- Mercredi 10 juillet 2019
- Audition de M. Rodolphe Alexandre, président de la collectivité territoriale de Guyane
- Audition de Mme Christine de Mazières, Conseillère-maître à la Cour des comptes, rapporteure générale de la formation décentralisation de la gestion des fonds européens
- Audition de M. Jacques Garau, directeur général de CMA France
- Mercredi 11 juillet 2019
Mercredi 10 juillet 2019
- Présidence de Mme Laurence Harribey, présidente -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Audition de M. Rodolphe Alexandre, président de la collectivité territoriale de Guyane
Mme Laurence Harribey, présidente. - Notre mission d'information poursuit ses travaux avec l'audition de M. Rodolphe Alexandre, président de la collectivité territoriale de Guyane. M. Alexandre est accompagné de Mme Delphine Lasselin, première directrice du pôle affaires européennes et maintenant responsable de l'Antenne de Paris.
Notre mission d'information a naturellement souhaité s'intéresser à l'utilisation des fonds européens outre-mer. Les régions dites ultrapériphériques (RUP) sont des bénéficiaires importantes des fonds européens structurels et d'investissement. Il s'agit de territoires de l'Union européenne situés en dehors du continent européen, dont la situation économique et sociale structurelle est, selon le traité de Lisbonne, aggravée par leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits. Parmi les neuf RUP que compte l'Union européenne, six sont françaises, dont la Guyane.
Nous avons des informations contradictoires sur la situation outremer. D'après un rapport de la Cour des comptes de février dernier, la programmation 2007-2013 aurait été caractérisée, outre-mer, par une forte mobilisation des fonds européens, avec des taux de consommation atteignant, en Guyane, 100 % pour le Fonds européen de développement régional (FEDER), 91 % pour le Fonds européen agricole pour le développement rural(FEADER) et 89 % pour le Fonds social européen (FSE). Même si, selon ce rapport, la gestion de ces fonds aurait été d'inégale qualité.
En revanche, lors de son audition, la direction du budget a insisté sur la faible utilisation, à ce jour, des fonds européens alloués par la programmation en cours à l'ensemble des RUP françaises, soit 4,8 milliards d'euros. Nous voudrions donc y voir plus clair.
Quelles sont les spécificités de l'outre-mer en matière de gestion et d'utilisation des fonds européens ? Quelle est la situation en Guyane ? Comment la collectivité territoriale que vous présidez a-t-elle abordé la décentralisation de la gestion de ces fonds ? Dispose-t-elle de moyens suffisants, notamment en ressources humaines ?
M. Rodolphe Alexandre, président de la collectivité territoriale de Guyane. -Je suis très heureux d'être parmi vous. Votre mission pose la question de la sous-utilisation chronique des fonds européens. Vous avez souligné que c'était un sujet de débat. Il me semble que cette sous-utilisation constitue une image d'Épinal médiatique, qui laisserait à penser que nous ne consommons pas nos crédits. En guise de réponse, je dirais qu'il n'y a jamais eu des dégagements d'office en Guyane. Ensuite, le transfert de l'autorité de gestion des fonds européens a été décidé de concert avec l'État en 2014. Cela n'a pas été très facile, mais le rapport de la chambre régionale des comptes reconnaît que la collectivité territoriale de Guyane dispose d'un personnel compétent, en provenance à la fois du département, de la Région et de l'État, sur la base du volontariat. Notre organisation est mutualisée, permettant un suivi adapté de la gestion des dossiers, depuis le pilotage et l'instruction, jusqu'au mandatement et à la certification par l'Agence de services et de paiement (ASP) ou la DFIP. Quant à savoir si la gestion est meilleure selon qu'elle est exercée par la collectivité ou par l'État, je n'y répondrai pas car nous intervenons à flux tendus, dans des contextes totalement différents, et j'incline à penser que nous gérons correctement les fonds européens. Les pourcentages de consommation des crédits du FEDER, du FSE ou du FEADER le prouvent. Je voudrais ajouter que nous n'avons pu commencer à utiliser les fonds européens que tardivement, avec plus d'un an de retard par rapport au début de la programmation. J'ai dû interpeller Georges Patient, sénateur de la Guyane, pour que le législateur intervienne. Avec Serge Letchimy, nous avons saisi le gouvernement parce que nous voulions assumer cette compétence. Ensuite, lorsque nous avons enfin pu agir, avec un an de retard, nous avons rencontré les mêmes problèmes que l'on connaît partout avec les logiciels Osiris, Isis ou Synergie, qui nous ont pénalisés.
Nous avons une vision territoriale. L'État souhaitait, par exemple, coûte que coûte, investir pour réhabiliter et étendre des sites hôteliers autour de la base spatiale de Kourou. Nous avions refusé parce que nous estimions qu'Ariane Espace et les grands groupes installés autour de la base pouvaient le faire. En revanche, nous avons aidé six investisseurs locaux pour créer des centres hôteliers de haut niveau dans l'ensemble de la Guyane, aussi bien à Saint-Laurent-du-Maroni qu'à Sinnamary, Kourou ou Cayenne. Il y a eu un cas atypique qui était la construction d'un réservoir d'eau potable dans une commune très enclavée. L'État souhaitait réaliser un réservoir avec un tonnage d'environ 1 000 hectolitres. Nous avions refusé. Le maire souhaitait que l'on passe à plus de 1 600 hectolitres. Nous avions fait valoir les résultats de notre recherche en hydrologie. Entre-temps, l'ancien site s'est effondré et la population s'est retrouvée sans réservoir d'eau potable pratiquement pendant près de cinq mois. Donc, la question n'est pas de savoir qui gère le mieux, entre l'État et les collectivités, les crédits européens ; ce qui m'intéresse c'est de faire en sorte que ces politiques aient des effets concrets pour la population, de soutenir les porteurs de projets et de réduire la durée des procédures. En ce qui concerne le FEDER, nous sommes à 51 % (en coût UE) en termes de programmation, et à 72 % pour le FSE, quand la moyenne nationale avoisine 60 %.
J'ai été président de la conférence des régions ultrapériphériques de l'Union européenne. J'ai donc travaillé avec tous mes collègues de Guadeloupe, de Martinique, de la Réunion et je peux dire que la Guyane a contribué à apaiser les querelles de clocher, les divergences. Ainsi, pendant notre présidence, nous avons déposé un mémorandum auprès du Président Juncker.
Pour le FEADER, nous sommes à plus de 45 % en termes de programmation, mais à 43 % d'engagement et environ à 18 %pour le paiement. Les régions métropolitaines ont un fort taux de consommation parce qu'elles ont beaucoup de mesures surfaciques qui sont reconduites chaque année et qui constituent des aides directes plus ou moins automatiques : les indemnités compensatrices des handicaps naturels (ICHN) ou encore les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC).En Guyane, nous avons plutôt des aides à l'installation ou à la modernisation de l'exploitation. En effet, si en métropole, les fermes se revendent clef en main, chez nous, en cas de nouvelle installation, il faut souvent défricher, couper des arbres, installer l'eau courante et l'assainissement, l'éclairage, etc. Nos agriculteurs sont pénalisés car ils doivent attendre deux ans en moyenne entre la signature du bail d'installation avec France Domaine -car en Guyane 95 % du foncier appartient à l'État, et c'est France Domaine qui cède le bail emphytéotique -,et le moment où le jeune peut commencer à planter. L'instruction des dossiers prend du temps. Le taux de 18 % de paiement se comprend aisément ; il est lié à de nombreux problèmes. Aucune banque en Guyane ne suit un jeune agriculteur car elles sont frileuses. L'agriculteur a du mal à présenter des préfinancements. Une fois l'agriculteur installé, il faut encore prévoir le plan de bornage des parcelles, définir les cultures, le matériel. Tout cela explique le décalage entre l'engagement et le paiement. En cas de cession agricole, l'Établissement public d'aménagement de la Guyane (EPAG)a le pouvoir d'intervenir. Nous voulons mettre en place une société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER). On comprend donc aisément, pour le FEADER, le décalage d'un an si l'on analyse les parcours des porteurs de projets. Les problèmes sont encore accrus du fait que ces derniers manquent souvent de trésorerie.
J'en viens aux difficultés. Comme l'a reconnu la chambre régionale des comptes, les transferts de personnels de la part de l'État ont été sous-évalués au moment du transfert de compétence : il n'y a pas eu de transfert d'agents du rectorat, de la direction de la mer, de la direction de la recherche, etc. On a donc commencé avec des effectifs restreints et cela explique une partie des difficultés que nous avons rencontrées. L'accès aux formations est aussi plus onéreux car il est coûteux d'envoyer nos agents en métropole. Nous faisons donc souvent venir les formateurs et ouvrons d'ailleurs souvent, dans ce cas, les formations aux agents de l'État.
Certains aspects de la décentralisation nous pénalisent aussi. Lors de la fusion entre le département et la région, nous n'avons pas eu de problème car nous avions anticipé, et les personnels du département et de la région ou de l'État, sur la base du volontariat, ont rejoint le pôle européen (avant même la fusion). Donc la fusion s'est passée dans d'excellentes conditions. Dès le départ, nous avons souhaité faire un budget annexe, ce qui a été gage de régularité budgétaire, souligné dans le rapport cours des comptes, et qui nous permettent de tracer les crédits et de ne pas les utiliser pour des actions courantes de la CTG.
Nous travaillons avec l'État sur les fonds européens : mais par exemple nous sommes l'autorité de gestion pour le FSE ; parfois nous sommes organismes intermédiaires de l'État sur ce même fonds. La responsabilité financière entre l'État et la région n'est pas toujours bien définie en cas de sanctions liées aux contrôles. En revanche, pour le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) impose des critères qui ne sont pas toujours adaptés à nos artisans-pêcheurs qui ont parfois des difficultés à constituer un corpus budgétaire et comptable, à faire remonter les factures, à noter les contrôles de la pesée, etc. D'où parfois certaines difficultés sur le plan de compensation des surcoûts en matière de pêche. Il est à noter que nous sommes la deuxième région de France pour le paiement des marins-pêcheurs. Il faudrait toutefois trouver un cadre dérogatoire, pour quelques années afin de prolonger pendant ce temps les pratiques qui étaient admises hier, sur la remontée des factures, les charges de comptabilité, le contrôle des pesée lorsque le navire rentre au port, etc.
Mme Catherine Conconne. - Élue de Martinique, j'ai un petit peu de mal à m'exprimer sur l'actualité car j'ai des doutes sur la réalité des dépenses puisque, de notre côté, l'État nous fait part de réelles craintes...
M. Alexandre a très bien résumé la situation. L'exemple de la pêche est un très bon exemple. Quand on parle de la pêche en métropole, on imagine des thoniers, des chalutiers qui partent en campagne pour plusieurs jours très loin. Outre-mer, il s'agit essentiellement d'une petite pêche, à bord de barques avec une ou deux personnes à bord, un patron et un matelot, qui ramènent du poisson en toute petite quantité. Le poisson se vend à l'arrivée au port, selon une tradition ancienne bien établie. Le pêcheur annonce les variétés qu'il a pêchées. Les gens intéressés s'arrêtent et achètent le poisson. Il n'y a donc pas de comptabilité, la vente se fait tout simplement ; il est donc difficile de retracer comptablement les flux financiers de ces pêcheurs qui ne sont pas familiers des procédures administratives. Un comité des pêches les aide pour monter leurs dossiers et les a aidés récemment pour mettre en place le prélèvement à la source : imaginez les difficultés pour un petit marin-pêcheur qui emploie un matelot de temps en temps et qui doit calculer le prélèvement à la source sur sa fiche de paie... Tel est le contexte.
La consommation des fonds européens, chez nous, pose souvent problème parce que nos entreprises sont de petite taille. Il est compliqué pour elles de monter un dossier pour des fonds européens ; elles manquent souvent de l'ingénierie pour le faire et leur trésorerie est insuffisante pour attendre le versement des aides. M. Alexandre a fait état de la multitude de problèmes que l'on a rencontrés avec les logiciels de gestion. Enfin, pour la programmation 2014-2020, nous n'avons pu commencer à consommer les fonds qu'en novembre 2015, ce qui signifie que 2014 et 2015 ont été deux années blanches.
M. Benoît Huré. - Merci pour votre exposé clair qui nous a fait prendre conscience de la belle et grande réalité de l'Europe. Vous avez évoqué un retard dans la consommation des crédits : rassurez-vous, c'est un sujet régulièrement évoqué lors de nos auditions et nous ne sommes pas outre mesure inquiets. Il s'agit tout simplement du rythme de déploiement des fonds européens. Je rappelle qu'une fois le programme terminé, l'Europe continuera à payer pendant les deux ou trois années suivantes les dépenses engagées durant la programmation. Il faut mettre à profit le temps qui reste pour continuer à monter des dossiers. J'ai compris aussi que vous étiez dans une situation particulière qui vous a fait perdre une année et demie pour pouvoir monter des dossiers.
J'ai toutefois le sentiment qu'il est plus difficile d'utiliser les fonds européens en France que dans d'autres États membres. Avant de critiquer l'Europe, il faut peut-être examiner les pratiques de notre administration qui a l'habitude de surtransposer ou de surréglementer. Il appartiendra à notre mission d'étudier ce point. L'Europe est aussi ultramarine. Il y a des réalités locales dont elle doit tenir compte pour qu'elle évoque quelque chose partout.
M. Pierre Louault. - Merci pour votre exposé très instructif. Certaines de vos remarques s'appliquent à toutes les régions de France : une arrivée tardive des programmes européens, avec un an de retard, et des transferts de personnels insuffisants entre l'État et les régions. Outre ces difficultés communes, avez-vous le sentiment que les règles européennes ne sont pas adaptées à votre situation économique locale ? Vous avez pris l'exemple des projets hôteliers.
M. Rodolphe Alexandre. - Je ne pense pas. Il faut distinguer les critères européens et les critères franco-français. Or, s'agissant de ces derniers, il faut constater que l'on ne se simplifie pas la vie. Je partage l'avis de M. Huré. Les décrets sont publiés tardivement et les modalités d'application changent constamment. Nous finissons par nous autocensurer ! Nous avons voulu le partage des compétences, mais nous travaillons avec l'État : ainsi la certification relève-t-elle de la Direction générale des finances publiques. On peine à simplifier, à comprendre les attentes des porteurs de projets. Très souvent, nous pénalisons les petits porteurs de projets en demandant une certification pour une facture de 15 euros. Parfois, les ministères nous considèrent de manière hautaine. Pourquoi le ministère de l'agriculture nous demande-t-il d'arrêter de programmer le FEAMP en décembre 2020, alors que les règlements européens indiquent 2023 ? On préfère perdre des crédits.
Je vise avant tout l'efficacité. Or, on se sent pénalisés.
