Mercredi 13 février 2019
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30
Audition de M. Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement
M. Vincent Éblé, président. - C'est un plaisir de vous recevoir, monsieur le directeur général. Votre dernière audition devant notre commission date de janvier 2016 - vous étiez alors secrétaire général adjoint du ministère des affaires étrangères chargé des affaires économiques - et portait sur le projet de rapprochement entre la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et l'Agence française de développement (AFD), sur lequel Fabienne Keller et Yvon Collin ont beaucoup travaillé et ont publié un rapport d'information.
Vous avez pris vos fonctions de directeur général de l'AFD en mai 2016 et, près de trois années plus tard, il paraît tout à fait utile que vous nous fassiez part de vos réalisations à la tête de cette institution et des perspectives qui s'offrent à elle.
L'AFD est placée sous une triple tutelle : celle du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, celle du ministère de l'économie et des finances, en tant qu'institution financière spécialisée, et celle du ministère de l'intérieur.
Elle joue un rôle majeur dans notre politique d'aide publique au développement (APD), qui a par ailleurs fait l'objet d'engagements financiers importants. L'objectif du Président de la République de porter cette aide à 0,55 % du revenu national brut a été repris par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018-2022. Un projet de loi de programmation de la politique d'APD est en préparation.
Vous nous donnerez votre appréciation de ces évolutions et vos attentes à l'égard des textes en préparation. Vous nous direz également comment s'organise l'AFD dans son travail au quotidien pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés. Ensuite, le rapporteur général, nos deux rapporteurs spéciaux de la mission « Aide au développement » et les membres de la commission vous interrogeront.
Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat.
M. Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement. - Votre agence est la plus ancienne structure de développement au monde ; elle a été fondée en 1941, à Londres, par le général de Gaulle. Elle est connue dans les pays où elle intervient, mais ne l'est peut-être pas assez en France. Il est donc opportun que vous la receviez.
Je viens vous rendre compte de mon mandat après trois années à la tête de cette institution. Il est important de le faire devant la commission des finances, concernée directement par le fonctionnement de l'AFD, s'agissant d'une institution financière qui supporte des risques spécifiques dans les pays du sud pour le compte de l'État, et à laquelle vous confiez des moyens budgétaires en hausse significative. Son bilan représente 40 milliards d'euros et atteindra 80 milliards d'euros d'ici à 2025.
Notre maison fournit financement et expertise à plus de cent pays partenaires de la France. Elle a aussi - c'est nouveau - un mandat en France, au-delà de son action dans les territoires ultramarins, au travers de l'éducation au développement dans l'ensemble du territoire national. En effet, les agences de développement doivent désormais fonctionner dans les deux sens : apporter expertise et financement, et ramener des innovations, du partenariat, créer du lien entre notre pays et ses partenaires.
Nous vivons un moment particulier, marqué par un portage politique fort, puisque le comité interministériel du 8 février dernier, consacré à la coopération internationale et au développement, a fixé l'objectif d'une APD représentant 0,55 % du revenu national brut d'ici à 2022. Un projet de loi d'orientation et de programmation traduira cette volonté.
L'AFD est une institution financière ; l'année dernière, elle a levé 6,5 milliards d'euros de ressources sur les marchés financiers - nous sommes le premier émetteur public de dette après l'État. Elle recourt également à des prêts du Trésor et elle perçoit des crédits budgétaires, pour 1,4 milliard d'euros en 2018, destinés à nos activités en dons et à la bonification de nos prêts pour réduire le taux de sortie de nos clients les plus pauvres. Elle demande aussi des ressources déléguées auprès de l'Union européenne, à hauteur de 400 millions d'euros en 2018, pour les insérer dans les projets de développement de la France.
L'AFD est une entreprise publique, dont le résultat doit être positif, même si, n'étant pas une entreprise privée, elle n'a pas vocation à faire du bénéfice. Son résultat ne sera donc jamais négatif, et elle verse même un dividende à l'État, sanctionnant sa performance financière, de 100 à 150 millions d'euros par an.
En 2019, nos moyens augmentent. Nous lèverons 7,5 milliards d'euros d'emprunt sur le marché, et nous aurons 2,4 milliards d'euros de crédits budgétaires, soit une augmentation de 1 milliard d'euros en autorisations d'engagement, conformément à l'engagement du Gouvernement, pour augmenter les dons dans les pays les plus pauvres. Enfin, l'AFD bénéficie de la garantie de l'État pour 750 millions d'euros, pour faire face au risque prudentiel dans les pays où nous sommes particulièrement exposés.
Ces montants permettent d'accompagner une croissance maîtrisée mais ambitieuse ; au moment de la COP21, l'AFD avait une action de financement de 8,5 milliards d'euros ; son financement total atteint 11,5 milliards d'euros en 2018. Cela donne à la France une institution de taille critique à l'échelon international, comparable à la Banque européenne d'investissement (BEI) et aux agences allemande ou japonaise, et plus importante que la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). La cible de 2019 est très ambitieuse ; il s'agit de passer de 11,5 à 14 milliards d'euros d'engagements. Nous sommes attentifs aussi aux versements, qui contribuent au développement sur le terrain.
