Mardi 12 mars 2019
- Présidence de M. Franck Menonville, président -
La réunion est ouverte à 14 h 35.
Audition de M. Sébastien Guérémy, conseiller Industrie et Innovation au cabinet du ministre de l'économie et des finances
M. Franck Menonville, président. - Cette troisième audition précède un déplacement de notre mission d'information, qui aura lieu en fin de semaine, à Dunkerque puis Valenciennes. Nous entendons M. Sébastien Guérémy, le conseiller industriel du ministre de l'économie. Il est accompagné de M. Claude Marchand, chef du bureau des matériaux à la direction générale des entreprises du ministère de l'économie et des finances.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'audition de la Direction générale des entreprises (DGE), le mois dernier, nous avait permis de disposer d'un panorama du secteur sidérurgique français, dans le contexte européen et mondial. Après ce premier diagnostic, l'objectif de cette audition est de faire le point sur la politique industrielle du Gouvernement, ses ambitions et ses moyens.
Notre première interrogation porte sur la vision de l'Etat de la sidérurgie au sein de l'industrie française. Nous avons vu lors de nos auditions précédentes que la ressource en acier est stratégique pour toute une filière aval, dans l'automobile, la construction ou encore l'aéronautique. Elle est aussi au centre des enjeux de la transition écologique. Comment traitez-vous ces objectifs, et quelle place la filière sidérurgique occupe-t-elle dans la vision du Gouvernement pour l'industrie du futur ?
En 2018, le Gouvernement a souhaité donner une nouvelle impulsion aux filières industrielles. Quel est votre bilan de la structuration de la filière Mines et métallurgies ? Le soutien des politiques publiques, notamment en matière de financement, est-il vraiment suffisant ? Quelles actions concrètes et spécifiques menez-vous afin de soutenir l'innovation, l'internationalisation et l'emploi dans ce secteur ?
Pouvez-vous déjà tirer un bilan de la création en 2017 d'un délégué interministériel aux restructurations d'entreprises ? Des actions ciblées sur la filière de l'acier ont-elles été menées, notamment en lien avec l'actualité récente du secteur ?
Enfin, nous avons pu constater à quel point les industriels de la sidérurgie sont touchés par les évolutions du contexte international, qu'il s'agisse de la surcapacité globale de l'acier, mais aussi des tensions commerciales qui ont marqué l'année 2018. L'instauration de droits de douane américains sur l'acier européen, et l'afflux d'acier chinois, compétitif car il bénéficie d'importantes aides d'État, représentent des difficultés supplémentaires pour un secteur français déjà fragilisé. Quelle est la position défendue par le Gouvernement au niveau européen, pour que l'Europe se donne les moyens d'une véritable défense commerciale ? Quelles initiatives propres au secteur sidérurgique avez-vous soutenues ?
La question des quotas carbone pour les hauts fourneaux est un autre sujet sur lequel nous souhaiterions vous entendre. La taxe carbone coûte 75 millions d'euros à Arcelor. Le Gouvernement pourrait aussi agir sur le coût de l'énergie produite dans les usines électro-intensives, qui sont faiblement productrices de CO2 et qui recyclent le coût de l'énergie.
M. Sébastien Guérémy, conseiller Industrie et Innovation au ministère de l'économie et des finances. - La DGE vous a exposé la vision du ministère sur la filière. Vous n'avez sans doute pas eu le temps de détailler ce qui s'est fait au niveau des comités de filière.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Le rapport sur le contrat de filière a été distribué aux membres de la commission, qui en ont pris connaissance.
M. Sébastien Guérémy. - La sidérurgie est un maillon essentiel des chaînes de valeur internationalisées, qu'il s'agisse de l'automobile ou de la construction. Son importance est stratégique en matière de souveraineté et nous avons tout à gagner à développer une filière nationale forte, car les fondements de l'économie mondialisée reposent sur les avantages comparatifs que les pays offrent à la compétitivité de chaque secteur.
