Mardi 5 février 2019
- Présidence de M. Michel Magras -Représentation et visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public - Audition de Mme Yolaine Poletti-Duflo, directrice de la station Martinique La 1ère
M. Michel Magras, président. - Après les stations des chaînes La 1ère de la Polynésie française et de La Réunion la semaine dernière, nous avons le plaisir aujourd'hui de nous entretenir avec Mme Yolaine Poletti-Duflo, directrice de Martinique La 1ère. Nous poursuivons ainsi, au plus près des acteurs des territoires, nos investigations sur la question de la représentation et de la visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public.
Madame Poletti-Duflo, vous avez été nommée directrice régionale de Martinique La 1ère fin 2017 pour, entre autres, mener à bien deux gros chantiers que sont, d'une part, le déménagement de la chaîne vers la tour Lumina et, d'autre part, l'organisation de la convergence des différents services et de leur renforcement. Vous avez précédemment été en poste au siège de Malakoff. Vous avez donc, grâce à votre parcours, une approche informée de la question qui nous préoccupe : la représentation et la visibilité des outre-mer sur les ondes publiques ainsi que les conséquences susceptibles de résulter des évolutions annoncées par le Gouvernement.
Je n'en dirai pas davantage et vais vous laisser la parole sur la base de la trame qui vous a été communiquée ; puis les rapporteurs, M. Maurice Antiste que je ne vous présenterai pas car vous le connaissez bien, et Mme Jocelyne Guidez, sénatrice de l'Essonne, que vous connaissez peut-être car elle entretient également des liens forts avec la Martinique, vous poseront quelques questions.
Avant de vous céder la parole, je veux simplement chaleureusement remercier les services de la préfecture qui ont aimablement prêté leur concours à la présente visioconférence pour permettre notre rencontre d'aujourd'hui.
Mme Yolaine Poletti-Duflo, directrice de Martinique La 1ère. - Je suis en poste en Martinique depuis décembre 2017, après avoir exercé en Nouvelle-Calédonie, à Paris et en Guadeloupe. Martinique La 1ère est dotée de 188 salariés permanents et d'un budget de plus de 26 millions d'euros. Elle rayonne sur le territoire martiniquais depuis une cinquantaine d'années grâce à la radio et la télévision. Le paysage audiovisuel se caractérise par une concurrence forte avec une dizaine de radios, dont au premier chef Radio Caraïbe international (RCI), et la chaîne ViàATV.
Notre station a déménagé tout récemment, le 21 décembre, vers la Tour Lumina après plusieurs projets de relocalisation. Nous y occupons 7 étages et disposons d'un matériel renouvelé à 98 % qui va permettre de mettre en oeuvre une stratégie de convergence des médias, - radio, télévision et services numériques - et de fonctionnement transverse alors que le fonctionnement était jusqu'à présent plutôt en silos. Outre la télévision qui enregistre des audiences confortables, le service numérique est le plus puissant du réseau ultramarin avec 1,7 millions de vues par an en moyenne. A contrario, la radio dont l'audience est stable, se meurt face à une concurrence qui va croissant et du fait d'habitudes contre-productives.
J'ai eu en charge le déménagement, ce qui fut une opération lourde et délicate, et je m'emploie à expliquer la nécessaire convergence des médias.
Les programmes proposés sont des programmes de proximité, particulièrement en radio. Nous nous efforçons de profiler les programmes télévisés en direction des jeunes, public qui nous fait traditionnellement défaut dans les stations d'outre-mer à l'exception de la Guyane. S'agissant des programmes nationaux, nous reprenons depuis trois ans les reportages réalisés par France info et parfois de France 2 pour la tranche horaire nationale de 19h30 à 19h50. Nous avons notre journal régional de 19h00 à 19h25 et relayons les directs nationaux pour les opérations exceptionnelles comme le grand débat qui s'est déroulé à l'Élysée le 1er février, soit 7 heures de direct et les réactions des auditeurs en radio filmée dans l'après-midi. Cette émission était disponible sur les réseaux sociaux et le site internet.
En 2018, nous avons régulièrement organisé des émissions en direct avec le niveau national mais ces opérations restent ponctuelles et je regrette leur faible fréquence.
Les chaînes d'outre-mer présentent la particularité de produire des programmes pour l'ultra-proximité, au niveau régional mais aussi à l'échelle nationale. Nous avons cette capacité et cette expertise multidirectionnelle mais nous ne sommes malheureusement que trop peu relayés par les chaînes nationales en dehors de l'information sur les catastrophes naturelles qui s'abattent sur nos territoires. J'ai eu personnellement l'occasion de travailler avec France 2 et surtout France 3 avec qui nous avons un passé commun. Il nous arrive de monter des reportages en commun via Malakoff et de conjuguer alors nos moyens, mais cela reste exceptionnel.
Nous sommes en relation régulière avec les équipes de France Ô : la rédaction tient ainsi une audioconférence hebdomadaire.
La collaboration avec France Ô n'a pas toujours été satisfaisante. Cela s'explique notamment par la différence des publics cibles de cette chaîne et des chaînes La 1ère. Lorsque nous élaborons des sujets, nous avons une écriture spécifique pour un public local : en effet, dans un reportage tourné au Vauclin par exemple, nous ne commentons pas comme nous le ferions pour un public hexagonal qui ne sait pas situer cette commune. France Ô s'adresse davantage à un public parisien ou hexagonal et notre cible initiale, la Martinique, ne se sent pas forcément concernée par l'ensemble des reportages proposés par France Ô.
Nos moyens humains sont suffisants bien que vieillissants et donc peu sensibles au numérique. Ces moyens sont en diminution avec la suppression programmée de trois postes en 2019, comme en 2018. Une dizaine de postes ont été supprimés au cours des dernières années.
L'arrêt annoncé de France Ô suscite des inquiétudes car cette chaîne permet aux chaînes La 1ère d'accéder au public national et d'offrir en particulier cette exposition aux élus des territoires. Cependant, tout en ayant conscience qu'il s'agira d'un travail de longue haleine, je considère qu'une organisation utilisant les nouvelles technologies permettrait de mieux exposer l'actualité des outre-mer au plan national et de saisir des opportunités. On pourrait par exemple souligner de fortes similitudes entre la mobilisation des gilets jaunes, qui a démarré en novembre, et les événements de 2009 dans les départements d'outre-mer : or, à aucun moment les chaînes nationales n'ont opéré cette mise en perspective car il n'est pas naturel de se référer à ce qui s'est produit outre-mer alors que les comparaisons internationales sont fréquentes.
Il y a des attentes fortes des personnels de Martinique La 1ère mais aussi des publics martiniquais.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Quelles sont vos relations avec les autres chaînes La 1ère de votre bassin, particulièrement Guadeloupe La 1ère ? On nous répète régulièrement que les chaînes La 1ère doivent être des relais de l'information des pays étrangers de leur zone géographique, au nom de leur proximité. Est-ce le cas ?
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - Nous avons une grande proximité avec Guadeloupe La 1ère et des relations régulières mais qui ne sont pas suffisantes. J'ai pour projet de lancer des émissions de bassin, notamment dans le cadre du grand débat national, y compris avec Guyane La 1ère malgré le décalage horaire d'une heure. Concernant la Caraïbe, Martinique La 1ère dispose d'un service dédié depuis plusieurs années qui était dirigé par Marie-Claude Céleste puis Sonia Laventure. C'est un mini-service composé de quatre journalistes qui couvrent l'actualité caribéenne sous forme seulement de magazines. En effet, pour l'information, nous sommes confrontés à des difficultés pour rémunérer des correspondants des autres territoires de la Caraïbe et à des obstacles tenant aux formats des autres chaînes de radio et de télévision de la zone. Le numérique me paraît être la seule piste pour faire cause commune et échanger. Nous ne pourrions pas établir de relations pérennes avec des correspondants propres dans les autres territoires caribéens sans envisager une titularisation à terme, mais cela entre en contradiction avec notre trajectoire de réduction des effectifs.
M. Michel Magras, président. - Quelle est la place de Martinique La 1ère dans le paysage audiovisuel local ? Quels sont les taux d'audience ?
