Jeudi 6 juin 2019
- Présidence de M. Roger Karoutchi -
La réunion est ouverte à 08 h 30.
Point d'étape sur l'actualisation du rapport « Une crise en quête de fin - Quand l'Histoire bégaie »
M. Roger Karoutchi, président. - Aujourd'hui, notre collègue Pierre-Yves Collombat nous présente un point d'étape sur le travail que lui a confié la délégation, consistant à réactualiser son rapport, intitulé « Une crise en quête de fin », publié en février 2017. Le rapport final, sur lequel la délégation à la prospective devra se prononcer, sera présenté à la rentrée d'octobre, au début de la prochaine session.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Le rapport dont je vous présente aujourd'hui un point d'étape est la suite de celui que j'avais consacré, il y a trois ans, à la crise de 2008, rapport intitulé « Une crise en quête de fin ». Il entend montrer que cette crise n'est toujours pas finie et que les conclusions du précédent rapport n'ont jamais été autant d'actualité.
Malgré les réformes qui se sont succédé depuis 2011, le système financier est toujours aussi instable et la probabilité d'un nouveau krach d'origine interne n'a pas diminué ; surtout, la stagnation économique se prolongeant, la crise sociale et politique s'approfondissant, une crise financière d'origine politique est de plus en plus probable.
Compte tenu de l'ampleur du sujet et de la durée limitée des réunions de la délégation à la prospective, j'ai pensé préférable de procéder en deux temps.
Aujourd'hui je planterai à grand traits le décor en détaillant, dans un premier temps, la permanence de l'instabilité du système financier malgré des années de réformes qui n'ont rien réglé d'essentiel. Dans un deuxième temps, j'évoquerai la stagnation économique après le krach de 2008, puis les déformations de la structure sociale sous l'effet de la mutation libérale de l'État providence et enfin leurs effets politiques.
À la rentrée, donc, le rapport définitif vous ayant été préalablement remis, je développerai son volet politique, à la recherche de cet objet politique difficilement identifiable qu'est le « populisme ».
Sans entrer dans les détails, je dirais que le « populisme » est le produit de la grande désillusion face aux résultats de la mutation néolibérale de ce dernier demi-siècle et du blocage des institutions devenues incapables d'y apporter un commencement de réponse. D'où le titre du rapport que j'envisage - la grande désillusion -, car la crise actuelle est d'abord celle des espoirs déçus.
Ces espoirs sont ceux qu'avaient fait naître dans la période d'après-guerre, les Trente Glorieuses, mais que la vague néolibérale, à partir des années 1970, transforma en illusions. La situation actuelle, en effet, ne procède pas d'un décret divin. Elle est le résultat du projet de déconstruction de l'État providence dans tous les pays de l'Empire américain.
Ce projet, revendiqué par ses promoteurs, s'illustre parfaitement dans les propos de Denis Kessler, ancien assistant de Dominique Strauss Khan et ancien président de la Fédération française des sociétés d'assurances, ancien vice-président exécutif du Medef et actuel PDG du groupe de réassurance SCOR, quand il dit « Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance. »
Espoirs et illusions donc ...
Comme je l'ai dit, l'épée de Damoclès d'un nouveau krach financier, malgré les réformes, est toujours suspendue sur nos têtes.
À ce jour, en dépit de toutes les réformes et, plus encore contre-réformes, les conditions techniques d'un krach de magnitude au moins aussi grande que celle de 2007-2008 sont toujours réunies. Le système financier mondial et européen est toujours aussi instable.
Laissez-moi vous expliquer les choses à l'aide d'une métaphore : une crise financière c'est, toutes choses inégales par ailleurs, comme un incendie de forêt. Pour qu'il se développe, il faut plusieurs conditions.
Il faut d'abord du combustible, matière ligneuse pour l'incendie. Pour le sujet qui nous occupe, ce sont les dettes (privées, publiques, et celles du système bancaire - y compris des banques centrales). Plus ces dettes sont « liquides », plus elles sont « inflammables ».
