- Mercredi 15 mai 2019
- jeudi 16 mai 2019
- Risques naturels majeurs dans les outre-mer (volet 2) - Audition de M. Pascal Berteaud, directeur général, accompagné de Mmes Anne Chanal, chef du service vulnérabilité et gestion de crise, et Cécile Martin, directrice de la programmation, du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement, (Cerema)
- Risques naturels majeurs dans les outre-mer (volet 2) - Audition de M. François Adam, directeur, Mmes Marie-Christine Roger, chargée de mission outre-mer, et Géraldine Sanaur, adjointe au chef du bureau de la réhabilitation du parc d'évaluation économique et outre-mer, direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), ministère de la transition écologique et solidaire
Mercredi 15 mai 2019
- Présidence de M. Michel Magras, président -Risques naturels majeurs dans les outre-mer (volet 2) - Table ronde sur la problématique assurantielle : M. Stéphane Pénet, directeur du pôle assurances de dommages et de responsabilité de la Fédération française de l'assurance (FFA) ; Mme Gorette Plana, directrice d'Allianz outre-mer ; MM. Emmanuel Gombault, directeur technique incendie, accidents et risques divers (IARD) outre-mer, Allianz ; Jean-Louis Charluteau, directeur de la réassurance et des risques naturels, pilotage des projets techniques, Generali ; Franck Offredi, directeur des assurances ; et Pierre Lacoste, directeur de la réassurance, Groupama
M. Michel Magras, président. - Après l'adoption, en juillet 2018, du premier volet du rapport d'information sur la situation de nos outre-mer face aux risques naturels majeurs, centré sur les problématiques de la prévention et de l'anticipation des risques, mais aussi de l'alerte et de la gestion de l'urgence lors de la survenance d'une catastrophe, nous avons repris nos travaux pour enchaîner sur un second volet qui est, lui, consacré aux questions de la reconstruction et de l'organisation de la résilience des territoires sur le plus long terme.
Nous nous sommes rendus dans les deux Îles du Nord qui sont les plus concernées par les problématiques de reconstruction, reconstruction physique mais également humaine.
Nous avons également ouvert un nouveau cycle d'auditions très important, car la question assurantielle est au coeur de « l'après-catastrophe naturelle ». Nous avons eu l'occasion d'entendre les représentants de la Caisse centrale de réassurance.
Nous poursuivons avec cette table ronde autour de représentants de différents organismes spécialisés dans cette problématique et que nous sommes heureux d'accueillir.
Au-delà de l'estimation des dégâts, nous évoquerons aussi la question de l'indemnisation des dommages causés par les catastrophes naturelles dans nos territoires, que ce soit pour les particuliers comme pour les entreprises ou les collectivités. Le processus d'indemnisation est une étape fondamentale pour mener à bien une reconstruction durable, et nous attendons votre expertise sur le paysage assurantiel de nos territoires et sa capacité à faire face aux risques.
Enfin, nos travaux visent à proposer des solutions aux problèmes identifiés ou anticipés que le changement climatique rendra malheureusement plus fréquents encore demain : nous serons donc attentifs à vos recommandations sur ce sujet.
Je vous laisse sans plus tarder la parole pour votre exposé liminaire sur la base de la trame qui vous a été transmise par le secrétariat de la délégation, avant que les rapporteurs et, éventuellement, les autres collègues puissent vous interroger.
M. Stéphane Penet, directeur du pôle assurances de dommages et de responsabilité, Fédération française de l'assurance (FFA). - Notre délégation représente les sociétés Allianz, Generali et Groupama, qui couvrent plus de 50 % du marché de l'assurance en outre-mer, où d'autres assureurs sont présents, à l'instar d'Axa, de la MAIF, de GMF et de Pacifica, une filiale du Crédit agricole.
Je présenterai les éléments généraux avant de laisser mes collègues vous présenter les spécificités de leurs organismes respectifs. En outre-mer, l'assurance (hors assurance vie) représente un chiffre d'affaires d'environ 1,3 milliard d'euros en 2017, c'est-à-dire environ 1,7 % du chiffre d'affaires global de l'assurance en dommages et responsabilité pour la France entière. Or l'outre-mer représente 4 % de la population française et 2,2 % du PIB. Ces chiffres montrent donc une légère sous-assurance des populations et des biens par rapport au niveau de la métropole. Le poids de l'assurance par rapport au PIB est de 3,34 % en France métropolitaine et de 2,2 % en outre-mer. En effet, des personnes dans ces territoires ne s'assurent pas. Le taux de non-assurance en risque habitation varie ainsi selon ces derniers de 20 % à La Réunion à 50 % à Saint-Martin, contre 2 % en métropole. Des taux de sous-assurances sont aussi observés, c'est-à-dire que les montants garantis sont généralement moindres en outre-mer qu'en métropole.
Par rapport à la métropole, les outre-mer sont surexposés aux aléas naturels et cumulent divers périls, des risques sismiques aux mouvements de terrain en passant par les cyclones, les tsunamis et les submersions marines. L'historique des indemnisations des assureurs depuis 1995, c'est-à-dire sur une période assez longue pour prendre en compte la forte volatilité des risques existants, montre une indemnisation moyenne en matière de dommages de 130 millions d'euros par an au titre des catastrophes naturelles, pour les Antilles et La Réunion. Cela représente près de 6 % de ce qui est versé sur l'ensemble de la métropole en la matière. Cela illustre bien la surexposition des territoires, sachant que les dommages sont sans doute supérieurs, compte tenu de la sous-assurance.
En particulier, l'année 2017 a été marquée par la triade d'ouragans aux Antilles (Irma, Harvey et Maria). L'ouragan Irma a notamment donné l'occasion d'une réflexion au sein de la profession sur les conditions de la pérennité de l'assurabilité de l'outre-mer. Dans ce cadre, les assureurs et certains partenaires tels que le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), l'Agence qualité construction (AQC) ou la Caisse centrale de réassurance (CCR) ont réfléchi aux conditions nécessaires au maintien de cette assurabilité. Si ce travail n'est pas terminé, nous savons néanmoins que les conclusions tourneront autour des questions de prévention. À ce sujet, nous analysons très précisément la carte des aléas concernant ces territoires. De nombreux progrès s'avèrent d'ailleurs nécessaires sur la connaissance des aléas, notamment ceux qui concernent la submersion marine.
Les mouvements de terrain constituent le deuxième risque en termes de nombre d'événements, en raison des reliefs de ces territoires. En matière d'inondations, nous nous montrons très attentifs à la veille hydrologique. Dans ces territoires, les bassins versants sont extrêmement restreints et les cinétiques d'inondation sont donc très rapides.
La question des plans de prévention des risques naturels est également étudiée attentivement, notamment au sujet de l'application desdits plans. Une récente analyse du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) sur la Guadeloupe évoque la construction de propriétés en zones rouges, inconstructibles, après l'établissement du plan de prévention, ce qui pose la question de la « police » de ces zones.
La question de la norme de construction se pose également. La norme doit être adaptée à la réalité des périls auxquels sont exposés les territoires. Il faut rappeler qu'une grande partie des logements relève de l'auto-construction. La mise en place de normes nécessite de tenir compte de cette réalité.
Enfin, le sujet de la réassurance, via le dispositif catnat outre-mer de la CCR, est évidemment indispensable. Les ultramarins paient actuellement pour la réalité de leurs risques concernant tous les risques couverts, sauf les risques climatiques, pour lesquels les traités de réassurance impliquent une mutualisation. Une réflexion sur ce sujet constitue une condition indispensable au maintien des assureurs dans les territoires d'outre-mer.
Nous pensons terminer nos travaux cet été afin de publier, au plus tard en septembre, un rapport officiel sur les conditions de l'assurabilité des outre-mer.
Mme Gorette Plana, directrice d'Allianz outre-mer. - Je vous remercie de cette invitation à contribuer à votre étude. Le sujet des risques naturels majeurs dans les territoires ultramarins est particulièrement sensible. Allianz s'y implique fortement, du fait de son exposition et de sa présence. Nous sommes en effet le premier assureur mondial, étant présent dans 70 pays avec 92 millions de clients et 140 000 salariés. Nous sommes présents sur tous les continents et les océans, notamment dans les outre-mer, pour les particuliers, les professionnels et les collectivités. Nous y sommes présents dans 350 points de vente et travaillons avec 130 intermédiaires, avec 400 salariés, en incluant nos équipes propres et celles de nos agents généraux.
Pour nous, l'ouragan Irma de septembre 2017 a constitué un phénomène inédit, par l'intensité du phénomène climatique comme par l'étendue des destructions causées. En effet, des infrastructures publiques étaient dévastées, des aéroports fermés, des routes impraticables et l'électricité coupée, sans aucun moyen de communication. La situation s'est donc avérée très difficile. Recommencer à accompagner nos clients dans ces territoires a ainsi constitué un défi majeur. Pour nous, Irma a représenté une charge de près de 916 millions d'euros, avec l'ouverture de plus de 11 600 dossiers, dont 94 % sont désormais clos, totalement ou avec différés. De plus, Allianz a missionné 6 700 expertises et a mobilisé près de 100 personnes. Ces chiffres montrent l'ampleur de l'événement et le défi logistique que nous avons dû relever. Depuis le 6 septembre, notre priorité a consisté à nous mobiliser et à nous adapter à la situation, afin de pouvoir soutenir au plus vite nos assurés et nos intermédiaires.
Le premier enseignement de cette période est l'importance cruciale de la coordination. Celle-ci passe d'abord par la connaissance des services de l'État, notamment sur place, avec les services préfectoraux, le délégué interministériel Philippe Gustin et les présidents des collectivités. Cette coordination s'est en particulier illustrée dans le traitement des déblais et des épaves, qui ont été l'objet de solutions concertées très rapides. Quant à la coordination avec la CCR, elle s'est traduite par des points hebdomadaires, afin de prendre position très vite sur les dossiers les plus sensibles. Enfin, toutes les parties prenantes de la profession se sont coordonnées, en incluant la Fédération française de l'assurance (FFA) comme les équipes d'Allianz France, notamment les services d'indemnisation. Ce travail a permis de piloter localement les interventions, de répondre aux urgences du terrain et d'effectuer un suivi avec les experts.
En outre, la direction technique a dû adapter nos règles et processus d'indemnisation aux urgences et aux réalités du terrain, ce qui nous a notamment amenés à accepter des déclarations tardives et de mettre en place plus facilement des acomptes pour accompagner nos clients. Dans l'ensemble, je pense pouvoir affirmer, avec fierté, que nous avons été efficaces. Néanmoins, nous devons continuer à tirer les enseignements de ce qui s'est passé.
M. Emmanuel Gombault, directeur technique incendie, accidents et risques divers (IARD) outre-mer, Allianz. - Dans le cadre de cette sinistralité atypique et exceptionnelle, la position d'Allianz a consisté à rester présente dans ces territoires, dès lors que les conditions d'exercice et d'assurabilité existaient et ne se dégradaient pas.