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - Notre radio enregistre une audience moyenne de 19 % et progresse actuellement grâce à la redynamisation de la tranche du matin, le taux d'écoute de RCI s'établissant à 40 %. En télévision, nous précédons ViàATV avec près de 100 000 téléspectateurs pour la tranche du soir, soit 28 % de part d'audience. Le journal de 13 heures fonctionne également très bien. Depuis trois ou quatre ans Martinique La 1ère est repassée en tête, devant ViàATV. Nous avons l'avantage de pouvoir diffuser des reportages de France 2, France 3 ou France info mais aussi des autres stations du réseau outre-mer. Nous adhérons à cette dynamique de convergence et il y a eu un regroupement des antennes de radio et télédiffusion il y a moins de six mois.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Avez-vous des liens directs avec d'autres chaînes de France Télévisions ? On constate une présence de sujets réalisés par les chaînes La 1ère dans les grilles de France info : y a-t-il des commandes spécifiques ? Êtes-vous en liens directs avec France info ?
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - Nous n'avons pas de lien direct avec France info ; nous passons par l'intermédiaire de France Ô pour exposer nos reportages sur France info. La petite équipe dirigée par Stéphane Bijoux y retraite nos sujets pour en adapter le contenu à l'écriture spécifique de France info. Ce sont des reportages qui évoquent des sujets propres aux outre-mer comme les sargasses ou les cheveux crépus.
Il nous arrive par ailleurs de rencontrer nos collègues de France info lors des réunions du Comex à Paris tous les trois mois, mais il n'y a pas de relation directe entre notre rédaction et la leur.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Comment cela s'organise-t-il avec les rédactions nationales pour couvrir une actualité locale ?
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - Lorsque le sujet concerne le niveau national, nous sommes assaillis d'appels de France 2, France 3, LCI ou même CNews. Pour réaliser du direct, nous avons un dispositif léger le « corner info » : après un contact technique avec la chaîne parisienne puis un contact éditorial avec le rédacteur en chef, le délai de mise en place est inférieur à 24 heures, parfois même de 3 à 4 heures. Au cours des dernières années, les directs ont été régulièrement réalisés avec France info et France 3 mais exceptionnels avec France 2.
M. Michel Magras, président. - Pour Irma, alors que les équipes de Guadeloupe La 1ère étaient en place à Saint-Barthélemy la veille du cyclone, nous avons pourtant vu débarquer des équipes nationales venues couvrir l'événement. Avez-vous le sentiment que les chaînes nationales ne s'appuient pas suffisamment sur compétences locales ?
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - Nous disposons des moyens techniques et humains et pour autant France 2, notamment, sûre de son savoir-faire, envoie systématiquement ses propres équipes. Cependant, il est vrai que nous sommes extrêmement sollicités localement et que nous avons souvent besoin de renforts.
Ainsi, si nos équipes voient d'un bon oeil la volonté affichée de renforcer la présence des outre-mer sur les chaînes nationales, elles n'y croient pas véritablement car cela nécessiterait que soient acquis des automatismes, et nous en sommes loin même si je sais que nos dirigeants oeuvrent en ce sens. Cette façon d'agir en méconnaissant les potentiels locaux se vérifie à chaque catastrophe de grande ampleur : nous l'avoir vécu pour le cyclone Hugo, hier pour Irma et encore tout récemment pour la situation au Venezuela pour la couverture de laquelle le service Caraïbe de Martinique La 1ère avait envisagé d'envoyer sur place une équipe. Ce déplacement a été empêché par le consulat qui exigeait des visas de courtoisie. France 2 avait pu dépêcher une équipe à Caracas au départ des États-Unis.
M. Michel Magras, président. - Ce témoignage conduit à s'interroger sur la place laissée aux outre-mer sur les ondes publiques après la disparition de France Ô de la TNT !
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Quelles sont vos sources de financement et quelle est la part de chaque contributeur ? Les collectivités interviennent-elle en appui ? Quels montants consacrez-vous chaque année aux coproductions ? France Ô vient-elle en appui de ces montants ? Êtes-vous en mesure de monter des projets avec différentes chaînes La 1ère de manière autonome ? Cela a-t-il déjà été le cas ? Le milieu de la production audiovisuelle local est-il « armé » pour répondre à vos commandes ? Des groupes hexagonaux sont-ils intéressés et présents ?
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - 80 % de notre budget correspond aux salaires et les 20 % restants sont dédiés à la production. Il y a quatre magazines d'information dont un consacré au sport. Pour la partie documentaire, nous bénéficions d'un appui financier de France Ô de l'ordre de 10 millions d'euros par an pour les chaînes La 1ère du bassin Antilles-Guyane mais Martinique La 1ère ne perçoit pas d'aide des collectivités.
Un séminaire avec les producteurs s'est déroulé en Guyane à la mi-octobre 2018 : les moyens diffèrent d'un territoire à l'autre et un gros travail de coordination est en cours. Cependant, il est clair que nous n'avons pas les moyens de nos ambitions et que nous sommes confrontés aux exigences de réduction des effectifs ces dernières années qui réduisent les marges de manoeuvre.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Produisez-vous des contenus financés en partie par le CNC ?
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - Toutes les co-productions que nous réalisons le sont avec le soutien financier du CNC.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Que va changer pour vous l'arrêt de la diffusion de France Ô sur la TNT annoncé pour 2020 ? Quels sont les enjeux attachés à un passage de votre chaîne en HD ? Qu'attendez-vous de la plateforme numérique annoncée dans le cadre de la réforme ? Quelle est votre stratégie de développement numérique pour la station ? Quels sont les enjeux et conséquences du déménagement de Martinique La 1ère ?
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - Les conséquences de la disparition de France Ô du linéaire n'ont pas été totalement évaluées et les producteurs ont des raisons de s'inquiéter car leur accompagnement fonctionnait très bien jusqu'à présent. Il y aura un impact certain et on compte beaucoup sur le redéploiement des moyens au profit des chaînes La 1ère. Au plan humain, on ne sait pas ce que deviendront les personnels de France Ô : ils ne seront pas réaffectés outre-mer puisque nous supprimons des postes.
Les enjeux de la HD sont majeurs car le sort des chaînes La 1ère est liée à la qualité de l'image dès lors que la plupart des chaînes locales émettent déjà en HD ; il s'agit même d'un enjeu social. La plateforme numérique en cours d'élaboration pourrait nourrir Martinique La 1ère en contenus antenne ; nos magazines pourraient y être diffusés afin de toucher un public plus jeune. En 2019, nous voulons conforter notre développement numérique avec la mise en place d'une rédaction commune et des contenus davantage ciblés sur la nouvelle génération des 15-25 ans, la « génération colibri » qui butine.
Le déménagement n'était pas nécessairement souhaité par tous et la station a connu 4 à 5 projets de relocalisation depuis 2001. Ce chantier, que j'ai pris en cours, s'est bien déroulé. Il y a toutefois un problème de prise en main des nouveaux outils malgré les 140 000 euros investis dans la formation. Une partie du personnel n'a pas pris la mesure des évolutions et il a fallu dispenser récemment de nouvelles formations pour apaiser le climat social. Le processus d'appropriation est en cours et l'installation est bien meilleure aujourd'hui que sur l'ancien site où l'organisation était particulièrement cloisonnée.
Martinique La 1ère a un public fidèle mais vieillissant et il est urgent de concevoir des produits plus courts à destination des jeunes.
Mme Victoire Jasmin. - La Guadeloupe comme la Martinique souffrent d'un déficit démographique et les jeunes quittent ces territoires. Comment comptez-vous davantage les prendre en compte dans votre programmation ? Pensez-vous que les chaînes La 1ère pourraient accueillir des journalistes de France Ô à l'horizon 2020 en cas de suppression de sa diffusion sur la TNT ?
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - Nous n'allons pas attendre 2020 pour agir. Nous nous adressons en priorité au public martiniquais, au plan local comme au plan national, public fidèle et qui nous suit également sur le site internet.
J'attends de France Ô de véritables contenus et non des reportages alibis. Les ultramarins ne sont pas des Français entièrement à part mais des Français à part entière. On doit parler d'eux sur les ondes comme on parle des concitoyens des autres régions de France et il convient de ne pas attendre qu'une catastrophe hors norme se produise pour le faire. Nous disposons d'outils légers pour traiter les sujets d'actualité en direct et qui permettent aussi de transmettre des images. Il faut aussi valoriser les initiatives et réussites d'entreprises mises en oeuvre par des ultramarins sur le territoire hexagonal : la future plateforme numérique devra répondre à ce besoin.