Or, jamais le volume de dette n'a été aussi important. En 2008, la dette privée représentait 0,87 PIB, elle représente 1,2 PIB en 2018, soit 29 929 milliards d'euros. Quant à la dette publique, elle s'élevait à 0,66 PIB en 2008, 0,79 PIB en 2009, 0,86 PIB aujourd'hui, soit 19 930 milliards d'euros. Si à partir de 2015 le bilan du système bancaire a baissé, celui de la Banque centrale européenne (BCE) a été multiplié par trois. Aux USA et ailleurs dans le monde - particulièrement en Chine - c'est pire !
Les accords dits de « Bale 3 » ont voulu mettre en place des protections, consistant à augmenter les fonds propres. Or, que signifie un ratio de levier de 3 % ? Ce ratio est aux USA de 4 %, et au Royaume-Uni de 6 %. Cela signifie qu'avec 1 euro, la banque peut créer 32,3 euros de dette.
Par exemple, la banque BNP-Paribas avec 98,8 milliards de fonds propres a créé en 2018 un bilan de 1 952 milliards d'euros, ce qui signifie qu'avec 1 euro la banque en a créé 18,7 ! C'est énorme ! Voici en ce qui concerne le combustible.
Venons-en maintenant au détonateur, c'est-à-dire à l'allumette, celle qui déclenche la bulle spéculative.
À l'heure actuelle, des bulles spéculatives sont en attente de crever : je veux parler de la bulle immobilière en Chine surtout, mais aussi dans les capitales européennes, en Suède et en Irlande.
Ajoutons les actions des entreprises américaines artificiellement surévaluées par les rachats des entreprises elles-mêmes et titrisées comme le furent les subprimes à l'origine du krach de 2008, et voilà encore une belle épée de Damoclès. Tant que l'économie américaine, dopée à l'endettement grâce aux taux bas, maintiendra son rythme de croissance, il ne se passera rien, mais jusqu'à quand ?
Voyons maintenant les facilitateurs de propagation : vous le savez, le vent accélère l'embroussaillement et alimente le feu. Dans notre métaphore, le vent, ce sont les banques systémiques, les créances douteuses, les produits dérivés, et, surtout, la non- séparation des banques de dépôts et des banques d'affaires.
Or, premièrement, il y a toujours autant de banques systémiques : elles sont 30 aujourd'hui, elles étaient 29 en 2008. Deuxièmement, le stock des créances douteuses est en baisse bien qu'encore élevé dans certains pays de la zone euro, ce qui peut être à l'origine d'une crise du système. Troisièmement, les produits dérivés représentent des masses considérables et la mise en place de « plateformes d'échanges » constitue un dispositif à double face. Enfin, sauf en Grande-Bretagne, la séparation bancaire n'existe pas.
Quand on est en présence d'un incendie, en principe, on appelle des services d'alerte, de surveillance et de secours. Qui sont-ils en l'occurrence ?
Certes, ils ont été renforcés, mais le respect effectif de la réglementation a largement été laissé à l'appréciation des intéressés, avec un problème de fond : toute disposition réglementaire susceptible de réduire le « business » est immédiatement contournée. Vous comprenez, dans ces conditions, que se développe tout un secteur « caché », qu'on appelle dans le milieu, le shadow banking.
Le problème de fond posé par un tel système bancaire et d'échange qui tourne sur lui-même est le financement, ou plutôt le non financement, de l'économie réelle. Ces activités spéculatives de ventes et d'achats de titres, qui rapportent des plus-values et des intérêts et qui constituent l'essentiel de l'activité bancaire, fonctionnent en réalité en parasite du système et faussent les circuits de financement de l'économie... Comme le dit Jean-Michel Naulot : « Ce n'est pas en corrigeant à la marge le système financier que nous sortirons des crises. »
Une fois ce tableau dressé, j'en viens à la deuxième et corrélative désillusion, celle de l'espoir et de l'illusion de la sécurité de l'emploi et de la progression permanente du niveau et des conditions d'existence. On ignore toujours quand aura lieu la sortie du purgatoire économique que la crise a laissé derrière elle. Refoulée comme un mauvais rêve, la période d'avant-guerre avec son cortège de chômage et de violences politiques revient hanter les esprits.