Nous enregistrons des gains de productivité et d'efficience. Nous suivons quelques ratios, comme celui des engagements financiers rapportés aux charges d'exploitation, qui doit s'améliorer fortement en 2019. L'agence rendra 15 millions d'euros de crédits budgétaires au ministère des affaires étrangères, grâce à la baisse de sa rémunération pour la gestion des dons pour le compte de l'État. Ce gain se cumulera à mesure que nous gérerons des ressources supplémentaires ; nous projetons une économie de 100 millions d'euros d'ici à 2022.
La Cour des comptes a fait quatre recommandations à l'AFD dans son dernier rapport public annuel, dont une à propos de la révision du statut du personnel. Nous allons engager cette discussion avec les partenaires sociaux en 2019. Il est temps de réviser ce statut, qui n'a pas bougé depuis vingt ans.
J'en arrive à la présentation de l'emploi de ces fonds. Nous accordons des prêts aux gouvernements et aux autres acteurs des pays du sud - entreprises, collectivités locales -, nous faisons des dons et nous apportons des garanties et des participations.
Nous concentrons nos moyens budgétaires en dons sur les pays prioritaires pour la France - les pays les plus pauvres -, les bonifications de prêt et les dons sur d'autres pays - les pays émergents d'Afrique - et les prêts à taux de marché sur des pays émergents et sur nos territoires ultramarins. Notre maison ne passe pas que par les gouvernements, elle mobilise ses instruments financiers pour toutes sortes de contreparties pour les populations.
Nos résultats de 2018 sont bons. Nous avons tenu l'engagement présidentiel consistant à concentrer la moitié de nos autorisations en Afrique, soit plus de 5 milliards d'euros. Nous consacrons la moitié de nos engagements à la lutte contre le changement climatique - les « cobénéfices climat ». Nous sommes très attentifs à l'égalité entre les hommes et les femmes ; 30 % de nos actions devaient présenter un bénéfice dans ce domaine et, finalement, 50 % de nos activités l'ont fait.
Le pilotage politique de notre action est fort. J'ai évoqué le comité interministériel présidé par le Premier ministre ; une nouvelle instance est créée, le conseil de développement, présidé par le Président de la République, qui fixera les grandes orientations. Parmi nos trois ministères de tutelle, le ministre des affaires étrangères a un rôle particulier, car il préside le conseil d'orientation stratégique ; ce conseil fixe la position de l'État à notre conseil d'administration, qui approuve la totalité de nos projets. Le Parlement est également représenté au conseil d'administration, avec quatre sénateurs - Fabienne Keller, Jean-Marc Gabouty, Gilbert Bouchet et Jean-Marie Bockel - et quatre députés.
J'en viens à la présentation de notre stratégie. J'ai pour habitude de représenter tous les pays du monde sur un graphique, avec, en abscisse, l'indice de développement humain (IDH) et, en ordonnée, leur empreinte écologique. Deux groupes de pays apparaissent ainsi : les pays pauvres, avec un IDH et une empreinte écologique faibles, et les pays riches et développés, avec une empreinte écologique insoutenable. L'idée est d'atteindre un IDH élevé et une empreinte faible ; pour l'instant, aucun pays ne se trouve dans cette zone.
Notre stratégie recouvre cinq engagements : sur le climat, sur les secteurs sociaux, sur le développement dans les pays en crise avec les diplomates et les militaires, sur la priorité aux acteurs non souverains et sur le développement de partenariats.
Quelques mots sur l'organisation géographique de l'AFD. L'Afrique représente une seule zone ; nous avons mis fin à la scission entre Afrique du Nord et Afrique subsaharienne, qui empêche de comprendre les dynamiques régionales, notamment migratoires. Nous avons un département « Orient », qui couvre la zone des Balkans à la Chine, un département « Trois océans », qui comprend nos territoires ultramarins et leurs voisins, et un département Amérique. Le coeur de notre action reste l'Afrique, qui mobilise la moitié de notre activité. Nos experts sont réunis dans six départements fonctionnels.
L'AFD se transforme en un groupe. La maison-mère assure les relations avec nos partenaires publics ; Proparco, notre filiale depuis quarante ans, est le guichet unique des relations avec les partenaires du secteur privé du sud ; enfin, le Gouvernement souhaite que l'entité publique « Expertise France » soit incluse dans le groupe AFD, tout en lui conservant son expertise et son autonomie, pour donner au groupe un instrument d'expertise idoine.
L'AFD emploie 2 500 collaborateurs, compte 85 agences et a 100 pays partenaires. Notre réseau technique, très respecté, initie 800 projets nouveaux chaque année. Nous sommes au coeur d'un réseau de partenaires, avec notamment la CDC et l'International Development Finance Club (IDFC), que je préside, et qui rassemble les vingt-quatre banques nationales et régionales les plus importantes du monde ainsi que vingt institutions financières du sud.
Cela dit, nous sommes attentifs à ne pas rendre de compte uniquement sur des montants financiers mobilisés, mais aussi sur les impacts concrets. Ainsi, nous avons conduit des projets ayant permis la scolarisation de 400 000 jeunes filles en 2017, et nous avons permis de donner l'accès à l'électricité à 365 000 personnes. Nous sommes très impliqués dans le Sahel, pour la gestion d'un projet de 9 milliards d'euros avec douze partenaires.
Notre dispositif d'évaluation doit se renforcer. Les services de l'AFD rédigent un rapport d'achèvement pour chaque projet, et nous faisons réaliser quarante-cinq évaluations par des organismes externes. Enfin, nous demandons des évaluations approfondies à des instituts de recherche, comme l'Institut de recherche pour le développement. En outre, nous allons conduire des évaluations conjointes de projet avec nos collègues allemands de la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW).
