Jeudi 14 février 2019

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Audition de Mme Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone de femmes autistes et du docteur Muriel Salmona, psychiatre, psycho-traumatologue

Mme Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur les violences faites aux femmes en situation de handicap. Nous recevons aujourd'hui Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone de femmes autistes (AFFA), que nous remercions très chaleureusement pour sa présence avec nous ce matin. Cette audition fait suite à la table ronde que nous avons organisée le 6 décembre dernier. Notre délégation a souhaité inscrire ces violences spécifiques à son programme de travail, considérant qu'il s'agit d'un « angle mort » de la lutte contre les violences faites aux femmes, pour reprendre le mot de notre collègue Laurence Rossignol.

Nous avons constitué, pour conduire cette réflexion, un groupe de travail associant diverses sensibilités politiques représentées par notre assemblée. Les co-rapporteurs sont donc (par ordre alphabétique) :

- Roland Courteau, pour le groupe Socialiste et républicain ;

- Chantal Deseyne, pour le groupe Les Républicains ;

- Françoise Laborde, pour le groupe du Rassemblement démocratique social et européen ;

- Dominique Vérien, pour le groupe Union centriste.

La table ronde du 6 décembre 2018 a conforté notre conviction que le regard de la société sur les femmes en situation de handicap doit changer, car elles sont doublement victimes d'une violence trop souvent méconnue et difficile à dénoncer, a fortiori quand elle implique l'entourage proche ou des professionnels des structures d'accueil.

J'en viens plus précisément à la situation des femmes autistes. À la fin de la table ronde du 6 décembre, un message de Marie Rabatel nous a été lu, attirant notre attention sur le fait que la proportion de victimes de violences sexuelles parmi les femmes autistes s'élèverait à 90 %. Il s'agit, je cite son propos, de « viols massifs » atteignant un « degré insupportable de violence ». Or ces violences spécifiques sont encore taboues dans notre pays. Il était donc important que nous intégrions à notre réflexion cette dimension spécifique des violences faites aux femmes en situation de handicap.

Pour nous éclairer, Marie Rabatel est accompagnée du Docteur Muriel Salmona, psychiatre, psycho-traumatologue, présidente de Mémoire traumatique et victimologie. Notre délégation a eu l'occasion de travailler avec le Docteur Salmona en 2016 dans le cadre d'un rapport d'information présentant le bilan de l'application des lois contre les violences au sein des couples. Docteur, nous apprécions de pouvoir bénéficier cette fois encore de votre expertise sur un sujet qui nous tient particulièrement à coeur.

Je tiens également à souhaiter la bienvenue à Antoine Rabatel, qui a accompagné sa mère jusqu'à nous, ce dont nous le remercions.

Mme Rabatel, je vous donne sans plus tarder la parole pour nous parler de la vulnérabilité particulière aux femmes autistes. Vous allez évoquer une étude conduite très récemment sur le sujet, mettant en évidence des statistiques accablantes sur la prévalence des violences dont sont victimes les femmes autistes. Nous vous écoutons.

Mme Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone de femmes autistes (AFFA). - Bonjour et merci de m'avoir invitée. Je vais parler brièvement de notre association. Nous sensibilisons les pouvoirs publics à la spécificité de l'autisme au féminin, qui est bien différente de l'autisme au masculin. En effet, nous rencontrons des difficultés particulières, comme le sous-diagnostic. Étant donné que la majorité des outils de diagnostic ont été réalisées à partir de cas masculins, les femmes passent à travers et se trouvent confrontées à une forme de violence médicale : elles seront diagnostiquées à tort de bipolarité, de schizophrénie ou de maladie mentale très importante. Elles recevront des traitements inadaptés et seront hospitalisées sous contrainte en psychiatrie.

Nous essayons également de sensibiliser à une autre problématique : le fait d'être mère et autiste. Quand une femme autiste est mère, elle fait presque systématiquement l'objet d'un signalement préoccupant de l'Aide sociale à l'enfance (ASE), comme si elle était incapable de s'occuper de son enfant. De nombreuses mères se voient retirer leurs enfants parce qu'elles sont célibataires et que l'ASE juge qu'elles ne sont pas capables de s'occuper d'eux.

Un troisième point doit également être souligné. Il s'agit de la sensibilisation à la violence que nous pouvons subir en tant que femme et que personne handicapée. Les médias parlent souvent de l'autisme, mais principalement des enfants autistes. Les adultes autistes sont très souvent oubliés. Or l'autisme ne s'arrête pas à 18 ans ! On est donc confronté à une grande vulnérabilité de ces personnes, notamment en cas de violences conjugales. Le fait que l'Allocation adulte handicapé (AAH) soit calculée sur les revenus du ménage, par exemple, nous met dans une situation de dépendance financière. Nous sommes parfois obligées de subir des violences conjugales pour avoir de quoi vivre et tout simplement ne pas nous retrouver à la rue. Les personnes handicapées ne gagnent pas beaucoup d'argent... Nous devons nous accommoder de cette violence conjugale et la vivre au quotidien, juste pour pouvoir rester chez nous.

Concernant les violences sexuelles, je vous ai fait parvenir l'étude réalisée dans le cadre du Congrès de l'encéphale, un congrès scientifique axé sur la psychiatrie réunissant 5 000 à 6 000 psychiatres. Nous avons proposé une étude réalisée avec la Fondation Pierre Deniker - Recherche et Prévention sur la vulnérabilité des femmes autistes. Les résultats se sont montrés catastrophiques. Il n'est plus possible de dire que cela n'existe pas en France. Une étude canadienne montrait que 90 % des femmes autistes étaient victimes de violences sexuelles. Lorsque je la citais, on me répondait que la situation en France était différente. Notre étude montre pourtant que 88 % des femmes autistes en France sont victimes de violences sexuelles, dont 51 % avec pénétration sous contrainte et 31 % qui se disent victimes de viol. Ces chiffres soulignent d'ailleurs le fort déni autour de la notion et la compréhension du viol. Ils montrent surtout que la majorité des femmes autistes françaises sont victimes de viol.

Notre étude apporte également des données sur l'âge des victimes. Ainsi, 47 % des filles autistes de moins de 14 ans ont subi une agression sexuelle et 39 % des enfants de moins de 9 ans. Ces chiffres sont plus qu'alarmants.

Pourquoi arrivons-nous à de tels résultats ? Tout le monde entend parler de l'autisme, mais personne ne sait exactement ce que cela signifie. La majeure partie de la société entretient des préjugés et pense que l'autisme est visible physiquement, par exemple. Or l'autisme ne se voit pas, il est un handicap invisible. Cela fait de nous la proie idéale, d'autant plus que nous avons la spécificité de ne pas comprendre les sous-entendus ou l'implicite. Nous pouvons nous retrouver dans une situation de danger sans nous en rendre compte. Les agresseurs le comprennent bien et ne ciblent pas leurs proies au hasard. Notre vulnérabilité est évidente.

Le plus grave cependant, c'est ce qui se passe pour les victimes de viol, à savoir la partie psycho-traumatologique. Je laisserai Muriel Salmona en parler, mais il faut savoir qu'une personne autiste fonctionne par le biais d'images. Notre mémoire est ainsi faite que nous nous rappelons les détails : nous avons besoin de relier tous les détails d'une situation pour en comprendre la globalité. Les non-autistes fonctionnent inversement et ont d'abord une vision d'ensemble avant d'entrer dans le détail.

