier la liste des métiers en tension et des qualifications. Cela permet d'outiller les politiques aux différents niveaux géographiques.
Deuxième niveau d'action, il faut réformer la structure du système de formation professionnelle et d'apprentissage. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a mis les compétences au coeur d'une réforme systémique de l'organisation et de la gouvernance.
Le développement de l'apprentissage est un objectif majeur du ministère. Le pilotage et la mise en oeuvre opérationnelle donnent aux entreprises une réponse efficace à leurs besoins en compétences. Le dispositif « prépa-apprentissage » prépare l'entrée dans l'apprentissage et sécurise la réussite professionnelle, en évitant les ruptures de contrat. Le compte personnel de formation (CPF) a été profondément modernisé, avec « moncompteformation », application importante pour avancer concrètement, à la main de l'individu. C'est une démarche co-construite avec les entreprises dans le cadre du plan de développement des compétences ou du dialogue social.
Je souhaite mentionner d'autres outils importants, qui répondent notamment à l'enjeu de l'adaptation des compétences tout au long de la carrière, notamment en seconde partie de carrière. Cela fait d'ailleurs écho aux discussions sur le maintien en emploi, qui est lui aussi important par rapport à l'enjeu des compétences. La loi du 5 septembre 2018 a, de ce point de vue, rénové des outils existants ou mis en place de nouveaux outils, comme le CPF de transition professionnelle, pour les salariés qui veulent se reconvertir, le dispositif Pro-A, pour les salariés dont les qualifications sont menacées d'obsolescence, ou le conseil en évolution professionnelle. Je pense également à la réforme de la gouvernance, à celle des opérateurs de compétences (OPCO) et à celle de la certification professionnelle, qui associe désormais très étroitement les partenaires sociaux et qui est évidemment un enjeu très important sur cette question des compétences.
Le troisième niveau d'action du ministère du travail relève de la formation des demandeurs d'emploi. Le levier principal est le plan d'investissement dans les compétences, doté d'un réel accompagnement financier pour changer d'échelle en matière de formation des demandeurs d'emploi, sur le plan quantitatif comme sur le plan qualitatif.
Ce plan est évidemment un levier majeur de notre action. Ses objectifs portent notamment sur l'insertion des publics les plus éloignés de l'emploi, comme les jeunes qui ne sont ni en formation ni en emploi ou les demandeurs d'emploi les moins qualifiés. Il a également pour objet de répondre aux besoins des entreprises confrontées à des difficultés de recrutement et a un objectif plus général de transformation des compétences.
Le plan d'investissement dans les compétences intègre de multiples leviers d'action. Ainsi, des pactes régionaux sont désormais négociés entre l'État et les régions pour amplifier l'effort de formation professionnelle, mais aussi pour avoir des programmes de formation mieux assis sur les besoins du territoire, pour agir qualitativement sur les parcours de formation. Il s'agit véritablement de faire progresser la formation des demandeurs d'emploi sous les angles quantitatif comme qualitatif.
Ce plan permet également de financer de nombreux programmes, dont certains visent tout particulièrement l'insertion des publics les plus éloignés de l'emploi, quand d'autres se concentrent sur les besoins de recrutement. Je pense notamment à tous les programmes de préparation opérationnelle à l'emploi, qui sont importants pour pourvoir à des besoins de recrutement pour lesquels existe un enjeu de formation et d'adaptation des compétences des salariés.
Le quatrième niveau d'action relève davantage de la politique de l'emploi et de l'enjeu des métiers en tension et des difficultés de recrutement.
Le premier levier est évidemment Pôle emploi, principal opérateur du ministère du travail, dont je veux souligner le rôle et l'offre de services. La convention tripartite entre l'État, Pôle emploi et l'Unedic a été conclue récemment. Elle définit trois priorités :
- l'insertion des demandeurs d'emploi, avec notamment l'objectif d'améliorer la qualité du diagnostic, notamment pour construire des parcours de formation plus adéquats ;
- la lutte contre les difficultés de recrutement, avec des objectifs vraiment ambitieux assignés à Pôle emploi en matière d'offre de services aux entreprises qui rencontrent des difficultés de recrutement et des moyens en conséquence, notamment un renfort substantiel en ETP, qui vont être des conseillers pour les entreprises ;
- l'amélioration, le renforcement et la personnalisation de l'offre de services, tant auprès des entreprises, qui seront conseillées sur leurs méthodes de recrutement, que des demandeurs d'emploi, qui bénéficieront de nombreux outils pour valoriser leurs compétences, les acquis de l'expérience et le savoir-faire professionnel, indépendamment des diplômes stricto sensu.
