Jeudi 27 juin 2019
- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, Président -Table ronde « Le patrimoine historique et culturel des collectivités territoriales »
M. Jean-Marie Bockel, président. - Nous allons commencer cette table ronde consacrée aux différentes problématiques autour de la notion de patrimoine. Je tiens d'abord à remercier mes collègues présents ce matin, en cette période de fin de session parlementaire, ainsi que les personnes qui s'exprimeront devant notre assemblée.
Les différentes thématiques autour du patrimoine sont présentes de manière récurrente dans nos travaux, notamment la question des relations entre les élus et les Architectes des Bâtiments de France, qui suscitent tant des réactions laudatrices qu'agacées.
Conformément aux évolutions législatives, nous ne détenons aujourd'hui aucun autre mandat politique que celui de sénateurs. Toutefois, par le passé, nous avons aussi été maires ; ces questions nous sont donc familières. Certains se sont trouvés dans des situations conflictuelles, souvent en raison d'incompréhensions mutuelles, tandis que d'autres ont tenté de trouver des terrains d'entente. Je peux en témoigner : les compromis nécessitent de prendre du temps.
La situation n'est pas parfaite, je déplore notamment l'absence de la Fondation du Patrimoine parmi nous. Un document sera établi dans le cadre d'un travail plus large sur cette thématique.
Je tiens à accueillir les invités qui interviendront ce matin, et tout d'abord les représentants de Sites et Cités remarquables de France, association présidée par Martin Malvy, un ami de longue date avec qui nous étions ministres au sein d'un gouvernement sous la présidence de François Mitterrand. Chaque fois que je sillonne les chemins de Compostelle - ce que je m'apprête à faire cet été encore -, je ne peux qu'admirer Figeac, qui est un modèle à bien des égards. Martin Malvy est un homme d'influence dans le bon sens du terme. Son association sera représentée par Marie-Annick Bouquay, de la mairie de Vitré, Patrick Geroudet, de la mairie de Chartres et Jonathan Fedy, chargé de mission. La ville de Chartres fait d'ailleurs l'objet d'un travail mené conjointement par Rémy Pointereau ici présent et Marcel Rouquin.
Ensuite, l'Association Nationale des Architectes des Bâtiments de France sera représentée par Saadia Tamelikecht, qui dirige l'Unité départementale de l'architecture et du patrimoine (UDAP) de Seine-Saint-Denis, un département de contrastes, et par Hélène Lebedel, membre du Conservatoire régional des monuments historiques (CRMH) de la région Centre-Val-de-Loire.
Enfin, Laurent Mazurier représentera l'association Petites cités de caractère, qu'il dirige.
D'un point de vue historique, la démarche patrimoniale est assez récente. Le tournant majeur se situe entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, période durant laquelle de nombreux débats concernaient les places respectives occupées par l'Église et l'État. Il semble qu'aujourd'hui l'opinion publique prenne toute la mesure des enjeux réels autour de la notion de patrimoine. Le succès de l'émission télévisée animée par Stéphane Bern à propos des plus beaux villages de France témoigne de cet intérêt. Je ne peux que me réjouir de cette tendance.
À titre personnel, j'ai été le maire de Mulhouse, en Alsace. Au XIXe siècle, cette commune a été quasiment entièrement détruite à l'occasion des divers projets d'aménagement urbain mis en place. De tels constats étaient très courants à cette période car aucune réelle attention n'était portée au patrimoine.
Au début de mon mandat de maire, il y a une trentaine d'années, le réflexe était resté le même, certains souhaitant détruire les vieux quartiers du Moyen-Âge, perçus comme dérangeants. J'ai vécu un tournant des mentalités avec la prise de conscience de la dimension patrimoniale et historique.
Ce changement est allé de pair avec certains conflits assez durs, notamment avec les Architectes des Bâtiments de France, personnes de caractère, qui parfois adoptent une approche dure dans l'exécution de leur mission. Cette attitude est probablement leur manière de réagir face à des projets qu'ils ressentent comme des rouleaux compresseurs. À l'inverse, les élus politiques locaux peinent quelquefois à considérer la dimension patrimoniale dans le cadre de leurs projets d'aménagement.
Malgré cela, plus personne ne conteste aujourd'hui le bien-fondé de l'administration des Architectes des Bâtiments de France au sein du monde politique. Ses fonctions sont absolument essentielles. Les quelques critiques qu'elle suscite expriment davantage une demande de dialogue qu'une remise en cause de son existence.
Au cours de mon expérience, j'ai réussi à trouver des terrains d'entente à de multiples occasions.
Nous commencerons par entendre les représentants de l'association Sites et Cités remarquables de France, puis le représentant de l'association Petites cités de caractère de France, avant de terminer avec les représentantes de l'Association Nationale des Architectes des Bâtiments de France.
