Mardi 18 juin 2019
- Présidence de Mme Michèle Vullien, présidente -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Audition de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports, de la Fédération nationale des transports de voyageurs, du Groupement des autorités responsables de transport et de l'Union des transports publics et ferroviaires
Mme Michèle Vullien, présidente. - Merci à tous pour votre présence.
Notre mission d'information sur la gratuité des transports collectifs s'est donné pour objectif de comprendre le point de vue des principaux acteurs concernés, les usagers notamment, et de répondre à la question de savoir si la gratuité est une fausse bonne idée ou si elle constituerait une véritable révolution écologique et sociale. Cette mission a été créée à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, dont M. Guillaume Gontard, notre rapporteur, est membre.
Un certain nombre de réseaux, par exemple Dunkerque ou Niort, ont fait le choix de passer à la gratuité totale. Nous souhaiterions connaître plus précisément les attentes des usagers : la gratuité fait-elle partie de leurs attentes fortes ? Quels sont ses effets, en termes de report modal notamment ?
Un grand nombre des associations que vous représentez ont pris position contre la gratuité ; cette table ronde est l'occasion d'essayer de comprendre pourquoi certaines collectivités ou associations souhaitent, elles, la gratuité, et de poser la question du financement de cette mesure, sachant qu'il convient, évidemment, d'associer les autorités organisatrices à cette réflexion. Je vous propose de prendre chacun la parole pendant une dizaine de minutes, après quoi M. Gontard, puis l'ensemble de nos collègues, vous poseront leurs questions.
M. Guy Le Bras, délégué général du Groupement des autorités responsables de transport (GART). - Le GART se pose depuis longtemps la question de la gratuité totale des réseaux de transport public, mais toujours sous l'angle d'un principe fondamental, celui de la libre administration des collectivités territoriales. Notre travail ne vise pas à dire de la gratuité que c'est bien ou que c'est mal ; nous tâchons bien plutôt, à travers notamment l'étude dont nous avons donné les premières conclusions à Nice vendredi dernier, d'objectiver les raisons qui peuvent faire pencher la balance, en fonction des caractéristiques de chaque collectivité, en faveur ou en défaveur de la gratuité. Nous étudions également les alternatives - je pense notamment aux politiques de tarification solidaire -, et examinons les exemples étrangers.
Quel regard portons-nous sur la mise en place de la gratuité des transports collectifs ? La politique tarifaire est une politique très importante d'attractivité des réseaux ; il existe des réseaux qui ont fait le choix de passer à la gratuité, et d'autres se posent la question de leur emboîter le pas. L'ouverture du débat municipal, à la veille de 2020, remet cette question à l'ordre du jour, mais il ne suffit pas de se lever un matin et de décider de la gratuité pour qu'un tel choix soit forcément pertinent et efficace. Parmi les maires présents au colloque que nous avons organisé vendredi dernier, certains ont fait le choix de la gratuité et en sont de fervents partisans, notamment ceux de Dunkerque et de Châteauroux, mais d'autres ont choisi de ne pas retenir cette option - ainsi de Roland Ries, maire de Strasbourg.
La gratuité répond-elle aux attentes exprimées par les usagers ? On ne prend jamais la décision de passer à la gratuité parce que les usagers l'ont demandé : la gratuité n'est pas une attente ; elle est toujours, lorsqu'elle est instaurée, le fruit de la volonté des autorités municipales. Ce qu'attendent principalement les usagers, ce sont des transports performants et efficaces. Il a d'ailleurs été démontré qu'on ne pouvait pas convaincre un automobiliste de passer au transport collectif en l'absence d'offre de qualité. La gratuité doit donc impérativement s'associer, pour produire ses effets, à une augmentation et à une amélioration de l'offre.
L'exemple de Dunkerque montre que 48 % des personnes dont l'usage du bus a augmenté circulaient auparavant en voiture ; le résultat est donc probant en matière de report modal. Il faut noter néanmoins que, si le report modal est bien sûr lié à l'opportunité de la gratuité, il est aussi la conséquence d'une profonde restructuration et amélioration de l'offre, dont le coût a d'ailleurs été absorbé non par une augmentation du versement transport, mais par la réaffectation d'un budget qui avait été alloué à une autre opération, celle-ci ayant été entretemps annulée.
Les études quantitatives, en la matière, sont peu nombreuses ; on ne peut donc pas tirer de conclusion définitive. Les quelques modèles mathématiques qui tournent sur le sujet, celui utilisé par la région Île-de-France pour réaliser son étude notamment, montrent néanmoins que le déplacement automobile perdurera tant qu'il restera plus attractif en termes de temps et de confort. On peut donc penser que le passage à la gratuité n'apportera rien dans des agglomérations où le réseau de transport collectif est saturé.
Aujourd'hui, les contempteurs de la gratuité tirent argument d'un supposé surcroît de vandalisme dans les réseaux gratuits. Or cet argument est inexact...
Mme Michèle Vullien, présidente. - Oui !
M. Guy Le Bras. - Le niveau de vandalisme est corrélé à la présence de personnels dans les bus.
On entend dire également que les réseaux qui passent à la gratuité augmentent le versement transport pour la financer ; mais tel n'est pas forcément le cas : à Dunkerque, la municipalité a trouvé d'autres moyens de financement.
En revanche, la gratuité a bien un coût - comme l'a dit la ministre Élisabeth Borne, la gratuité n'est pas gratuite -, et la tentation peut être assez forte, pour la financer, de puiser dans le versement mobilité, nouveau nom du versement transport. En la matière, le GART se montre extrêmement prudent, car le versement mobilité, outre qu'il n'a pas été conçu pour financer la gratuité, n'est pas gravé dans le marbre : on ne peut pas être certain de sa pérennité future - tous ceux qui ont suivi le débat sur l'article 2 de la loi d'orientation sur les mobilités (LOM) savent à quoi je fais allusion : à toutes les pressions exercées par le Gouvernement pour rogner le versement mobilité.
Mme Michèle Vullien, présidente. - Je profite de cette table ronde pour vous indiquer que les rencontres nationales du transport public se dérouleront bientôt à Nantes, dont la maire évoquait récemment l'idée d'instaurer la gratuité du réseau le week-end et pour les enfants.