On a parfois l'impression que l'Europe ne comprend pas les spécificités de l'outre-mer. En Guyane, aux Antilles, ce qui importe, ce sont les infrastructures, les routes, les ponts, les déchets. Ainsi, la Commission européenne souhaite s'orienter vers le recyclage et ne plus s'occuper des déchets. Mais cela, c'est valable pour le territoire européen. Je suis même incapable de vous dire ce qu'il en sera des centres de stockage de Grand-Santi ou de Maripasoula et des régions les plus enclavées. Certains réfléchissent à transporter les déchets par canot, vous imaginez en cas d'accidents !
Nos problématiques sont simples : l'eau potable - 40 000 personnes n'y ont pas accès; l'assainissement - le chantier, au-delà de Cayenne, de Kourou et de Saint-Laurent, durera au moins un siècle ; la question des déchets ; la question du numérique - nos compatriotes amérindiens bushinengués n'ont pas toujours le téléphone, n'ont pas Internet, même si l'État met en place des moyens ; la question de l'environnement. Je suis fondamentalement en faveur de la transition écologique et de la protection de l'environnement, mais comment demander à un jeune agriculteur une étude d'impact sur le brûlis dans le cas d'une exploitation de moins de 10 hectares ? Ce n'est pas cela qui dégrade la forêt : ce sont les 15 000pilleurs d'or qui polluent avec le mercure, et qui pratiquent la déforestation.
Je souhaiterais que les parlementaires s'investissent encore davantage auprès de la Commission européenne sur les questions d'applicabilité des textes. Il est incompréhensible qu'on laisse de côté la gestion des déchets, au moment où de grandes communes se posent des questions sur les problématiques d'un centre de stockage de déchets ultimes, voire d'un incinérateur. Que va-t-on faire de nos déchets ? Le recyclage, oui, mais après ? , il faut la base
Une question essentielle est celle des infrastructures. La Guyane ne peut plus accepter aujourd'hui de n'avoir qu'une seule route vers Saint-Laurent. Nous devons avoir des routes reconnues comme en France, comme à Madère, comme aux Canaries. Dans ces îles, ils ont su utiliser très tôt les fonds européens pour construire ces infrastructures. En Guyane, nous devons construire tous les cinq ans trois lycées et quatre collèges. Notre croissance démographique est considérable.
L'Europe peut-elle intervenir dans la gestion des migrants pour aider notre collectivité ? Ces flux migratoires nécessitent la construction d'écoles, de centres de protection maternelle et infantile, etc.
Je souhaite que les départements et collectivités d'outre-mer soient plus francs, plus accompagnateurs, plus incisifs à Bruxelles. Mes services sont en permanence en contact avec la Commission européenne. Parfois, nous faisons appel à des lobbyistes pour mieux comprendre les différents dossiers.
Aujourd'hui, la Commission européenne nous dit qu'elle va réduire à N+2. Cela va être compliqué ! N+3, on peut comprendre pour les dégagements d'office. Cette même Commission entend diminuer les plans de compensation des surcoûts à 50 % sur le FEAMP, pour les marins-pêcheurs, mais n'entend pas rehausser le taux d'accompagnement à 85 % pour l'assistance technique et baisse les préfinancements. Certes, il y a le Brexit, il y a l'islamisation, etc., mais l'Europe se raidit vis-à-vis de l'outre-mer, qui est le poumon de l'Europe - les océans, la forêt amazonienne.
Les interpellations sont permanentes, notamment sur la simplification des textes. M. Jean-Claude Juncker a accompagné le président Emmanuel Macron en Guyane ; c'était une première. Nous sommes sortis ragaillardis de cette rencontre, mais aujourd'hui nous sommes sceptiques. Les négociations vont bientôt aboutir et nous espérons vraiment que l'État accompagnera également les RUP.
M. Benoît Huré. - Il est malgré tout compliqué d'être à la fois autorité de gestion et organisme intermédiaire. Il faut y réfléchir.
Je suis membre de la commission du développement durable, et je veux dire que la gestion des déchets ménagers n'est pas forcément incompatible avec l'économie circulaire, le recyclage en amont. Si vous avez un peu de retard en matière de centres de stockage des déchets ménagers, vous pouvez le compenser en étant très novateur et très en amont sur le recyclage.
M. Rodolphe Alexandre. - La question des déchets est fondamentale. Le centre de Cayenne reçoit des déchets venant de Saint-Georges, à plus de 200 kilomètres, et d'Iracoubo, à 180 kilomètres. Vous mesurez le coût pour le contribuable, pour l'usager. Cette décharge extrêmement sophistiquée, financée en partie par l'Europe et par les fonds propres de la communauté d'agglomération du centre littoral de Guyane (CACL), arrive à saturation. Il faut donc un nouveau site. Envisagé dans un site agricole, celui-ci est à l'arrêt en raison de l'opposition des habitants. Construire un incinérateur prend quatre ans.
Je suis pour le recyclage, mais la première étape, c'est le centre de stockage. Cette question-là se posera à nouveau, notamment pour l'ouest du territoire, qui connaît la croissance démographique la plus forte et dont la population sera supérieure à celle de la CACL d'ici à 2030. Sur le Maroni, à Grand-Santi, à Maripasoula, à Papaichton, les décharges sont quasiment sauvages et, tôt ou tard, l'Europe nous mettra en cause. N'a-t-on pas intérêt à avoir de vrais centres de stockage plutôt que des dépôts laissés sous la responsabilité des établissements publics de coopération intercommunale tels que la communauté de communes de l'Ouest guyanais, et parfois des communes ?
On avait commencé à l'époque le recyclage de l'huile, des bouteilles en plastique ou autres. C'est très bien et nous continuons. Mais la question fondamentale est celle-ci : où installe-t-on le nouveau centre de stockage des déchets ultimes ? Ou bien envisageons-nous un incinérateur ? Le fait que la Commission européenne souhaite en finir avec la question des déchets pour n'aller que sur le recyclage nous interpelle.
Mme Delphine Lasselin, ancienne directrice du pôle affaires européennes de la collectivité territoriale de Guyane. - Le recyclage, nous y pensons. Plusieurs études ont été menées et nous sommes en train de monter un schéma de l'économie circulaire. Le problème est que nous n'avons pas la masse critique pour de tels centres de recyclage. Or, l'export de déchets coûte très cher et n'est pas subventionné - nous avons demandé à pouvoir le faire ou bien à agir en collaboration avec les pays voisins que sont le Suriname, le Brésil, le Guyana. Pour cela, il faut lever les barrières réglementaires européennes. Nous avons demandé à la Direction générale des outre-mer une étude de mutualisation inter-DOM ; celle-ci est en cours. Le but est de lever les barrières réglementaires et d'atteindre une masse critique.
Mme Catherine Conconne. - Il existe de très grandes disparités parmi les outre-mer. J'essaie régulièrement de montrer que ce qui vaut pour la Guyane ou Wallis-et-Futuna ne vaut pas forcément pour les autres territoires. La Martinique est dans une situation complètement inverse de celle de la Guyane : nous sommes en dépression démographique et l'on pourrait aisément fermer cinq ou six collèges - sur une quarantaine - et trois lycées - sur vingt-trois. Nous perdons dix habitants par jour, phénomène organisé par l'État et apparu dans les années 1960. Nous essayons de faire revenir les jeunes, mais, au cours des dix dernières années, nous avons perdu plus de 30 000 habitants, ce qui a un impact très important sur les politiques publiques.
Par ailleurs, la Martinique ne faisant que 1 000 kilomètres carrés, les problèmes d'infrastructures ne se posent pas comme en Guyane : il n'y a plus vraiment des routes à construire ; avec un hôpital central et quelques petits hôpitaux de proximité, les besoins de la population sont couverts - en Guyane, il faut parfois faire des centaines de kilomètres pour se faire soigner. En revanche, nous avons besoin d'une politique publique européenne de développement. Comment fait-on pour réduire notre dépendance énergétique, notre dépendance alimentaire par rapport au centre d'approvisionnement principal qu'est la métropole ?
Les politiques publiques doivent être bien adaptées à nos spécificités et à notre éloignement par rapport au centre, en tenant compte du fait que ce qui peut être valable pour la Guyane ne l'est pas forcément pour la Martinique, et vice-versa. La Guyane est entrée dans une phase de développement accéléré. Le président de la collectivité territoriale de Guyane (CTG) mène un travail considérable. Je commence presque à être jalouse de ce territoire !
Mme Laurence Harribey, présidente. - La Cour des comptes a pointé un système de réserves financières dans l'utilisation du FEADER. Quelles sont les raisons du recours à ces réserves ? Quel est leur montant ? Quelles mesures correctrices ont été prises ?
Comment voyez-vous l'instauration de guichets uniques de l'ingénierie publique ? N'y a-t-il pas un risque de confusion des genres entre autorité de gestion et organismes intermédiaires ?
Mme Delphine Lasselin. - Quand on entend que les autorités de gestion ont recours à ce système de réserves, cela nous agace quelque peu. Ce système est apparu lors de la précédente clôture, quand l'État était autorité de gestion. Pour l'instant, nous n'avons pas de « réserves ». En réalité, c'est la réglementation européenne qui est ainsi écrite : la Commission européenne rembourse en fonction d'un taux-maquette, par exemple 50 %. Quand une autorité de gestion programme un dossier, il peut arriver que celui-ci sorte à 40 %. Pourquoi ? Parce qu'en Guyane, il faut tenir compte notamment de la défiscalisation, des régimes d'aides d'État, qui nous obligent à appliquer un taux moindre. C'est pourquoi, au lieu d'un taux-maquette de 50 %, à la clôture, on se retrouve avec un taux de 46 %. L'autorité de gestion doit payer 46 % aux bénéficiaires et l'Union européenne rembourse 50 %. Effectivement, si la programmation est inférieure, il y a un écart. C'est ce que la Cour des comptes appelle « avoir recours à des réserves ».
On m'a expliqué que cet argent était placé sur un compte et ne pouvait être utilisé pour d'autres fins que cette programmation. La Commission européenne s'est rendu compte de cette situation et, selon le règlement actuel, ce « système » ne sera pas possible : l'argent sera retenu et la Commission ne paiera que ce que l'autorité de gestion doit aux porteurs de projets. Ce qu'on appelle des « réserves » disparaîtra donc.
M. Rodolphe Alexandre. - Ce système dénoncé par la Cour des comptes était celui que pratiquait l'État. Nous gérons cet héritage. L'écrêtage mettra fin à cette pratique. S'agissant du comité de pilotage en termes d'ingénierie, je ne peux que me satisfaire de cette proposition ; il faut simplement que nous délimitions véritablement les fonctions de l'autorité de gestion. De toute façon, le Premier ministre a annoncé qu'il reprenait la main sur une large part de la partie FEADER de la politique agricole commune ; nous verrons bien ce sur quoi cela débouchera. L'important est de préciser qui fait quoi. Je pense au FSE, géré pour une large part par la CTG, à hauteur de 50 millions d'euros, et pour une autre part par l'État. Parfois, c'est un peu litigieux, mais on ne peut pas être en même temps organisme intermédiaire pour le compte de l'État.
Parfois, nous payons les services de l'État, nous payons le certificateur. Ce jeu, qui peut être pernicieux, fait mal à tout le monde et n'est pas utile à la République.
Mme Delphine Lasselin. - En tant qu'autorité de gestion d'une partie du FSE, pour la formation professionnelle, et organisme intermédiaire, pour l'insertion sociale et sur le FSE État à la suite de la fusion du département et de la région, nous avons dû définir deux fois des procédures différentes et nous utilisons deux logiciels différents pour la gestion du FSE - Synergie en tant qu'autorité de gestion et ma-demarche-fse en tant qu'organisme intermédiaire. Il faudrait simplifier pour éviter de perdre du temps, de l'argent et en efficacité.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Vous souligniez tout à l'heure le caractère peu adapté de certaines règles par rapport à la réalité du territoire. Comment réagissez-vous à cette évolution annoncée dans la gestion des fonds européens ? Quelque part, on revient sur le mouvement de décentralisation.
Mme Delphine Lasselin. - Techniquement, nous avons toujours eu des programmes opérationnels spécifiques sur le FEADER, nous avons toujours été hors cadre national et nous avons toujours pu mettre en avant nos spécificités dans les critères de sélection - la modulation du taux d'aide, par exemple. Là, l'Union européenne impose un seul programme spécifique national et, au-delà de la question de savoir qui sera le gestionnaire, notre crainte est que nos spécificités ultramarines ne soient pas reconnues. Comme l'a expliqué le président tout à l'heure, un agriculteur qui s'installe en Guyane n'a pas de retour sur investissement au bout de quatre ans. Que cela passe par des organismes intermédiaires, par un document de mise en oeuvre spécifique, il faut faire reconnaître les spécificités des outre-mer et de la Guyane.
M. Rodolphe Alexandre. - Le schéma directeur régional des exploitations agricoles n'a pas été rédigé en Guyane, alors qu'il est essentiel pour mieux comprendre la problématique de l'agriculture locale. Nous sommes le seul territoire dont la surface agricole utile s'étend chaque année. Il faudra rédiger un nouveau plan de développement, « sortir » du littoral et aller vers nos communes enclavées, donner aux gens le sens du mode agricultural - au-delà du manioc -, promouvoir l'accompagnement matériel. Le plus important, c'est que l'État règle le problème de la session agricole et qu'on puisse accompagner l'agriculteur vers les banques. Un agriculteur, aujourd'hui, produit à perte et ce n'est pas la modeste dotation jeune agriculteur de 15 000 euros qu'on lui accorde qui lui permettra de vivre. Cela crée un malaise. On a du mal à être autosuffisant sur le plan alimentaire.
Mme Laurence Harribey, présidente. - J'ai impression que vous êtes pris en étau entre des réglementations nationales qui ne sont pas adaptées à votre territoire - vous soulevez par exemple la question foncière - et une Commission européenne qui plaide pour un programme national sans spécificités territoriales hors métropole. Ainsi, vous dites que la Commission devrait mieux appréhender ces questions et donner aux RUP la possibilité de mener une politique de développement adaptée à ces territoires. Dans quelle direction faut-il aller ? Que préconisez-vous ? Faut-il carrément vous sortir de la politique des fonds structurels en adoptant une approche spécifique pour les RUP, tout en admettant leur diversité territoriale ? Faut-il que les États puissent mener des programmes qui ne soient pas uniques ?
Mme Delphine Lasselin. - Nous avons discuté de cela avec la direction générale AGRI de la Commission européenne, à Bruxelles. On nous a répondu que demander un plan stratégique national à la France n'excluait pas la possibilité de sous-programmes et d'être autorité de gestion de ses propres programmes.
M. Rodolphe Alexandre. - Il faut développer la déconcentration - dans nos rapports avec l'Europe - et la décentralisation - dans nos rapports avec l'État. L'Europe pose sur nous un regard très distant ; nous apparaissons comme les confettis de l'empire, comme des pays assistés. Elle vante nos mérites, nos forêts, nos rivières, nos fleuves, mais elle a des difficultés à comprendre l'intérêt d'investir dans nos territoires.