Par ailleurs, en tant qu'handicapées, nous sommes mises dans une position de soumission dès la naissance. C'est déjà le cas pour les autres enfants, qui subissent de nombreuses injonctions. Or ces injonctions se poursuivent à l'âge adulte pour les personnes en situation de handicap. Les autistes, de plus, rencontrent souvent des difficultés pour choisir. La société propose beaucoup de choix : or la notion de choix est compliquée pour nous. Choisir une option suppose d'abandonner toutes les autres. Toutes ces raisons font que la personne autiste se construit selon un schéma de soumission. Cela est valable pour toutes les personnes qui sont nées handicapées. Nous sommes dans un apprentissage de la soumission, indépendamment de la bonne volonté des parents. Ce phénomène est majoré par l'autisme, en raison de nos difficultés de compréhension et d'expression. La douleur est compliquée à exprimer pour nous. Par conséquent, les gens s'expriment souvent à notre place.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup, Madame Rabatel, pour ce témoignage. Nous allons passer la parole au Docteur Salmona pour évoquer l'impact spécifique des violences sur les femmes autistes en termes de psycho-traumatisme. Les rapporteurs vous poseront ensuite des questions.

Docteur Muriel Salmona, psychiatre, psycho-traumatologue, présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie. - Merci de nous donner la parole. Nous souhaitons vous faire partager la réalité sur laquelle, ensemble, nous essayons d'alerter depuis longtemps. J'avais déjà dû vous faire part de la réalité des femmes handicapées et des violences qu'elles subissent. Nous savions déjà, avec Maudy Piot, qui est malheureusement décédée, mais qui se battait pour cela, que les femmes handicapées avaient quatre fois plus de risques de subir des violences dans le cadre des violences faites aux femmes. Les dernières études montrent que ce risque est en réalité multiplié par six, en particulier dans le cas de femmes en situation de handicap mental. Comme vous le savez, les principales victimes des violences sexuelles sont les enfants, ce qui se retrouve pour les personnes handicapées.

Je vous ai apporté un document que nous avons présenté avec Marie Rabatel lors de plusieurs colloques. Il donne une bonne lecture de cette problématique. Marie vous a expliqué à quel point les personnes qui souffrent de troubles de l'autisme sont ciblées et vulnérables à toutes les formes de violences. En effet, on parle spécifiquement des violences sexuelles aujourd'hui, mais il s'agit fréquemment de poly-victimisation : toutes les autres formes de violences sont concernées. Toutefois, les femmes autistes subissent de plein fouet les violences sexuelles, comme les chiffres le montrent : 88 % des femmes autistes en sont victimes selon l'étude réalisée en France et 90 % selon des études internationales.

L'impact des violences sexuelles, et particulièrement du viol, est catastrophique pour toutes les victimes, mais il s'avère d'autant plus important si les victimes sont jeunes. Je vous avais d'ailleurs précisé que 81 % des victimes de violences sexuelles ont moins de 18 ans, 51 % moins de 11 ans et 21 % moins de 6 ans. Les prédateurs ciblent avant tout les personnes vulnérables. Par conséquent, ils choisissent a fortiori les personnes ayant un handicap mental ou des troubles de l'autisme. L'impact psycho-traumatique sera plus important pour ces personnes jeunes ou vulnérables et aggravera les symptômes de l'autisme et leur pathologie. Les troubles psycho-traumatiques peuvent apparaître facilement comme des troubles de l'autisme pour des personnes qui ne sont pas formées et qui ne s'interrogeront pas sur une éventuelle aggravation des troubles, et encore moins sur les raisons de cette aggravation. Ces personnes penseront au contraire que la maladie est en cause. Cela est valable également pour les personnes ayant des maladies neurologiques, des handicaps ou des maladies psychiatriques. Toute aggravation est mise sur le compte de la maladie elle-même, sans que soit réalisé de dépistage systématique, sans que l'on cherche à savoir ce qui est arrivé.

En plus des aggravations des pathologies et des maltraitances institutionnelles, le fait d'avoir des troubles psycho-traumatiques importants aggrave également la vulnérabilité de la personne. Le lien entre les violences sexuelles et les troubles psycho-traumatiques a été maintes fois prouvé dans de nombreuses études. Certains symptômes, qui sont des mécanismes de sauvegarde neurologiques que le cerveau met en place, se développent. Il peut s'agir de dissociation traumatique et de mémoire traumatique. La dissociation traumatique est une anesthésie émotionnelle et physique, une déconnexion. Elle engendre des troubles cognitifs importants et augmente la vulnérabilité des personnes. Elle décuple les problématiques des personnes autistes. En outre, la mémoire traumatique fait que les victimes sont continuellement envahies par ce qu'elles ont subi. Les personnes ne peuvent pas mettre des mots sur ce qu'elles ont subi, mais de nombreux symptômes pourront être identifiés par quelqu'un qui a été formé au psycho-trauma. Une personne qui se préoccupe de ces questions pourra ainsi identifier des troubles du comportement qui traduisent une mémoire traumatique, ainsi que des symptômes de souffrance et une situation alarmante.

Notre enquête montre que le facteur de risques le plus important de continuation des violences est d'en avoir déjà subi. En effet, un enfant qui a déjà subi des violences sexuelles et qui présente des troubles psycho-traumatiques risque fortement d'en subir à nouveau tout au long de sa vie. Environ 70 % des personnes qui ont subi des violences sexuelles en subiront à nouveau. Ce pourcentage est supérieur à 80 % pour les personnes autistes. Cela aggrave les psycho-traumatismes et les risques de vulnérabilité.

Les conséquences sont très importantes sur la santé mentale. Les personnes qui ont subi dans l'enfance des violences sexuelles disent à 96 % que ces violences ont eu un impact important, voire très important, sur leur santé mentale. Ces conséquences comprennent des risques de dépression ou de passage à l'acte suicidaire, mais aussi des conduites auto-violentes, des mutilations et, de manière générale, une souffrance importante. En outre, certains troubles qui s'apparentent à des troubles du comportement traduisent en réalité une détresse totale. Les conséquences peuvent également être d'ordre physique, par exemple au niveau cardio-vasculaire, pulmonaire, digestif ou immunitaire. Les victimes risquent de développer, par exemple, une hypertension artérielle ou du diabète. Il s'agit d'un facteur de risques majeur et d'une perte de chance effroyable. Nous nous battons, car tout cela pourrait être évité.

Les symptômes des pathologies se trouvent donc aggravés par les violences sexuelles. Plus les victimes sont vulnérables, plus elles se trouvent exposées aux tortures que sont les violences sexuelles, pour reprendre la définition de la Cour européenne des droits de l'homme, qui parle d'actes « cruels, dégradants et inhumains ». La mémoire traumatique fait que les victimes vivent de réelles tortures. Pourtant leur souffrance ne sera jamais reconnue comme étant liée à des actes de cruauté et de torture, mais comme inhérente à leur handicap. Cette situation est d'une injustice terrible.

Il faut donc protéger les victimes au niveau institutionnel et à tous les autres niveaux. Il est indispensable de mettre en place un dépistage afin d'agir le plus tôt possible, en repérant un enfant qui présente des troubles de l'autisme et qui vient de subir des violences sexuelles. Cet enfant doit être protégé et recevoir des soins adaptés, qui fonctionnent. Il est possible de traiter les psycho-traumatismes pour les enfants et les personnes qui ont des troubles de l'autisme. Ensuite, nous pourrons repérer les agresseurs.