Même si la filière sidérurgique française a beaucoup souffert ces dernières années, elle représente beaucoup de produits et de marchés. Dans le secteur automobile, la conjoncture a été favorable ces dernières années, de sorte que la sous-filière tôle s'est plutôt bien portée. La situation dans l'aéronautique et la construction est également assez favorable. D'autres sous-filières sont en situation plus délicate, notamment celles qui sont en lien avec le marché du pétrole, où la variation des cours empêche toute visibilité et réduit les capacités d'investissement. La situation est donc contrastée et nous devons agir sur la compétitivité globale de la filière.
La sidérurgie française représente 1 % de la production mondiale. Au quinzième rang, la France est un petit acteur, relégué derrière l'Allemagne et l'Italie. La sidérurgie n'en constitue pas moins un maillon essentiel, avec 40 000 salariés dans notre pays. Elle est particulièrement concernée par les enjeux de transition écologique et énergétique. Il s'agit d'une part d'améliorer les processus pour réduire l'empreinte environnementale de l'industrie en France ; d'autre part, de prendre en compte l'empreinte environnementale des produits d'importation issus d'une industrie très carbonée. Enfin, les technologies liées à la transition écologique, comme les batteries et les éoliennes, font appel à des formes diverses de synergies. Comment répondre à leurs besoins croissants en développant les compétences de la filière ?
M. Franck Menonville, président. - Pouvez-vous préciser les atouts spécifiques des pays européens et de la France ?
M. Sébastien Guérémy. - La neutralité carbone de notre électricité est un atout que nous n'exploitons sans doute pas assez. L'argumentaire en faveur d'une électricité propre et fiable doit sans doute être renforcé au niveau européen. Le chantier est en cours.
Depuis que le Conseil national de l'industrie a été relancé en novembre 2017, 18 filières ont été labellisées, qui couvrent tous les pans de l'activité industrielle en France. Le contrat du comité stratégique de la filière Mines et métallurgie a été élaboré au cours de l'année 2018, sous la présidence de Christel Bories, et il a été signé le 18 janvier à Bercy. Tout en étant spécifique à la filière, ce contrat porte aussi un caractère transversal.
Un rapport que nous avions commandée dans le cadre du comité, sur l'approvisionnement en matériaux stratégiques, doit être rendu la semaine prochaine. Le sujet est crucial et insuffisamment exploré par les filières applicatrices. Les entreprises des différentes filières connaissent mal leur dépendance à certains fournisseurs de matières premières. Le constat est alarmant si l'on prend en compte les besoins croissants en métaux rares. Une étude récente du CESE décrit l'évolution exponentielle de ces besoins et l'importance de développer une vision stratégique. Le ministre l'a mentionné le 5 mars, à Lyon, lors de la réunion du Conseil national de l'industrie. Il a souhaité que le sujet figure à nouveau à l'ordre du jour de la prochaine réunion, le 23 mai, afin d'identifier la nature de notre dépendance, filière par filière, et de déterminer les actions à conduire pour anticiper les besoins croissants.
Quant au délégué interministériel aux restructurations d'entreprises, mis en place il y a un peu plus d'un an, le bilan de son action est très satisfaisant. Bien sûr, tous les dossiers ne sont pas publics, et certains doivent rester confidentiels. Quoi qu'il en soit, après un an, plus de trois emplois sur quatre suivis dans le cadre de ce dispositif ont été sauvés. Jean-Pierre Floris bénéficie d'un positionnement interministériel particulièrement opportun pour mettre en oeuvre les priorités du Gouvernement relatives aux entreprises en difficulté, à savoir trouver une solution pérenne pour le site et pour les salariés, et mobiliser tous les outils du ministère du travail en cas de non-reprise.