D'autres outils existent dans le champ de l'emploi.
Un certain nombre de dispositifs d'aide à la mobilité, qui font souvent l'objet de partenariats, par exemple entre Pôle emploi et les collectivités locales, sont confortés.
De manière plus générale, de nombreux aspects des politiques de l'emploi, qui sont notamment axées sur l'insertion des publics les plus éloignés de l'emploi, sont aussi un enjeu pour répondre aux difficultés de recrutement. Ainsi, il faut, en parallèle, faire baisser le taux de chômage et répondre aux besoins de recrutement des entreprises. Le sujet de l'intégration des immigrés et de l'immigration professionnelle est lui aussi discuté dans ce cadre, avec des réflexions et des dispositifs spécifiques pour répondre aux besoins de certaines entreprises, en reconnaissant les compétences ou en formant certaines populations spécifiques.
Pour terminer, pour le ministère du travail, la priorité est vraiment aujourd'hui la mise en oeuvre opérationnelle des réformes et la mobilisation effective des dispositifs. Le cadre global a été très largement transformé, à l'issue d'un important travail législatif et réglementaire. La mobilisation relève de tous les acteurs : des entreprises et des branches, qui doivent s'emparer des leviers mis à leur disposition, ainsi que de l'État et de ses opérateurs. Nous devons mener un vrai travail de mobilisation de nos différents réseaux d'information, que ce soit Pôle emploi ou, par exemple, les OPCO, qui, dans le cadre des contrats d'objectifs et de moyens, doivent jouer un important rôle de conseil en direction des branches sur la gestion prévisionnelle de l'emploi, sur l'aide à la prospective et, plus généralement, sur la politique de ressources humaines des entreprises, notamment des TPE et PME.
Nous devons construire les outils qui peuvent permettre de faciliter la mise en oeuvre des réformes. Par exemple, nous travaillons sur les dispositifs de nature à faciliter les entrées en apprentissage, ainsi que la mise en relation entre les entreprises, les CFA et les jeunes, via les portails et les sites d'information existants, pour garantir l'effectivité de la mise en oeuvre des réformes et l'appropriation des outils par l'ensemble des acteurs et sur tous les territoires.
M. Bertrand Martinot, économiste. - Mes remarques seront assez impressionnistes. Le débat et les interventions ont été très riches, et des propositions souvent intéressantes ont été exposées. Elles recoupent assez largement mon expérience de ces dernières années à la région Île-de-France, puis comme consultant : aujourd'hui, je conseille des entreprises en matière de formation professionnelle et de développement des compétences.
Sur les difficultés de recrutement, tout a été dit. Je rappelle que le premier frein à l'embauche réside aujourd'hui dans la difficulté à trouver les compétences nécessaires. Ainsi, des enquêtes de conjoncture réalisées par l'Insee depuis 2017 montrent que, parmi les obstacles à l'embauche, la difficulté à trouver les compétences nécessaires prime désormais sur le coût du travail, la conjoncture et les contraintes réglementaires.
Bien entendu, dans ce domaine, tout ne se résume pas à des questions de formation et de compétences. D'ailleurs, la montée en charge des compétences n'est pas forcément une question de formation : elle peut aussi être une question de validation des acquis de l'expérience, par exemple. Tout ne passe pas par des actes de formation formels. Il y a diverses façons de monter en compétence, indépendamment de l'acte de formation lui-même.
Il faudrait évidemment interroger également le rôle du régime d'assurance chômage, qui peut avoir des effets d'optimisation sur la recherche du travail. Le sujet a été pris à bras-le-corps par le Gouvernement, qui a largement réformé le système - cela devait être fait depuis de très nombreuses années.
Les difficultés de recrutement concernent aujourd'hui tous les secteurs économiques et tous les niveaux de qualification. Tous les DRH que je connais me parlent de leurs problèmes de recrutement ! Pourtant, j'ai plutôt affaire à de grandes entreprises, qui, sur ce plan, rencontrent moins de difficultés que la plupart des TPE. C'est vraiment un sujet très important et c'est probablement un obstacle à la croissance économique.
