Mercredi 13 février 2019
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Table ronde sur le thème : « Les effets du titre Ier de la loi Egalim du 30 octobre 2018 sur les négociations commerciales en cours », autour de MM. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), Stéphane de Prunelé, secrétaire général du Mouvement E.Leclerc, Thierry Cotillard, président d'Intermarché et de Netto, représentant le Groupement Les Mousquetaires
Mme Sophie Primas, présidente. - Dans le cadre de notre cycle d'auditions portant sur les effets de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim), et notamment de son titre Ier, nous recevons des représentants de la distribution, après des représentants des producteurs agricoles et des industries agroalimentaires.
L'objectif de ces tables rondes est de réaliser, le plus en amont possible, un point d'étape sur la mise en application des mesures de la loi Égalim. Je pense évidemment à la hausse du seuil de revente à perte (SRP) de 10 % depuis le 1er février ainsi qu'à l'encadrement des promotions en volume et en valeur pour les denrées alimentaires. Cela concerne aussi l'encadrement des pratiques commerciales de la distribution.
Sur le volet « distribution », malgré certaines réussites de la loi comme les annonces dans la filière lait, certaines mesures pouvaient poser des difficultés.
Les premières critiques proviennent des consommateurs car ces mesures pourraient impacter directement les prix de plusieurs produits alimentaires au détriment potentiel du pouvoir d'achat d'un grand nombre de ces consommateurs.
Les secondes ont trait aux négociations commerciales actuelles qui pourraient se révéler encore très dures pour les industriels de l'agroalimentaire. Selon les premiers chiffres disponibles, on observe entre 1,5 et 4 % de déflation par rapport à 2018 - année où les négociations avaient déjà abouti à une baisse des prix.
Certes, tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne, si vous me permettez l'expression. Mais pour reprendre les propos de Dominique Chargé, président de Coop de France, qui a le sens de la formule, « il ne faudrait pas que le lait soit l'arbre qui cache la forêt ».
Cette audition sera l'occasion de faire un point sur les grandes tendances des négociations commerciales par filière, sans trahir le secret des affaires. Mais nous, parlementaires, devons bien mesurer l'impact des dispositions adoptées sur ces négociations.
Enfin, la troisième source de scepticisme sur les effets de la loi provient de l'adaptation des pratiques commerciales de la distribution aux mesures de la loi Égalim. Certains ont par exemple constaté un recours croissant aux remises sur carte de fidélité via des pratiques de « cagnottage », tandis que certaines enseignes se sont engagées à baisser les prix des produits sous marque de distributeur (MDD). Or ces marques ont, en général, davantage d'impact direct sur les revenus des agriculteurs français que les produits des grandes marques internationales.
Les personnes auditionnées lors des précédentes tables rondes considèrent que ces pratiques contournent l'esprit de la loi Égalim qui était d'améliorer, in fine, le revenu des agriculteurs.
Dans ses fonctions de contrôle, notre commission entend vérifier que les mesures de la loi Égalim atteignent leur objectif - même si le Sénat avait quelques réserves sur cette loi...
C'est pourquoi il nous a paru essentiel d'accueillir des représentants de la grande distribution : Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) ; Stéphane de Prunelé, secrétaire général du Mouvement E.Leclerc ; Thierry Cotillard, président d'Intermarché et de Netto, représentant le Groupement Les Mousquetaires, que je remercie de leur présence. Nous pourrons recevoir ultérieurement d'autres groupes de distribution qui ont souhaité être entendus.
Comment avez-vous mis en oeuvre les mesures de la loi Égalim entrées en vigueur ? Quels sont les premiers effets de cette loi sur les négociations commerciales en cours, qui se termineront le 28 février prochain ? Dans quelle mesure pensez-vous que la loi Égalim permettra in fine de trouver un équilibre entre l'augmentation recherchée du revenu des agriculteurs et le développement de vos activités ?
M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). - Cet après-midi, nous rencontrerons justement les ministres Didier Guillaume et Bruno Le Maire avec tous les distributeurs pour faire le point sur les négociations en cours au sein du comité de suivi. La FCD comprenant de nombreuses enseignes, le droit de la concurrence m'interdit de citer certains éléments.
Gardons en tête les fondamentaux : la consommation de produits de grande consommation est en légère baisse depuis deux ans, ce qui a un impact fort sur les négociations. La consommation des produits « grand frais » comme la viande, les fruits et légumes, les poissons, les produits laitiers - très peu concernés par les négociations, mais sujet majeur des États généraux de l'alimentation (EGA) - est en forte diminution. La déflation observée ces dernières années est globalement terminée ; les prix sont restés stables en 2018.
Désormais, les consommateurs achètent moins, mais des produits de meilleure qualité, même plus chers. Cette valorisation sensible atteint entre 1,5 à 2 % par an. Nous voulons satisfaire cette demande. On observe aussi un déport des grandes marques nationales vers les marques PME, notamment pour les produits de l'agriculture biologique, ceux sans gluten ou locaux, avec de petites séries. Celles-ci représentent plus des deux tiers de la croissance.
La loi Égalim prévoit différentes mesures. L'inversion des négociations, a priori, n'a pas été suivie d'effets ; nous n'avons que peu d'indications sur les négociations en amont dans le cadre des propositions de conditions générales de vente (CGV). Nous n'avons aucune transparence sur un éventuel retour au producteur après signature des accords.
Sur la prise en compte des coûts de production, les débats sur les indicateurs se déroulent dans le cadre interprofessionnel et sont difficiles. Nous sommes passés d'un indicateur de constat à un indicateur d'objectif de rémunération à 2 SMIC de l'ensemble des producteurs agricoles. Cet objectif n'est pas atteint aujourd'hui. Tout le monde considère que c'est un objectif légitime, mais ce n'est pas un indicateur, c'est un objectif. Les négociations ont avancé dans le secteur bovin : Interbev a défini un indicateur. La loi se met en place progressivement, mais pas encore totalement.
Hier soir, une étude de Nielsen a confirmé que la hausse du seuil de revente à perte était effective, avec notamment le relèvement des prix des produits de grandes marques, sans surprise.
Il persiste quelques inquiétudes sur le mécanisme des promotions. Après des négociations avec le Gouvernement et la publication de lignes directrices très précises dans une circulaire la semaine dernière, ce mécanisme s'applique et est contrôlé par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Dans les négociations en cours, nous avons trois priorités : les producteurs agricoles, qui doivent vivre de leur métier ; les consommateurs ; et les PME, en prenant en compte le prix des matières premières.
Faites attention aux sondages partiels, qui ne prennent en compte, par exemple, que 450 entreprises agroalimentaires sur 17 000, faisant fi des règles déontologiques en la matière et donnant des résultats éloignés de la réalité. Nous avons mis en place un observatoire exhaustif, enseigne par enseigne. Nous plaidons en faveur d'un tel observatoire officiel, général, des résultats des négociations.
Ce qui nous a été envoyé dans l'ensemble des augmentations de tarifs est en moyenne à + 4 %, selon les chiffres reçus de nos adhérents, mais avec de grandes différences selon les produits. Certaines hausses demandées sont déconnectées de l'augmentation du prix des matières premières, comme pour le sucre, le café, le jus d'orange ou l'huile... Ces mauvaises pratiques concernent aussi des produits industriels à faible composante en matières premières.
Nous observons déjà de nombreuses signatures de contrats. Entre 15 et 40 % des contrats sont déjà signés avec les PME ; ces contrats prennent en compte le prix des matières premières et la priorité que nous accordons aux PME. Mais il est difficile de savoir ce qui aura un effet sur le prix. Entre 20 à 30 % des contrats sont signés avec les grandes marques, dans toutes les catégories mais représentent jusqu'à 40 % des volumes.
Pour les secteurs sensibles, de très nombreux contrats ont été signés dans le secteur laitier cette année, avec la quasi-totalité des industriels, mais sans une transparence suffisante. Les cours de la viande sont orientés à la hausse. Nous avons quelques difficultés avec certaines entreprises, qui ont parfois l'habitude de signer au dernier moment. Nous avons reçu des propositions de tarifs la semaine dernière, notamment en raison de la publication tardive des textes.
Cette année, les choses se présentent mieux que l'année dernière, avec des contrats significatifs respectant tant la lettre que l'esprit de la loi Égalim.
M. Thierry Cotillard, président d'Intermarché et de Netto, représentant le Groupement Les Mousquetaires. - Intermarché est un modèle particulier : nous sommes à la fois producteur et commerçant. Avec 62 outils de production, 4 milliards d'euros produits, nous sommes le quatrième industriel français. Nous négocions en direct avec 20 000 agriculteurs au travers de nos usines. Un produit sur deux que nous vendons provient de nos usines. Nous sommes en contact quotidien avec 1,5 million de Français venant dans nos enseignes et qui nous rappellent que le pouvoir d'achat est un sujet important en France.
Nous avons une conviction : n'opposons pas une meilleure rémunération des agriculteurs et le pouvoir d'achat.
La loi Égalim est une formidable opportunité pour mieux rémunérer les agriculteurs. Nous avons donné des signes volontaristes : le 6 décembre, nous avons été la première enseigne à signer un accord avec le laitier Bel, puis avec Savencia et Sodiaal.
Certains industriels ont joué le jeu de la transparence
cette année. En matière économique, je n'ai pas de
religion mais j'ai du mal à croire à la théorie du
ruissellement - parlons plutôt de transmission de valeur. Nous avons un
niveau de transparence suffisant pour que l'augmentation des tarifs
bénéficie aux agriculteurs et non au compte d'exploitation de
l'entreprise. Le syndicat du lait évoquait un prix cible de 390 à
400 euros les mille litres
- à atteindre progressivement. Nous
avons signé pour 375 euros les mille litres.
Second combat, la défense du pouvoir d'achat est dans l'ADN d'Intermarché, pour lutter contre la vie chère. Nous avons une position commerciale assumée : par rapport à une hausse des prix de parfois 10 %, nous baissons les prix des produits de nos marques ; il est plus simple pour nous de faire baisser les prix de 5 500 produits dont nous maîtrisons les conditions de production, mais 1 350 produits augmentent en moyenne de 5 %. C'est le prix à payer pour mieux rémunérer le monde agricole - on parle de 40 euros, avant la péréquation et les baisses sur nos propres marques. Le pouvoir d'achat devrait être préservé.
Une fois le contrat signé avec l'industriel, il est appliqué chez nous. Nous avons signé un accord avec l'organisation des producteurs de lait (OPL) de notre laiterie Saint-Père pour la marque Pâturages sur la base de 375 euros les mille litres. Nous avons dû faire preuve de discernement. Le monde agricole bénéficie d'une plus grande transparence et de meilleures garanties. C'est une révolution dans la distribution : nous avons donné comme consigne à nos acheteurs d'acheter plus cher les produits. Nous faisons preuve de discernement avec les PME travaillant avec les agriculteurs. Certaines multinationales travaillent avec les agriculteurs, tandis que d'autres nous demandent des augmentations significatives inacceptables et ne jouent pas le jeu : certains alcooliers exigent des hausses de 14,4 %, de 9,2 % ou de 11,5 % ! Nous avons un peu plus d'accords signés que la FCD : 50 % en général, et 80 % avec les PME, dans tous les périmètres, soit une amélioration par rapport à l'année dernière à cette date.
M. Stéphane de Prunelé, secrétaire général du Mouvement E.Leclerc. - Représentant le mouvement E.Leclerc, j'ai davantage de liberté de parole que M. Creyssel, qui doit représenter la diversité des membres de la FCD. La loi Égalim prévoit l'amélioration du fonctionnement de la filière agricole et agroalimentaire et la revalorisation globale du revenu des agriculteurs, ainsi que l'augmentation du seuil de revente à perte, voire l'encadrement des promotions - dans une moindre mesure. Nous avons traité différemment ces deux sujets.
La charte signée il y a 15 mois met en place la promesse d'amélioration du fonctionnement de la filière. Dans la filière « oeufs », nous avons signé des contrats de cinq ans avec des engagements de volume et un référentiel de prix calqué sur les coûts de production. Pour les fruits et légumes frais, nous signons des contrats de trois ans au minimum avec les producteurs, avec des engagements de volumes et avec une fourchette de prix, encourageant à la labellisation Haute valeur environnementale (HVE). Nouveauté : nous nous sommes engagés dans la durée avec d'Aucy et Bonduelle, nos plus gros fournisseurs de conserves de légumes, avec une fourchette de prix. C'est notre responsabilité de distributeur que d'accompagner également les familles de producteurs dans la conversion vers le bio, un des secteurs où la croissance est la plus forte, et pour lequel nous devons importer, notamment des fruits et légumes - ce qui est paradoxal !