Les tensions commerciales internationales ont été nourries par les États-Unis qui ont inondé l'Europe de leurs produits semi-finis de sidérurgie. D'où les quotas établis par l'Union européenne en direction de certains pays. La France a soutenu cette mesure, car perturber les règles du jeu dans une chaîne mondialisée peut facilement conduire à remettre en cause notre souveraineté sur la filière. Par conséquent, nous devons nous défendre. En outre, les produits américains arrivaient dans de telles proportions qu'ils déstabilisaient non seulement la filière sidérurgique, mais aussi les filières aval. Leur prix cassé menaçait de déséquilibrer la chaîne de valeur, ce qui justifie amplement les mesures proposées au niveau européen.
Enfin, le chiffre que vous avez mentionné sur la taxe carbone est éloquent.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Il m'a pour le moins interpellée.
M. Sébastien Guérémy. - Le soutien aux industries électro-intensives et hyper-électro-intensives est un enjeu de compétitivité de notre industrie, et pas seulement au niveau européen. Nous sommes tous logés à la même enseigne en Europe, et nous tentons tous de favoriser nos industries par les dispositifs les plus ingénieux possible. Cependant, la part de l'Europe reste faible en matière de sidérurgie. L'enjeu est aussi de rendre nos politiques européennes efficaces en la matière.
Nous travaillons à optimiser les dispositifs en faveur de l'électro-intensif et de l'hyper-électro-intensif. C'est un chantier au long cours. Le ministre s'est exprimé sur la politique antitrust. Le sujet des aides d'État est un autre pan du problème. Notre politique de restriction de ces aides pour éviter les distorsions de concurrence entre les États membres est-elle adaptée dans un cadre qui dépasse l'intra-européen ? C'est un sujet que nous souhaitons voir évoqué à l'échelon européen.
M. Franck Menonville, président. - Pouvez-vous définir plus précisément la stratégie de filière et les moyens mis en place, notamment dans des domaines innovants tels que l'éolien et le solaire ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Je souhaite revenir sur les logiques de stratégie de développement de la filière aval. La France produit de l'acier, mais ne compte pas une seule usine d'éoliennes. Comment l'État stratège et les acteurs industriels comptent-ils y remédier ? Cela relève-t-il seulement des entreprises ? Nous avons des opportunités dans des marchés à conquérir. Quels sont les obstacles éventuels ?
M. Sébastien Guérémy. - La France a développé l'éolien en retard par rapport à d'autres pays ; en conséquence, à la parution des premiers appels d'offres, il était moins cher de se fournir à l'étranger. Nous avons souhaité inverser cette situation avec l'éolien offshore. Nous avons obtenu des engagements forts des industriels, à Cherbourg et Saint-Nazaire notamment. Le problème est que le temps de réalisation des projets est tel qu'il met à mal la filière industrielle. Nous avons essayé de concilier une politique énergétique et une politique industrielle pour développer cette filière, mais les retards sont si importants que celle-ci connaît des difficultés. Ces retards posent un sérieux problème aux acteurs économiques qui ont réalisé des investissements importants de très long terme, d'autant plus qu'au fur et à mesure, les technologies deviennent obsolètes. La situation est due à la difficulté de faire accepter nos ambitions. J'entends tous les sons de cloche à propos de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) : certains estiment qu'elle n'est pas assez ambitieuse ; d'autres émettent des doutes quant à la possibilité de parvenir aux objectifs annoncés. Les injonctions sont parfois contradictoires.
M. Jean-Pierre Vial. - J'ai écouté avec attention et intérêt vos propos sur les électro-intensifs. Je buvais du petit lait, mais froid. Je ne suis pas surpris par votre discours. Les quelques industries savoyardes que nous avons préservées - preuve que l'industrie est capable de résister, malgré un handicap de situation géographique - ont fait un travail considérable de prise en considération des impératifs écologiques.
En décembre 2016, le ministre de l'industrie est venu féliciter l'entreprise Ferropem, grâce à laquelle un black out électrique avait été évité en plein hiver. Il y a quelque temps, nous avons reçu Mme Poirson. La veille, la rupture avait été évitée par deux entreprises industrielles électro-intensives, mais par manque de chance, ce jour-là, bien que disponibles, elles n'avaient pas été sollicitées car on turbinait du charbon.