La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel fait un pari : que les branches et les entreprises se saisissent principalement du sujet. Les branches doivent définir un cadre juridique et financier, les entreprises négociant ensuite, à leur niveau. Les branches doivent suppléer aux petites entreprises, qui n'ont pas de dialogue social structuré, en mettant à leur disposition des outils. Elles doivent en quelque sorte servir de centres de ressources, de financement, d'outils juridiques, les dispositifs étant ensuite gérés par les opérateurs de compétences. De ce point de vue, la loi est extrêmement précise et sa logique est extrêmement claire. Il faut que les branches et les entreprises s'en emparent.
Mais, avant que les entreprises s'en emparent, un certain nombre de cadrages doivent être réalisés par les branches. Sur ce plan, on ne peut pas dire aujourd'hui que les branches aient effectué un travail absolument extraordinaire pour s'emparer des nouveaux outils de la loi. Je rappelle que les branches doivent, par exemple, négocier sur le dispositif Pro-A. Ce travail est absolument indispensable et peut répondre à des difficultés de recrutement et de repositionnement des personnes dont les emplois sont menacés. Il est urgent et absolument nécessaire que toutes les branches professionnelles s'emparent de ces sujets. Or on sait très bien que les 320 branches ont, pour ce faire, des capacités d'action et des compétences inégales.
Les branches doivent aussi s'emparer du CPF, qui ne décollera pas avec une simple application. Il n'y a pas d'appli magique qui permettra de résoudre les problèmes de compétences ! L'application permet la liberté de choix professionnel, mais, sur les difficultés de recrutement et la formation, les entreprises et les branches ont leur mot à dire. Il faut absolument que le CPF devienne un outil de dialogue social, étant entendu que, au bout du bout, c'est le salarié qui a la main, même s'il aura évidemment tendance à écouter son employeur, dans le cadre des orientations codéfinies par les partenaires sociaux dans l'entreprise.
Il en va de même pour l'apprentissage. Je connais des branches qui ont des objectifs extraordinaires en matière d'apprentissage. Sauf que, dans les accords, il n'y a quasiment rien de concret - ni sur le rôle des maîtres d'apprentissage, ni sur les métiers, ni sur les priorités, ni sur l'aide à apporter aux CFA.
Les branches doivent également s'emparent des observatoires des métiers et des qualifications.
Sur la question des certifications, la loi renforce la capacité des partenaires sociaux dans la codétermination, y compris des diplômes de l'Éducation nationale. Il faut absolument que les partenaires sociaux jouent le jeu, qu'ils coconstruisent avec l'État les titres professionnels et les diplômes et soient beaucoup plus actifs pour les certifications qui sont à leur main, essentiellement les certificats de qualification professionnelle (CQP).
Sur ce plan, il existe une grande différence entre l'Allemagne et la France. En Allemagne, les certifications évoluent beaucoup plus vite et sont beaucoup plus adaptées aux besoins des entreprises, à la fois en termes de contenu et d'évolution des nouvelles technologies. En France, pour changer un diplôme de l'Éducation nationale, c'est la croix et la bannière ! Les partenaires sociaux ont aussi leur rôle à jouer. Ce n'est pas qu'une question de blocage administratif. On met aujourd'hui une énorme pression sur les administrations pour qu'elles soient plus réactives, mais c'est aussi aux partenaires sociaux de s'emparer du sujet. Il est également très important que les certifications soient découpées en blocs de compétences, ce qui n'est pas encore le cas dans beaucoup de branches.
En résumé, la loi procède à énormément d'assouplissements, mais il faut absolument que les partenaires sociaux s'en emparent.
Je veux maintenant évoquer l'apprentissage dans le supérieur, qui est un sujet très intéressant. J'y ai beaucoup travaillé lorsque je travaillais à la région.