Martinique La 1ère aurait besoin d'effectifs supplémentaires pour développer le numérique mais également la radio et pourrait accueillir des journalistes actuellement en poste au siège de Malakoff. Mais l'impératif de réduction des effectifs ne prend pas cette orientation alors même que nous aurions besoin de rajeunir l'équipe de Martinique La 1ère dont la moyenne d'âge est supérieure à 50 ans.
Pour les scolaires, nous élaborons actuellement un partenariat avec le rectorat pour tourner des émissions destinées aux jeunes. À cet effet, nous travaillons avec l'association Lumina de valorisation de la jeunesse et du patrimoine martiniquais. Je ne baisse pas les bras et je veux porter ces projets avec nos personnels ici et les équipes à Paris qui se tourneraient vers le numérique
M. Robert Laufoaulu. - J'ai pris connaissance du mouvement de protestation de Polynésie La 1ère menaçant de bloquer la tenue du 16e Festival international du film documentaire océanien (FIFO) à Tahiti. Se sont-ils sentis dépossédés de l'événement par les équipes parisiennes ? L'écoute est-elle suffisante ?
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - Les stations des chaînes La 1ère jouissent d'un fonctionnement totalement autonome et bénéficient de renforts pour les opérations exceptionnelles à la demande des directeurs régionaux. Pour le Tour des yoles, par exemple, notre budget s'élève à 450 000 euros et nous déployons une soixantaine de personnes alors que France Ô en envoie quatre en renfort. Il n'y a pas de mainmise de Paris sur les productions locales et je pense que le mouvement social en Polynésie a sans doute été déclenché par le plan de transformation présenté par la présidente de France Télévisions qui affiche un objectif de suppression de 2 000 postes d'ici 2022 pour recruter en contrepartie 1 000 jeunes : ce plan suscite en effet des inquiétudes.
Mme Gisèle Jourda. - Il fut une époque où France 3 rendait compte régulièrement de ce qui se passait dans les régions d'outre-mer et ce n'est plus le cas aujourd'hui. Cela crée une lacune et a fait disparaître un lien.
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - La suppression du journal de France 3 a effectivement fait disparaître une fenêtre sur les outre-mer et France info est aujourd'hui le seul relais. Pourtant, nous disposons localement des moyens techniques de faire du direct et de travailler de concert malgré les décalages horaires qui constituent un frein. Cette question a été évoquée dans le cadre du chantier de la transformation qui est en cours et les outre-mer expriment une demande forte de contact avec l'échelon national, notamment en direction des publics de l'hexagone, ultramarins ou pas, mais aussi des autres territoires. Rendre compte des seuls événements exceptionnels - débordements climatiques ou échouage massif de sargasses - ou de la météo n'est pas suffisant.
M. Michel Raison. - La télévision est un vecteur de cohésion nationale et il est nécessaire de parler davantage des outre-mer en dehors des phénomènes apocalyptiques comme le fait notamment TF1 dans son journal de la mi-journée en présentant tour à tour les régions de l'hexagone.
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - L'exemple du carnaval est éloquent : sont présentés régulièrement les carnavals qui se déroulent à l'étranger, comme le carnaval de Rio ou de Venise, mais jamais ceux des outre-mer alors même qu'ils correspondant à une tradition antillaise forte. On parle de la Route du Rhum qui relie Saint-Malo à Pointe-à-Pitre, mais jamais des compétitions de va'a de Polynésie. Les outre-mer offrent des panoplies de déclinaisons pour les chaînes nationales et il faut qu'elles se saisissent de ces opportunités, a fortiori puisque les reportages existent localement et que nous tournons déjà en HD, seule la diffusion étant encore en SD. Nos équipes éditoriales sont correctement formées et le réseau des chaînes La 1ère relie 9 stations sur 3 océans, ce qui représente une chance exceptionnelle. Il ne manque que la volonté pour que les chaînes nationales rendent compte des réalités des outre-mer.
M. Gérard Poadja. - Il faut remédier au déficit de visibilité des outre-mer sur les chaînes nationales et que ceux-ci ne soient pas uniquement mis en exergue lorsqu'ils sont victimes de phénomènes climatiques exceptionnels ou d'événements politiques graves. Il faut surveiller l'évolution rapide des technologies car en matière d'information les réseaux sociaux deviennent plus performants et concurrencent les autres médias. La nouvelle télévision locale, Caledonia, est très réactive pour les informations de proximité. Qu'en est-il des chaînes La 1ère ?
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - Caledonia a d'emblée été performante sur le numérique ce qui lui permet d'être très réactive sur le terrain, pour des événements locaux notamment comme la foire de Mare ou celle de Bourail. Les personnels des chaînes La 1ère sont davantage formés aux médias traditionnels, radio et télévision. Martinique La 1ère dispose désormais d'équipements plus performants que les autres stations. Les territoires du Pacifique, les plus éloignés de l'hexagone, sont nettement sous-représentés et il faudrait mettre en place une véritable stratégie pour aménager leur visibilité sur les chaînes nationales ; cette stratégie devra être imposée pour éviter qu'elle ne se résume à des reportages alibis.
M. Michel Magras, président. - Qu'en est-il de la formation des jeunes aux métiers du secteur audiovisuel dans le cadre de l'Université des Antilles ? Si l'on compare France Ô à un chef de famille, quel sera l'impact de sa disparition de la TNT et de son transfert vers l'univers du numérique ? Le réseau des chaînes La 1ère ne sera-t-il pas orphelin et comment l'héritage sera-t-il réparti ? Que deviendront les publics ultramarins de l'hexagone auxquels s'adressait France Ô ?
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - France Ô s'adresse essentiellement à la communauté ultramarine de l'Île-de-France. France Ô a une ligne trop élitiste. J'attends de la relation avec France Ô qu'elle soit plus pragmatique et réaliste.
À la création de France Ô, les chaînes locales ont exprimé leur hostilité car elles voyaient dans France Ô un concurrent direct absorbant des ressources budgétaires. Lors de la bascule annoncée vers le numérique, nous souhaiterions que les moyens dévolus à France Ô - la chaîne ayant un budget équivalent à celui d'une station d'outre-mer - soient réaffectés aux stations des chaînes La 1ère qui en ont besoin, notamment pour développer la co-production et la réalisation de documentaires qui pourraient être diffusés sur les chaînes grandes nationales. Le coût d'un documentaire transversal sur les sargasses par exemple ne saurait être absorbé aujourd'hui pas une seule station.
Concernant la formation, nous éprouvons des difficultés à pérenniser des relations avec l'université et les écoles de journalisme car la politique de réduction des effectifs ne permet pas l'embauche de jeunes malgré nos ambitions éditoriales pour le développement du numérique.
M. Michel Magras, président. - Nous avons perçu les inquiétudes et parfois la résignation des personnels de Malakoff face à la suppression de France Ô lors de notre visite au siège. Certains imaginent que la bascule vers le numérique pourrait placer France Ô dans une situation avant-gardiste.
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - Je partage cette ambition numérique qui met d'emblée en connexion avec le monde entier et dont la gestion est moins onéreuse. La plateforme ne devra cependant pas se substituer aux stratégies numériques de chaque station qui doivent pouvoir continuer à rendre compte des événements de proximité, compétition sportive ou autre.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - La TNT reste pour moi plus confortable, en termes de qualité d'image notamment.
M. Michel Magras, président. - Pensez-vous que la couverture numérique des outre-mer sera suffisante à l'horizon 2020 et n'y a-t-il pas une question de coût qui se posera à l'utilisateur ?
Mme Yolaine Poletti-Duflo. - Le délai est en effet très court et il faudrait une période transitoire qui permette de former les équipes au numérique. Il faudra également veiller à ce que la nouvelle plateforme numérique n'absorbe pas les plateformes locales.
Jeudi 7 février 2019
- Présidence de M. Michel Magras, président -Représentation et visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public - Table ronde sur la production audiovisuelle outre-mer
M. Michel Magras, président. - La production est bien entendu au coeur même de notre sujet d'étude sur la représentation et la visibilité des outre-mer sur les chaînes publiques et je vous remercie d'avoir répondu nombreux à notre sollicitation.