Lors de la venue du commissaire européen, nous l'avons conduit dans un village amérindien pour lui montrer les difficultés d'accès au numérique, à l'eau potable, à l'assainissement, à l'enseignement. Ayant vu des enfants jouer aux échecs, dont il est lui-même grand amateur, il nous a permis d'obtenir une dotation pour l'installation d'une ligne internet dans ces régions enclavées.
La République doit penser l'adaptabilité à chacune de ses régions. Nous restons des RUP, même si les situations sont différentes en Martinique, en Guadeloupe ou à Mayotte. Je me suis battu avec l'ancien ministre Victorin Lurel pour qu'il comprenne qu'il fallait imposer un programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité s'agissant de la filière bois et forêt - notre bois bénéficie du label du programme de reconnaissance des certifications forestières (PEFC) et, bientôt, d'un second label. L'Europe a compris cela, mais c'est la France qui nous empêchait d'avoir ce dispositif. Désormais, nous percevons entre 3 et 4 millions d'euros pour compenser les surcoûts.
Je plaide pour une décentralisation totale : si la CTG est autorité de gestion comme pour le FSE, elle doit l'être complètement. De même, il faut revoir l'apport des fonds vis-à-vis de Bruxelles. Je pense qu'ils sont intéressés.
Nous sommes la seule région de France à diverger, qui s'appauvrit, alors que l'Europe est faite pour converger. Ce n'est pas lié à une mauvaise gestion, à un manque de pertinence de nos dossiers, à leur diversité, mais au problème de l'immigration et aux retards en termes d'infrastructures. Nous sommes à 49 % du PIB par habitant communautaire, contre 51 % il y a moins de cinq ans.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Disant cela, vous apportez de l'eau au moulin de la Commission qui veut limiter les fonds de cohésion pour se concentrer sur quelques priorités, dont la question migratoire.
M. Rodolphe Alexandre. - Pourquoi pas ? Surtout, le ministère doit vraiment être à nos côtés. Mes agents sont compétents, ils sont régulièrement à Bruxelles, ils comprennent les problématiques, mais ils ne peuvent pas agir tout seuls. Je rappelle que La Réunion n'a pas choisi l'autorité de gestion, sauf pour le FEDER. De notre côté, nous avons choisi d'assumer la gestion de ces différents fonds structurels. Si l'on approfondit la décentralisation et la déconcentration, tout le monde y gagnera. Aujourd'hui, les Guyanais ne supportent plus de devoir rouler entre Cayenne et Saint-Laurent sur la même voie que celle qu'empruntaient leurs grands-parents, il y a soixante-dix ans. Il faut de véritables autoroutes sur notre territoire. Les fonds européens peuvent servir à cette modernisation que nous réclamons. Sans l'Europe, nous serions un territoire totalement appauvri.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Merci infiniment.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site Internet du Sénat.
- Présidence de Mme Laurence Harribey, présidente -
Audition de Mme Christine de Mazières, Conseillère-maître à la Cour des comptes, rapporteure générale de la formation décentralisation de la gestion des fonds européens
Mme Laurence Harribey, présidente. - Notre mission d'information poursuit ses travaux avec l'audition de Mme Christine de Mazières, conseillère-maître à la Cour des comptes, rapporteure générale de la formation décentralisation de la gestion des fonds européens.
Le 22 mai dernier, la Cour des comptes a publié un rapport, demandé par la commission des finances de l'Assemblée nationale, sur le bilan du transfert aux régions de l'autorité de gestion des fonds européens structurels et d'investissement (FESI) sur la programmation 2014-2020. Nous avons longuement étudié ce rapport qui bâtit le fondement de notre réflexion.
Le rapport porte sur quatre FESI : le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le Fonds social européen (FSE), qui représentent près de la moitié du budget de l'Union européenne. Comment s'est déroulé le transfert aux régions de l'autorité de gestion de ces fonds européens ? Certes, les régions étaient déjà impliquées dans une partie de la gestion des fonds par délégation de l'État, mais elles ne disposaient pas de la capacité à élaborer leur propre programme opérationnel, c'est-à-dire à déterminer les priorités à financer, qui était la prérogative des seules autorités de gestion.
Au terme de son enquête, la Cour des comptes a arrêté sept recommandations sur le fondement de trois conclusions : le transfert a été mal anticipé et reste partiel ; la gestion des fonds européens est complexe et demeure perfectible ; il est nécessaire d'anticiper de façon pragmatique la future programmation des fonds européens.
C'est dire si l'enquête de la Cour des comptes recoupe les travaux de notre mission d'information, dont l'objet porte plus particulièrement sur le niveau d'utilisation des fonds européens en France. Nous cherchons à la fois à établir un diagnostic - peut-on vraiment parler d'une sous-utilisation chronique de ces fonds dans notre pays ? -, à expliquer ce phénomène et à apporter des solutions.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire, puis j'inviterai mes collègues à vous poser des questions.
Cette audition est ouverte au public et à la presse et sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je vous remercie également pour le diaporama que vous avez apporté. Vous avez la parole, Madame la Rapporteure générale.
Mme Christine de Mazières, conseillère-maître à la Cour des comptes, rapporteure générale de la formation décentralisation de la gestion des fonds européens. - Merci Madame la Présidente. Je souhaite rapidement rappeler nos conclusions sur le sujet, puisque les FESI constituent une question technique difficile à appréhender. J'ai participé à deux missions consécutives, l'une sur l'outre-mer, qui a donné lieu à une insertion au rapport annuel de la Cour en février 2019 ; et l'autre consistant en la publication d'un rapport, à la demande de l'Assemblée nationale, sur le bilan du transfert aux régions de la gestion de ces fonds européens. Ce rapport est paru en mai dernier.
Nous avons travaillé sur quatre régions : la Bretagne, les Hauts-de-France, l'Auvergne-Rhône-Alpes, et la Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui représentent près d'un tiers de ces fonds européens. Ces travaux ont essentiellement été menés à l'automne dernier.
Nous avons, d'une part, retracé le déroulement de la mise en place de la programmation 2014-2020, assez compliquée, en raison d'un problème d'organisation et d'un manque d'anticipation. Nous avons, d'autre part, voulu prendre une photographie, à un instant t, de l'état de cette décentralisation des fonds européens aux régions. En troisième lieu, l'idée était d'en tirer des recommandations, ce qui est le but de l'exercice.
À l'automne 2012, une décision de principe, l'acte III de la décentralisation, a été prise. Il s'agissait de placer ces fonds européens dans la corbeille de décentralisation, décision purement politique, mais qui s'est ensuite traduite, dans les faits, par de longs délais pour prendre les textes d'application, début 2014, voire 2015 et 2016 pour les derniers textes.
Ces discussions ont été très complexes, les négociations se sont avérées difficiles sur les transferts d'effectifs, et les systèmes d'information ont été victimes d'une grande négligence à partir des premières recommandations qui avaient été formulées sur le sujet, et qui avaient alors privilégié la logistique. Or, ces systèmes d'information sont véritablement indispensables, mais n'étaient pas du tout adaptés à une gestion décentralisée. Ils ont tardé à l'être, mais le sont tous plus ou moins désormais.
Actuellement, le FEADER est celui des quatre fonds qui pose le plus de questions, après avoir été décentralisé à 97 %. Le FSE, quant à lui, été divisé en trois, l'État en conservant un tiers, délégant aux départements un autre tiers et donnant autorité aux régions pour un dernier tiers. Les résultats montrent que cette gestion fonctionne relativement bien.
En revanche, le FEADER n'a pas été jusqu'au bout de sa démarche ; c'est pourquoi nous avons qualifié ce transfert de gestion en « trompe-l'oeil ». En effet, ce transfert de gestion souffre d'un manque de clarté dans sa répartition. En principe, la gestion du FEADER devait être totalement transférée aux régions, mais, en réalité, l'État conserve de nombreuses prérogatives, notamment par les cofinancements et par un cadre national facteur de complexité, et non de simplification, comme il pourrait l'être. Il persiste également un enchevêtrement de compétences entre trois parties, à savoir l'État, l'Agence de services et de paiement (ASP), organisme payeur, et les régions, désormais autorités de gestion.
Des comparaisons internationales ont été réalisées, notamment avec l'Espagne et l'Allemagne, pays largement décentralisés et fédéraux, et dont le cadre national est totalement négocié entre le niveau central et le niveau décentralisé, ce qui permet une certaine simplification par l'adoption commune de critères de mesure. Il ne s'agit pas du tout de la limitation des libertés des administrations locales, mais bien du produit d'une concertation, ce qui a manqué en France, où nous avons en réalité additionné la complexité de la réglementation européenne et la diversité extrême des mesures locales, et ce sans réel cadrage. En France, le cadre national est donc presque inexistant, et entraîne une forte complexité. Par exemple, pour les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), il existe près de 9 000 types de mesures différentes, ce qui est difficilement gérable.
Pourtant, sur la question de l'enchevêtrement des compétences, des conventions tripartites ont certes été signées, mais les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) restent finalement sous une triple autorité : autorité hiérarchique du ministère de l'agriculture, autorité fonctionnelle de l'ASP, qui conserve l'instruction des dossiers FEADER, et autorité de gestion des régions.
Cette situation a conduit à un manque de clarté totale dans la responsabilité financière, puisqu'en cas d'éventuelles sanctions, à ce jour, nous ne savons pas qui serait responsable d'un hypothétique refus de paiement.
À cela s'ajoutait un transfert assez limité de l'expertise étatique vers les régions, puisque seuls deux postes en moyenne étaient transférés de l'État par région sur le FEADER, postes qui restaient de surcroît vacants pour un grand nombre d'entre eux. Face à un sujet considérablement technique, les régions ont grandement peiné à s'en saisir au démarrage, notamment pour celles n'ayant pas bénéficié de ces transferts d'expertise.
Aujourd'hui, nous pouvons toutefois affirmer que les régions se sont globalement dotées des moyens nécessaires, et ont beaucoup recruté. En revanche, il persiste des dysfonctionnements majeurs au niveau des deux systèmes d'information du FEADER, dont Osiris, système déficient et non adapté à une gestion décentralisée, puisque son seul objectif est la sécurité juridique au détriment de la facilité d'utilisation.
En dehors de la difficulté de gestion du FEADER, d'autres constats ont émergé, sur les aspects budgétaires et financiers. Nous avons constaté que les flux financiers et les préfinancements venant de la Commission européenne ne sont ni spécialisés ni provisionnés, et sont utilisés par les régions pour leurs dépenses générales, ce qui laisse présager d'un prochain retournement de trésorerie. Nous avons signalé cette observation aux régions qui devront donc veiller à prévoir ce besoin de trésorerie. Cette question devrait pouvoir être anticipée, puisque les fonds européens ne pèsent pas beaucoup sur le budget des régions.
L'Assemblée nationale avait, par ailleurs, retenu une question particulière sur la contractualisation dite « Cahors » relative au plafonnement des dépenses de fonctionnement des principales collectivités territoriales. Nous avons constaté, à l'heure actuelle, que ce risque restait très potentiel et théorique. Le fonds européen le plus impacté par ces dépenses de fonctionnement plafonnées est le FSE, et le problème ne concernerait que les contreparties nationales, puisque, dans le cadre de ces contrats, il est acquis que les fonds européens ne devraient pas avoir d'incidence. Mais il est vrai que des contraintes nationales persistent, même limitées, ce qui pourrait, en théorie, conduire à une moindre mobilisation, essentiellement du FSE. En revanche, cela ne concerne pas du tout le FEADER, qui ne transite pas par le budget des régions.
Enfin, nous avons constaté que l'articulation entre les FESI et les contrats de plan État-région a régressé ; la coordination entre ces fonds est insuffisante, ce qui nous semble dommage.
En termes de performance, les résultats de la décentralisation des fonds européens montrent que la France se situe dans la moyenne en Europe, d'après les chiffres de fin 2018.
La moyenne européenne est elle-même relativement médiocre. Nous nous sommes également comparés aux pays les plus performants et exemplaires, à savoir la Finlande et l'Irlande, pays affichant d'assez fortes particularités.
Malgré les difficultés liées à ces transferts de gestion, et d'autres difficultés encore, la France reste donc dans la moyenne européenne. Cela étant, le transfert de gestion aux régions a multiplié le nombre de programmes opérationnels (ou de programmes de développement rural s'agissant du FEADER) ; or, plus il existe de programmes opérationnels, plus les coûts de gestion sont élevés. Il se trouve que la France est le pays d'Europe qui détient le plus de programmes opérationnels et présente donc des coûts de gestion relativement élevés, constat qui motive l'une de nos recommandations visant à essayer de limiter le nombre de ces programmes, auxquels sont attachées des obligations de contrôles très lourdes, nécessitant des recrutements assez importants.
D'une manière générale, on ne peut que répéter que les aides européennes ne sont pas vouées à financer de petits dossiers, mais sont relativement complexes et doivent donc être concentrées, le plus possible, sur des projets d'ampleur financière forte, du moins en termes d'efficience. Les projets d'importance moindre peuvent, quant à eux, être réorientés vers des financements nationaux.
Nous avons, enfin, réalisé un sondage auprès de 700 bénéficiaires du FEDER et du FSE pour savoir s'ils avaient remarqué des différences par rapport à la programmation précédente depuis la gestion des fonds européens par les régions. D'après les résultats, il n'y a pas eu de différence dans la perception des bénéficiaires, mais les délais de paiement sont perçus comme excessifs et sont préjudiciables, notamment aux plus petits porteurs de projets, qui n'ont pas les capacités d'assumer les financements et ces retards de paiement.
Plusieurs conclusions ont donc été tirées de cette enquête. Il faut anticiper le plus possible la future programmation des fonds européens, dont le démarrage aura lieu dans dix-huit mois. Le plus important n'est pas tant la répartition institutionnelle plus ou moins décentralisée, que la capacité pour la France à définir des priorités et, surtout, parvenir à des coopérations entre différents niveaux d'administration, en tous les cas entre l'État et les régions, coopération qui a souvent fait défaut et qui a plutôt été remplacée par une concurrence.
Par ailleurs, il convient de toucher le moins possible au fonctionnement de cette architecture de gestion institutionnelle, car tout changement dans la répartition des compétences représente un coût considérable mobilise des énergies importantes au détriment de la gestion des fonds et entraîne retards et délais de paiement accrus. Ces ressources et ces énergies sont certainement mieux employées dans l'accompagnement des porteurs de projets et l'instruction de leurs projets.
Néanmoins, le FEADER, dont la répartition des compétences n'est pas nette, doit absolument être clarifié selon trois scénarios alternatifs. Sans présager de la décision finale, qui sera politique et qui n'appartient pas à une juridiction, nous avons toutefois identifié trois scénarios possibles.
