Mardi 11 juin 2019
- Présidence de Mme Laurence Harribey, présidente -
La réunion est ouverte à 17 h 50
Audition de Mme Adria Houbairi et M. Jean-Luc Bennahmias, rapporteurs de l'avis sur La réforme des fonds structurels européens, au nom de la section des affaires européennes et internationales du Conseil économique, social et environnemental
Mme Laurence Harribey, présidente. - Mes chers collègues, notre mission d'information entame aujourd'hui ses travaux avec l'audition de Mme Adria Houbairi et M. Jean-Luc Bennhamias, rapporteurs de l'avis sur la réforme des fonds structurels européens, au nom de la section des affaires européennes et internationales du Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Les fonds européens structurels et d'investissement constituent les principaux instruments de la politique de cohésion de l'Union européenne. Ils jouent un rôle essentiel pour soutenir le développement de l'Union, améliorer le niveau de vie de ses habitants et concrétiser la solidarité entre les États membres. Ils illustrent la valeur ajoutée européenne. À ce titre, ils constituent un acquis précieux.
Votre section a été saisie par le gouvernement dans le cadre des négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027. À ce titre, vous avez étudié de près la politique de cohésion de l'Union européenne et son avenir. Vous avez formulé dix-huit propositions de réforme.
Quel bilan dressez-vous de la programmation en cours ? La situation de notre pays est-elle vraiment caractérisée par une sous-utilisation chronique des fonds européens ou l'analyse est-elle à nuancer ? Quelle est l'efficacité de la politique de cohésion dans notre pays ? Quelle est la situation particulière de l'outremer ? Quelle appréciation portez-vous sur les propositions de la Commission européenne pour le prochain CFP ? Comment pourrait-on améliorer à la fois la visibilité et la gestion des fonds européens ? Voici quelques-unes des questions qui intéressent notre mission d'information.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole successivement pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteure, Colette Mélot, à vous poser des questions.
Cette audition est ouverte au public et à la presse et sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Vous avez la parole, Mme et M. les Rapporteurs.
M. Jean-Luc Bennhamias. - Nous vous remercions de nous recevoir car nous n'avons pas beaucoup été entendus à la suite de la publication de ce rapport. Nous avons été reçus par l'Assemblée nationale et par le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE). On s'attendait à ce que, lors de la campagne européenne, il y ait un débat sur l'utilisation des fonds structurels, leur utilité, leurs réussites ou non. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que cela n'a pas eu lieu. Ainsi, pour nous, la campagne européenne a été très calme...
Les moyens du CESE sont assez faibles. Nous regrettons de ne pas avoir les moyens de nous déplacer. Nous avons toutefois auditionné plusieurs personnes, notamment des représentants des collectivités et des régions, de la région PACA en particulier. Mais nous aurions souhaité rencontrer une entreprise, une association, un agriculteur ou une coopérative agricole, qui avaient des difficultés à toucher des fonds.
Lorsque nous avons rédigé cet avis, nous étions, si je puis dire, au mitan de la programmation. Nous étions plutôt positivement surpris. Par rapport à la doxa, selon laquelle les régions seraient mal organisées et les Français ne sauraient pas utiliser ces fonds, nous nous sommes rendus compte que la consommation était proche de 50 %. Mais il semblerait qu'il n'y ait pas eu de véritables améliorations depuis. Selon les régions, des variations peuvent exister.
Nous sommes satisfaits que les régions soient désormais compétentes pour gérer les fonds européens, après l'expérimentation alsacienne. L'État conserve encore l'utilisation principale des fonds sociaux. Mais les progrès sont réels. C'est la raison pour laquelle nous indiquons dans notre avis qu'il faut que les régions gèrent ces fonds, et que c'est aux régions d'aider les collectivités locales, notamment les communes rurales et les intercommunalités, ne disposant pas forcément de moyens humains, financiers ou structurels suffisants. Il revient aux régions de mettre en oeuvre « le guichet unique », un lieu de relation, d'aide et de compétences, permettant aux communes rurales et aux collectivités locales de moindre importance de disposer d'aide. En effet, les fonds européens sont complexes. Certes, la Commission européenne n'a pas rendu l'utilisation de ces fonds aisée, mais l'administration française n'y a pas non plus contribué. Quand on s'aperçoit que plusieurs ministères interviennent pour des mêmes fonds, cela rend les choses extrêmement complexes. La simplification à outrance n'existe pas, mais on pourrait simplifier un peu, pour faciliter l'utilisation des fonds.
Avec la fusion des régions, notamment Bourgogne-Franche Comté, ou Auvergne-Rhône-Alpes, la situation est compliquée, même si dans cette dernière région, les tendances sont favorables.
Curieusement, et alors que notre territoire maritime est l'un des plus étendus au monde, l'utilisation du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) est faible. Certes, ce fonds est relativement « marginal » puisqu'il ne représente que quelques centaines de millions d'euros par rapport aux 28 milliards d'euros alloués à la France au titre des fonds européens. On constate une sous-utilisation complète de ce fonds. Les territoires d'outre-mer nous l'ont fait savoir. Malheureusement, nous n'avons pas pu analyser de plus près les raisons de cette sous-utilisation.
La nouvelle programmation de la Commission européenne prévoit une baisse des fonds. De notre point de vue, c'est une erreur. Les exemples d'une utilisation intéressante des fonds sont nombreux.