M. Guy Le Bras. - Mais elle souhaite en même temps augmenter les tarifs d'abonnement.
M. Bruno Gazeau, président de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut). -La Fnaut est contre la gratuité totale et pour la gratuité pour ceux qui en ont besoin.
Parmi les motivations de ceux qui veulent la gratuité totale sont le plus souvent cités l'accessibilité des transports à tous, le recul de la part modale de la voiture et l'amélioration de la circulation, la réduction de la pollution et de la congestion du trafic, la relance de l'activité commerciale des centres-villes. Nous pensons que tous ces objectifs, qui sont louables, peuvent être atteints sans en passer par la gratuité totale, en privilégiant notamment une tarification sociale en direction de ceux qui en ont besoin, et en mettant l'accent sur la pédagogie afin d'inciter les usagers à prendre les transports collectifs. Pour remplir les bus, il faut une politique globale de transport, intégrant par exemple la question du stationnement. Et, en tout état de cause, les transports en commun doivent avant tout être efficaces et ponctuels.
Dans les grandes villes qui mettent en place la gratuité totale, les usagers qui abandonnent la voiture sont ceux qui ont les moyens de choisir ; or ils ne le font que si le transport collectif s'avère plus rapide. Ce n'est donc pas une question de coût. Le report modal est de l'ordre de 2 %, jamais beaucoup plus ; ainsi, les jours de pluie, la gratuité attire des cyclistes dans les bus. Aucune étude ne prouve en tout cas le caractère massif du report modal consécutif de la gratuité.
Nous sommes également attentifs à la question du financement. Le transport public est financé sur la base d'un triple pied : État, entreprises, usagers. Déséquilibrer un système qui fonctionne bien en supprimant l'un de ces trois pieds, ce serait jouer avec le feu. À terme, si la gratuité est généralisée, c'est la paupérisation du transport collectif qui guette.
Quant à l'activité commerciale, elle dépend beaucoup de la politique de la ville - types de commerces encouragés, vitesse autorisée dans les rues, place des piétons - et de l'évolution des commerçants à l'égard les zones périphériques, du e-commerce, des produits vendus, donc de beaucoup d'autres critères que ceux du transport.
Pour toutes ces raisons, nous insistons afin que les efforts financiers qui peuvent être consentis visent à améliorer l'offre et non à octroyer la gratuité à ceux qui n'en ont pas besoin.
M. Christian Broucaret, président de la Fnaut Nouvelle-Aquitaine. - Pour ma part, je vous livrerai deux expériences locales. La commune de Libourne applique la gratuité totale, mais la part payée par les usagers ne représentait qu'environ 10 % du prix du ticket. Le coût pour la collectivité est donc faible, si l'on tient compte des économies réalisées en matière de billettique et de contrôle.
À Bordeaux, voilà quelques années, le réseau a été mis gratuitement à disposition lors d'un épisode de pollution, et la hausse de la fréquentation n'a été que de 11 %. Le report modal n'a donc pas bien fonctionné.
J'ai coutume de dire : le prix s'oublie, la qualité reste. Les usagers acceptent de payer un service de qualité. D'ailleurs, les comités de ligne TER se passent bien lorsque la régularité est respectée. Le prix commence à être discuté lorsque le service n'est pas bien rendu.
M. Jean-Sébastien Barrault, président de la Fédération nationale des transports de voyageurs. - La gratuité dans les transports est un sujet d'actualité, y compris dans les transports scolaires et interurbains, la loi NOTRe ayant transféré la compétence aux régions, qui doivent harmoniser les différentes politiques tarifaires. Or près d'un tiers des départements appliquent une gratuité totale ou partielle avec des frais de dossier en matière de transports scolaires.
Les transporteurs ne sont pas favorables à la gratuité totale ; ils préfèrent la mise en place d'une tarification solidaire spécifique. Il ne nous paraît pas opportun de consacrer des moyens importants au financement de la gratuité, alors que le défi de la transition énergétique appelle des investissements colossaux en matière de véhicules propres. S'y ajoute le défi de l'emploi, 6 000 postes d'autocaristes n'étant pas pourvus, ce qui oblige des transporteurs à renoncer à des marchés. Il est donc urgent de revaloriser le métier de conducteur. Or les budgets des collectivités locales sont très contraints.
La gratuité, cela a été dit, ne répond pas véritablement aux attentes des usagers, qui portent plutôt sur la qualité et la quantité. Surtout, elle désorganise profondément les services assurés par les opérateurs. En cas de gratuité dans les réseaux interurbains ou scolaires, 15 % à 20 % des titres de transport sont dits « de confort », pris au cas où, ce qui rend extrêmement compliqué l'ajustement de l'offre à la demande : si l'on s'appuie sur le nombre de cartes délivrées, les véhicules circulent à vide ; si l'on procède selon des estimations, il arrive que des passagers voyagent debout. Tous les transporteurs le disent, il est très difficile d'établir le bon niveau d'offre sur un réseau gratuit.
Nous souhaitons enfin attirer votre attention sur deux points : une délégation de service public ne risque-t-elle pas d'être requalifiée en marché public ? La récupération de la TVA par les collectivités locales n'est-elle pas compromise ?
M. Claude Faucher, délégué général de l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP). - Nous partageons très largement ce qui a été dit. La gratuité a souvent été le fait de collectivités dont le ratio de voyages par habitant était inférieur à la moyenne et les ressources fiscales supérieures. Toutes les collectivités n'en ont pas la capacité. L'UTP est opposée à la gratuité totale ; elle est favorable à la tarification dite solidaire, illustrant le principe cher au Conseil national de la Résistance : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ».Ce principe prévaut pour la quasi-totalité des services publics, sauf pour les transports publics, qui rendent pourtant service à l'ensemble de la collectivité, y compris en désengorgeant les routes.
Le premier inconvénient de la gratuité, c'est qu'elle prive l'autorité organisatrice de ressources. Elle pourrait par ailleurs avoir des incidences fiscales en matière de récupération de TVA.
La question du périmètre est également essentielle : le transport ferroviaire régional, voire les trains d'équilibre du territoire relèvent d'une obligation de service public. La question de la gratuité des transports urbains, financés par le versement mobilité, pourrait donc se poser pour les transports ferroviaires régionaux, voire pour les TGV dans certaines régions. Comment la financer ?