Dans ce cadre, nous avons réalisé des plans de revue de tous nos risques majeurs en portefeuille. Un préventionniste a ainsi visité tous les risques d'une certaine importance. La politique de souscription a aussi été redéfinie, en se basant sur le respect des plans d'urbanisme. En effet, les constructions dans les zones rouges nous semblent clairement inassurables et le préfet Philippe Gustin les avait également ainsi qualifiées. Pour toutes les autres zones, nous pensons que nous conserverons les risques en portefeuille. Nous avons passé en revue les contrats de nos principaux clients afin de disposer d'une vision complète de leurs activités, tant pour les risques des particuliers que pour les entreprises, sachant que des pertes d'exploitation ont duré plusieurs mois, notamment dans le secteur hôtelier.
Le fonds de solidarité joue également un rôle très important. Pour Allianz, le dispositif de catastrophe naturelle constitue une condition indispensable à la pérennité de notre présence dans ces territoires, car il implique une mutualisation automatique, même si elle est améliorable. À la suite de ces événements, nous avons en outre décidé d'augmenter nos capacités de réassurance, parce que nous considérons que le risque climatique va augmenter. En particulier, l'intensité de tels événements s'accroîtra, même si leur nombre ne connaîtra pas forcément d'augmentation. Nous devrons donc être prêts.
J'insiste sur la solidarité nationale, absolument indispensable, mais qui ne permet pas de tout garantir, surtout dans un contexte d'augmentation des risques et de manque de prévention. Nous confirmons notre volonté de rester auprès de nos assurés et de souscrire des affaires nouvelles, à condition que les risques soient véritablement sélectionnés et que des prix adaptés y soient associés. Nous n'avons pas procédé à des résiliations massives ou à de fortes majorations. Nous avons en effet essayé d'accompagner nos assurés dans ces territoires.
Cependant, le plan de prévention des risques, qui a pour nous une importance majeure, n'existe pas dans tous les territoires, par exemple à Saint-Barthélemy. Nous considérons que c'est dommage. Ce type de dispositif devrait être rapidement appliqué à tous les territoires, pour que les risques soient gérés plus rigoureusement.
La solidarité, basée sur le dispositif réglementaire et législatif des catastrophes naturelles, doit perdurer. De plus, les réglementations en matière de prévention et de construction doivent être appliquées. Le préfet Philippe Gustin a pointé, lors d'un colloque, l'existence de « zones de non-droit », surtout à Saint-Martin.
Nous accordons aussi une importance majeure à la généralisation de l'assurance multirisque habitation, qui bénéficie d'une couverture à hauteur de 98 % en métropole, contre à peine 50 % à Saint-Martin par exemple. Une énorme proportion de la population n'est donc pas assurée, dont toute une partie est pourtant assurable. Nous devons donc travailler, avec les pouvoirs publics à des mesures concrètes, pour augmenter cette diffusion et, en outre, accompagner les populations dans leur appropriation des risques, avec les dispositifs de prévention.
Par ailleurs, il nous semble également important d'évoquer la garantie des TOC (tempête, ouragans, cyclones) qui est optionnelle dans la zone Pacifique, où le dispositif de catastrophe naturelle ne s'applique pas. La situation de cette zone s'avère contrastée, avec une couverture de la population moindre qu'ailleurs. Je rêverais d'un dispositif de catastrophe naturelle qui s'appliquerait également à ces territoires. Toutes les populations françaises seraient ainsi couvertes.
Enfin, tous les assureurs ont subi des augmentations très importantes du coût de la réassurance. Cette hausse est logique, sachant que pour Allianz, le coût d'Irma représente en effet près de dix années de primes hors assurance vie. Néanmoins, ces majorations ne doivent pas pénaliser les assureurs qui ont accompli l'effort de disposer de parts de marché dans les outre-mer parfois supérieures à celles qu'ils ont en métropole. Aucune distorsion de concurrence ne saurait s'observer au profit d'autres assureurs, qui ont refusé d'être présents dans ces zones. Le coût de l'assurance ne doit pas alourdir excessivement le coût de la réassurance pour les sociétés qui ont fait le pari de continuer à y être présentes.
M. Jean-Louis Charluteau, directeur de la réassurance et des risques naturels, pilotage des projets techniques, Generali. - Je suis également administrateur des filiales locales de Generali : GFA Caraïbes pour la zone Antilles Guyane et Prudence Créole pour La Réunion et Mayotte. Generali est un acteur local historique pour ces territoires. La fondation Prudence Créole remonte à 1860. Nous sommes présents sur tous les territoires ultramarins, en incluant la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie. Le mode d'exercice de notre activité varie toutefois, puisqu'en Guyane, dans les Antilles et dans l'océan Indien nous travaillons avec une société filiale, tandis que des agents généraux de la compagnie métropolitaine sont implantés en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
Nous disposons des moyens et des ressources nécessaires pour traiter tous les besoins des particuliers et des professionnels, et pour proposer toutes les solutions d'assurance adéquates, ce qui permet une réactivité locale importante. Les produits et les tarifs sont notamment analysés afin de correspondre aux attentes locales. Chaque filiale compte environ 180 salariés, auxquels s'ajoutent les forces de vente, les agents généraux et leur personnel. En Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, notre modèle est légèrement différent. Les effectifs y sont moins importants qu'ailleurs, conformément aux enjeux caractérisant ces territoires.
Je ne répéterais pas les propos précis qui ont déjà concerné le phénomène Irma, qui a été extrêmement violent. Pour notre part, nous avons pu nous appuyer sur la proximité de nos équipes locales et de nos réseaux, avec une mobilisation sans faille des équipes. Nous avons traité 7 000 sinistres à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, sachant que notre part de marché était de 25 %. Concernant ces deux îles, ces événements ont représenté pour nous un coût de 500 millions d'euros. Nous avons mobilisé toutes les ressources de GFA Caraïbes afin de répondre aux attentes des assurés, y compris le week-end. Bien sûr, des difficultés matérielles sont très vite apparues. L'accès à Saint-Martin s'est ainsi avéré très compliqué pendant les premiers jours. Nous avons dû attendre 72 heures pour y installer des bureaux de fortune, parfois sur un parking.
Désormais, près de 90 % des expertises nécessaires ont été réalisées. Ce taux s'avère très satisfaisant, alors même que nous avons été confrontés à des situations parfois très complexes, avec des copropriétaires qui ne se manifestaient pas, ce qui peut retarder les travaux de réparations. Néanmoins, 99 % des assurés victimes d'un sinistre ont été indemnisés en totalité ou en partie, pour un total proche de 400 millions d'euros.
Le coût restant de 100 millions d'euros résulte d'une pratique habituelle chez Generali, consistant à décaler le remboursement de la valeur à neuf à la présentation de factures acquittées par des professionnels du bâtiment. Cette pratique garantit en effet une certaine qualité dans l'exécution des travaux de reconstruction. Pour des dommages légers, nous pouvons faire l'impasse sur cette pratique mais dès que les dommages affectent la structure du bâtiment, nous exigeons une facture acquittée.
La reconstruction a en outre été compliquée en raison de l'insularité, de la difficulté d'accéder aux matières premières et d'une problématique concernant les entreprises de Saint-Martin : la collectivité avait souhaité leur réserver une forme d'exclusivité dans la réparation des travaux, ce qui s'est avéré contre-productif en induisant des retards. Nous avons aussi rencontré des difficultés dans la mesure où des experts d'assurés sont intervenus, ce qui a parfois retardé les mécanismes d'indemnisation, de façon occasionnellement préjudiciable pour les assurés.
Dans l'ensemble, nous n'envisageons aucunement d'abandonner nos clients. Nous les avons accompagnés dans l'adversité, et quoique les événements soient passés, la réparation n'est pas achevée, les esprits restent frappés par Irma et la vie économique en est toujours perturbée. Nous avons seulement procédé à des majorations tarifaires, très modérées, presque équivalentes pour 2018 à celles que nous avons pratiquées en métropole et un peu plus sensibles ou différenciées pour 2019, en fonction de l'exposition aux risques, c'est-à-dire des caractéristiques permettant d'apprécier le risque (exposition du bâti, zones d'aléas, etc.) au regard des plans de prévention des risques naturels.
De plus, notre part de marché en outre-mer dépasse celle de Generali en France métropolitaine. Nous assumons cet engagement, quoiqu'il induise des complexités. Sans réassurance, nos sociétés filiales ne pourraient d'ailleurs pas exercer dans ces territoires.
Generali est évidemment un partisan des mécanismes de solidarité nationale entre les différentes catégories d'assurés et entre les territoires. La loi de 2000 - qui a pris en compte les particularités des vents cycloniques dans les outre-mer - fixe un taux de surprime égal pour tous les assurés, de métropole comme d'outre-mer, égal à 12 % du montant de la prime dommages, laquelle dépend notamment de la nature du bien assuré et des garanties souscrites.
Cependant, cette égalité de droit ne doit pas devenir une égalité de principe. Si en effet les conditions de réassurance, consenties par la CCR aux sociétés opérant localement, devaient entraîner une élévation trop importante des primes d'assurance de base, cette égalité de droit deviendrait de fait une inégalité, la surprime étant fixée en pourcentage. Apparaîtrait alors un phénomène qui consisterait, par l'enchérissement du prix de l'assurance multirisque habitation, à pousser nos concitoyens ultramarins vers la non-assurance. Nous souhaitons absolument éviter ce phénomène. Nous tenons donc absolument, pour le bien commun des assureurs et des assurés, à ce que le CCR fasse preuve d'une grande modération dans l'évaluation du coût de la réassurance que nous achetons et ne pourrions peut-être pas acheter sur le marché libre de la concurrence. J'espère vous avoir transmis notre conviction.
M. Franck Offredi, directeur des assurances, Groupama. - Groupama est constituée d'entreprises d'assurances régionales de plein exercice. Ce groupement est implanté en France, sur les trois océans, ainsi que dans quatorze autres pays, jusqu'en Chine. Sa structure est mutualiste et son organisation décentralisée : la zone Antilles-Guyane relève d'une caisse régionale qui est une compagnie d'assurances presque de plein exercice, l'océan Indien (La Réunion et Mayotte) relève d'une caisse de plein exercice (Groupama océan Indien) et la zone de l'océan Pacifique (la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française) relève d'une troisième entité (Groupama outre-mer). Les sociétaires élisent les dirigeants politiques de chacune des trois entités.
Les trois entités disposent de moyens régionaux. Les cotisations annuelles encaissées par la caisse Antilles-Guyane, au titre de l'assurance hors assurance vie, représentent 64 millions d'euros, contre 84 millions d'euros pour celle de l'océan Indien et 56 millions d'euros pour l'entité du Pacifique. Ces entités bénéficient en outre d'un dispositif de solidarité interne au groupe qui permet à une caisse régionale subissant un sinistre exceptionnel d'être aidée par les autres caisses régionales. Ainsi, Groupama Antilles-Guyane a subi en 2017, avec Irma et Maria, 320 millions d'euros de charges de sinistres à indemniser, pour une cotisation de 64 millions d'euros, avec des engagements au titre des dommages aux biens de 19,10 millions d'euros. Les deux ouragans ont donc représenté quinze années de cotisations.