Enfin, même si on est en léger retard sur l'utilisation des fonds, celui-ci est toujours rattrapable. Nous ne sommes toujours pas en 2020. Il n'est jamais trop tard pour agir.
Mme Adria Houbairi. - Nous avons le sentiment d'avoir fait un travail à la demande du Gouvernement, mais qui l'a peu intéressé.
Au Conseil économique, social et environnemental, nous ne disposons pas des outils et moyens pour une évaluation au sens strict. Nous avons procédé à une analyse empirique. J'ai été interpellée par le rapport de la Cour des comptes, qui fait référence à la sous-utilisation des fonds. Il indique notamment que la consommation française n'est pas pire qu'ailleurs et qu'il ne faut pas changer l'architecture pour l'avenir. Dès lors, nos préconisations restent d'actualité. Ces dernières années, la difficulté a été de trouver la bonne articulation entre l'État et les territoires, après la décentralisation et le transfert aux régions de l'autorité de gestion.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Nous sommes à la fin de la programmation pluriannuelle, alors que la nouvelle programmation va débuter en 2021. C'est un moment crucial pour faire un constat et se servir des expériences acquises pour la prochaine programmation.
La Cour des comptes préconise de ne pas changer l'architecture.
En outre, le retard est rattrapable, notamment pour ceux qui ont déposé des dossiers. La presse a pu donner une mauvaise impression sur ces fonds en indiquant que la France ne les utilisait pas dans leur totalité. Tout le monde a pris ces déclarations pour argent comptant.
M. Bernard Delcros. - On dit que nous sommes dans la moyenne européenne pour la consommation des fonds. Est-ce vrai également pour le programme LEADER ? En effet, ce programme accuse un retard important par rapport aux autres fonds. LEADER France indiquait en mars que la programmation était alors de 15 %, et à 5 % de paiement.
La complexité des procédures est souvent mise en avant sur le terrain. Sommes-nous, en France, pour l'instruction des dossiers ou le processus de paiement, dans les mêmes logiques que nos voisins ? Y-a-t-il des dispositifs rendus plus complexes du fait d'initiatives françaises ?
On constate très souvent en milieu rural et peu dense, l'existence d'un vrai défaut d'ingénierie pour accompagner les porteurs de projet. Est-ce votre point de vue ?
Peut-on imaginer une prorogation de la programmation actuelle afin de consommer au maximum les crédits ouverts pour les années 2014-2020 ? J'avais cru comprendre que cela était inscrit dans les possibilités initiales du programme. Si oui, qui l'active : l'État ou les régions ? Est-ce compatible avec un démarrage de la programmation suivante ? Enfin, selon vous, une cause du retard peut-elle être due au transfert de la gestion aux régions, notamment dans un contexte de fusion entre régions ?
M. Jean-Luc Bennhamias. - Sur le programme LEADER, je ne connais pas le pourcentage d'engagement. Mais il est toujours possible de contacter la Commission européenne qui est bien plus joignable que les ministères français. Tout exécutif de collectivité locale peut prendre rendez-vous avec la Commission européenne. Cette dernière a la réponse à toutes ces questions. Elle pourra notamment indiquer s'il est possible d'utiliser après 2020 des fonds de la programmation 2014-2020, notamment si les projets ont déjà démarré. Je n'ai pas la réponse.
En matière de complexité, la France a un talent particulier pour en ajouter.
Une de nos principales préconisations est qu'il revient aux régions de mettre en place les structures nécessaires pour apporter une aide à la commune, à l'intercommunalité, ou à l'entreprise souhaitant bénéficier de fonds européens C'est aux régions d'être à la manoeuvre. Il est évident qu'une intercommunalité de 20 000 habitants ne dispose pas forcément du temps et de la compétence nécessaires pour monter un dossier de demande de fonds européens.
L'État se garde quelques préemptions sur les fonds européens, notamment le Fonds social européen (FSE). Toutefois, un peu plus de décentralisation de ce fonds serait intéressant.
Pour rédiger cet avis, nous avons été confrontés à une difficulté de moyens, comme je l'ai expliqué un peu plus tôt, mais aussi temporelle : nous avions deux mois pour travailler.
En matière de fonds européens, il y a clairement une méconnaissance, une sous-information générale. Je tiens d'ailleurs à signaler qu'il y a très peu de journalistes français présents de manière permanente à Bruxelles. Enfin, je tiens à le redire, la Commission européenne n'est pas une structure fermée. La discussion est possible. D'ailleurs, les régions françaises ont des délégations permanentes à Bruxelles.
M. Philippe Mouiller. - Je comprends que le ressenti autour de l'utilisation des fonds européens puisse être négatif. Je suis élu des Deux-Sèvres, département rural. Le programme LEADER est bloqué. Il n'y a pas d'instruction, ni de mise en paiement. À part le chef-lieu de département, plus aucune collectivité n'a accès aux fonds européens. Enfin, les délais de paiement sont très importants. Je ne peux pas le quantifier, mais c'est un ressenti généralisé. À travers cette mission, nous allons analyser les difficultés. Mais je suis interpellé par le chiffre de 50 % pour l'utilisation des fonds.
Vous nous avez indiqué que les régions sont le niveau pertinent de gestion des fonds européens. Je suis issu de la région Nouvelle-Aquitaine, mais géographiquement très éloigné du chef-lieu de la région. Nous n'avons plus aucune relation concernant les fonds européens. Il n'y a plus aucune information et communication. La taille des nouvelles régions n'a-t-elle pas éloigné les communes et les départements de la relation avec les fonds européens ?