Le premier scénario correspond à la proposition de la Commission européenne, qui consiste en une recentralisation totale du FEADER au profit d'une seule autorité de gestion. Ce scénario est possible, dans la mesure où il correspond à la situation existant dans 20 États membres sur 28, même si, pour le moment, en France, la demande n'a pas eu d'issue favorable. Deuxième scénario : ne pas toucher à la répartition actuelle, mais simplement améliorer le cadre national qui doit être décidé de manière concertée entre l'État et les régions et qui doit faire en sorte que les spécificités régionales soient prises en compte, sous réserve que cela n'aboutisse pas à une infinité de modulations, ingérable. Troisième scénario : procéder à une légère réorganisation des compétences entre l'État et les régions. Schématiquement, à l'État seraient dévolues les aides qualifiées de surfaciques, dans la mesure où l'État gère déjà les mesures surfaciques du FEAGA. Il pourrait donc être logique d'y ajouter les mesures surfaciques du FEADER, répondant à une logique similaire, gérées selon les mêmes systèmes d'information et en appelant à une certaine solidarité nationale (indemnités compensatoires de handicap naturel -ICHN-, mesures agro-environnementales et climatiques - MAEC - et aides à l'agriculture biologique). Les régions conserveraient, quant à elles, la gestion des mesures en faveur des investissements dans les exploitations, l'installation des jeunes agriculteurs, le développement d'activités rurales, les services et la qualité de vie en milieu rural, les mesures LEADER, etc.
J'en arrive à la conclusion. Plusieurs recommandations ont été émises : primo, anticiper dès maintenant les futurs systèmes d'information de la prochaine programmation, remplacer Osiris, interfacer tous les systèmes d'information afin d'avoir des moyens de pilotage et de suivi performants ; secundo, sur le plan financier, nous recommandons une plus grande transparence des flux de trésorerie en région, pour anticiper les aléas de trésorerie, éventuellement en sanctuarisant la trésorerie du FEDER et du FSE. Nous proposons d'encourager les portails et les guichets communs entre l'État et les régions dans la mesure du possible pour l'instruction des projets. Nous préconisons de rationaliser l'organisation de la gestion des fonds : il faut réduire, autant que possible, le nombre de programmes opérationnels, même si ce n'est pas toujours évident, pour diminuer les coûts de gestion et les risques ; fixer des priorités d'emploi des fonds européens en petit nombre et en fonction limitée du nombre de mesures, comme c'est le cas dans d'autres États membres mieux organisés ; fixer des seuils d'aide, dans la mesure où les aides européennes sont très compliquées à réaliser. Par ailleurs, il convient de clarifier l'architecture du FEADER. Enfin, il serait opportun de s'emparer des outils de simplification proposés par la Commission européenne.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Merci beaucoup pour cette présentation qui synthétisait parfaitement ce qui figure dans le rapport, avec quelques focus plus détaillés et intéressants. Je laisse désormais la parole à mes collègues, pour d'éventuelles questions ou réactions.
Mme Pascale Gruny. - Je trouve que nous rencontrons toujours les mêmes problèmes à chaque programmation, sans beaucoup avancer. Ces sujets sont d'une complexité épouvantable. Nous vous écoutons, mais, même nous, qui avons pourtant l'habitude de ces sujets, éprouvons des difficultés. De fait, il semble légitime de se demander comment font les associations qui ont besoin de ces aides pour s'y retrouver face à une telle complexité. De plus, le « mille-feuille » institutionnel fait qu'ajouter à la difficulté de ces dossiers.
Vous exprimez une volonté de réduire le nombre de programmes, argument que nous pouvons totalement comprendre et que nous entendons, mais j'ai parfois l'impression que, sur le terrain, les associations sont autorisées à demander un nouveau programme pour pouvoir répondre aux critères d'éligibilité et disposer des fonds requis. Ces fonds fonctionnent ainsi : il suffit de modifier quelques éléments pour bénéficier d'une aide, pratique finalement répandue, face au caractère compliqué des démarches, et aux besoins exprimés sur le terrain.
Vous avez également indiqué vouloir fixer des seuils d'aide et renvoyer vers des systèmes d'aide nationale et régionale ; or les régions et les départements n'ont plus d'argent. Par conséquent, je vous assure, pour siéger dans d'autres instances, et notamment au conseil départemental, qu'en réponse au manque de moyens nationaux, nous essayons souvent de chercher ces crédits au niveau de l'Union européenne. En résumé, sur le terrain, nous effectuons plutôt un travail à l'inverse de vos recommandations : nous éprouvons des besoins donnés, susceptibles de rentrer dans le champ de l'Union européenne. Nous réfléchissons donc aux moyens de faire correspondre ces besoins aux critères d'attribution de l'Union européenne.
Je parle là d'un problème très concret, par rapport à ce que vous nous expliquez, que nous pouvons comprendre en dépit du manque de simplicité des démarches, qui fait actuellement cruellement défaut et qui entrave en partie la consommation des fonds. Je dénonce un problème d'adaptation des systèmes face aux petits porteurs de projets.
M. Daniel Laurent. - Ma remarque va dans le même sens puisque les élus de terrain dressent tous des constats identiques. La situation nous interpelle. Plus tôt dans la journée, le président de la collectivité territoriale de Guyane nous a sensibilisés et nous a démontré, de manière assez pratique, toutes les difficultés auxquelles il se trouvait confronté ; et vous, Madame, par vos tableaux et votre présentation, vous démontrez tous les facteurs de complexité qui existent dans notre territoire.
Notre mission a tout de même un rôle important, sur lequel je voudrais m'arrêter puisque nous nous rendons compte que, dans d'autres pays d'Europe, comme la Finlande, l'Irlande, mais également l'Italie ou l'Espagne, ces systèmes fonctionnement beaucoup plus facilement et sont mieux articulés, contrairement à la France.
Il existe encore une complexité terrible avec les divers organismes, dont les procédés administratifs sont lourds et complexes et occasionnent notamment des retards de paiement, ce qui est pénalisant. Je pense réellement que la lourdeur de l'administration française nous pénalise. Or, qui dit dysfonctionnement, dit non-consommation. La longueur de dépôt du dossier et le temps d'attente avant d'obtenir satisfaction sont des facteurs directs de diminution de la consommation des fonds européens, d'où l`objet de notre mission.
M. Bernard Delcros. - Merci pour cette présentation, sur laquelle j'aimerais toutefois obtenir quelques précisions. Dans votre recommandation n° 4, pour essayer d'améliorer, de simplifier et de rationaliser l'organisation, vous préconisez de réduire le nombre de programmes. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Quelles préconisations faites-vous ? De la même façon, vous souhaitez limiter le nombre de mesures. Là encore, pouvez-vous nous préciser le sens et la nature de ces préconisations ?
M. Pierre Louault. - Madame la Rapporteure, à partir de votre exposé, je m'interroge, face à ces dysfonctionnements des fonds européens iniques et chroniques, sur la capacité de nos hauts fonctionnaires à adopter une approche différente dans l'utilisation de ces fonds. Vous disiez tout à l'heure, par exemple, que l'État et les régions devaient travailler en concertation, et non pas en additionnalité, où chacun ajouterait des règles au lieu de se parler.
Pour le futur programme, ne serait-il tout de même pas plus simple de se baser sur les objectifs et les règles européennes, avant que l'État et les hauts fonctionnaires, à différents niveaux, y compris l'ASP, prennent le temps de discuter avec les régions et les utilisateurs, qui sont également les agriculteurs ? Ces hauts fonctionnaires sont-ils capables d'écouter ? De se concerter ? Nous avons l'impression que le dialogue est difficile, même avec l'Europe, et que la France a justement été souvent condamnée car les autorités françaises voulaient imposer leurs règles à l'Europe et ne voulaient pas écouter. Je me demande si le problème n'est pas plus profond. Nous avons tout de même beaucoup de systèmes et de hauts fonctionnaires, en place depuis quinze ans, qui réitèrent toujours les mêmes erreurs. Ne faudrait-il pas assainir l'environnement et repartir sur de meilleures bases pour, enfin, utiliser ces fonds européens ?
J'ai le sentiment que le mal est profond et irrémédiable, ce qui est décourageant pour vous, nous-mêmes et tous les Français. Je m'interroge sur la pertinence et les conséquences réelles de votre rapport qui n'impulsera, à mon sens, aucun changement.
Il est notamment question de renforcer l'ASP, alors que nous possédions des relais locaux au niveau des directions départementales qui servaient de modérateurs et qui essayaient de communiquer les règles auprès des agriculteurs ; or, nous accusons presque aujourd'hui ces mêmes fonctionnaires de proximité d'incompétence, et ils sont blâmés pour la mauvaise utilisation des fonds européens. Je vous demande donc si notre administration est capable d'engager le processus que vous conseillez, à savoir un processus de discussion, pour arranger le système.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Si cela vous convient, je vous propose de recueillir l'ensemble des questions, avant que vous n'en fassiez la synthèse et n'y répondiez, Madame la Rapporteure générale, puisque nous sommes contraints par le temps.
M. Jean-Yves Roux. - Je voudrais, à mon tour, revenir sur le point 4 de votre présentation, qui concerne les projets. Dans votre rapport et vos recommandations, vous proposez, pour l'avenir, de ne plus prendre en compte les projets d'un faible montant. Je m'interroge sur la valeur de ce montant, puisque votre suggestion conduit à réduire un peu le travail administratif par rapport aux coûts de gestion que vous venez d'évoquer. Je pense toutefois qu'une telle orientation pourrait avoir des conséquences négatives.
Cela pourrait notamment éliminer les initiatives des petites collectivités territoriales, qui en ont pourtant besoin, comme le précisait ma collègue, car nous savons qu'il existe de moins en moins d'aides au niveau départemental et régional.
Il serait opportun, pour pallier ce problème, de recourir à une subvention globale qui pourrait éventuellement être versée au niveau des intercommunalités afin qu'elles puissent prendre en charge la responsabilité de soutenir des projets, du moins des petits projets, qui seraient par exemple inférieurs à un montant préalablement plafonné (50 000 euros ou 100 000 euros).
Cette proposition répond, là aussi, à une volonté d'alléger le travail des autorités administratives et des conseils régionaux. Les communautés de communes pourraient aussi être en mesure de procéder à des certifications de comptes, et surtout de suivre ces aides.
Mme Catherine Conconne. - Vous avez livré un rapport positif qui reprend et fait état d'un certain nombre de nos préoccupations quotidiennes sur la gestion des fonds européens. Je vous en félicite, mais quelle sera la suite de vos observations ? Devons-nous vous écouter et amorcer des actions ? Ou s'agit-il d'un énième rapport de plus, qui finira dans une bibliothèque ?
Mme Christine de Mazières. - Premièrement, sur le nombre de programmes, il faut comprendre que je parle en réalité du nombre d'autorités de gestion. Une autorité de gestion s'occupe d'un programme opérationnel, par exemple le programme de développement rural pour le FEADER. Je parle de ces programmes, actuellement au nombre de 83. Chacun couvre un certain nombre d'obligations de gestion de contrôle, qui sont assez lourdes. À ce titre, en comparaison avec d'autres pays, nous remarquons que nous avons multiplié notre administration.
Moins nous avons d'autorités de gestion et de programmes, plus le poids de l'administration s'en trouvera allégé, dans un contexte où nous avons actuellement démultiplié nos coûts de gestion. Il convient donc de trouver un juste milieu entre, d'une part, les spécificités locales, et, d'autre part, l'administration qui ne fait que croître avec la démultiplication de toutes ces autorités de gestion.
Notre bilan, globalement, n'est pas négatif. Nous sommes parvenus, après un démarrage extrêmement compliqué, à un résultat plutôt correct et à une situation qui n'est tout de même pas si déplorable. Les régions se sont mises en ordre de bataille et la France, en matière de performances, se situe dans la moyenne européenne. Simplement, nos recommandations visent surtout à faire en sorte que la prochaine programmation, qui se profile rapidement, se déroule mieux. Nous ne devons pas recommencer à nous mettre des barrières et des obstacles.
Sur la complexité administrative, qui serait spécifique à la France par rapport à d'autres États membres, ces spécificités inhérentes à la France concernent surtout le FEADER. Je pense que les autres fonds, à savoir FEDER et FSE essentiellement, fonctionnent à peu près bien.
Encore une fois, sur le FEADER, les responsabilités sont partagées sur le manque de coopération. Il se trouve que ce fonds obéit aux règles les plus complexes, spécifiques. Le FEADER est un fonds à part, qui est soumis à encore plus de contrôles, de règles particulières, de soucis de sécurité juridique. Au regard de cette situation, nous devons décider ensemble de la suite des événements, comme l'ont fait d'autres pays.
Pour que ce rapport soit véritablement suivi d'actions, l'urgence absolue est de clarifier la répartition des compétences du FEADER. Cela doit absolument être réglé à la rentrée, un arbitrage doit être rendu sur les responsabilités de l'État et des autorités de gestion, à savoir les régions, au risque d'accumuler les retards et les risques, sachant que la prochaine programmation sera plus exigeante, dans la mesure où les règles européennes seront plus orientées vers la performance et laisseront davantage de liberté à chacun pour s'organiser. Mais, en conséquence, les manquements aux objectifs seront sanctionnés par une perte de fonds beaucoup plus brutale.
De plus, la règle de paiement de trois ans sera réduite à deux ans. Ces règles seront donc plus exigeantes et requièrent un besoin d'arbitrage urgent sur le plan agricole.
Sur la question des seuils et des petites communes, sujet extrêmement important, le recours à l'intercommunalité est une bonne idée, mais il incombe véritablement à chaque région de s'organiser sur ce sujet. Nous n'avons pas étudié cette question, mais nous recommandons la simplification des processus, notamment en réduisant le nombre de mesures sur le FEADER. Par exemple, actuellement, certaines mesures s'appliquent à un ou deux bénéficiaires uniquement. Il faut donc accepter d'avoir moins de spécificités extrêmes, mais il est tout à fait possible de tenir compte des petites communes et de leurs besoins spécifiques sans avoir un système trop complexe et d'éviter une hypertrophie de la bureaucratie, comme l'ont d'ailleurs montré certains de nos voisins.
Enfin, concernant les capacités de notre administration d'État à gérer ces sujets, la technicité très importante des règles européennes est une donnée inévitable, mais nous avons toutefois pu constater que les fonctionnaires d'État, notamment dans les préfectures, ont bien respecté la transmission des compétences aux régions, en dépit de progrès devant encore être menés sur certains aspects. Il est vrai que, contrairement à d'autres pays comme l'Espagne et l'Allemagne, la France témoigne d'une moindre culture de négociation entre les différentes administrations. Ce problème n'est pas spécifique à une fonction publique plutôt qu'une autre.
L'enjeu majeur est donc de ne pas perdre ces fonds européens, cruciaux, dans un contexte budgétaire français difficile. Il faut travailler ensemble.
M. Daniel Laurent. - Sur les petits dossiers, ces questions pourraient être réglées de manière simple puisque les régions ont désormais la capacité de les gérer. À partir du moment où les régions s'attaquent de front aux fonds européens, je ne vois aucune difficulté.
Mme Christine de Mazières. - En effet, les régions ont mis en place des équipes qui fonctionnent.