De plus, ce mécanisme de solidarité inter-caisse est complété par un mécanisme externe, dont la CCR constitue le pilier et qui possède pour nous la même importance. En cas de sinistre total, les 20 millions d'euros de cotisations au titre des dommages aux biens doivent être comparés aux 12 milliards d'euros d'engagements concernant l'ensemble des Antilles, tandis que les cotisations annuelles de 8 millions d'euros de cotisations pour l'océan Indien doivent être rapportées à un total de 10 milliards d'euros d'engagements sur ce territoire. Les 15 millions d'euros de cotisations du Pacifique sont à comparer à 8 milliards d'engagements.
Il faut souligner que ces engagements se concentrent fortement dans quelques points de ces territoires, en particulier le « Grand Nouméa » en Nouvelle-Calédonie, Fort-de-France en Martinique et la zone de Pointe-à-Pitre / Baie Mahault / Jarry en Guadeloupe. Si Irma avait affecté directement Fort-de-France ou Jarry, les conséquences auraient été considérables. Nous avons donc eu très peur, mais nous sommes restés encore loin du sinistre maximal possible qui aurait pu survenir aux Antilles. Autrement dit, notre vulnérabilité est bien supérieure à celle que nous avons expérimentée.
Pour autant, le sinistre Maria a dépassé à Saint-Martin en 2017, avec 290 millions d'euros, ce que nous avions modélisé dans le sinistre hypothétique qui reviendrait tous les deux cents ans. Nous avons donc été affectés par un phénomène sans précédent, dont nous redoutons la répétition. Heureusement pour les habitants et pour nous-mêmes, les ouragans des quinze ou vingt dernières années sont passés en dehors des zones habitées. Cependant, nous n'avons aucune prise sur leurs trajectoires.
Les assureurs ne peuvent donc supporter ces chocs que par la mutualisation territoriale et dans le temps, sachant qu'un ouragan tel que Maria peut affecter les cotisations pendant vingt ans, en étant modéré en termes de répercussion sur les cotisations, afin de ne pas d'aggraver la sous-assurance, ce qui serait extrêmement pénalisant pour les assurés vertueux.
Je souscris enfin à toutes les positions prises par nos collègues et m'associe pleinement aux propos sur la nécessité de maintenir une solidarité territoriale.
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie pour la clarté des propos tenus, même si le tableau exposé m'a quelque peu effrayé. Nous pouvons garder l'espoir que les reconstructions engagées contribueront à diminuer l'impact physique sur nos territoires.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'assurance est un sujet qui nous concerne fortement. Nous l'avons éprouvé sur place, avec les agents locaux, et ici, en audition, avec la Caisse de réassurance. Je sens d'ailleurs parfois dans vos propos une discordance entre ses positions et les vôtres. Nous devrons donc certainement affiner quelques points avec la Caisse.
Vous avez notamment évoqué la question importante des non-assurés. Nous n'avons toutefois pas encore entendu parler de stratégie de communication ou de stratégie préventive envers les populations concernées. Pensez-vous à de telles stratégies ?
M. Stéphane Penet. - Il convient de distinguer la non-assurance et les biens non assurables. Quand bien même tous les ultramarins voudraient assurer leur logement, il n'est pas certain que tous les assureurs l'acceptent, car de nombreux logements ne sont pas assurables, du fait de leur précarité, voire de leur caractère informel. Bien entendu, dans le cadre des travaux que nous menons actuellement, nous réfléchissons aux questions de la sensibilisation à l'assurance, de la culture du risque et de l'incitation à l'assurance, et nous insisterons sur ce sujet. Le préfet Gustin lui-même est un grand artisan de l'éducation au risque.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - La culture du risque nécessite forcément une approche particulière, par le biais des préconisations de logement. Il ne me semble pas que les élus des territoires et les habitants soient prêts à concéder facilement leurs emplacements et la façon dont ils vivaient préalablement. Si la culture du risque a de l'importance, l'effacement de la mémoire est aussi un risque. De plus, nos discussions ont révélé que certains élus ne demandaient rien parce qu'il est notoire que chacun souffrira un jour ou l'autre des ouragans. La culture du risque porte essentiellement sur une approche technique et plus difficilement sur une approche humaine.
M. Abdallah Hassani, rapporteur. - Je viens d'un territoire où près 70 % des logements ont été construits sans permis et où un taux similaire d'habitations se trouve dans des zones à risque. Nous ne pourrons jamais les assurer, même si un assureur essaie d'aider les personnes. Une catastrophe de l'ampleur d'Irma balaierait tout Mayotte. Comment pourrions-nous reconstruire l'île ? Notre situation est comparable à celle de Saint-Martin, où très peu de personnes sont assurées.
La prévention passe d'abord par les mairies. Or, chez nous, cette culture n'existe pas. Lorsqu'un cyclone est annoncé, les gens prient pour qu'il dévie sa trajectoire. Ils sont habitués à ces risques, mais il n'existe pas de mesures tangibles pour les conduire à se protéger. Les collectivités ne disposent même pas de lieux pour les abriter. Il faudrait tout détruire et tout reconstruire avec des normes fiables. Cependant, les gens sont habitués à vivre où ils habitent, près de la mer, dans des zones à risque. On ne peut pas les faire partir du jour au lendemain.
Mme Catherine Procaccia. - Il est impossible de demander aux assurances de prendre en charge des biens qui ne sont pas assurés, même si la loi permet une forme d'indemnisation en cas de catastrophe naturelle. Une part importante de la gestion relève des collectivités ou de l'État.
Par ailleurs, M. Offredi a indiqué que le cyclone Maria avait été plus grave que les modèles prévus sur deux cents ans. Allez-vous donc intégrer dans vos règles de calcul l'importance de ces nouveaux sinistres, et quelle sera la conséquence sur la prime d'assurance payée par les assurés ? Je préside le groupe France-Vanuatu-Îles du Pacifique au Sénat. Dans les îles du Pacifique, les cyclones se montrent de plus en plus violents et imprévisibles. Comment ce phénomène peut-il être traité si les modélisations sur deux cents ans sont dépassées ? Comment procéder en matière d'assurance et de tolérance pour les assurés, dont les cotisations augmentent sans arrêt ?
M. Pierre Lacoste, directeur de la réassurance, Groupama. - Je préside la mission sur les catastrophes naturelles et les risques climatiques, groupe technique fondé il y a plus de vingt ans par les assureurs, et qui vise à renforcer leur connaissance et celle de la population sur ces risques. Nous travaillons donc sur la prévention et l'information, tout en favorisant des partenariats privé-public dans les plans de prévention des risques.
Tous les assureurs ont souligné l'importance du principe de mutualisation des risques par branche d'activité. Il importe bien sûr de ne pas « sur-réagir », mais plutôt de renforcer la connaissance des risques dans une perspective de meilleure prévention. L'objectif prioritaire des assureurs ne consiste pas à majorer les tarifs pour récupérer au plus vite les charges. Un juste équilibre doit donc être trouvé. Si nous contribuons collectivement à ce que les outils de modélisation prennent en compte ces événements, ce travail s'effectue dans la durée et une catastrophe telle que Maria ne rend pas les biens inassurables.
Mme Catherine Procaccia. - Existe-t-il une réassurance internationale pour ces types de risque ?
M. Jean-Louis Charluteau. - Notre coeur de métier, notre ADN, consiste à être près de nos assurés quand de tels événements se produisent. En payant une prime, nos clients nous transfèrent le risque. Bien sûr, nous pouvons nous inquiéter de l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des événements. Cependant, nous disposons de mécanismes d'atténuation qui demeurent robustes, avec notamment la CCR et la réassurance extérieure internationale. Les primes d'assurance tiennent déjà compte du risque de catastrophe. Nous achetons d'ailleurs à la CCR des couvertures contre les risques extrêmes.
Nous pourrions plutôt nous inquiéter de la survenance répétée de sinistres plus faibles, aux effets très insidieux. Même les années moins dramatiques, ils viennent obérer notre capacité à constituer des réserves pour faire face à des événements réellement catastrophiques. Nous l'avons expérimenté en métropole de 2016 à 2018 avec les crues successives de la Seine et de ses affluents, pour un coût d'un milliard d'euros, et la sécheresse de 2017.
Si la CCR continue à nous aider, nous devrions être en mesure de faire face à ces événements extrêmes. En revanche, les événements plus insidieux constituent une préoccupation croissante, parce qu'ils dégradent notre capacité à nous confronter à des événements extrêmes.
M. Stéphane Penet. - Les assureurs travaillent justement pour permettre une mutualisation dans le temps et dans l'espace. Un problème caractérise toutefois les outre-mer, car si nous rapportons les sinistres qu'ils subissent à leurs capacités d'assurance, alors ces sinistres ne sont plus supportables. Maria et Irma ont représenté 2 milliards d'euros pour un encaissement ultramarin total de 1,3 milliard d'euros. Si l'on faisait un rapport avec la métropole, il faudrait imaginer que celle-ci subisse un sinistre de l'ordre 100 à 120 milliards d'euros. La seule solution pour les outre-mer consiste donc à mutualiser les risques avec le territoire métropolitain. Sans cette mutualisation, nous ne pourrions plus assurer les risques ultramarins, a fortiori si cette sorte d'événements tend à se répéter du fait du changement climatique.
M. Michel Magras, président. - Je viens d'une île, à Saint-Barthélemy, où la culture du risque est intégrée dans nos gênes. Je n'y connais qu'une seule construction sans permis, dont le constructeur a quitté Saint-Barthélemy il y a longtemps. Les élus prennent leurs responsabilités. Dans le cas d'Irma, environ 200 sinistres portant sur des logements non-assurés ont fait l'objet d'une aide de la collectivité. Les maisons ayant bien résisté aux cyclones des décennies précédentes, leurs propriétaires avaient décidé d'économiser le coût d'une prime !
J'ignore toutefois si les collectivités joueront à l'avenir le même rôle. Nous reconstruisons néanmoins les habitations avec des normes bien mieux adaptées aux risques, tout en engageant les personnes à s'assurer.
J'évoquerai aussi la prévention des risques, que j'ai enseignée en tant que professeur des sciences de la vie et de la terre. Chez nous, le taux d'assurance doit être proche du taux métropolitain. Les normes du bâti dépassent les prescriptions et recommandations du BTP. Depuis 2017, nous délivrons les permis de construire mais nous ne pouvons évidemment pas assumer les permis délivrés avant cette date contre notre avis par la direction départementale de l'équipement.
Des progrès sont faits, avec la réalisation d'une cartographie et d'un projet de plan de prévention des risques, dont j'espère qu'il sera adopté rapidement. Cependant, la survie de nos îles, notamment économiquement, passe par la construction dans des zones proches du rivage, donc concernées par la submersion marine. Nous réfléchissons donc à une approche pour construire en zone submersible, compte tenu de l'impact sur la prospérité de ces zones, tout en protégeant les vies humaines et en prévoyant des obligations d'évacuation opposables.