M. Bernard Delcros. -. Lorsque l'autorité de gestion était l'État, nous avions un interlocuteur dans le département.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Avez-vous pu remarquer des différences entre les régions qui n'ont pas fusionné et celles qui ont fusionné ? En Nouvelle-Aquitaine, nous sommes dans une région XXL, avec trois programmes opérationnels qui cohabitent. L'équipe régionale gérant les fonds européens se trouve à Poitiers. Si vous avez remarqué des éléments de différenciation, cela pourrait nous amener à indiquer qu'un des problèmes de la sous-consommation est transitoire.
M. Jean-Luc Bennhamias. - Le CESE est profondément décentralisateur. Certes, la région Nouvelle-Aquitaine est immense. Mais qu'est ce qui empêche dans ce cas de faire des délégations à des métropoles ? Des délégations existent déjà dans d'autres domaines. De même, les métropoles doivent aider les zones rurales.
On a évoqué la communication vis-à-vis de nos concitoyens. Je ne vois pas pourquoi la communication serait meilleure si l'Etat s'en chargeait.
Je pense qu'en matière de transition écologique, un certain nombre de fonds devraient être plus ou moins orientés vers les politiques énergétiques.
Mme Adria Houbairi. - Il n'y a pas eu d'évaluation depuis notre avis publié il y a un peu plus d'un an. Il me semble que les constats dressés et les analyses faites en juin dernier restent pertinents. Nous disions qu'il fallait simplifier la gestion, en confortant la décentralisation, quelle que soit la taille des régions. Se pose ensuite la question de l'accompagnement des porteurs de projet.
M. Benoît Huré. - Il faut essayer de comprendre pourquoi nous sommes arrivés à cette situation. Pendant la campagne des élections européennes, la médiatisation à tort d'une sous-utilisation des fonds a nourri les populismes. Nous avons l'ardente obligation de réussir et de donner plus de lisibilité. J'ai été président de département. L'État français fixe des règles, surtranspose. Depuis le mois de février 2018, à chaque fois qu'un texte de loi arrive en discussion au Sénat et chevauche des compétences européennes, la commission des affaires européennes du Sénat a la mission de vérifier qu'il n'y a pas de surtransposition. J'ai expertisé à cette aune le projet de loi d'orientation des mobilités.
Vous avez indiqué qu'il revenait aux métropoles de défendre la ruralité. Qu'elles y contribuent serait déjà une bonne chose car permettez-moi de douter qu'elles aient une vision globale de l'aménagement du territoire.
Je me trouve dans la région Grand Est. Je suis à une heure de Bruxelles et à 4 heures de Strasbourg, ma capitale régionale. Les préfets dans les départements représentent l'Etat. Les préfectures sont la réponse la plus proche qui soit.
Sur la programmation qui s'est achevée en 2014, une part des fonds n'a pas été consommée. Ce sera encore le cas en 2020. L'échéance de la programmation est dans à peine plus d'un an.
Dans une vie antérieure, j'ai représenté le monde agricole et j'ai participé à des travaux d'INTERREG. Nous avions un projet entre la France et la Flandre. Le dossier a été d'une complication sans nom. Très peu de fonds ont été consommés. Le même projet entre la Flandre et les Pays-Bas a été mis en place très rapidement ; il s'agissait pourtant des mêmes thématiques. La Belgique était sur les deux projets. Côté français, on s'évertuait à trouver des règles et sur-règles, et des sur-contrôles. Pendant ce temps, aux Pays-Bas, imprégnés d'un autre esprit, le projet a avancé. À ce que je sache, ils n'ont pas été condamnés pour une mauvaise utilisation des fonds européens. Nous avons une vraie révolution culturelle à entreprendre. On ne peut pas continuer, en ne se réformant pas, à accuser l'Europe d'être loin de nos concitoyens.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Avez-vous mené des études comparatives ? S'il y a sous-consommation chronique, est-ce dû à des spécificités françaises dans la gestion des fonds ? L'exemple donné par Benoît Huré n'est pas isolé.
Mme Adria Houbairi. - Nous n'avons pas pu faire d'études comparatives en raison du temps imparti et des moyens disponibles.
M. Jean-Luc Bennhamias. - Je souhaite apporter une précision à mes propos. Ce n'est pas à la métropole de gérer le monde rural. Mais c'est à ceux qui en ont la possibilité de mettre les moyens humains nécessaires à disposition des autres.
Mme Adria Houbairi. - Des évolutions sont peut-être possibles pour le FEADER. Il y avait déjà auparavant un enchevêtrement dans les territoires, auquel s'est ajoutée la complexité de la gestion des fonds. Il apparaît très clairement un manque de connaissances. Il faut faire preuve de pragmatisme.
Parmi les personnes que nous avons auditionnées, nous avons rencontré un cabinet d'audit qui aidait les porteurs de projet. Il nous avait indiqué un problème de surtransposition.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Il y a un manque d'informations des collectivités sur les possibilités pour être aidées. On entend souvent les maires des communes dire ne pas avoir les moyens. L'idée de faire appel aux fonds européens ne leur vient pas instantanément.
En outre, il faut que les intercommunalités portent les projets plutôt que les communes. Elles ont plus de faciliter pour ouvrir une ligne de trésorerie ou recruter quelqu'un.