Nous accompagnons ces industriels depuis des années, notamment auprès de l'Union européenne. Certains demandent parfois de quoi les électro-intensifs se plaignent lorsqu'ils immobilisent leur outil, puisqu'ils sont rémunérés en contrepartie. Mais l'outil d'un industriel qui fabrique de l'aluminium, du silicium ou du sodium est fait pour être utilisé au maximum. Le faire fluctuer demande des investissements. Nous avons de la chance d'avoir des industries lourdes capables d'être flexibles.
Nous avons de l'aluminium en France, et en Savoie à Saint-Jean-de-Maurienne, parce que les Allemands sont venus avec leur modèle de recyclage et de fluctuation des ressources électriques - des Allemands ont sauvé Pechiney, des Espagnols, Ferropem, des Japonais, MSSA.
Nous travaillons avec l'Union européenne car les industriels ont besoin de contrats longs - il faut que la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne nous y aide.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - La France envoie quatre millions de tonnes de ferraille à l'étranger et reçoit autant de produits semi-finis : cela montre les progrès à accomplir en matière d'économie circulaire. Prenons l'exemple d'Ascoval qui transforme de la ferraille, de façon électro-intensive et moderne. Aujourd'hui, il y a à la fois un besoin de recyclage et des problèmes pour faire converger capacité à produire et clientèle.
Comment organiser effectivement cette filière ? Quelle est la part de l'action publique et celle des acteurs privés ? Comment y connecter la vision de l'État ? Quels sont les moyens financiers de l'État pour accompagner l'évolution de la stratégie et le maintien, voire l'optimisation, de la production en France ? Quels sont les outils d'accompagnement des restructurations ? Quelle est la projection en matière d'aides ? Le Fonds de développement économique et social (FDES) est passé de 100 millions d'euros en 2018 à 50 millions d'euros en 2019. Quelle est la vision stratégique de l'État ? Quelles priorités se fixe-t-il ?
M. Sébastien Guérémy. - Le traitement des ferrailles constitue un vrai enjeu pour développer une filière d'aciérie électrique en France. Il est identifié dans le contrat de filière ; un groupe de travail spécifique s'y consacrera.
L'objectif est de réserver le FDES aux restructurations créatrices d'emploi. L'enveloppe pour 2019 est effectivement réduite : nous souhaitons qu'il y ait le moins de dossiers possible. Ce vers quoi nous poussons collectivement, c'est l'accompagnement des projets d'avenir. Le ministre est très clair : on ne construira pas l'industrie du futur sur les ruines de l'industrie du passé. Il ne partage pas la vision schumpetérienne de destruction créatrice. Il se bat pour chaque emploi, ce qui change tout pour les territoires. L'accompagnement des restructurations peut sembler laborieux mais il a beaucoup de valeur en ce qu'il évite une rupture.
Il faut aussi développer les industries du futur et l'innovation dans les filières. Chaque contrat de filière compte un axe d'innovation. Nous souhaitons qu'il y ait un projet d'innovation structurant par filière. Pour la sidérurgie, c'est la réduction de l'empreinte carbone. Nous sommes aidés par les outils du Programme d'investissements d'avenir (PIA) et surtout du Fonds pour l'innovation et l'industrie, doté de 250 millions d'euros dont 150 millions pour l'action « grands défis ». Nous en avons sélectionné trois : l'intelligence artificielle dans le diagnostic de santé pour une médecine plus personnalisée ; la traçabilité de l'intelligence artificielle puisque les algorithmes qui vont régir nos choix doivent être le plus transparent possible ; le stockage de l'énergie à haute densité, pour l'aéronautique et le naval notamment, qui a été validé par le Conseil de l'innovation de décembre.