Par ailleurs, nous avons auditionné la CCR. Celle-ci bénéficie de 12 % des primes d'assurance. Si vous augmentez la prime en raison du passage d'Irma, la CCR bénéficiera de 12 % de l'augmentation. Cependant, elle a laissé entendre qu'elle pourrait demander une hausse de 18 %. Dans ce cas, nous aboutirions alors, par effet domino, à une sous-assurance et à de la précarité. J'ai cependant retenu de mes entretiens avec la CCR que si elle a été créée par un fonds totalement détenu par l'État, elle n'a jamais plus eu besoin de recourir à lui, car ses réserves financières lui ont permis de réagir à toutes les catastrophes que la France a subies, d'Irma aux crues de la Seine. Elle ne se trouve donc pas en danger. Le rôle de la délégation aux outre-mer consistera aussi à insister sur ce point et à formuler des préconisations.
Je suis évidemment d'accord avec la solidarité nationale. Cependant, ma collectivité a pris des décisions politiques consistant à aller vers une autonomie importante. Le président de la collectivité a déclaré qu'il ne demanderait rien à l'État afin d'assumer les décisions prises. Pour autant, le métier des assureurs consiste bien sûr à indemniser tout le monde de manière équitable. En dépit de certaines rumeurs, j'ai bien entendu qu'aucun assureur ne prévoit de quitter les territoires concernés.
Comme Allianz, j'ai cependant observé des difficultés pour indemniser certaines personnes. Pour de nombreuses constructions détruites, j'ai entendu que les propriétaires ignoraient qu'ils l'étaient. Les biens avaient en effet été vendus avec une défiscalisation sans que l'intérêt à posséder le bien ait été visible. Pour cette raison, j'ai toujours plaidé pour une autre forme de défiscalisation, « de projet », qui s'inscrive dans une politique de développement durable, et non d'une manière qui permette, en cas de cyclone, de recommencer ailleurs le même « coup ».
Il est vrai que la notion de reconstruction pose problème, étant donné la petite taille des territoires.
S'agissant des relations avec les experts des assurés, avez-vous le sentiment que les déclarations étaient sincères ou exagérées ? Certains établissements ou personnes privées auraient-ils profité du système pour s'enrichir ou réaliser une remise aux normes ?
M. Jean-Louis Charluteau. - J'ai évoqué ce sujet dans un autre esprit, celui d'un jusqu'au-boutisme qui a pu retarder le processus d'indemnisation. Pour le reste, nous faisons quelquefois face dans notre profession à des tentatives excessives, en cas de catastrophe naturelle comme dans d'autres situations. Nous sommes cependant armés pour les détecter.
Mme Gorette Plana. - Les experts d'assurés sont arrivés avant nous, parfois même avant le cyclone. Il faut en outre savoir que cette profession n'est pas réglementée, contrairement à celle des experts de nos compagnies. Certains experts d'assurés sont néanmoins d'un très bon niveau, accompagnent bien les dossiers et oeuvrent dans l'intérêt du client et de la compagnie. Certains interviennent sur des contrats avec des limitations de garantie. Il s'agit d'une aberration. En l'occurrence, nous ne paierons pas plus que la limite. Leur intervention affecte hélas l'image des assurances. Certains experts ont d'ailleurs écrit dans la presse qu'ils pouvaient doubler les indemnités. Nous avons cherché à les attaquer. Leurs propos restaient toutefois suffisamment vagues pour ne donner aucune prise à une procédure judiciaire.
De plus, dans le cas d'Irma, un nombre excessif d'experts d'assurés ont été saisis de dossiers qu'ils n'auraient pas dû traiter. Ils ont formulé des promesses illusoires aux assurés et créé un engorgement dans le traitement des dossiers.
M. Franck Offredi. - L'intervention des experts d'assurés, pour tout événement sortant des normes, concerne aussi la métropole. À Saint-Martin et Saint-Barthélemy, nous avons été confrontés à des pénuries de matériaux et de professionnels, en raison de l'insularité et de la violence de l'événement. De plus, certains artisans locaux ont empêché l'activité de professionnels venant de Martinique ou de Guadeloupe. Ces phénomènes ont ralenti le traitement de dossiers. Or, si la première indemnité est servie rapidement, le complément ne peut être servi que lorsque le chantier a été réceptionné par un professionnel, ce que cette pénurie de professionnels et de matériaux a ralenti. Face à de tels phénomènes, il nous semble que la mobilisation des acteurs publics, locaux et nationaux, pourrait à l'avenir éviter les effets pervers de l'engorgement des capacités de reconstruction, en assurant une hausse de l'approvisionnement en matériaux et de la venue de professionnels.
M. Michel Magras, président. - Compte tenu de l'exiguïté des territoires, des difficultés existent. Les importateurs manquent notamment de capacités de stockage. De plus, le nombre d'entreprises spécialisées, par exemple en charpente, est limité. Pour faire face à un phénomène hors norme, les personnes demandent des devis aux artisans, afin de les soumettre aux assurances. Les professionnels établissent les derniers devis de manière approximative, car ils savent qu'ils manqueront de temps pour exécuter le chantier concerné. De plus, ils favoriseront bien sûr les chantiers de grande taille, au détriment des particuliers. Ce sujet ne relève toutefois pas des assureurs, mais des pouvoirs politiques et de leur possibilité d'agir sur les entreprises.
Mme Catherine Procaccia. - En métropole, la plupart des garanties proposent des reconstructions avec des entreprises affiliées. Procédez-vous de la même manière en outre-mer, compte tenu de la pénurie évoquée, notamment pour les petits sinistres ?
M. Jean-Louis Charluteau. - Nous disposons tous de réseaux d'experts et d'entreprises. Nous ne pouvons cependant que les suggérer à nos clients, qui restent toujours libres de choisir leurs entrepreneurs. Dans les petites îles, il s'avère toutefois très complexe d'entretenir un réseau.
Mme Catherine Procaccia. - Je ne parlais pas des situations de catastrophe.
M. Jean-Louis Charluteau. - La possibilité de suggestion d'une entreprise existe, mais généralement pour des territoires plus vastes que Saint-Martin et Saint-Barthélemy tels la Guadeloupe ou la Martinique. Lors d'une catastrophe, tous les assureurs partagent les mêmes réseaux et les sollicitent au même moment.
Mme Gorette Plana. - Nous avons subi Irma, José et Maria, auxquelles se sont ajoutées de nombreuses tempêtes en métropole, qui ont compliqué notre situation. Nos experts comme les entreprises étaient donc partagés entre différentes zones. Le cumul d'événements ayant affecté l'ensemble de la France s'est donc avéré très atypique.
M. Emmanuel Gombault. - J'ajoute que les coûts de réparation sont plus élevés en outre-mer qu'en métropole, parce qu'il faut faire venir des matériaux inexistants sur place. En outre, nous estimons qu'à la suite d'Irma et de Maria, plus de 5 000 personnes ont quitté les territoires définitivement, pour la Guadeloupe ou la métropole, et ne se trouvent pas sur place pour procéder aux déclarations ou s'occuper des dossiers dans les délais. Nous n'avions jamais connu ce phénomène avec une telle ampleur.
M. Michel Magras, président. -Même si les territoires souhaitaient faire appel à des entreprises venant d'ailleurs, ils devraient loger les personnels. En outre, ces entreprises n'ont pas forcément été formées à nos normes de construction. Un problème de qualité risquerait de se poser.
Quant à Saint-Barthélemy, je n'ai entendu personne se plaindre des assurances ou du temps perdu. La saison touristique 2018 a même été meilleure qu'en 2016, car la clientèle s'est montrée solidaire. Plus généralement, j'ai observé une solidarité inédite, en provenance des îles françaises des Antilles comme du Pacifique, de l'océan Indien ou d'ailleurs.
Je rappelle aussi que vous pouvez nous remettre des informations complémentaires.
M. Stéphane Penet. - Nous vous transmettrons quelques chiffres, afin de documenter vos propos.
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie tous.
jeudi 16 mai 2019
- Présidence de M. Michel Magras, président -
Risques naturels majeurs dans les outre-mer (volet 2) - Audition de M. Pascal Berteaud, directeur général, accompagné de Mmes Anne Chanal, chef du service vulnérabilité et gestion de crise, et Cécile Martin, directrice de la programmation, du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement, (Cerema)
M. Michel Magras, président. - Après l'adoption, en juillet 2018, d'un premier rapport d'information sur la situation des outre-mer face à tous les risques naturels majeurs, centré sur les problématiques de la prévention et de l'anticipation des risques et de la gestion de crise, nous poursuivons nos investigations avec un second volet axé sur la reconstruction et l'organisation de la résilience des territoires sur le plus long terme - très attendu après la publication du premier volet. Nous avons reçu hier les représentants de différents organismes spécialisés sur les assurances.
Ce matin, nous entendons M. Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) accompagné de Mmes Anne Chanal, chef du service vulnérabilité et gestion de crise du Cerema Méditerranée et Cécile Martin, directrice de la programmation du Cerema. M. Frédéric Mortier qui devait participer à cette audition en tant que directeur délégué nous prie d'excuser son absence car il vient d'être nommé délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer et il participe ce matin à une importante réunion sur le phénomène sismologique en essaim à Mayotte et ses impacts multiples. Nous reprogrammerons une audition dans les prochaines semaines pour l'entendre dans le cadre de ses nouvelles fonctions.
Le Cerema est un établissement public tourné vers l'appui aux politiques publiques et placé sous la double tutelle du ministère de la transition écologique et solidaire et du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Nous souhaitions vous entendre car les activités du Cerema s'organisent autour de nombreux champs d'action complémentaires visant à accompagner les acteurs territoriaux dans la réalisation de leurs projets. Votre objet est la prévention des risques mais également l'aménagement et la cohésion des territoires, la transition énergétique et le changement climatique, l'environnement et les ressources naturelles, la mobilité et les transports, l'habitat et le bâtiment. Nos travaux visant aussi à proposer des solutions aux problèmes identifiés ou anticipés, nous serons attentifs à vos recommandations sur ce sujet, compte tenu de vos missions et de votre positionnement institutionnel.
M. Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). - Merci pour votre accueil. Le Cerema est l'héritier des services techniques de l'ancien ministère de l'équipement, qui ont été regroupés il y a cinq ans en un unique établissement public d'expertise nationale pour l'État et les collectivités territoriales. Sur les 2 700 personnes qu'il emploie - effectif en diminution - environ 400 travaillent sur les risques et nuisances, parmi lesquels 300 se consacrent aux risques naturels. Nous développons l'innovation, la recherche et l'expérimentation, en partenariat avec d'autres établissements de recherche ou seuls. Nous nous efforçons de capitaliser et de diffuser les expériences pour définir les bonnes méthodes. Nous fournissons enfin conseil et assistance technique à l'État et aux collectivités territoriales, allant parfois jusqu'à la gestion de crise : pour Irma, nous avons envoyé une équipe sur place trois jours après le passage du cyclone.