Mme Brigitte Lherbier. - Conseillère régionale des Hauts-de-France avant d'être élue sénatrice, j'étais très attentive aux grands projets évoqués par les régions. Dans notre région, nous avons le canal Seine-Nord. L'Europe y est favorable, mais le projet n'avance pas car il faut trouver des partenaires. Élue de milieu urbain, je me suis fixée le défi d'aller sur les territoires ruraux. J'ai visité plusieurs fermes. J'ai pu constater qu'un grand nombre d'agriculteurs arrivaient à faire financer leurs projets par l'Europe. On voit en effet les logos européens partout : dans une coopérative agricole, pour une arracheuse de lin ou encore pour installer des éoliennes ou des panneaux solaires dans une grange.
M. Pierre Louault. - Nous avons un problème structurel de dégagement d'office. Il y a un mal français de surréglementation. Par exemple, pour les agriculteurs, la réglementation était tellement compliquée que l'on n'a pas réussi à gérer le fonds de manière informatique. Le paiement s'est fait avec trois ou quatre ans de retard. Il faut se mettre à la portée des utilisateurs potentiels. Le fait d'avoir transféré aux régions la gestion des fonds européens a ajouté une couche de réglementation et a entraîné une perte d'expérience. En effet, l'État a conservé son personnel. Cela devient un outil inutilisable. Non seulement, on ne sait pas utiliser les fonds européens, mais en plus on doit payer des pénalités.
M. Jean-Yves Roux. - Je suis l'élu d'un territoire très rural. Nous avons un souci par rapport à l'ingénierie. Lorsque les élus ruraux cherchent à contacter la région, dans certains cas, ils n'arrivent pas à avoir d'interlocuteur pour les accompagner. J'ai bien entendu vos propos relatifs au rôle de l'intercommunalité. Mais ce n'est pas toujours évident pour les petites intercommunalités.
En outre, lorsque le dossier est complet, il faut avoir de la trésorerie. Parfois, les versements sont faits par la région, et parfois par l'État. Or, l'un peut demander des pièces complémentaires, alors que l'autre avait indiqué que le dossier était complet...
M. Bernard Delcros. - Nous devons chercher à simplifier pour accélérer les processus. Nous avons des problèmes sur la connaissance de ces fonds. Nous avons beaucoup parlé des collectivités, mais il y a aussi les acteurs privés qui sont encore plus démunis devant la difficulté à trouver de la trésorerie. Il faut simplifier l'instruction. En ce qui concerne les paiements, j'ai rencontré récemment des porteurs de projet qui attendent depuis plus d'un an le versement d'une subvention.
M. Jean-Luc Bennhamias. - Tout ce qui touche à l'agriculture et à la politique agricole commune (PAC) est un peu plus facile car il y a une expérience globale plus importante. Cela explique pourquoi il est plus facile pour le milieu agricole de comprendre les schémas de recours à ces fonds que pour une très petite entreprise.
Le retard du canal Seine-Nord n'est pas dû à l'Europe, qui avait accepté ce projet.
Une intercommunalité de 15 000 habitants n'a pas beaucoup plus de moyens pour avoir l'ingénierie nécessaire. Le principe d'avoir délégué aux régions la gestion des fonds est très récent. Il serait intéressant que vous analysiez pourquoi ce qui a été possible dans certains pays ne l'a pas été chez nous.
Je vous remercie de nous avoir reçus. Nous avons été déçus que notre avis n'ait pas eu beaucoup d'échos, d'autant plus qu'il s'agissait d'une commande gouvernementale.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Vous avez fait 18 préconisations. Quelles sont celles qui ont été reprises ? Quelles sont celles qui ont été écartées ?
Mme Adria Houbairi. - Bien que saisis par le Gouvernement, nous n'avons pas été reçus au niveau ministériel pour remettre cet avis. Nous n'avons eu aucune information sur les suites données à cet avis. Or, c'est un sujet à la fois très technique et politique.
La réunion est close à 18h50.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site Internet du Sénat.
Mercredi 12 juin 2019
- Présidence de Mme Laurence Harribey, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 10
Audition de Mme Martine Marigeaud, présidente de la Commission interministérielle de coordination des contrôles
Mme Laurence Harribey, présidente. - Je vous prie de bien vouloir excuser notre retard, mais nous assistions à la lecture dans l'hémicycle de la déclaration de politique générale par M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Nous procédons aujourd'hui à notre deuxième audition depuis le début de nos travaux. Il était important pour nous de vous entendre, Madame Marigeaud, afin que vous puissiez nous fournir un cadre technique. Je vous remercie d'avoir accepté cette invitation.
Rattachée au Premier ministre, et agissant de façon indépendante et collégiale, la Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC), que vous présidez, est chargée d'exercer, pour la France, les missions confiées aux autorités d'audit prévues par la réglementation européenne relative aux fonds européens. Vous définissez l'organisation et l'orientation de l'ensemble des contrôles et veillez à l'établissement et à l'exécution des programmes de vérification. Vous adressez aux autorités impliquées dans la gestion et le contrôle des fonds, notamment les collectivités territoriales, et aux ministères concernés toute recommandation nécessaire pour améliorer les systèmes de gestion et de contrôle. Vous leur proposez les mesures appropriées pour remédier aux déficiences constatées et êtes informée des suites qui y sont données.
La CICC est notamment compétente pour le Fonds social européen (FSE), le Fonds européen de développement régional (FEDER), le Fonds de cohésion et le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP).