Les agresseurs qui attaquent des enfants ou des personnes souffrant de handicaps graves sont des gens extrêmement dangereux. Ils jouissent d'attaquer les personnes les plus fragiles et qui devraient être les plus protégées. On ne peut pas dire que les enfants sont victimes de violences parce qu'ils ne savent pas se défendre. On entend parfois qu'il faut apprendre aux personnes autistes à dire non. Cette affirmation témoigne d'une forme de naïveté, car il est particulièrement difficile aux personnes autistes de manifester leur opposition. De plus, le prédateur passera outre ce « non », évidemment, et la victime ne pourra sans doute pas s'opposer lorsque l'agresseur passera à l'acte, du fait de l'état de sidération propre à ces situations et de la stratégie de l'agresseur. Après l'agression, elle ne pourra pas parler, puisqu'elle pensera qu'elle n'aura pas su se défendre elle-même alors qu'on lui avait expliqué comment le faire. Un sentiment de culpabilité s'ajoutera à sa souffrance.

Les prédateurs font énormément de victimes, parfois des centaines pour un seul agresseur. Si on les repère et si on les arrête, on peut donc sauver des centaines d'enfants.

J'insiste sur ce point, car j'ai relu tous les articles internationaux pour préparer cette audition. Les conclusions de ces articles prennent acte que les personnes qui ont des troubles mentaux sont plus exposées aux violences sexuelles et en concluent qu'il faut leur apprendre à se défendre. Il est évidemment important d'informer les enfants, mais ce constat est d'une immense crédulité face aux mécanismes qu'utilisent les prédateurs. Une personne qui a des troubles neuro-développementaux restera plus facile à manipuler. L'enquête Virage montre d'ailleurs que la stratégie principale utilisée par les agresseurs sexuels envers les enfants de moins de 15 ans est la manipulation, et non la contrainte par exemple. Les agresseurs sont maîtres dans l'art de manipuler. De ce fait, apprendre aux victimes potentielles à se défendre ne présente pas vraiment d'intérêt pour elles.

Enfin, les psycho-traumatismes liés aux violences sexuelles affectent 100 % des victimes ayant des troubles mentaux ou neuro-développementaux. Ces troubles incluent la dissociation traumatique, qui est un mécanisme de survie face aux violences. Elle perdure tant que la personne est confrontée aux agresseurs, par exemple dans les institutions ou dans la famille. Or la dissociation aggrave la déconnexion et l'anesthésie émotionnelle. Habituellement, les gens ont des difficultés à ressentir de l'empathie pour les personnes autistes. L'empathie fonctionne avec des neurones-miroirs. Lorsque nous sommes devant quelqu'un qui souffre, nous ressentons sa souffrance et nous sommes amenés à agir. Toutefois, si nous sommes face à quelqu'un qui est très traumatisé et qui souffre d'une anesthésie émotionnelle causée par la dissociation, nous risquons de ne rien ressentir si nous ne sommes pas formés à percevoir ces indices. Cela aboutit à une indifférence totale de la part de la société. Notre étude établit d'ailleurs que 83 % des personnes qui ont subi des violences ne sont jamais reconnues, protégées ou soutenues. Cette situation est pire en cas de handicap.

Il est donc nécessaire de suivre des formations. Comme je viens de le dire, des personnes non sensibilisées pourront penser que les victimes en état de dissociation ne ressentent rien. Une étude qui a été faite à Nantes a montré que certains enfants qui avaient des fractures n'avaient reçu aucun traitement antalgique. Il s'agissait d'enfants qui avaient subi des violences sexuelles ou qui avaient été maltraités. La mémoire traumatique, en outre, fait revivre les pires souvenirs aux victimes, qui développent des stratégies d'échappement. La première d'entre elles est d'essayer d'éviter toute interaction, de se calfeutrer, de ne plus parler. Si un soignant ou un éducateur exerce les violences, la victime n'aura plus confiance en personne. Elle ne pourra pas dire si elle souffre. Certaines victimes ne pourront plus se laver si les violences ont eu lieu pendant les soins. D'autres ne voudront plus manger parce qu'elles auront subi des violences sexuelles au niveau de la sphère orale et qu'il leur est insupportable d'avaler le moindre aliment. Il peut aussi arriver qu'elles se mettent à hurler dans certains lieux. Ces comportements seront toujours associés à leur handicap plutôt qu'à une présomption de violence.

Les situations qui rappellent aux victimes les violences qu'elles ont subies génèrent donc des souffrances intolérables. Lorsque personne ne comprend ou ne protège les victimes, celles-ci s'anesthésient complètement en exerçant des violences contre elles-mêmes. Les symptômes d'automutilation ou de mise en danger dans la vie courante sont très fréquents. La mise en danger crée un état traumatique qui déclenche une nouvelle dissociation, ce qui représente parfois la seule solution pour ces victimes. À nouveau, la dissociation aggravera les troubles psycho-traumatiques et autistiques. Cela montre à quel point le piège se referme sur les victimes. Les gens deviennent alors de plus en plus indifférents, violents ou maltraitants vis-à-vis d'elles.

Il est donc indispensable de protéger les victimes et de former les professionnels à ces connaissances spécifiques. Il convient également d'affirmer la volonté que ces crimes et ces délits aggravés ne restent pas impunis, ce qui est actuellement le cas. Si la mère d'un enfant autistique essaie de signaler des faits, les autorités ne la croiront pas et considéreront par exemple qu'elle est trop angoissée. J'ai signalé moi-même de nombreux cas, et cela n'a pas eu d'effet, en dépit de ma notoriété comme spécialiste des violences sexuelles.

Mme Maryvonne Blondin. - Effectuez-vous des signalements au procureur de la République ?

Dr Muriel Salmona. - Oui, mais rien ne se passe. J'ai connaissance de dossiers avec dix signalements concernant des personnes en situation de grande vulnérabilité. Pour rappel, 73 % des affaires de viols très graves sont classées sans suite. Si le récit de la personne, enfant ou adulte, n'est pas utilisable dans un cadre judiciaire parce qu'il est décousu, l'affaire est classée sans suite. Cela signifie que les dossiers concernant les personnes les plus vulnérables et les plus impactées sont classés sans suite. La sociologue Véronique Le Goaziou a réalisé des études très éclairantes sur ce sujet. Le classement sans suite n'arrive pas nécessairement pour défaut d'infraction, mais parce que la justice estime ne pas avoir d'éléments pour poursuivre. Il devrait donc y avoir une obligation d'enquête et de poursuite. Sur un plan humain, il n'est pas possible de classer sans suite de telles affaires.

Je travaille beaucoup avec des médecins à Strasbourg, où un travail conséquent est réalisé sur ce sujet. Il est absolument indispensable de voir les choses autrement. Nous n'avons pas le droit de ne rien faire. Cela est d'une cruauté absolue et signifie que nous ne ferons rien pour les autres victimes, qui ne manqueront pas.

Mme Marie Rabatel. - J'aimerais vous donner un exemple concret de ce qui se passe sur le terrain. Onze enfants ont été victimes d'agressions sexuelles, et notamment de viol par sodomie, commis par des éducateurs dans une institution. Les parents ont porté plainte contre celle-ci, mais on leur a fait comprendre qu'ils risquaient de se retrouver avec leur enfant à charge. L'institution les a également menacés de faire un signalement à l'ASE pour refus de scolarisation. Lorsque l'enquête a été lancée, elle a été classée sans suite, car les enfants ne verbalisent pas, malgré tout ce qui peut être fait au niveau de l'écoute. Les dires des enfants, mais aussi la communication non verbale, n'ont pas été véritablement pris en compte par la gendarmerie. Tout a été interprété de manière décousue.

Au final, trois parents ont fait appel et ont retiré leurs enfants de l'institution. Les autres enfants y sont toujours et restent exposés à l'environnement où ils ont vécu des tortures. Cela ne peut qu'entraver leur parcours vers l'autonomie. Les trois parents ont reçu un signalement de l'ASE pour maltraitance, au motif qu'ils priveraient leur enfant de scolarité.