Mme Marie-Annick Bouquay, adjointe chargée du patrimoine à la mairie de Vitré. - Je vous remercie de m'avoir conviée à cette table ronde. Afin de traiter le sujet qui nous intéresse tous ce matin, permettez-moi d'évoquer mon expérience de terrain. En effet, je suis conseillère municipale, élue au sein de Vitré, commune qui compte 18 000 habitants. Cette ville est dotée d'un patrimoine remarquable avec un secteur sauvegardé ; elle est par ailleurs classée Ville d'art et d'histoire depuis 1999.
J'aimerais introduire le débat sous la forme d'une question. Quand nous recevons un héritage, qu'en faisons-nous ? En réalité, trois choix s'offrent à nous : le refuser, l'accepter tout en le laissant à l'abandon, ou bien le valoriser pour le futur.
Certains le refusent au nom d'une certaine vision du modernisme, ou bien pour des raisons financières en invoquant le montant élevé des dépenses d'entretien. D'autres le négligent en prétextant subir des contraintes imposées par les Architectes des Bâtiments de France. Cette attitude se retrouve même parmi les habitants.
Je tiens à souligner que le traitement de ces questions relève de choix politiques qui nous engagent pour plusieurs mandats. En résumé, nous sommes souvent confrontés à un dilemme entre rénover le patrimoine ou construire un nouveau terrain de football. Soulignons d'ailleurs à quel point l'entretien du patrimoine peut se révéler compliqué en raison de son coût et de son caractère imprévisible.
Malgré ces contraintes, beaucoup décident de valoriser le patrimoine des communes, y compris parmi les propriétaires. Ces derniers ont besoin d'obtenir un soutien financier dans leurs efforts.
Le patrimoine constitue un élément fort dans l'identité d'une ville. Or, trop souvent, il s'avère que les nouveaux habitants sont ceux qui le révèlent aux anciens. La mondialisation conduit les êtres humains à rechercher leurs racines afin d'être en mesure de situer leur histoire personnelle dans l'Histoire. Dans ce contexte, il est nécessaire pour chacun de connaître l'histoire de sa ville. Cela permet d'améliorer le vivre ensemble, mais aussi de préparer l'avenir. Le patrimoine peut constituer un facteur de cohésion sociale majeur, qui présente la particularité de réunir toutes les générations. Je pourrais illustrer cela par énormément d'exemples concrets, mais je ne dispose pas du temps nécessaire.
En outre, le patrimoine est un élément positif pour l'économie. En effet, l'entretien du bâti représente une source de travail importante pour les entreprises artisanales. En 2012, nous avons lancé trois chantiers de rénovation qui ont nécessité 20 000 heures de travail.
Le patrimoine peut également intégrer la notion de développement durable. Il est possible de maintenir en état des maisons datant du XVe siècle en prenant en compte les enjeux de développement durable.
Valoriser le patrimoine permet aussi de proposer aux habitants un cadre de vie de qualité. Il est donc essentiel d'assurer cette mission, qui requiert la réunion de plusieurs conditions.
La première est la participation de l'État au niveau politique. Une collectivité territoriale ne peut réussir seule cette tâche. Il y a trois ans, une convention entre la région Bretagne et l'État avait été signée. Elle prévoyait un plan pluriannuel de travaux qui nous a permis d'avancer dans l'ensemble des projets relatifs au patrimoine. Comme vous le savez, il est beaucoup plus simple de mener à bien un projet lorsqu'il existe une convention avec l'État, puisque cela permet de dépasser les dissensions locales qui existent.
De même, la participation de l'État est nécessaire sur le plan financier. Autrefois, le reste à charge pour la collectivité s'élevait à 40%. Désormais, nous sommes passés à une part comprise entre 60% et 65%.
Par ailleurs, l'État se doit d'intervenir au niveau administratif, notamment par le biais des processus de défiscalisation, qui s'avèrent indispensables pour les copropriétaires ne pouvant assumer seuls les frais de restauration de leurs biens.
Enfin, au-delà de l'aspect financier, l'État doit aussi agir pour assurer l'harmonisation des règlements entre les différents ministères. Par exemple, dans le cadre de la transition énergétique, comment concilier les prescriptions du ministère de l'Environnement avec celles du ministère de la Culture ? De même, la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) du 7 août 2015 transfère la compétence de l'aménagement du territoire et du tourisme ; dans ce cadre, nous devons nous efforcer de convaincre l'ensemble des acteurs de la nécessité de disposer d'un animateur du patrimoine, malgré son coût. Tous ces éléments rendent urgente une clarification.