Sont ici présents :
- Mme Christine Della-Maggiora, présidente du SPACOM, syndicat qui regroupe les producteurs de six territoires ultramarins (La Réunion, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane) ; elle-même est à la tête de la Fédération indépendante des producteurs audiovisuels de Nouvelle-Calédonie ; Mme Della-Maggiora est accompagnée de Mme Murielle Thierrin, vice-présidente de l'Association des producteurs de Guyane et membre du SPACOM ;
- MM. Sébastien Folin et Olivier Drouot, producteurs associés de La Belle Télé, producteurs notamment de magazines et émissions culturelles ;
- M. Greg Germain, réalisateur et acteur, et qui présidait encore il y a peu de temps l'Agence de promotion et de diffusion des cultures d'outre-mer ;
- M. Grégoire Olivereau, dirigeant de la société Eden qui, notamment, propose de croiser les regards des ultramarins sur les grands sujets d'actualité dans le magazine Témoins d'outre-mer sur France Ô ;
- M. Cyrille Perez, co-dirigeant de 13 Productions et membre du bureau du Syndicat des producteurs indépendants ;
- M. Olivier Roncin, producteur à Pois Chiche Films et qui réalise notamment des documentaires sur les biodiversités ultramarines, sujet qui nous est cher.
Les annonces du Gouvernement relatives à la suppression de France Ô de la TNT à l'automne 2020 assortie d'un renforcement de la présence des outre-mer sur les chaînes publiques nationales ainsi qu'à la mise en place d'une plateforme numérique dédiée aux outre-mer impactent très directement votre coeur de métier. Nous souhaitons en mesurer concrètement les enjeux, qu'il s'agisse de la production locale ou de celle qui est réalisée par les acteurs établis dans l'hexagone.
À moins que les rapporteurs, Maurice Antiste, sénateur de la Martinique, et Jocelyne Guidez, sénatrice de l'Essonne qui a également des attaches fortes en Martinique, ne souhaitent intervenir, je vous cède la parole car nous disposons de peu de temps du fait de notre présence requise dans l'hémicycle pour la venue du président de la Cour des comptes. Je vous demande donc de respecter les 5 minutes imparties et d'aller à l'essentiel, étant entendu que toutes vos contributions écrites seront les bienvenues. Madame Della-Maggiora, c'est à vous.
Mme Christine Della-Maggiora, présidente du SPACOM. - Le SPACOM a été créé il y a deux ans, à la suite d'états généraux organisés en Polynésie lors desquels nous avons établi le constat amer que lorsque nous essayons, chacun de notre côté, d'avoir de la visibilité en métropole, nous n'y arrivions pas. Nous avons donc essayé de réunir tous les producteurs d'outre-mer dans un même syndicat, de manière à avoir une parole forte, sachant que nous portons des problématiques assez communes. Je prends donc la parole au nom de l'ensemble des producteurs d'outre-mer.
J'aimerais d'abord dresser l'état des lieux de nos filières locales de production. Assez jeunes, elles se sont constituées depuis 2002. Nous avons l'impression que les chargés de programmes des télévisions considèrent toujours que nos productions ne sont pas abouties. Or, nous avons avancé très vite puisque nous comptons désormais plus de 1 000 techniciens et 90 sociétés de production qui produisent des documentaires, du flux, des magazines et des fictions. Nous sommes à même de produire des films au même niveau que des producteurs métropolitains.
Notre difficulté tient à notre distance de la métropole. Étant donné cet éloignement de plusieurs milliers de kilomètres, les enjeux et les moyens diffèrent forcément.
Nous avons en outre l'impression que lorsque l'on parle des oeuvres ultramarines, elles sont toutes placées « dans le même panier ». Les documentaires et les fictions sont évoqués en même temps, bien qu'ils répondent à des modèles de production totalement différents. De plus, aucune distinction n'est établie entre les productions lancées sur le territoire, par des réalisateurs locaux, et les productions initiées en métropole, par des réalisateurs métropolitains.
Nous souhaitons donc rappeler quelques définitions. Une production locale concerne une société dont le siège social se trouve en outre-mer, qui travaille dans son département ou ces territoires, à la mise en valeur de ceux-ci, en étroite collaboration, avec les techniciens locaux. Elle fait ainsi émerger des talents, tout en faisant partie du tissu économique et social de son département ou de son territoire. Cette notion de tissu est importante, car vous savez que l'outre-mer est souvent sinistré en termes d'emploi : or, notre filière se trouve en plein essor, peut créer des emplois et possède un énorme potentiel. Nous ne voudrions pas qu'elle meure avant de s'épanouir totalement.
Je précise que les boîtes aux lettres sont des sociétés possédant une adresse locale, mais qui ne peuvent se définir comme des sociétés de production locales. Il s'agit en effet de sociétés qui, par opportunisme, viennent chez nous chercher des fonds locaux pour faire fonctionner des productions sans pérennité.
J'en viens à la notion d'oeuvre ultramarine. Une société hexagonale allant tourner un film en Afrique avec un producteur et un réalisateur métropolitains ne conduirait pas à qualifier « d'africaine » l'oeuvre produite ; il devrait en être de même des oeuvres ultramarines. Bien sûr, nous ne nous opposons pas aux coproductions ou aux productions métropolitaines. En revanche, nous voulons un rééquilibrage sur notre visibilité.
Or, France Ô devait être un tremplin pour la production locale. Elle n'y est pas parvenue jusqu'à présent et sa fin a été annoncée. Nous nous demandons par conséquent comment nous parviendrons à avoir une visibilité à l'échelle nationale.
Nous demandons que soit donnée une définition très claire d'une oeuvre ultramarine : il s'agit d'une oeuvre produite par des producteurs ultramarins, totalement ou au moins à 50 % dans le cadre de coproductions avec des sociétés métropolitaines. De plus, elle est le fruit de réalisateurs d'outre-mer et parle de l'outre-mer. Quant aux oeuvres ultramarines initiées en métropole, il s'agit d'une autre notion, différente et complémentaire.
Sans ces deux types de visibilité, nous disparaîtrons car notre filière est en danger. Pour renforcer cette visibilité, il a été d'ailleurs indiqué qu'à la télévision, une semaine par mois ou par an pourrait être dédiée à l'outre-mer. Cette démarche reviendrait à faire encore une fois de l'outre-mer un territoire extérieur à la Nation. S'il n'existe pas d'autre option, nous demandons que l'outre-mer soit représenté sur les chaînes nationales régulièrement, afin d'offrir des opportunités aux producteurs locaux ou aux coproductions.
Nous demandons aussi que les réseaux de nos premières soient supportés par des aides beaucoup plus importantes, sachant que nous produisons depuis plus de dix ans avec nos premières. Nous savons que les producteurs de métropole viendront chez nous puisqu'ils ne disposeront plus de France Ô. Comment réussirons-nous à ne pas être phagocytés par un afflux de sociétés extérieures ? La seule solution consiste à augmenter de manière très importante les budgets des premières pour des productions externes, le danger étant qu'il soit utilisé pour réaliser des productions en interne, ce qui n'apporterait rien à nos filières locales.
Par ailleurs, depuis plusieurs années, nous sommes victimes d'une production à deux vitesses, comme, sans doute, les régions. Si, en tant que productrice, je propose un projet de film documentaire en Nouvelle-Calédonie, pour le même budget la chaîne La 1ère me donne 9 000 à 15 000 euros quand France Ô accordera 35 000 à 45 000 euros. Nous aimerions que les producteurs locaux et les producteurs nationaux soient mis sur un pied d'égalité et avoir ainsi la possibilité de faire travailler de plus nombreux techniciens.
S'agissant de la question des quotas, qui est controversée, je souligne que les productions ultramarines et locales ne pourront jamais avoir aucune visibilité sur les chaînes nationales sans eux. Il faut donc y recourir de manière décomplexée, pour défendre la production locale.
Enfin, je veux lancer un appel. France Ô devait être un tremplin, qu'il n'a pas été. Désormais, les pouvoirs publics désignent France Télévisions comme relais. Nous en sommes toutefois distants de 10 000 à 22 000 kilomètres et nous n'avons aucune possibilité d'atteindre les chargés de programmes. Si rien n'est mis en place, nous disparaîtrons.
Nous comptons donc sur vous pour nous aider à ne pas disparaître et pour soutenir une filière en plein développement.