En mars, nous publierons un rapport sur l'évaluation de nos projets, et nous souhaitons inclure dans notre processus d'évaluations nos bénéficiaires sur le terrain. Si certains sénateurs souhaitent participer à des travaux d'évaluation de nos projets, nous serons très honorés de les accueillir. Cela renforcera la gestion de nos projets.
M. Vincent Éblé, président. - Le rapport public annuel de la Cour des comptes a formulé plusieurs recommandations ayant trait à la gouvernance de l'AFD. Il recommande de faire évoluer le rôle du conseil d'administration afin qu'il exerce une fonction de surveillance plus étroite, et de redéfinir vos liens avec la filiale Proparco. Quelles mesures allez-vous mettre en oeuvre pour vous conformer à ces recommandations ?
Quel est le pourcentage de projets aidés par l'AFD que vous évaluez a posteriori ? Pour ces évaluations, recourez-vous à des organismes indépendants ? Pouvez-vous nous donner les résultats de ces évaluations ? Lors de votre audition, en octobre dernier, devant la commission des affaires étrangères du Sénat, vous avez annoncé un changement de vos méthodes d'évaluation. Pourriez-vous nous en préciser les futures modalités ?
M. Yvon Collin, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement ». - Les deux rapporteurs spéciaux remercient le président Éblé d'avoir accepté cette audition. Lorsque nous présentons notre rapport spécial, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, nous avons parfois le sentiment de ne pas être complets. Il était donc utile d'entendre le directeur général de l'AFD.
La question de l'évaluation est importante : quels sont les effets véritables sur le terrain ? Votre exposé montre qu'il y a des résultats tangibles, mais on peut aller plus loin.
L'aide bilatérale représente deux tiers de l'aide publique de la France ; pourquoi cette préférence pour bilatéralisme ? Cette proportion a-t-elle vocation à évoluer ?
L'AFD a vu sa capacité de dons augmenter de 1 milliard d'euros en 2019 mais vous aviez indiqué que les décaissements devraient s'étaler jusqu'en 2031. Pourquoi ne pas avoir augmenté les crédits de paiement correspondant aux dons, et comment justifier cet horizon lointain ?
Quelle est la trajectoire prévue par la loi de programmation des finances publiques et pourrez-vous la respecter ?
La loi de finances pour 2019 a marqué la budgétisation de la part de la taxe sur les transactions financières affectée à l'AFD et la disparition de la ressource à condition spéciale. En quoi cela affecte-t-il votre budget ?
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement ». - À défaut d'avoir fusionné, l'AFD et la CDC ont resserré leurs liens. Quel est le bilan du fonds d'investissement STOA, qu'elles ont créé en commun ? Quels sont leurs projets dans les départements d'outre-mer ? Quelle est la part des projets cofinancés ? Ces cofinancements permettent-ils de partager les risques liés aux prêts ?
L'Afrique demeure la priorité de l'AFD mais, en Afrique centrale, les indicateurs de croissance économique et de développement humain restent très faibles. La gouvernance corrompue de ces pays est l'un des principaux obstacles à leur développement. Quels sont vos projets pour cette zone ? L'AFD finance-t-elle des projets visant à consolider l'institution judiciaire de ces États ?
Le contrat d'objectifs et de moyens entre l'État et l'AFD pour 2017-2019 vous assigne une vingtaine d'indicateurs de performance ; n'est-ce pas excessif ? Quelles en sont les principales lignes ?
M. Rémy Rioux. - La Cour insiste sur le modèle économique et financier de l'agence, en particulier sur ses fonds propres ; compte tenu de son ambition nouvelle, même si la part des prêts restera dynamique, l'importance des dons va augmenter. La Cour a aussi délivré un message sur la construction du groupe, sur la façon d'inscrire davantage Proparco dans l'action du groupe. Cette filiale a intégré dans son périmètre toute l'activité de l'AFD liée à son action. Je préside le conseil d'administration de Proparco, donc je suis cela de près.
En ce qui concerne la gouvernance, je ne suis que directeur général de cette maison ; c'est au Gouvernement d'apporter les changements à la gouvernance qu'il souhaite et au conseil d'administration de définir ses règles de fonctionnement. Dans la mesure où l'AFD croît, le risque est plutôt que le conseil d'administration soit engorgé par l'examen de projets concrets et qu'il délaisse ses fonctions de suivi stratégique, d'évaluation, de modèle économique. Aujourd'hui, les projets ne sont plus présentés intégralement et on a dégagé plus de temps pour les questions de bonne gestion. J'indique que le conseil se réunit chaque mois - fréquence rare dans les entreprises publiques -, il est très présent dans la vie de notre agence.
Enfin, la Cour des comptes recommande de rouvrir le sujet du statut du personnel. Il y a de bonnes raisons de le faire, notamment l'intégration au sein du groupe, si elle a lieu, d'Expertise France, qui dispose d'un statut social différent. En outre, nous devons traiter la question de la représentation des travailleurs de droit local. Enfin, nous devons nous demander comment mieux reconnaître nos salariés et les inciter à la performance. Notre culture est aujourd'hui très consensuelle, très égalitaire, mais ne faudrait-il pas introduire des éléments de performance ?