Je livre à votre sagacité ces deux citations : celle prononcée par Georges Pompidou, alors Premier ministre, en 1967, et qui prévenait que « si un jour on atteint les 500 000 chômeurs en France, ce sera la révolution ». Mise en regard avec celle prononcée en 2017 par Muriel Pénicaud, ministre du travail d'Emmanuel Macron : « Le taux de chômage s'établit à 8,8%. C'est la première fois depuis 10 ans qu'il passe en dessous de 9 %. C'est une bonne nouvelle. Le chômage de masse n'est pas une fatalité en France. » On voit bien qu'on s'est insensibilisé. On a changé de monde.
Voici quelques courbes qui parlent d'elles-mêmes : la courbe du taux de chômage comparé entre les États-Unis et la zone euro, et celle du taux de chômage en France.
Outre l'augmentation constante du nombre de chômeurs, ce qu'elles montrent, c'est aussi la « fabrique des statistiques » : décourager, changer de catégorie (remplacer des chômeurs par des handicapés, des malades, des retraités, ...), transformer le chômage en sous-emploi est devenu un sport national. La différence entre les taux affichés et les taux réels serait de l'ordre de 20 %, d'où le sous-emploi et les travailleurs pauvres qui sont en augmentation constante.
J'en arrive donc, logiquement, à la troisième catégorie d'espoir déçu : l'espoir puis l'illusion d'une réduction progressive des inégalités et des conflits qu'elles sécrètent.
Le résultat est celui d'une explosion des inégalités et de la constitution d'une véritable oligarchie, parallèlement à la réduction de la place des classes moyennes. La double déformation de la pyramide sociale reflète l'explosion des inégalités, parallèlement à la formation d'une oligarchie, à la richesse et à la puissance politique inconnues depuis la Libération. C'est un retour à la situation d'avant-guerre.
Les courbes, notamment celle de Thomas Piketty et la fameuse courbe de l'éléphant de Branco Milanovic, montrent la réduction de la place de la classe moyenne, quantitativement, en termes de revenus et de statut.
En France, selon le rapport de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) de 2019, entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 2010, le nombre de foyers qui appartiennent aux classes moyennes est passé de 64 % à 61 % du total. Le nombre de foyers aisés et pauvres a en revanche augmenté, reflétant une montée des inégalités, avec, pour corollaire, la progression de l'endettement, du sentiment d'insécurité et de crainte en l'avenir, voire de déclassement.
Cet espoir déçu, c'est aussi celui de l'illusion que la richesse ruissellera naturellement par la grâce de la concurrence, des noyaux d'activité métropolitains, amplifiée par la privatisation des services publics, la modernisation de nos institutions territoriales et le nouveau management public. Aujourd'hui, la Nation conçue comme une entreprise, doit se gérer comme une entreprise.
Ainsi assiste-t-on à une territorialisation des inégalités, comme le montrent les cartes de la métropolisation des cadres ou des ouvriers et le recul des services publics dans les territoires ruraux et périurbains profonds.
J'en arrive donc là où je veux en venir, c'est-à-dire à l'espoir puis à l'illusion de la fin apaisée du politique dans le dépassement du clivage droite/gauche. Vestige soluble dans le changement permanent, ce clivage est remplacé par un « hypercentre » de bon aloi rassemblant les deux-tiers de la population, comme en rêvait Valéry Giscard d'Estaing. Sur les bords de cette majorité du bon sens, désignant des représentants non moins réalistes, les agités des extrêmes - comme Cassandre - pourront continuer à vaticiner dans le désert médiatique.
Progressivement, c'est l'illusion même que les urnes sont le lieu où s'exprime la souveraineté populaire qui se dissipera. Pourquoi voter puisque, quel que soit le candidat élu, rien de ce qu'on attend n'arrivera ? Les cartes de l'abstention en témoignent. Encore faut-il savoir que les pourcentages sont calculés par rapport aux inscrits, sans tenir compte des non-inscrits, de l'ordre de 12 % selon l'INSEE. Par ailleurs, les élections deviennent, comme on le verra, de véritables « émeutes électorales ».
C'est donc l'espoir puis l'illusion que le dépassement de la Nation dans l'Europe est la réponse pérenne à tous les maux de la France. Rappelons-nous la campagne du référendum d'adoption du traité de Maastricht, en 1992. Rétrospectivement l'on ouvre de grands yeux devant l'imprudence, pour ne pas dire l'impudence, des bateleurs du « oui », jamais avares d'une promesse ou d'une injure envers ceux qui ne partageaient pas leurs visions de l'avenir radieux. Qu'ils se soient trompés sur toute la ligne ne les empêche nullement de continuer à faire tourner leur moulin à prières.