Cette équipe comportait des spécialistes des infrastructures, pour évaluer au plus vite les dégâts - mais pas d'experts en réseaux d'eau. À cette époque, j'ai passé deux mois à coordonner l'action du ministère de l'écologie face à cette catastrophe et n'étais pas encore à la tête du Cerema. On a bien vu que la présence d'experts accélérait beaucoup les choses. L'équipe du Cerema comptait aussi des experts en matière de risques. Il s'agissait d'un cyclone de force exceptionnelle, avec une surcote de plus de quatre mètres du niveau de houle. La cartographie du plan de prévention des risques (PPR) a été complètement dépassée, et l'érosion du littoral sableux fut très forte. Pour autant, le nombre de victimes a été relativement réduit - notamment si on le compare aux chiffres de la sécurité routière, dont nous sommes aussi l'expert national. Mais les dommages aux biens et aux activités ont été considérables, et l'impact social, très fort.
Les leçons que nous en tirons sont que, d'une part, il est indispensable de conserver la mémoire de ces phénomènes, en marquant les niveaux d'inondation sur les bâtiments publics, en photographiant et cartographiant les lisses de haute mer, car après le passage du cyclone tout revient à la normale. D'autre part, il faut un suivi instrumental plus fort ; nous y travaillons en développant des outils de cartographie fine en 3 dimensions, en installant des houlographes autour de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, et en y surveillant l'évolution du cordon dunaire.
Ce cyclone a montré que nos réglementations n'avaient pas assez pris en compte le risque de montée du niveau de la mer - que le réchauffement climatique ne pourra qu'accroître - et que les règles de construction n'étaient pas assez rigoureuses. Nos échanges avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) ont révélé aussi un besoin fort des artisans en formation. Le premier bâtiment qui a cassé était le PC de crise de la préfète : celle-ci y avait fait installer des volets métalliques, mais à 30 centimètres des fenêtres, ce qui a occasionné une surpression qui les a fait voler en éclat. C'est une erreur technique. Avec une meilleure formation des artisans et des habitants lorsqu'ils autoconstruisent, une grande partie des dommages pourrait être évitée.
On a vu aussi qu'il était très utile d'envoyer des experts sur place immédiatement. Notre équipe est même partie trop tôt et a dû stationner quelques jours en Guadeloupe, le temps que les autorités publiques règlent les problèmes immédiats de sécurisation de la population. Il faut une capacité rapide de relevé de terrain et de cartographie. Cela permet d'affiner le nouveau PPR avec une meilleure prise en compte de ce type de risques.
Le risque hydraulique dans les départements d'outre-mer est en fait traité comme dans les autres départements français : il n'y a pas de démarche spécifique, si ce n'est qu'on sait que le risque y est plus violent et plus fréquent.
Nous avons produit dès 2012 une synthèse nationale sur les risques littoraux, qui comportait un volet spécifique sur les outre-mer. La cartographie réglementaire, issue de la directive inondations, concerne les enveloppes approchées des inondations potentielles (EAIP). Nous l'avons dressée pour les cinq départements d'outre-mer, sauf à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, où elle a été faite après le cyclone.
L'érosion côtière est une question importante. Nous travaillons à en élaborer un indicateur, et nous menons une expérimentation d'un dispositif de suivi en temps réel, couplé à une application spécifique dénommée « Rivages ». Elle va s'accélérer avec le changement climatique, sous l'effet à la fois de la hausse du niveau de l'eau et de la multiplication des phénomènes exceptionnels. À cet égard, nous n'en sommes qu'au début de l'histoire...
Aux Assises nationales des risques naturels, qui ont eu lieu en mars, deux pistes d'amélioration ont fait l'unanimité : le partage de l'information, et la consolidation et la diffusion des bonnes pratiques d'adaptation. Le premier semble paradoxal, car lorsqu'on acquiert un bien immobilier, on reçoit une abondante documentation relative aux risques naturels. Mais celle-ci « ne parle pas » directement à la population car elle ne permet pas de visualiser immédiatement le danger. Il faudrait trouver des formules le rendant plus manifeste : par exemple, dire qu'on a dix fois plus de chances de voir sa maison détruite que de gagner au loto. En ce qui concerne le risque cyclonique, sa conscience ne se perd pas lorsque les cyclones sont assez fréquents. Lorsqu'ils sont espacés, la population l'oublie et cesse de clouer correctement les toits, par exemple. La diffusion des bonnes pratiques doit être faite à froid : il est compliqué, voire impossible, de faire la leçon aux gens lorsqu'ils doivent reconstruire leur maison !
Nous avons produit début 2019 un recueil de données sur la prévention des risques naturels en outre-mer. Au niveau national, avec le ministère, nous organisons un atelier sur les territoires en mutation soumis aux risques naturels. Un Grand prix d'aménagement en terrain inondable constructible est en outre décerné chaque année.
Le benchmarking, c'est-à-dire le fait de comparer pour s'améliorer, est très important, notamment pour nos outre-mer qui connaissent un contexte différent de celui de la métropole. Nous y travaillons, en comparant notamment nos dispositifs à ceux appliqués dans le Golfe du Mexique ou aux États-Unis. Le guide de construction parasismique et paracyclonique pour les maîtres d'ouvrage comporte des comparaisons internationales, et le Grand prix que j'ai évoqué en tient compte aussi.
Nous avons mené une étude expérimentale dans le Var sur les populations en situation de danger et on pourrait en faire une déclinaison pour l'outre-mer. Le retour à la normale, s'il n'est pas anticipé, se fait le « nez dans le guidon » ! Mieux vaut préparer des procédures, et nous avons un projet de recherche sur ce thème avec le retour d'expériences d'un certain nombre de cyclones pour mieux anticiper les effets. Frédéric Mortier a été envoyé par le Cerema à Saint-Martin, et a constaté les difficultés posées par l'impréparation. Un délégué spécifique est une bonne idée, car cela permettra de mobiliser et avoir des moyens sur la durée pour anticiper les prochaines crises.
Mme Anne Chanal, chef du service vulnérabilité et gestion de crise du Cerema. - Nous veillons beaucoup à tirer des enseignements des événements, à les comprendre et à mutualiser l'information pour la faire passer à d'autres territoires. À cet égard, le Cerema fonctionne comme un centre de ressources. Nous nous efforçons aussi de mobiliser pour les outre-mer, afin de pallier la distance, des outils différents, et notamment des moyens humains et numériques.
Mme Cécile Martin, directrice de la programmation du Cerema. - Nous travaillons en liaison avec d'autres spécialistes du risque, comme le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), qui nous aident aussi dans la gestion de crise, notamment outre-mer où n'avons pas d'implantation.
M. Pascal Berteaud. - Il est vrai que le Cerema qui résulte de la fusion de services antérieurs n'a pas d'implantation outre-mer. Nous travaillons, pour l'océan Indien et le Pacifique, depuis Aix-en-Provence et, pour les Antilles et la Guyane, depuis Rouen. Pourtant, notre activité relative aux outre-mer augmente (sur les risques, les infrastructures), alors que notre budget doit baisser de 20 % sur le quinquennat... On regarde du côté du BRGM dont la présence sur place est bien utile.
M. Abdallah Hassani, rapporteur. - Comment expliquez-vous que le cyclone Irma n'ait pas fait plus de victimes à Saint-Martin et Saint-Barthélemy ?
Mme Anne Chanal. - Il faudrait examiner chaque cas, mais la récurrence de ces événements sur un territoire donné améliore dans la population la culture du risque et la connaissance des bons comportements pour se mettre en sécurité. À cet égard, la métropole a beaucoup à apprendre de la culture du risque de nos outre-mer. De plus, on voit venir un cyclone à l'avance, ce qui laisse un délai d'alerte pour passer des messages de mise en sécurité des personnes.
M. Pascal Berteaud. - J'émettrais juste un petit bémol. C'est plus la conscience du risque qui compte que la mémoire. Les événements font aussi plus de morts quand ils surviennent en pleine nuit, ou quand la population n'a pas conscience du danger. C'était le cas lors des inondations dans le Gard, qui ont fait 30 morts : certains attendaient que les gendarmes s'en aillent pour aller là où ceux-ci leur avaient interdit de se rendre ! Je dirais cependant que la conscience du risque demeure plus longtemps que la culture du risque : à Saint-Martin, cette dernière s'était quand même émoussée après le cyclone de 1995, et plusieurs règles de construction n'ont pas été respectées.
M. Michel Magras, président. - Même après Luis, il y a eu d'autres cyclones... Le problème est l'important turn-over de la population. Beaucoup plient bagage après avoir vécu un cyclone ! La culture du risque existe dans la partie de la population qui est stable. Nous avons prêché pour une meilleure coordination internationale pour le suivi du passage des cyclones. Aujourd'hui, le suivi des cyclones est un véritable défi. Pour Irma, l'annonce portait bien sur un phénomène exceptionnel et la préfète a parfaitement annoncé l'événement ; le message a été suivi d'effet. Reste à voir si l'on peut rendre obligatoire l'évacuation de certaines zones, car certains îliens hésitent toujours entre rester chez eux pour préserver leur maison, ou partir. C'est une vraie problématique sur les îles.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Il faut veiller à ce que les solutions et adaptations proposées soient bien acceptées par la population, qu'il s'agisse de repli, d'urbanisme ou de mises aux normes, souvent coûteuses - les assureurs nous l'ont rappelé hier. Outre-mer, les traditions et les coutumes sont différentes : à Mayotte, à l'approche d'un phénomène, tout le monde se rassemble pour prier à la mosquée... L'affichage d'une spécificité que constitue la création d'un délégué pour les risques naturels outre-mer est intéressant. Mais aura-t-il les mêmes moyens que le délégué national aux risques ? Nous craignons de voir l'outre-mer enfermé dans un dispositif alternatif, voire secondaire, malgré les assurances du ministère. Il est bon de donner de la pérennité à la mission, mais il n'est pas sûr que les moyens demeureront après l'urgence - le Président de la République avait annoncé 500 millions d'euros débloqués pour intervenir (armée, sécurité civile, etc.).
M. Pascal Berteaud. - Les mesures relatives à la formation n'engendrent guère de coûts, et elles sont fondamentales, et porteront leurs fruits progressivement, au fur et à mesure des reconstructions et réparations. Bien sûr, les artisans locaux ont souvent l'impression de savoir déjà faire. On a constaté sur place que beaucoup de difficultés venaient de procédés techniques inappropriés. Changer l'aménagement est plus sûr plus compliqué pour des questions de tradition, de foncier. À Saint-Martin, on a construit sur le cordon dunaire faute de foncier disponible ailleurs - et parce que c'est plaisant d'être au bord de la mer. C'est un phénomène à long terme qu'il faut enclencher. Le rôle principal du délégué interministériel sera d'être comme « le chien qui mord les mollets » des administrations pour qu'elles s'occupent de l'outre-mer. En effet, c'est loin, plus coûteux... Au-delà de ses moyens propres, son rôle sera beaucoup axé sur cela.