Face à ces enjeux, les élus semblent bien désarmés. Ils ne disposent pas de réelles formations au sujet du patrimoine. Sans les réseaux qui s'y intéressent, les élus auraient beaucoup de mal à prendre des décisions satisfaisantes en la matière.
Pour conclure, je tiens à souligner à quel point l'engagement d'une collectivité dans la voie de la valorisation du patrimoine peut ressembler à un labyrinthe. Toutefois et ce faisant, elle fait le choix d'exercer pleinement ses véritables compétences. En effet, son action permettra de créer des activités sociales, culturelles et économiques. Dans l'ensemble des activités humaines, le patrimoine peut trouver sa place. Pour autant, l'accompagnement de l'État se révèle indispensable à la réussite de cette entreprise.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci d'avoir évoqué tous les aspects liés à ce débat. J'invite les autres intervenants à faire preuve d'une certaine concision dans leurs propos, afin que nous puissions avoir le temps d'échanger sur ces questions. Je propose que chacun se limite à cinq-sept minutes.
M. Patrick Géroudet, adjoint chargé de la promotion de la ville à la mairie de Chartres. - Je vous remercie. En tant qu'élu de la ville de Chartres, j'ai le privilège d'être sur un territoire dont le patrimoine est particulièrement riche. De plus, la situation géographique de cette commune, aux portes de l'Ile-de-France, en fait une destination très touristique.
Notre patrimoine est une source d'attractivité pour le tourisme, mais il constitue aussi la mémoire de la ville pour l'ensemble des citoyens. Sous réserve d'être bien entretenu, il permet à la ville de fournir un cadre de vie agréable à la fois pour les familles et pour les entreprises. En conséquence, la qualité de vie induite par nos efforts augmente le flux des touristes.
Je tiens à rappeler que notre cathédrale est le premier site de France, avec Vézelay, à avoir été inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO. Au-delà, l'ensemble de notre patrimoine rend l'ensemble de la ville particulièrement agréable à vivre. En effet, les obligations découlant de la loi Malraux nous ont conduits à rénover l'ensemble des sites patrimoniaux qui rentrent dans son champ d'application. Malheureusement, plusieurs n'ont pas encore été rénovés, ce qui est fort regrettable.
Je l'explique par les difficultés de restauration qui existent pour certains biens. En effet, si l'État est chargé des travaux concernant la cathédrale, ce sont les particuliers qui assument la plus grosse part de l'entretien du patrimoine local. De notre côté, nous aidons au financement des ravalements de façade en centre-ville en prenant 30% des dépenses à notre charge. Cet accompagnement est totalement justifié par l'intérêt que représente le centre-ville dans le tourisme local.
Par ailleurs, nous avons lancé un projet d'envergure : « le boulevard de la culture ». Il s'agit de mettre en place une voie comprenant un cinéma, un théâtre et une médiathèque. Cette dernière a une surface de 5 000 m² et a été installée dans le bâtiment historique de l'ancienne poste. Cet édifice est particulièrement impressionnant, à tel point que certains touristes ont pu penser qu'il s'agissait de la cathédrale.
Reste le problème de la rénovation des églises. L'État nous apporte parfois son soutien, mais il s'avère insuffisant au regard de l'ampleur des besoins. Avec le niveau de financement qu'il nous apporte, nous sommes cantonnés à des travaux de mise aux normes.
Selon moi, l'administration des Architectes des Bâtiments de France est particulièrement nécessaire, elle permet d'éviter des dérives qui seraient inévitables sans son intervention. À titre personnel, il m'arrive d'ailleurs souvent de me réfugier derrière elle pour refuser des projets. Pour autant, j'appelle à ce qu'elle soit plus encline à adapter les règles pour permettre la finalisation de projets ambitieux. Sans cela, son rôle risque de freiner des projets d'intérêt général. Je citerai, à titre d'exemples, l'aménagement du parvis de la cathédrale ou l'aménagement urbain mené à Saint-Martin-en-Val.
Si le patrimoine est une source d'attractivité indéniable en termes de qualité de vie, il peut également l'être au niveau des visites touristiques. Or, nous devons nous poser la question de leur qualité. En effet, suite à la jurisprudence Saintes-Maries-de-la-Mer, nous avons été dessaisis de la compétence relatives aux guides touristiques. Dans cette nouvelle organisation, il faut que l'État agisse pour fixer un cadre permettant de garantir des guides de qualité. À ce jour, les niveaux de qualité s'avèrent très variables dans ce marché déréglementé.
Dans le même ordre d'idées, il faudrait être capable d'assouplir notre lecture du principe de précaution. Par exemple, les horaires de visite pour les tours de la cathédrale ont été resserrés pour éviter certains risques. Selon moi, ces limitations sont excessives.