Le secteur laitier est le plus sensible. Nous avons signé des accords spécifiques avec Lactalis et Danone dès décembre 2018, vertueux, mais qui ne sont pas transparents. Comme le signalait Thierry Cotillard, le prix minimum du lait est un prix d'objectif : les industriels gèrent la mise en oeuvre de cet objectif. Le distributeur n'a aucune transparence sur la réalité de cette application. Les industriels refusent des accords tripartites. Mais c'est déjà un premier pas, attendons de voir les résultats. Comme le dit le proverbe, « c'est à la fin de la foire que l'on compte les bouses ! »
Nous soutenons les cours du porc au marché au cadran de Plérin depuis six mois, tout comme Intermarché, en achetant plus cher que la moyenne des cours. Mais de gros opérateurs achètent jusqu'à 10 % de moins au cadran. Nous avons une démarche très volontariste. Leclerc et Intermarché sont parmi les seuls à se fournir quasi exclusivement en viande porcine française (VPF), notamment dans notre usine de Kermené.
Nous n'avons pas reçu la totalité des conditions générales de vente aujourd'hui. Sur les produits sensibles, notamment le lait et la viande, je ne peux pas vous donner de chiffres, mais les prix augmentent, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros par rapport à 2018. Parmi nos priorités, 95 % des accords sont signés dans le secteur bio, 57 % des accords avec les PME, et les accords sur le « grand frais » verront des hausses de prix. Mais en aucun cas, nous n'avons de garanties contractuelles des industriels dans ce fameux ruissellement...
L'augmentation du seuil de revente à perte a un impact de 4 % selon Nielsen, mais est inégalement répartie : 5,4 % pour Leclerc, mais 0,1 à 0,2 % seulement dans les enseignes les moins bien positionnées. Cela illustre le caractère pervers de la mesure que nous dénonçons depuis le début : la hausse du SRP sert simplement à augmenter les prix des produits des multinationales, mais elle n'a aucun effet ailleurs faute d'un ruissellement qui reste une illusion...
M. Daniel Gremillet, président du groupe de suivi. - Nous terminons un premier tour de table après avoir entendu les producteurs et les transformateurs. Quel est l'état des négociations sur les produits de grandes marques ? Y a-t-il eu davantage d'accords avec les grandes marques qu'avec les PME cette année ?
Les négociations concernent les marques qui ne représentent souvent que 50 % de la production vendue par une entreprise.
Le niveau de 375 euros les mille litres est-il également valable pour les MDD ?
Avez-vous intégré les surcoûts demandés pour justifier la montée en gamme, au-delà de la base des 375 euros ?
Les étiquettes évoluent : de plus en plus souvent, elles mentionnent « origine Europe ». Avez-vous appliqué la disposition du texte prévoyant les mêmes exigences pour les produits importés en Europe que pour ceux produits sur le continent ?
Pour l'article 51, où en êtes-vous de l'amélioration de la procédure de retrait des denrées alimentaires à la suite des travaux que nous avons menés sur le cas Lactalis ?
M. Michel Raison, rapporteur. - La notion de ruissellement est plutôt illusoire. Comment peut-il fonctionner de l'aval vers l'amont, dans le sens inverse de la pente, sauf à installer une pompe de relevage qui est au reste très coûteuse ?
M. Laurent Duplomb. - L'image n'est pas mauvaise...
M. Michel Raison, rapporteur. - Un petit effort a été réalisé, notamment sur le lait, mais ce n'est pas une gloire, puisqu'on partait de très bas. C'est comme lorsqu'on souligne une augmentation du revenu agricole après trois ans de diminution...
Comment obtenir la transparence, lorsque l'accord sur les 375 euros les mille litres de lait ne concerne pas la totalité de la production du fournisseur ? Quel serait le prix final si cela se répercutait sur le producteur ?
Sur l'accord interprofessionnel au sein d'Interbev relatif aux indicateurs, des contrats sont-ils signés avec des fournisseurs de viande où l'on prévoit le prix de revient de la viande et le retour au producteur ?
Où en êtes-vous de la contractualisation dans le secteur des fruits et légumes, produits fragiles ? La notion de prix de revient est-elle prise en compte ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - La loi Égalim vous transforme en maillon « péréquateur », et augmente les marges pour les redistribuer aux producteurs. Comment traduisez-vous concrètement ce mécanisme ? Certaines pratiques entrent en contradiction avec l'esprit de la loi : certains réduisent les prix des produits MDD de 10 % ou font des remises de 10 % sur les cartes de fidélité... Quelles pistes proposez-vous pour plus de transparence ? Quelles sont les avancées en matière de contractualisation, notamment dans la filière viande ?
M. Jacques Creyssel. - La vitesse de contractualisation avec les grandes marques et les PME est très variable selon les enseignes. Nous observons, parmi nos adhérents, un certain retard, purement technique, vis-à-vis des PME, uniquement dû à la sortie tardive des textes réglementaires sur les promotions. Les négociations se sont déroulées un peu plus rapidement avec les grandes marques, mais avec de fortes variations selon les enseignes. Ni le grand frais ni les MDD ne sont concernés par les négociations commerciales annuelles, qui visent moins de la moitié des produits. Néanmoins, des discussions sont en cours.
La montée en gamme est un sujet majeur, encore insuffisamment pris en compte dans les interprofessions. J'ai signé une vingtaine de plans filières ; malheureusement, le débat est souvent déplacé vers les indicateurs. Dans la filière bovine, l'objectif d'obtenir 40 % de viande sous Label rouge est essentiel. Actuellement, 80 % du porc bio est importé, alors que la rémunération est largement supérieure à celle du porc conventionnel. Ce n'est pas en répartissant mieux la valeur qu'on améliorera la situation de tous, c'est en la créant ; les consommateurs sont prêts à payer plus.
M. Michel Raison, rapporteur. - Dans quelle mesure ?
M. Jacques Creyssel. - Je répondrai à l'envers : 30 % des Français font leurs courses à l'euro près. La valorisation atteint 2 % par an, soit plus que la croissance française. Le consommateur peut faire les deux : acheter du beurre premier prix pour sa cuisine, et du beurre premium pour sa tartine... Mais vers le 15 ou le 20 du mois, de nombreux clients n'ont plus les moyens de payer certains produits.
Nous partons de très bas dans les négociations. Je rencontrais le président de la Fédération nationale des coopératives laitières hier. Même si on peut toujours mieux faire, les évolutions sont déjà positives : on observe un changement d'état d'esprit après les EGA. Espérons qu'il se poursuivra dans tous les secteurs.
Dans le secteur de la viande surgelée, les négociations progressent, même si nous avons des problèmes de transparence. L'accord d'Interbev porte non pas sur les prix - c'est interdit -, mais sur des éléments de référence relatifs aux coûts de production ; il n'est pas approuvé par les industriels, la négociation doit se poursuivre.
Madame Loisier, les promotions sont encadrées par une note du ministère des finances. On peut prévoir des cagnottes sur la carte de fidélité si elles ne sont pas affectées. La baisse des prix des MDD est également autorisée ; les promotions sont limitées et non pas totalement interdites ; pour le consommateur, certains prix augmentent, d'autres baissent. Les MDD sont d'abord produites par des PME ; lorsqu'on baisse les prix, on améliore les ventes et cela profite aux PME.
M. Thierry Cotillard. - Comment le distributeur joue-t-il un rôle de péréquation ? Il est plus facile pour nous d'augmenter les prix aux producteurs pour notre propre laiterie, mais certains industriels jouent aussi le jeu. Dans l'accord avec Savencia sont mêlés différents éléments, comme le lait brut et les produits transformés, la crème, le beurre... L'accord prévoit également qu'un auditeur extérieur s'assure de la transparence entre les deux cocontractants.
Pour défendre le pouvoir d'achat du consommateur, Intermarché a baissé les prix de ses propres marques plutôt que de jouer sur la carte de fidélité. Certaines enseignes ajoutent 10 % sur ces cartes, mais ce n'est pas l'esprit de la loi... Le rapport à l'alimentation est en train de changer, et nous concentrons nos 5 % de remise via la carte de fidélité sur le bio et les fruits et légumes, afin qu'ils soient accessibles à tous. Nous n'avons pas renchéri sur ce point.
Bel a été précurseur pour plus de transparence et a signé avec les organisations de producteurs un accord à 375 euros les mille litres, faisant le pari que les distributeurs suivraient. Les industriels commencent à être responsables, même Lactalis est désormais plus ouvert... Cependant, un industriel du secteur de la viande qui fait 60 % du marché n'est pas transparent...
L'avenir de la filière agricole passera par des engagements dans la durée, afin d'avoir de la visibilité sur la trésorerie et rassurer les banquiers. Lorsque le cours tombe à 1,15 euro, nous le sécurisons à 1,30 euro - et Leclerc fait de même. L'avenir est à la contractualisation, et certains industriels sont prêts à le faire. Dans le secteur de la viande, le sujet est tripartite, demandez plutôt aux industriels...
M. Stéphane de Prunelé. - Nous avons choisi de baisser les prix de nos produits MDD dès le 2 janvier, pour toute l'année 2019. Cette mesure est financée intégralement par notre marge, qui provient du relèvement du seuil de revente à perte. Cela répond implicitement au sujet des PME.
L'encadrement des promotions a un véritable effet pervers pour les PME, car les multinationales ont d'autres leviers de marketing et de communication pour augmenter les ventes, comme doubler leurs investissements à la télévision - ce que ne peuvent pas faire les PME. Les promotions permettent aux PME de commercialiser leurs produits. Nous avons donc privilégié une baisse des prix des produits MDD, en espérant que cela augmentera les volumes des produits vendus par les PME.
Mme Cécile Cukierman. - Si l'on vous écoute, finalement tout va bien ! Je rappelle que, sur 100 euros de dépenses alimentaires, 7 euros seulement reviennent à l'agriculture et 21 euros au commerce. Même si les négociations permettent de rééquilibrer cette répartition, la question de la construction du prix reste posée : de l'agriculteur au consommateur, un certain nombre d'intermédiaires légitimes et obligatoires assurent la commercialisation des produits.
Si des personnes sont aujourd'hui prêtes à payer plus pour des produits de qualité, il n'en demeure pas moins que 30 % des consommateurs sont à l'euro près. Il nous appartient collectivement de nous soucier des plus faibles, qui seraient fragilisés par une augmentation trop importante des prix.
Vous avez beaucoup évoqué la transparence. La formation du prix tout au long de la chaîne et sa répartition entre les différents acteurs est une question assez mal connue : que pourriez-vous faire pour que le consommateur soit plus et mieux informé ?
M. Jean-Marie Janssens. - La loi Égalim s'est donné pour objectif de mieux rémunérer les agriculteurs et d'améliorer les relations entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs. Ces intentions louables n'auront d'efficacité que si les distributeurs jouent véritablement le jeu en répartissant les marges, comme le prévoit la loi.
Or, de l'aveu même de Michel-Édouard Leclerc, cette redistribution éveille un scepticisme au sein de la grande distribution : « Personne ne comprend, personne n'est capable d'expliquer par quel mécanisme de ruissellement cet argent supposé gagné par les distributeurs ira chez les éleveurs de lait. » En réalité, le ruissellement ne commence-t-il pas par une valorisation renforcée des producteurs locaux dans les enseignes de la grande distribution ?
En effet, la loi Égalim n'atteindra ses objectifs que si les distributeurs s'engagent à mettre davantage de produits locaux dans leurs rayons, avec des prix de vente qui assurent la juste rémunération des agriculteurs et des éleveurs.
Pouvez-vous détailler les actions concrètes réalisées par vos enseignes pour valoriser les produits locaux et garantir des prix de revient justes et suffisamment rémunérateurs pour nos producteurs locaux ?
M. Jean-Claude Tissot. - La mission première de la loi Égalim, c'est d'assurer un revenu décent aux producteurs et aux éleveurs. Aujourd'hui, en entendant les représentants des distributeurs, je suis rassuré : les rôles sont bien définis ! Mais, ici, nous sommes aussi dans notre rôle : s'assurer que la loi atteigne son but.
Nous craignons de rentrer dans une mécanique où chacun avec ses arguments, certes louables, démontre qu'il n'y est pour rien et que le but final, c'est-à-dire le renforcement du revenu de l'agriculteur, est difficilement atteignable. Mais il reste des zones d'ombre : le consommateur doit évidemment être protégé mais sans perdre de vue l'objectif de la meilleure rémunération du producteur. On ne parle pas des maillons intermédiaires, comme celui des distributeurs et de leurs marges. M. Cotillard a simplement évoqué la diminution des marges sur certains produits. Or je voudrais une transparence totale : quels efforts allez-vous consentir ?