M. Michel Magras, président. - Je vous garantis que le Sénat, fidèle à ses habitudes, établira un rapport étayé. Je souligne que les territoires comptent de nombreux producteurs qui n'ont pas tous pu être invités ce matin. Nous essayons cependant de réaliser un tour d'horizon aussi complet que possible et nous rendrons compte fidèlement de la situation, en formulant bien sûr des préconisations.
M. Greg Germain, acteur et réalisateur. - Bien que j'aie lancé des productions, je suis surtout acteur et réalisateur. Les nombreux producteurs ici présents pourront vous parler de notre filière, en passe d'être détruite. Pour ma part, je parlerai plutôt de l'humain.
Depuis 1990, j'opère dans le domaine de la culture en France, avec plus ou moins de bonheur, car c'est un pays difficile pour les représentants de la diversité. Depuis 1991, j'ai plaidé pour une modification de la loi relative à l'audiovisuel public, notamment en ce qui concerne le rôle du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) en outre-mer. Modifiée en 1993, la loi n'est appliquée que depuis 2014.
Quant au spectacle vivant, j'essaie depuis 1994 d'aider mes compatriotes d'outre-mer à participer en métropole à la grande fête du théâtre, au festival d'Avignon où j'ai monté un théâtre. Or le ministère de la Culture ne veut toujours pas en entendre parler. J'ai présidé l'association de préfiguration de l'agence pour la promotion et la diffusion des cultures des outre-mer, mais ce projet n'a pas pu prospérer, étant saboté par le ministère de la culture. Or, les financements sont nécessaires pour que les compatriotes des territoires éloignés puissent exercer leur art dans leur capitale.
Je donnerai lecture du texte que j'ai préparé avec Marie-Pierre Bousquet, d'Axe Sud Production, et Véronique Polomat qui travaille à France Ô, que nous avons intitulé : « Disparition de France Ô : une mauvaise décision prise sur de mauvais fondements ».
Concernant les outre-mer, la situation qui prévaut depuis très longtemps se résume ainsi : la quasi-absence des artistes et des imaginaires de l'outre-mer français dans tous les domaines culturels de la Nation. Cette absence de visibilité pousse les Français de l'hexagone à avoir de l'outre-mer et des populations qui en sont issues une vision simpliste marquée par de nombreux clichés, témoins d'une extraordinaire ignorance de leurs réalités.
Constat inquiétant dans la mesure où cette ignorance contrarie et freine le développement économique et social des originaires de ces départements isolés de notre République et nourrit des préjugés sans fondement et des discriminations qui se ressentent aussi bien en outre-mer que dans l'hexagone.
Pourtant, les ultramarins sont présents sur l'ensemble du territoire national dans tous les secteurs d'activités, à tous les niveaux et appartiennent à tous les milieux sociaux de notre pays.
Pour nous professionnels de la culture, le déficit chronique d'images positives dont souffrent les ultramarins se vit au quotidien dans tous les domaines de la culture, que ce soit à travers la télévision (notamment de service public), le spectacle vivant (théâtre et danse), la littérature, le cinéma, la radio et la musique.
Nous savons tous que la télévision est LA principale façon de valoriser la culture et les imaginaires de la diversité, ce qui permettrait de les inclure dans l'exception culturelle française et de faire savoir à tous que l'originalité et les identités spécifiques de l'outre-mer sont véritablement des éléments constitutifs de la richesse culturelle de la France.
Incapables de se reconnaître dans une télévision qui ne leur renvoie aucune image constructive d'eux-mêmes, plus de 5 millions d'ultramarins sont dans l'attente de programmes qui permettraient une meilleure compréhension des réalités qui sont les leurs et l'émergence d'une véritable égalité entre tous les Français avec un réel sentiment d'appartenance nationale.
Pour corriger le déficit d'image de l'outre-mer et des ultramarins dans les médias, cette exclusion silencieuse vient d'être confirmée par une étude du CSA, le législateur a mis en place France Ô, chaîne issue de RFO Sat qui avait néanmoins en germe deux entraves majeures : son manque de moyens et un lien mal défini avec les structures de RFO, ne lui permettant pas une grande ambition éditoriale et interdisant tout développement dans le cadre d'une vraie stratégie d'antenne clairement identifiée.
Plutôt que de répondre à cette belle idée de lien social et faire de France Ô une chaîne nationale créatrice de lien entre l'hexagone et les outre-mer, les dirigeants de France Télévisions se sont empressés depuis 2005 de déverser tous les programmes refusés par les autres chaînes du groupe sur France Ô, avec comme résultat évident de rendre la ligne éditoriale indistincte, et de tirailler la chaîne entre diversité, banlieues et outre-mer avec une grille des programmes hétéroclite mélangeant journaux de l'outre-mer, émissions de hip-hop, magazines de débat, télénovélas sud-américaines, diffusion et rediffusion de séries françaises vues et revues sur les autres chaînes du groupe. En quelques années, ils en ont fait une chaîne déversoir du service public marquée par l'errance éditoriale. Pour autant, supprimer France Ô est une mauvaise décision prise sur de mauvais fondements.
En effet, qu'est-ce que France Ô ? France Ô est la première chaîne multiculturelle française émettant 24 heures sur 24, sur le câble et le satellite, canal 19 de la TNT. France Ô, est à la fois la vitrine des régions ultramarines mais aussi le miroir de la France multiple et se positionne comme l'antenne de la diversité et des différences. Elle est donc aujourd'hui la seule chaîne à véritablement prendre en compte les problématiques et les enjeux de la France d'outre-mer.
Quant aux arguments avancés pour supprimer France Ô, des prétextes ont été avancés par le Gouvernement : le prétexte financier car France Ô ne coûte que 25 millions d'euros ; le prétexte de l'audience, qui atteint 0,6 à 0,8 %, à comparer avec la chaîne France Info, qui n'obtient que 0,3 % de part d'audience et coûte 50 à 75 millions d'euros.
La WebTV ne remplace pas le rôle fédérateur et social de la télévision qui touche tous les publics et réunit les outre-mer, les Français qui en sont issus et les Français de l'hexagone, autour de centres d'intérêt communs, de problématiques communes tout en valorisant leur authenticité. Linéaire et web sont donc différents mais complémentaires : l'un ne peut pas remplacer l'autre ! Et quand à la couverture 3G et 4G en outre-mer, elle est loin d'être assurée, pas plus que dans l'hexagone d'ailleurs.
Mais, le numérique est le support d'avenir nous dit-on. Alors pourquoi avoir fait passer France Info du web sur la TNT ?
On s'aperçoit bien là que ce sont de faux arguments, teintés d'ostracisme vis-à-vis de l'outre-mer et des ultramarins, et qui s'apparentent - n'ayons pas peur des mots - à un apartheid à la française.
En revanche, une transformation de France Ô est nécessaire : il faut clarifier, redéfinir et redynamiser la ligne éditoriale de la chaîne. Il faudrait aussi développer les programmes de France Ô en dotant la chaîne d'un véritable budget de production pour nourrir la diversité de ces antennes de programmes propres reflétant la diversité française, avec une large part à l'outre-mer et aux producteurs originaires de l'outre-mer.
Supprimer France Ô ou faire passer la chaîne sur le web serait une grave erreur et une injustice car elle apporte une meilleure connaissance des Français entre eux et répond aux impératifs de la mission de service public. Elle est pour la Nation un vecteur de cohésion sociale.
Les enjeux pour les outre-mer sont de taille, mais l'enjeu stratégique qui est de faire société entre tous les Français est primordial pour notre pays. Plus grave encore, la disparition de France Ô n'est que le premier étage de la fusée libérale destinée à supprimer les chaînes régionales de La 1ère et donc le service public audiovisuel en outre-mer. En effet, les programmes des autres chaînes étant accessibles directement sur leurs chaînes d'origine dans le bouquet diffusé dans ces territoires, pourquoi dépenser de l'argent en proposant un service public de télévision ?
La stratégie employée serait donc la suivante : d'abord supprimer France Ô, en délinéarisant la chaîne puis dans quelques années, assécher financièrement les Premières qui laisseront le champ libre à une syndication de télés privées. Et quand on connaît la fracture numérique abyssale et la couverture plus que limitée de la 3G et la 4G en outre-mer (25 000 sites dans l'hexagone et 221 en outre-mer), on comprend l'intérêt et le lobbying féroce des opérateurs privés.