Laissez-moi vous livrer ce florilège du Bêtisier de Maastricht :
« [Les partisans du "non"] sont des apprentis sorciers. [...] Moi je leur ferai un seul conseil : Messieurs, ou vous changez d'attitude, ou vous abandonnez la politique. Il n'y a pas de place pour un tel discours, de tels comportements, dans une vraie démocratie qui respecte l'intelligence et le bon sens des citoyens. » (Jacques Delors à Quimper, 29 août 1992)
« Maastricht apporte aux dernières années de ce siècle une touche d'humanisme et de Lumière qui contraste singulièrement avec les épreuves cruelles du passé. » (Michel Sapin, ministre socialiste des finances, Le Monde, 6 mai 1992)
« Le traité de Maastricht agit comme une assurance-vie contre le retour à l'expérience socialiste pure et dure. » (Alain Madelin à Chalon-sur-Saône, 4 septembre 1992)
« Le traité d'Union européenne se traduira par plus de croissance, plus d'emplois, plus de solidarité. » (Michel Sapin, ministre socialiste des finances, Le Figaro, 20 août 1992)
« Avec Maastricht, on rira beaucoup plus. » (Bernard Kouchner, Tours, 8 septembre 1992), celle que je préfère de toutes.
Après de tels engagements, et la manière éhontée avec laquelle le « non » référendaire à la Constitution européenne a été contourné, après l'effondrement de toutes les illusions que j'ai rappelées, il n'est pas étonnant qu'il y ait comme une désertion d'une partie de plus en plus grande des citoyens des modes de pratiques classiques de la vie politique et comme un froid avec les élus.
D'où l'apparition - en réalité la réapparition - de ce que, par facilité, on appelle le « populisme ». Un populisme qui est multiforme : d'extrême droite ou de droite extrême, les plus fréquents actuellement, mais aussi de gauche (France insoumise à certains moments en France, Podemos en Espagne) ou d'extrême gauche, voire non identifié comme le mouvement « Cinq étoiles » italien. Leur dénominateur commun est la contestation du système tel qu'il fonctionne et de ceux qui l'ont jusque-là fait fonctionner.
À considérer les résultats des dernières élections européennes où, dans de nombreux pays, les partis alternant depuis des dizaines d'années au pouvoir ont été pulvérisés, on peut se demander si les populistes n'ont pas atteint déjà leur but.
En Europe continentale, pas de trimestre, voire de mois sans que l'extrême droite marque des points à l'issue d'élections nationales ou locales. Ces gains sont non seulement en termes de suffrages mais de plus en plus de sièges : Rassemblement National en France (présidentielles et dernières élections européennes où il arrive en tête devant tous les autres partis, y compris celui actuellement au pouvoir), Vox en Espagne, AfD en Allemagne, Vrais Finlandais en Finlande, Aube dorée en Grèce, PDS Slovène ; des gains en termes de pouvoir dans des coalitions avec la droite comme en Autriche, avec le centre en Estonie, ou avec des formations de gauche antilibérale (Matteo Salvini leader de la Ligue colisée avec Cinq étoiles). Et cela sans compter les partis de droite extrême déjà au pouvoir en Pologne, Hongrie ou comme en Slovaquie à travers une coalition hétéroclite.
Mais le plus surprenant est venu de là où on l'attendait le moins, des patries du néolibéralisme mondialisé : le Royaume-Uni et les USA.
Au Royaume-Uni, on assiste au « Brexit » et à l'arrivée en tête aux élections européennes du parti d'extrême droite, l'UKYP de Nigel Farage. Aux USA, l'élection de Donald Trump donne des sueurs froides aux libre-échangistes de stricte obédience.
Même le Canada peut être cité, dont le Québec, lors des élections provinciales, a vu la victoire de la Coalition avenir Québec (CAQ) et l'élection d'un premier ministre, François Legault, « hors normes ». S'il refuse l'étiquette de « populiste », constatons que, lui aussi, a été élu contre les appareils en place.