On le voit, les compétences de la CICC sont éminemment techniques. Nous comptons cependant sur vous pour rendre ces aspects intelligibles...
En effet, notre mission d'information entend porter un regard politique sur une question qui, au-delà de ses aspects techniques, concerne directement le développement de nos territoires. La politique de cohésion concrétise la solidarité entre les États membres et illustre la valeur ajoutée européenne.
Au regard des compétences de la commission que vous présidez, quel bilan dressez-vous de la programmation en cours ? La situation de notre pays est-elle vraiment caractérisée par une sous-utilisation chronique des fonds européens ou l'analyse est-elle à nuancer ? Quelle est la situation particulière des outre-mer ? Quelle appréciation portez-vous sur les propositions de la Commission européenne pour le prochain cadre financier pluriannuel ? Comment pourrait-on améliorer la gestion des fonds européens ? Telles sont quelques-unes des questions qui intéressent notre mission d'information.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le fil conducteur de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteure, Colette Mélot, à vous poser des questions.
Cette audition est ouverte au public et à la presse et sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Mme Martine Marigeaud, présidente de la CICC. - Merci, Madame la Présidente. Je suis accompagnée par M. André Leprince-Granger, qui est notre chef de pôle « régions ». Je vais essayer de faire preuve de pédagogie, car nous sommes dans un système un petit peu complexe.
Notre première mission concerne l'architecture globale du système de contrôle de la régularité des fonds européens. Comme vous le savez déjà, les fonds dépendent des services de la Commission, mais les tâches liées à l'exécution budgétaire sont déléguées aux États membres qui remplissent les obligations de contrôle et d'audit prévues par le règlement financier et les règlements sectoriels. Je ne vous citerai pas en détail les articles pour alléger le propos, mais nous tenons à votre disposition, bien sûr, les références nécessaires.
Pour protéger les intérêts financiers de l'Union, les États membres nomment les autorités de gestion et les autorités de contrôle. Ils les supervisent et procèdent à des contrôles, ex ante et ex post.
En France, nous avons trois pôles : l'autorité de gestion, qui est chargée de la gestion du programme opérationnel conformément aux principes de bonne gestion financière ; l'autorité dite de certification, qui certifie, comme son nom l'indique, les demandes de paiement et les comptes des autorités de gestion ; enfin, l'autorité d'audit, qui est chargée du bon fonctionnement des systèmes de gestion et de contrôle et des programmes opérationnels. C'est le rôle de la CICC.
Pour le FSE et le FEDER, la fonction d'autorité de gestion est également assurée par les régions.
La fonction d'autorité de certification est assurée par la DGFIP sur l'ensemble du territoire pour l'ensemble de ces fonds, sauf pour le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).
Nous vous communiquerons un organigramme détaillant toute cette organisation assez complexe.
Nous avons le devoir de remettre chaque année à la Commission européenne un document très précis, très formaté, qui est un avis sur les comptes annuels, un avis sur la légalité et la régularité des dépenses contenues dans les comptes annuels et un avis sur le fonctionnement du système de gestion et de contrôle. Si vous voulez, ce sont trois sous-parties d'un avis général, qui accompagne un rapport annuel de contrôle commentant la gestion du programme concerné. La forme et le contenu de ce rapport sont évidemment encadrés par des guidances, les guides de la Commission. Nous vous avons fait passer des notes d'orientation de la Commission reprenant ses préconisations.
Le rôle de la CICC est d'approuver ce que l'on appelle le RAC, le rapport annuel de contrôle. C'est un des axes forts de notre activité, et nous nous prononçons sur ce document par le biais d'un collège, dont je vous expliquerai la composition ultérieurement. S'ensuit un dialogue avec la Commission européenne, avec des observations, des contre-observations, qui se terminent par un quitus sur la vision complète d'une année d'exécution d'un programme opérationnel. Tout cela est très codifié.
La Commission européenne peut également nous contrôler, c'est-à-dire qu'elle vient faire en France des audits dits de réassurance pour voir comment nous fonctionnons. Pour cela, nous sommes en relation avec quatre directions de la Commission : la DG régions ; la DG emploi ; la DG outre-mer ; la DG mer.
La Commission peut aussi décider de venir auditer une autorité gestionnaire sans regarder notre propre travail. C'est ce qu'elle a fait d'ailleurs récemment avec la Guadeloupe. Nous en sommes pour l'instant au rapport provisoire. Cela peut prendre plusieurs mois.
Les autorités de gestion peuvent être questionnées de nouveau par les auditeurs de la Cour des comptes européenne. Il s'agit pour celle-ci de contribuer à la déclaration d'assurance, la DAS globale relative à un exercice donné, ainsi qu'à l'appréciation spécifique sur une rubrique particulière du budget de l'Union, qui est intitulée « cohésion économique, sociale et territoriale ».
Nous sommes en charge de 58 programmes opérationnels, ce qui est considérable. Il y en a en fait 59, mais celui de Saint-Martin est en suspens, pour les raisons que l'on peut comprendre. Ces 58 programmes opérationnels sont divisés en 37 programmes régionaux, 8 programmes nationaux et 13 programmes inter-régions, lesquels sont des programmes dits de coopération territoriale.
La France est responsable de l'audit de ces treize programmes, ce qui entraîne une mécanique complexe.
En ce qui concerne les structures de la CICC, nous distinguons le collège, les auditeurs nationaux et les auditeurs régionaux.