M. de Prunelé a évoqué les difficultés d'approvisionnement s'agissant des produits bio et sa volonté d'accompagner la filière bio. Concrètement, comment allez-vous faire pour développer l'offre des producteurs bio ?
M. Laurent Duplomb. - La loi Égalim, c'est l'équation impossible ! On parle de 5 centrales d'achat et de 12 000 à 16 000 fournisseurs. Si l'on regarde l'application des différentes lois, on constate qu'à chaque fois la grande distribution fait ce qu'il faut pour contourner ou biaiser les différentes lois.
Comment faire augmenter les prix alors que, tous les samedis, des milliers de personnes réclament du pouvoir d'achat supplémentaire et qu'on assiste à une guerre effrénée entre toutes les marques de distributeurs ? Si cette guerre n'existait pas, il y aurait non pas seulement 5 centrales d'achat, mais bien plus... Pendant des années, vous vous êtes acharnés à vous faire disparaître mutuellement de façon à augmenter vos parts de marché.
Vous dites que le ruissellement va atteindre l'agriculteur, comme si une rivière pompée par différents intermédiaires coulait encore suffisamment jusqu'au bout... Pendant des années, le principe commercial exacerbé de la grande distribution a fait que la totalité des transformateurs sont devenus des « centimiers », alors qu'ils gagnent énormément d'argent. On me répondra que certaines entreprises privées confortent leurs résultats davantage par les investissements réalisés à l'étranger que par leur activité en France. Intermarché ne peut pas dire que son activité laitière soit florissante en termes de bénéfices...
Pour le SRP et l'encadrement des promotions, les réponses sont la carte fidélité de Carrefour et un communiqué de Leclerc sur la loi Égalim... C'est toujours cette équation impossible, le pot de fer contre le pot de terre.
Nous disons tous qu'il faut de la transparence pour que les choses marchent. Cette transparence doit être doublée par une forme de confiance.
Première question : on constate une avancée avec le lait. Est-ce l'arbre qui cache la forêt ? Comment allez-vous communiquer sur cet élément de transparence qui nous permettra peut-être de développer la confiance ?
Deuxième question : nous évoquons ces questions maintenant, mais la nature humaine a tendance à vite oublier... Combien de temps dureront les bonnes intentions dont les distributeurs nous font part aujourd'hui ?
Troisième question, dans vos magasins, vous vendez aussi des produits transformés, utilisant comme matière première des produits agricoles qui ne sont pas obligatoirement français. Si vous voulez développer la transparence et la confiance, comment allez-vous faire pour limiter au maximum ces produits étrangers, de façon à favoriser l'agriculture française ? Merci, madame la présidente, de votre indulgence !
Mme Sophie Primas, présidente. - Mon cher collègue, vous avez parlé pour deux !
M. Joël Labbé. - Je suis heureux de parler après Laurent Duplomb, car je suis d'accord avec son analyse !
Sur la forme, on a entendu le monde agricole, avec toutes les difficultés qui perdurent en termes de rémunération ; on a entendu les industriels, qui parlent au travers de leurs communicants. Vous qui représentez la grande distribution, vous êtes également tous les trois des communicants ; vous êtes en rivalité les uns avec les autres, même si le président de la Fédération est présent - et vous êtes fédérés, alors même que le secteur est très concentré... Vous êtes donc extrêmement forts pour défendre vos intérêts !
Vos propos étaient extrêmement vertueux : vous tenez à une juste rémunération des producteurs, sans oublier vos clients qui sont à l'euro près - ce qui est vrai. En revanche, dans vos « temples de la consommation », vous faites tout pour pousser les clients à consommer. Les produits alimentaires, notamment bio, sont parfois des produits d'appel pour vendre autre chose...
L'avenir, à mon sens, est ailleurs parce qu'il y a moyen de contourner ce système. Les magasins de producteurs, qui marchent très bien, permettent de donner une rémunération beaucoup plus juste au producteur, sans coûter plus cher aux transformateurs.
Vous avez tenu avec virtuosité des propos vertueux sur le bio ! Selon le syndicat des entreprises bioagroalimentaires, il a d'emblée été demandé à pas moins de 28 % de ses entreprises de baisser leurs prix d'appel - je tenais à vous interpeller sur ce point.
Enfin, quelle est votre position sur la question des importations, dont la traçabilité et la main d'oeuvre posent problème ?
M. Stéphane de Prunelé. - Sur la transparence des marges et la construction des prix, les distributeurs sont totalement transparents depuis quelques années. Tout ce qui concerne la construction des prix des produits frais et les marges des distributeurs figure dans les rapports de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM). À ma connaissance, vous n'avez jamais contraint les industriels et les transformateurs à faire preuve de la même transparence...
L'une des raisons pour lesquelles nous avons beaucoup de mal à connaître la répartition de la marge et de la valeur dans la filière agroalimentaire tient à l'opacité complète du secteur de la transformation. Nous donnons tous les ans, sur la base de comptes d'exploitation de nos entreprises, la répartition des marges et des prix. Nous sommes transparents, tout comme le sont les producteurs.
Sur la valorisation des produits locaux, nous avons lancé, il y a dix ans, une opération appelée « Les alliances locales ». Nous avons accéléré la contractualisation avec les producteurs locaux ; nous aurons à la fin de l'année 15 000 accords d'approvisionnement direct de producteurs locaux dans les centres Leclerc à des prix peu, voire pas, négociés. Nous n'avons pas attendu la loi Égalim pour le faire !
M. Thierry Cotillard. - En matière de transparence, nous devons mener un travail de pédagogie et de marketing : les consommateurs veulent savoir où va la valeur ajoutée. Nous avons lancé, il y a un an, une action appelée « Les éleveurs vous disent merci ! ». Sur la brique de lait figurait l'indication : « 44 centimes pour l'éleveur, 20 centimes pour le distributeur et 20 centimes pour la laiterie ». Nous avions prévu de distribuer 5 millions de litres ; au final, 19 millions de litres furent écoulés ! La transparence s'est traduite par un succès commercial.
J'en viens à la pérennité de la loi. L'actualité et la pression poussent les acteurs à faire des efforts et à s'inscrire dans une démarche vertueuse. Mais aucune obligation de transparence ne s'impose à l'industriel ou au distributeur. L'équilibre est fragile car rien n'assure sa pérennité. L'exercice va bien se passer pour 2019, mais qu'en sera-t-il demain ?
Si l'on schématise, la répartition de la valeur est la suivante : pour le monde agricole, la rentabilité est nulle, voire négative ; pour la distribution, le taux est de 2-3 %. Jacques Creyssel pourrait vous parler de certains groupes qui sont presque leaders, mais qui connaissent pourtant d'importantes difficultés. Amazon pourra supporter un compte d'exploitation négatif pour l'alimentaire : les distributeurs seront alors en danger alors même qu'ils représentent des centaines de milliers d'emplois. Il faudra investir dans le digital pour se préparer à la guerre qui nous attend avec les concurrents étrangers.
Le taux de rentabilité de la laiterie qui fait de la MDD est de 3 % ; pour les PME qui travaillent pour la grande distribution, il est entre 3 et 5 % ; pour certaines multinationales, il est à 15 %. Pour la laiterie Saint-Père, je vous confirme que le taux n'est même pas de 1 %.
Il faudrait aussi évoquer les autres secteurs : nous sommes prêts à mener une action du type « Les éleveurs vous disent merci ! » pour la viande, puisque nous avons nos producteurs.
S'agissant du sourcing et du made in France, certaines marques de charcuterie vendent des produits comprenant 50 % de porc espagnol et 50 % de porc allemand. Le meilleur appui au cours du cadran, que Leclerc soutient évidemment, c'est d'acheter français. Les consommateurs sont favorables au made in France : il appartient donc aux industriels de changer leur stratégie de sourcing et d'aller acheter à Plérin plutôt que de faire venir des camions d'Espagne.
Mme Sophie Primas, présidente. - À condition que la qualité soit meilleure !
M. Jacques Creyssel. - Nous avons besoin d'une agriculture puissante, avec des agriculteurs qui vivent dignement de leur métier. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'avec les organisations agricoles et industrielles, nous avons fait un certain nombre de propositions qui ont abouti aux États généraux de l'alimentation et à la loi Égalim.
Il est tout à fait essentiel que, dans cette évolution vers toujours plus de qualité, les agriculteurs français, qui incarnent cette exigence de qualité, soient mis en avant. Il faut sortir de cette idée selon laquelle nous serions les fossoyeurs de l'agriculture française : 70 % de nos produits agricoles sont vendus par notre intermédiaire et c'est grâce à nous que beaucoup de belles réussites se font dans ce domaine.
En ce qui concerne la transparence, nous sommes le seul pays au monde où les grands distributeurs rendent publiques leurs marges par produit. Ces dernières années, nous n'avions pas la même transparence pour un certain nombre de produits industriels ; là aussi, les choses progressent. Je rappelle aussi que nous étions d'accord avec les syndicats agricoles pour indiquer « origine France » sur les produits, contrairement aux industriels.
Pour répondre à certaines critiques, la distribution est un secteur majeur pour l'économie française. C'est souvent le premier employeur local dans vos territoires ; il fait vivre vos villes.
M. Pierre Louault. - Pas les centres !
M. Jacques Creyssel. - Nous avons créé 2 800 magasins alimentaires de proximité depuis sept ans. Nous représentons plus de 750 000 emplois, qui sont aujourd'hui en danger, parce que les marges de la grande distribution sont historiquement les plus basses que l'on n'ait jamais connues, alors même qu'il faut investir pour réinventer les magasins et le commerce face non seulement à Amazon, mais aussi aux Chinois. La vitesse à laquelle les choses changent est considérable ! La marge nette d'Amazon est de - 6%, sans payer d'impôts - cela représente un avantage de 10 % -, alors que la nôtre est inférieure à 1 %...
Mme Sophie Primas, présidente. - Restons-en à la loi Égalim !
M. Pierre Cuypers. - Quels sont les critères de mise en rayonnage de produits appelés « Top Budget » ? S'agit-il simplement de promotions ? Comment apprécier la qualité de ces produits ? Quelle est la conséquence de ces produits d'appel sur le producteur ?
M. Bernard Buis. - Je vois d'un bon oeil les avancées en matière de contractualisation. J'enregistre avec satisfaction l'idée selon laquelle les consommateurs sont prêts à payer plus pour avoir un produit de qualité, ce qui peut être bénéfique à terme - encore faut-il parvenir à les produire. Les producteurs doivent bénéficier des retombées, mais encore faut-il que des contre-publicités du style « Quand la loi nous oblige à augmenter les prix, le ticket Tartempion est là pour défendre le pouvoir d'achat » ne viennent pas phagocyter ces avancées...
Quand aurons-nous sur les tickets de caisse l'indication de ce qui revient au producteur en face du prix des articles ?
M. Pierre Louault. - Il faudrait se mettre d'accord sur la constitution des prix, et notamment sur le prix de la matière première, dans les produits vendus. Si sur un litre de lait vendu 1 euro, la matière première coûte 0,4 euros, une augmentation du prix de vente de 5 % devrait rapporter 12 % au producteur - c'est mathématique ! Je n'arrive pas à comprendre pourquoi, lorsqu'on augmente ou baisse un prix, on ne dit pas clairement ce qui doit revenir au producteur.
Par ailleurs, vous vous plaignez souvent de la réglementation. Mais pourquoi ne pas faire l'effort d'être vertueux ? À partir du moment où une marchandise contient 90 % de produits français, on lui donne un label produit français. Comment une viande produite en Pologne mais conditionnée en France devient-elle une viande française ? Il va falloir éviter ce genre de dérives.
Madame la présidente, il faudra aussi entendre tous les acteurs de la restauration hors domicile. Les Français sont contents de se restaurer pour pas cher dans les cantines, mais il va falloir leur dire ce qu'ils mangent...
M. Henri Cabanel. - Ces tables rondes, qui sont très intéressantes, nous permettent d'évaluer la loi. Quand on reçoit les parties séparément - nous avons invité les professionnels et les syndicats, aujourd'hui les distributeurs, puis nous écouterons les transformateurs -, elles veulent toutes revaloriser le revenu des agriculteurs.
J'ai entendu, avec satisfaction, que la grande distribution avait besoin des agriculteurs, tout comme les agriculteurs ont besoin des transformateurs et de la grande distribution... Mais chacun rejette la faute sur les autres ! Il faudrait les réunir tous ensemble pour savoir qui a raison et qui a tort.
Mme Sophie Primas, présidente. - C'est prévu !