Nous nous battons pour les batteries électriques des véhicules, enjeu économique pour l'industrie de demain. Actuellement, la consommation moyenne du parc français est de 115 grammes de CO2 par kilomètre. En 2021, elle devra être de 95 grammes par kilomètre et en 2030, de 59 grammes par kilomètre. C'est une baisse de moitié en dix ans, ce qui représente un défi énorme. On amorce une transition très forte de l'industrie automobile vers l'électrique. Une partie des emplois sera reconvertie. Il faut réfléchir à la façon dont on installe en France des emplois complémentaires au thermique. Ne nous leurrons pas : un moteur électrique fait travailler sept fois moins de personnes qu'un moteur thermique. Les impacts industriels seront très élevés. C'est pourquoi nous devons répondre à la question : comment créer des formations pour développer les nouveaux métiers de l'électrique et accompagner des projets industriels ambitieux pour développer la filière ? La batterie électrique représente 35 à 40 % du coût du véhicule. Un constructeur national serait à la merci de son fournisseur s'il n'en avait qu'un. Ce n'est pas possible.
Mme Angèle Préville. - Monsieur Guérémy, vous avez évoqué la concurrence au sein de l'Union européenne et au-delà. Pouvez-vous préciser ? Quelles sont les pistes d'aides d'État ? Quelle est l'évolution récente des effectifs des équipes d'ingénieurs à la DGE qui travaillent sur la filière sidérurgique ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Comment les moyens humains de la DGE évoluent-ils pour accompagner les filières ? L'État stratège a besoin d'équipes de haut niveau.
M. Sébastien Guérémy. - Nous vous communiquerons les chiffres. Qualitativement, tant les effectifs que les missions de la DGE ont profondément évolué ces dernières années. Les tâches administratives tendent à disparaître au profit de missions plus stratégiques, comme celles des comités de filières. Le type d'emplois évolue avec une proportion accrue de cadres A.
Les règles de concurrence sont définies à l'échelon européen. Nous souhaitons une réflexion sur la question : y a-t-il besoin d'une évolution des lignes directrices européennes en matière de concurrence et en particulier d'aides d'État ? Nos marchés sont mondialisés, or les pays hors Union européenne ne s'imposent pas les mêmes règles.
J'évoquais tout à l'heure une tentative de faire venir un industriel en France. Le soutien maximal à l'investissement est inférieur à 4 %. Pour la construction d'une usine équivalente quelques années auparavant aux États-Unis, le niveau de subventions s'élevait à 80 % grâce à l'Obama Deal. Cela pose question, même s'il y a probablement un juste milieu à trouver.
M. Jean-Claude Tissot. - Je souhaite évoquer la transition écologique des constructeurs automobiles. Il est de bon ton aujourd'hui de soutenir la production de batteries électriques. J'appelle votre attention : c'est sept fois moins d'emplois. Mesurons bien les impacts. L'approvisionnement en terres rares risque par ailleurs de poser problème. Avant de démanteler les chaînes de fabrication de moteurs thermiques, assurons-nous de la réussite de l'électrique, qui ne saurait les remplacer.
M. Sébastien Guérémy. - L'essentiel de la valeur ajoutée des véhicules électriques est constitué par les matériaux, qui représentent 75 à 80 % du coût de la batterie. On se bat pour une filière européenne de batteries, mais il ne faut pas transférer le problème en dépendant de quelques acteurs fournissant les matériaux. C'est pourquoi nous travaillons, notamment avec Eramet, à développer des ressources telles que le lithium.
M. Jean-Claude Tissot. - Et le recyclage ?
M. Sébastien Guérémy. - La France dispose de bonnes technologies de récupération des matériaux. Il y a en outre le projet du comité stratégique de filière de recyclage des batteries.
M. Jean-Pierre Vial. - Selon vous, on ne peut pas bâtir du neuf sur du vieux. Mais comment définissez-vous les vieilles filières ? Bien des entreprises n'auraient pas été retenues selon vos critères. Je songe à Carbone Savoie, entreprise qui a failli mourir il y a quelques mois, mais a connu un renversement spectaculaire de conjoncture, jusqu'à recevoir le prix Ulysse pour son travail sur les batteries. Comment distingue-t-on une filière ancienne et vouée à disparaître d'une filière qui peut se transformer ?