Depuis 2005, le taux d'apprentissage dans le supérieur s'élève à environ 6 % par an. Pour les niveaux infra-bac, il est inférieur à 1,5 % par an. La tendance aujourd'hui, dans le supérieur, est de 10 % par an, en tout cas pour ce qui concerne les niveaux 1 et 2. Cette évolution naturelle s'explique par une convergence d'intérêts totale entre les différentes parties prenantes. Les entreprises ont des besoins de recrutement considérables sur les niveaux supérieurs pour accompagner la tertiarisation supérieure de l'économie, quand les universités et surtout les écoles ont des problèmes de financement. Or le développement de l'apprentissage est totalement lucratif pour celles-ci ! Les opérateurs ont donc intérêt à le promouvoir. Et, pour ce qui concerne les élèves, entre une scolarité payante sans rémunération et une scolarité gratuite assortie d'un salaire, le choix est vite fait...
L'apprentissage se développe à une vitesse extraordinaire dans le supérieur en général et dans les écoles en particulier. C'est très bien ! Cela dit, cela fait belle lurette que les élèves ingénieurs font une année de stage dans les entreprises...
Au demeurant, l'apprentissage dans le supérieur professionnalise les universités et les rapproche des entreprises. C'est donc un mouvement extrêmement vertueux, sauf que, par son caractère gigantesque et son développement à toute vitesse, il pourrait siphonner le financement des niveaux 4 et 5 - infra-bac -, dont on a aussi besoin.
La loi pourrait avoir aggravé ce biais en faveur du supérieur. Alors que de nombreuses régions soutenaient plus que proportionnellement les CFA infra-bac, peu rentables et rencontrant d'importantes difficultés à trouver des apprentis, en particulier dans l'artisanat ou le BTP, elle conduira à un développement encore plus rapide de l'apprentissage dans le supérieur. C'est tant mieux, mais le devenir des niveaux 4 et 5 suscite l'inquiétude. Les branches ont fixé des niveaux de prise en charge qui devraient permettre que, même à ces niveaux, les choses se passent à peu près correctement. Cela dit, des problèmes risquent de se poser si les classes ne sont pas bien remplies ou en cas de mauvaise conjoncture économique.
Par exemple, si la région d'Île-de-France n'était pas intervenue de 2008 à 2011, il n'y aurait plus aucun CFA du BTP. Les 7 CFA ont été sauvés à bout de bras par les finances publiques. Si, demain, le secteur du BTP connaît une crise - on sait qu'il est assez sensible à la conjoncture économique -, qu'adviendra-t-il de ces CFA ?
Le développement de filières trans-bac est probablement une excellente idée. Elles ne sont pas faciles à construire, mais c'est exactement ce qu'il faut faire. On tourne autour du sujet depuis de trop nombreuses années. Il y a aujourd'hui une totale barrière des espèces entre l'apprentissage dans le supérieur et l'apprentissage infra-bac. Il faut créer des filières d'excellence, peut-être en sélectionnant des élèves à profil particulier, ayant certaines capacités malgré les difficultés qu'ils peuvent rencontrer par ailleurs, pour les amener à « traverser » le bac et les conduire, par exemple, jusqu'à un BTS ou un DUT, voire des filières de niveau bac + 4 ou au-delà.
L'orientation est l'un des grands loupés de la réforme. En gros, il ne s'est rien passé... Les régions sont chefs de file, sauf qu'elles n'en ont ni les moyens financiers ni les moyens humains. L'idée que les régions soient maîtresses en matière d'orientation, alors que celle-ci se fait essentiellement au niveau de l'Éducation nationale et, dans une moindre mesure, du service public de l'emploi, qui sont évidemment sous la tutelle de l'État, est une vision relativement théorique.
En ce qui concerne les aspects institutionnels, la proposition de Mme Tomé-Gertheinrichs sur les pactes d'objectifs partagés est intéressante. On tourne autour de ce sujet depuis de nombreuses années.
Je n'ai pas bien compris si la loi avait supprimé les contrats de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelles, les CPRDFOP, grand zinzin bureaucratique qui a perdu tout son intérêt depuis que les régions ne maîtrisent plus la formation. Toujours est-il que les pactes d'objectifs partagés peuvent apporter une réponse à un problème que tout le monde - notamment les entreprises - ressent : l'absence de chef de file en matière d'orientation. Les régions n'ont pas la main sur l'Éducation nationale et ne peuvent agir sur les lycées professionnels qu'à travers l'investissement. De même, l'articulation entre CFA et lycées professionnels est inexistante... Les contrats, les conventions, c'est très bien, mais il faut tout de même définir un chef de file disposant des moyens humains, juridiques, financiers lui permettant d'aligner les intérêts des uns et des autres sur un territoire donné.