M. Henri Cabanel. - On a évoqué d'une part la volonté de certains consommateurs de payer plus cher pour des produits de qualité et d'autre part le manque de productions bio. Vous avez donné l'exemple du porc bio, importé à 80 %. Vous n'avez pas répondu à la question de certains de mes collègues sur votre stratégie pour développer l'offre bio, afin d'importer moins. J'ai cru comprendre que la consommation de ces produits augmentait sensiblement, avec des taux à deux chiffres par an. J'insiste, comment développer l'offre ?
Mme Anne-Marie Bertrand. - Michel Raison vous a interrogé sur les fruits et légumes. La contractualisation existait avant la loi Égalim. Qu'en est-il maintenant ?
Par ailleurs, vous avez parlé « d'accompagner » la conversion en bio. Qu'est-ce que cela signifie ?
Mme Sophie Primas, présidente. - On a beaucoup évoqué la transparence, les distributeurs, les fabricants et les industriels se renvoyant la balle. J'ai le sentiment que cette transparence est plus facile à obtenir avec les organisations coopératives sur un produit comme le lait ou sur les filières organisées agricoles qu'avec des industriels de la transformation. Mon sentiment repose-t-il sur une réalité ?
J'en viens à la péréquation dans les rayons et au rapport entre marques nationales et marques de PME. J'ai bien compris qu'avec le SRP + 10 %, vous alliez gagner plus d'argent avec les marques nationales, puisque vous êtes en quelque sorte « obligés » de faire une marge. Si j'étais commerçant, je donnerai plus de place aux produits sur lesquels je gagne plus d'argent. Accordez-vous davantage de place à produits ? Cela serait logique d'un point de vue commercial, mais réduirait la place des marques de PME dans les linéaires. Y a-t-il aussi un effet en termes de promotions - il est plus facile de baisser le prix de marques sur lesquelles on gagne plus d'argent ?
Vous avez évoqué, monsieur Creyssel, la mise en place d'un observatoire des négociations pour disposer d'un outil neutre et bienveillant. N'est-ce pas le rôle de l'Observatoire des prix et des marges ?
Enfin, vous avez exprimé votre volonté d'avoir davantage de produits à valeur ajoutée, comme les produits bio ou AOC. On remarque la tentation de les utiliser comme produits d'appel et d'en baisser les prix, ce qui serait terrible pour nos agriculteurs - avec des problèmes à la fois de volume et de prix.
M. Jacques Creyssel. - Sur le bio, une série d'initiatives a été prise par les enseignes pour aider à la conversion, notamment par des contrats de plus long terme, de façon à garantir le marché. Aujourd'hui, la grande distribution représente plus de la moitié du marché du bio. Malheureusement, nous avons des difficultés dans ce domaine : par exemple, nous n'arrivons pas à faire accepter notre candidature au conseil d'administration de l'Agence Bio (Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique). C'est pourtant le lieu où nous devrions discuter tous ensemble de ce sujet. Le Syndicat du bio, qui représente d'abord et avant tout un grand distributeur spécialisé et pas vraiment des producteurs, défend plutôt l'augmentation des parts de marché de certains commerces spécialisés par rapport à la distribution générale. Nous considérons, pour notre part, que le bio doit être pour tout le monde, et pas seulement pour certains happy few.
La transparence sur ce qui revient au producteur, qui est un vieux débat, n'est possible que sur un produit déterminé, comme avec « C'est qui le patron ? ». C'est évidemment un élément positif, mais cela ne peut être fait que produit par produit, pour ceux qui le veulent.
Les débats actuels sur l'ordonnance relative aux prix abusivement bas montrent que la transparence au sein des coopératives est un sujet délicat. Je ne suis pas certain qu'on puisse en tirer les conclusions que vous évoquiez. Cette ordonnance est un cas intéressant en matière de transparence : à ce stade, il a été décidé qu'elle ne s'appliquerait qu'au premier niveau, entre le producteur et l'industriel, car pour qu'elle soit du deuxième niveau, il aurait fallu que l'ensemble des coopératives et des industriels soient totalement transparents pour vérifier si le prix était abusivement bas ou non. Les professionnels en question ont préféré que nous ne soyons pas concernés par ce sujet pour éviter cette transparence excessive. Cela fera certainement l'objet d'un débat intéressant le jour où vous devrez ratifier cette ordonnance.
Le Gouvernement a demandé au médiateur des relations commerciales agricoles de travailler avec les professionnels sur la mise en place d'un observatoire. Nous aurions souhaité qu'il intervienne pendant les négociations ; finalement, il le fera a posteriori, et les résultats seront disponibles en avril prochain. C'est déjà une première étape importante ; notre souhait est de sortir du théâtre qui était évoqué chaque année. L'observatoire que nous mettons en place au sein de la FCD est un élément tout à fait important puisqu'il concerne l'ensemble de nos enseignes et des produits, afin d'avoir une vision objective, parallèlement à l'Observatoire des prix et des marges, qui a une autre ambition.
Mme Sophie Primas, présidente. - Il me semble que toutes les parties ne sont pas adhérentes de la FCD.
M. Jacques Creyssel. - Effectivement, mais nous sommes tous attachés à la transparence !
M. Thierry Cotillard. - Top Budget est la ligne de premiers prix d'Intermarché, apparue dans la grande distribution en réponse à l'arrivée des hard discounters. Lidl et Aldi ne vendent pas de marques nationales, mais leurs marques de produits, avec un écart prix de l'ordre de 30 à 35 %. Les marques des distributeurs sont 20 % moins chères que les marques nationales ; les lignes de premier prix sont 30 % moins chères.
M. Pierre Cuypers. - Et la qualité ?
M. Thierry Cotillard. - Très honnêtement, vous en avez pour votre argent. Cette ligne a été limitée ces dernières années à des produits de première nécessité, comme la farine et le sucre, qui ne subissent pas de transformation. Avant, nous faisions 4 % de notre chiffre d'affaires sur ces produits ; en trois années, pendant lesquelles le rapport à l'alimentation a évolué, nous sommes passés à 2 %. Nous essayons de faire disparaître cette ligne, mais elle couvre les besoins de consommateurs ayant des problèmes de pouvoir d'achat.
Peut-on généraliser la transparence du prix payé à l'éleveur ? Intermarché le fera pour les produits dérivés du lait - pour le beurre, c'est déjà le cas. Nous irons plus loin au printemps, avec les oeufs. Nous avons l'ambition de le faire sur le porc et le boeuf, ce qui serait un exploit ! Pour cela, il faut faire « basculer » encore davantage d'éleveurs dans nos contrats. Pour le porc, 50 % des éleveurs sont contractualisés. Si l'on veut être crédible, il faudrait que ce soit le cas pour les trois quarts des éleveurs qui livrent les abattoirs d'Intermarché. On aura alors tout intérêt à le revendiquer sur les étiquettes.
S'agissant du made in France, on le signale autant que faire se peut, car c'est un critère de choix aujourd'hui du consommateur. Si vous ne voyez pas d'indication d'origine française, c'est que malheureusement les matières premières viennent de l'étranger.
Concernant la conversion en bio, les démarches sont très longues : pour le lait, quatre ans d'aides et pour le porc, douze. Il faut trouver l'éleveur qui se jette dans le vide, le sécuriser, l'accompagner financièrement dans les périodes où il ne produit pas... Le chemin sera long mais nous avons intérêt à le faire car les ventes de bio en grandes et moyennes surfaces augmentent aujourd'hui de 23 à 24 %. Il faut absolument travailler main dans la main avec le monde agricole, car le véritable risque, c'est l'importation ! C'est tout l'enjeu de rejoindre les interprofessions, qui est l'un des objectifs de la loi. Leclerc, Intermarché, la FCD s'y attellent.
Mme Sophie Primas, présidente. - Sans en baisser le prix ?
M. Thierry Cotillard. - C'est aujourd'hui une stratégie commerciale que d'attirer le chaland avec des produits attractifs sur le bio. Il est vraiment important que le producteur ne soit pas impacté par ces prix. J'entends qu'il peut être choquant d'avoir un produit qui ne soit pas valorisé. Si l'on prend l'exemple du porc, les consommateurs délaissent cette viande pour les fêtes de fin d'année, ce qui conduit à une surproduction en janvier. Le seul moyen de l'écouler est de proposer des prix attractifs.
Sur l'impact de la loi, vous avez raison, madame la présidente, dans la logique de l'achat. Mais je fais le pari inverse : nous avons un boulevard pour ce qui est du développement des ventes des produits issus des PME, puisque l'écart prix va s'accroître. Nous nous sommes donné deux ans pour faire changer la loi. Je vous alerte sur les PME qui font leur chiffre d'affaires avec des promotions. Nous avons identifié des secteurs d'activité et des PME en danger en raison du plafond à 25 %. Il faudra être très réactif : n'attendez pas deux ans pour changer la loi.
Mme Sophie Primas, présidente. - Message pleinement reçu !
M. Stéphane de Prunelé. - Sur l'accompagnement du bio, une étude de Que choisir ? a montré que les marges pratiquées dans le bio par les circuits spécialisés - des enseignes qui trustent le Syndicat du bio - étaient plus élevées que celles de la grande distribution.
Pour illustrer ce que peut être l'accompagnement, je citerai deux exemples que nous mettons en oeuvre au travers de la société fabriquant nos marques de distributeurs, la Scamark.
La Scamark a lancé un label de conversion, appelé « Les récoltes d'avenir » : nous avons passé un accord avec la coopérative « Les celliers associés », qui regroupe 460 producteurs de pommes normands et bretons. Ils s'engagent à ne pas utiliser de pesticides, de chimie et de radiation, avec un délai de transition de 3 à 4 ans. La première année, les produits, notamment les jus de fruits, de ces 460 éleveurs intègrent notre « marque repère » qui est notre marque de distributeur de premier niveau en conventionnel. Les deuxième et troisième années, ils intègrent la marque « Les récoltes d'avenir », qui signale au public que les producteurs sont en train de passer au bio et qui traduit un engagement de qualité sanitaire et environnementale. Une fois cette transition terminée, les producteurs auront le label « Bio Village ». Tout cela se fait dans un cadre contractuel, avec des engagements de prix et de volume.
Nous faisons à peu près la même démarche en matière de fruits et légumes, avec le label de transition « La voix des champs ». Le principe est le même, avec une transition sur plusieurs années pour parvenir à des produits qui seront labellisés bio, plus chers que les produits conventionnels. Là aussi, le cadre est contractuel.
Des produits sont déjà en phase de test, car nous n'avons pas attendu la publication des ordonnances pour le faire. Nous avons des références de barquettes de pommes, de pommes de terre, de salade, de concombre, et nous allons bientôt le faire avec les tomates et les carottes.
Je ne sais pas si les prix des produits des coopératives sont plus transparents ; je me demande si le problème n'est pas plutôt lié au taux de transformation du produit. Plus le produit est transformé, plus il est difficile d'obtenir de la transparence de la part de l'industriel.
Enfin, je voudrais répondre très brièvement sur une publicité de Michel-Édouard Leclerc. Leclerc est la plus touchée par la loi Égalim. Nous sommes donc légitimes à défendre notre image, qui profite aux consommateurs, même si nous faisons beaucoup d'efforts en faveur des producteurs agricoles. Un distributeur doit servir ses consommateurs : c'est ce que nous avons voulu dire par cette communication.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie. J'ai bien retenu votre proposition sur les promotions. Comme cela m'a été suggéré, nous organiserons un échange entre les différents intervenants lors d'une prochaine table ronde.
La réunion est close à 11 h 25.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Jeudi 14 février 2019
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques et de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -
La réunion est ouverte à 9h.
Agriculture et pêche - Réforme de la politique agricole commune (PAC) : rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique du groupe de suivi
M. Jean Bizet, président. - Quelles que soient nos sensibilités, nous demeurons tous très attachés à la Politique agricole commune (PAC), comme en témoignent les activités de notre groupe de suivi depuis 2010. Nos deux commissions des affaires économiques et des affaires européennes se réunissent ainsi aujourd'hui conjointement, pour examiner une troisième résolution européenne sur la prochaine réforme de cette politique. C'est la sixième réforme de la PAC depuis celle, majeure, de 1992, laquelle nous a fait passer d'une économie agricole administrée à une agriculture de plain-pied dans l'économie de marché.
Il s'agit d'une nouvelle étape dans le travail de fond que nous menons sur cette question depuis l'hiver 2016-2017. Notre démarche s'est déjà traduite par l'adoption d'un rapport d'information, publié dès le 20 juillet 2017, en amont des propositions de la Commission européenne. Trois avis politiques ont également déjà été adressés aux institutions européennes. Enfin, deux résolutions du Sénat, la première en date du 8 septembre 2017, la seconde du 6 juin 2018, comportant respectivement dix-sept et vingt-cinq points, ont formulé un ensemble très complet de demandes et de recommandations. Or nous ne pouvons malheureusement que constater qu'il existe un très net écart entre le schéma de réforme proposé par la Commission européenne et les orientations défendues par le Sénat.