Pour ce qui concerne les évaluations, nous recourons au comité externe du conseil d'administration. Au-delà de l'évaluation interne de tous nos projets, nous procéderons à quarante-cinq évaluations externes en 2019, et nous voulons passer rapidement à soixante-cinq en 2020, pour atteindre 50 % à terme. En effet, pour nous aussi, l'évaluation est importante, elle permet d'introduire une logique d'apprentissage.
À propos de l'aide multilatérale, j'ai toujours entendu le Parlement plaider pour le renforcement de l'aide bilatérale, qui est pilotable, programmable, et qui permet de construire des cofinancements dans un cadre multilatéral. Si nous sommes les premiers à obtenir des ressources auprès de l'Union européenne, c'est parce que nous arrivons avec des fonds. Sans moyens bilatéraux, on est moins efficace.
Du reste, tous les grands pays actifs dans l'APD ont un ratio de deux tiers d'aide bilatérale et d'un tiers d'aide multilatérale. Ce ratio avait baissé en France, il était donc logique de renforcer la logique bilatérale ; bien entendu, tout l'enjeu est d'articuler les deux.
Concernant les décaissements des crédits dédiés aux dons, en moyenne, à l'AFD, 60 % des crédits sont décaissés dans les trois ans, et les fonds sont décaissés au maximum dans les cinq ans. Les autorisations de 2019 seront donc épuisées pour l'essentiel en 2022 ou en 2023.
En ce qui concerne le projet de loi de programmation, je vous renvoie vers mes ministres de tutelle. Nous apportons une contribution technique au Gouvernement, notamment pour ce qui touche à la part de l'APD devant être déployée par l'AFD. Cela dit, il y a d'autres instruments, nous ne sommes que l'instrument d'aide bilatérale.
Vous avez adopté la rebudgétisation de la part du produit de la taxe sur les transactions financières (TTF) allouée à l'AFD dans un souci de lisibilité, me semble-t-il. Je suis attaché au maintien d'une affectation de la TTF à la politique de développement, pour que la question de l'utilisation de cette ressource se pose à l'échelon européen. Il reste tout de même une affectation d'une partie du produit de cette taxe à des fonds multilatéraux. Cette question se posera devant vous. Je n'ai pas d'avis à ce sujet. La ressource à condition spéciale (RCS) sera sans doute entièrement rebudgétisée également.
L'alliance avec la CDC a été signée le 6 décembre 2012 ; nous l'appliquons, mais c'est moins dans l'actualité. Nos équipes collaborent de manière étroite, et quand je me déplace en France, la CDC me présente aux acteurs privés, publics et associatifs qui souhaitent contribuer au développement. Je plaide pour ces coopérations décentralisées.
Cette alliance a pris une dimension importante avec le fonds STOA, qui est un fonds d'investissement en capital ; la CDC lui a alloué 500 millions d'euros et l'AFD 100 millions d'euros. Il a déjà investi 100 millions d'euros, dans deux projets à dimension de développement durable, avec un barrage au Cameroun et un projet d'énergie renouvelable, avec Engie, en Inde, à hauteur de 75 millions d'euros. Ce fonds intervient sur des projets de plus de 15 millions d'euros alors que Proparco intervient sur des montants inférieurs. STOA permettra à la France de revenir sur de grands projets dont elle avait quelque peu disparu.
En ce qui concerne l'outre-mer, la CDC et l'AFD activent le mandat qu'elles ont reçu de BPI France pour permettre à cette institution de s'engager de façon plus dynamique au service des entreprises ultramarines. L'AFD se recentre sur sa mission de base, celle d'une banque de développement, de développement durable et de lien avec les États étrangers. L'AFD, présente à Mayotte, aux Comores, en Haïti, aux Antilles, en Guyane est la seule institution de la République qui peut libérer la croissance et l'emploi outre-mer.
L'Afrique centrale a été frappée par un choc macroéconomique de grande ampleur, avec la chute des cours du pétrole. Il y a un grand effort d'ajustement dans les pays membres de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cemac), et nous y contribuons. Il faut diversifier, dans ces États, les instruments, notamment en passant par le secteur privé. En tant qu'institution financière, nous sommes très rigoureux dans nos procédures, en ce qui concerne la lutte contre la corruption et le financement du terrorisme ; on ne peut pas toujours s'appuyer sur les États dans ces domaines.
Le contrat d'objectifs et de moyens ne portait que sur l'année 2019. Il faut concevoir un nouveau contrat courant sur la durée de la loi d'orientation et de programmation. On discutera des indicateurs pour amener votre agence sur un niveau supérieur d'exigence.
M. Roger Karoutchi. - Je très sceptique sur l'opportunité d'avoir créé, en 1992, un établissement public. L'aide au développement doit dépendre directement, comme c'est le cas en Chine ou ailleurs, de l'État et du Gouvernement ; c'est une garantie de solidité et d'orientation plus directe de la politique. On voit d'ailleurs la place qu'a prise la Chine en Afrique, où nous étions jadis influents.
Par ailleurs, je me pose une question sur votre politique de financement. France Médias Monde a demandé une aide financière de l'AFD pour la diffusion de ses programmes en Afrique, comme cela se fait au Royaume-Uni ou en Allemagne. Cela ne se fait pas du tout en France. L'AFD refuse donc de financer France Médias Monde ; en revanche, elle finance « l'Université d'été solidaire et rebelle » de Grenoble. Est-ce vraiment votre vocation ?