Dr Muriel Salmona. - Nous connaissons de nombreuses situations similaires. Il s'agit d'actes inhumains, de torture. L'État doit exercer ses responsabilités. Pourtant, il est possible d'agir. Il n'existe pas de fatalité. Les prédateurs vont dans ces institutions, car ils savent qu'ils ne risquent rien. Ils ne sont pas fichés, puisqu'ils n'ont jamais été inquiétés. Pour rappel, les chiffres concernant les adultes indiquent que 12 % des victimes portent plainte et que 73 % des affaires sont classées sans suite. Au total, seules 10 % des plaintes aboutissent à un jugement, ce qui ne signifie pas qu'il y ait condamnation. En croisant ces chiffres avec nos évaluations du nombre de mineurs qui subissent des violences sexuelles et des viols, on peut estimer que 4 % seulement des victimes portent plainte et que 0,3 % des affaires sont jugées en cour d'assises. L'impunité est donc totale ! Les prédateurs ne risquent absolument rien...

Il faut le savoir, les prédateurs font des photos ou des films, ils diffusent leurs agressions. Cette prédation est totalement inhumaine. Ils cherchent à agresser ce qui est le plus précieux, qu'il s'agisse d'un bébé ou de personnes vulnérables. Pendant longtemps, la société pensait que les enfants qui subissaient des crimes ne comprenaient pas ce qu'il leur arrivait et qu'ils oublieraient ces faits. En effet, une amnésie traumatique peut survenir. Mais l'oubli est en soi un symptôme traumatique. En outre, les enfants peuvent être traumatisés même s'ils ne comprennent pas une situation. Nous constatons tous les jours que les phénomènes les plus incompréhensibles sont en réalité les plus impactants. Quand nous comprenons ce qui se passe, nous pouvons calmer le traumatisme.

Quelle vision du monde ces victimes auront-elles ? Quelle confiance accorderont-elles à la société alors qu'elles sont enfermées dans leur souffrance et leur solitude, sans pouvoir parler ?

J'aimerais évoquer la question des auditions des victimes. Je travaille avec la gendarmerie sur la mallette MAEVAS qui concerne les éléments d'audition. Tout ce qui existe actuellement est pensé pour des enfants qui ne sont pas traumatisés. Les dispositifs sont donc totalement inadaptés. Les questions relatives aux droits de la défense et à la présomption d'innocence des accusés sont toujours prises en compte, mais ce système ne permet pas d'obtenir d'informations satisfaisantes. Il faudra former les professionnels pour qu'ils effectuent des dépistages systématiques de situations de violence et qu'ils apprennent comment parler aux victimes, comment leur poser les questions afin de produire des réponses utilisables.

Mme Marie Rabatel. - En effet, la manière de poser les questions a une grande importance. Trop souvent, les questions sont posées de manière ouverte. Or il est difficile pour les personnes autistes de répondre à ce type de questions, car cela laisse un trop grand éventail de réponses possibles. Je fais partie du groupe de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) consacré aux femmes handicapées. Nous souhaitons créer un outil adapté aux femmes autistes et accessible à tout le monde. Si vous demandez à une personne autiste de répondre par oui ou par non, vous obtiendrez une réponse, qui sera la bonne. En revanche, si vous posez une question ouverte, vous recevrez une réponse faussée. Il s'agira d'un cumul de détails et l'interlocuteur aura l'impression de ne pas comprendre cette réponse.

Souvent, les questions peuvent avoir un double sens pour nous. Je prends un exemple. La question « Est-ce que vous avez pris un coup ? » peut être mal comprise par une personne autiste en raison de l'homophonie entre les mots « cou » et « coup ». La réponse peut donc se trouver en total décalage avec la question posée par un policier ou un gendarme. J'essaie de faire passer le message que nous devons trouver des outils pensés pour les personnes autistes. Ces outils pourront d'ailleurs être valables pour toutes les personnes de la société, aussi bien les personnes handicapées que non handicapées, les personnes migrantes que non migrantes, les personnes francophones que non francophones.

Nous avons réalisé un outil de prévention sous forme de pictogramme avec le Planning familial. Ce type de présentation permet une lecture accessible à tous. Quand on sait faire pour les plus faibles, on sait faire pour tout le monde.

Dr Muriel Salmona. - J'aimerais rebondir sur un autre élément. Dès qu'il y a une première agression ou un premier viol, cela engendre un psycho-traumatisme. Pour vous aider à vous figurer ce qu'est la dissociation, il faut vous représenter un paysage de montagne avec du brouillard. Si quelqu'un vous demande de décrire le paysage, vous ne pouvez rien décrire. En revanche, si l'on vous demande : « Est-ce qu'il y a des montagnes ? », vous pourrez répondre. Il faut donc poser des questions précises aux victimes pour obtenir des réponses utilisables.

Une grande précaution entoure les auditions pour enfants et les questions fermées sont très peu utilisées. Or les questions ouvertes sont totalement inadaptées. Cela contribue à expliquer que tant d'affaires soient classées sans suite. Les droits de la défense ne peuvent s'exercer aux dépens de ceux des enfants qui subissent des violences sexuelles et au prix de l'abandon de la justice et de la protection des personnes les plus vulnérables. Il faut repenser les dispositifs.

Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie toutes les deux pour ces témoignages. Nous allons passer aux échanges avec la délégation. J'aimerais vous demander tout d'abord si la création dans le code pénal d'un seuil d'âge de 13 ans, en deçà duquel le consentement de la personne n'a pas à entrer en ligne de compte dans la définition du viol, comme cela avait été envisagé dans la loi contre les violences faites aux femmes, aurait été un signal positif, selon vous, pour les femmes en situation de handicap.

Mme Marie Rabatel. - Il faut savoir que la notion de consentement est très compliquée pour une personne autiste, car elle est abstraite. Une personne autiste n'a pas accès à ce qui est abstrait, à ce qui n'est pas palpable ou mesurable concrètement. En outre, la notion de consentement, pour une personne autiste, ne dépend pas de l'âge. J'ai 44 ans et la notion de consentement est trop abstraite pour moi. J'y travaille avec des thérapeutes pour essayer de la comprendre dans des domaines de la vie qui ne sont pas forcément en lien avec la sexualité, mais cela reste compliqué.

M. Roland Courteau, co-rapporteur. - Merci, Madame la présidente et merci à Madame Rabatel et au Docteur Salmona pour leurs remarquables interventions. Vous avez déjà répondu, Mesdames, à ma première question, qui était la suivante : à quels autres types de violence les femmes autistes sont-elles exposées ? Vous nous avez expliqué qu'elles subissent des violences psychologiques, physiques, économiques et surtout sexuelles.

Je m'interrogeais également sur la notion d'angle mort pour les femmes handicapées dans la politique de lutte contre les violences faites aux femmes. Après cette audition, nous pouvons répondre sans hésiter que cet angle mort existe bel et bien, en particulier sur les sanctions et les affaires classées sans suite. Cela me rappelle les difficultés que nous avions rencontrées à l'époque lorsqu'il a fallu incriminer les violences psychologiques. Nos opposants disaient alors que nous faisions entrer l'arbitraire dans la législation et soulignaient le manque de preuve, par exemple. Au final, nous sommes parvenus à incriminer ces violences.

J'aimerais savoir si le 3919, qui permet d'alerter et, pour les victimes, de recevoir conseils et orientation, est adapté à l'accueil des femmes en situation d'autisme. Le fléau des violences faites aux femmes autistes nécessite-t-il une formation spécifique pour les professionnels qui traitent habituellement les autres types de violences faites aux femmes ?