Je terminerai par l'évocation de notre initiative touristique permettant aux touristes de découvrir Chartres le soir. À ce jour, plus d'un million de visiteurs en ont bénéficié. Ce type de projet participe grandement à l'attrait de notre ville.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Nous allons entendre le directeur de l'association Petites cités de caractère de France, Laurent Mazurier.
M. Laurent Mazurier, directeur de l'association Petites cités de caractère de France. - Je vous remercie. Petites cités de caractère de France est un réseau de petites communes. Leur volonté est de placer la valorisation de leur patrimoine au coeur de leur projet de développement. Dans ce contexte, notre rôle est d'accompagner les élus de ces communes afin qu'ils puissent atteindre cet objectif.
En effet, nos membres sont des communes de petite taille qui ne disposent donc que de moyens limités. L'organisation de notre association, sous forme de réseau, permet de mobiliser plus de fonds et d'élargir en conséquence les possibilités d'actions.
Il me semble important de ne plus réduire la notion de patrimoine à celle de monument. Notre action s'inscrit dans une approche plus large du patrimoine, qui intègre à cette notion tous les éléments cités par les habitants comme en faisant partie. Nous ne limitons pas la notion de patrimoine à une approche touristique.
De même, il faut cesser de penser que le patrimoine ne relève que du ministère de la Culture. Cet élément doit être le fil rouge de la politique municipale dans son ensemble. C'est d'ailleurs la volonté exprimée par plusieurs maires. La question du patrimoine concerne étroitement la notion de mobilité, d'accès à la cité. À ce titre, nous devons appréhender la cité comme un objet patrimonial, dans la mesure où c'est bel et bien le patrimoine qui sert de lien entre tous les habitants.
Dans la prise en compte du patrimoine, les élus locaux ont besoin de l'accompagnement technique des Architectes des Bâtiments de France. Ces derniers sont dotés des compétences dont ne disposent pas la plupart des élus locaux. Bien entendu, il faut que ces experts agissent en tant que conseillers et non comme censeurs. Or, à ce jour, des centaines de communes doivent gérer un patrimoine sans le moindre accompagnement sur les questions techniques. Je déplore fortement cette situation. En outre, nous devons porter un regard moderne sur le patrimoine. Notre vision reste trop souvent ancrée dans le passé.
De quels outils les élus disposent-ils pour mener à bien leur action sur le patrimoine ? Les Aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP) et les Zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) existaient, la loi les a fusionnés dans la notion de Site patrimonial remarquable (SPR). Dans cette tendance à modifier les cadres réglementaires, nous constatons que l'État peine à mettre en place une doctrine stable, ce qui freine les communes dans leurs projets.
Ces différents outils sont satisfaisants. Pour autant, ils ne pourront être efficaces si nous ne sommes pas en mesure de les articuler en fonction des besoins à court ou à long terme.
Enfin, il faut se pencher sur le domaine de la fiscalité. Dans les petites communes, il doit concerner les propriétaires. Nous devons rester concentrés vers un objectif de qualité dans la récolte des données fines. Bien accompagnés, les pétitionnaires peuvent trouver des solutions à des coûts intéressants. Pour ce faire, une action conjointe menée par les élus et les Architectes des Bâtiments de France est nécessaire.
Au sein de l'association, nous agissons sous la forme d'un réseau de communes, lesquelles ont toutes fait preuve d'une démarche d'adhésion volontaire. D'ailleurs, plusieurs cas démontrent que les élus ne sont pas réfractaires à la mise en place d'un SPR, contrairement aux idées reçues.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Nous allons désormais entendre Hélène Lebedel puis Saadia Tamelikecht, qui s'expriment pour l'Association nationale des Architectes des Bâtiments de France.
Mme Hélène Lebedel, conservatrice à la Conservation régionale des monuments historiques région Centre-Val-de-Loire. - Je vous remercie de m'avoir invitée à m'exprimer, je tenterai d'être concise. Je suis conservatrice à la Conservation régionale des monuments historiques (CRMH) de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) de la région Centre-Val-de-Loire.
Je tiens d'abord à souligner à quel point la question du patrimoine doit s'appréhender sur le temps long. Or, cette notion est parfois difficile à conjuguer avec le temps politique, trop souvent concentré sur le court terme. Notre rôle de conservateur est justement de rappeler aux élus la nécessité de se projeter dans le temps.
Mon métier de conservateur est très peu connu du grand public, qui ne le conçoit que dans le cadre des musées. Nous sommes pourtant amenés à intervenir dans des domaines bien plus larges. De même, la notion de monument est peu évidente à cerner.