M. Michel Canevet. - Si les territoires peuvent prendre quelques initiatives pour répondre à des enjeux locaux, il faut adopter une politique globale plus active. Des réformes ont été engagées et, comme l'a souligné M. Martinot, le cadre juridique est aujourd'hui fixé. Tout cela doit se mettre en place. Le problème est que les questions organisationnelles nécessitent du temps et que le temps joue contre nous : les besoins sont réels et immédiats.
Il faut certainement mettre en place un accompagnement plus ciblé des demandeurs d'emploi pour mieux répondre aux besoins des entreprises et faire ainsi baisser le chômage, encore trop important. Toutefois, la question du rôle de l'Éducation nationale dans la formation initiale se pose : on a le sentiment d'un décalage extrêmement fort entre les besoins des entreprises et la formation initiale. Madame Pradeilles-Duval, j'ai cru comprendre que l'Éducation nationale avait un objectif de formation post-bac. Pouvez-vous préciser votre pensée ?
Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - Nous n'avons pas d'objectif de formation post-bac. Les élèves de la voie générale et de la voie technologique ne sont pas formés pour une insertion professionnelle immédiate, contrairement à ceux de la voie professionnelle dont les cadres de formation sont en cours de rénovation. Les filières professionnelles sont bien des filières à insertion professionnelle immédiate, même si un nombre toujours plus important des jeunes qui en sont issus souhaite poursuivre une formation dans le cadre de BTS ou de formations professionnelles courtes de l'enseignement supérieur.
De nombreux jeunes souhaitent poursuivre leurs études immédiatement après le bac ou en décalé, éventuellement avec un sas de réorientation ou de complément par rapport à leur formation infra-bac pour pouvoir mieux réussir dans l'enseignement supérieur. Les classes passerelles ou certaines mentions complémentaires permettent de se réorienter ou de compléter sa formation.
M. Michel Canevet. - Je me posais cette question au regard du taux d'échec et d'inadéquation scolaire très élevé des 800 000 élèves qui arrivent chaque année. Il me semble qu'inciter les élèves à poursuivre leurs études le plus tard possible peut poser problème.
M. Julien Gondard. - Je vous voudrais apporter la vision du côté « métier ».
Il nous semble très vertueux de tracer le chemin et de faire connaître aux élèves et à leurs familles le taux d'insertion à l'issue d'un parcours, le type de métier vers lequel mène la filière dans laquelle ils s'engagent, le premier niveau de salaire... C'est de l'information de base, mais elle est essentielle.
Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - Fin 2020, nous disposerons des taux d'insertion de chaque formation quand cela présente un intérêt - connaître le taux d'insertion professionnelle des élèves de classes préparatoires aux grandes écoles n'aurait aucun sens, par exemple. De nombreux services de l'État seront impliqués, notamment la Dares et l'ensemble des ministères certificateurs.
La question de l'orientation et de sa progressivité nécessite clairement d'identifier, dès la classe de troisième, les voies qui permettent de s'insérer, sachant que les taux d'insertion professionnelle post-baccalauréat général et post-baccalauréat technologique sont aujourd'hui anecdotiques et que 50 % des jeunes qui obtiennent un bac professionnel se portent candidats à une formation de l'enseignement supérieur. Cela interroge sur le souhait de ces jeunes d'aller vers une formation plus élaborée. Il faut aussi savoir les entendre et leur trouver une place dans nos parcours d'enseignement supérieur.
M. Guy-Dominique Kennel. - Je voudrais tout d'abord remercier l'ensemble des intervenants.
Nous partageons un même constat depuis des années, celui de l'inadéquation entre besoins de recrutement et formation initiale. Comme vous, je pense qu'il est nécessaire de mettre en place un chef file. Chacun fait plutôt bien ce qu'il a à faire, mais il n'y a aucune coordination.
Je suis un fanatique de la formation. Voilà quelques années, j'ai commis un rapport sur ce sujet sur lequel on revient régulièrement et dont les préconisations n'ont toujours pas été mises en oeuvre, ce que je regrette.