Le mieux serait évidemment de sortir France Ô du groupe France Télévisions, de la repenser à partir d'un projet éditorial stratégique pour les outre-mer et d'en faire une vraie chaîne de service public. Il serait inadmissible que France Ô disparaisse sans que soit envisagé un projet alternatif.
M. Michel Magras, président. - Nous sommes évidemment preneurs de tous les documents écrits que vous voudrez nous remettre, afin que nous les insérions dans notre compte rendu.
M. Olivier Roncin, producteur à Pois Chiche Films. - Je répondrai à Christine Della-Maggiora, avec laquelle nous travaillons d'ailleurs actuellement à la production de documentaires. Je suis en effet un producteur national, situé en région, à Nantes. J'ai beaucoup travaillé sur l'outre-mer, de l'adaptation du « Cahier d'un retour au pays natal » d'Aimé Césaire, pour France Télévisions, au film « Métis de la République », sur le premier maire noir élu en métropole, en 1929, à Sablé. Ces trois dernières années, j'ai produit cinq documentaires de 52 minutes, sachant que je ne produis que des documentaires de création au sens du CNC.
Mon compagnonnage avec l'outre-mer est une vieille histoire puisque, de 1988 à 1993, j'ai fait partie de l'équipe de MM. Le Pensec et Rocard, dans le cadre des négociations pour l'intégration de l'outre-mer dans l'Europe. J'ai aussi été l'un des directeurs généraux de RFO. Depuis quinze ans, je produis de nombreux films en Martinique, en Guadeloupe, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à La Réunion et, tout récemment, en Nouvelle-Calédonie.
Pour la filière de production audiovisuelle française, il faut partir du problème majeur de l'hyper-centralisme. Selon les organismes sociaux, 87 % des salaires payés à toute la filière du cinéma et de l'audiovisuel, pour les intermittents comme pour les permanents, le sont en Île-de-France. À Nantes, je sens déjà un effet périphérique. Le problème de l'hyper-centralisme se pose encore davantage pour les sociétés situées dans l'hyper-périphérie.
Des politiques publiques de fond ont fait défaut, en matière de décentralisation culturelle, malgré des tentatives infructueuses en 1976 ou en 1982.
Pire, les récentes réformes du CNC, dont notre ami du Syndicat des producteurs indépendants (SPI) pourra parler, vont toutes vers la concentration des entreprises. Le directeur général du CNC l'a indiqué clairement et le modeste observateur des affaires publiques que je suis pense que les décisions reviennent à Bercy lorsque le ministre de la culture n'a pas une forte personnalité. Or, le parti pris de Bercy est favorable à la concentration du secteur de la production. Dans ce cadre, j'ai d'ailleurs récemment revendu ma société à un groupe et depuis lors mes dossiers auprès du CNC, dont le traitement exigeait auparavant plusieurs mois, connaissent des délais réduits.
Cette concentration pénalise fortement l'outre-mer puisque les sociétés de production ultramarines ne possèdent pas une ossature suffisante pour produire des oeuvres de création d'ampleur.
Mme Christine Della-Maggiora. - Je ne suis pas d'accord.
M. Olivier Roncin. - Je reconnais que je suis un peu excessif. Cependant, presque aucune société ultramarine ne dispose d'un compte automatique. Or, il s'agit d'une nécessité pour produire dans des conditions confortables, car presque tous les grands diffuseurs nationaux l'exigent « sous la table ».
Mme Christine Della-Maggiora. - Vous parlez négativement de notre filière. Or, elle se trouve en plein développement et nous cherchons tous à disposer de l'automatisme, qui existe d'ailleurs déjà à La Réunion. Pour y parvenir, nous avons besoin d'ouvertures, afin de pouvoir diffuser sur France Télévisions et en disposant d'un réseau de premières qui avance. Ne rabaissez pas les productions locales.
M. Olivier Roncin. - Je ne les rabaisse pas. Je fais un constat. Avec un compte automatique confortable, ma société avait du mal à fonctionner, alors que je disposais de 250 000 euros pour un minimum requis de 80 000 euros. À présent que je me trouve dans un grand groupe, et avec 4,5 millions d'euros je n'ai plus de problème.
Surtout, ce phénomène de concentration résulte d'une volonté du CNC, qu'il serait intéressant d'interpeller en évoquant notamment les dimensions régionales et ultramarines.
Quant à la production en elle-même, je souligne que la matière de l'outre-mer est formidable, avec des sujets de portée universelle, des qualités de témoignages et des histoires humaines magnifiques. De plus, l'outre-mer dispose de moyens techniques très conséquents et de qualité. En Nouvelle-Calédonie, d'où je reviens de deux tournages, ma cadreuse a ainsi réalisé un travail remarquable.
En revanche, la structure de production y est faible. Je pense en fait que le CNC et les collectivités territoriales, qui disposent d'un fonds de soutien, ont une vision un peu poétique de la production audiovisuelle, car s'ils soutiennent des oeuvres, je doute qu'ils aient une stratégie de filière.
Mme Christine Della-Maggiora. - Si...
M. Olivier Roncin. - Je parle selon mon expérience martiniquaise, tout en sachant que la situation diffère à La Réunion. Des potentialités régionales importantes existent néanmoins.
Quant à France Ô, je regrette profondément sa disparition. De 1994 à 1998, quand j'étais à la Direction générale de RFO, une fenêtre invraisemblable existait sur France 3, le samedi matin de 11 heures à midi, avec le magazine Outre-mer. Nous nous débrouillions avec trois francs six sous pour ce qui était la seule ouverture sur l'outre-mer de la télévision publique. Je crains que nous ne soyons très rapidement ramenés à cette situation, pitoyable. France Ô donnait une possibilité formidable pour traiter les sujets ultramarins. Ma collègue soulignait toutefois que des sociétés nationales produisaient ou coproduisaient les programmes en laissant peu de place aux producteurs locaux. Peut-être faudrait-il un rééquilibrage. Il s'agit néanmoins d'une fenêtre formidable.
M. Cyrille Perez, producteur à 13 Productions, et membre du bureau audiovisuel du Syndicat des producteurs indépendants (SPI). - Je suis producteur à 13 Productions, installé à Marseille. Nous coproduisons actuellement, avec des sociétés de production de chaque territoire concerné, la collection « Gens de la terre », pour France Ô. Vous projetterez d'ailleurs dans dix jours, en avant-première au sein de votre délégation, un épisode concernant des femmes agricultrices de Mayotte.
Actuellement, France Télévisions consacre 420 millions d'euros à la création, dont moins de 1 % est affecté aux antennes d'outre-mer. De plus, les antennes premières des neuf territoires consacrent 5 % de leur budget à la création et 95 % aux frais de personnel et à l'information. Jusqu'à présent, France Ô assurait 20 à 50 % du volume horaire de ces antennes. Bien qu'un pôle outre-mer soit conservé à Malakoff, sa disparition posera des problèmes pour assurer le volume horaire de ces antennes. Or le budget de France Ô, de 25 millions d'euros, ne représente que 0,8 % du budget de France Télévisions, tandis que plusieurs centaines de millions d'euros d'économies sont évoquées. Enfin, France Télévisions consacre 101 millions d'euros aux documentaires, dont 12 millions seulement aux documentaires de France 3 régions et des chaînes La 1ère.
Le SPI, syndicat de 450 producteurs présents dans tous les territoires, a formulé diverses propositions dans le cadre de la réforme de l'audiovisuel public. Alors que France Télévisions annonce une couverture numérique de l'ensemble des territoires, il faut rappeler les nombreuses difficultés d'accès au numérique dans ceux-ci. Comment penser que dans certaines zones de Guyane ou de Nouvelle-Calédonie, les téléphones portables et les télévisions permettront de regarder un film en HD pendant 52 minutes, alors que certaines zones entre Marseille et Paris sont dépourvues de 3G et de 4G ? La plateforme numérique annoncée ne pourra donc pas donner accès aux programmes, sachant en outre que la population cible de France Télévisions est plutôt âgée.