M. Sébastien Guérémy. - Il n'y a pas d'industries du passé ; ce sont les marchés qui évoluent. On ne peut pas dire qu'une industrie n'a pas d'avenir ; nous voulons accompagner toutes les filières dans leurs transitions. Celles-ci sont parfois nécessaires, mais chaque filière industrielle garde une pertinence.
M. Claude Marchand, chef du bureau des matériaux à la Direction générale des entreprises du ministère de l'économie et des finances. - Carbone Savoie est un bel exemple de la manière dont on peut faire évoluer ces entreprises. Il y a quelques années, on n'aurait pas imaginé que cette usine puisse avoir un avenir dans les hautes technologies. Les compétences et les technologies existent, même s'il faut les faire évoluer, les adapter aux nouvelles demandes. C'est ainsi qu'on se positionne sur les futurs marchés, dans l'énergie, l'automobile, ou encore la construction : les propriétés thermiques des matériaux sont toujours plus déterminantes dans ce domaine. On ne peut pas compter seulement sur les start-up, d'autant qu'il s'agit de secteurs gourmands en capital et que les marchés sont mondiaux. La sidérurgie ne peut pas être seulement française, elle doit être au minimum européenne. C'est en mélangeant les compétences venues de différents pays que nous parviendrons à survivre, collectivement.
M. Fabien Gay. - Quelque chose m'a fait bondir dans vos propos, monsieur Guérémy : vous avez affirmé que le délégué interministériel aux restructurations d'entreprises produisait de bons résultats. Des salariés de Solocal, éditeur des Pages jaunes, victimes d'un plan social ont été reçus par M. Floris ; je les accompagnais. L'expérience a été mauvaise : il nous a expliqué qu'il ne pouvait rien faire.
Nous sommes globalement en difficulté, depuis trente ans, par rapport à la question industrielle. Je connais bien le cas de l'usine Ford de Blanquefort ; la situation y est problématique depuis quinze ans. Depuis dix ans, l'État et les collectivités territoriales subissent le chantage à l'emploi et mettent au pot. Comment récupérer ces aides publiques ? Il faudra légiférer. Je suis intéressé par le fonds d'innovation que veut créer M. Le Maire, car je pense comme lui qu'il existe des enjeux d'avenir - le véhicule autonome ou électrique, la 5G, l'intelligence artificielle -, même si nous sommes en désaccord quant aux moyens de l'abonder. Pour répondre à ces défis, il faudra beaucoup investir.
Depuis trente ans, nous subissons sans nous projeter dans l'avenir. Non loin de l'usine Ford, on trouve celle de Saft, leader mondial des batteries. Mes deux parents y ont été ouvriers. Si l'on avait prévu les difficultés de l'usine Ford, ce qui était possible, les pouvoirs publics auraient dû demander à cette entreprise de se rapprocher afin d'y construire le véhicule de demain. Si nous n'adoptons pas une telle approche, nous ferons toujours face aux mêmes problèmes. Au-delà de la question de l'existence d'une volonté politique, nous n'avons pas, aujourd'hui, les moyens matériels d'agir. Or si nous continuons à subir ces difficultés, cela affectera divers secteurs et laissera bien des gens sur le carreau.
La question de la formation est elle aussi cruciale. En Île-de-France, de grands travaux sont en cours, pour le Grand Paris Express ou les Jeux Olympiques. La Société du Grand Paris regrette de ne pas disposer des tunneliers nécessaires : elle doit aller les chercher en Chine. Or le seul centre de l'AFPA, l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes, qui procure des formations en travaux publics non loin de l'Île-de-France, à Romilly-sur-Seine, va être fermé ! Nous nous amputons nous-mêmes ! Nous devrions au moins nous mettre d'accord sur ces questions de fond.