M. Jérôme Bascher. - Dans le rapport que vous avez écrit en 2016 sur le rapprochement entre l'AFD et la CDC, vous indiquez que ces deux institutions pourraient se positionner sur la question de la migration et de la sécurité. Comment avez-vous réussi ce tour de force, maintenant que vous êtes en fonction ?
M. Michel Canevet. - On observe à l'AFD une hausse significative des dépenses de personnel, de 52 % depuis 2010. Vos mesures permettront-elles de revenir à des frais de gestion raisonnables ? Quelles autres mesures seront prises ?
La présidente du conseil d'administration, Mme Laurence Tubiana, a déclaré que vous entendiez orienter l'agence vers 100 % de transition énergétique ; quels ajustements entendez-vous prendre dans vos projets pour atteindre cet objectif et à quelle échéance ?
Concernant votre politique de prêt, avez-vous pu identifier les risques financiers associés ? Quelle est votre stratégie pour conserver une cotation raisonnable ?
M. Jean-François Rapin. - Dans les départements d'outre-mer, la Cour des comptes attend des progrès dans le management des équipes de terrain, et l'optimisation de leur rentabilité locale. À l'étranger, elle note aussi, au sujet de l'organisation des équipes, que la forte centralisation des décisions fait parfois prendre du retard. Envisagez-vous une réorganisation ?
M. Claude Raynal. - Contrairement à M. Karoutchi, je ne vois pas de lien entre la création d'un établissement public et notre perte influence en Afrique. C'est surtout la différence des moyens engagés qui nous sépare, par exemple, de la Chine.
La corruption reste un sujet majeur en matière d'aide au développement, comme on le voit à Haïti. Comment faire pour que nos aides ne disparaissent pas comme de l'eau dans du sable ? Comment vérifiez-vous que les montants dépensés le sont bien pour les projets auxquels ils sont alloués ? Pourquoi aidez-vous le Nigeria, qui dispose d'abondantes ressources ? Il est toujours bon de mettre les moyens en réseau, et en réseau organisé. C'est donc une bonne chose qu'Expertise France vous rejoigne, d'autant plus que l'expertise fait partie des solutions, ou en tous cas des propositions que l'on doit faire en bilatéral.
Les Français ont toujours du mal à tirer bénéfice de leurs aides. Nos voisins, pourtant, n'hésitent pas à faire suivre leurs financements de leurs entreprises. Il est vrai que notre objectif est aussi d'aider ces pays à créer leurs propres entreprises... Comment gérez-vous cet équilibre ?
Vos moyens vont passer de 11 à 14 milliards d'euros. L'État vous demandera-t-il un résultat en proportion ? Devrez-vous dégager 200 millions d'euros au lieu de 150 millions d'euros ? Pour trouver un équilibre entre les préoccupations de rentabilité, semblables à celles d'une banque, et une vocation presque humaniste, avez-vous une ligne directrice ? Quelle est la répartition de vos budgets entre prêts aux États, prêts privés, garanties, subventions ? Quels objectifs de rentabilité assignez-vous à chaque catégorie ? Évidemment, celle des subventions est nulle...
Mme Sophie Taillé-Polian. - D'après les ONG, les débats préparatoires à la loi de programmation nous orientent vers une nouvelle terminologie : l'APD serait remplacée par l'investissement solidaire. Cela annonce-t-il un changement de paradigme ? Ne pensez-vous pas que cela poserait de sérieuses questions ? À titre personnel, je préfère à la logique du retour sur investissement celle d'une aide véritablement tournée vers les populations et non destinée à conforter certains régimes.
M. Éric Bocquet. - Sur le document retraçant la situation des 31 milliards d'euros de prêts en cours au 31 décembre 2017, figurent - pour un faible pourcentage, certes - des prêts douteux. De quoi s'agit-il ? Qui gère vos émissions d'obligations ? Est-ce l'Agence France Trésor ? Combien d'entités sont détenues par votre filiale Proparco ? Dans combien de pays opère-t-elle ? Opère-t-elle dans ce qu'on pourrait qualifier de pays non coopératifs ? Vous avez évoqué la lutte contre le blanchiment ; les entités qui relèvent de l'AFD sont-elles assujetties à Tracfin ? Des signalements ont-ils été effectués dernièrement ? Si oui, combien ?
M. Bernard Delcros. - Comment entendez-vous répondre aux recommandations de la Cour des comptes, et selon quel échéancier ? Quelle sera l'efficacité des moyens supplémentaires qui vont vous être donnés ? Quels sont les nouveaux résultats attendus ?
Mme Fabienne Keller. - J'ai en effet l'honneur de représenter le Sénat, avec d'autres collègues, au conseil d'administration de l'AFD. J'étais donc surtout en posture d'écoute. Je me réjouis qu'Expertise France, qui est un partenaire naturel de l'AFD, rejoigne le groupe. Il n'en reste pas moins qu'Expertise France est dix ou vingt fois plus petite que son homologue allemand. Ne devrions-nous pas nous doter d'une expertise interne beaucoup plus puissante ? En Allemagne, les études sont internalisées, comme nous l'avions vu avec Yvon Collin lors d'une visite d'étude. L'explication de notre aide Nord-Sud est un véritable défi, à l'heure où les crédits augmentent pour les subventions et pour le financement des prêts, alors que les problèmes nationaux sont eux aussi prégnants. À cet égard, la coopération décentralisée pourrait être un outil utile de communication.