En outre, vous avez évoqué la nécessité de soigner les victimes. Existe-t-il des établissements pour effectuer ces soins ? Avons-nous progressé depuis 2015 ou 2016, quand nous avions proposé que chaque bassin de 200 000 habitants soit pourvu d'un centre de soins pour les victimes ?

Enfin, les prédateurs qui agressent les femmes autistes ont-ils le même profil que les prédateurs qui ciblent les autres femmes ?

Dr Muriel Salmona. - Je peux répondre sur les classements sans suite. J'ai proposé dans mon manifeste, qui a été adressé à la Commission nationale consultative des dreoits de l'homme, d'adopter un dispositif qui existe aux États-Unis et au Canada. Si un dossier est bloqué, un comité pluridisciplinaire composé de représentants d'associations, de professionnels spécialisés ou de juristes reprend les dossiers. Cela permet de faire évoluer les situations et de savoir ce qui a dysfonctionné.

En outre, il est vrai que les professionnels, y compris les psycho-traumatologues, ne reçoivent pas de formation adaptée à ces publics. En règle générale, les médecins sont très peu formés à la psycho-traumatologie, alors qu'il s'agit d'un problème de santé publique majeur ! Nous savons que le fait d'avoir subi des violences dans l'enfance est le déterminant principal de l'état de santé des individus cinquante ans plus tard. Les victimes ont potentiellement vingt ans d'espérance de vie en moins. Tous les grands problèmes de santé publique sont liés aux violences dans l'enfance. Pourtant, ni les médecins ni les psychiatres ne sont formés aux violences et à la psycho-traumatologie, ce qui paraît incompréhensible. Un consensus international établit le fait que 60 % des cas psychiatriques relèvent de la psycho-traumatologie.

Je suis très impliquée dans la question des centres de soins. Un groupe de travail a été créé avec la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) et s'est réuni pendant plus d'un an. Nous avons proposé la création d'unités pluridisciplinaires qui prendraient en charge les adultes et les enfants, en associant cette prise en charge à un travail de réseau et de recherche. Nous avons fini par obtenir seulement dix unités, alors que notre cahier des charges prévoyait la création de séries de dix unités, de manière à arriver à un total de cent unités, soit un centre par département. Il a fallu se battre pour que les enfants soient pris en compte. Mais ces dix unités ne répondent pas aux besoins.

Les personnes qui répondent aux appels adressés au 3919 doivent également être formés à la spécificité de l'autisme, ce qui n'est peut-être pas systématique à ce jour. Maudy Piot avait d'ailleurs créé une ligne d'écoute dédiée aux femmes en situation de handicap par le biais de l'association Femmes pour le dire, femmes pour agir, mais cette structure manque réellement de moyens. Tous les numéros, et particulièrement le 119, doivent être formés spécifiquement à cette problématique. En outre, si l'on veut faire évoluer la situation d'impunité des agresseurs, il faut que les experts puissent répondre en termes de psycho-traumatologie. Je forme les magistrats à ce sujet depuis six ou sept ans en formation continue, et depuis trois ans en formation initiale. En effet, la réponse habituelle relève de la pathologie psychiatrique, ce qui contribue à décrédibiliser la parole des victimes, qui sont qualifiées de psychotiques par exemple. Par conséquent, nous diffusons le fait que les magistrats doivent s'enquérir de l'existence de troubles psycho-traumatiques et nous les incitons à poser des questions précises pour avoir des réponses précises.

Enfin, il faut former absolument toutes les institutions. Certaines sont remarquables et procèdent à des signalements, mais cela n'est pas le cas de toutes. Il est essentiel que les signalements soient effectifs, ce qui nécessite de former également l'ASE ou les Cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP). Nous le faisons.

Mme Marie Rabatel. - J'ai travaillé avec Adrien Taquet, alors député, à l'élaboration d'amendements dans le cadre du projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles1(*). Deux de ces amendements sont passés, contre l'avis du gouvernement. Les autres n'ont pas été votés. Nous avions proposé un accompagnement au niveau de la gynécologie. Sur le terrain, les institutions donnent la pilule aux adolescentes, sous prétexte, par exemple, que cela atténue les maux de ventre. Prendre la pilule représente souvent une condition pour que les jeunes filles restent dans l'institution. Pourtant, elles ne reçoivent aucun suivi gynécologique, ce qui soulève des questions. Ces jeunes filles, devenues des jeunes femmes, intégreront des foyers de vie ou des foyers médicalisés. Elles n'y sont pas suivies non plus, alors qu'elles continuent à prendre la pilule. Nous en venons à nous demander si l'obligation de prendre la pilule ne vise pas essentiellement à éviter les grossesses en cas de viol...

Mme Françoise Laborde, co-apporteure. - Merci beaucoup pour tout ce que vous avez dit. Vous avez apporté beaucoup de réponses aux questions que nous nous posions.

J'aimerais revenir pour ma part sur la manière de s'adresser aux victimes lors des auditions. Ayant été enseignante, j'ai appris qu'il fallait inciter les enfants à faire des phrases, et qu'il était donc préférable de leur poser des questions ouvertes. En effet, les questions fermées risquent d'influencer leurs réponses. Je me retrouve donc devant une contradiction, car il me semble compliqué de ne pas induire un oui ou un non par une question fermée.

En outre, je trouve qu'il est intéressant de prendre en compte la communication non verbale, par exemple avec les pictogrammes. Je retiens également la nécessité de mettre à jour nos connaissances sur la mallette MAEVAS.

J'ai une question sur les institutions d'accueil. Comme vous le savez, le Sénat a mis en place une Mission commune d'information sur les agressions sexuelles sur mineurs, à laquelle certaines d'entre nous, ici présentes, participent. Vos propos sur ces institutions nous effraient : il semble y sévir plus de prédateurs qu'ailleurs. Cela signifie que les agresseurs, n'ayant jamais été dénoncés, n'ont pas de casier judiciaire et peuvent poursuivre leur carrière sans être inquiétés. Il y a en effet un problème avec la délation, car les personnes qui travaillent dans ces institutions sont réticentes à dénoncer leurs collègues. Or les jeunes victimes et les parents ne sont pas entendus. Il faudrait donc créer des protocoles pour que les institutions puissent s'informer les unes les autres. Avez-vous déjà réfléchi à des schémas qui pourraient contribuer à une telle vigilance ? Cette question s'inscrit également dans le cadre du Plan autisme, qui est en cours d'élaboration. Ce plan prévoit-il des éléments sur la formation et les violences sexuelles, au-delà des questions relatives à la maladie ?

Mme Marie Rabatel. - J'aimerais d'abord préciser que l'autisme n'est pas une maladie, mais un handicap. Cela est compliqué à comprendre parce que l'autisme fait partie du DSM5 et que le diagnostic d'un médecin est nécessaire. Toutefois, l'autisme n'est pas une maladie. Des recherches scientifiques ont montré qu'il ne se soigne pas. Il s'agit d'un fonctionnement différent, qui n'est ni plus ou moins bien que les autres.

Concernant les institutions, nous avions proposé un amendement qui créait une fonction de référent dans chaque établissement. Ce référent devait pouvoir jouer le rôle de repère pour que chaque personne, enfant ou adulte, puisse s'adresser à quelqu'un qui soit en mesure de faire des signalements pour dénoncer des violences. Mais les établissements ont en général intérêt à cacher les violences qui existent dans leurs murs. Les établissements médico-sociaux ont aussi un objectif de rentabilité. Cela peut être en contradiction avec leur mission de soins et d'accompagnement vers l'autonomie. Il faudrait donc peut-être valoriser les institutions qui dénoncent les violences et qui se montrent bienveillantes à notre égard.