Au fur et à mesure du développement des fonds européens, les différentes inspections générales (IGF, IGAS, IGA, etc.) ont mis en place des procédures de contrôle et une équipe d'inspecteurs s'est de facto spécialisée sur ces sujets. Le collège de la CICC est le successeur de cette équipe : il regroupe des inspecteurs de l'État, des personnalités qualifiées et des représentants d'organismes intéressés à ces questions, notamment des régions. Toute la production dont je vous ai parlé à l'instant est examinée par le collège, et le président du collège signe les documents avant leur envoi à Bruxelles.
Les auditeurs nationaux relèvent des ministères qui contrôlent les programmes nationaux et nous collaborons avec eux, ainsi qu'avec les inspections générales - nous pouvons notamment leur déléguer certains audits.
Les auditeurs régionaux sont, depuis 2014, dans une situation singulière. Ces petites équipes, composées d'une à sept personnes selon les régions, sont placées fonctionnellement sous mon autorité, mais hiérarchiquement sous celle des régions - ce sont elles qui les rémunèrent. Leur spécificité n'a certainement pas été prise en compte au moment de la décentralisation de la gestion des fonds européens. Dans les régions, les audits sont également réalisés par des prestataires extérieurs, choisis par appels d'offres, ce qui apporte de la souplesse.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Ce n'est guère l'impression de souplesse qui transparaît de vos propos...
Mme Martine Marigeaud. - En fait, les besoins d'audit varient selon le lieu et la période, si bien qu'il ne serait pas vraiment pertinent de recruter trop de personnes directement. Le recours à des prestataires extérieurs apporte de la souplesse au dispositif. Au total, 69 équivalents temps plein exercent en région.
Enfin, nous sommes évidemment en relation avec les autorités gestionnaires des fonds et avec les autorités certificatrices, comme la direction générale des finances publiques (DGFIP).
Mme Laurence Harribey, présidente. - Pourriez-vous nous donner une appréciation globale sur la gestion des fonds européens ?
Mme Martine Marigeaud. - Il existe plusieurs types d'audits. Chaque année, nous tirons au sort les opérations qui donneront lieu à un audit, mais nous procédons aussi à des audits plus larges, que ce soit sur les comptes, le suivi ou les systèmes.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Vos procédures semblent rodées et approfondies, mais est-ce que le système vous semble adapté en ce qui concerne l'utilisation des fonds ? Vient-il plutôt faciliter les choses ou les ralentir ? De nombreux porteurs de projets évoquent la complexité des procédures et les lenteurs ; ils en viennent parfois à abandonner à cause de cela... Qu'en pensez-vous ?
Par ailleurs, disposez-vous d'un comparatif entre les pays de l'Union européenne ? Il est évident que les cultures administratives sont différentes entre les États membres. Est-ce que la France est « compétitive » de ce point de vue ? Les contrôles sont-ils équivalents dans tous les pays ? Sommes-nous rapides et efficaces ?
Mme Annick Billon. - Je suis perplexe en vous entendant, et le tableau que vous dressez me semble effrayant. Étions-nous obligés, en France, de mettre une telle complexité dans les missions de contrôle de la CICC ? Comment des porteurs de projets pourraient-ils ne pas être rebutés ? Pourquoi l'un des fonds ne fait-il pas partie de cette organisation spécifique ? Les régions doivent se doter d'équipes allant jusqu'à six personnes pour obtenir ce à quoi elles ont droit. Il faut déjà une personne ne serait-ce que pour comprendre ce tableau ! Or les fonds sont sous-utilisés. Comment vulgariser cette organisation incompréhensible ? Les régions ne peuvent pas toutes y consacrer six collaborateurs...
M. Bernard Delcros. - L'important, c'est que cela soit facile pour les porteurs de projets. Nous devons être facilitateurs pour les collectivités territoriales et les acteurs privés. Pour l'instant, sur le terrain, c'est très compliqué, surtout pour les acteurs privés, s'ils ne bénéficient pas du soutien d'une grosse structure. Résultat : les possibilités offertes par les fonds européens sont méconnues. Il est difficile, aussi, de monter les dossiers, faute d'ingénierie territoriale. Le délai d'instruction de ces dossiers est long, et s'y ajoutent des retards de paiement. Ainsi, on me disait récemment que des apiculteurs ayant bénéficié des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) 2016 n'ont toujours pas été payés en 2019 ! Et un couple ayant ouvert il y a plus d'un an un restaurant en zone rurale, dans le Cantal, n'a toujours pas reçu la subvention promise. Comment simplifier les choses ? Il faut rendre le système plus réactif et plus facile pour le porteur de projet. Actuellement, en mars, seuls 15 % des crédits de LEADER ont été engagés, et 5 % payés. La France ajoute-t-elle de la complexité ?
Mme Martine Marigeaud. - Je représente une autorité d'audit, que les porteurs de projets ne voient pas : nous ne freinons rien et ne pouvons pas assouplir les choses pour eux. Ce n'est qu'au cas où une opération auditée a posteriori le réclame que nous nous adressons aux porteurs de projet. Il faut réduire le nombre de programmes en France car nous en avons plus que partout ailleurs en Europe - juste avant l'Italie. C'est pour cela que nous avons tant de structures à gérer.
M. André Leprince-Granger, chef de pôle « régions » à la CICC. - D'où ce tableau abscons ! En France, nous avons choisi d'avoir une autorité d'audit unique.