Enfin se pose la question du développement durable. Le report modal depuis la voiture comporte un bénéfice environnemental, mais pas s'il se fait au détriment des modes actifs comme la marche ou le vélo. Le bénéfice environnemental et sociétal de la gratuité n'est pas garanti, les études ne permettant pas de mettre en évidence un report modal depuis la voiture significatif. Les conséquences sur le surdimensionnement de l'offre ont été évoquées, alors même que les besoins en matière d'investissements et de qualité de service sont renforcés.
La gratuité totale ne nous semble donc pas être la bonne réponse à de bonnes questions. L'attractivité des transports et le taux de report modal est élevé dans certaines villes dont les tarifs ont évolué avec l'offre. C'est la qualité de l'offre qui conduit au report modal que chacun appelle de ses voeux, dans une logique de complémentarité.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je vous remercie de vos interventions, parfois tranchées. Le groupe CRCE a demandé la création d'une mission d'information sur la gratuité dans les transports sous différentes formes, car elle devient un enjeu à l'approche des élections municipales, alors qu'il nous manque une analyse globale et approfondie sur le sujet. Je pense notamment à la question du financement.
Vous avez beaucoup parlé de l'attente des usagers, mais la mobilité n'est-elle pas un besoin qui doit pouvoir être satisfait à l'échelle d'un territoire ? La question de la gratuité est d'ailleurs expérimentée dans d'autres domaines : l'eau, les musées, les bibliothèques... La gratuité est un outil. Il importe de connaître son impact en termes de report modal, par exemple.
Ce qui me frappe, c'est l'absence d'études sur le sujet, mis à part celle sur Châteauroux réalisée par Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) en 2007 et, plus récemment, celle sur Dunkerque. Ces deux études témoignent plutôt d'un report modal, mais nous manquons de données. Je salue à cet égard la mise en place d'un observatoire des villes du transport gratuit.
Dans le cadre du financement actuel, je suis d'accord avec vous, le manque à gagner aura une incidence sur l'offre. La gratuité s'intègre dans une politique d'ensemble des transports. Elle reste un outil. Je vous invite à réfléchir à d'autres types de financement pour répondre aux défis à venir, notamment au développement des transports en commun pour des questions environnementales. Derrière la question de la gratuité se pose justement celle du financement. Avez-vous des pistes de réflexion ? Outre les taxes, comme les péages urbains, que pensez-vous d'un élargissement du financement, sur le modèle de la voirie, qui est payée par l'ensemble de la collectivité ?
M. Didier Rambaud. - Monsieur Le Bras, vous avez indiqué que la ville de Dunkerque avait trouvé d'autres financements que le versement mobilité. Quels sont-ils ?
M. Guy Le Bras. À Dunkerque, les 3 millions d'euros budgétés pour le projet d'arena abandonné ont été réaffectés à la mobilité et aux transports, c'est donc un cas extrêmement spécifique.
Monsieur Gontard, je tiens à souligner que le GART soutient massivement le versement transport, un financement à la fois dynamique et proportionnel à la demande, qui a fait la preuve de son efficacité. Les taxes à vocation écologique, quant à elles, ont un rendement décroissant. Nous n'avons pas trouvé d'alternative aussi efficace, cette ressource mérite donc d'être défendue.
J'ajoute que nos transports publics sont parmi les moins chers et les plus subventionnés d'Europe. La question de la contribution des usagers est donc pertinente, même si la décision politique de gratuité des transports peut tout à fait être assumée et menée sérieusement comme à Dunkerque, avec une amélioration de l'offre. Je conclurai par une pirouette : je me demande s'il est juste que le directeur général du GART paye le même prix que tout le monde dans les transports parisiens...
M. Olivier Jacquin. - Le versement transport bride notre imagination, or cette mission a pour objet de se projeter dans le futur. Je partage votre point de vue dans l'équation actuelle. Mais, s'il devait y avoir demain la gratuité, quel financement faudrait-il imaginer ? Que ferait-on dans les zones peu denses ? L'un de nos intervenants avait émis l'idée d'un seul accès payant à l'ensemble des réseaux - routes, autoroutes, transports en commun.
M. François Grosdidier. - On peut tout imaginer gratuit dans le deuxième pays au monde en termes de taux de prélèvements obligatoires...
Sur le fond, les transports mécaniques ont un coût pour la collectivité, pour soi et pour l'environnement, fussent-ils en commun. J'aimerais savoir, là où la gratuité a été mise en oeuvre, s'il y a eu un report modal de la voiture vers les transports en commun suffisant pour justifier le coût de la gratuité. Si c'est pour diminuer le nombre de piétons, multiplier les transports de loisirs, c'est moins intéressant. Les personnes prennent leur voiture parce que le trajet est plus rapide qu'en transports en commun, la gratuité n'y change pas grand-chose, mais elle bloque l'investissement en affectant une ressource. Quelles sont les incidences à long terme sur la qualité du réseau ? La gratuité ne doit pas aboutir à un réseau dégradé, ce serait contre- productif.
M. Jean-Marie Mizzon. - Malgré plusieurs réunions sur ce sujet, certains d'entre nous ont du mal à percevoir les vertus de la gratuité dans les transports - cela ne doit donc pas être pas si évident... En tout cas, c'est moins évident que la gratuité prochaine de la taxe d'habitation pour 80 % de nos concitoyens - alors que la taxe d'habitation était payée par près de 88 % des foyers. Les usagers attendent un service plus séduisant. Si l'on veut un report modal efficace, il faut des transports de meilleure qualité, et donc quelques moyens. De nombreux investissements restent à réaliser avant de penser à la gratuité. Qu'apporterait-elle ? Ce n'est pas évident, surtout lorsque les réseaux sont loin d'être saturés...
Mme Michèle Vullien, présidente. - Permettez-moi quelques réflexions personnelles : ce sont l'offre, le maillage, l'intermodalité, l'interopérabilité et le fait de circuler sans couture - ou « maillage pour tous » - qui incitent à prendre les transports publics. Nous avons quelques leviers importants comme le stationnement, mais il faut aussi réfléchir sur l'ensemble des modes de transport, les émissions de particules ou de dioxyde de carbone. Il faut pousser nos concitoyens à abandonner leur voiture.