Nous sommes donc face à un nouveau spectre qui hante l'Europe : celui du « populisme ». Le « Manifeste du Parti Communiste » publié par Marx en 1848, s'ouvre sur cette phrase bien connue : « Un spectre hante l'Europe. Le spectre du communisme ». Remplacez « communisme » par « populisme » et vous aurez la situation actuelle !
J'ai aujourd'hui planté le décor, la prochaine fois, à la rentrée, je tenterai d'élucider ce que signifie le phénomène « populiste » et d'esquisser des réponses politiques à cette sécession populaire.
Mme Marie Mercier. - Cher collègue, votre présentation relève d'une vision que je qualifierai d'un peu crépusculaire, et le monde que vous décrivez semble nous condamner collectivement à l'ordonnance d'antidépresseurs...
N'ayant pas les moyens d'argumenter sur les courbes proposées, je ne remettrai pas en cause vos chiffres, mais quelles que soient les hypothèses chiffrées, n'est-il pas de notre devoir de politique de présenter aux générations qui viennent des solutions et des voies positives ?
À l'occasion du travail sur la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, un sondage a été produit, tentant d'analyser les raisons pour lesquelles les jeunes médecins ne s'installent plus. Il ressort de cette étude qu'ils ne s'installent pas parce qu'ils ont peur de faire faillite. J'ai trouvé ce résultat attristant !
Les jeunes générations ont toujours connu la crise. Nous qui avons connu les Trente Glorieuses, tentons de leur montrer que l'avenir n'est pas forcément sombre !
M. Yannick Vaugrenard. - J'ai bien compris que cette première étape était celle des constats. Nous attendons donc la seconde, celle des propositions !
Je rejoins ma collègue lorsqu'elle dit que les jeunes d'aujourd'hui sont les enfants de la crise. Comme le disait le philosophe Michel Serres, malheureusement décédé cette semaine, nous avons envers eux un devoir d'optimisme.
D'abord parce que, en général, les optimistes sont des acteurs, alors que les pessimistes sont des spectateurs.
Le monde a énormément évolué. La reprise de la participation aux dernières élections européennes dans l'ensemble des pays européens a mis en lumière une prise de conscience. Je crois que, face à la nouvelle puissance de la Chine et de sa menace, nos concitoyens ont compris que l'alliance européenne était non pas une option, mais un rempart vital. Quant au taux d'abstention aux élections législatives, il s'explique par leur position relative dans l'échéancier, les élections présidentielles ayant réglé la question de la gouvernance préalablement.
Par conséquent, tout est une affaire de présentation : optimisme ou pessimisme, c'est un choix, finalement.
Le rapporteur parlait de l'ampleur de la dette, mais l'endettement est un processus plutôt vertueux - consistant à préparer l'économie pour les générations futures - si tant est que la certitude de remboursement existe. Or, on sait bien que cette certitude repose sur la confiance et que c'est précisément en présentant les choses de manière optimiste qu'on instaure et qu'on maintient la confiance.
Aussi, c'est avec curiosité et optimisme que j'attends la suite de vos propositions, tant sur le plan national qu'international.
Mme Sylvie Vermeillet. - Heureusement que Pierre-Yves Collombat n'a pas parlé du changement climatique, sinon la barque, déjà bien chargée, aurait coulé !
Si on veut bien regarder le verre à moitié plein, et non le verre à moitié vide, il me semble qu'une autre façon d'envisager l'euro est d'examiner ce qui se passait avant : rappelons-nous les quinze dévaluations du franc depuis la guerre. En regard de cette période, l'euro a permis à nos pays une stabilité financière remarquable ! Depuis 20 ans, l'euro constitue un véritable rempart face au dollar.
Bien sûr l'endettement a augmenté, mais les actifs tangibles ont aussi évolué. Vous parlez du shadow banking : n'est-ce pas aussi un nouveau mode de financement lié à l'essor des moyens virtuels ?
En ce qui me concerne, j'ai foi en la stabilité monétaire permise par l'euro, et la perte de pouvoir d'achat de la livre sterling depuis le Brexit ne vient qu'apporter de l'eau à mon moulin. L'euro est bien une réalité tangible et stabilisante dans le monde d'aujourd'hui.