M. Michel Dennemont. - On ne fait pas assez confiance aux acteurs locaux. Vous dites que c'est le bâtiment de la préfecture de Saint-Martin qui a souffert en premier. Pensez-vous qu'il ait été construit par un artisan sans l'intervention d'un maître d'oeuvre - formé dans les écoles de la métropole ? L'artisan ne fait que réaliser ce qu'on lui a prescrit. J'ai été trente ans maire et je pense qu'il faut faire confiance aux élus locaux, pour qui il est toujours difficile de se voir faire la leçon par un fonctionnaire fraîchement débarqué. Et le plan Orsec fait du maire l'officier de l'État, ce qui lui donne le pouvoir de réquisition.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Je souhaite intervenir dans le même sens. Dans le recensement du bâti, l'accent n'a pas été assez mis sur l'habitat traditionnel. L'ancrage de la charpente est fondamental, pourtant. Les anciens construisaient des toits à quatre pentes. Les architectes, souvent métropolitains, sont compétents, certes. Mais ils sont davantage rompus à l'effondrement qu'à l'arrachement. La formation doit donc s'appliquer à tous les niveaux, sans incriminer le seul niveau local. S'agissant des inondations, la plupart des constructions anciennes sont en surélévation. Aujourd'hui, on décaisse jusqu'en-dessous du niveau de la mer ! Il faut traiter la reconstruction à froid, en effet : pourquoi les autres interlocuteurs ne le comprennent-ils pas ? Sur le PPRN, même si elle sait qu'il doit être réactualisé, la population ne comprend pas la précipitation et les injonctions qu'elle reçoit. Cela donne l'impression que l'État veut se protéger lui-même, et non véritablement la population. On peut prendre les bonnes idées partout, en effet. Aux Pays-Bas, par exemple, les méthodes de construction semblent intégrer les risques naturels. Ils ont fait des études plus poussées sur ces problèmes. Il ne faut pas prendre en compte uniquement la dimension financière. Où va pouvoir s'installer la population si elle ne peut construire ni sur la côte ni en montagne compte tenu des prescriptions ? Le cordon sableux a été aménagé récemment. À l'origine, il ne posait pas de problème ; c'est ce qui s'est greffé autour qui l'a fragilisé.
Mme Vivette Lopez. - Qu'est-ce qui provoque le plus de dégâts, dans un cyclone ? La submersion marine ? Le vent ? On ne tient pas assez compte des habitants locaux, qui connaissent et ont l'habitude. À Vaison-la-Romaine, les anciens ne construisaient qu'en hauteur. Aujourd'hui, on construit jusque dans le lit des rivières...
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Le vent frappe non seulement par sa propre puissance, mais aussi par les « dégâts volants », les projectiles qui sont à l'origine de 75 % des décès enregistrés à Saint-Martin, et dont on peut réduire le nombre par des normes de construction adaptées. Il y a la mer mais aussi le ruissellement des eaux. La conjonction des éléments est incontournable mais il y a des facteurs sur lesquels on peut agir, notamment la construction.
M. Pascal Berteaud. - Bien sûr, la formation doit concerner tous les niveaux et ne pas stigmatiser les artisans locaux. D'ailleurs, les baies vitrées posent aussi problème. N'oublions pas, cela dit, que ce que l'on voit des anciens, c'est ce qui a tenu ! Beaucoup de leurs constructions ont été détruites aussi au cours des siècles... Aux Pays-Bas, les deux tiers du territoire sont sous le niveau de la mer. Du coup, les digues sont gérées par des autorités publiques dédiées et élues au suffrage universel ! Ce pays a lancé un premier programme de rehaussement des digues au début des années 2000. Il y a un fort investissement mais cela prouve aussi qu'on sait vivre avec les risques. En milieu insulaire, on n'a pas le choix.
L'amplitude de ce cyclone était inédite. Cela oblige à revoir certaines normes. Et comme la reconstruction n'a pas été anticipée, on se retrouve obligé d'interdire certaines reconstructions sans proposer d'alternative. Dans un cyclone, le vent est la première agression, immédiatement suivie par l'eau. Le ruissellement, l'érosion complètent le travail.
Mme Anne Chanal. - La submersion et l'érosion sableuse touchent structurellement les bâtiments puisqu'elles concernent les fondations. D'où la recommandation d'ancrer les fondations dans le substratum - ce que faisaient les anciens.
M. Michel Magras, président. - Je me souviens des cyclones depuis les années 1960... Vous n'avez pas mentionné que le vent, tourbillonnant, n'agit pas de manière linéaire, mais suscite des tornades. Ainsi, le toit de mon voisin - plus solide a priori que le mien - a disparu, et on l'a retrouvé à six kilomètres... Et nos maisons sont à 60 mètres l'une de l'autre et que ma toiture n'a pas bougé ! Vous parlez de clous dans les tôles, mais nous n'utilisons plus que des tirefonds depuis longtemps. Les objets volants sont un danger réel. Quant aux baies vitrées, les architectes savent bien qu'elles sont inadaptées, mais elles leur sont imposées par leurs clients. Aussi avons-nous missionné des architectes pour faire un bilan. J'ai moi-même une baie vitrée et, aux premières rafales, j'ai craint qu'elle ne sorte du rail, ce qui aurait été fatal pour la maison, moins sous la force du vent que par l'effet des différences de pression entre intérieur et extérieur. L'expérience acquise est remarquable et donne naissance à des modèles. Comment inscrire dans nos normes l'obligation d'en tenir compte ?
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Le retour d'expérience doit concerner l'ensemble, et pas seulement le bâti. On constate ainsi que les volets-accordéons tiennent, mais pas les volets roulants, que l'accroissement de la taille des baies vitrées fragilise... Il existe des barres anticycloniques pour répartir la pression : elles devraient être systématiques. Ma maison a des volets en bois et, à la dernière minute, je les ferme en fixant les barres de sécurité.
M. Michel Magras, président. - Merci. Nous souhaitons avoir communication des documents que vous avez évoqués. Le Cerema joue un rôle important. Toutes les collectivités territoriales s'impliquent dans les outils numériques comme le produit Litto3D, qui donneront aux PPR une plus grande rationalité.
M. Pascal Berteaud. - Sur ces sujets, il faut investir dans la connaissance : cela permet d'éviter de grosses destructions. La formation des acteurs coûte aussi, mais rapportera beaucoup.
M. Michel Magras, président. - Nous demandons que les normes soient adaptées à nos territoires, et que l'outre-mer soit intégré dans le processus de leur définition.
Risques naturels majeurs dans les outre-mer (volet 2) - Audition de M. François Adam, directeur, Mmes Marie-Christine Roger, chargée de mission outre-mer, et Géraldine Sanaur, adjointe au chef du bureau de la réhabilitation du parc d'évaluation économique et outre-mer, direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), ministère de la transition écologique et solidaire
M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, nous allons poursuivre nos travaux dans le cadre de l'examen du second volet relatif aux risques naturels majeurs qui, je le rappelle, est axé sur la reconstruction et l'organisation de la résilience du territoire sur le long terme.
Nous venons d'entendre les représentants du Cerema, nous avons reçu hier en Salle Médicis, les représentants des organismes d'assurances, dans le cadre d'une table ronde.
Pour mesurer l'état de la reconstruction des îles du Nord et les politiques publiques menées pour engager une adaptation durable des territoires, nos trois rapporteurs se sont rendus à Saint-Martin lors de la suspension des travaux du Sénat. Nous avons à cette occasion touchés du doigt les réalités de la reconstruction. Je précise que si nous parlons de reconstruction, c'est parce que nous représentons des territoires ayant vécu des phénomènes impliquant une phase de reconstruction. La problématique que nous traitons est cependant bien plus générale. Elle concerne la résilience en cas de crises sur d'autres territoires.
Dans le cadre de la présente audition, nous accueillons le Ministère de la transition écologique et solidaire, représenté par : M. François Adam, directeur de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) ; Mme Marie-Christine Roger, chargée de mission outre-mer et Mme Géraldine Sanaur, adjointe au chef de bureau de la réhabilitation du parc évaluation éco et outre-mer.
Nos travaux visant aussi à proposer des solutions aux problèmes identifiés ou anticipés, nous serons attentifs à vos recommandations sur ce sujet, compte tenu de vos missions et de votre positionnement institutionnel.
Je vous présente les personnes qui m'entourent pour ce deuxième volet : Guillaume Arnell, sénateur de Saint-Martin, rapporteur coordonnateur sur les deux volets ; et nos deux rapporteurs Abdallah Hassani, sénateur de Mayotte, et Jean-Francois Rapin, sénateur du Pas-de-Calais et Président de l'Association nationale des élus du littoral (ANEL).
Je vais à présent vous laisser la parole. Nous vous avons adressé une trame sur laquelle vous pouvez vous appuyer. Mes collègues vous poseront ensuite quelques questions pour compléter votre intervention liminaire.
M. François Adam, directeur de la DHUP. - Merci, Monsieur le président, je vais commencer mon propos en abordant le rôle de la DHUP. Ce sont des sujets qui impliquent plusieurs administrations. Au sein du Ministère de la transition économique et solidaire, nous traitons aussi des sujets qui concernent aussi la direction générale de la prévention des risques. Pour ce qui relève de notre direction, nous travaillons d'abord sur les règles de construction. C'est sous cet angle que nous sommes amenés à nous interroger sur les conséquences à tirer des événements de 2017. De manière complémentaire, nous avons par ailleurs la tutelle du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) que vous avez convié à cette audition.
Au-delà des normes, nous travaillons aussi sur les aspects techniques de la construction. En revanche, nous n'avons pas de responsabilité directe sur les process de réponse aux crises susceptibles de survenir outre-mer.
Concernant les actions menées à la suite du cyclone Irma, notre première préoccupation, cela nous a été demandé en interministériel, a consisté à diffuser les bonnes pratiques pour la reconstruction. Nous avons donc fait réaliser, avec le CSTB et en concertation avec les acteurs de la collectivité de Saint-Martin, un guide des bonnes pratiques ayant pour objet de rappeler un certain nombre d'exigences réglementaires et de préconisations techniques pour que la reconstruction se passe bien.
En second lieu, depuis la diffusion de ce guide au 1er janvier 2018, nous avons demandé au CSTB de poursuivre son programme d'études, afin d'être au clair sur l'état des connaissances face au risque cyclonique. Nous nous sommes en particulier rendu compte que, parmi les différents risques naturels susceptibles d'avoir un impact sur la construction outre-mer, une grande importance a été, à juste titre, accordée au risque sismique, mais la question du risque cyclonique a sans doute été moins travaillée, bien qu'elle n'ait pas été totalement écartée. C'est une des conclusions à tirer de la catastrophe de Saint-Martin.
Actuellement, une série d'études, terminées ou en cours, vise à se demander si nos actuelles normes de constructions sont adéquates, en fonction de l'appréciation la plus fine que nous pouvons faire du risque cyclonique dans les Antilles et les départements de l'océan Indien au regard des expériences étrangères. Nous sommes attachés à ce que ce travail technique puisse se poursuivre.