Parallèlement, les négociations en cours, supposées initialement aboutir à un accord avant les élections au Parlement européen du 26 mai 2019, semblent marquer le pas. Souvenez-vous de l'audition du commissaire européen Oettinger l'année dernière, qui avait avancé des estimations de réduction du budget. Ces chiffres nous avaient surpris, sinon choqués, mais ils n'étaient pas choisis au hasard, de même que les propos qu'il avait tenus sur les rapports entre la France et l'Allemagne...Mais, au fil du temps, on voit que cette tendance s'impose. Ce constat nous conduit à vous proposer de reprendre position dans ce débat, afin que la voix du Sénat y soit entendue et que les autorités françaises la relaient.
Mme Sophie Primas, présidente. - Jean Bizet vient de souligner, fort justement, que la future réforme de la PAC pour la période 2021-2027 semble s'engager dans une voie bien éloignée de nos espoirs initiaux. Nous ne nous y résignons pourtant aucunement : l'enjeu de la PAC est fondamental pour notre économie, nos territoires et nos agriculteurs. Les négociations en cours sont loin d'être terminées. À l'heure où nous nous interrogeons sur les conséquences sur le pouvoir d'achat des agriculteurs de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, dite la loi EGalim, il faut souligner que l'effet de la PAC, à cet égard, est beaucoup plus important. Cette troisième proposition de résolution européenne ambitionne précisément d'initier une prise de conscience, un sursaut ! C'est un signal fort que nous voulons adresser au Gouvernement et à la Commission européenne. Dans cet objectif, nous devons changer d'approche et de paradigme, si nous voulons être davantage entendus par la Commission européenne : il faut que nous exprimions, encore plus fortement que par le passé, nos inquiétudes et nos interrogations.
Cette troisième proposition de résolution européenne du Sénat sur la future réforme de la PAC s'inscrit dans la continuité des deux précédentes. Elle comporte vingt-six demandes et recommandations, regroupées autour de plusieurs grandes orientations, que nos rapporteurs vont vous présenter successivement.
Au préalable, Claude Haut vous exposera les grandes lignes des propositions de la Commission, ainsi que ses aspects positifs, car il y en a aussi. Daniel Gremillet réaffirmera ensuite notre refus de « coupes budgétaires » drastiques au détriment de la PAC, ainsi que notre opposition à l'abandon de toute ambition stratégique pour l'agriculture européenne. Puis, Pascale Gruny vous indiquera pourquoi notre proposition de résolution consacre pas moins de neuf points au nouveau mécanisme de mise en oeuvre imaginé par la Commission européenne. Cet ensemble de mesures, purement techniques à première vue, conduirait, en effet, à un changement de perspective radical pour la PAC, avec des conséquences politiques majeures. Enfin, Franck Montaugé vous présentera les derniers volets de notre proposition de résolution. Il s'agit de notre refus du statu quo, tant pour les règles de concurrence qu'en matière de gestion des crises. S'y ajoutent nos interrogations sur le contenu des ambitions environnementales du projet de la Commission.
M. Claude Haut, rapporteur. - La Commission européenne a présenté, le 1er juin 2018, ses propositions pour la future PAC 2021-2027, qui reposent sur cinq grandes orientations. Le premier axe concerne le nouveau mode de mise en oeuvre imaginée pour la PAC. Concrètement, l'approche uniforme serait remplacée par davantage de subsidiarité : des plans stratégiques seraient élaborés par les États membres, puis validés par la Commission. Ce modus operandi est supposé simplifier le coeur de la Politique agricole commune, en retenant une approche par les résultats, plutôt que par les moyens. Il y a là, néanmoins, un double risque de « renationalisation » et de distorsions de concurrence. Pascale Gruny y reviendra.
La seconde orientation de la nouvelle PAC vise à établir des conditions plus équitables, grâce à un meilleur ciblage des aides. En résumé, les paiements directs aux agriculteurs seraient réduits jusqu'à 60 000 € et plafonnés à 100 000 € par exploitation, en déduisant les coûts de main-d'oeuvre.
Le troisième axe consiste à encourager l'innovation et la recherche : 10 milliards d'euros issus du programme Horizon y seraient affectés.
La quatrième orientation a pour objet de relever les ambitions environnementales et climatiques de la PAC. Les paiements directs seraient ainsi subordonnés à des exigences accrues. Au-delà du « verdissement » actuel, considéré comme acquis, il y aurait, à l'avenir, treize exigences règlementaires - à commencer par les directives nitrates, bien-être animal, habitat, oiseaux - auxquelles s'ajouteraient douze conditions agro-environnementales définies au niveau européen, dont cinq nouvelles. Les États membres, ou les régions, auraient ensuite à préciser aux agriculteurs les règles à suivre, pour mettre en oeuvre ces grands principes. Chaque État membre devrait disposer de programmes écologiques incitant les agriculteurs à aller au-delà des exigences obligatoires : c'est ce que la Commission a baptisé, en langue anglaise, les « eco-schemes ».
Enfin, la cinquième orientation de la Commission porte sur la diminution du budget, estimée par le Parlement européen, à 15 % en termes réels, entre la période 2021-2027, comparée à 2014-2020. Cette réduction de format drastique conditionne tout.
Mes trois collègues rapporteurs insisteront sur les points clés avec lesquels nous avons des divergences plus ou moins importantes. Permettez-moi, cependant, de conclure sur une note positive, car plusieurs propositions de la Commission méritent aussi d'être saluées. J'en citerai quatre. Tout d'abord, le choix d'une simple clarification des paiements directs. Sur les plans technique et opérationnel, après vingt-cinq années de bouleversements, il est heureux que, cette fois, l'architecture des paiements ne soit modifiée qu'à la marge.
Nous nous félicitons également de l'augmentation prévue des aides aux jeunes agriculteurs. La Commission européenne prévoit, en effet, d'allouer un minimum de 2 % de la dotation en paiements directs, pour soutenir leur installation. Sur ce point capital, nos préoccupations ont été entendues.
Il en va de même pour la recherche et l'innovation, que la Commission européenne souhaite encourager en y affectant 10 milliards d'euros, issus du programme Horizon Europe. Il s'agirait, par là-même, de soutenir des réalisations dans les domaines de l'alimentation, de l'agriculture, du développement rural et de la bioéconomie.
Enfin, la Commission européenne propose une remise à plat particulièrement bienvenue du système, aujourd'hui totalement inopérant, de réserve pour la gestion des crises agricoles. Cette réserve dotée, « d'au moins 400 millions d'euros », serait destinée à financer les mesures d'intervention sur les marchés telles que prévues dans l'Organisation Commune des Marchés, ainsi que les mesures de crise à proprement parler. Elle serait initialement alimentée, en 2021, par les crédits inutilisés de l'actuelle réserve de crise.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Il me revient de vous exposer les points clés de notre résolution sur les moyens budgétaires nécessaires pour garantir l'avenir de la PAC. Mais nous souhaitons aussi, par là même, mettre l'accent sur le manque d'ambition des Européens pour leur agriculture, ce qui est beaucoup plus inquiétant. Sur ces deux sujets, les termes de nos deux résolutions européennes du 8 septembre 2017 et du 6 juin 2018 demeurent intégralement valables. Nous entendons les réaffirmer, en allant à l'essentiel.
Notre nouvelle proposition de résolution souligne, tout d'abord, « qu'aucune réforme de la PAC ne serait satisfaisante sans une préservation a minima d'un budget stable en euros pour 2021-2027, par rapport à 2014-2020 ».
Le projet de texte rappelle ensuite l'opposition du Sénat « à la proposition de la Commission européenne tendant à réduire (...) les budgets respectifs du premier pilier et du second pilier de la PAC de respectivement 11 % et 28 %, soit 15 % au total, en euros constants entre 2021 et 2027, en comparaison du précédent Cadre financier pluriannuel ».
Enfin, notre proposition de résolution fait valoir que ces « coupes budgétaires » iraient à contre-courant des choix stratégiques effectués par les autres grandes puissances lesquelles accroissent à l'inverse leur soutien public à l'agriculture, depuis le début des années 2000.
Ce rappel est indispensable, car il apparaîtrait totalement incompatible de vouloir conduire la transition agro-environnementale de l'agriculture européenne, tout en réduisant ses ressources budgétaires : en résumé, comment pourrait-on imaginer faire plus, avec moins ?
Au-delà de la question du budget, notre proposition de résolution entend fermement défendre une autre orientation absolument fondamentale : nous voulons rappeler que la PAC doit demeurer une priorité stratégique pour l'Union européenne. Les auditions de notre groupe de suivi ont mis en évidence un sentiment, largement répandu dans le monde agricole, de perte de sens de la PAC. S'y ajoute le risque d'un renoncement à l'ambition même de la Politique agricole commune, exprimé de façon plus ou moins explicite par les responsables politiques de certains États membres.
Vos rapporteurs ne sauraient se résigner à pareil constat. Trois points y font directement référence dans la proposition de résolution. Le premier « déplore, d'une façon générale, que la proposition de réforme de la Commission européenne semble méconnaître le caractère stratégique de notre agriculture, dans la mesure où cette dernière garantit l'indépendance alimentaire du continent européen, tout comme elle veille à la sécurité sanitaire des consommateurs européens ». Le second souligne, à titre incident, « que la Politique agricole commune trouve un fondement de légitimité supplémentaire dans les mécanismes d'aide alimentaire ». Le troisième affirme, en conclusion, que « la Politique agricole commune a rempli, depuis 1962, un rôle fondateur essentiel pour l'Union européenne et mérite toujours d'être considérée comme une priorité stratégique, ne serait-ce qu'au regard de l'impératif de sécurité alimentaire des citoyens européens ».
Pour conclure, on ne peut d'ailleurs qu'être frappé par ce qui apparaît de plus en plus, hélas, comme un désintérêt pour la Politique agricole commune : si la PAC semble une priorité déclinante pour l'Union européenne, il en va tout autrement pour toutes les autres grandes puissances agricoles. La Chine, les États-Unis, la Russie et le Brésil ont, quant à eux, fortement accru leurs soutiens au secteur depuis les années 2000. L'enjeu de la souveraineté alimentaire y est perçu, fort justement, comme stratégique. Sommes-nous collectivement, en Europe, sur le point d'abandonner nos ambitions en la matière ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Le troisième axe de la résolution porte sur ce qui constitue le coeur de la prochaine réforme pour la Commission européenne : le nouveau mécanisme de mise en oeuvre de la PAC. Nous voudrions ici conjurer le risque d'une « vraie fausse » simplification, qui ne profiterait paradoxalement qu'à la Direction générale AGRI, sans atteindre les premiers intéressés : à savoir les agriculteurs. Sur le papier, on ne peut que souscrire aux objectifs annoncés, visant à concilier simplification et meilleure efficacité, grâce à une plus grande subsidiarité. Toutefois, en pratique, on peut en douter.
Notre proposition de résolution y consacre neuf points, afin de fournir une argumentation détaillée sur cette question méconnue et pourtant essentielle. Le premier fait valoir le risque de déconstruction de la PAC, qui résulterait d'une dérive progressive vers 27 politiques agricoles nationales, de moins en moins compatibles entre elles, d'ici 2027.
Le second s'oppose à la perspective de renationalisation de la PAC.
Les quatre alinéas suivants s'inquiètent des risques de distorsion de concurrence, de course au « moins-disant » social et environnemental entre les États membres, ainsi que de la pénalisation des producteurs les plus vertueux.
Le septième point fait valoir que ce nouveau mode de mise en oeuvre de la PAC pourrait n'être qu'un transfert de bureaucratie sans bénéfice, ni pour les agriculteurs européens, ni pour les consommateurs et citoyens européens.
Enfin, la proposition de résolution s'inquiète d'un probable alourdissement des contrôles et des systèmes de supervision et de surveillance, contrepartie inévitable d'une plus grande subsidiarité.
D'une façon générale, la Commission européenne tend, à tort, à présenter son projet de nouveau mode de mise en oeuvre de la PAC comme un impératif non négociable. Pourtant, le dispositif n'apparaît aucunement nécessaire à la prochaine réforme de la Politique agricole commune. Ce nouveau mode de mise en oeuvre n'est que l'un des multiples aspects du schéma de réforme de la PAC et non la « clé de voûte » de l'ensemble.