Mme Christine Lavarde. - La semaine dernière, dans une conférence à laquelle j'assistais, le chef économiste de la Société générale présentait les perspectives macroéconomiques de la France. Il posait un regard très positif sur les perspectives à condition que deux risques soient évités : le risque d'une récession aux États-Unis et le risque de l'occurrence d'un Brexit dur.
En dehors de ces deux risques « externes », les données fondamentales de l'économie française lui paraissaient plutôt solides. Tout cela pour dire que, d'un regard à l'autre, le tableau peut être radicalement différent...
Moi, en tant que responsable politique, j'ai envie de dire à mes concitoyens : « entreprenez, osez, installez-vous », et comment faire cela sans possibilité d'endettement ? Sinon, seuls les héritiers entreprennent... Alors certes, le crédit est là, il augmente, mais j'ose dire : heureusement ! Soyons dans l'action plutôt que dans l'alerte permanente.
M. Olivier Jacquin. - Nous sommes dans le cadre de la délégation à la prospective : nous devons ouvrir des possibles, proposer des solutions, dans un environnement certes dangereux, notamment à cause du réchauffement climatique, alors proposons ! Nous savons bien que nous ne pourrons pas reproduire l'ancien modèle des Trente Glorieuses, alors inventons autre chose ! C'est l'époque de tous les possibles !
Par exemple, un de mes fils fait actuellement un stage dans une start-up. Si je me désole de l'ubérisation de la société et notamment des transports, car j'y vois une déstabilisation des marchés, lui n'y voit que des avantages : il considère qu'en voulant dépasser les autres, on est dans l'innovation et le progrès permanent. Tout est donc, comme le disait Yannick Vaugrenard, une question de confiance en l'avenir.
La veille de son décès, Michel Serres était interviewé par Bruno Latour qui titrait son article « l'apocalypse, c'est enthousiasmant ! ».
Comme lui, j'attends maintenant, dans la seconde partie du rapport, des propositions pour un monde moins inégalitaire, plus prospère et plus sûr.
M. Roger Karoutchi, président. - Il ressort de ce débat que nous attendons avec impatience la suite. La démonstration sur la montée des populismes est sans appel. La démonstration sur la montée des inégalités l'est tout autant. Et pourtant, le système financier fonctionne ! Il continue de produire de la monnaie, à permettre des crédits et à financer les échanges.
À quoi ressemblerait ce monde si le système financier flanchait ? Ce serait la dictature totale !
Nous sommes donc d'accord pour dire que le système financier fonctionne. Nous ne sommes pas dans la configuration des années 1930. Aussi, je crains que la vision apocalyptique que nous venons d'entendre n'accouche d'un brûlot ! Or, l'objectif de notre délégation n'est pas d'incendier le Sénat.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Comme vous, j'ai le pessimisme de l'intelligence, mais l'optimisme de la volonté ! La première partie de ma présentation est une analyse du système et une certitude ne résiste pas à l'analyse : nous avons déconstruit ce que l'après-guerre avait mis en place. Nous ne pouvons contester cela.
Alors, certes, l'analyse ne se suffit pas à elle-même : elle doit servir un nouveau projet pour l'avenir. C'est ce à quoi je m'attelle, même si je crains que les solutions ne soient ni simples ni agréables.
Pour reprendre la question de la monnaie, nous sommes aujourd'hui dans la même situation que celle qui existait quand John Galbraith constatait que le franc fort, c'est très bien, mais pour ceux qui en ont.
On ne peut pas analyser la politique monétaire hors du contexte social dans lequel elle existe : vous parlez de l'euro fort, d'accord, mais qu'est-ce qu'en font les gouvernements autoritaires qui fleurissent partout en Europe ? Qui en profite ? Vous dites que l'euro fort est un rempart, mais un rempart pour qui ? La majorité des gens n'en voient ni l'odeur ni la couleur. La monnaie doit financer l'économie : c'est ce que je pense. Et cela ne dépend pas de la stabilité de la monnaie, mais des décisions politiques, fiscales, sociales ou autres. Ce sont sur ces décisions politiques que je centrerai mes propositions.
M. Roger Karoutchi, président. - Je vous remercie.