M. Rémy Rioux. - Nous sommes un établissement public qui dépend directement du Gouvernement, et celui-ci est très présent dans notre gouvernance et jusque dans les orientations quotidiennes. J'ai travaillé à l'agence des participations de l'État : je ne connais aucun établissement public industriel et commercial qui soit aussi proche de l'État que l'AFD. Je me réjouis, d'ailleurs, de cette proximité, car toute forme d'autonomie, pour l'AFD, aboutit à l'oubli de sa politique ! Plus vous m'auditionnez, plus le Président de la République, le Premier ministre et son Gouvernement s'intéressent à l'AFD, plus l'administration s'implique dans son fonctionnement, mieux c'est : cela donne une équipe de France cohérente et efficace, à laquelle on confie des moyens adaptés. Pour autant, il est important que notre politique soit mise en oeuvre par une entité identifiable, ayant un effet d'entraînement sur ses pairs internationaux et disposant de la capacité de communiquer sur son action, ce que l'État ne peut pas toujours faire.
D'ailleurs, tous les grands pays acteurs de l'aide au développement disposent d'institutions de ce type. Les Américains ont l'agence des États-Unis pour le développement international (United States Agency for International Development - USAID) qui est très puissante, très riche, et distribue de l'aide « From the American People », ce qui exprime clairement l'effort de solidarité américain. Les Suédois ont une belle agence, dont l'acronyme est SIDA (Styrelsen för Internationellt Utvecklingssamarbete), et les Japonais disposent d'une structure qui ressemble beaucoup à l'AFD, l'agence japonaise de coopération internationale (JICA). Quant aux Chinois, ils ont d'importantes institutions distinctes du Gouvernement et qui sont extrêmement actives dans le monde entier. Notre homologue, avec lequel nous essayons de travailler, s'appelle la China Development Bank, et constitue à peu près l'équivalent de notre AFD et de notre CDC. C'est une banque publique d'envergure, de plus en plus active à l'international, et qui est peut-être l'acteur chinois le plus à même d'entrer en coopération avec des institutions d'autres pays - ce que personne n'a jamais fait jusqu'à présent.
L'AFD ne refuse nullement de financer France Médias Monde. Nous avons un projet dans le cadre de l'alliance Sahel pour développer des programmes de RFI dans les langues locales. La diffusion d'informations vraies et d'un certain nombre de messages sont autant d'éléments de la politique de développement. Et, en effet, les Allemands et les Britanniques utilisent cet instrument pour leur politique de développement. Maintenant que vous nous confiez des moyens supplémentaires, des choses qui n'étaient pas possibles le deviennent : quand vous avez peu de moyens, entre financer France Médias Monde et mettre en oeuvre un programme de santé dans le Sahel, vous choisissez le programme de santé dans le Sahel ! Cela dit, Jean-Yves Le Drian est extrêmement attentif à la discussion que j'ai avec Mme Saragosse, et la réaction du Gouvernement est justifiée lorsqu'il s'oppose à ce qu'un financement de l'AFD vienne contredire un effort de gestion que l'actionnaire de France Médias Monde lui demande de faire. Mon objectif est simplement d'orienter France Médias Monde vers ma mission, c'est-à-dire vers le développement - pas de lui apporter une subvention de fonctionnement, ce qui n'aurait aucun sens. Mais les moyens vous nous confiez ne doivent pas rester confinés à l'AFD. Ils doivent aider à mettre le pays en coopération, et faire que d'autres acteurs se mettent au service de cette belle politique.
Je vous fournirai évidemment tous les détails sur l'Université rebelle et solidaire, sur laquelle je me suis expliqué devant le CRIF. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, on a confié à l'AFD la gestion du guichet qui finance les ONG françaises. Avant 2009, celui-ci était géré par le ministère des Affaires étrangères. Nous avons donc la mission d'accompagner les ONG françaises dans leur action internationale. Cela comporte de l'éducation au développement en France, et nous finançons donc des organisations conduisant des actions dans les écoles ou des festivals et des universités. Mais nous intervenons très en amont, et nous ne validons pas chacune des conférences. Il y a eu une émotion justifiée sur cette université. Mais si l'AFD n'agit qu'à l'étranger, que personne ne la connaît en France et qu'elle ne rayonne pas sur nos territoires pour expliquer l'Afrique, pour expliquer le Sud, nous aurons manqué une partie de notre mission.
Sur les questions migratoires, on est trop souvent dans un face-à-face, alors que les dynamiques et les routes migratoires sont beaucoup plus complexes que ce qu'on dit. Je me bats pour qu'on arrête de parler de pays de transit car cela masque le fait que beaucoup de Sahéliens s'établissent en Côte d'Ivoire ou au Nigeria - et même en Libye, tant l'image positive de son pays qu'avait projeté M. Kadhafi perdure. La question est donc d'organiser nos instruments publics pour intervenir dans les pays d'origine et y offrir aux bénéficiaires un avenir dans leur propre pays. Il importe aussi de travailler dans les pays de premier choix, ou de première destination, où les migrants s'arrêtent en route, souvent parce qu'ils y ont de la famille.