Mme Martine Marigeaud. - Quand nous constatons que des fonds ont été utilisés irrégulièrement, dans des proportions qui dépassent le taux d'erreur fixé par la Commission européenne et qui est le même partout en Europe, l'argent versé est retiré, mais il est restitué à la région, qui peut le réutiliser - même s'il est plus difficile de trouver des projets en fin de période. La lenteur de la mécanique et les chevauchements de programmation font que, pour la période 2014-2020, on peut dépenser jusqu'en 2023-2024. D'ailleurs, notre activité s'accroît depuis un an... Cet effet de calendrier explique en partie la sous-consommation.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Est-il possible d'accélérer le processus ?
Mme Martine Marigeaud. - Nous ne sommes pas des spécialistes de la qualité des projets, nous ne faisons que les contrôler. Il y a eu de la lenteur dans l'habilitation et la désignation des autorités gestionnaires, car il y a eu un double boom : la décentralisation des fonds et la création de ces autorités gestionnaires qui n'existaient pas auparavant. Par exemple, une région a choisi de ne nous livrer son document d'organisation qu'à partir du moment où elle disposerait de son nouvel organigramme. Ce type de problématiques est désormais derrière nous. L'expérience nous aidera, et l'on constate déjà une professionnalisation de la connaissance de ces processus. La Commission européenne prévoit d'accélérer la désignation des autorités qui auront déjà été auditées et qu'elle connaît.
M. Pierre Louault. - Est-ce qu'il est dans votre compétence d'évaluer les exigences de l'Europe dans le contrôle des fonds et les exigences que l'administration française produit à l'égard des utilisateurs des fonds ? N'en fait-on pas trop, en France, dans l'application de ces exigences européennes ?
M. André Leprince-Granger. - Il est difficile de répondre à cette question. Le cadre est le même pour tous. Au fil des programmations, on constate que le contrôle s'est intensifié, même si les exigences n'ont pas changé : légalité et régularité des dépenses. La question est ensuite de savoir quels sont les dispositifs mis en place au niveau des gestionnaires et des autorités de contrôle.
Mme Martine Marigeaud. - Vous voulez savoir s'il y a une sur-règlementation. Mais lorsque nous retoquons une opération, c'est souvent parce que les contrôles sont insuffisants au regard des exigences européennes et des check lists ! L'exigence de transparence et de régularité a augmenté. Selon nous, c'est dû au fait que le Parlement européen saisit de plus en plus la Cour des comptes européenne. Celle-ci multiplie les rapports. Si elle observe quelque chose dans un pays, elle émet des remarques ; la Commission en prend acte, les généralise et cela se répercute sur les autres pays. La France est aussi très observée par Bruxelles pour les aides d'État et les marchés publics. Les autorités de gestion sont aussi montées en puissance. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les exigences de contrôle sur les fonds français étaient bien moindres que celles sur les fonds européens. Dès lors, l'exigence très méticuleuse imposée par l'Europe constitue un choc culturel. Lorsque l'on alloue une subvention, il faut produire des justificatifs, des factures pour chaque dépense. C'est tout ce que demande Bruxelles !
M. Pierre Louault. - En France on ne sait pas faire simple ! J'ai vu pour un fonds LEADER de 8 000 euros, l'administration demander, après coup, le compte rendu du conseil municipal qui a élu le maire pour vérifier qu'il avait été correctement élu ! Que la France fasse simplement ce que veut Bruxelles, mais pas plus ! Chaque administration ajoute des exigences et rajoute une couche. J'ai été maire, président de communauté de communes et du comité de pilotage d'une région : j'ai été content de voir les contrôleurs des commissions de contrôle spécialisées en fonds européens arriver : les problèmes ont disparu. Auparavant, de nombreux paiements étaient bloqués parce que l'administration française ne comprenait pas tout.
Mme Martine Marigeaud. - Il nous appartient juste d'évaluer les comptes au regard de la norme, non de juger. Toutefois, on constate une difficulté dans la gestion des fonds européens en France. Les fonds européens, en effet, semblent plutôt destinés à des projets d'une certaine taille, conduits par des gestionnaires capables de les porter, de les suivre dans la durée, de constituer la piste d'audit qui consiste à garder la trace des factures, des appels d'offre, des marchés conclus. C'est pour cela que certaines régions n'accordent déjà plus de subventions inférieures à un certain seuil. Si une petite association doit recruter quelqu'un pour suivre un projet, cela n'est pas viable ! Nous préconisons de cibler les fonds européens sur certains axes, avec des techniciens capables de suivre les dossiers, et de réserver les fonds français à des structures plus légères qui ne peuvent pas faire face à ces exigences.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Mais, outre l'aspect politique, cela pose la question de l'appropriation de la question européenne par les territoires. Cela reviendrait à mettre une croix sur le programme LEADER, justement destiné à soutenir le développement économique ou social de territoires ruraux qui luttent contre la désertification. L'Europe doit aussi montrer qu'elle est un acteur du développement territorial. Si les subventions européennes ne sont destinées qu'à de grandes structures, il y aura une éviction des plus petites. Ainsi, nombre de PME renoncent à postuler pour des aides à la recherche et celles-ci sont attribuées à de grands consortiums. Mais, alors, il ne faut pas s'étonner de la montée d'un vote anti-européen ! Pourtant, lorsque les programmes LEADER soutiennent des projets de coopération, les résultats en termes d'adhésion à l'Europe sont probants. Il y a un problème d'ingénierie. Plutôt que d'évincer les petites structures, peut-être faut-il plutôt créer des modalités d'ingénierie adaptées. Vous soulignez aussi l'importance de développer une culture du contrôle, en amont du projet : plus on intervient en amont, moins on a de problèmes.