Concernant le risque sismique, nous participons au comité de pilotage du plan séisme Antilles et nous rédigeons des documents à l'attention des professionnels sur les normes applicables et les recommandations en matière technique. Nous pourrons aborder cette partie de manière plus détaillée si vous le souhaitez. C'est ce que nous faisons au niveau de l'administration centrale, mais au niveau des services déconcentrés il y a évidemment un rôle, fondamental à mon point de vue, qui est celui du contrôle des normes de construction au niveau local. Il ne suffit pas fixer des normes pour les professionnels, il faut aussi s'assurer de leur respect et cette mission est importante. Une circulaire est en cours de publication pour faire évoluer les modes de réalisation de ces contrôles.
Je souhaite ensuite aborder l'articulation avec la conférence logement outre-mer. Les travaux ont été engagés en janvier et doivent s'achever à la fin du premier semestre 2019. Le champ de cette conférence est évidemment très large, mais nous n'oublions pas la nécessité de tenir compte de la prévention des risques naturels dans la politique du logement. En particulier, un sujet important est la manière de limiter les risques pour l'habitat spontané ou informel, n'ayant pas par définition été édifié selon les règles de l'art.
Enfin, je voudrais évoquer, au titre des observations générales, la création d'une fonction de délégué interministériel à la prévention des risques outre-mer qui sera assumée par M. Frédéric Mortier, qui est familier de ces questions pour avoir participé à la délégation interministérielle pour la reconstruction de Saint-Martin avec lequel nous allons travailler, le décret de nomination le prévoit. Il coordonnera dans le cadre de ces fonctions le plan séismes aux Antilles et il sera chargé de réfléchir à l'hypothèse d'un texte législatif sur la prévention des risques outre-mer. Ces réflexions en sont à leur commencement, mais la question de la pertinence d'introduite des évolutions législatives dans notre périmètre ou pas, notamment sur les règles de construction, se posera. Cela n'est pas certain car le sujet n'est pas forcément comment renforcer les normes mais davantage de veiller à leur respect, d'améliorer la question de l'habitat informel.
Vous nous avez transmis un questionnaire. Souhaitez-vous que nous suivions cette trame ?
M. Michel Magras, président. - Vous êtes libres de vous inspirer ou de vous écarter de la trame. Cette dernière correspond aux questions sur lesquelles il nous faut apporter des éléments de réponse. Nous sommes bien entendu à votre disposition pour évoquer tous les sujets que vous souhaiteriez aborder.
M. François Adam. - Je vous propose d'approfondir notre présentation en abordant le bilan du cyclone Irma tel que nous l'avons dressé. Si vous en êtes d'accord, je vais passer la parole à Marie-Christine Roger qui est chargée auprès de moi de la coordination des sujets outre-mer.
Mme Marie-Christine Roger, chargée de mission outre-mer. - Bonjour Monsieur le Président. Votre première question est relative au bilan du cyclone Irma à ce jour. Irma s'est produit en même temps que les ouragans José et Maria qui ont également particulièrement impacté les Antilles. La gestion de crise a nécessité la mise en place d'une cellule de crise ministérielle et interministérielle, activée du 6 au 20 septembre 2017. Le Ministère de la transition écologique et le Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ont été sollicités. Trois représentants de la DHUP ont en outre été mobilisés pour pouvoir dès le début communiquer avec les territoires et mettre en place la stratégie.
À la suite de l'ouragan, il est apparu que si la culture du risque sismique était bien présente aux Antilles, elle avait pu faire passer au second plan celle du risque cyclonique. Nous nous sommes ainsi aperçus que la reconstruction qui avait été engagée à la suite de l'ouragan Hugo présentait des lacunes sur le territoire de Saint-Martin.
Nous avons envoyé en mission le CSTB dans les jours qui ont suivi la catastrophe pour établir un diagnostic et nous avons également commandé d'autres études, le Cerema vous a peut-être parlé. Enfin, pour fixer les modes opératoires de manière plus durable, nous avons rédigé un guide à vocation opérationnelle, pédagogique et pratique. Nous avons également soutenu le travail, encore en cours, des compagnons-bâtisseurs pour aider à la réparation des toitures des habitations des particuliers, avec le support de la Fondation de France. Nous avons également aidé à la mobilisation du fonds d'urgence logement (FUL) pour accélérer la réhabilitation des logements sociaux des trois bailleurs présents sur le territoire : SEMSAMAR, SIG et SIKOA. Dans ce contexte, nous assistons les services du Préfet pour établir la convention entre la collectivité et les trois bailleurs pour garantir des travaux résilients, l'objectif étant que le FUL ne soit versé que si les travaux réalisés sont de nature à résister à de nouvelles catastrophes, par exemple le remplacement des menuiseries ou la mise en place des toitures.
Nous avons également engagé un travail avec la DEAL et la collectivité pour aider celle-ci à mettre en place son plan d'aménagement et de développement durable (PADD). Nous allons dans ce cadre mettre en place un atelier des territoires de la même manière que nous intervenons à Mayotte pour aider à la mise en place du schéma d'aménagement régional. Ces démarches nous permettront de veiller que ces aspects d'aménagement prennent en compte des règles de constructibilité compatibles avec les risques de submersion. Nous nous sommes mis en ordre de marche suite à Irma.
M. François Adam. - Pour compléter, il serait utile de dire un mot des études qui ont été réalisées ensuite par le CSTB, notamment le benchmark international.
Mme Géraldine Sanaur, adjointe au chef de bureau de la réhabilitation du parc évaluation éco et outre-mer. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, bonjour. Le CSTB a effectivement été sollicité par la DHUP et missionné pour mener un corpus d'études afin d'évaluer la stratégie française de prévention du risque cyclonique, notamment la prévention du risque cyclonique lié au vent.
Il a été décidé dans un premier temps de comparer notre mode de gestion de ce risque par rapport à ce qui est pratiqué dans d'autres zones internationales soumises à des risques cycloniques très forts. Nous avons ainsi effectué des comparaisons avec le secteur du Queensland en Australie, la Floride aux États-Unis, et le secteur d'Okinawa au Japon. À première vue, en comparant simplement les référentiels de vent, nous avions dans un premier temps pu imaginer que la norme française était moins exigeante. Toutefois, en menant un travail plus poussé et en appliquant l'ensemble des ratios et des calculs - un peu savant à vrai dire - de détermination des pressions de vent, il s'est avéré que les normes de pression de vent en vigueur en France sont exactement du même ordre que celles appliquées dans les trois pays précités, à savoir 2 700 Newtons par m2 environ, soit une variabilité de 1 %. Nous pouvons donc affirmer que les niveaux d'exigence français sont équivalents à ceux pratiqués dans d'autres zones exposées au risque cyclonique, à l'échelle mondiale.
M. François Adam. - Il faut distinguer les normes et l'application des normes, mais cette étude montre que s'agissant des normes, celles appliquées en France sont tout à fait comparables à celles d'autres pays soumis à un risque cyclonique important. Ceci tend à nous montrer que l'action à mener aujourd'hui ne doit pas tant porter sur le renforcement des normes que sur la vérification de leur bonne application.
Mme Géraldine Sanaur. - À la suite de ce premier constat, la DHUP a néanmoins souhaité poursuivre les investigations. Le CSTB a été missionné pour établir des études visant dans un premier temps à mener « un travail statistique » pour bien prendre en compte l'évolution des phénomènes cycloniques, sachant que les dernières références dans les autres pays remontent aux années 1990.
Un travail d'évaluation des phénomènes cycloniques au cours des 30 dernières années est actuellement mené, afin de questionner ce référentiel. Faut-il le faire évoluer, au regard notamment des événements cycloniques majeurs de l'année 2017 ? Les premiers résultats de cette étude font en particulier apparaître que si nous considérons cette année 2017 comme une année classique, nous pouvons envisager d'augmenter les référentiels et les exigences en matière de résistance au vent de 10 à 20 %. Ce premier volet d'analyse a été présenté la semaine dernière aux acteurs de la construction aux Antilles, à la Guadeloupe et à la Martinique. Une mission composée du CSTB et de la DHUP est également actuellement à Mayotte pour présenter ces conclusions.
Cette première étude sera suivie d'une analyse économique et technique, afin d'évaluer le surcoût que pourrait représenter une élévation supplémentaire de cette norme française.
Dans un troisième temps, le CSTB devra travailler à l'élaboration en concertation avec les acteurs concernés, d'un document de référence d'aide à la construction, dont la forme reste à définir. Il se peut qu'il s'agisse d'un guide de bonnes pratiques, les acteurs auront leur mot à dire pour définir la méthode et le rendu.
M. François Adam. - Ce travail n'est pas encore mené à son terme. Il faut donc rester très prudent sur les conclusions à en tirer.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Est-il prévu une présentation dans l'ensemble des territoires ?
Mme Géraldine Sanaur. - La mission devrait se rendre à La Réunion en octobre. On a prévu un système de communication, à défaut de se rendre sur place, pour que l'ensemble des territoires soit concerné.
M. Michel Magras, président. - Je pense que la question de mon collègue concerne également le statut des territoires. En effet, il faut distinguer les DOM, et les collectivités régies par un principe de compétences partagées ou transférées. Dans ces dernières, il faut donc regarder la situation au cas par cas.
J'ajoute que nous parlons de normes professionnelles qui, par définition, ne font pas partie de la loi. Ces normes sont à ce stade vivement recommandées, mais doit-on en arriver à établir une obligation de respecter les normes professionnelles ? Le sujet de la norme professionnelle dans le domaine du BTP suscite un débat en outre-mer. La Délégation a d'ailleurs publié un rapport « Les outre-mers au pied du mur normatif » dans lequel nous avions soumis un certain nombre de recommandations. C'est la raison pour laquelle Guillaume Arnell souhaite s'assurer que ces analyses seront présentées partout.
M. Thomas Welsh. - Je n'ai pas d'éléments particuliers à ajouter à ce qu'a présenté la DHUP en ce qui concerne les démarches d'évaluation des risques et d'évolution des risques liés aux changements climatiques. Je précise seulement que la question assurantielle est centrale en outre-mer et plus généralement sur l'ensemble du territoire. En effet, pour l'application des règles de construction en général, le code de la construction et de l'habitation prévoit en général les résultats attendus en matière notamment de performance technique et de résistance cyclonique. Nous sommes d'ailleurs en train de réviser le code de la construction et de l'habitation pour mettre davantage les résultats obtenus en matière de performance énergétique ou de résistance cyclonique, afin que l'ensemble des acteurs prennent clairement connaissance de l'objectif à atteindre et mettent en oeuvre les moyens qu'ils jugent adaptés, avec un dispositif de contrôle associé. C'est l'esprit du code depuis les origines, basé sur le système d'assurance construction.
Des travaux importants sont en cours sur ce sujet et qui sont importants, notamment à partir de l'expérience de La Réunion, pour faire évoluer le corpus normatif afin de l'adapter aux contraintes ultramarines. Nous finançons ces travaux pour que les normes soient les plus adaptées possibles.