S'agissant de la restauration des monuments, les budgets sont colossaux, et je déplore que nous ne communiquions pas plus sur nos projets. À titre d'exemple, les travaux concernant la cathédrale de Chartres ont nécessité un budget de cinq millions d'euros.
Chaque DRAC gère en moyenne deux départements. Ce maillage territorial aboutit à ce que nous totalisions 45 directions en France. Nous nous déplaçons sur l'ensemble des territoires, y compris dans les petits villages. Notre objectif est de créer un véritable partenariat avec les élus locaux, le plus en amont possible des projets. Nous pouvons ainsi mettre en place une relation humaine de confiance et créer des conditions propices à la réussite des projets. En somme, l'État vise à apporter son expérience scientifique et technique aux collectivités à travers l'intervention des DRAC.
Le risque est d'arriver trop tard. Or, notre expérience démontre que l'intervention le plus tôt possible est la clé de la réussite d'un projet. Je peux notamment citer le cas d'une grande entreprise qui a été capable d'installer son siège social au sein d'un monument.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous remercie infiniment. Écoutons maintenant Saadia Tamelikecht.
Mme Saadia Tamelikecht, cheffe de l'Unité départementale de l'architecture et du patrimoine de Seine-Saint-Denis. - Merci vivement de cette invitation. Énormément de choses intéressantes nous ont été rappelées. Je ne présenterai pas les Architectes des Bâtiments de France dont vous connaissez tous le rôle en tant qu'élus locaux.
Pour en revenir à notre thématique de la matinée, à savoir le patrimoine historique et culturel des collectivités locales, je voudrais insister sur l'importance de votre mission. En effet, vous avez été choisis par les électeurs pour porter des projets qui concernent directement le patrimoine. Or, le patrimoine constitue un élément à part entière du service public.
Dans ce contexte, il est difficile de fédérer l'ensemble des acteurs autour des projets liés au patrimoine puisque la notion de service public est parfois compliquée à articuler avec votre projet politique.
L'idée serait de comparer le patrimoine à une malle au trésor. Certes, vous n'êtes pas tenus de restaurer une église entière durant votre mandat. Toutefois, lorsque vous êtes sollicités pour construire une crèche, par exemple, pourquoi ne pas réfléchir à utiliser un élément du patrimoine afin d'accéder à cette demande ? Bien entendu, toutes les réaffectations ne sont pas possibles, mais cet axe de réflexion est intéressant puisqu'il éviterait de délaisser le patrimoine.
Par ailleurs, je souligne la difficulté de la tâche à accomplir, notamment du fait de l'évolution des modes de vie. L'aménagement du patrimoine face aux nouveaux modes de déplacement est parfois contraignant.
Je tiens également à tous vous remercier pour vos propos positifs à l'égard des Architectes des Bâtiments de France. J'aimerais d'ailleurs rappeler que la compétence technique relève de la Conservation régionale des monuments historiques(CRMH), tandis que les Architectes des Bâtiments de France sont dotés d'un rôle global d'expertise historique. Par conséquent, les seconds sont censés intervenir sur le terrain juridique, et pas seulement technique. Toutefois, bien souvent, ils sont contraints de gérer l'intégralité de l'aspect technique lorsque certains territoires ruraux sont dépourvus de toute compétence en la matière.
Durant ma carrière, j'ai occupé des fonctions dans des zones rurales mais aussi en banlieue. J'ai pu constater qu'il existait une réelle volonté politique à l'égard du patrimoine. Pour autant, je déplore de n'avoir vu que trop rarement des compétences techniques dans ce domaine. Souvent, ce type d'expertise ne se trouve qu'à partir d'un certain niveau de collectivité.
Or, chers élus, j'affirme que ne pas disposer de compétences techniques constitue un problème majeur. Comment êtes-vous en mesure de mener à bien des projets ambitieux sans ces compétences ? Dans ces conditions, il me semble impossible de vous prémunir contre des risques ultérieurs.
Le patrimoine, qu'il soit protégé ou pas, est omniprésent dans les projets que vous menez au cours de vos mandats. C'est un territoire qui vous est légué et qui a vocation à l'être à nouveau par la suite. Le cadre administratif vous est familier, et les Architectes des Bâtiments de France peuvent vous accompagner utilement lorsque vous ne parvenez pas à obtenir l'adhésion de vos électeurs.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous remercie. J'aimerais apporter une nuance sémantique. En tant qu'élus politiques, nous aussi menons une action de service public. De plus, nous avons souvent tendance à appréhender les choses à travers notre propre expérience.