M. Daniel Laurent. - Vous n'avez pas répondu à la question sur les difficultés et les délais de paiement. Cela peut avoir des répercussions économiques difficiles, voire plus importantes que nous l'imaginons. J'ai, par exemple dans mon département, une entreprise de 25 ouvriers qui travaillaient pour le patrimoine (charpentiers spécialisés dans la rénovation des cathédrales et des églises) ; or, cette société vient de déposer le bilan à la suite de difficultés de règlement par rapport à tous les fonds européens qui n'arrivaient pas : les collectivités ne voulaient pas payer et ces ouvriers des Bâtiments de France se sont trouvés dans l'incapacité de poursuivre leur activité. Je pense, malheureusement, que Bruxelles et l'administration ne perçoivent pas beaucoup ces réalités de terrain, pourtant réelles. Ces longueurs de paiement mettent en difficulté les collectivités, exposées à des charges supplémentaires.
M. Pierre Louault. - Est-ce que les restes à payer importants risquent de retarder la mise en place de la nouvelle programmation ? Avez-vous réussi à identifier qui paie les amendes d'apurement de la France à l'Union européenne ? Nous peinons parfois à nous y retrouver.
Mme Christine de Mazières. - Les délais de paiement touchent plus le FEADER que le FEDER ; les responsabilités sont partagées et imputables à la complexité française indéniable qu'il convient d'étudier au cas par cas.
Pour répondre à votre question sur les restes à payer, ces retards n'entraveront pas nécessairement la mise en place de la nouvelle programmation. Il existe une période de recoupement entre l'ancienne programmation et la nouvelle.
Concernant les refus d'apurement, ils ont concerné essentiellement le FEADER sous l'ancienne programmation, avec la perte traumatisante de plus d'un milliard d'euros en 2015 en raison du dysfonctionnement du registre parcellaire graphique qui mesurait les surfaces agricoles. S'agissant de la programmation actuelle, il demeure des incertitudes sur l'identité des responsables en cas de refus d'apurement.
M. Bernard Delcros. - Vous parlez de prolonger la programmation actuelle jusqu'en 2022 ou 2023 : cette démarche serait-elle automatique ou bien nécessite-t-elle une demande particulière ? Un chevauchement de l'ancienne programmation et de la nouvelle posera-t-il des problèmes particuliers ?
Mme Christine de Mazières. - Non, cela ne posera pas de problème. Les paiements de l'actuelle programmation 2014-2020 se feront jusqu'au 31 décembre 2023, modalité déjà actée dans les règlements européens. Toutefois, pour la programmation 2021-2027, nous nous orientons peut-être vers une année blanche en 2021, comme ce fut le cas en 2014. Cela ne pose pas de problème financier, mais présentera des difficultés aux équipes qui devront assumer la clôture de l'actuelle programmation (avec une montée en puissance des dépenses car l'essentiel des paiements arrivera à la fin de la programmation), au moment où les équipes devront mettre en place la nouvelle programmation. Leur charge de travail s'en trouvera accrue.
M. Bernard Delcros. - Est-il possible, sur la dernière année, d'instruire des dossiers de l'ancienne programmation et des dossiers de la nouvelle programmation ?
Mme Christine de Mazières. - Oui, c'est ce qui est prévu. Mais les règlements européens fixant les règles et les objectifs de la future programmation n'ont pas encore été adoptés.
Il faut également savoir que la Commission européenne connaît bien les différents intervenants, y compris en outre-mer. Les problématiques sont entendues. L'objectif de cette Commission reste tout de même d'aider les États membres à dépenser cet argent...
Mme Laurence Harribey, présidente. - J'invite toutefois à la prudence puisque, si les règlements changent, certains projets peuvent très bien ne pas remplir les critères d'éligibilité des nouveaux programmes.
Par rapport au FEADER, il semble, parmi les trois scénarios que vous avez proposés, que le dernier scénario risque d'être sélectionné et doive donc être intégré à notre réflexion qui devra inclure la notion d'un retour à l'État surfacique et le maintien du reste sur les régions. Cette mesure pourrait éventuellement poser problème aux territoires désireux de développer une filiale biologique ou une politique de circuit court, sans pour autant avoir d'emprise sur les mesures agro-environnementales. Nous serons hypothétiquement confrontés à un retrait de la maîtrise par les régions.
Je vous remercie infiniment, Madame la Rapporteure générale, pour ce travail fouillé qui veille à ne pas rendre indigestes les dossiers trop techniques pour les porteurs de projets, ce qui pose notamment la question de l'appropriation de l'Europe sur les territoires, enjeu dont les questions qui vous ont été posées témoignent.
Je note, par exemple, que des liquidations de petites entreprises sont malheureusement observées régulièrement, en particulier par rapport au FSE ; certaines associations disparaissent du circuit pour de simples questions de trésorerie. En réponse, des régions comme la Nouvelle-Aquitaine ont d'ailleurs mis en place un système légal d'avance de trésorerie, ce qui renvoie aux régions une forte responsabilité.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site Internet du Sénat.
La réunion est close à 17 h 05.
Audition de M. Jacques Garau, directeur général de CMA France
Mme Laurence Harribey, présidente. - Notre mission d'information poursuit ses travaux avec l'audition de M. Jacques Garau, directeur général de CMA France. M. Garau est accompagné de M. Samuel Deguara, directeur des relations institutionnelles, et de Mme Marie-Sophie Sergent, chargée de mission.
Composé essentiellement de petites entreprises, le secteur de l'artisanat, qui rassemble plus de 510 activités différentes, occupe une place privilégiée dans l'économie française. Présent sur l'ensemble du territoire, l'artisanat est un acteur de la vie locale, qui contribue à dynamiser l'économie et l'emploi. Il constitue aussi un maillon indispensable de l'aménagement du territoire. Ces dynamiques économiques territoriales assurent des services de proximité et un lien social indispensable.
Dans ce contexte, CMA France poursuit trois missions : défendre les intérêts des artisans, y compris au niveau européen ; accompagner les entreprises artisanales ; former les artisans de demain.
CMA a souhaité être entendue par notre mission d'information et nous sommes très intéressés par son témoignage.
Notre mission d'information s'intéresse plus particulièrement au niveau d'utilisation des fonds européens en France. Votre contribution et le retour de vos expériences concrètes sur le terrain enrichiront nos travaux.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues à vous poser des questions. Je vous prie d'excuser notre rapporteure, Colette Mélot, actuellement retenue en séance.
Cette audition est ouverte au public et à la presse et sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
M. Jacques Garau, directeur général de CMA France. - Les fonds européens sont importants pour notre réseau pour plusieurs raisons : ils apportent une aide financière aux artisans et vous avez rappelé dans vos propos introductifs l'importance de l'artisanat pour la vie des territoires. Nos artisans sont des acteurs économiques et assurent aussi des services de proximité.
Par ailleurs, les fonds européens permettent aux chambres des métiers et de l'artisanat de mettre en place une ingénierie spécifique à destination des artisans. Je souhaite le rappeler : la plupart de nos entreprises sont de petite taille - plus de 50 % d'entre elles sont unipersonnelles. Elles ne disposent pas de l'ingénierie ni des compétences internes d'une grande entreprise pour mobiliser les fonds européens.
Près de 1 330 projets ont été cofinancés par les fonds structurels pour accompagner la création et le développement des entreprises artisanales ou former des apprentis, des salariés, ainsi que des dirigeants de notre secteur. L'ensemble de ces projets représentent un montant de 384 millions d'euros, dont 177 millions en provenance du Fonds social européen (FSE) ou du Fonds européen de développement régional (FEDER).
Aujourd'hui, nous sommes inquiets pour la prochaine programmation en raison du Brexit, mais aussi de la possible réaffectation des fonds. Or, nos territoires ne sont pas tous des métropoles ou de grandes aires urbaines. Certains territoires ont besoin d'être accompagnés par les fonds structurels.
Quel est le rôle des chambres de métiers et de l'artisanat ? Comme vous l'avez souligné, Madame la Présidente, nous sommes la première entreprise de France, mais avec un nombre important de succursales. Il est donc nécessaire pour les artisans de pouvoir se sentir soutenus par un organisme qui puisse les accompagner. En outre, les chambres de métiers et de l'artisanat éclairent les collectivités territoriales sur la réalité de l'artisanat sur leur territoire. La situation n'est pas la même à Toulouse et à Bar-le-Duc. Notre capacité d'analyse des territoires et de l'évolution des métiers est importante.
Entre 2007 et 2013, environ 20 millions d'euros ont été mobilisés chaque année au titre des fonds européens. Entre 2014 et 2019, ce montant annuel s'élevait à plus de 23 millions d'euros. Le déficit d'ingénierie reste cependant important. Le 1er janvier 2021, nous régionalisons notre réseau, ce qui devra nous permettre de disposer de capacités d'ingénierie ne pouvant exister au niveau départemental. Bien évidemment, nous gardons toutes nos chambres départementales qui nous permettent d'avoir plus de 300 points de contact sur le territoire.
Nous souhaitons renforcer la présence des développeurs économiques. Pour cela des économies sont nécessaires sur les fonctions support. En outre, cette réforme permettra de disposer d'une chambre régionale capable de répondre aux attentes du conseil régional, autorité de gestion des fonds européens, et de lui proposer une ingénierie pouvant soutenir des projets. L'État l'appelle d'ailleurs de ses voeux. Dans la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, a été introduite l'obligation pour le conseil régional de conventionner avec les chambres consulaires pour permettre une cohérence des actions avec le projet de schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation, qui constitue le cadre du développement économique dans les régions. Aussi nous restructurons-nous pour offrir une meilleure offre de services.
Lorsque l'on observe la mobilisation des fonds européens et la façon dont les conseils régionaux pensent à l'artisanat, force est de constater que sa prise en considération est marginale. L'artisanat n'est pas vu comme une filière. La loi PACTE a créé une filière artisanale, avec des entreprises qui se créent en tant qu'entreprise artisanale - c'est-à-dire avec moins de 11 salariés, mais qui pourront aller jusqu'à 250 salariés. Le besoin de formation, de développement économique, d'exportation, et donc de fonds européens, sera plus important pour les entreprises qui ont un poids accru. Certes, toutes nos entreprises ne sont pas dans cette situation, mais nous avons tous des « pépites » dans nos départements.
Outre l'ingénierie, le besoin de cofinancement est réel, mais peut très rarement être mobilisé par une entreprise artisanale seule. Nos entreprises ont besoin d'être accompagnées. En effet, l'usage des fonds européens est complexe - l'ancien secrétaire général pour les affaires régionales (SGAR) que je suis ne prétendra pas le contraire - et une entreprise ne peut être laissée seule aux prises avec les problèmes de délai d'instruction ou de paiement.
Les chambres des métiers et de l'artisanat constituent donc un guichet unique pour solliciter des fonds, en jouant le rôle de back office des entreprises artisanales, en apportant du marketing, des services de ressources humaines, en créant des groupements d'entreprises. Nous sommes légitimes pour jouer ce rôle d'interface entre les entreprises artisanales et les enjeux territoriaux définis par chaque conseil régional.
Dans la prochaine programmation et la future architecture de gestion, les chambres des métiers et de l'artisanat pourraient être positionnées en appui au montage de projets des entreprises artisanales afin de faire face à la complexité administrative. Nous avons également un rôle de conseil auprès des autorités de gestion. Je trace ainsi un parallèle entre la montée en puissance du fait régional et la capacité que nous aurons à professionnaliser certaines fonctions afin de répondre aux besoins de l'autorité de gestion, dans l'analyse des territoires, puis dans la mise en oeuvre des programmes.
Certes, nous avons déjà ce rôle de conseil aujourd'hui, mais nous travaillons davantage avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi qu'avec les conseils régionaux. Aussi, dans la prochaine programmation, les régions doivent intégrer des financements spécifiques à l'artisanat, en tant que filière et pas uniquement sous l'aspect de la revitalisation d'un territoire. Certains territoires ont des spécificités : l'aviation dans la région toulousaine, la construction navale autour de Saint-Nazaire. Les régions doivent s'en emparer et mettre en place des fonds dédiés. Elles doivent également apposer des indicateurs de réalisation appropriés. Dans cette optique, les règles de gestion pour les petites entreprises doivent être simplifiées.
La charge administrative est un véritable sujet pour nos bénéficiaires. Il existe pourtant de bonnes pratiques, comme la création d'un dossier unique pour l'ensemble des bailleurs de fonds, le fait de supprimer ou de limiter les attestations de minimis pour les faibles montants ou encore la forfaitisation. Ce taux pourrait d'ailleurs être augmenté afin d'atteindre 50 %. Le risque pour l'autorité de gestion est en effet faible. Ainsi, un ensemble de règles plus adaptées à l'entreprise artisanale pourraient être adoptées. Nous ferons des propositions en ce sens. Nous proposons par exemple d'intégrer dans le budget le montant des recettes liées à la réalisation de l'opération au montant des dépenses éligibles, base sur laquelle est calculée la subvention.
En outre, sur le plan juridique, il est important de clarifier la réglementation et la responsabilité des organismes gestionnaires. L'entreprise a besoin d'un cadre adapté, avec des modalités de contrôle connu, respecté par le bénéficiaire des fonds et le contrôleur. Par ailleurs, il faut pérenniser une interprétation stable des règles sur le territoire.
Permettez-moi de reprendre mon ancienne casquette de SGAR. Dans la région Grand Est, nous avons dû harmoniser les règles de trois conseils régionaux, trois programmes opérationnels et trouver des règles stables qui s'appliquent à chaque territoire sur la durée de la programmation, ne laissant pas de marge d'interprétation au moment même où les corps de contrôle étaient en pleine mutation. Je le reconnais, la programmation actuelle a été difficile. Être autorité de gestion n'est pas une compétence qui s'acquiert en un jour, mais, pour la prochaine programmation, nous devons nous fixer comme objectif la définition de règles stables facilitant leur appropriation par les bénéficiaires.
Il pourrait également être intéressant de créer une chambre partiaire de conciliation, accessible aux porteurs de projets dans les phases d'instruction et de contrôle. Elle permettrait des échanges entre l'autorité de gestion et les bénéficiaires, et le respect des conventions d'attribution signées entre le bénéficiaire et l'autorité de gestion. Les chambres de métiers et de l'artisanat peuvent être le pivot de ce type d'organisation. Les bénéficiaires pourraient faire appel des décisions prises par le service instructeur ou contrôleur, sans préjudice d'accès aux fonds européens par la suite. Il faut comprendre que l'on s'adresse à une entreprise artisanale.
Enfin, il faut être particulièrement vigilant sur les délais de paiement. Nous cherchons toujours à réduire les délais pour améliorer l'efficacité des programmes européens. Cela peut être fait par le système d'avances automatiques. Beaucoup de collectivités le font à la signature de la convention, à hauteur de 20 % du montant demandé ou par tranche dans la limite de 80 %. Le solde est versé après le contrôle du service fait.
Enfin, il faut des règles très claires permettant au porteur de projets d'évaluer la faisabilité de ce dernier grâce aux fonds européens. À défaut, il se tournera vers une autre source de financement ou, plus surement, il abandonnera son projet.