Dr Muriel Salmona. - La notion de référent est un élément important. Il faut développer de multiples canaux de signalements. Je rappelle d'ailleurs que le signalement n'est pas de la délation. Au contraire, il constitue une obligation ; c'est un délit de ne pas le faire. Ces éléments doivent être affichés partout. La loi existe, même si elle n'oblige pas clairement les médecins à signaler. Certains d'entre eux continuent d'ailleurs à penser qu'ils sont en droit de ne pas procéder à un signalement. Pourtant, ils sont particulièrement bien placés pour repérer les violences, à condition d'être bien formés.

J'aimerais revenir sur la question de l'âge de consentement. C'est une catastrophe pour les victimes que la loi laisse à penser que les enfants pourraient consentir à un acte sexuel. J'avais réalisé un travail compilant les études internationales qui montraient que l'âge de consentement devait être fixé à 15 ans, et non 13 ans. En dessous de 15 ans, tout acte sexuel sur un enfant a un impact sur la santé, que l'acte soit consenti ou non. Le fait que la loi adoptée en août 2018 n'ait pas clarifié ce point est désastreux ! En outre, l'âge de consentement en cas d'inceste doit être fixé à 18 ans. Il en va de même pour les personnes en situation de handicap. Il s'agit d'un signal déplorable qui est envoyé aux institutions d'accueil. Ces dernières peuvent être incitées à tolérer les violences.

Nous sommes en désaccord sur l'âge de consentement et sur la prostitution avec le Planning familial. Nous aimerions que le nombre d'IVG qui sont pratiquées sur des jeunes filles suivies en institution soit connu. Lorsqu'une jeune fille qui est en institution subit une IVG, il faudrait se préoccuper de l'origine de la grossesse ! Si on lui demande si elle a été violée, il est probable qu'elle répondra par la négative, alors qu'elle aura subi des violences. Elle imaginera peut-être que le viol correspond à des actes plus violents, réalisés par exemple sous la menace, alors même qu'elle a réellement subi un viol. Pour cette raison, il est indispensable d'affirmer clairement qu'il n'existe pas de consentement valable pour les enfants ou les personnes en situation de handicap. La culture institutionnelle doit changer sur ces sujets. Par ailleurs, on observe que les règles diffèrent selon les institutions d'accueil. Dans certaines, il est interdit de se tenir la main, alors que d'autres tolèrent beaucoup de choses.

Mme Dominique Vérien, co-rapporteure. - Merci à vous, Docteur Salmona. Nous vous avons entendue dans le cadre de la mission d'information sur la pédocriminalité dont parlait Françoise Laborde tout à l'heure. J'aimerais que vous nous transmettiez vos travaux sur l'âge de consentement à 15 ans. Pour ma part j'ai milité pour un seuil à 13 ans, comme d'autres collègues ici présentes.

Je voudrais reposer la question de ma collègue Françoise Laborde. Vous nous avez dit qu'il serait possible d'éviter ces violences. Toutefois, vous avez aussi affirmé qu'il n'était pas possible de connaître les agissements passés des candidats au moment du recrutement, s'ils n'ont jamais été condamnés. Par conséquent, on laisse entrer des prédateurs dans les institutions. Ce sujet est bien l'objet de la mission d'information. Existe-t-il des moyens d'empêcher le recrutement de prédateurs par les institutions ? Comment les repérer ?

Dr Muriel Salmona. - En effet, il s'agit d'un réel problème. Le fait de pouvoir recouper les signalements pourrait permettre de mettre en évidence un problème, si une personne a été signalée dans différentes institutions par exemple.

Mme Dominique Vérien, co-rapporteure. - En effet, même des non-lieux à répétition peuvent constituer une alerte sur le profil d'un candidat.

Dr Muriel Salmona. - Il existe une obligation de précaution qui pourrait être intégrée dans les recommandations. En outre, plus on informe, plus on forme, plus on affiche, plus on obtient de résultats. On sait par exemple que les entreprises qui affichent dans leurs locaux les textes sur le harcèlement au travail comptent moins de cas de harcèlement. Il en va de même pour les institutions, qui doivent afficher les procédures à suivre et les interlocuteurs à contacter en cas de violences.

Le Plan de lutte et de mobilisation contre les violences faites aux enfants présenté par Laurence Rossignol quand elle était ministre intégrait une notion de référent dans tous les services de pédiatrie. Il est important de mettre en place de tels outils.

Nous réalisons un travail conséquent pour monter un protocole avec toutes les académies des Hauts-de-France, ainsi qu'avec les CRIP (Cellules de recueil des informations préoccupantes), la police, la gendarmerie et les juges. Nous souhaitons mettre en place des outils qui soient utilisables par tout le monde, avec le même discours. Une formation permet également de se poser les bonnes questions. De plus, les médecins sont un élément clé du dépistage de situations de violence. Par exemple, le docteur Monique Martinet, pédiatre et neuropsychiatre à Strasbourg, oeuvre depuis des années sur la question du dépistage et la protection des enfants handicapés qui subissent des violences.

Mme Marie Rabatel. - Vous nous demandez de quelle manière protéger les personnes dans les institutions. On utilise des caméras pour surveiller le lait dans les supermarchés ou les gens qui entrent dans les magasins et les centres commerciaux, mais il n'y a rien de tel dans les institutions. J'ai été victime de violences terribles commises par des veilleurs de nuit en institution. Lorsque j'ai signalé ces faits avec l'aide de mes thérapeutes, on m'a répondu que la méconnaissance entraînait la maltraitance. Cela ne m'a pas vraiment aidée. J'ai donc demandé que l'on mette des caméras dans ma chambre, mais cela m'a été refusé. Le fait de disposer de caméras permettrait à des victimes potentielles d'agressions de se sentir plus protégées.

Mme Dominique Vérien, co-rapporteure. - Le pourcentage de violences est-il le même que pour la population générale, ou davantage de violences surviennent-elles en institution pour les femmes autistes ?

Dr Muriel Salmona. - Pour lutter efficacement contre les violences, il faut les connaître le mieux possible. Or nous ne disposons d'aucun chiffre sur ce qui se passe en institution. Les chiffres que nous avons sont ceux des adultes qui décident de parler. Par conséquent, il y a une déperdition importante des témoignages.

En outre, un grand nombre de personnes handicapées subissent des violences durant les transports. Elles se retrouvent parfois seules avec les chauffeurs d'ambulance. Ce pourcentage est élevé et nous devons nous préoccuper de ces situations.

Mme Annick Billon, présidente. - Nous allons maintenant prendre l'ensemble des questions de nos collègues pour que vous y répondiez ensuite globalement.

Mme Chantal Deseyne, co-rapporteure. - Merci, Madame la présidente. Je tâcherai d'être concise. Mesdames, je vous remercie pour vos interventions et vos témoignages. J'aimerais revenir plus particulièrement sur la formation et la sensibilisation des enfants face aux prédateurs. Cette action peut se mettre en place très tôt au travers des institutions comme l'école, les crèches ou les clubs sportifs. Cette question n'est pas limitée aux situations de handicap, mais elle concerne tous les enfants et toutes les petites filles en particulier.

En outre, j'ai trouvé que la Stratégie nationale pour l'autisme n'abordait pas suffisamment la question des violences sexuelles.

Mme Maryvonne Blondin. - Je suis impressionnée par votre témoignage, Madame Rabatel. Merci à vous.