Il est également nécessaire que les acteurs des territoires concernés, comme à La Réunion, s'organisent autour de ces enjeux pour évaluer ces normes et assurer leur bonne adéquation aux contextes locaux. Une fois les objectifs posés au niveau de la loi, c'est à travers les normes et par l'action des contrôleurs techniques construction qui sont très présents à la fois sur les risques sismiques et cycloniques que la vérification du respect des prescriptions légales et la protection des usagers est assurée. Il se pose toutefois la question des dispositifs de contrôle des normes existants et de leur bonne application sur le terrain, les questions d'habitat informel, du recours effectif au contrôle technique et aux autorisations nécessaires.
M. Michel Magras, président. - En tant que Président de délégation, je souscris à ce que vous venez de dire. Nous avons particulièrement apprécié au sein de la délégation le fait qu'à la suite de la publication de ce rapport, le BNTEC (Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction du bâtiment) avait immédiatement joué le jeu en nous invitant à ses assemblées générales et en intégrant cette volonté de prendre en considération l'adaptation des normes dans les territoires d'outre-mer. À ce titre, le travail effectué pour La Réunion avec Monsieur Stéphane Brossard est particulièrement remarquable.
Nous avions souhaité que la Guadeloupe et la Martinique s'intègrent dans cette démarche. Elles n'ont cependant pas adopté la même approche. Il reste que ce travail d'adaptation au niveau local est une nécessité absolue. C'est pour cette raison que nous avons demandé à disposer de la même entrée au CSTB qu'au BNTEC dans le même rapport. Nous avons sans doute été un peu maladroits dans un premier temps en demandant que les outre-mer soient représentés au Conseil d'administration, ce qui a été écarté en commission mixte paritaire. Malgré tout, le CSTB nous a fait savoir sa volonté d'intégrer les professionnels outre-mer dans les comités de discussion participant à l'élaboration des normes. J'estime que c'est très important. Il faut que les savoir-faire ultramarins et les connaissances liées à l'environnement dans lequel se trouve chacun des territoires concernés soient pris en compte. Je pourrais donner beaucoup d'exemple comme celui du ferraillage dans le béton. Nous saluons la prise en compte par les acteurs de La Réunion de la réalité de leur territoire.
M. François Adam. - Nous pouvons peut-être ajouter quelques éléments sur le travail en cours dans le cadre de la Conférence du logement outre-mer sur le sujet de l'habitat informel, en lien avec les risques naturels.
Mme Marie-Christine Roger. - Monsieur Adam a rappelé le calendrier de la Conférence logement sur lequel je ne reviens pas. La question de l'habitat vulnérable et spontané, qui représente selon les estimations 70 000 logements (20 000 en Guyane, 20 000 à Mayotte, 20 000 à La Réunion, beaucoup moins aux Antilles), est d'autant plus importante que cet habitat est souvent construit en zone littorale, dans des secteurs à risque, où il peut y avoir des glissements de terrain ou de l'érosion du trait de côte comme en Guadeloupe à Petit-Bourg, à Mayotte,...
Nous avons identifié au moins deux points d'amélioration. S'agissant de la zone des cinquante pas géométriques, les agences des « cinquante pas » travaillent aux Antilles sur la régularisation foncière, l'aménagement, voire la relocalisation des personnes situées en zone de risque. La loi Letchimy a introduit, dans son article 6, la possibilité d'indemniser les familles pour faciliter leur relogement. Nous avons cependant noté que les agences des « cinquante pas » n'avançaient pas suffisamment vite. Le Directeur général de l'outre-mer et la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) ont donc confié une mission au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) aux fins de soumettre des propositions pour accélérer la régularisation du relogement des occupants et le réaménagement de la zone des cinquante pas géométriques.
Nous avons également constaté le fonds Barnier est insuffisamment mobilisé, alors que ce point est prévu par l'article 6 de la loi Letchimy. Il l'avait été lors du glissement de terrain intervenu au Mont Baduel en Guyane... Il nous semble qu'il faudrait introduire plus de fluidité dans ces critères de mobilisation. Nous travaillons avec la DGPR sur ce sujet car elle peut intervenir pour la mobilisation de ce fonds.
Nous nous interrogeons également sur une piste éventuelle consistant à envisager d'inscrire des mesures en faveur de la prévention des risques naturels dans l'habitat ultramarin et sur la question de l'habitat informel dans le plan d'investissement volontaire d'Action Logement, qui prévoit de mobiliser une enveloppe de près d'1,5 milliard d'euros pour l'outre-mer. Il va être déclaré spécifiquement pour les départements ultramarins. Il nous semble que dans le cadre de la conférence logement qui aura à peu près le même calendrier que ce plan, on pourrait mobiliser quelque chose de spécifique sur l'habitat informel et la sécurité des habitants en zone de risques.
M. Michel Magras, président. - La Délégation sénatoriale aux outre-mer a publié trois excellents rapports sur la problématique foncière qui ont formulé des propositions particulièrement intéressantes sur l'ensemble des outre-mer, notamment concernant la zone des cinquante pas géométriques.
M. Abdallah Hassani, rapporteur. - Je m'interroge sur les modalités pour procéder à la remise aux normes des constructions à Mayotte, car à une certaine période il était possible de construire sans permis. Ces constructions sont nombreuses et il faudrait une régularisation dans toutes les communes.
Concernant l'habitat informel, je voudrais savoir quelle définition vous retenez. Vous citez en particulier les bangas construits sur les pentes, qui sont en situation irrégulière. Comment va-t-on parvenir à régulariser la situation ?
Mme Marie-Christine Roger. - À Mayotte, il existe actuellement une dynamique dans tous ces domaines. Vous retravaillez notamment le schéma d'aménagement régional qui est considéré comme un véritable projet de territoire ayant pour objet de répondre aux questions que vous posez.
Vous avez raison, les bâtiments réalisés à Mayotte ne comprennent pas que des édifices mal construits, bien qu'ils aient été édifiés à une époque où les permis de construire n'étaient pas obligatoires, compte tenu du statut. Il faudra certainement mettre en place une politique d'amélioration de l'habitant et de diagnostic pour ces constructions en dur. Toutefois, pour des constructions extrêmement précaires, il n'existera pas d'autre solution que la démolition et la reconstruction.
L'Établissement public foncier d'aménagement de Mayotte est installé depuis un an. Il commence son travail en réalisant les enquêtes qui permettront de connaître la situation des ménages habitant dans les secteurs qu'il faudra reconfigurer. Ce travail permettra d'identifier les personnes régularisables ou n'ayant pas vocation à rester dans les zones concernées. À ma connaissance, deux projets de centres d'hébergement provisoire sont prévus en Guyane comme à Mayotte pour les personnes qui ne pourraient conserver un habitat dans les zones concernées.
Cette dynamique du schéma d'aménagement régional va également permettre de remettre en cohérence les PLU.
Au-delà de ces démarches, il faudrait mettre en place des procédures pour s'assurer que les permis sont déposés. Il serait sans doute utile de mettre en place un Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) à Mayotte pour aider les particuliers à élaborer et à déposer leurs projets de constructions.
M. Michel Magras, président. - J'entends dans vos interventions qu'il se pose à l'évidence un sujet de régularisation et de mise aux normes de l'existant, parallèlement à la stratégie de reconstruction et de résilience des territoires sur laquelle nous travaillons.
Monsieur Yves Laffoucrière s'est beaucoup référé aux travaux de la délégation et à un bilan effectué à La Réunion pour la rédaction de son rapport au ministre Julien Denormandie. Je regrette simplement que les autres territoires ne se soient pas approprié la réalisation de tels bilans d'évaluation. Dans les lois que vous aurez peut-être à proposer sur ces sujets, je pense qu'il sera important d'introduire cette nécessité de bilan, dans le respect des compétences des uns et des autres.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Nous nous sommes rendus sur les territoires il y a trois semaines et nous avons notamment constaté la reconstruction, notamment dans le domaine hôtelier. Comment pouvez-vous contrôler la norme et sur quelle base réglementaire vous-appuyez-vous actuellement ?
M. François Adam. - Il n'y a pas eu stricto sensu de modification de la norme. Le guide de reconstruction que nous avons établi vise à rappeler de manière claire et pédagogique l'ensemble des règles et des bonnes pratiques en la matière. Il n'existe pas à ce stade de débat sur les normes à appliquer, sachant que la responsabilité de chaque maître d'ouvrage est engagée et que les services de l'État ont la possibilité de contrôler le respect des normes de construction. Peut-être devrons-nous demander aux services déconcentrés de l'État de veiller particulièrement à ces contrôles lors de cette période de reconstruction active.
M. Michel Magras, président. - Les bureaux d'étude et les architectes disposent du corpus normatif et des documents techniques applicables. Ces règles sont appliquées. Il convient toutefois de s'interroger sur l'échelon auquel nous devons instituer certaines dispositions. En effet, nous ne pourrons pas généraliser à la France entière des normes n'ayant de raison d'être que sur un territoire en raison des aléas spécifiques auxquels il est confronté. C'est donc à la notion de différenciation et d'adaptation des normes qu'il nous faut réfléchir.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Je voudrais revenir à la dernière question prévue sur le projet de loi relatif aux risques naturels. Quelles en sont les grandes lignes et quel serait son calendrier prévisionnel d'examen devant le Parlement ?
M. François Adam. - Je l'évoquais en introduction. Une réflexion est engagée sur un projet de loi, mais à ce stade le gouvernement n'a arrêté aucun contenu ou calendrier précis. Dans notre champ, je ne suis pas sûr qu'il y aura des changements législatifs.
M. Michel Magras, président. - Cette réflexion est d'autant plus difficile que nous parlons de normes qui, au départ, n'ont pas de valeur législative.
À l'inverse, sur les problématiques de reconstruction notamment dans la zone littorale, lorsque nous avons visité Saint-Martin, j'ai fait part aux services de l'État de mes questionnements sur leur méthode sur un territoire doté d'une certaine autonomie. Il me semble aussi que nous aurons des difficultés à résoudre certaines situations de reconstruction ou de suppression du bâti, sachant que dans certaines zones construites en défiscalisation, les propriétaires ignorent qu'ils détiennent des bâtiments et l'administration ne dispose pas des moyens de les contacter.
Je suis content de nos échanges, mais je regrette que le CSTB n'ait pu être représenté, car nous avons besoin de la même ouverture de la part de ce dernier que celle que nous avons constatée auprès du BNTEC. Nous avons besoin de voir s'exprimer cette volonté de prise de conscience de la réalité d'une adaptation du système normatif et d'intégration des sachants (bureaux d'étude, architectes, entreprises du BTP,...) dans la recherche de solutions.
La population est également parfois prise en étau entre des règles de construction pour le respect de l'architecture locale et des règles différentes auxquelles sont assujettis les promoteurs. Nous devons veiller à cette situation complexe dans notre réflexion sur les problématiques de reconstruction.
Il me reste à vous remercier pour votre participation. Le deuxième tome de notre rapport sur la résilience des territoires est attendu. Nous sommes tous conscients que nous ne pourrons pas déplacer nos territoires hors de la trajectoire des cyclones, ni demander à la population de les abandonner. Il nous faut donc vivre avec le risque. Les solutions que nous proposerons iront dans ce sens.