Vous évoquez Parcoursup, mais je crois qu'on a souvent tendance à confondre orientation et affectation. On pense faire de l'orientation en affectant les jeunes dans telle ou telle discipline à travers Parcoursup. Mais ce n'est pas suffisant, loin s'en faut.
J'entends souvent les représentants des entreprises parler de « compétences » et ceux de la formation parler de « diplôme ». Là encore, il me semble que l'on ne prend pas suffisamment en compte le besoin d'adaptabilité des jeunes sur l'ensemble de leur carrière professionnelle à venir. S'agit-il d'une simple certification de niveau ou de leur permettre de s'adapter à l'évolution des métiers ?
Beaucoup de choses restent à faire. Sans incriminer personne, il me semble que notre système manque de cohérence globale. Peut-être devrions-nous commencer par déposer une proposition de loi désignant clairement un chef de file en matière d'orientation ? Comme vous l'avez souligné, les régions n'ont aucun pouvoir sur l'Éducation nationale, laquelle s'est très clairement dégagée de l'orientation.
J'ai tout de même souvenir que le baccalauréat professionnel avait initialement une finalité d'insertion et non d'accès aux formations supérieures. Aujourd'hui, on ouvre les champs, ce que je peux comprendre.
Chacun d'entre vous nous a donné quelques clés pour poursuivre cette réflexion. Il me semble essentiel de revenir aux fondamentaux et de désigner un chef de file à même de définir les blocs de compétences et les certifications.
Enfin, il me semble que les entreprises, les branches professionnelles, ne savent pas suffisamment bien se vendre. Les entreprises doivent se faire voir davantage. Nous disposons de magnifiques pépites, il ne nous manque que la cohérence et l'unité. Nous partageons tous le même objectif de réussite.
Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - Les campus des métiers et des qualifications permettent d'accompagner les jeunes de l'infra-bac au post-bac, y compris avec des parcours en apprentissage en lien avec les entreprises. L'ensemble des acteurs y trouve son intérêt : les branches sont mises en valeur par les métiers qu'elles proposent, les établissements par les formations dispensées et les jeunes en se projetant au-delà de la certification.
Par ailleurs, ce sont aussi des lieux de formation continue. Les élèves peuvent donc acquérir une culture de l'apprentissage tout au long de la carrière professionnelle et comprendre que l'on n'est pas formé une fois pour toutes, avec son diplôme en poche.
Nous travaillons au développement de ces campus des métiers et des qualifications. On en compte un peu moins d'une centaine aujourd'hui. Nous allons essayer de les déployer dans des secteurs extrêmement larges, notamment dans le secteur tertiaire. Très efficaces dans le secteur industriel, véritables laboratoires « éducation-entreprises », ils rencontrent plus de difficultés sur les métiers transversaux du tertiaire, moins spécifiques. Il s'agit d'un acte politique fort.
M. François Germinet. - Le supérieur s'intéresse de plus en plus aux campus des métiers des qualifications.
Avec le programme d'investissements d'avenir, des liens entre les lycées et les branches sont en train de se créer, mais aussi avec les premiers cycles. On assiste à un effet d'entraînement extrêmement important.
Monsieur Kennel, je ne confonds pas orientation et affectation. Quand j'évoquais Parcoursup, je parlais bien des réflexes vertueux d'orientation générés en amont et des questionnements, pas de la machine d'affectation.
Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs. - Je ne peux pas ne pas réagir à la contribution de notre grand témoin, M. Martinot, qui faisait la synthèse sur la question des branches. Il dit à juste titre que les branches, à la veille de la loi du 5 septembre 2018, s'étaient très inégalement emparées de la question des compétences. De fait, les observatoires des métiers et des compétences, qui sont aujourd'hui obligatoires, ne l'étaient pas à l'époque. Pour autant, nous ne sommes pas dans un environnement considérablement remanié, et il serait hâtif, au 16 janvier 2020, de dire que les branches sont en train de passer à côté des enjeux, notamment en matière d'apprentissage. Certaines ont pris des engagements. Compte tenu des remaniements en cours sur l'environnement, sur les coûts d'apprentissage, elles ne peuvent pas faire beaucoup plus que s'engager, ce qui est déjà beaucoup. Je ne peux pas laisser dire qu'elles s'engagent sur du vent. Au contraire, les branches ont bien compris que la balle était dans leur camp, mais qu'il ne faudrait pas limiter l'analyse à cela. En effet, il y a toute une série de contraintes nouvelles, liées à l'étatisation et à la nationalisation du système, avec de nouvelles modalités de calcul dont les branches ne peuvent pas s'exonérer. La réussite, en conséquence, ne se limite pas à la bonne volonté des branches, qui est très grande !