Je regrette l'absence, dans la LOM, des péages urbains, inversés ou de « dissuasion ». Nous sommes plus mûrs sur ce marronnier de la gratuité des transports car nous sommes à quelques encablures des élections municipales. Mettons-nous tous autour de la table. Changer la flotte des véhicules urbains et interurbains, avec parfois des bus articulés, est cher et compliqué. Pour cela, il faut une offre attractive. Nous devons aussi examiner les courbes isochrones pour réduire les temps de parcours, et voir comment gagner en vitesse commerciale.
La gratuité totale des transports pour tous est une idée assez aberrante, puisque certains ont les moyens de payer. Comment avoir des tarifs tenant compte des fragilités de tel ou tel ? À Lyon, plus de la moitié des usagers ne paient pas le tarif plein, et j'en suis fière. Je suis membre du syndicat des transports depuis 1995 ; nous avons augmenté nos tarifs car nous avons augmenté notre offre en parallèle. Les réseaux ayant instauré la gratuité sont des réseaux de bus, et non des réseaux avec des investissements lourds comme des tramways et des métros. Pour être cohérent, il faut une gratuité partielle, avec éventuellement des abattements, selon un dispositif lisible.
Les employeurs paient à la fois le versement mobilité et remboursent la moitié des abonnements de transport. Quelle équité apporter entre les territoires ? Certains territoires ne veulent pas de gratuité, mais de l'offre de transport !
Comment avoir des passerelles entre zones denses et moins denses avec des péréquations de financement ? Ayons le courage de l'utopie, sur l'ensemble du territoire. Nous sommes un grand tout. Comment cette mobilité du quotidien peut garantir l'équité - et non l'égalité ? On ne peut pas avoir vingt métros partout !
M. Claude Faucher. - La gratuité totale vise à abaisser le coût des transports publics par rapport à la voiture, or ceux-ci coûtent déjà moins cher que les véhicules personnels. Toutes les villes européennes qui ont réussi leur report modal ont mis en place une politique de transport ambitieuse, ont restreint la place des voitures - comme à Lyon - et ont travaillé pour renchérir le coût du voyage en voiture individuelle. Il ne faut pas viser une réduction du coût des transports publics, mais rendre l'intérêt de la voiture moins évident, et favoriser le développement des transports publics. Le besoin de transports publics est important, 24 heures sur 24. Or certains réseaux, qui ont mis en place la gratuité totale des transports, ont en contrepartie réduit leur amplitude horaire. Il faut avoir des moyens pour développer l'offre tout en réduisant l'intérêt d'utiliser un véhicule individuel pour avoir une politique de report modal assumée.
Il y a eu des initiatives pour financer les transports. L'amendement de Mme Vullien sur la LOM proposait de financer les infrastructures par une taxe sur les plus-values foncières, mais n'a pas été adopté. Les infrastructures des Jeux olympiques d'Albertville ont été financées par une taxe additionnelle sur les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), et le Grand Paris par une captation des plus-values. Selon une étude de la chambre d'urbanisme d'Île-de-France, la création d'une infrastructure de transports en site propre - métro, tramway ou TGV - amène une valorisation immobilière extrêmement importante. Pourquoi ne pas taxer les plus-values au bénéfice des transports publics ?
M. François Grosdidier. - Une ville qui installe ces transports en site propre peut mettre en place une telle taxation.
M. Olivier Jacquin. - Vous avez refusé l'amendement le permettant !
M. François Grosdidier. - La loi le permet déjà, nous y avions songé à Metz...
M. Guy Le Bras. - Les décrets d'application de la loi Grenelle n'ont pas encore été rédigés. Votre maire, M. Dominique Gros, avait effectivement eu cette idée de mettre la taxe à zéro, mais il manque le véhicule réglementaire.
M. François Grosdidier. - Il ne manque donc que les décrets !
M. Guy Le Bras. - Tout à fait. Le report modal est fondamental, stratégique, mais très difficile à aborder. Pour avoir une bonne approche du report modal, il faut de l'antériorité et plusieurs années devant soi pour le mesurer, ainsi que les instruments de mesure adéquats pour l'estimer. Mais avec le passage à la gratuité, ceux-ci sont réduits puisqu'il n'y a plus de validateur...
À Tallinn, après l'instauration de la gratuité dans les transports publics en 2013 pour les contribuables de la ville, l'usage de la voiture a continué à augmenter. Certes, ces résultats ne sont pas totalement probants puisqu'il s'agit du contexte particulier d'un pays de l'est de l'Europe qui a connu un mode de développement lié à un usage accru de la voiture. Dans des grandes métropoles où les transports publics sont très utilisés, le report modal n'est donc pas avéré ; soyons prudents. À Dunkerque, le report modal a été positif grâce à une amélioration de l'offre et à une configuration de réseau particulière.
Le GART est favorable au versement transport - qui ne doit cependant pas être la seule source de financement des infrastructures. Nous sommes satisfaits que l'article 1er de la LOM ait retenu le scénario 2, aux objectifs ambitieux. Mais aucun financement n'est prévu, puisque l'Assemblée nationale n'a pas conservé l'idée de consacrer une part de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) à cette fin. Or un centime de TICPE revient à récolter 500 millions d'euros - même si son rendement est décroissant ; c'est un outil extrêmement puissant. Votre ancien collègue Louis Nègre, ancien président du GART, regrettait que les transports publics soient pourvoyeurs de financements importants, mais qu'une faible proportion de cette somme soit consacrée aux transports - le reste abondant le budget général. Lorsque nous demandons la baisse de la TVA à 5,5 % pour les transports du quotidien, on nous répond que l'État n'en a pas les moyens. Le secteur des transports devrait tenir bon pour que davantage de fonds provenant de la mobilité financent la mobilité.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - La mise en place de la gratuité se fait souvent à l'échelle d'une agglomération, et même à l'échelle de Niort.
Mme Michèle Vullien, présidente. - Grâce aux mutuelles !
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je ne parle pas du financement. Il ne s'agit pas d'égalité, puisque certains territoires n'ont même pas d'offre de transports. Ancien maire d'une commune de montagne de 200 habitants, je sais cependant que la gratuité profite à la ruralité, puisque de nombreux habitants de ces territoires vont travailler dans l'agglomération.
L'action sur les tarifs peut changer les pratiques, notamment l'autopartage ou les vélos électriques dans des petites communes. Après un prêt de vélo électrique pendant un an, beaucoup d'usagers veulent le conserver ; il en est de même pour l'autopartage.