J'ai été maire d'une grande ville, et les discussions que j'ai eues avec les Architectes des Bâtiments de France ont parfois été très intéressantes. Par exemple, j'avais hérité de trois casernes inoccupées, à l'architecture remarquable. Au fil du temps, elles ont été exposées à un risque élevé de tomber en ruines. Au cours des discussions menées avec les Architectes des Bâtiments de France, ces derniers m'expliquaient que les façades étaient intouchables dans la mesure où elles rappelaient le style du Palais Pitti. Au final, nous sommes parvenus à trouver un compromis : nous avons pu détruire la moitié des façades pour construire un projet de logements sociaux. Ce cas démontre que face aux réalités, des solutions médianes doivent et peuvent être trouvées.
Je me tourne désormais vers mes collègues qui ont tous des remarques à apporter et des questions à poser à nos différents intervenants.
M. Antoine Lefèvre. - Nous sommes tous passionnés par ce sujet qui nous tient à coeur. J'ai été maire de Laon, qui possède une cathédrale. Contrairement à la plupart des cathédrales, celle-ci relève de la compétence de la commune. C'est un joyau médiéval. Or, quand j'ai accédé à mes fonctions de maire en 2001, beaucoup de discours tendaient à qualifier cette compétence de contrainte. J'avais pour habitude de répondre que des solutions étaient possibles afin de transformer cette situation en atout pour le développement local.
En outre, je tenais à réagir à l'intervention réalisée par Saadia Tamelikecht. Je constate que le métier d'Architecte des Bâtiments de France a connu une évolution positive, à laquelle j'ai pu assister. Avec l'ancienne génération, nous nous regardions en chiens de faïence, sans nous comprendre. En tant qu'élus, nous considérions que cette corporation était trop rigide.
Peu à peu, cette situation a évolué. Ainsi, nous avions instauré une réunion mensuelle avec les Architectes des Bâtiments de France, rituel qui a permis de mettre en place une certaine pédagogie et, à terme, de sortir de cette vision caricaturale.
Par ailleurs, je vous transmets une observation de la part de Rémy Pointereau, qui a été contraint de partir. Certains citoyens se déclarent désorientés face à l'inflation des labels au sujet du patrimoine. Une réflexion approfondie serait nécessaire pour que l'opinion publique puisse mieux comprendre à quoi correspondent tous ces labels.
Je terminerai en évoquant le rôle des conservateurs. Selon moi, un travail en amont doit être mené, sans lequel des incompréhensions peuvent apparaître, notamment en raison des différences de langage. Par exemple, réaliser des travaux dans une abbaye pour y installer un hôtel implique de s'interroger sur énormément de paramètres, tels que l'accessibilité.
J'appelle de mes voeux au développement et à l'amélioration des liens entre les élus et l'ensemble des acteurs du patrimoine.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci, Antoine Lefèvre, pour ces remarques. Écoutons maintenant Christian Manable, puis Sonia de la Provôté.
M. Christian Manable. - Je tiens à remercier l'ensemble des intervenants pour leurs exposés très intéressants. Étant membre de la commission de la Culture du Sénat, je ne peux que me féliciter d'avoir entendu les élus vanter les mérites des Architectes des Bâtiments de France. En effet, ces derniers sont bien souvent décriés parmi les élus.
Or, tant les conservateurs que les Architectes des Bâtiments de France assurent un rôle technique et juridique essentiel pour la préservation du patrimoine. La mission des Architectes des Bâtiments de France doit être interprétée comme du conseil et non comme de la censure.
À ce jour, je déplore que l'application de certaines règles soit variable d'un département à l'autre, voire d'un architecte à l'autre. J'appelle à davantage de stabilité.
Enfin, j'aimerais illustrer les propos de Saadia Tamelikecht avec la transformation d'une ancienne chapelle en gymnase dans le département de la Somme.
Mme Sonia de la Provôté. - Je vous remercie pour ces échanges. La loi ELAN du 24 novembre 2018 a remis sur le devant de la scène nos interrogations au sujet du rôle des Architectes des Bâtiments de France. Dans un contexte où certains élus considèrent que leurs pouvoirs sont discrétionnaires, cette réforme leur a retiré certaines prérogatives. Certes, l'ancienne génération des Architectes des Bâtiments de France pouvait agir de façon un peu acariâtre dans sa manière de négocier avec les élus ; pour autant, ces difficultés découlaient sans doute aussi d'un manque de formation des élus.
Dans ce contexte, la procédure de l'avis conforme était vécue comme un droit de veto contre toute volonté d'évolution. Selon moi, le fait que la loi ELAN ait retiré cette procédure pour deux types de décision est un vrai problème.
En effet, les relations avec les Architectes des Bâtiments de France se sont améliorées avec la nouvelle génération, ce qui rend possible le dialogue. Des compromis permettant de conjuguer l'évolution d'une ville avec la préservation du patrimoine sont également envisageables. À titre personnel, j'ai de très bons rapports avec cette corporation.