J'aimerais savoir si vous avez connaissance des violences que les personnes autistes rencontrent lorsqu'elles sortent des institutions. Vous m'avez surprise en parlant des agressions qui peuvent survenir dans les transports, ce que je n'avais pas imaginé.

Concernant les institutions, j'invite tous mes collègues qui en ont la possibilité à aller dans les hôpitaux psychiatriques rencontrer les chefs de service pour comprendre ce qui s'y passe et montrer notre implication.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je suis également admirative, impressionnée et reconnaissante du travail que vous faites. J'imagine aussi, Madame Rabatel, combien il doit être difficile de témoigner et de revivre les violences que vous avez subies. Je vous en remercie, car cela est important pour les personnes qui sont victimes, comme vous l'avez été.

S'agissant des institutions, nous devons agir et nous le ferons dans le cadre de cette mission. Cela passera-t-il par des propositions d'ordre législatif ? Il ne faut pas l'exclure. Vous avez proposé des idées prometteuses, comme de prévoir un référent dans les institutions. Il me paraît aussi extrêmement important de renforcer la pénalisation des auteurs de ces agressions. Ils doivent savoir qu'ils seront davantage punis parce que nul ne peut attenter à la santé et à la vie des personnes handicapées.

Il me semble aussi que le problème provient de la peur des parents qui n'osent pas dénoncer les problèmes, car ils craignent de se retrouver avec leurs enfants qu'ils sont incapables de prendre en charge. Nous devrions, en tant que parlementaires, travailler à une plus grande responsabilisation des institutions, de sorte qu'elles puissent surveiller elles-mêmes les personnes qu'elles recrutent, peut-être en procédant à des tests de personnalité ou à des enquêtes. Pour l'heure, il est trop facile pour les prédateurs de dissimuler leurs agissements.

Je m'interroge également sur l'affaire que vous avez évoquée. Le témoignage que vous nous avez exposé nous interpelle. Onze enfants sont concernés, mais rien n'est fait ? J'aimerais savoir si vous avez contacté des responsables politiques, qui devraient pouvoir vous aider. Nous savons que la justice manque de moyens et que l'une des difficultés réside dans le fait que les personnes handicapées ne dénoncent pas leurs agresseurs. Toutefois, je n'accepte pas que la situation en reste là et que les auteurs soient impunis. Il y a certainement des choses à faire.

Mme Laurence Cohen. - Merci pour vos témoignages. Je m'insurge, comme mes collègues, sur la persistance d'une trop grande tolérance concernant les violences à l'encontre des enfants. Nous avons progressé sur les violences faites aux femmes grâce à des mobilisations, même si cela n'est pas suffisant. Toutefois, l'adulte garde encore presque tous les droits sur les enfants. Nous avons été plusieurs autour de cette table à défendre l'instauration d'un âge de consentement, mais nous avons reçu des réactions hostiles en retour lors de la discussion du projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes.

Je suis très sensible à la création d'unités spécialisées dans la prise en charge psycho-traumatique. J'avais cru comprendre qu'elles auraient pu être adossées à des hôpitaux, comme vous le proposiez d'ailleurs. Étant membre de la commission des Affaires sociales, j'étais sceptique sur la possibilité de financer ce projet compte tenu du budget de la Sécurité sociale. Je ne peux donc que constater un recul très regrettable traduit par la mise en place de dix unités, alors que cent étaient initialement prévues. J'aimerais savoir quelle enveloppe sera allouée à la création de ces dix unités. En effet, elles nécessiteront des professionnels formés et en nombre suffisant.

Par ailleurs, nous disposions pendant un temps d'une réserve parlementaire, qui nous permettait de soutenir les associations. Cette réserve a été supprimée. Un Fonds de développement de la vie associative devait permettre en théorie de compenser la perte pour les associations, induite par la disparition de la réserve. Dans mon département, ce fonds distribue 300 000 euros à des associations, alors que la réserve parlementaire permettait d'allouer deux à trois millions d'euros. J'en appelle donc à mes collègues pour que nous puissions réagir collectivement et politiquement sur ce point.

Mme Annick Billon, présidente. - Il s'agit d'une très bonne remarque. Notre délégation reste très mobilisée sur la question des moyens attribués aux associations et a déjà, à plusieurs reprises, exprimé les plus vives réserves sur ces évolutions.

Mme Victoire Jasmin. - Je m'associe à ce qui a été dit par mes collègues et je vous remercie.

J'aimerais savoir si vous disposez de chiffres concernant les outre-mer. En outre, nous devons tous agir auprès de la justice, car il existe bien trop de dossiers classés sans suite.

M. Marc Laménie. - Merci pour vos témoignages qui nous révoltent, parce que nous observons la persistance d'agissements extrêmement préoccupants dans un contexte de laisser-faire et d'impunité. Il reste un travail significatif à mener sur la formation des gendarmes et des policiers.

Vous militez bénévolement par le biais associatif. Quels sont vos moyens humains et financiers ? Je partage le constat qui a été fait sur la réserve parlementaire. Comment parvenez-vous à couvrir tout le territoire en métropole et en outre-mer ?

Mme Marie Rabatel. - Pour revenir sur la situation que j'ai évoquée, onze enfants ont été victimes d'agression sexuelle et de viol. Les parents ont signalé leur inquiétude à l'établissement. Les enfants avaient des réactions étranges et se plaignaient de douleurs constamment. Une mère a retrouvé une culotte avec du sperme et du sang. Il était tellement inconcevable pour elle d'imaginer une agression sexuelle ou un viol qu'elle l'a jetée à la poubelle. La preuve a donc disparu, malheureusement. Les onze parents ont porté plainte à la gendarmerie contre les éducateurs. L'un d'entre eux avait déjà été condamné plusieurs années auparavant pour détention d'images pédopornographiques et avait été emprisonné pour ce motif. Malgré cela, il a pu être embauché dans une institution. C'est terrible !

La parole des enfants n'a pas été retenue. Les parents ont refusé de laisser faire. Devant la souffrance de leurs enfants et le besoin d'accompagnement, trois familles sont parties. Les parents des sept enfants restants ont fait appel avec l'association Innocence en danger. À ce stade, l'institution a menacé de faire un signalement auprès de l'ASE pour retirer les enfants de leur famille. Quatre familles ont donc abandonné et laissé leurs enfants dans l'institution. Les trois dernières familles ont retiré leurs enfants de l'institution et continué le combat.

Ces faits datent de 2012 et les procédures sont toujours en cours. Parmi les trois agresseurs, l'un a vu son contrat se terminer tandis qu'un autre est resté en arrêt maladie pendant trois ans. Le troisième, qui avait déjà été condamné, a été condamné à nouveau, non pas pour l'affaire en question, mais pour possession d'images pédopornographiques.

Les parents des trois enfants ayant quitté l'institution ont reçu des signalements et ont eu des difficultés avec l'ASE. Ils doivent prouver en permanence que l'éducation de leurs enfants se poursuit. C'est le monde à l'envers !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Avez-vous essayé de mobiliser des responsables politiques ?

Mme Marie Rabatel. - L'association l'a fait, mais sans succès.

Dr Muriel Salmona. - Je ne comprends pas que la justice ne prenne pas en compte que le fait de posséder des images pédopornographiques signifie obligatoirement d'avoir fait des échanges d'images sur les réseaux du darknet. Tout le monde sait que, pour détenir des images pédopornographiques, il faut en donner. Or pour disposer de telles images, il faut les faire, et pour cela, il faut agresser et violer des enfants. Il y a là aussi une forme de crédulité et de naïveté. Il ne s'agit pas d'un phénomène virtuel, mais bien réel. Il faut monter au créneau, car il existe plus d'un million de sites pédopornographiques ! Mais tout le monde ne veut pas voir cette réalité.