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Votre propos était que les branches doivent s'emparer d'urgence de sujet.
M. Bertrand Martinot. - Par le passé, effectivement, on pouvait se poser des questions. Je continue de penser que, sur les 320 branches, toutes n'ont pas la capacité de mener une politique stratégique, d'avoir la vision et le recul nécessaires. Nous serons d'accord pour dire que l'année 2019 a été une phase de bouleversement, avec la mise en place des OPCA. Il y avait bien d'autres choses à penser que de faire de la politique de développement. L'enjeu était surtout de survivre, y compris à titre individuel, de se restructurer, de préparer des plans de restructuration, etc. Du coup, il ne s'est pas passé grand-chose. Pourtant, nombre de branches, qui ont des difficultés de recrutement considérables, n'ont pas du tout fait le travail, notamment sur les certifications. Il en est ainsi de celles du service à la personne, par exemple. La loi fait un pari, raisonnable, en plaçant les branches et les entreprises au coeur du sujet. En effet, elles seules peuvent déterminer - et encore, avec difficulté - quels sont les métiers de demain. Je ne dis pas que les branches ne font pas leur travail, mais qu'elles sont la clé du système, sur la formation continue et sur l'apprentissage.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - M. Forisser a été rapporteur de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
M. Michel Forissier. - Moi, j'ai créé mon entreprise en mai 1968, et elle fonctionne toujours ! Il s'agit d'une entreprise artisanale, qui compte désormais quinze personnes et déploie son activité dans la taille de pierre : sculpture, gravure, etc. Elle est affiliée à la chambre des métiers du Rhône. La philosophie des artisans-tailleurs de pierre est que leur métier est aussi un mode de vie. La grande déficience de cette loi est de ne pas avoir jumelé le CPF au plan de formation de l'entreprise auquel adhère le salarié. Résultat : il y aura de mauvaises utilisations - on apprendra, par exemple, l'espagnol parce qu'on veut aller en vacances en Espagne ! Cette loi, qui recentralise tout et met tout au niveau d'un coût contraint, n'est pas applicable en l'état, sur le plan financier.
On parle des métiers émergents, des hautes technologies à évolution rapide, mais cela ne sert à rien d'équiper des ateliers d'apprentissage dans des lycées : il faut utiliser les meilleurs plateaux, les plus performants, que sont les plateaux des entreprises. Les universités, elles, organisent ce type de partenariat, grâce à leur autonomie.
Je suis très optimiste sur l'évolution. Quand j'ai monté mon entreprise, j'avais exactement le même problème de recrutement. Pour le résoudre, j'ai formé tout le personnel dont j'avais besoin ! C'est la philosophie qu'il faut adopter : l'entreprise doit considérer que la première valeur, c'est le facteur humain, c'est-à-dire les hommes et les femmes qui font l'entreprise. J'ai vécu trois réformes, et je crois que la dernière me permet d'espérer. En effet, le ministre de l'Éducation nationale m'a demandé de passer le voir, et Mme Vidal, ministre des universités et de la recherche, m'a fait recevoir par son directeur de cabinet. Tous les acteurs semblent donc réunis. Je suis d'accord avec Bertrand Martinot, que je vois au moins deux fois par an. La gouvernance reste à construire. Il faut moins de branches, ce qui impose des restructurations. Pendant cette année d'adaptation, il est normal qu'il y ait des frais de financement et des déficits, parce que le coût contraint n'est pas la bonne solution. On ne peut pas avoir le même coût de fonctionnement quand on est proche d'une métropole et desservi par les transports en commun, que quand on a un CFA en zone rurale, et qu'il faut le conserver parce que, bien souvent, ailleurs, il y a des problèmes de logement. Il faut redonner une certaine compétence aux régions si on veut sortir de l'impasse.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci à tous pour vos interventions très riches, qui seront très utiles à nos rapporteurs, et en vue de la préparation de la Journée des entreprises que nous organisons le 2 avril prochain.
La réunion est close à 12 h 25.