En résumé, il serait tout à fait possible de faire l'économie de ce dispositif, sans renoncer à modifier la Politique agricole commune pour la période 2021-2027. Le sujet ne s'est probablement pas vu accorder toute l'attention qu'il mérite. Son enjeu ne s'inscrit d'ailleurs pas dans le champ des mesures techniques, mais, à l'inverse, dans un domaine politique essentiel : sous couvert de subsidiarité, la Commission européenne propose, en effet, un changement radical de logique et d'approche pour la Politique agricole commune. Le transfert au niveau national de l'élaboration des plans stratégiques couvrant désormais le « premier pilier » conduirait inévitablement et mécaniquement à une renationalisation de la PAC, des distorsions de concurrence et au passage, à terme, à 27 PAC nationales. In fine, quelles que soient les assurances données par la Commission européenne, le dilemme posé aux États membres consisterait à savoir s'il faut, ou non, prendre le risque d'un tel « saut dans l'inconnu ».
M. Franck Montaugé, rapporteur. - La quatrième grande orientation de notre rapport consiste à nous interroger sur la compatibilité du nouveau mode de mise en oeuvre de la PAC avec ses fortes ambitions environnementales. Nous jugeons d'abord que dans le contexte qui se profile « les "coupes" budgétaires envisagées (...) seraient (...) incompatibles avec l'objectif de renforcement des ambitions environnementales de la Politique agricole commune, faute de pouvoir fondamentalement faire mieux avec moins ».
Nous redoutons ensuite « le fait que l'agriculture française ne pâtisse d'une exacerbation de la course au moins-disant (« dumping ») social et environnemental entre pays européens compte tenu des divergences que la nouvelle PAC ne pourra pas réduire ». Dans cette hypothèse, notre agriculture serait contrainte entre des exigences croissantes de standard de production et une pression à la baisse sur les prix. L'exigence de qualité alimentaire accrue des consommateurs ne va pas toujours de pair avec leur acceptation d'un prix d'achat majoré à due proportion. L'agriculture européenne ne pourrait alors pas contribuer, comme elle peut et comme elle le doit, à « la nécessaire transition environnementale et énergétique, du fait même d'une injuste pénalisation des producteurs les plus vertueux ».
Notre proposition de résolution européenne aborde deux autres points clés, celui des règles de la concurrence et celui de la gestion des crises. Ces deux sujets ont connu des évolutions récentes plutôt encourageantes, mais il semble que la Commission se satisfasse d'une forme de statu quo. Pour nous, après les avancées introduites par le « règlement Omnibus », en rester là serait une erreur. À nos yeux, « Omnibus » n'est qu'une étape, dans un processus à approfondir au fil du temps. Pour ce faire, notre proposition « rappelle la nécessité d'adapter, en règle générale, le droit de la concurrence aux spécificités agricoles et de renforcer effectivement le poids des producteurs dans la chaîne de valeur alimentaire ». Redonner de la valeur aux producteurs, c'était l'objectif premier de la loi EGalim. Mais sans mesure nouvelle en matière de concurrence, et avec un budget PAC très sensiblement à la baisse, les hypothétiques effets positifs d'EGalim seront annihilés.
Le terme ne figure pas dans la proposition de résolution mais l'exception agri-culturelle garde sa pertinence, a fortiori pour un pays comme le nôtre qui veut préserver la grande diversité de son agriculture et de ses formes de production. Nous devons aussi surmonter de fortes réticences de principe à intervenir en cas de crise, sur les marchés agricoles.
Formellement, la gestion de la PAC continue à pouvoir s'appuyer sur une gamme d'instruments d'intervention. Mais, si le cadre juridique a été préservé, la volonté d'agir pose question. La crise laitière de 2015-2016 a montré que la Commission européenne se refuse désormais, par principe, sauf circonstances très exceptionnelles, à agir en prenant le risque de « perturber les signaux de marché ». Ces réticences sont largement partagées par de nombreux États membres, à commencer par ceux du Nord de l'Europe.
Pourtant, le problème de la volatilité des prix agricoles demeure entier. Dans le même esprit, notre proposition de résolution souligne les « progrès particulièrement encourageants enregistrés, en vue de l'adoption du projet de directive visant à lutter contre les pratiques commerciales déloyales, parallèlement aux négociations en cours sur la future PAC 2021-2027 ». Il est un peu singulier que les progrès réalisés l'aient été en dehors du cadre stricto sensu des réformes successives de la PAC ! D'autres avancées sont nécessaires.
Enfin, dans un contexte où l'agriculteur est plus souvent et à tort critiqué que reconnu pour son travail, je conclurai sur un thème qui doit apparaitre dans les agendas nationaux de réforme de la PAC : celui des externalités positives de l'agriculture. Notre proposition de résolution demande que ces externalités bénéficient du renforcement prévu, à hauteur de 10 milliards d'euros, du programme de recherche et d'innovation. Nos agriculteurs doivent être rémunérés pour les services qu'ils rendent, tant à l'égard de la société que de l'environnement. Sans effet de substitution avec les crédits du pilier premier ou du second pilier, leurs prestations pour services environnementaux « devrai(en)t leur valoir une rémunération en contrepartie des biens publics qu'ils produisent », tout comme de leur contribution aux enjeux de transition climatique... toujours passée sous silence.
M. Laurent Duplomb. - La politique agricole commune avait été construite pour favoriser la paix. C'est la seule politique européenne intégrée. Elle visait à garantir l'autosuffisance alimentaire de l'Europe, à soutenir la production d'une alimentation de qualité, au prix le plus bas possible pour les consommateurs. Cette politique a réussi : quand nos anciens consacraient 50 % de leurs revenus à se nourrir, l'alimentation ne représente plus aujourd'hui que 8 à 11 % du budget des ménages. Or, avec le développement de la subsidiarité, cette politique sera de moins en moins commune et les différences entre les pays s'exacerberont. Chacun essaiera de prendre des parts de marché aux autres et les principes fondateurs de la PAC, à commencer par la volonté de préserver la paix, seront menacés.
Je m'étonne qu'un point ne figure pas dans la résolution. Le budget de la PAC, qui est de 408 milliards d'euros, devrait baisser de 43 milliards d'euros. Or, si l'on retranche la contribution nette de la Grande-Bretagne au budget de la PAC, qui s'élève à 18 milliards d'euros, écart entre ses contributions et les aides qu'elle perçoit, il manque donc 25 milliards d'euros à ce budget, sans aucune explication ! Nous devrions donc demander des explications sur cet écart de 25 milliards d'euros.
Quid aussi du principe des paiements couplés réservés aux « véritables agriculteurs » ? Que faut-il entendre par cette expression ? Nous devrions préciser notre définition. Si nous n'y prenons pas garde, on aura bientôt en France, d'un côté, des agriculteurs professionnels hyperperformants, à qui on demandera sans cesse de courir le 100 mètres avec un boulet au pied et des normes environnementales, et, d'un autre côté, grâce à la subsidiarité, d'autres « véritables agriculteurs », définis selon une acception plus sociale de l'agriculture, avec une multitude de petites exploitations sur le territoire.
Enfin, il faudrait réaffirmer la spécificité de la France : la France a toujours voulu conserver une répartition équilibrée de son agriculture sur la totalité du territoire. Certes, les aides couplées y contribuent. Mais nous devons réaffirmer que nous voulons que la PAC contribue au maintien de l'agriculture sur la totalité des territoires. Cela suppose de prendre en compte les handicaps naturels et implique une certaine forme de mutualisation entre les régions les plus favorisées et celles qui le sont moins. Si nous ne le faisons pas, l'agriculture se concentrera dans les zones les plus simples à exploiter, au détriment de ce qui fait la beauté de la France, de ses paysages, et donc de l'aménagement du territoire.
M. Simon Sutour. - Je salue cette proposition de résolution pluraliste. En tant que membre de la commission des affaires européennes, je me dois de répondre à notre collègue. La PAC n'est pas isolée, elle constitue une composante importante du budget de l'Union européenne, qui nous intéresse tout particulièrement en tant que sénateurs, au même titre que les fonds structurels. Mais l'Union européenne, c'est aussi des politiques en faveur de l'innovation et de la recherche, en faveur des jeunes, avec par exemple le programme Erasmus qui sera désormais ouvert aux apprentis, la politique de protection des frontières dans le cadre de Schengen, etc. Dans un budget à somme constante, il convient de faire des arbitrages. Le Sénat avait demandé, dans ses résolutions, que le budget soit plus important, avec un renforcement de la participation des différents pays et le développement de ressources propres. Nous n'avons pas été entendus. Chaque État est en fait content du statu quo, vu les contraintes budgétaires nationales. Il faut donc faire des choix. Soyons francs et reconnaissons que l'essentiel est préservé.
Si je prends maintenant ma casquette d'élu du Gard, je dois dire que je ne suis guère content de la PAC. Je ne me bats pas pour de grosses enveloppes qui n'apportent rien à mon territoire. Comme on dit chez moi à propos de la PAC, « il pleut toujours sur les plus mouillés » ou, en occitan, « les pierres vont toujours au clapas ». Malgré une réorientation engagée par Michel Barnier, ce sont toujours les grands céréaliers et les grands betteraviers de la Beauce et de la Brie qui touchent l'essentiel des crédits de la PAC ! Mon territoire, qui abrite des vignes, des productions fruitières et légumières, ne touche pratiquement rien. Si l'on veut que l'on défende la PAC avec conviction, il importe qu'elle soit un petit peu plus juste. Les aides sont plafonnées au niveau des exploitations, heureusement. Il fut un temps, notamment au Royaume-Uni, où de grands propriétaires, qui n'étaient pas agriculteurs, recevaient des millions d'euros, alors que les petits agriculteurs ne recevaient rien !
Un consensus s'étant dégagé au niveau du groupe de travail, je soutiendrai ses propositions. Mais il fallait rappeler quelques vérités, même si elles ne sont pas toujours agréables à entendre...
M. Michel Raison. - Je voterai cette résolution. Le danger principal réside dans le développement de la subsidiarité qui marquerait un désengagement de l'Europe. Les États risquent, à leur tour, de renvoyer l'affaire aux régions, entraînant des distorsions entre pays et même entre régions. J'aurais souhaité une révision des orientations de la PAC et je crois savoir que le président Bizet est d'accord avec moi sur ce sujet. Il ne s'agit pas d'une politique sociale. Je n'aime pas le discours selon lequel « seuls les gros ont, les petits n'ont rien ». Cela ne fonctionne pas comme cela dans la réalité. Des plafonds de versement ont déjà été mis en place. L'important est de parvenir à garantir un minimum de revenu à un maximum d'agriculteurs. Pourquoi ne pas s'inspirer du Farm bill, qui est une sorte d'assurance de revenu pour les agriculteurs ?
Notre débat montre l'excès de communication autour de la loi EGalim qui ne modifiera guère le revenu agricole, car celui-ci dépend de la production et des prix, de la qualité du travail des agriculteurs, mais aussi de la PAC, qui oriente les productions et garantit un revenu. Or, dans le projet de la Commission, on aura toujours la même PAC, mais avec moins d'argent et plus de contraintes ! Je plains nos agriculteurs quand on connaît notre tendance, en France, à surtransposer. Il importe que les exigences environnementales soient clairement définies, sur la base de critères scientifiques, et non pour répondre à des demandes démagogiques d'un certain nombre d'associations. On est en train de continuer à « massacrer » notre agriculture. Comme l'a dit Laurent Duplomb, l'agriculture est en danger dans certaines régions peu propices. Les suicides des agriculteurs sont déjà nombreux. Cette réforme de la PAC n'est qu'un « rafistolage », masquant une réduction des budgets et un abandon de cette politique aux États. Je suis fondamentalement inquiet pour l'avenir de notre agriculture.
M. Jean-Claude Tissot. - Je partage l'analyse globale de MM. Raison et Duplomb sur l'orientation générale, même si nous pouvons avoir des divergences sur certains points. Bien sûr, il faut sanctuariser le budget, mais le principal souci est la subsidiarité car cela implique de renoncer à l'Europe sociale ou environnementale. L'enjeu n'est pas seulement financier. Il est très difficile de soutenir notre agriculture si on est en concurrence avec nos voisins. La distorsion de concurrence des pays d'Europe centrale et orientale, par exemple, est flagrante. On a évoqué les plafonds, mais dès lors qu'il est question d'aménagement du territoire, il faut aussi poser la question des planchers. À partir de quel niveau doit-on aider une exploitation agricole ? C'est là que nous aurons peut-être des avis divergents. En tout cas, nous ne devons pas nous focaliser uniquement sur le budget, nous devons mener une réflexion globale si l'on veut maintenir notre agriculture sur tout le territoire.