Par ailleurs, les agresseurs hors institution sont principalement des membres de la famille. En cas d'inceste, des femmes portent plainte au nom de leurs enfants et se voient ensuite privées de leur garde. Cela arrive fréquemment. L'enfant est confié au prédateur. Mais plus nous montons au créneau, plus la situation empire. Je délivre des certificats, ce faisant je prends des risques, mais rien n'y fait. Cela donne envie de pleurer, car ces cas sont légion. Récemment, deux petites filles ont été enlevées à leur mère alors qu'elle les protégeait. L'ASE les a placées en prétextant le syndrome d'aliénation parentale. L'une des fillettes a parlé de se suicider si elle devait revoir son père...

Mme Maryvonne Blondin. - Où se trouve votre lieu de consultation ?

Dr Muriel Salmona. - À Bourg-la-Reine, dans les Hauts-de-Seine. Je peux citer tellement de cas similaires ! Ces deux fillettes n'ont plus le droit d'être en contact avec leur mère. C'est absurde !

Je vous ai apporté l'enquête que nous avons faite, qui vous donnera plus de précisions, notamment sur les prédateurs. En outre, j'aimerais souligner la nécessité que des condamnations soient prononcées pour non-signalement. Il faut que les non-signalements coûtent cher aux institutions pour qu'elles soient obligées de signaler au lieu de penser avant tout à protéger leur réputation. De plus, l'obligation d'affichage pour le 119 doit être respectée dans tout lieu qui reçoit des enfants.

Concernant les moyens dont nous disposons, nous n'avons presque jamais reçu de subvention en dix ans d'existence. Je réalise les enquêtes grâce à des dons et grâce à mon travail. J'assure près de 90 journées de formation par an dans le cadre de mon travail. Ces formations rémunérées financent l'association.

Par ailleurs, j'ai formé de nombreux psychiatres. Nous avons organisé des groupes de réflexion professionnels, entre autres initiatives. Mais je reste très isolée. Pourquoi ? Parce que ce travail nécessite un engagement de chaque instant. Je consacre beaucoup de temps à chaque patient et je ne peux dire que mon travail m'enrichit...

Un article dans Le Monde sortira prochainement sur la disparition des cent centres de psycho-traumatologie que nous souhaitions. Or il est indispensable d'ouvrir de tels centres. Dans certains pays, il existe des centres ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre où les victimes sont prises en charge. Il est indispensable que les professionnels puissent être soutenus. Personne ne peut me suivre, et je le comprends. Nous avons besoin de plus de moyens.

Mme Marie Rabatel. - J'aimerais revenir sur la question de la prise en charge. En tant que victime, je trouve inhumain que notre vie soit un combat, alors que cela peut être pris en charge pour l'agresseur. Il faut savoir qu'une victime a des difficultés à travailler. Par exemple, je touche 650 euros par mois de pension d'invalidité, sur lesquels je paie 200 euros de mutuelle. En effet, la prise en charge de ces traumatismes suppose de souscrire une mutuelle très coûteuse permettant le choix de ces soins, faute de quoi le risque est d'être adressé à des structures non spécialisées dans la psycho-traumatologie.

Il est inhumain que les victimes peinent à financer des soins leur permettant simplement de rester en vie, contrairement à l'agresseur.

Mme Dominique Vérien, co-rapporteure. - Cela n'est pas le cas partout. Dans l'Yonne par exemple, les traitements sont à la charge des agresseurs.

Mme Marie Rabatel. - En effet, mais il existe tout de même un fossé entre les deux types de prise en charge.

Dr Muriel Salmona. - Je rappelle qu'un article du code de la sécurité sociale indique que, pour toute victime de violence sexuelle dans l'enfance, les frais inhérents aux conséquences psycho-traumatiques sont pris en charge. Toutefois, cela n'est ni appliqué ni diffusé.

Le premier Plan de lutte contre les violences faites aux enfants était un élément central sur la question de la prise en charge. Il était question d'étendre cela à toutes les formes de violence et de maltraitance. Cette règle doit devenir effective.

Mme Marie Rabatel. - Concernant le Plan stratégie autisme, je constate qu'il ne contient pas grand-chose. J'ai participé à son élaboration et nous avons été entendues lors d'une audition sur les violences faites aux personnes en situation de handicap de l'autisme. Si nous lisons le plan entre les lignes, nous comprenons qu'il faut sensibiliser à la problématique de la vulnérabilité et des violences sexuelles, notamment pour les femmes. Toutefois, ces violences ne concernent pas que les femmes, mais tous les individus autistes. Concrètement, le plan ne comprend strictement rien sur ce sujet. Pourtant, il faudrait prévoir une obligation de sensibilisation accrue à la vulnérabilité pour les parents afin qu'ils puissent protéger leurs enfants.

Maintenant, nous parlons de troubles du spectre autistique. Vous pouvez imaginer un arc-en-ciel de couleurs différentes dans lequel il n'existe pas de couleur identique. Quand une personne autiste n'est pas en institution, mais dans la jungle de la société, elle se retrouve davantage victime de manipulation et de violences. Si elle a la chance de pouvoir travailler, elle sera une proie idéale pour le harcèlement professionnel et les violences sexuelles.

En outre-mer, nous savons qu'il reste des situations dans lesquelles la gravité de l'inceste est minorée. Il est difficile de sensibiliser les personnes sur ce point. Cela est difficile à expliquer, mais j'ai rencontré beaucoup de difficultés à faire passer un message dans les centres ressources pour personnes autistes des outre-mer. Je ne connais pas bien les spécificités de ces territoires, mais la situation m'y paraît compliquée.

Enfin, notre association n'est subventionnée par personne. Nous fonctionnons grâce aux dons d'associations et de particuliers. Il est compliqué, même dans notre association, de garantir l'implication de chacun. Si je ne me déplace pas pour une rencontre ou une audition, personne ne le fera à ma place. Or je suis hospitalisée une semaine sur trois dans un centre spécifique pour le psycho-traumatisme. Mon engagement est donc d'autant plus lourd. Par conséquent, nous faisons appel à toutes les associations qui peuvent transmettre notre message. Les choses évolueront de manière collective.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup, Mesdames. J'associe Antoine, qui a accompagné sa maman ce matin. Les témoignages et les données que vous nous avez communiqués sont graves et inquiétants. Tout reste à faire, notamment dans le domaine de l'autisme. La délégation aux droits des femmes et les co-rapporteurs continueront à réfléchir à la protection des enfants et des personnes en situation de handicap et d'autisme. Nous ne manquerons pas de vous tenir informées de la suite de nos travaux.

Dr Muriel Salmona. - Merci à vous. Nous nous battons parce que nous croyons que les choses peuvent changer.

Nous organiserons un colloque sur les violences sexuelles commises sur les personnes vulnérables pour les dix ans de notre association, les 10 et 11 octobre 2019, à la mairie de Bourg-la-Reine. Vous êtes cordialement invités.

Mme Marie Rabatel. - Nous organisons également un colloque à l'Assemblée nationale, le 14 mars de 9 heures à 17h30, et je vous invite à y assister. J'y parlerai de la spécificité des femmes autistes à travers plusieurs thèmes tels que le diagnostic ou la parentalité. Adrien Taquet, aujourd'hui secrétaire d'État à la protection de l'enfance, y participera. Il a été le premier politicien à me contacter pour écouter ce que j'avais à dire et me soutenir.

Mme Annick Billon, présidente. - Il me reste à vous remercier une nouvelle fois pour votre disponibilité et pour vos témoignages.


* 1 Ce texte est devenu la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.