M. André Leprince-Granger. - Notre mission historique était les audits de système. Les audits d'opération, très approfondis sur les dépenses déclarées, sont très récents et ne datent que de la période 2007-2013. Les administrations ne s'y sont pas encore adaptées. Cela explique pourquoi on a un retard en matière d'ingénierie. De même, en France, à la différence d'autres pays, on n'a pas confié la gestion des fonds européens à des entités spécialisées. Ils ont été gérés par les préfectures, puis par les régions. Beaucoup d'erreurs s'expliquent par le fait que le service administratif qui a instruit un dossier n'est pas celui qui a une culture européenne car il ne connaît pas les normes européennes. On peut donc parler de choc culturel.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Peut-on être optimiste ?
Mme Martine Marigeaud. - Il y a en effet un apprentissage. L'essentiel est d'éviter de changer à nouveau les règles. Si vous voulez aller au plus fin pour distribuer des subventions à des petits porteurs pour favoriser l'infusion dans les territoires, alors il faut réfléchir à une forme de mutualisation de l'ingénierie. Il faut créer, au sein des administrations avec des personnes dédiées, des structures d'appui qui accompagnent les petits porteurs de projets. L'Europe, d'ailleurs, finance l'assistance technique.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Certains pays ont des autorités de contrôle décentralisées et par programme. Est-ce plus efficace ?
Mme Martine Marigeaud. - Il ne m'appartient pas de porter un jugement. La Commission européenne est toujours un peu inquiète face à ce modèle. On compte par exemple 25 autorités de contrôle en Italie, même si une autorité centrale s'efforce d'harmoniser les pratiques. En France, on compte 25 équivalents temps plein au niveau central et 69 en région. Il n'est pas certain que le modèle italien soit gage d'économies... En Allemagne, on compte une autorité de contrôle par Land, avec une autorité centrale. Je ne sais pas si ce modèle est plus efficace. Les autres pays comptent une ou deux autorités. En Espagne, outre l'autorité nationale, on a une autorité pour les Canaries. Il en va de même en Finlande, avec une autorité centrale et une autorité dans le nord-ouest du pays.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Vous semblez préconiser le renforcement des équipes d'auditeurs régionaux en relation avec vous, tout en améliorant l'articulation entre les autorités fonctionnelles et hiérarchiques ?
Mme Martine Marigeaud. - Des progrès peuvent être réalisés à la marge. L'audit n'est pas un frein, qu'il s'agisse de faible ou de forte consommation. Notre contrôle ne freine pas le porteur de projet et ne concerne que l'autorité régionale. Nous n'intervenons qu'après coup. Si nous constatons qu'une opération s'est mal passée, nous retirons la subvention dans les comptes, mais elle est réaffectée l'année suivante dans la réserve du programme et peut être réutilisée. Sans doute, en effet, pouvons-nous compléter les équipes, ici ou là, d'un ou deux équivalents temps plein. Mais nous n'aspirons pas à être une machine dévorante ; un seul contrôleur toutefois ne suffit pas. Il faut aussi tenir compte du déploiement sur plusieurs années de la programmation : en début de programmation, comme les dépenses étaient faibles, les régions ont estimé, à juste titre, qu'elles n'avaient pas à payer quelqu'un à se tourner les pouces. Désormais certaines recrutent pour compléter les équipes. J'examine les charges de travail et alerte les autorités de gestion dès lors que les opérations deviennent conséquentes, mais la plupart ont anticipé en passant des contrats avec des prestataires extérieurs spécialisés sur les fonds européens. En tout cas, nos difficultés internes à l'audit ne rétroagissent pas sur les porteurs de projet.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Combien de temps faut-il pour auditer un projet ?
M. André Leprince-Granger. - Cela dépend de la complexité du projet, cela peut aller jusqu'à 15 jours pour un dossier compliqué.
Mme Martine Marigeaud. - Cela dépend aussi du choix de la région. Pour le Fonds social européen, certaines régions font des projets comprenant plusieurs milliers de formations. Nous ne pouvons évidemment pas contrôler chaque formation et nous procédons alors par sondages pour vérifier que les gens étaient présents, qu'ils ont bien signé la feuille de présence, qu'ils étaient bien éligibles à la formation, que les enseignants étaient présents, etc.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - C'est un contrôle ex post qui n'interfère pas avec le projet.
Mme Martine Marigeaud. - Exactement.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Et pour le paiement ?
Mme Martine Marigeaud. - Comme le paiement a déjà été fait, il s'agit en cas de manquement, d'obtenir la restitution de l'argent.
M. André Leprince-Granger. - La question du paiement commence à intéresser la Cour des comptes européenne. Le règlement général prévoit un délai de 90 jours entre la demande du bénéficiaire et le paiement. Mais ce délai n'est pas respecté dans la majorité des cas, souvent à cause du bénéficiaire qui ne fournit pas les éléments demandés.
Mme Martine Marigeaud. - Le paiement est suspendu tant que le bénéficiaire n'a pas répondu.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Je vous remercie.
La réunion est close à 17h25.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site Internet du Sénat.