On peut également réfléchir à un élargissement des critères d'éligibilité des participants au titre du FSE et l'Initiative pour l'emploi des jeunes (IEJ) afin de prendre en compte un public considéré comme non prioritaire aujourd'hui.
Le déficit d'ingénierie des entreprises artisanales est un vrai problème. Les chambres de métiers et de l'artisanat devront jouer pleinement leur rôle, mobiliser les cofinancements et mettre en place un système de conventionnement permettant une notification rapide, simple et lisible pour tout le monde. Vous le savez, les fonds européens nécessitent une ingénierie qui est longue, chronophage. Il faut en tenir compte. Nous considérons que l'autorité de gestion se déresponsabilise en faisant porter au bénéficiaire tout le poids du contrôle, lorsqu'elle lui demande plusieurs fois les mêmes pièces justificatives. Pour INTERREG, la situation est pire encore car il y a plusieurs autorités, chacune ayant sa propre vision des programmes et des pièces à fournir. Nous devons collectivement nous améliorer.
Très récemment, nous avons participé à un appel à projet portant sur les jeunes en difficulté. Nos chambres, qui y consacrent un budget de 3,4 millions d'euros, et ont obtenu une subvention européenne de 3,1 millions d'euros, se sont engagées à accompagner 1 900 jeunes. Les métropoles ne sont pas les seuls territoires concernés. J'étais hier à Blois dans une chambre qui participe à ce projet intitulé Cap Artisanat. Elle a déjà identifié 62 jeunes à accompagner. Elle était très satisfaite du déploiement de ce projet. Plus on élargit le champ des publics cibles, plus on se conforme aux attentes de la Commission européenne.
En outre-mer, de très nombreux fonds européens sont disponibles. Toutefois, nous en captons trop peu. La Réunion y arrive bien car l'ingénierie y est excellente. Nous sommes en train de développer l'ingénierie des autres chambres. À Mayotte, les projets sont également importants. À La Réunion, la structuration de la filière du bâti tropical bénéficie d'une subvention du FEDER, avec un pôle d'innovation. Les collègues de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et de la Guadeloupe ont été heureux de profiter de l'expérience de ce pôle pour reconstruire leurs îles après les cyclones dont elles ont souffert. Les exemples sont nombreux.
Je n'oublie pas l'apprentissage. Les chambres mettent trop peu en valeur le programme Erasmus +, dont les budgets ont triplé. Nous utilisons le FSE pour financer les développeurs de l'apprentissage - ceux qui vont chercher des apprentis et des entreprises sur le terrain, dans une démarche commerciale. Le FSE est important car les conseils régionaux n'ont plus l'apprentissage dans leurs compétences obligatoires. Or, souvent, elles finançaient ces développeurs de l'apprentissage. Il va falloir que l'on prenne le relais. Les fonds structurels peuvent nous y aider. Sur la période 2016-2019, la subvention du FSE était de 1,7 million d'euros sur un budget de 2,8 millions d'euros. L'ex-chambre des métiers et de l'artisanat du Nord-Pas-de-Calais a sensibilité 20 000 entreprises et signé 4 900 contrats d'apprentissage en deux ans.
En conclusion, nous souhaitons nous positionner sur deux points : travailler à un outil financier adapté à l'entreprise artisanale, voire expérimenter la gestion de subventions globales dans le cadre d'une contractualisation spécifique.
M. Bernard Delcros. - Les fonds européens touchent de près l'artisanat dans les territoires. Je souhaite revenir sur l'ingénierie car il s'agit, selon moi, de l'un des problèmes prioritaires à régler. Sur le terrain, nous rencontrons des artisans, des commerçants qui vous expliquent avoir passé du temps à monter un dossier, pour lequel des pièces supplémentaires sont demandées, faire le nécessaire, et, au bout du compte, s'entendre dire qu'ils n'ont pas le droit à la subvention. D'autres y arrivent, après de nombreuses difficultés. D'autres encore obtiennent une subvention, mais le versement ne se fait pas. J'ai ainsi récemment rencontré des entrepreneurs ayant ouvert un restaurant dans un village. Ils ont obtenu une subvention de 24 000 euros, mais n'ont toujours pas reçu le versement, alors même que les factures ont été envoyées depuis plus d'un an. Enfin, certains se découragent et renoncent à faire appel aux fonds européens.
On sait que les animateurs des projets LEADER ne sont pas nombreux. Dans les communautés de communes, il y a parfois un chargé de mission. Enfin, les chambres consulaires sont également présentes. Mais, malgré tout cela, l'efficacité n'est pas au rendez-vous. Vous proposez que les chambres des métiers et de l'artisanat soient un guichet unique. J'imagine que ce guichet unique ne peut pas se substituer aux animateurs du programme LEADER. Le rôle de ce guichet unique sera-t-il d'accompagner l'artisan ou le commerçant au montage du dossier, à prendre contact avec les services de la région ou l'animateur du programme LEADER, suivre ensuite les versements, éventuellement intervenir si ceux-ci n'arrivent pas assez vite ? Si tel est le cas, cela demande des moyens supplémentaires. Les plus petites chambres des métiers n'ont pas les moyens de mener efficacement ce travail. Comment pourrait-on gagner en efficacité sur ce sujet ?
Mme Catherine Conconne. - Avez-vous pensé éventuellement à une structure mutualisée pour le traitement des dossiers des fonds européens entre les trois chambres consulaires ?
M. Pierre Louault. - Un certain nombre de communautés de communes ont mis en place des services communs ou partagés avec les chambres des métiers, pour l'immobilier. Pensez-vous possible la mise en place d'une collaboration avec les collectivités territoriales sur le sujet qui nous intéresse ? Celles-ci ont souvent une bonne expérience en la matière.
Pour le FSE, avez-vous l'habitude de travailler avec les conseils départementaux puisqu'ils sont en première ligne pour le volet insertion ?
M. Yannick Botrel. - Vous avez évoqué la notion de forfaitisation. Pouvez-vous développer ce point ? Que mettez-vous derrière la forfaitisation à 50 % ?
Il m'est arrivé de siéger, il y a quelques années, dans une commission régionale portant sur les fonds européens. J'ai assisté à une scène, certes anecdotique, mais qui est révélatrice. Au moment de solder les dossiers, la direction régionale des finances publiques a manifesté son opposition car la maquette finale ne correspondait pas au dossier initial. Le versement a dû être différé un certain temps. De tels blocages existent-ils encore ?
Mme Laurence Harribey, présidente. - Vous faites référence à une meilleure participation des entreprises artisanales entre l'ancienne et la nouvelle programmation. Considérez-vous que ce progrès soit dû à votre structuration et à votre capacité de réponse aux questions qu'elles se posent, ou bien cela a-t-il un lien avec le transfert aux régions de l'autorité de gestion ? Pouvez-vous également revenir sur votre relation avec la nouvelle autorité de gestion qu'est la région ?
M. Jacques Garau. - Le guichet sera unique pour les artisans. Bien évidemment, il ne vise pas à se substituer à des structures existantes. Vous évoquiez le programme LEADER et les groupes d'action locale. Ces derniers recouvrent une réalité différente selon les territoires. Ainsi, en Alsace, deux fonctionnent bien, mais un troisième rencontre plus de difficultés. Le guichet unique a pour vocation de faciliter l'ingénierie pour les petites entreprises.
Mme Marie-Sophie Sergent, chargée de mission. - L'objectif du guichet unique est d'aider les entreprises artisanales au montage de dossiers. Pour la prochaine programmation, nous souhaiterions disposer d'une délégation d'instruction ou d'appui au montage de projet, avec une rémunération d'assistance technique sur une quote-part des fonds structurels. L'idée est de massifier le recours à ces fonds pour les toutes petites entreprises, en général peu bénéficiaires de ces derniers. Elles n'ont pas les moyens en interne de monter les dossiers. La chambre des métiers et de l'artisanat aura les moyens d'accompagner les entreprises pour aller chercher des fonds européens et les aider tout au long de la vie du dossier. Nous avons l'ingénierie nécessaire pour le faire. Nous captons des millions d'euros de subventions au titre du FEDER et du FSE. Nous arrivons même dans certains cas à capter des subventions au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et du Fonds européen pour les affaires maritime et la pêche (FEAMP). Nos compétences en interne progressent et nous pourrions les mettre à profit des entreprises artisanales.
M. Jacques Garau. - Nous ne nous interdisons jamais des mutualisations. À Blois, la chambre de commerce et d'industrie et la chambre des métiers et de l'artisanat partagent les mêmes locaux, l'accueil est mutualisé. Lorsque le sujet s'y prête, nous l'acceptons bien volontiers. Mais, pour les fonds européens, je doute que cela fasse sens sur tous les territoires. Les agriculteurs ne voudront pas mutualiser car ils ont une relation très directe avec l'autorité de gestion ; un travail très structuré existe qui va jusqu'à expliquer à l'agriculteur comment son exploitation doit être gérée pour respecter les règles au moment du contrôle par satellite. La filière est complètement intégrée. Avec nos 250 métiers, la situation est très différente. Je ferai toutefois, dans les chambres de commerce et d'industrie, la distinction entre le petit commerce de proximité, qui a des liens très forts avec l'artisanat, et l'entreprise industrielle d'un certain niveau, sans parler des grands groupes axés sur la partie recherche et développement et innovation du FEDER.
Avec le conseil régional, notre relation doit être axée sur la connaissance du territoire et des processus que l'on met en place pour simplifier les outils de financement pour l'artisanat. Les communautés de communes et d'agglomération, dont l'interlocuteur est la chambre départementale - qui bénéficiera de l'ingénierie de la chambre régionale -, ont des compétences d'autant plus importantes qu'avec la réforme des intercommunalités, certaines villes ont étendu le périmètre de leur agglomération très loin dans les territoires. Les villes centre doivent désormais se préoccuper de manière différenciée de l'ensemble de leur territoire.
Je félicite les collectivités d'avoir pris en compte le fait rural et d'avoir cherché à l'organiser. Philippe Richert disait que le rural devient le problème des villes, et les villes doivent être le moteur de la très large périphérie qui les entoure. Nous n'avons pas assez travaillé sur la réciprocité entre les villes et le milieu rural qui les entoure. À mon avis, l'un des enjeux pour les régions est la mise en place de contrats de réciprocité. Les chambres de métiers et de l'artisanat se positionnent clairement comme les chambres des territoires. Je note d'ailleurs que la réforme des chambres de commerce et d'industrie entraîne la création de chambres de commerce et d'industrie métropolitaines qui vont être les agences de développement des métropoles, axées sur la recherche et innovation. Nous craignons qu'elles délaissent par conséquent les territoires. Nous souhaitons ainsi faire le lien entre l'urbain, le rurbain et le rural. En effet, nos artisans interviennent dans ces différents territoires.
Les intercommunalités sont en train de se structurer. Toutefois, elles ne peuvent avoir qu'une ou deux personnes spécialisées, là où la chambre de métiers et de l'artisanat va avoir une demi-douzaine ou une douzaine de développeurs économiques. Je vous donnerai juste un exemple : le conseil régional de Bretagne a annoncé la création d'un service économique d'une douzaine de personnes. Or, la seule chambre de métiers et de l'artisanat du Morbihan compte 12 développeurs économiques. Il faut utiliser les capacités publiques existantes ! Et nous souhaitons être un partenaire extrêmement actif de la future Agence nationale de cohésion des territoires. En effet, nous représentons une part non négligeable de l'ingénierie des territoires mobilisable par cette Agence. Toutefois, je tiens à le préciser, nous ne cherchons pas à nous substituer à qui que ce soit, mais simplement à apporter nos compétences aux collectivités territoriales. Nous sommes d'ailleurs en train de nous doter d'outils numériques afin d'améliorer nos analyses et observations des territoires.
Les collectivités territoriales ont ainsi la possibilité d'utiliser au mieux notre ingénierie afin de mettre en oeuvre les projets décidés par leurs élus. Dans certains territoires, la seule capacité d'ingénierie qui existe à côté de la nôtre est celle du conseil départemental. D'ailleurs, certains conseils régionaux nous demandent désormais de modifier nos habitudes de travail et de se mettre en relation avec eux, plutôt qu'avec les départements. Mais un lien fort demeure avec ces derniers. Je pense notamment aux allocataires du Revenu de solidarité active (RSA). Pour sortir de la précarité, certains allocataires décident de créer une entreprise. Nous sommes le premier réseau pour la création et la reprise d'entreprises. Nous avons donc le devoir d'accompagner les conseils départementaux dans ce domaine. Par ailleurs, nous pouvons soutenir ceux-ci dans la prise en charge des mineurs non accompagnés. En effet, nous savons former des apprentis et sommes en capacité de le faire, sous réserve qu'on nous en laisse le temps. D'ailleurs, la loi nous permet désormais de proposer des apprentissages sur trois ans, contre deux normalement, pour ces publics. Cela laisse le temps d'acquérir les savoir-faire de base. Par ailleurs, Muriel Pénicaud a repris l'idée que nous avions proposée dans notre Livre blanc sur l'apprentissage : la création d'un « sas à l'apprentissage », désormais appelé la « prépa-apprentissage ». À travers celle-ci, nous pourrons effectivement accueillir des jeunes éloignés de l'emploi. Ainsi, à Nantes, sont formés chaque année 120 jeunes migrants dans le centre de formation d'apprentis.
Le système de la forfaitisation est plus simple à utiliser pour des petits montants. Je laisse le soin à notre chargée de mission de vous présenter notre proposition.
Mme Marie-Sophie Sergent. - Nous souhaitons que soit augmenté le plafond de forfaitisation. Il est aujourd'hui de 20 % pour les opérations inférieures à 500 000 euros, et de 40 % pour les dépenses de personnel dans le cadre du FSE. Nous souhaiterions dans ce domaine que le taux soit porté à 50 %.
M. Jacques Garau. - La variabilité des maquettes est une question récurrente. Il appartient au gestionnaire d'anticiper ces mouvements afin de ne pas mettre les corps de contrôle en difficulté au moment de l'approbation des dépenses. Les difficultés que vous évoquiez peuvent disparaître si chacun se met autour de la table et travaille ensemble pour anticiper ces mouvements. En effet, ces évolutions sont nécessaires, mais doivent se faire tout au long du programme pour prendre en compte la réalité de l'utilisation de ce dernier.
Le transfert aux régions de l'autorité de gestion a été une nouveauté majeure. Il ne s'est pas fait aisément car les transferts de personnels entre l'État et les conseils régionaux ont été faibles. Ainsi, en Alsace, peu de personnels ont été transférés en matière de FSE.
Certains conseils régionaux ont fait le choix de créer une direction dédiée aux fonds européens. D'autres ont intégré cette nouvelle compétence au sein de chaque direction métier. Ces deux modèles présentent des avantages et des inconvénients. Avoir une direction dédiée permet d'être sûr que les procédures soient bien encadrées et assimilées et de réduire le risque de dégagement d'office. En outre, le processus de contrôle est facilité. Mais, dans le même temps, elle présente le désavantage d'être éloignée du terrain, au contraire des directions métiers.