M. Sébastien Guérémy. - Il est en effet important de préparer l'avenir ; tel est notre objectif partagé, par le biais du fonds d'innovation. La formation est aussi un sujet prioritaire pour le Gouvernement, comme en témoignent la réforme portée par Mme Pénicaud et celle du lycée professionnel, même si de telles entreprises mettent du temps à porter leurs fruits. L'enjeu, considérable, est d'attirer des talents vers l'industrie. Il y a 50 000 postes à pourvoir dans ce secteur. Si l'on y parvenait, il en faudrait alors encore 200 000 autres. Malheureusement, l'image de l'industrie auprès des jeunes n'est pas aussi valorisante que celle que nous en avons. Voilà pourquoi nous organisons la Semaine de l'industrie, du 18 au 24 mars prochains.
Mme Martine Berthet. - Je veux évoquer les entreprises qui ont développé de nouvelles technologies pour des productions moins carbonées. Comment comptez-vous les accompagner pour qu'elles passent à l'échelle supérieure ?
M. Sébastien Guérémy. - Cela dépend de la filière, même si nous soutenons partout la transition écologique et énergétique des entreprises. Dans le secteur automobile, nous avons mis en place un système de bonus-malus. Dans la filière plastique, nous mettons en place des réglementations pour améliorer la recyclabilité de nos plastiques tout en la rendant économiquement rentable, puisque nous ne pouvons pas soutenir cette démarche de manière pérenne par de l'argent public. Nous voulons qu'il soit plus avantageux de recycler les plastiques que de les mettre à la décharge. Il faut, pour ce faire, augmenter le taux de recyclage effectif, créer un marché pour les plastiques recyclés et faire prendre des engagements d'incorporation de matériaux recyclés.
Lors de la dernière réunion du Conseil national de l'industrie, nous avons mis en place deux groupes de travail : l'un cherchera à déterminer comment s'engager dans une trajectoire de baisse de la consommation de carbone ; l'autre, comment développer l'économie circulaire dans chacune de ces filières. Nous planifions de prendre, avec les industriels, d'ici à la fin du premier semestre, un engagement pour la croissance verte relatif à l'incorporation de matières recyclées dans les différentes filières.
M. Franck Menonville, président. - Pouvez-vous revenir sur les territoires d'industrie ? Où en est leur déploiement ? Quel est leur lien avec la stratégie que vous venez d'évoquer ? Comment financer leur accompagnement ?
M. Sébastien Guérémy. - Nous avons beaucoup parlé de la politique de filières, premier axe de notre politique industrielle, mais le Premier ministre, en annonçant les territoires d'industrie, a bien évoqué la dimension territoriale de nos efforts : cette approche transversale procède bien de la même logique.
Les contrats de filière incarnent, par définition, une contractualisation entre les acteurs économiques, l'État et les partenaires sociaux sur plusieurs projets ambitieux ; ils requièrent des engagements forts de la part de tous. Notre démarche est de limiter le nombre de projets, mais de nous y engager pleinement.
Telle est également notre approche quant aux territoires d'industrie, mais à une autre échelle. Ce n'est pas l'État qui, cette fois, va définir tous les projets compris dans les 136 territoires en question : nous serons simplement un facilitateur. Nous avons identifié une vingtaine de dispositifs pilotés par l'État qui pourraient être mis à disposition des territoires d'industrie. Dans chacun d'entre eux, un binôme se constitue, entre élus et industriels. C'est lui qui dresse le contrat de territoire et qui identifie les projets à porter collectivement. Cette démarche n'avance pas au même rythme dans chaque territoire, mais elle est généralement accueillie très favorablement. Une vingtaine de contrats pourraient être signés d'ici à la fin du mois, dans les territoires pilotes ; nous passerons dans la foulée à la phase de déploiement.
M. Franck Menonville, président. - Je vous remercie pour vos propos et des informations que vous nous avez données.
La réunion est close à 15 h 50.