En Côte-d'Ivoire ou au Nigéria, que vous avez cité, nous ne faisons pas des dons mais des prêts, ou de la formation professionnelle, par exemple. Il serait bon d'avoir aussi un débat sur notre action, dans notre propre territoire, pour ceux qui arrivent, avec les instruments publics que sont la CDC ou Adoma. Du reste, la majorité des flux migratoires en Afrique vont vers le Sud : les migrants vont vers la côte et jusqu'en Afrique australe, qui est de loin la région la plus riche d'Afrique. Aussi trouve-t-on beaucoup d'Africains francophones issus d'Afrique de l'Ouest au Zimbabwe, en Afrique du Sud ou en Angola. Que pouvons-nous faire dans ces pays ? Nous y réfléchissons.
La Cour des comptes donne des chiffres sur l'augmentation des charges de personnel. L'AFD grandit et son budget de fonctionnement atteint maintenant 450 millions d'euros. Lorsque je suis arrivé, en 2016, il y avait de très nombreuses alertes sur la souffrance au travail. C'est un sujet que j'ai pris très au sérieux, et nous avons remis un certain nombre de fonctions à niveau en termes d'effectifs. Notre maison a désormais atteint une taille critique pour accomplir son mandat. Son but est désormais d'inciter d'autres acteurs à lui amener des projets. L'augmentation de la masse salariale de l'agence reflète essentiellement un effet volume et correspond à des recrutements. Sur le niveau des salaires, nous fournirons des éléments de comparaison internationale à la Cour des comptes. En tous cas, depuis que je suis arrivé, il n'y a eu aucune mesure générale d'augmentation des salaires, et les mesures individuelles sont contenues dans une enveloppe de croissance inférieure à l'inflation. Cela me vaut d'ailleurs un grand succès... Bref, je ne crois pas qu'on puisse dire qu'il y a un dérapage salarial à l'AFD.
Nous sommes les meilleurs du monde en matière de financement de la lutte contre le changement climatique, tout simplement parce que cela fait déjà quinze ans que nous nous y sommes attelés, en parallèle de la lutte contre la pauvreté. Nous réalisons depuis dix ans des bilans-carbone de tous nos projets, ce qui n'est pas le cas de tous les acteurs français. L'engagement « 100 % accords de Paris » a pour but d'appuyer les pays dans leurs politiques climatiques de long terme. Nous choisissons les projets que nous finançons de telle sorte qu'ils soient exemplaires à cet égard.
Nous sommes une banque : un prêt douteux est un prêt sur lequel nous avons des problèmes de remboursement. Nous suivons ces cas très attentivement. Même si nous travaillons dans des pays très difficiles, le taux de prêts douteux reste très bas. Nous devons à la fois veiller à préserver la robustesse de notre modèle financier et prendre des risques, pour faire ce que les banques privées ne font pas. C'est le conseil d'administration de l'AFD qui nous dit jusqu'où nous pouvons aller en la matière.
Une entreprise publique peut se piloter de deux façons. On peut lui demander de faire des gains de productivité en diminuant ses moyens, ou en lui fixant un objectif de résultat. Pour l'AFD, les deux sont conjugués. De toute façon, je ne veux en aucune manière arriver à un résultat nul, ou négatif. Bien sûr, nous sommes une institution à but non lucratif, mais dégager 150 ou 200 millions d'euros de résultat chaque année permet de reconstituer nos fonds propre - d'autant que nous ne distribuons que 20 % en dividende - et d'accumuler ainsi un matelas de sécurité nous permettant d'encaisser, le cas échéant, un choc, par exemple une contrepartie qui ne paierait pas.
Notre maison est, historiquement, très centralisée : comme nous travaillons dans de nombreux pays, il semblait plus logique de baser nos ingénieurs à Paris et de les envoyer sur place en fonction des besoins que de les faire vivre à l'étranger. La taille qui est désormais la nôtre, et notre niveau d'ambition, nous pousse à réévaluer le rapport entre le siège et le réseau. J'ai créé des directions régionales de l'AFD, en installant par exemple à la Réunion un directeur chargé de la zone océan Indien, où il doit promouvoir des mutualisations pour gagner en efficacité, et mettre en oeuvre notre stratégie. Nous allons lui déléguer nombre de décisions qui sont prises aujourd'hui au siège et qu'il faut rapprocher du terrain.
Vous m'avez interrogé sur la corruption. Nous sommes supervisés par la Banque centrale européenne et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, et soumis aux mêmes obligations et règles qu'une banque commerciale. Vu les pays dans lesquels nous intervenons, nous sommes exposés à des risques particuliers. Nous disposons d'une direction des risques qui est puissante dans la maison, et d'un service de la conformité. Je n'ai eu connaissance que de deux cas significatifs de corruption. Dans les deux cas, j'ai envoyé sur place mon directeur général adjoint et nous avons obtenu d'être remboursés, et que des poursuites soient engagées dans le pays concerné. Bref, nous avons une tolérance zéro en la matière.
Quel doit être le positionnement d'une agence de développement entre le service qu'elle apporte à ses partenaires du Sud et le soutien aux entreprises françaises ? Vaste débat. Par construction, nous ne finançons que des étrangers. Ce sont la CDC et Bpifrance qui aident les acteurs français à l'international. Nous, l'État nous a créés pour être du côté de l'autre, en quelque sorte, et pour renforcer les contreparties. Nous passons toujours par des maîtrises d'ouvrage locales, qui passent elles-mêmes les marchés en droit local. Cela ne signifie pas que nous ne devons pas créer des liens avec les entreprises françaises et les intérêts français, au contraire ! Mais nous sommes en quelque sorte un tiers de confiance pour le financement, qui fait que la relation avec la France se fait dans de bonnes conditions. Dans 80 % des projets de l'AFD, il y a une entreprise française. Nous nous assurons que celles-ci ne font pas des marges scandaleuses ni ne font travailler les enfants.