Mme Sophie Primas. - Vous soutenez donc la proposition de M. Duplomb visant à affirmer l'importance de la répartition sur l'ensemble du territoire de l'agriculture française ?
M. Jean-Claude Tissot. - Oui.
M. Pierre Louault. - Je salue le travail qui a été réalisé et soutiens cette résolution. Cependant un point n'est pas abordé : celui des prix et des marchés agricoles. Nos marchés sont mondiaux avec aucune norme partagée de production ou de qualité. L'Europe n'arrivera jamais à faire d'économies sur son budget si elle ne parvient pas à favoriser un marché mondial basé sur des normes de production et de qualité. Il serait simple d'introduire des normes de résidus de pesticides, par exemple, sur les céréales, sur le sucre, sur un certain nombre de productions. Les cours mondiaux sont tirés vers le bas. L'Europe et la France, encore davantage, imposent des normes de production et de qualité : bientôt fin du glyphosate, bientôt fin des pesticides. Il y a un mur entre une agriculture conventionnelle de plus en plus performante et de qualité et une agriculture biologique. Entre les produits mondiaux, sans norme, et l'agriculture biologique, il y a de la place pour une agriculture européenne qui mérite d'être rémunérée. Pourquoi rester dépendants de la bourse de Chicago ? Pourquoi ne pas créer une bourse de Paris ou de Francfort où l'on vendrait des céréales sur la base de normes de qualité ? Tant que l'on n'évoquera pas ces problèmes, on n'arrivera pas à s'en sortir et notre agriculture deviendra de moins en moins compétitive.
La PAC constitue un fondement de l'Europe. Même si les États peuvent jouir d'une certaine latitude d'exécution, il importe que les règles soient communes à l'ensemble de l'Europe, pour éviter des normes incompatibles entre les pays... La prestation pour services environnementaux n'a de sens que si elle est européenne.
Mme Cécile Cukierman. - Nous soutenons la philosophie de cette résolution européenne qui rappelle le caractère stratégique de la PAC, laquelle a orienté la production agricole, avec certains excès parfois. L'enjeu consiste à maintenir son budget pour permettre son évolution et à faire en sorte qu'elle continue de répondre aux attentes de la population européenne, tant en matière de sécurité que de souveraineté alimentaires. Il serait excessif de prétendre que la PAC ne bénéficie qu'aux céréaliers et aux betteraviers ; d'ailleurs, dès qu'elle est menacée, chacun la défend, en dépit des critiques et des abus, car chacun connaît son rôle de soutien à l'agriculture dans certains territoires. L'enjeu est bien plutôt de parvenir à la rééquilibrer. Et puis, elle fait aussi partie des belles réussites européennes d'action en commun, à l'heure où l'Union européenne est décriée et confrontée au Brexit. Il faudra veiller à ce que la PAC de demain ne se contente pas d'accroitre la concurrence entre les États mais continue à favoriser une harmonisation vers le haut, dans les domaines social, environnemental et sanitaire. C'est ce qu'attendent les consommateurs.
M. Benoît Huré. - Je veux aussi saluer le travail de nos rapporteurs. La négociation sera difficile, les enjeux sont conséquents. On a besoin de plus d'Europe, de mieux d'Europe. Or on est en train de démanteler la politique européenne la plus aboutie depuis le début de la construction européenne. Il faut voir les choses en perspective : l'Europe apparaît comme un marché très convoité avec un fort pouvoir d'achat. Si l'on ne parvient pas à construire des politiques communes, on finira très rapidement par ne plus être que les sous-traitants de l'Asie et des États-Unis. Tels sont les enjeux.
Or on aborde le budget de l'Union pour la période 2020-2027, sous l'angle comptable et mercantile, avec une fausse rigueur budgétaire et l'obsession des chiffres, au moment où il serait urgent de construire des politiques communes dans le domaine de la recherche, de la défense, dans le domaine économique, dans le domaine environnemental, de la protection de nos frontières. C'est au niveau européen que nous devons agir si nous voulons être crédibles dans le monde. Nous avons aussi pris du retard dans d'autres secteurs, comme l'intelligence artificielle. Nous ne pourrons répondre à ces ambitions avec un budget constant.
Il importe donc d'imaginer de nouvelles recettes venant alimenter le budget de l'Union : il pourrait s'agir de transferts d'une part de fiscalité nationale ou de recettes nouvelles. L'ambassadrice de France à l'OCDE nous a indiqué que les choses avançaient très vite sur la fiscalisation des activités liées aux GAFA. Grâce à l'accord de la plupart des pays, y compris des États-Unis, on estime que l'on pourrait récupérer, à partir de 2020 ou 2021, un produit fiscal de plus de 150 milliards de dollars, qui aujourd'hui échappent aux différents pays du monde. Cette recette nouvelle pourrait être affectée au budget européen. En attendant, ne modifions pas la PAC de manière brutale, même si des améliorations sont possibles ou souhaitables, car l'alimentation constitue un enjeu majeur pour l'humanité.
Mme Gisèle Jourda. - Comme les autres intervenants, je salue la qualité, la clarté et les ambitions de ce texte. Je veux revenir plus particulièrement sur les aides aux agriculteurs et aux éleveurs en zones défavorisées. Les éleveurs sont particulièrement touchés par la redéfinition de la cartographie. Cette proposition de résolution européenne réaffirme clairement que les demandes formulées dans les résolutions précédentes du 8 septembre 2017 et du 6 juin 2018, qui ciblaient les zones défavorisées, restent d'actualité. Je souhaiterais, de même, que les considérants visent aussi notre résolution du 22 juin 2018, sur les handicaps naturels, qui demande la renégociation des articles 31 et 32 du règlement 1305/2013. Les indemnités de compensation pour handicap naturel sont en effet vitales pour nos jeunes agriculteurs et la survie de nombreuses exploitations.
M. Franck Menonville. - Je félicite le groupe de suivi de la PAC et les rapporteurs, dont le travail démontre l'ambition européenne, agricole et économique de la Haute Assemblée.
Je m'afflige du manque d'ambition de la politique agricole, que l'on percevait déjà dans la précédente réforme de la PAC ; on poursuit un « détricotage » engagé voilà plusieurs années. L'Europe ne sait plus porter de grandes ambitions ; elle doit avoir une vision budgétaire dynamique et soutenir certaines politiques, dont celle de la PAC, qui est fondatrice.
La PAC est constituée de deux piliers, dont il faut souligner la nécessaire complémentarité. Le premier doit être commun, avec le moins de subsidiarité possible. Le second doit être porté par les régions pour constituer une politique d'accompagnement du handicap de certains territoires, afin que l'agriculture soit présente sur l'ensemble des territoires de l'Union.
M. Pierre Cuypers. - L'agriculture est une richesse européenne extraordinaire par rapport aux autres blocs mondiaux. La PAC visait à compenser, au travers de ses aides, ou plutôt ses soutiens, les baisses de prix ; c'était donc, en quelque sorte, une subvention aux consommateurs.
Ces soutiens sont encore indispensables à la production. Ils étaient apportés à chaque exploitation selon sa typologie car notre pays est riche de sa diversité : en montagne, en plaine, sur le littoral. Au fil du temps, la politique agricole commune a évolué et abouti à une répartition en fonction de références départementales et régionales. Aujourd'hui, nous en arrivons à une répartition nationale qui ne doit pas empêcher de respecter les différents types de production. La force de notre pays est d'être capable de faire face à ses besoins alimentaires, c'est peut-être cela qui manque dans le texte ; l'agriculture doit être une agriculture de solutions, alimentaires, non alimentaires - on ne peut pas produire que des biens alimentaires, il faut être capable de transformer - et agro-industrielles. Les économies d'énergie et les agromatériaux doivent être développés. Peut-être faudrait-il l'évoquer.
L'agriculture n'est pas responsable de tous les maux. C'est facile de l'accuser dès qu'il y a un problème, mais ce n'est pas judicieux, d'autant que les normes françaises ne sont pas celles de l'Europe, elles sont plus exigeantes, ce qui nous pénalise. Enfin, l'Union européenne ne doit pas perdre sa compétitivité par rapport au reste du monde.
M. Henri Cabanel. - J'adhère à ce qui a été dit. Je regrette le manque d'ambition de l'Europe sur l'agriculture. Cette dernière concerne pourtant la santé, l'environnement, la biodiversité, l'économie, l'aménagement du territoire et les emplois non délocalisables. Je suis donc heureux que le Sénat porte ce nouveau projet de résolution.
J'ai également une question sincère, qui n'est pas une provocation : beaucoup de puissances investissent des montants importants dans leur agriculture, et, nous, nous « détruisons » la nôtre. À qui profite le crime ? Qui profite du fait que l'on n'ait pas cette ambition, contrairement aux autres puissances ? Le fait que nous fassions l'exact contraire des autres puissances économiques m'interpelle. Au travers de ce manque d'ambition, est-ce que l'on veut affaiblir la France, grande puissance agricole ? Je ne comprends pas cette logique. Quand l'exécutif le veut, il sait convaincre les autres pays, mais il me semble que nous sommes là isolés.
M. Martial Bourquin. - L'indépendance alimentaire est un enjeu essentiel des années à venir. Alors que la Chine et les États-Unis mettent en place un système mondial dans lequel le foncier agricole est un élément déterminant de puissance, je regrette que l'Europe ne porte pas la même ambition dans sa politique, tant industrielle qu'agricole.
Il faut un « réveil » européen, car je m'inquiète des flux financiers qui vont acquérir le foncier agricole en Europe : si notre politique commune n'en tient pas compte, nous subirons une mondialisation débridée au profit de la Chine et des États-Unis.
Le Sénat fournit une réflexion sur ces questions. Il y a une accélération de la mondialisation et, si l'on ne fait rien, on le paiera cher, en France et en Europe. Si l'Union européenne veut conserver sa grandeur, elle doit investir dans la PAC.
M. Jean Bizet, président. - Ce projet de troisième résolution doit être abordé en complément des deux précédentes.
Sur la question budgétaire, il y a bien une baisse globale du budget de la PAC, de l'ordre de 45 milliards d'euros sur la durée du cadre financier pluriannuel - sept ans -, mais cela n'est pas dû qu'à la baisse du solde net britannique. Il y a de nouvelles priorités - la défense, la lutte contre le terrorisme -, dont le financement s'élèverait entre 25 et 28 milliards d'euros.
Le statut des agriculteurs est un vieux débat, qui reste d'actualité. C'est à affiner.
Depuis les débuts de la PAC, la France a défini sa position sur l'agriculture à travers le prisme de l'aménagement du territoire. C'est ce qui a façonné nos paysages. C'était peut-être un handicap à la compétitivité économique, mais c'est globalement bénéfique. Il ne faut pas abandonner cette orientation, on ne peut pas avoir une vision purement économiste et ignorer les autres facteurs ; et la France a bien réussi en la matière.
Il y a effectivement un risque de dérive de la future PAC lié à une subsidiarité excessive, qui nous conduirait à des distorsions de concurrence entre régions. On n'a en outre pas totalement répondu à la question de la sécurité en matière agricole, comme ont su le faire les États-Unis au travers du Farm Bill. La politique agricole interagit avec la politique de la concurrence, même s'il y a eu des corrections, notamment avec la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous. Laissons à cette loi le temps de produire ses effets, mais j'ai du mal à voir le « ruissellement » annoncé dans le secteur du lait, par exemple. Certes, la montagne de poudre de lait a disparu et les marchés seraient plutôt sur une tendance haussière mais ce n'est pas lié à la loi « EGalim ».
Je veux également rétablir quelques éléments factuels sur les normes phytosanitaires. L'Union européenne décide de l'innocuité ou non d'une molécule ; ensuite, chaque État membre valide ou non le produit commercial, qui comporte la molécule et des adjuvants. Un État membre peut donc décider de protéger davantage son consommateur, en interdisant un produit commercial comportant une molécule autorisée. Cela entraîne une forme de distorsion de concurrence car la pression sociétale est plus forte en France qu'ailleurs.
À l'échelon de l'OMC, c'est l'accord sur les sanitaires et phytosanitaires qui s'applique : quand un produit menace la santé des consommateurs, un État membre peut en interdire l'importation d'un pays tiers, au travers de la clause de sauvegarde. J'aimerais que l'on parvienne à plus de convergence au sein de l'Union européenne, en raison de la liberté de circulation des produits en Europe. En effet, avec le marché unique, on peut acheter un produit interdit dans son pays mais autorisé ailleurs. L'Europe a su être très réactive pour le traitement des viandes avariées mais il s'agissait d'une fraude. Il y a des autorités nationales de surveillance, qui coordonnent leur action, mais une autorité européenne de surveillance serait plus efficace.