À Caen, nous avons été confrontés à la situation de devoir reconstruire une ville détruite. Nous sommes très fiers d'avoir relevé ce défi.
Pour conclure, je souligne l'importance que l'État abonde les financements pour que le patrimoine puisse être correctement pris en charge par les collectivités territoriales.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci infiniment. Je vous propose d'écouter les propos de Charles Guené.
M. Charles Guené. - Je vous remercie. Merci à tous les intervenants pour leurs présentations. J'aurai quelques remarques à ajouter.
J'ai été maire durant trente-cinq ans. Au sein de notre intercommunalité, nous avions cinq églises, dont une était classée monument historique. Nous avons été obligés d'engager un financement de 3 millions d'euros, ce qui est considérable pour un territoire ne comptant que 1 300 habitants. Par conséquent, ce financement s'est étalé sur la durée.
Nous venons d'obtenir le classement d'un arbre remarquable. Nous sommes actuellement engagés pour que l'un de nos villages soit labellisé Cité de caractère.
Selon moi, le cadre communal est très étroit pour traiter le sujet du patrimoine, d'autant plus qu'il fait partie des sujets partagés entre plusieurs niveaux de compétence. Il est donc nécessaire que des efforts soient réalisés afin de clarifier le cadre juridique et lui permettre d'être élargi au-delà de la commune.
À l'heure actuelle, les maires sont confrontés à des situations très complexes qui ne permettent pas de valoriser le patrimoine. Ils ont réellement besoin de l'intervention des Architectes des Bâtiments de France pour les accompagner. À titre personnel, je me suis énormément servi de cette collaboration.
Pour autant, j'ai parfois constaté une certaine instabilité dans les prises de position entre les Architectes des Bâtiments de France à l'origine de conflits lorsqu'un nouvel interlocuteur adopte une vision différente de celle de son prédécesseur. Il me semble donc nécessaire que les Architectes des Bâtiments de France s'inscrivent plus dans le temps long.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci infiniment pour vos remarques. Cette thématique serait intéressante à intégrer à nos futurs travaux. Écoutons désormais nos différents intervenants qui concluront cette matinée.
Mme Saadia Tamelikecht, cheffe de l'Unité départementale de l'architecture et du patrimoine de Seine-Saint-Denis. - Je constate à quel point la délégation est bienveillante à l'égard des Architectes des Bâtiments de France. Je note également que nous ressentons tous le besoin d'une concertation préalable renforcée pour améliorer la situation. Or, pour que nos discussions soient constructives, les élus locaux doivent se doter de compétences techniques. À défaut, cela s'apparente à un dialogue de sourds entre les élus et les Architectes des Bâtiments de France. À ce jour, beaucoup de ceux qui sont nouvellement élus ne maîtrisent absolument pas ces sujets. En revanche, la situation est moins problématique avec les maires expérimentés.
Par ailleurs, je voudrais évoquer la maîtrise d'ouvrage sur les monuments historiques. Il ne nous est pas possible de nous déplacer au sein de toutes les petites communes. En conséquence, le fait que la CRMH assume ce rôle est essentiel pour éviter les problèmes ultérieurs.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Si nous devions prendre cette orientation et mener un travail de réflexion sur ce sujet, nos rapporteurs reprendraient contact avec votre association.
Mme Saadia Tamelikecht, cheffe de l'Unité départementale de l'architecture et du patrimoine de Seine-Saint-Denis. - À propos de la réforme issue de la loi ELAN, je me réjouis que vous déploriez le retrait de la procédure de l'avis conforme pour certains projets. Cette procédure était de toute première importance.
M. Laurent Mazurier, directeur de l'association Petites cités de caractère de France. - J'aimerais réagir par rapport à deux interventions. D'une part, je tiens à souligner l'inquiétude des petites communes face aux problématiques techniques. En effet, le ministère de la Culture ne dispose pas des moyens propres à lui permettre d'assurer sa mission d'accompagnement.
Je ne peux notamment que constater la faible part dévolue au patrimoine dans les documents d'urbanisme tels que le SCOT ou le PLU. La tendance actuelle se limite à vouloir couper les branches qui dépassent, sans approfondir les sujets. De même, il s'agit aujourd'hui de se cantonner à l'objet plus qu'au développement global. Selon moi, il faut que le patrimoine se replace au centre et devienne un instrument de développement du territoire. Pour ce faire, un interlocuteur politique est nécessaire.
D'autre part, je reviens sur la multiplication des labels qui a été évoquée. Le cadre juridique est clair ; il stipule que les labels sont des dispositifs qui relèvent exclusivement de la compétence de l'État. À côté se développent des démarches volontaires extérieures qui ne peuvent être qualifiées de labels, bien qu'elles s'inscrivent dans un cadre de partenariat avec l'État.