Longtemps, l'AFD a dit que l'assistance technique était un instrument du passé. C'était en partie parce qu'elle n'en avait pas la responsabilité... Lorsqu'on a regroupé tous les instruments dans Bpifrance, l'institution a pu évaluer plus sereinement chaque outil. De même, l'AFD a désormais pour responsabilité d'identifier l'instrument le plus à même d'atteindre les objectifs qui lui sont fixés.
Je ne crois pas qu'il soit question de remplacer l'APD par l'investissement solidaire. Je m'en suis expliqué avec le président de Coordination Sud et avec la directrice générale d'Oxfam France. De toute façon, c'est une décision du Gouvernement, pas de l'AFD. Pour autant, « aide » n'est pas un bon mot. Nos partenaires du Sud n'attendent pas de la France de l'aide mais du lien, de l'engagement, de l'investissement. Le mot « aide » empêche cette politique publique de passer à l'étape suivante, parce que l'aide, c'est quelque chose qui vous est toujours un peu extérieur. Il faut certes augmenter APD. Si un investissement solidaire diffère d'un investissement financier, il correspond à une politique publique, et on en attend donc un retour, qu'il faut apprendre à mesurer.
Le paradigme a changé en septembre 2015 lors du sommet des Nations Unies à New York sur le développement durable, puisque lorsque tous les chefs d'État du monde se sont réunis et ont souscrit aux objectifs de développement durable, qui ne sont pas des objectifs d'aide mais des objectifs valables pour tous les pays du monde, y compris pour la France. Ces objectifs sont d'une telle ambition que l'APD ne suffira jamais à les financer, ce qui est une contradiction dangereuse pour la politique de développement. La communauté internationale nous a demandé de financer les objectifs de développement durable mais cela n'a pas de sens : ce n'est pas avec 150 milliards de dollars, voir même 300 milliards de dollars si chaque pays alloue effectivement 0,7 % de son PIB, qu'on va réussir la lutte contre le changement climatique. Pour cela, il faut que l'ensemble des acteurs financiers - et d'abord les acteurs privés - fassent les bons investissements. L'APD continue à faire le travail que personne ne fait : le Sahel, la santé, l'éducation, les pays en crise... Mais elle peut aussi aider à transformer l'investissement en investissement solidaire. Bref, il n'est pas question de substitution. L'AFD a élaboré un avis développement durable qui est un bon outil pour réorienter les financements vers la poursuite des objectifs mentionnés - et nous sommes prêts à le mettre au service des autres acteurs.
L'AFD dispose d'une salle de marché. Elle est le premier émetteur d'obligations publiques après l'État, et fut le premier acteur public à émettre une obligation verte, en 2014. Nous avons des règles très strictes pour la lutte anti-blanchiment et nous sommes bien sûr soumis à Tracfin.
Il y a en effet un déséquilibre avec l'Allemagne, dont l'agence GIZ dispose d'un budget de 2,6 milliards d'euros. Leur KfW correspond, en gros, à notre CDC. Et le ministère compétent, en Allemagne, n'est pas celui des Affaires étrangères ni celui des Finances. Les Allemands dépensent effectivement 0,7 % de leur revenu national en APD, depuis leur présidence du G20 en 2017. Bref, ils pèsent trois fois plus que nous et déploient 20 000 salariés dans le monde : au ministère des Transports en Chine, il y a des coopérants allemands depuis toujours ! Réunir l'AFD à Expertise France nous aidera à rattraper leur niveau pour projeter l'expertise française de façon plus ambitieuse.
Pour la coopération décentralisée, l'AFD dispose d'un guichet spécifique, qui gère des moyens en augmentation : il y aura 10 millions d'euros cette année. La coopération décentralisée entre collectivités locales du Sud et du Nord est une spécificité de la politique de coopération française, et c'est un volet extrêmement important : il y a des choses essentielles qu'une agence d'État ne peut pas faire dans le lien avec nos partenaires. Ce ne sont pas les ressources des collectivités locales qui nous intéressent mais leurs compétences et leur capacité à créer un lien avec leurs homologues du Sud. Nous avons doublé le nombre de projets, et nous en cherchons encore, comme je l'ai répété il y a quinze jours, lors d'un déplacement à Rennes. Nos moyens ne doivent pas rester cantonnés à l'AFD, et nous sommes là pour vous aider à justifier de l'utilité de cette politique publique.
M. Vincent Éblé, président. - Merci infiniment de tous ces éclairages et précisions.
Questions diverses - Actualisation du programme de contrôle budgétaire de la commission
M. Vincent Éblé, président - Mes chers collègues, nous avons adopté le 30 janvier dernier le programme de contrôle de notre commission. Je voulais à cet égard vous apporter une précision. En effet, en accord avec les rapporteurs Bernard Delcros et Frédérique Espagnac, un membre de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, notre collègue Rémy Pointereau, sera associé au contrôle qu'ils vont engager le trimestre prochain sur les zones de revitalisation rurale (ZRR). Ce contrôle devrait donc donner lieu à un rapport d'information cosigné au nom de nos deux commissions.
La commission adopte le programme de contrôle ainsi modifié.
La réunion est close à 11 h 15.