Le syndicat propose que les différentes directions de France Télévisions portent un regard attentif sur le monde ultramarin. Toutes les directions, de la fiction comme des magazines et des documentaires, devraient comporter des conseillers à l'outre-mer. Celui-ci doit cesser d'être placé dans des ghettos éloignés du siège, à Malakoff ou ailleurs, où ils apparaissent comme « la huitième roue du carrosse » de France Télévisions. Ces conseillers pourraient être issus de ces territoires et seraient en tout cas habitués à les regarder, tout en sachant juger artistiquement les programmes, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Il nous est aussi annoncé un prime time mensuel sur l'outre-mer, sur France Télévisions. Il s'agit d'un chiffre ridicule, sachant que la population ultramarine représente 5 % de la population de la France. Des quotas doivent donc être inscrits dans le COM de France Télévisions, bien que celle-ci les refuse en estimant qu'elle est déjà soumise à trop de quotas. La semaine dernière, le Président de la République répondait encore à votre collègue de l'Assemblée de Saint-Pierre-et-Miquelon qui lui faisait part des difficultés d'accès des producteurs ultramarins. Sans quotas pour les chansons françaises, les radios n'en diffuseraient plus.
Nous militons donc pour que les programmes ultramarins disposent de deux horaires par semaine, à des moments de grande écoute. Ces programmes ne doivent pas se limiter à la découverte des territoires, comme avec « Des racines et des ailes ». Ils doivent aussi concerner des sujets culturels et de société. France Télévisions produit déjà plus de mille heures de documentaires de société. Des programmes concernant la justice ou l'éducation dans les territoires d'outre-mer devraient aussi être diffusés. Pour y parvenir, les pouvoirs publics doivent inscrire des quotas dans les cahiers des charges des chaînes de télévision.
Une obligation de moyens s'impose également. Le budget de 0,8 % que j'ai évoqué est inadmissible. Les problèmes posés par la disparition de France Ô et les difficultés des premières risquent d'ailleurs d'être répliquées dans dix ans pour les régions métropolitaines. Nous militons donc pour un relèvement des obligations financières concernant la production patrimoniale, afin de passer à 25 millions d'euros, contre 12 millions actuellement.
M. Michel Magras, président. - Nous avons bien sûr des inquiétudes sur le respect des obligations qui seront inscrites dans les cahiers des charges des chaînes nationales au regard de la situation actuelle et malgré le travail initié par le Gouvernement pour définir des indicateurs.
M. Sébastien Folin, producteur associé, La Belle Télé. - Olivier Drouot et moi-même dirigeons la société La Belle Télé et produisons des programmes pour France Télévisions et d'autres chaînes, notamment pour France Ô, sur laquelle je présente des émissions. Je suis ainsi l'une des têtes d'affiche, comme Greg Germain, de cette chaîne amenée à disparaître.
La fin de France Ô me semble actée. Quand sa fermeture a été annoncée, il a été indiqué que désormais l'ensemble des territoires d'outre-mer rayonnerait sur l'ensemble des chaînes du service public. Il faut toutefois savoir de quelle manière. Cela se traduira-t-il par une vision de carte postale de l'outre-mer, avec un prime time par mois sur les plages de Bora-Bora, le lagon de Mayotte ou les montagnes de La Réunion, ou montrera-t-on enfin les régions d'outre-mer comme les autres régions de France, en parlant d'éducation, de technologies, de santé et d'autres sujets concernant l'ensemble de la société ? Là est la principale question et il faut un cadre précis pour éviter que cette exigence ne dépende que du bon vouloir des dirigeants des chaînes.
Actuellement, quand nous demandons aux dirigeants de France Ô comment placer des sujets culturels ou sociétaux, ils ne savent pas nous répondre, et je ne sais pas s'ils le sauront un jour. Les producteurs sont dans l'expectative et s'interrogent donc, qu'ils soient situés en outre-mer ou qu'ils travaillent en coproduction.
Nous nous dirigeons vers un prime time mensuel et une nuit annuelle de l'outre-mer. Dans l'audiovisuel, le nerf de la guerre, ce sont les cases. Tant qu'il n'existera aucune obligation concernant des cases précises sur tous les sujets - culture, divertissement, société, découverte -, tout dépendra du bon vouloir des dirigeants des chaînes. Le projet prévoit qu'un pôle outre-mer réceptionne toutes les propositions sur tous ces sujets, puis les trie et les présente aux autres unités, qui décideront, selon leur vision de l'outre-mer, qui n'est pas forcément celle de spécialistes.
Actuellement, la télévision nationale montre les ultramarins sous deux aspects, l'aspect exotique et, aux actualités, l'aspect effrayant, quand des personnes mécontentes brûlent des palettes. En effet, notre situation sociale est dramatique. L'outre-mer ne se limite pourtant pas à cela et tant que nous resterons ainsi stigmatisés les troubles continueront. Il en va donc de la représentation des ultramarins au niveau national.
Cela nous amène aux questions de la diversité, qui m'intéressent au premier chef puisque je siège à l'observatoire de la diversité du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Quelques progrès sont à noter, mais les outre-mer restent largement méconnus des Français de l'hexagone et des Français ultramarins pour les territoires qui ne sont pas le leur. La disparition de France Ô fera chuter les chiffres de la représentation de la diversité à France Télévisions, déjà peu élevés. La suppression de France Ô impactera la situation de quelque quatre cents personnes au siège de Malakoff.
M. Greg Germain. - La disparition de France Ô n'est pas actée. Parfois, les décideurs reculent.
M. Sébastien Folin. - Si elle se confirmait, qu'en serait-il de la représentation de l'ensemble de l'outre-mer, de manière intelligente, sur les chaînes du service public ?
M. Olivier Drouot, producteur associé, La Belle Télé. - En tant qu'artisan qui fabrique des programmes, j'observe la lente mais sûre déliquescence de France Ô, à laquelle la direction de France Télévisions n'accorde aucune importance. Un véritable plan de développement concerne les régions métropolitaines, sur France 3 et de l'argent irrigue leurs stations. En revanche, rien ne se passe pour les outre-mer, comme si ces territoires n'étaient pas considérés comme des régions françaises à part entière. En particulier, les questions sur les contenus ne sont pas traitées. Quant au CNC, il joue un rôle croissant, puisque l'argent et donc la diversité se raréfient à France Télévisions. J'appartiens cependant à la commission culture et spectacles du CNC et peux vous assurer que les dossiers émanant des sociétés ultramarines sont traités avec autant d'attention que les autres, voire davantage. Les talents sont d'ailleurs aussi nombreux que dans l'hexagone. Il ne leur manque que des moyens.
M. Cyrille Perez. - Monsieur le président, vous indiquiez que France Télévisions ne respectait guère les cahiers des charges. Or, ses budgets sont votés par la représentation nationale et la loi de finances pourrait en tirer les conséquences.
M. Michel Magras, président. - La décision de fermer France Ô peut sembler actée, puisque le Gouvernement nous a habitués à agir comme il l'avait initialement annoncé, même s'il affirme qu'il nous entend. Cependant, notre mission de sénateurs consiste à ne jamais partir du principe qu'une décision est actée et à examiner le sujet sous tous ses aspects pour envisager toutes les solutions possibles.
M. Grégoire Olivereau. - Le Président de la République a d'ailleurs déclaré le 1er février qu'un travail parlementaire concernait France Ô et que ses conclusions seraient étudiées.
M. Michel Magras, président. - Lors de nos premières auditions, après l'annonce de juillet dernier, la mission constituée par le Gouvernement nous avait bien indiqué que rien n'était décidé.
M. Grégoire Olivereau. - Ma société, Eden, produit actuellement pour France 3, France Ô, Public Sénat, les groupes Canal+ et TF1, principalement des programmes de flux, mais aussi des documentaires et des films destinés aux réseaux sociaux. Mes activités m'ont souvent amené à être en contact avec les acteurs des outre-mer, qui dépendent très fortement de France Télévisions.
Ma société se positionne comme un producteur national, qui comprend dans son champ de compétences, les outre-mer. Si, dans cette catégorie, France Ô est notre principal client, nous avons aussi tourné pour Cuisine+, Ushuaia, Canal+ Réunion et des institutions comme le Ministère des outre-mer.
Dans le domaine du flux, notamment pour les magazines, le financement provient d'un seul client, à quelques exceptions près. Pour les documentaires que nous avons produits, nous avons pu nous appuyer sur des aides régionales et parfois sur un second diffuseur. En revanche, le CNC n'a jamais soutenu nos documentaires destinés à France Ô.