Ce ne sont pas que des modifications de tarifs qui vont permettre de changer les habitudes - même si elles sont importantes -, mais aussi l'existence d'une offre et la facilité d'accès.
La taxe d'habitation, qui servait à l'aménagement du territoire, a été supprimée. Elle sera prise en charge d'une autre manière. Nous sommes donc capables de réfléchir à des changements de financement. Il existe un mode de transport quasiment gratuit en ville, le vélo, ce qui suppose quelques aménagements - et Grenoble est plutôt en avance.
M.
Olivier Jacquin. - Je vous avais interrogé sur des
financements alternatifs
- sans parler du versement transport - en cas
de gratuité...
M. Claude Faucher. - J'ai évoqué une taxe sur les plus-values foncières pour financer les infrastructures. Elle répondrait au besoin de développement de transports en site propre ou de développement d'infrastructures ferroviaires.
Mme Michèle Vullien, présidente. - Je vous remercie.
Sensibiliser les clients au coût est important. Même si le transport n'a pas de prix, il a un coût. À Lyon, nous avions réalisé des animations en ce sens pour expliquer le coût d'un métro ou d'un tramway. On peut trouver de l'argent sur le client.
La réunion est close à 15h30.
Mercredi 20 juin 2019
- Présidence de Mme Michèle Vullien, présidente -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Audition de M. Christophe Najdovski, adjoint à la maire de Paris, en charge des transports, de la voirie, des déplacements et de l'espace public
Mme Michèle Vullien, présidente. - Notre mission d'information sur la gratuité des transports collectifs est réunie aujourd'hui pour entendre M. Christophe Nadjovski, adjoint à la maire de Paris, en charge des transports, de la voirie, des déplacements et de l'espace public. En mars 2018, avec Emmanuel Grégoire, adjoint en charge du budget et Jean-Louis Missika, adjoint en charge de l'urbanisme, vous avez été mandatés par la maire afin d'ouvrir le débat de la gratuité des transports en commun à Paris et en Île-de-France. Bien évidemment, nous n'avons pas vocation à trancher cette question propre à la capitale et sa région mais nous vous avons sollicité afin que vous nous apportiez votre éclairage sur le sujet.
M. Christophe Nadjovski, adjoint à la maire de Paris, en charge des transports, de la voirie, des déplacements et de l'espace public. - Nous avons tous conscience de la question de l'urgence climatique et de la nécessaire adaptation de nos modes de déplacement. L'enjeu est de savoir comment nous pouvons accompagner cette transition vers une mobilité soutenable. Dans ce contexte, plusieurs villes européennes et françaises ont introduit la gratuité totale des transports collectifs. Avec deux autres adjoints, j'ai été missionné par Mme la maire de Paris pour un rapport sur la gratuité, auquel nous avons travaillé près d'une année. Nous avons conscience que l'expérience parisienne n'est pas généralisable à l'ensemble de nos territoires.
Nous avons notamment étudié les effets que pourrait avoir la gratuité totale des transports à Paris et dans l'Île-de-France. La situation parisienne est assez particulière, car 64 % des ménages parisiens n'ont pas de véhicule. Dans ces conditions, la gratuité impliquerait donc un report modal depuis les modes actifs, à savoir la marche à pied ou le vélo. Pour la voiture, le report modal serait marginal. Lorsqu'on analyse les raisons de la mise en place de la gratuité totale dans les villes qui l'ont adopté, on constate qu'elle est un outil au service de l'attractivité du territoire, mais aussi de l'amélioration de la mobilité dans un contexte marqué par la sous-utilisation du réseau des transports collectifs.
Sur la faisabilité de la gratuité, le premier obstacle, dans le contexte francilien, est celui de la saturation. Nos réseaux sont surchargés, les experts des transports publics estiment que nous ne sommes pas en mesure d'absorber l'augmentation de fréquentation qui serait induite par la gratuité.
Concernant la viabilité du modèle économique, le coût de la gratuité a été estimé à 2,5 milliards d'euros par an pour financer la gratuité totale, ce qui nécessite de nouvelles ressources. Dans un contexte de tensions sur le versement transport, il est difficile d'envisager de l'augmenter. De nouvelles sources de financement, comme une taxe sur les parkings ou sur les bureaux, le péage urbain, pourraient être envisagées, mais cela ne couvrirait que partiellement le montant nécessaire. Il peut aussi être envisagé d'augmenter la contribution publique des collectivités, mais l'effort financier serait très conséquent.
En conclusion, si nous poursuivons l'objectif de l'attractivité du territoire et l'attractivité des services de transports, la gratuité totale n'est pas applicable dans l'immédiat en Île-de-France. Nous considérons que la gratuité des transports doit s'appliquer en fonction du contexte de chaque territoire.
Toutefois, nous avons estimé que des mesures de gratuité ciblées, partielles sont pertinentes. Aujourd'hui, l'usager francilien débourse environ 75 euros par mois, dont la moitié remboursée par l'employeur. Ce montant n'est pas excessif, mais peut être une charge pour les personnes disposant de faibles revenus. Nous avons donc mis en place une mesure de gratuité pour les personnes de plus de 65 ans, conditionnée aux ressources, qui doivent être inférieures à 2 200 euros par mois. Nous avons conscience de l'effet de seuil, mais Île-de-France Mobilités et la région Île-de-France ont mis en place une mesure de compensation, avec un remboursement à 50 % pour les seniors non concernés par cette gratuité. Nous avons aussi focalisé notre attention sur le pouvoir d'achat des familles, étant donné le contexte de la cherté de vie à Paris, ainsi que sur l'incitation à utiliser les transports collectifs et les modes actifs. Nous avons donc aussi décidé la gratuité totale pour les enfants de 4 à 11 ans, et les jeunes de moins de 20 ans en situation de handicap. En mesure complémentaire, nous allons rembourser l'abonnement Vélib' pour les 14-18 ans, et le remboursement à 50 % de la carte Imagine'R, qui bénéficie aux collégiens, aux lycéens, aux apprentis et aux étudiants. Le coût de l'ensemble de ces mesures est de 50 millions d'euros, ce qui est très conséquent dans le contexte budgétaire que vous connaissez.
Nous avons évoqué la question de la modulation du remboursement de l'abonnement aux transports en commun en fonction des ressources du foyer, mais cette question relève du choix des autorités organisatrices de la mobilité. On pourrait, par exemple, imaginer un remboursement à 100 % pour les personnes qui touchent le SMIC.