Les progrès que nous avons faits dans l'utilisation des fonds européens viennent de la densification de notre réseau sur ce sujet, avec le renforcement du nombre de chargés de mission dédiés à cette thématique. La régionalisation des chambres de métiers et de l'artisanat va permettre d'intensifier ce processus. D'ailleurs, les trois chambres déjà régionalisées existantes montrent la force de frappe d'une telle organisation, par rapport à une chambre départementale d'une quinzaine de personnes. Il est en effet important d'avoir une organisation régionale pour pouvoir travailler en lien avec l'autorité régionale de gestion des fonds européens.
Nous émettons le voeu, dans la prochaine programmation, qu'il soit fait appel aux chambres de métiers et de l'artisanat et à leur capacité d'ingénierie.
La réunion est close à 18 heures 10.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site Internet du Sénat.
Mercredi 11 juillet 2019
- Présidence de Mme Laurence Harribey, présidente -
Audition commune de Mme Marie Agnès Vibert, cheffe du service de la gouvernance et de la gestion de la PAC, et M. Yves Auffret, sous-directeur de la gestion des aides de la PAC, et de MM. Frédéric Gueudar Delahaye, directeur des pêches maritimes et de l'aquaculture, Andreas Selier, adjoint au sous-directeur de l'aquaculture et de l'économie des pêches, et Pierre Hébert, chef du bureau de la politique structurelle et des concours publics, au ministère de l'agriculture et de l'alimentation
Mme Laurence Harribey, présidente. - Nous vous remercions d'avoir répondu à notre sollicitation pour nous aider à comprendre et à approfondir le sujet de la sous-utilisation chronique des fonds européens, bien qu'en la matière, la sous-consommation apparaisse moins évidente que les dysfonctionnements relatifs à l'attribution et au suivi de ces fonds.
Mme Marie-Agnès Vibert, vous êtes cheffe du service de la gouvernance et de la gestion de la politique agricole commune à la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) du ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Vous représentez un interlocuteur incontournable pour le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et le programme Liaison entre actions de développement de l'économie rurale (LEADER). La Cour des comptes a mis en évidence plusieurs dysfonctionnements concernant la gestion du FEADER et la confusion des rôles entre l'État, l'Agence de services de paiement (ASP) et les régions. Vous êtes accompagnée de M. Yves Auffret. M. Frédéric Gueudar-Delahaye est le directeur des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) au ministère de l'agriculture et de l'alimentation ; il est accompagné de M. Pierre Hebert. La DPMA est en charge de la mise en oeuvre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), dont environ 30 % de l'enveloppe est gérée par les régions.
Mme Marie-Agnès Vibert, cheffe du service de la gouvernance et de la gestion de la politique agricole commune à la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises du ministère de l'agriculture et de l'alimentation. - Le FEADER soutient des actions dans le domaine agricole, forestier et rural. Lors de la précédente programmation, pour la période 2007-2013, la maquette du fonds a attribué 7,6 milliards d'euros à la France, consommés à 97 %, chiffre officiel après la clôture définitive des comptes par la Commission européenne. Le programme LEADER, destiné aux initiatives locales en faveur de la ruralité, peut bénéficier de 5 % des crédits du FEADER : sur 361 millions d'euros, 342 millions d'euros, soit 95 %, ont été dépensés entre 2007 et 2013.
Pour la programmation 2014-2020, l'enveloppe de LEADER atteint 713 millions d'euros, pour 12 milliards d'euros destinés au FEADER. Pour celui-ci, à la fin du mois de mai, le taux d'engagement s'établissait à 65 %, et le taux de paiement à 51 %, bien qu'aucun dégagement d'office contraint n'ait été enregistré. La France se place en onzième position sur vingt-huit en matière de consommation des crédits, avec un taux plus élevé que celui observé dans les États membres fédéraux ou à organisation régionale, comme l'Allemagne, l'Espagne ou l'Italie. LEADER démarre plus lentement, avec un taux d'engagement à 22 %, et un taux de paiement à 7 %. Avec une enveloppe de crédits deux fois plus importante que lors de la programmation précédente, il convient de mobiliser de nouveaux territoires autour du dispositif. Le nombre de groupes d'action locale (GAL) est également supérieur.
M. Yves Auffret, sous-directeur de la gestion des aides de la politique agricole commune à la DGPE. - Les conseils régionaux, autorités de gestion du FEADER, ont sélectionné, pour la période 2014-2020, 338 GAL couvrant 27 000 communes, soit cent GAL supplémentaires par rapport à la dernière programmation.
Mme Marie-Agnès Vibert. - Lors de la précédente programmation, 80 % des paiements de LEADER sont intervenus au cours des trois dernières années, entre 2013 et 2015 ; un phénomène identique pourrait se produire entre 2021 et 2023. Le dispositif monte en puissance et le nombre de paiements augmente. La dynamique, toutefois, varie en fonction des dispositifs et des régions, pour le FEADER, dont 65 % des sommes sont déjà engagées, comme pour LEADER. Certaines mesures, relativement systématiques, sont ainsi payées annuellement selon la surface de l'exploitation agricole : l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), due en fonction du nombre d'hectares en zone en difficulté, par exemple. Les mesures liées à l'investissement ou celles qui font appel à des projets compliqués à mettre en place tarderont en revanche davantage à être payées. Plus précisément, l'ICHN enregistre un taux d'engagement de 73 %, les dispositifs agro-environnementaux et les aides à l'agriculture biologique entre 75 % et 80 %, et les mesures d'investissement dans les exploitations agricoles de 65 %.
Les dispositifs financés par le FEADER visent à favoriser le développement économique des zones rurales, dans le respect de critères environnementaux. Ils font l'objet d'évaluation à mi-parcours de la programmation. Au mitan de l'année 2019, les premiers rapports d'évaluation seront transmis à la Commission européenne pour quantifier l'apport des mesures entreprises en termes d'emploi, de développement économique, d'amélioration de la qualité de l'environnement et de prise en compte des enjeux climatiques.
Le fonctionnement du FEADER repose sur les régions, autorités de gestion, sur l'ASP et sur l'État.
M. Yves Auffret. - Pour la programmation 2014-2020, la France a choisi une mise en oeuvre décentralisée du FEADER, accompagnée d'un cadrage national. Il existe ainsi vingt-sept programmes de développement rural régionaux mis en place par chaque autorité de gestion. Toutefois, 6 % du FEADER demeurent sous la responsabilité du ministère de l'agriculture et de l'alimentation pour financer le programme spécifique du réseau rural national et le programme national de gestion des risques et d'assistance technique. Le cadrage national figure dans un document, validé par la Commission européenne en juillet 2015, précisant le contenu des vingt-et-un programmes régionaux de France métropolitaine en matière d'installation des jeunes agriculteurs, de protection des troupeaux contre la prédation, de mesures agro-environnementales et climatiques, d'aide à l'agriculture biologique et d'ICHN. Il comprend également des dispositifs liés à Natura 2000, politique du ressort du ministère en charge de l'environnement. Les cinq programmes de développement régionaux ultramarins et celui de la Corse ne sont pas soumis au cadre national. Les autorités de gestion négocient directement avec la Commission européenne et sont responsables de la mise en oeuvre, de l'instruction des dossiers au paiement, du suivi et de l'évaluation des dispositifs.
L'ASP constitue l'organisme payeur du FEADER, agréé par la Commission européenne, sauf pour la Corse, où la mission est dévolue à l'Office du développement agricole et rural de Corse (ODARC). L'Agence est garante vis-à-vis de la Commission européenne de la régularité et de la conformité des paiements réalisés au droit européen et national, sous le contrôle de la Commission de certification des comptes des organismes payeurs des dépenses financées par les fonds européens agricoles (CCCOP). L'ASP est responsable des systèmes d'information Isis et Osiris.
Enfin, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, bien que n'étant plus l'autorité de gestion pour la majorité des programmes, demeure l'autorité de coordination des politiques de développement rural. À ce titre, il rédige et négocie le cadre national avec la Commission européenne. Il est le cofinanceur unique de certaines mesures du FEADER, comme l'installation des jeunes agriculteurs ou l'ICHN, finance les systèmes d'information et se pose comme garant de la protection des intérêts financiers de l'Union européenne vis-à-vis de la Commission européenne.
Mme Marie-Agnès Vibert. - Les rôles et les responsabilités de chacun se trouvent quelque peu enchevêtrés. Le ministère assure la tutelle de l'ASP, opérateur de l'État travaillant en l'espèce pour les régions. L'ASP délègue l'instruction d'un grand nombre de mesures aux services de l'État, puisque les agents en charge de l'instruction de dispositifs comme l'ICHN ou les aides à l'investissement dans les exploitations agricoles se trouvent dans les directions départementales des territoires (DDT) placées sous l'autorité du préfet.
Cette complexité n'empêche pas un contrôle efficace répondant à une organisation perfectionnée. Ainsi, la totalité des dossiers fait l'objet d'un contrôle administratif sur pièce, et 5 % des dossiers d'un contrôle sur place réalisé par l'ASP. L'Agence effectue également des contrôles de second rang auprès des autorités de gestion. Interviennent, en outre, des auditeurs externes, comme la CCCOP qui publie chaque année pour la Commission européenne un rapport sur la régularité, l'exhaustivité et la véracité des comptes de l'ASP et réalise un test de re-performance sur une centaine de dossiers pris au hasard ; la Cour des comptes européenne qui, dans le cadre de sa déclaration d'assurance, vérifie chaque année environ 150 dossiers FEADER ; enfin, la direction générale AGRI de la Commission européenne qui mène des enquêtes de conformité sur la mise en oeuvre des mesures du FEADER par les États membres - sept sont en cours pour la période 2014-2020. Nous avons été amenés à renforcer nos procédures en fonction des remarques des corps de contrôle, notamment sur le critère de caractère raisonnable des coûts dans un projet d'investissement, sur la conformité au droit des marchés publics et sur la réglementation applicable aux aides d'État.
Le taux de rejet des dossiers FEADER, sachant qu'un certain nombre ne sont finalement pas déposés, s'établissait à 8 % en 2015 s'agissant des mesures agro-environnementales (MAE). Les raisons d'une telle décision étaient diverses : non-respect des règles d'éligibilité liées au territoire, des règles d'éligibilité de l'exploitation, des règles d'éligibilité pour entrer dans la mesure (ratios de surface, taux de chargement d'effectifs d'animaux) ou des règles de cumul des aides à l'exploitation.
Le choix de la région comme autorité de gestion du FEADER s'est accompagné, en 2015, d'un transfert d'agents de l'État vers les conseils régionaux pour les missions de pilotage des mesures. Après négociation entre les préfets et les régions, le transfert a été compris entre deux et cinq emplois équivalents temps plein (ETP) par région, soit un total de soixante-huit postes. Des conventions ont été signées et le transfert s'est déroulé sans accroc. En revanche, l'instruction des dossiers du FEADER relève toujours des services de l'État ; 600 agents en sont chargés dans les DDT, dont 400 consacrés à l'ICHN, aux MAE et aux aides à l'agriculture biologique. A contrario, les dossiers LEADER sont instruits pas les régions. Dans le cadre national défini par la DGPE, sont adoptés des textes réglementaires, des instructions techniques destinées aux services instructeurs - DDT, ASP et régions -. L'ASP élabore des consignes d'utilisation des outils Isis et Osiris. Les contrôles de re-performance menés par l'ASP indiquent que la mise en oeuvre effective des consignes progresse dans les régions, même si la cohérence d'ensemble demeure encore insuffisante.
Mme Annick Billon. - Pourquoi la France est-elle au 11e rang en termes d'utilisation des fonds ? S'agit-il d'un problème d'organisation ? Les acteurs concernés par le contrôle ne sont-ils pas trop nombreux ? Ne pourrait-on simplifier le contrôle afin d'apporter davantage de lisibilité et d'efficacité ? Vous dites que le ministère est une autorité de coordination. La séparation entre les fonctions de gestion et celles de coordination n'ajoute-t-elle pas de la complexité au système ? Peut-on se satisfaire du fait que les choses « aillent à peu près », compte tenu des sommes en jeu ? S'agissant des MAE, le taux de rejet est de 8 %. C'est un sujet vital pour la pérennité des exploitations agricoles. Lorsque les critères d'éligibilité évoluent dans le temps, il arrive que des agriculteurs ne bénéficient plus des mêmes aides. J'ai ainsi manifesté en Vendée, il y a deux ans, pour défendre plusieurs d'entre eux.
M. Pierre Louault. - Un certain nombre d'acteurs dénoncent la façon dont la France gère les fonds européens et le manque de concertation entre les différents partenaires. Chaque organisme semble en remettre une couche, ce qui crée des dysfonctionnements. Par ailleurs, des problèmes de logiciels nous ont valu des pénalités portant sur les surfaces agricoles. Pour les MAE, il y a de nombreux problèmes de saisie. Sera-t-on enfin capable de simplifier et de se concerter ?
Les moyens de l'ASP doivent être confortés par les services départementaux du ministère de l'agriculture. Ne va-t-on pas ainsi éloigner du terrain la gestion et l'instruction des dossiers ? La logique du dispositif échappe aux fonctionnaires de terrain... La simplification est une priorité nationale !
Mme Marie-Agnès Vibert. - Devant la France, qui est au 11e rang, il y a des États de superficie plus réduite ou comptant peu d'habitants, tels que la Finlande, la Lituanie, l'Autriche, l'Irlande ou le Luxembourg, mais nous préférons nous comparer à des États régionalisés, dans lesquels le système est par définition plus compliqué. À cet égard, nous sommes au-dessus de la moyenne générale de l'Union européenne.
La situation n'est cependant pas satisfaisante et nous devons parvenir à désenchevêtrer les responsabilités. Nous sommes cependant dans un cadre communautaire, avec l'obligation d'avoir un organisme payeur et d'assurer des contrôles. La complexité n'est pas liée à ces contrôles. C'est sur le nombre des mesures et la simplification des critères qu'il faudra agir à l'occasion de la prochaine programmation.
Pour ce qui concerne les MAE, vous avez évoqué, Madame Billon, un cas particulier...
Mme Annick Billon. - Ils étaient plusieurs !
M. Pierre Louault. - Trois ans de retard dans les paiements !
Mme Marie-Agnès Vibert. - Les enveloppes dans les régions étant limitées, lorsqu'un grand nombre d'agriculteurs demandent à bénéficier des aides, il faut mettre en place des plafonnements par hectare ou bien définir des priorités, ce qui a pu occasionner des retards.
Le rattrapage du paiement des MAE est un chantier prioritaire, en voie d'achèvement. Les avances de trésorerie remboursables ont, quant à elles, été versées dans des délais normaux. Nous avons terminé de payer les MAE au titre de 2015.
M. Pierre Louault. - Si l'on devait payer les hauts fonctionnaires au même rythme !...
Mme Marie-Agnès Vibert. - Il reste à traiter quelques cas particuliers relevant de 2016. Pour 2017, le taux de paiement des MAE est de 85 %. La campagne pour 2018 a commencé en mars 2019, ce qui est un calendrier normal.