Nous sommes une association qui définit un projet librement. Les critères de notre démarche relèvent de notre seule volonté. À l'inverse, les modalités d'obtention d'un label sont fixées par le législateur. D'ailleurs, je constate que les labels ne tiennent pas compte de l'accueil du public. En somme, notre démarche pourrait être qualifiée de croisement entre un label et une marque.
M. Jonathan Fedy, chargé de mission Sites et Cités remarquables de France. - Je voudrais ajouter une remarque au sujet des labels évoqués par MM. Antoine Lefèvre et Laurent Mazurier. Les démarches de ce type visent à améliorer le tourisme grâce au patrimoine. De nombreux labels et marques existent, tant au niveau national qu'international, avec des notoriétés disparates.
L'objectif du Président de Sites & Cités remarquables, M. Martin Malvy, est de créer une bannière commune qui réunirait certaines associations. Actuellement, un travail est mené avec huit associations pour mieux communiquer sur la richesse et l'exception des patrimoines de France. À terme, il s'agirait donc d'être en mesure d'avancer ensemble tout en maintenant les spécificités de chaque association. Je ne peux que constater à quel point ces labels et marques confèrent une plus-value aux collectivités qui en bénéficient.
La notion de développement durable a pu être évoquée au cours de la matinée. C'est un enjeu central qui ne doit pas être opposé à celui de patrimoine. De nombreux projets de construction concernent les périphéries. À ce jour, il serait cohérent de réfléchir à la reconquête des centres anciens, lieux par essence d'un développement plus durable.
Pour mener à bien ce type d'action, les réseaux jouent un rôle fondamental auprès des élus. Ils permettent de partager les bonnes et les mauvaises pratiques. Par exemple, au moment de l'effondrement de l'immeuble à Marseille, beaucoup de maires nous ont appelés pour que nous leur apportions notre expertise ; ils nous expliquaient être confrontés à des immeubles insalubres présentant des risques pour leurs administrés. Nous avons réagi à ces demandes en créant une formation à l'attention des services et des élus des collectivités.
M. Patrick Géroudet, adjoint chargé de la promotion de la ville à la mairie de Chartres. - À propos du développement durable, j'aimerais évoquer le cas de Chartres, qui s'est lancée dans la démarche « Ecoville ». Elle présente de nombreux avantages pour les bâtiments qui composent notre patrimoine. À ce titre, nous avons organisé des demi-journées de travail pour réfléchir à des sujets plus compliqués. Il ne s'agit pas de dénaturer la ville, mais bien de la valoriser. Pour ce faire, un dialogue permanent est fondamental avec l'État.
La formation est une clé centrale dans ce type de démarche. Du point de vue des élus, elle va de pair avec la sensibilisation des habitants. Par exemple, à Chartres, nous publions au cours de chaque mandat un livre consacré au patrimoine local, qui est ensuite diffusé dans toutes les boîtes à lettres de la ville. Les citoyens sont ainsi les meilleurs ambassadeurs de leur ville.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Il serait intéressant de dresser un bilan au sein des villes et des territoires dotés du label « Ville d'art et d'histoire ». Celui-ci impose de réelles obligations. L'ayant moi-même obtenu pour ma ville lorsque j'étais maire, je peux en témoigner. Je suis déjà en train de me projeter dans nos futurs travaux.
Mme Marie-Annick Bouquay, adjointe chargée du patrimoine à la mairie de Vitré. - J'aimerais insister sur la différence entre le temps patrimonial et le temps politique. Il est fondamental de tenir compte du paramètre temps pour mener à bien tout projet lié au patrimoine. Dans certains cas, le temps est compté. Or, le déplacement des personnes affectées à ce service n'est pas toujours possible, ou bien les réponses tardent à être données. En somme, la situation de débordement des préposés aux procédures au sein de l'UDAP compromet parfois les projets.
À titre d'exemple, l'AVAP avait été mise en place pour corriger les problèmes observés dans les ZPPAUP. Par manque de temps, la transition n'avait toujours pas été réglée et à ce jour, les AVAP sont remplacées par les SPR.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous remercie. L'action de Sites et cités remarquables est également menée à l'étranger. Elle s'inscrit dans un travail de coopération important en vue de résoudre les problématiques concernant des patrimoines étrangers menacés.
Mme Saadia Tamelikecht, cheffe de l'Unité départementale de l'architecture et du patrimoine de Seine-Saint-Denis. - À ce sujet, je tiens à souligner que l'expertise technique française est reconnue dans le monde entier, en raison de sa qualité indéniable.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je remercie l'ensemble des intervenants pour leur présence parmi nous ce matin.