Enfin, la question de la gratuité doit être évoquée dans le cadre plus global de la politique de mobilité. Nous devons notamment réfléchir au financement de la mobilité, celui de l'offre de transports collectifs mais aussi celui favorisant les modes actifs, le co-voiturage ou l'auto-partage. Cela amène à s'interroger sur le bon niveau de tarification des différents modes de transport. Les transports individuels motorisés ne sont pas évalués à leur coût réel pour la société : leur coût en termes de pollution, de bruit, d'accident et d'entretien des infrastructures n'est pas suffisamment pris en compte... Nos réflexions futures pourraient s'orienter en ce sens, même si nous savons que ce n'est pas un débat facile à mener aujourd'hui. Je vais prendre l'exemple du vieux serpent de mer qu'est l'écotaxe. Lorsque les camions en transit empruntent les voies communales, ils ne paient pas. Les impôts des Parisiens paient l'entretien du boulevard périphérique, qui est utilisé notamment pour le transit international. Il est important d'ouvrir une réflexion sur le principe d'usager-payeur ou pollueur-payeur ; cela peut être une ressource pour financer la politique de mobilité. Peut-être avons-nous raté une étape alors que le débat sur la loi d'orientation des mobilités se termine...
Mme. Michèle Vullien, présidente. - Merci Monsieur pour ces éléments, je pense que vous avez bien posé le problème du financement, qui est un des éléments irritants de la loi d'orientation des mobilités : comment tout cela est financé ?
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - La situation de Paris et de l'Île-de-France est très particulière, donc on peut difficilement la transposer mais les deux études portant l'une sur l'Île-de-France, l'autre sur Paris sont intéressantes. Il y a cette spécificité, vous l'avez rappelé, qui est que très peu de personnes possèdent une voiture, donc le report modal serait très faible. Il ne s'agit pas tout à fait des mêmes problématiques que celle de Dunkerque. La gratuité reste un outil à penser en lien avec beaucoup d'autres éléments en termes d'aménagement du territoire ou de diversification de l'offre. D'ailleurs la démarche de Dunkerque n'a pas consisté à agir uniquement sur la gratuité. Il est par ailleurs difficile d'avoir des retours pour apprécier réellement l'impact de la gratuité en terme de report modal.
Quand on parle de gratuité, on pense à la gratuité totale, mais après une vingtaine d'auditions, je trouve qu'il est aussi intéressant de l'appréhender d'une autre manière : comment peut-on agir avec différents tarifs, destinés, par exemple, aux seniors ou aux enfants ? Avez-vous également réfléchi à la gratuité sur des tranches horaires ? Avez-vous mené une réflexion sur la gratuité sur certains types de transport, qui peut être un moyen de valoriser, favoriser ou orienter vers les transports ou vers certaines lignes.
Une problématique de gratuité partielle est le non-recours : on peut mettre en place des dispositifs mais on s'aperçoit quand même qu'il y a toujours un pourcentage de gens qui ont droit mais n'en profitent pas. Ce qui est intéressant sur les retours de Châteauroux et de Dunkerque, et ce qui est assez remarquable, c'est qu'on va chercher des gens qui ne se déplaçaient pas et ne prenaient pas du tout les transports auparavant. Je me demandais donc si vous aviez réfléchi à cette problématique de non-recours.
M. Didier Mandelli. - Ma remarque concerne le financement. Vous l'avez évoqué, on peut appeler cela la politique sociale en matière de transport, par exemple, pour les personnes au SMIC pour une prise en charge éventuelle et votre position est plutôt de dire que c'est à l'autorité organisatrice de la mobilité (AOM) de l'assumer. Je considère, pour ma part, que ça pourrait être aussi le rôle de la collectivité territoriale d'avoir cette politique-là pour ses habitants, et pas seulement l'AOM qui a une autre mission, organiser la mobilité. Est-ce que la ville n'a pas vocation à accompagner aussi ceux de ses habitants qui sont les moins bien favorisés financièrement ?
S'agissant du transit, je voudrais revenir sur l'écotaxe quelle que soit la manière dont on l'appelle. Dans la LOM, nous n'avons pas intégré cette dimension : une taxe destinée au financement d'infrastructures pouvait être cohérente à l'échelon national. Au niveau départemental, c'est autre chose. En tant qu'élu de Vendée, je peux vous dire que le département enregistre un trafic important lié, par exemple, au transit entre la Bretagne et la Gironde, ou l'Espagne. Ces poids lourds empruntent des routes vendéennes financées par les contribuables vendéens. Doit-on pour autant mettre en place une taxe de transit ? Il n'y a pas que les métropoles : tous les territoires sont impactés. Un poids lourd ne reste pas dans un seul département ou dans une seule ville : je dirais que 85 % des poids lourds transitent sur tout le territoire. Donc si on réfléchit à une taxe, il faut le faire sur toutes les villes, tous les départements, ce qui me paraît un peu complexe par rapport à une dimension qui serait plus nationale.
M. Frédéric Marchand. - Merci pour cette présentation complète ; j'ai surtout noté que vous accordiez de l'importance au contexte local. J'ai une question d'ordre financier. Vous nous avez indiqué évaluer à 2,5 milliards d'euros par an le coût de la gratuité en imaginant des compensations partielles (parkings, bureaux et péages urbains). Avez-vous déjà des projections vous permettant de savoir quel allait être le delta négatif si vous alliez au bout de cette intention ?
M. Christophe Najdovski - Pour répondre tout d'abord à la question de Monsieur le Sénateur Gontard sur les tranches horaires ou les possibilités d'une gratuité modulée en fonction des types de transport, c'est effectivement un des éléments qui ressort des études qui ont été menées. Le rapport de M. Rapoport a mis en évidence que la question de l'élasticité de la demande par rapport à la question de la gratuité était plus forte en heures creuses que lors des heures de pointe. Autrement dit, à l'heure de pointe, la gratuité a peu d'effet sur les différents modes mais, en dehors des heures de pointe, elle peut avoir un effet plus important. Cela est très intéressant dans la mesure où on peut aussi imaginer des créneaux horaires de gratuité, non pas pendant les heures de pointe pour ne pas sur-saturer, sur certaines tranches horaires. De même, elle pourrait porter sur certains modes (comme le mode bus) et certains publics pourraient bénéficier de ces mesures de gratuité ciblée, par exemple les seniors ou les personnes en recherche d'emploi. À cet égard, on sait que la question du coût du transport peut être un frein à la recherche d'un emploi. Donc rien n'empêche d'imaginer des mesures incitatives et qui permettent que le transport ne constitue pas un frein à la recherche d'un emploi.