Il arrive que l'ASP, qui est l'organisme payeur et qui est responsable de l'instruction, délègue celle-ci. L'hypothèse avait été posée en France d'intégrer les services instructeurs au sein de l'Agence, mais il a finalement été décidé que l'instruction serait faite au plus près des bénéficiaires via un guichet unique. Pour sécuriser les paiements, on a formalisé la délégation de l'ASP vers les services instructeurs.
- Présidence de M. Pierre Louault, vice-président -
M. Pierre Louault, président. - Nous passons au sujet suivant : le FEAMP.
M. Frédéric Gueudar-Delahaye, directeur des pêches maritimes et de l'aquaculture au ministère de l'agriculture et de l'alimentation. - Le FEAMP, qui semble être le « petit frère » du FEADER, en diffère sur plusieurs points.
Premièrement, il y a une différence d'échelle : l'enveloppe pour la France du FEAMP, s'élève, pour l'ensemble de la programmation 2014-2020, à 588 millions d'euros. Cela représente un peu plus de 80 millions d'euros par an et 10 % de l'enveloppe communautaire de ce fonds. La France en est le deuxième bénéficiaire après l'Espagne qui reçoit quasiment le double de crédits.
Deuxièmement, le cadre règlementaire communautaire est différent, du fait en particulier de cette différence d'échelle. Ainsi est-il prévu une autorité de gestion unique, contrairement à ce qui existe pour le FEADER. Les États fédéraux, notamment l'Allemagne, ont dû prendre des dispositions constitutionnelles pour s'adapter à ces règles. Le FEAMP ne comprend pas d'organisme payeur, au sens du FEADER. L'architecture est donc la suivante : une autorité de gestion unique, des organismes intermédiaires qui sont les délégataires de celle-ci, une autorité de certification, une autorité chargée de l'audit et un organisme de paiement qui est l'agent comptable de l'ASP. En 2014, le principe de décentralisation a été recherché au maximum pour donner, dans le cadre communautaire, le plus grand nombre de pouvoirs aux régions.
Troisièmement, l'objectif du FEAMP est la mise en oeuvre de la politique commune des pêches, y compris dans ses dimensions régaliennes ou collectives. Ainsi, une grande partie de l'enveloppe est consacrée à la connaissance scientifique des stocks halieutiques et au traitement des données, ainsi qu'au financement des mesures de contrôle. L'État est, à ce titre, l'un des bénéficiaires du FEAMP, ce qui n'est pas le cas pour les autres fonds. Il y a aussi une dimension économique en termes de soutien à l'investissement productif, qui est assez limité en matière de pêche afin d'éviter la surpêche, mais important en faveur de l'aquaculture et des volets transformation et commercialisation.
Le FEAMP inclut également le soutien à l'outre-mer.
À ce jour, sur l'enveloppe globale dont bénéficie notre pays, le montant des engagements est de 37 %, et celui des paiements de 20 %, ce qui est relativement faible, mais dans la moyenne communautaire - la France est devant l'Espagne, l'Italie et la Pologne, et derrière les « petits » États membres. Les pays dont le taux de paiement est plus élevé que le nôtre ont fait des choix drastiques de limitation des mesures mises en oeuvre et de ciblage des aides sur quelques priorités stratégiques.
Il existe une complexité particulière en France, liée à l'ambition d'utiliser ces fonds pour soutenir le maximum d'entreprises et de projets ; d'où la complexité de gestion qui en découle. Les problématiques de coût raisonnable, par exemple, induisent des lourdeurs dans le montage des dossiers.
Le faible taux de consommation s'explique aussi par les deux années blanches correspondant à la mise en place du dispositif.
Le Fonds s'inscrit désormais dans une logique de programme opérationnel national, avec un dispositif préalable de validation au niveau communautaire. Tout cela prend du temps...
Le règlement FEAMP entrant en application le 1er janvier 2014, n'a toutefois été finalisé qu'en avril 2014, et les premiers paiements ont eu lieu en 2016. Ce sont également les porteurs de projets institutionnels qui en ont pâti.
Notre principal objectif, partagé par les États membres et par la Commission, est d'éviter à l'avenir ces retards. C'est la raisons pour laquelle la Commission a introduit des mesures de simplification dans la définition des actions : elle a notamment remplacé une liste positive - ce qui est autorisé - par une liste négative - ce qui est interdit.
Le projet de règlement nous permet aussi de réutiliser l'expérience acquise sur les procédures d'instruction et de paiement.
Mme Annick Billon. - L'effort de décentralisation semble être synonyme de simplification et de meilleur fonctionnement. Le premier bénéficiaire du Fonds est l'Espagne. Pourquoi reçoit-elle le double des aides dont bénéficie la France, alors que notre façade maritime est bien plus importante ? L'État est-il aussi le principal bénéficiaire des fonds en Espagne ? Sinon, comment expliquer qu'il le soit en France ?
Sénatrice de la Vendée, je parcours les criées des Sables-d'Olonne, de Saint-Gilles-Croix-de-Vie ou de l'Ile d'Yeu. La pêche se porte bien, mais la flotte est ancienne et les métiers souffrent d'un manque d'attractivité. Le FEAMP pourra-t-il aider nos pêcheurs de l'Atlantique et de la Manche en cas de Brexit dur ?
M. Frédéric Gueudar-Delahaye. - L'enveloppe de l'Espagne au titre du FEAMP est de 1,16 milliard d'euros, le double de la France. Les crédits ont été répartis entre pays en fonction de l'importance du secteur de la pêche dans l'économie. Le secteur est deux fois plus important en Espagne qu'en France, comme l'aquaculture.
Mme Annick Billon. - La France a longtemps été en avance sur l'aquaculture, elle ne l'est plus car on a multiplié les barrières en raison notamment de la loi littoral.
M. Frédéric Gueudar-Delahaye. - L'État est le principal bénéficiaire des fonds, mais cela ne veut pas dire qu'il capte les fonds. Le premier bénéficiaire est l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), au titre de sa mission de connaissance scientifique des ressources et d'analyse des données de pêche, avec une enveloppe de 6 millions d'euros, soit 8 % de l'enveloppe. L'IFREMER mène aussi des projets de recherche avec les professionnels et bénéficie aussi de crédits à ce titre. La problématique de la pêche n'est pas seulement liée à la flotte et aux volumes des prises. Il faut aussi connaître les stocks halieutiques afin de maximiser les prises tout en garantissant le renouvellement des stocks.
Les règles européennes, et même internationales, visent à prévenir la surpêche. C'est dans l'intérêt des pêcheurs. Il y a 30 ans, on subventionnait la construction des bateaux. Pendant une dizaine d'années, on a eu plutôt tendance à mettre en place des plans de réduction de la flotte. Aujourd'hui, on considère qu'il vaut mieux financer la recherche et la connaissance, plutôt que financer des investissements productifs. Mais cela n'empêche pas le renouvellement de la flotte. Pour limiter les entraves administratives, nous avons lancé, il y a deux ans, une réforme pour simplifier les procédures relatives aux permis de mise en exploitation. Cela porte ses fruits. On construisait 20 navires par an en 2010, on en a construit 93 l'an dernier. Le nombre de constructions pour renouvellement a quintuplé grâce à l'amélioration de la situation économique de la filière.
Avec le Brexit, le principal enjeu est l'accès aux eaux britanniques. En cas de Brexit sans accord et de fermeture des zones de pêche britanniques, certains pêcheurs ne pourront pas se reporter sur d'autres zones. Dans l'attente de l'aboutissement des négociations avec le Royaume-Uni, seule solution viable à terme, nous proposerons, dans le cadre du FEAMP, une indemnisation à ceux qui resteront au port.
En ce qui concerne l'aquaculture, l'enjeu principal est celui des conditions d'installation des exploitations. Le FEAMP est très efficace pour les financements, avec un taux d'engagement élevé, de l'ordre de 60 %, mais on se heurte à des difficultés d'ordre réglementaire ou liées à l'acceptation sociale ou économique des exploitations. Les exploitations ne doivent pas porter atteinte, en effet, aux milieux naturels. Sans remettre en cause les contraintes environnementales, nous cherchons à alléger les procédures, lourdes pour des entrepreneurs individuels qui n'ont pas les moyens d'engager des cabinets d'étude. Les riverains n'acceptent pas toujours l'installation d'une exploitation conchylicole ou ostréicole. Les contentieux sont nombreux. Enfin, le littoral fait l'objet de conflits d'occupation divers car c'est un espace de tourisme et de détente recherché.
Mme Annick Billon. - Avez-vous prévu une enveloppe en cas de Brexit dur ? Comment est-elle calculée ?
M. Frédéric Gueudar-Delahaye. - Nous avons ciblé les bateaux qui réalisent plus de 20 % de leur chiffre d'affaires dans les eaux britanniques : ainsi 200 bateaux seront éligibles au dispositif d'arrêt temporaire. Le mécanisme repose sur le volontariat. Nous ne savons pas combien de pêcheurs vont choisir cette option. Il est probable, par exemple, que les navires qui pêchent au Nord de l'Ecosse devront rester à quai car ils n'ont pas de solution de repli dans d'autres eaux. Tout dépendra des choix et surtout des possibilités alternatives que peuvent trouver les pêcheurs en fonction de leur activité. Par précaution, nous avons prévu une enveloppe de 20 millions d'euros.
M. Pierre Louault, président. - Quels que soient les fonds, on constate des difficultés récurrentes de gestion, de mise en paiement, de saisie, etc. Des appels d'offre sont en cours pour trouver de nouveaux opérateurs. L'ASP se renforce. Pensez-vous que les outils d'information et de gestion seront bien adaptés aux besoins dans les années à venir ? Le ministère de l'agriculture réfléchit-il à une simplification de ses systèmes en la matière ? Actuellement, ils ne fonctionnent pas très bien.
Mme Marie-Agnès Vibert. - Il est difficile de dire qu'ils ne fonctionnent pas dans la mesure où l'on paie les aides aux agriculteurs du premier pilier de la PAC, soit 7 milliards d'euros par an, et du deuxième pilier, soit 2 milliards d'euros. Les difficultés que l'on a connues en 2015 résultaient de la concomitance de deux facteurs. Tout d'abord, la nécessaire remise à niveau du registre parcellaire graphique. La Commission européenne avait pointé des dysfonctionnements et nous avait demandé de mettre en place un plan d'action rapide de remise à niveau. La France n'était pas isolée dans ce cas. D'autres États ont aussi été confrontés à des refus d'apurement importants. Cette remise à niveau a dû intervenir au moment où la nouvelle programmation 2014-2020 entrait en vigueur. Or, celle-ci comportait de nouveaux dispositifs qu'il fallait mettre en place, comme le verdissement de la PAC, ce qui impliquait de construire un nouveau système informatique pour répondre aux exigences. Finalement, les difficultés ont pu être surmontées. La prochaine PAC, pour la période 2021-2027, est en cours de négociation. La Commission propose un budget en baisse et la France souhaite un maintien au niveau actuel. Le périmètre des mesures du deuxième pilier ne devrait pas changer. En revanche, le mode de mise en oeuvre évoluera, avec plus de subsidiarité et donc moins de règles édictées depuis Bruxelles. En conséquence, nous aurons la responsabilité de simplifier, en concertation avec tous les partenaires, pour parvenir à un nombre de mesures limité, avec des critères simples d'utilisation. Nous devrons aussi présenter à la Commission un plan stratégique national unique (PSN) recensant toutes les interventions, tant du premier que du deuxième pilier. Nous sommes en train de le préparer, en lien avec les régions. L'ASP se prépare aussi car elle sera organisme payeur. Elle devra consolider toutes les informations à transmettre à la Commission chaque année dans le cadre du rapport annuel de performance. Nous anticipons le plus possible pour être prêts le moment venu. La grande difficulté sera de résister aux demandes de prise en compte des cas particuliers. Si nous n'y arrivons pas, nous aurons 9 000 mesures différentes...
M. Pierre Louault, président. - Autre dossier sensible : le programme LEADER, qui rapproche l'Europe du terrain, mais dont la gestion coûte 3 000 euros par dossier ! Oui, il faudra simplifier ou désigner un organisme gestionnaire comme les départements le sont pour le Fonds social européen. Ce n'est pas récent, mais cela s'est aggravé cette année. Nous sommes nombreux à avoir été présidents de GAL, nous connaissons donc bien la question. Avez-vous des propositions dont nous pourrions nous faire les porte-voix ?
Mme Marie-Agnès Vibert. -Il ne faut pas perdre un ancrage territorial proche : c'est ce en quoi les GAL sont utiles. Mais nous devons toujours nous assurer que les fonds européens aillent bien aux bons destinataires. . Des mesures de formation ont été mises en place à travers le réseau rural national, afin que les règles et les procédures soient bien comprises.
Pour l'avenir, il faut travailler sur la simplification des interventions, et des critères d'éligibilité, pour que la mise en oeuvre s'en trouve simplifiée.
Une autre piste de simplification consiste à ne pas changer les règles trop souvent.
M. Pierre Louault, président. - Pourrait-on négocier avec l'Europe une simplification des pièces à fournir ? Pour obtenir 5 000 euros de subvention pour l'animation locale, il faut remplir un dossier énorme. Ne pourrait-on pas imaginer trois ou quatre règles simples ? Dans un dossier très récent, nous avons dû fournir le procès-verbal de l'élection du maire !
M. Frédéric Gueudar-Delahaye. - La logique de contrôle nous oblige à faire des efforts énormes pour éviter le sur-contrôle. En effet, le dispositif qui permet d'éviter tout mauvais aiguillage repose sur plusieurs niveaux de contrôle, mais cela incite tous les niveaux à prendre des marges de précautions pour éviter d'être pris en défaut par le contrôle de niveau supérieur.
Pour le FEAMP, nous avons tenté de traduire l'injonction « coût raisonnable » par une exigence de production de trois devis. Nous avons été assaillis par des critiques : il n'y a qu'un seul fournisseur dans la région, il n'y a qu'un seul fournisseur qui soit capable de me vendre telle prestation... Notre difficulté, c'est qu'il n'y a jamais une règle qui convient à tous les cas de figure. Nous avons cherché à responsabiliser tous les échelons et à inciter chacun à prendre sa part de risque, même si cela peut conduire à être critiqué lors du contrôle au niveau supérieur. L'État est aussi bénéficiaire du FEAMP ; il m'est donc arrivé de signer des dossiers de demande de financement, je sais que c'est très lourd.
M. Pierre Louault, président. - Merci d'être venus. Je suis agriculteur, j'ai été président d'une communauté de communes, président de GAL. Tout cela n'est pas nouveau. Il y a certainement un problème de compétence des utilisateurs. Si vous avez des idées que nous pourrions porter, n'hésitez pas à nous les transmettre. Si nous pouvions démarrer le nouveau programme à l'heure, ce serait bien.
La réunion est close à 15h35.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site Internet du Sénat.