Madame Cukierman, il existe un socle européen des droits sociaux, qui monte en puissance. Cette directive n'était pas évidente à faire aboutir et il faudra la décliner à l'échelon national. Sur le plan sanitaire, la belle image de l'agriculture française vient de notre grande exigence sur le sujet. D'ailleurs, l'exigence de l'équipe de négociation de Michel Barnier, sur le « Brexit », est liée à sa volonté de protéger le marché unique d'incursions de produits sanitaires non conformes car un produit pourrait entrer dans l'Union européenne par le biais du Royaume-Uni, en vertu d'accords bilatéraux conclus avec des pays tiers.
En ce qui concerne le niveau des dépenses du budget de l'Union, on rêverait de dépasser le seuil de 1,11 % du PIB ; d'ailleurs, dès 1,3 %, on règlerait tous nos problèmes. À titre d'illustration, aux États-Unis, on se situe à 20 % du PIB... Le rapport du groupe d'études présidé par Mario Monti n'a hélas pas résolu le problème du manque de ressources propres.
Enfin, l'agriculture du XXIe siècle doit effectivement être une agriculture de solutions, comme Pierre Cuypers l'a bien dit : solutions agroalimentaires - il faut se nourrir, l'indépendance alimentaire sera essentielle - ou non alimentaires - la chimie verte, qui balbutie. D'où la remarque de Martial Bourquin, sur le risque des investissements directs étrangers. La terre, la surface agricole, est essentielle. L'achat de terres en Europe et en Afrique par les Chinois n'est pas anodin.
Or la stratégie européenne s'inscrit à contrecourant de celle des autres puissances, comme le souligne Henri Cabanel, et la France doit tirer la sonnette d'alarme.
M. Claude Haut, rapporteur. - On le voit avec les différentes interventions, nous sommes très largement rassemblés sur le sujet de la réforme de la Politique agricole commune. Cela dit, l'histoire ne se termine pas aujourd'hui car il est possible que l'on doive y revenir, si aucun accord n'intervient avant les élections au Parlement européen du 26 mai prochain. Nous serions dès lors peut être amenés à contribuer encore à cette question.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Merci de la richesse de vos contributions, mais cette troisième résolution n'efface pas les précédentes, celles du 8 septembre 2017 et du 6 juin 2018. Nous y avions évoqué l'importance du renouvellement des générations - la Commission a finalement pris en compte cet aspect dans son projet de réforme -, et nous avions souligné le problème des prix - et il y a aussi eu des avancées, notamment sur la concurrence européenne. La résolution du 6 juin 2018 confirmait notre « attachement au soutien des zones défavorisées, ainsi qu'aux enjeux de la préservation de l'emploi et de la diversité des territoires, dans la conception et le fonctionnement de la politique agricole commune », ainsi que notre « attachement aux mesures spécifiques de soutien à l'agriculture dédiées aux régions ultrapériphériques ». Nos trois résolutions se complètent donc : inutile de répéter ce que l'on a déjà dit dans les textes antérieurs.
Je relèverais également plus particulièrement un autre point important de notre nouvelle proposition de résolution, lequel fait suite à nos travaux sur la loi EGalim portant sur l'exigence de respect des normes européennes de production par les importations.
Sur le statut de l'agriculteur, il y a là un véritable travail à mener à bien, mais il sera difficile à conduire à l'échelon européen. Un paysan allemand n'a rien à voir avec un paysan français. On peut toutefois imaginer que la France fasse des propositions pour définir ce qu'est un agriculteur.
Enfin, nous n'aurons pas raison seuls. Il serait bon que l'on prenne notre « bâton de pèlerin » auprès des autres pays de l'Union européenne, pour les sensibiliser à nos positions. Enfin, la France sera plus forte si elle est unie. Je me prononce donc en faveur d'un débat en séance publique avec le ministre, de sorte que l'on définisse une position unanime de notre pays.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Je vous invite à faire attention à la partie administrative de la mise en oeuvre de la PAC, qui risque bel et bien d'aboutir à vingt-sept politiques agricoles. J'ajoute que les États membres sont divisés sur ce sujet. Le nord de l'Europe pourrait abandonner cette politique et nous ne pouvons pas considérer l'Allemagne comme un soutien fort. Ce sont plutôt le sud et l'est de l'Union européenne qui apparaissent comme des alliés potentiels.
C'est vrai, nous devons être unis, le Gouvernement doit nous écouter et défendre notre position dans les négociations. La politique de la chaise vide serait inenvisageable.
Il y a des associations qui réclament de « manger plus sain » mais qui sont contre toute production près de chez eux. Quand on ne produira plus rien en France, on se posera des questions sur la sécurité alimentaire !
Enfin, chaque filière a des difficultés ; il faut donc défendre l'agriculture globalement. On doit être unis en France et en Union européenne.
M. Franck Montaugé, rapporteur. - Je partage presque toutes les opinions exprimées. Je signale que, dans la note qu'il a fait parvenir à nos partenaires en décembre 2018, le Gouvernement français demande le maintien du budget de la PAC en euros courants et non constants. C'est une divergence importante avec notre résolution, car, en 2027, un euro n'aura plus le même poids qu'aujourd'hui.
En outre, le Gouvernement souhaite, comme nous tous, que le premier pilier relève intégralement du budget européen mais en même temps il fait de la contribution des régions la variable d'ajustement du deuxième pilier. Où les régions trouveraient-elles l'argent ?
Enfin, il a été question de subsidiarité. Dans le Gers, des agriculteurs ne sont plus éligibles à l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), en raison d'interprétations surprenantes de la carte des zones défavorisées. Cela augure mal de la subsidiarité accrue qui nous est promise. Il y a eu des discussions à ce sujet avec le Gouvernement et le commissaire européen. Peut-être déposerons-nous in fine un recours.
Mme Sophie Primas, présidente. - Voici les modifications que je vous propose pour tenir compte de vos remarques.
Je propose l'insertion, après l'alinéa 18, d'un alinéa 18 bis ainsi rédigé : « Constate que ce recul va bien au-delà des seules conséquences financières du retrait de l'Union européenne du Royaume-Uni, qui explique à peine la moitié de la diminution proposée ».
M. Laurent Duplomb. - La résolution tend à démontrer que l'on a besoin d'un budget correct pour la PAC. Si l'on commence par accepter que 25 milliards d'euros puissent servir à autre chose que la PAC, il ne sert à rien de voter une résolution... Un budget constant doit correspondre à 408 milliards d'euros, dont on défalque les 18 milliards d'euros correspondant aux fonds destinés au pays sortant. Ce n'est pas à nous de proposer une diminution de 25 milliards supplémentaires pour faire d'autres politiques.
Mme Sophie Primas, présidente. - On avait bien compris ; je veux savoir s'il y a des objections à cette rédaction.
M. Jean Bizet, président. - Monsieur Duplomb, j'expliquais simplement la différence - on demande à l'Europe de mener d'autres politiques, notamment en matière de sécurité, tout en diminuant les contributions - je ne disais pas que j'étais d'accord.
M. Jean-Claude Tissot. - Monsieur Bizet, vous dites que l'« on » demande de réorienter le budget de l'Union européenne vers la défense, mais c'est le Gouvernement français, le Président de la République, qui le demandent. Chacun doit prendre ses responsabilités.
Mme Sophie Primas, présidente. - Après l'alinéa 21, je vous propose un alinéa 21 bis, ainsi rédigé : « Réaffirme son attachement à l'indispensable reconnaissance des handicaps naturels qui permet le maintien de l'agriculture sur l'ensemble des territoires européens ».
Mme Gisèle Jourda. - Et de l'élevage !
Mme Sophie Primas, présidente. - C'est inclus dans l'agriculture.
Mme Sophie Primas, présidente. - La troisième modification vise à rédiger ainsi l'alinéa 33 : « Rappelle, en conclusion, que la Politique agricole commune a rempli, depuis 1962, un rôle fondateur essentiel pour l'Union européenne et mérite toujours d'être considérée comme une priorité stratégique, ne serait-ce qu'au regard de l'impératif de sécurité alimentaire des citoyens européens, ainsi que des enjeux industriels du XXIe siècle ; »
Mme Sophie Primas, présidente. - Enfin, je propose d'inclure un alinéa 7 visant « la résolution européenne n°127 (2017-2018) du Sénat, en date du 22 juin 2018, demandant la renégociation par le Gouvernement des articles 31 et 32 du règlement (UE) n° 1305/2013 relatifs aux handicaps naturels ».
M. Marc Daunis. - On a évoqué la construction du rapport de force en Europe. Ne serait-il pas opportun de fournir aux présidents de chaque groupe d'amitié parlementaire une note expliquant nos positions, tout en l'adaptant en fonction de la réalité de la situation et des intérêts du pays partenaire ? Chaque groupe pourrait ainsi relayer auprès de ses homologues notre position. Nous utilisons trop peu l'instrument de la diplomatie parlementaire.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nos deux commissions vont désormais examiner cette proposition de résolution séparément. Avec Jean Bizet, nous allons demander au Président Larcher l'organisation d'un débat en séance. Il est important que le ministre de l'agriculture entende à nouveau notre position.
M. Jean Bizet, président. - Monsieur Daunis, vous avez anticipé mes propos. À la commission des affaires européennes, nous avons toujours gardé un contact avec les conseillers agricoles des 27 ambassades de nos partenaires européens. Nous les rencontrons régulièrement. Le vote sur la PAC se fera à la majorité qualifiée : nous devons ainsi réunir le vote de 55 % des États membres, soit 16 États, représentant 65 % de la population. Pour obtenir une minorité de blocage, il faut recueillir le vote d'au moins quatre États membres représentant 35 % de la population. Nous réunirons les conseillers agricoles des ambassades et recueillerons leurs impressions, dans le cadre d'un échange informel. Je proposerai de créer aussi un groupe des « pays amis » de la PAC et de les réunir au Sénat. Il importe de convaincre et de ne pas rester entre soi. La politique de la chaise vide serait inefficace. Mais le combat ne sera pas facile. J'ai constaté, lors des réunions de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), que l'Allemagne avait déjà « basculé » dans le camp des pays ultralibéraux rejoignant les pays du Nord. Nous sommes dans le camp des pays du Sud avec les pays d'Europe de l'Est, de l'Italie, de l'Espagne.
En conclusion, nous redoutons que la réforme en préparation n'aboutisse de facto à terme à 27 « Politiques agricoles communes nationales ». Cette notion, à tous égards antinomique, marquerait la fin de la PAC telle qu'elle a été conçue et appliquée depuis l'origine, en 1962. Lors de contacts informels récents, certains parlementaires d'autres États membres ne m'ont pas caché leur crainte ou, pour certains d'entre eux, le constat quasi « clinique » qu'ils faisaient d'une mort programmée de la PAC. Cette politique, à laquelle nous, Français, tenons tant, serait ainsi amenée à perdre ses soutiens politiques au fil du temps. Nous devons arrêter cet engrenage fatal !
En dernière analyse, la question posée, à ce stade des négociations, consiste à déterminer s'il sera encore possible d'améliorer sensiblement le projet de réforme, tel qu'il sera laissé par l'actuelle Commission Juncker. Plus le processus d'élaboration sera avancé, plus il deviendra difficile d'en infléchir l'économie générale. Pourtant, une réorientation substantielle de la réforme semblerait concevable, à partir de l'été 2019. Tout dépendra de l'ampleur des points restant en discussion au terme des travaux de la présidence roumaine du Conseil de l'Union européenne, fin juin 2019. Si le degré de consensus atteint devait être encore faible à cette date, ce qui est fort probable, une fenêtre d'opportunité pour en renégocier les termes deviendrait envisageable.
Dans cette perspective, le nouveau mode de mise en oeuvre de la PAC apparaît comme un sujet en soi, compte tenu des risques qu'il représente à moyen terme pour la substance même de la Politique agricole commune. Le plus sage serait d'y renoncer. En revanche, le reste des dispositions, présentées depuis le 1er juin 2018 par la Commission européenne, demeure tout à fait amendable.
Mme Sophie Primas, présidente. - En dépit de sensibilités partisanes différentes, nous sommes parvenus à un consensus. Cela prouve que le débat politique européen serait mieux perçu par nos concitoyens si nous mettions en avant des enjeux aussi importants que celui de la souveraineté alimentaire ou de l'avenir de la PAC. Je vous remercie.
M. Jean Bizet, président. - Je constate, avant de mettre un terme à cette réunion, que la présente proposition de résolution européenne ainsi amendée a été adoptée à l'unanimité.
À l'issue du débat, la proposition de résolution européenne est adoptée à l'unanimité. Est autorisée la publication du rapport d'information et ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 55.