Je pense que, quand on parle de notion de gratuité, on ne doit pas forcément l'interpréter comme étant une mesure globale tout le temps mais qu'il peut y avoir aussi des mesures ciblées qui jouent comme des incitations.
En ce qui concerne le non-recours, nous sommes confrontés à la question de la lisibilité des dispositifs par les publics qui sont en difficulté et qui n'ont pas forcément accès à l'information. En Île-de-France, nous avons un million de bénéficiaires de tarifs spécifiques sur une population totale de 12 millions.
Mme Michèle Vullien, présidente. - Ce n'est pas énorme : à Lyon la moitié des voyageurs est concernée.
M. Christophe Najdovski. - On est dans un schéma dans lequel les dispositifs de réduction sont soit assez limités, soit peu connus du public, avec effectivement un taux de non-recours qui peut être important. S'agissant des dispositifs sociaux sur lesquels il y a aussi malheureusement beaucoup de non-recours, je crois que c'est une réflexion que doit avoir le législateur sur la façon dont on peut améliorer globalement l'accès aux dispositifs sociaux dont ceux concernant les transports.
Monsieur le Sénateur Mandelli m'a interrogé sur la prise en charge de l'impact financier - l'AOM ou la ville ? La ville le fait déjà, donc on peut tout à fait imaginer que ce soit la commune qui prenne en charge financièrement les mesures de gratuité ou en tout cas de remboursement qui serait plus important pour des certaines catégories de population. Par exemple, j'évoquais celles au niveau du SMIC : si on devait avoir un taux de remboursement de leur transport par l'employeur plus important que les 50 % actuels, c'est aussi au niveau de la ville que cela pourrait se faire. J'ai évoqué le fait que cela relevait de l'AOM, mais la ville peut tout à fait le faire. D'ailleurs, dans les dispositifs de gratuité partielle qui ont été mis en place, c'est bien la ville de Paris qui prend en charge financièrement le surcoût et en aucun cas Île-de-France Mobilités. Elles ne sont nullement financées par les contribuables des autres territoires : on est bien sur une étanchéité en termes de prise en charge financière.
Sur la question du transit que vous évoquiez, je crois qu'il est nécessaire que l'on ait une remise à plat de la question du financement des infrastructures et de leur coût d'usage. Vous avez tout à fait raison de dire que, après tout, une route départementale est aussi utilisée pour du transit, alors qu'elle est financée par les impôts locaux. C'est toute la question de la de la tarification : il faudra peut-être un jour poser la question de la redevance kilométrique.
Mais toujours est-il que nous avons toujours ce débat sur qu'est ce qui doit être financé par le contribuable et qu'est ce qui doit être financé par l'usager ? La réflexion sur la mobilité n'est pas complètement aboutie aujourd'hui en France. Le contribuable est quand même beaucoup sollicité. L'usager ne l'est peut-être pas autant. C'est la question que l'on pose s'agissant des transports collectifs, mais elle se pose aussi en matière routière. Soit on peut s'inscrire dans un dispositif qui sera forcément national ou bien on peut aussi donner, si nous sommes favorables à la décentralisation, la possibilité à des régions de pouvoir expérimenter - cela avait été évoqué un moment donné pour l'Alsace ou encore pour les Hauts-de-France. Je pense que l'expérimentation doit toujours être possible sur la base du volontariat des régions.
La dernière question posée par Monsieur le Sénateur Marchand est celle du delta entre les 2,5 milliards d'euros et ce que les ressources pourraient apporter. L'ordre de grandeur est de quelques centaines de millions d'euros au mieux, donc on est encore sur une différence importante. Selon le rapport de Jacques Rapoport, qui disposait de l'ingénierie qui lui permettait d'avoir une évaluation financière plus forte que la nôtre, nous serions à moins d'un milliard d'euros couvert par de nouvelles recettes par rapport aux 2,5 milliards donc nous serions à moins de 50 % du total. Cela illustre l'écart qui existe aujourd'hui entre d'éventuelles nouvelles recettes et le besoin de financement.
Mme Michèle Vullien, présidente. - D'autant plus que le tarif qui est demandé au voyageur est fortement sous-tarifé. Le coût réel est beaucoup plus élevé. Avez-vous le taux de couverture pour l'Île-de-France des transports collectifs avec et sans les investissements ?
M. Christophe Najdovski. - Aujourd'hui, nous sommes à 27 % sans investissement.
Mme Michèle Vullien, présidente. - Cela signifie qu'il faut vraiment trouver de la ressource pour faire en sorte que le réseau continue à tourner et à se développer. Une piste évoquée est celle de la rente foncière ; dans toutes les villes où vont passer des grandes infrastructures (métro, RER) le prix au mètre carré bondit.
Il serait quand même logique que la collectivité qui a investi et qui a du coup fait monter les prix ait un retour sur ses propres investissements. Je n'ai pas réussi à faire passer cet amendement dans la LOM mais on sent qu'il y a là une vraie piste et quelque chose qui serait quand même de l'équité.
Plus globalement, c'est la question de l'aménagement du territoire dans son ensemble qui est posée. Nous devons maîtriser l'étalement urbain plutôt que de courir après. Pour la réalisation du Grand Paris Express, la recette tirée de la récupération de la rente foncière n'est en rien comparable avec le montant démesuré des investissements.
L'accroissement de l'offre de transports entraîne une augmentation du prix du foncier. Quelque part, en améliorant l'offre, les élus contribuent à ce phénomène, qui, paradoxalement, rend plus difficile l'implantation de jeunes, alors que cette amélioration de l'offre de transports collectifs avait justement vocation à les attirer. D'ailleurs, aujourd'hui, je ne pourrais plus me loger dans ma propre commune. Nous ne disposons pas d'outils pour réguler ce phénomène.
M. Olivier Jacquin. - J'admire le pragmatisme de votre approche et relève que vous évoquez des pistes de financement. Avez-vous identifié d'autres ressources nouvelles d'un montant significatif susceptibles d'être mobilisées ?
M. Christophe Najdovski. - J'ai déjà évoqué plusieurs pistes et nous ne sommes pas allés au-delà dans notre réflexion ; notre inventivité a des limites. Une piste a néanmoins été laissée de côté jusqu'à présent : la révolution numérique et le développement des plateformes dégagent de la valeur, même si l'on dit souvent que certaines perdent de l'argent. Les externalités négatives ne sont jamais mises en avant. Air BnB est l'exemple même de ce processus de privatisation des bénéfices et socialisation des pertes pour les collectivités qui souffrent de l'émergence de ces nouveaux services. D'où vient la valeur et où va-t-elle ? Telle est la question que nous devons nous poser aujourd'hui.
Mme Michèle Vullien, présidente. - Merci pour cette contribution, qui confirme que « le problème de la gratuité, c'est la gratuité », pour reprendre une remarque formulée par l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) lorsque nous l'avons auditionnée. Comme vous, je constate que la gratuité peut être intéressante à certaines heures de la journée, pour certains publics. Mais on ne peut échapper à la problématique de la tarification, aux équilibres économiques de long terme. Je pense notamment au moment où les AOM qui pratiquent la gratuité, telle Dunkerque, vont devoir renouveler leur matériel, surtout si elles décident d'acquérir des bus de nouvelle génération, articulés ou électriques par exemple. Notre mission montre bien qu'il n'existe pas de réponse automatique, linéaire et adaptable partout. Par ailleurs, qu'en est-il des franges territoriales, des effets de seuil ?
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous avez terminé votre propos en disant que vous sortiez du sujet. Au contraire, la question du financement est essentielle. Il faut sortir du paradigme une recette en moins égal de moindres investissements. La LOM me laisse un peu sur ma faim sur ce point.
Je suis sensible à votre raisonnement concernant les plateformes numériques. Mme Idrac, Haute responsable pour la stratégie de développement du véhicule autonome, nous avait déjà alertés à ce sujet.
Mme Michèle Vullien, présidente. - Quand c'est gratuit, c'est vous le produit...
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous avez évoqué la politique relative au stationnement. Pouvez-vous préciser vos orientations à ce sujet, d'autant que le stationnement est un levier intéressant en termes de report modal ?
M. Christophe Najdovski. - La gratuité est comme le fil de la pelote : plus on tire, plus de sujets apparaissent. Elle pose la question de la redevance d'usage : qu'elle doit être la part assurée par le contribuable et celle de l'usager ? Qui doit payer le service ? À titre personnel, je suis très favorable à une redevance d'usage fondée sur le nombre de kilomètres parcourus, de sorte que le coût pris en charge par la collectivité le soit par l'émetteur. Ceci renvoie à l'enjeu des externalités négatives, supportées par les seules collectivités territoriales. Les opérateurs n'y prennent aucune part, tels ceux qui organisent des services de livraison gratuite à domicile, notion qui interroge car le coût n'est pas assuré par le client mais reporté sur la collectivité.
J'ai vécu la loi de décentralisation du stationnement ; son bilan est très positif, bien loin des difficultés évoquées par la presse. Les instruments de stationnement contrôlés et efficaces peuvent jouer un rôle essentiel dans la régulation des déplacements en permettant une meilleure rotation des places et une plus grande disponibilité. Celle-ci procure également une recette à la collectivité. Faire contribuer les centres commerciaux, par exemple en fonction de la taille de leurs parkings, est une façon astucieuse d'internaliser les coûts et de faire en sorte qu'ils ne reposent pas sur la seule collectivité.
Mme Michèle Vullien, présidente. - Depuis longtemps, l'ensemble de la France a contribué au financement des transports en Île-de-France, je le rappelle. Ce faisant, on a d'une certaine manière encouragé l'étalement urbain et, aujourd'hui, le RER est saturé. Il serait quand même logique que la collectivité qui a investi et qui a, du coup, fait monter les prix, ait un retour sur fonds propres. Je n'ai malheureusement pas réussi à faire adopter mon amendement en ce sens lors de l'examen de la LOM par le Sénat mais il y a là une vraie piste, justifiée par l'équité.
Plus globalement, au-delà de la question de la mobilité, c'est celle de l'aménagement du territoire qui est posée, notamment du point de vue de la maîtrise de l'étalement urbain.
M. Christophe Najdovski. - Votre remarque pose la question de la taille des métropoles. En Île-de-France, on a atteint la taille critique. Ainsi, des montants colossaux ont été engagés pour le prolongement du RER E, qui sera saturé dès sa mise en service. Comment éviter la concentration d'emplois dans un secteur de l'agglomération, qui génère des mouvements pendulaires ? Il faut privilégier une organisation autour de plusieurs pôles mais aussi s'interroger sur le nombre de personnes attirées : on habite mieux la France de manière mieux répartie. Aujourd'hui, les enquêtes d'opinion illustrent l'importance de cet enjeu : plus de huit cadres franciliens sur dix veulent quitter la région ; c'est édifiant.
M. Frédéric Marchand. - À Dunkerque, la gratuité n'est qu'un prétexte pour réaménager entièrement le territoire de la communauté urbaine. Votre démonstration montre qu'au niveau des AOM comme au niveau des collectivités, on a un peu tendance à réfléchir, s'agissant des flux, sur des frontières qui sont aujourd'hui complètement artificielles. Nous avons en effet tendance à nous enfermer en faisant parfois abstraction de ceux qui rentrent sur la métropole, de ceux qui sortent de la métropole et cela vient fausser les bonnes idées qu'on pourrait avoir en matière d'infrastructures de transport. Donc je pense que, comme vous le dites, il y a une révolution à imaginer s'agissant des mobilités, mais qui se recoupe avec une révolution en matière d'aménagement du territoire qu'il faudrait sans doute penser autrement.
Mme Michèle Vullien, présidente. - Je crois que nous pourrions continuer encore plus longtemps, parce que c'est un vrai sujet, qui touche énormément à l'urbanisme, aux formes urbaines des villes et aux façons de se déplacer, le télétravail, le coworking, etc. On voit que c'est une révolution sociétale sur notre mode d'habiter le territoire et de se comporter. Nous vous remercions de votre éclairage très utile pour alimenter notre réflexion.
La réunion est close à 14 h 35.