Quoique je connaisse bien les directeurs régionaux et les responsables des programmes de La 1ère, mon seul interlocuteur est France Ô. Depuis que je collabore avec cette chaîne, j'ai connu deux directeurs exécutifs et six directeurs des programmes. La ligne éditoriale de la chaîne a évolué, en passant d'une chaîne des outre-mer, de la diversité, des cultures urbaines et de la jeunesse à une chaîne exclusivement consacrée à l'outre-mer. Notre travail de producteur consiste à nous adapter à ces évolutions, même si nous n'y sommes pas forcément favorables.
Je ne suis d'ailleurs pas favorable à la suppression de France Ô. D'une part, elle induirait une perte de chiffre d'affaires de 50 % pour ma société. D'autre part, je crains que cette décision ne soit motivée que par des raisons d'économies, sans véritable réflexion stratégique. Or, de nombreux territoires d'outre-mer sont de véritables poudrières sociales, comme nous l'ont montré la crise en Guyane, les gilets jaunes de La Réunion et, récemment, la réunion des élus à l'Élysée.
Notre mission consiste notamment à donner la parole aux citoyens ultramarins sur des thèmes de société ou de la vie quotidienne. Ils ont besoin de leur chaîne nationale de télévision, au-delà des stations régionales, afin qu'elle reflète la réalité de leurs territoires dans les outre-mer et dans la France hexagonale.
Un problème existe bien sûr. Une chaîne exclusivement consacrée à l'outre-mer ne fait pas d'audience, tandis qu'une chaîne de l'outre-mer, de la diversité, des cultures urbaines et de la jeunesse en faisait davantage. Sans être la panacée, ce positionnement était cohérent avec la jeunesse des outre-mer.
Est-il cependant nécessaire que le service public fasse de l'audience ? Arte en fait-elle beaucoup ? Le pari de la qualité ne doit-il pas parfois l'emporter ?
Je précise que je produis « Les Témoins d'outre-mer » (LTOM), programme d'une heure de France Ô diffusé en direct à 18 h 40, également diffusé sur les premières. Chaque jour, il donne la parole à treize citoyens de tous les outre-mer, par selfie vidéo. 60 % des invités sont ultramarins, et nous recevons régulièrement des invités qui jouent en live en fin d'émission, par exemple Vaitena, Guulan, Saïfa, Delgrès, Kénaelle, Paul Wamo, Fabrice di Falco et Daniel Waro.
Cette semaine, nous avons notamment traité du Nouvel An chinois, du chômage des jeunes, de l'éveil des enfants à la culture et de la manière dont l'Église peut se réformer face à la pédophilie. Chaque jour, de grandes discussions de trente minutes cherchent à créer des ponts entre les outre-mer, et entre ceux-ci et la métropole.
La présidente de France Télévisions rappelait ici même que notre audience nationale s'élevait à 36 000 spectateurs. C'est peu, mais nous assurons chaque jour une véritable mission de service public en donnant la parole à des citoyens ultramarins sur des thèmes de société qui les concernent et en laissant une large place à l'actualité culturelle. La présidente indiquait d'ailleurs qu'elle était fière de ces programmes.
De plus, nous travaillons chaque jour avec les équipes techniques et éditoriales de France Ô. Nous tournons chez eux, avec eux, avec des équipes compétentes, auxquelles nous apportons notre fraîcheur, notre dynamisme et notre volonté de renouvellement, et elles nous apportent leurs compétences et leur parfaite connaissance des outre-mer. L'échange est permanent.
Quant au numérique, nous en possédons déjà une expérience, puisque LTOM dispose d'un site et d'une application, avec 27 000 abonnés sur Facebook et plusieurs dizaines de milliers de lecteurs quotidiens de nos publications en ligne. Quant à l'avenir de France Ô sur le numérique, je n'en ai aucune idée. Nous savons cependant que le numérique est destiné à une population jeune et amatrice de programmes plutôt courts. De plus, il dispose de moindres financements que la télévision.
Quant à l'idée de renforcer la présence des outre-mer sur les chaînes nationales du service public, je crains que les outre-mer ne soient voués à une approche systématiquement réductrice, de l'ordre de la carte postale, dénuée de pertinence notamment pour les citoyens ultramarins. Je me demande aussi ce qui garantira la présence des outre-mer sur les services publics, par exemple avec les successeurs des dirigeants actuels de France Télévisions dont nous connaissons la forte volonté de représentation des outre-mer. Le baromètre de la diversité mis en place par la précédente équipe semble ne plus exister. En sera-t-il de même du baromètre des outre-mer ?
Dans l'ensemble, l'existence de France Ô est la seule garantie viable de présence des outre-mer à l'échelle nationale. Au minimum, il me paraît nécessaire que le pôle outre-mer de France Télévisions puisse produire en propre un programme diffusé sur les antennes de France 2, France 3 et France 5. La préservation d'une fréquence dédiée aux outre-mer me paraît indispensable.
M. Sébastien Folin. - Diversité et outre-mer ont été beaucoup associés, y compris par moi. Il faut cependant les dissocier. L'existence sur le service public d'une chaîne de la diversité pour assurer le respect des quotas serait scandaleuse, car il s'agirait d'un ghetto audiovisuel. Toutes les populations doivent être représentées sur toutes les chaînes du service public. Je ne suis pas venu de La Réunion à Paris pour être renvoyé à mes origines.
Mme Murielle Thierrin, vice-présidente de l'Association des producteurs de Guyane (GCAM), membre du SPACOM. - Je suis productrice en Guyane et vice-présidente de la GCAM. J'ai près de vingt années d'expérience sur des films de fiction et des séries, des films comme « 600 kilos d'or pur », « La Loi de la jungle » ou la série « Guyane ». Je parlerai donc surtout des fictions.
Je ne me reconnais pas dans certains propos, qui me donnent l'impression d'être réduite à une Française de seconde zone. Or, guyanaise, je veux être reconnue comme française, avec une culture différente, comme les Bretons et les Corses. Je ne veux pas d'une chaîne dédiée, sans ligne éditoriale, mais des prime times qui nous ressemblent sur France 2 et 3. Quant à la fermeture de France Ô, les promesses n'engagent que ceux qui y croient.
M. Greg Germain, il y a quinze ou vingt ans, j'ai suivi votre débat et vos efforts. J'ai fait partie des jeunes gens choisis pour assurer la diversité. Je « faisais bien » sur la photographie. Je rejoins aujourd'hui mes collègues du SPI pour souligner qu'il faut obliger France Télévisions à tenir compte de nous, en leur imposant des quotas, des obligations, avec des pénalités ou des bonus. L'argent est important, donc des sanctions doivent être prévues, afin que nous soyons représentés.
Quant aux oeuvres ultramarines, je souhaite avant tout que notre filière se développe. Nous sommes désormais structurés, avec des techniciens et des scénaristes. Nous pouvons écrire et produire. La centralisation à Paris nous pose cependant problème. Nous ne pouvons pas casser le plafond de verre existant et parvenir à accéder à France Télévisions.
Il faudrait notamment que les producteurs métropolitains venant tourner dans les régions ultramarines soient tenus à une obligation de faire de la coproduction avec des structures locales, dans un esprit de compagnonnage, sans se limiter à la production exécutive.
De plus, en Guyane et dans les Antilles, aucun producteur n'accède au compte automatique. Nous n'existons donc pas. Quant aux dossiers présentés au CNC, ils se limitent chaque année à un ou deux documentaires, sans aucune fiction. Il faudrait un programme mené avec le CNC que France Télévisions aurait l'obligation de relayer.
Des quotas sont également nécessaires. Nous pourrions aussi imaginer des contrats d'objectifs impliquant des partenariats avec des producteurs venus de métropole.
S'agissant de la commission à l'aide sélective pour les oeuvres cinématographiques intéressant les cultures d'outre-mer au sein du CNC, ses membres n'ont presque pas changé depuis douze ans, bien que les mandats se limitent normalement à deux ans. Elle comptait initialement très peu de professionnels venus de l'outre-mer, car nous avions encore besoin de nous structurer. Les projets restent donc jugés par des personnes sans rapport avec l'outre-mer. J'ai ainsi présenté un sujet qui a été refusé au motif qu'il n'était pas représentatif de l'outre-mer. La commission s'attendait à un projet plus exotique, montrant la mer et des cocotiers.
Par ailleurs, dans l'esprit de l'opération 1 000 talents de France Télévisions, nous suggérons une opération sur les 100 talents de production issus de l'outre-mer.
Mme Christine Della-Maggiora. - Nous sommes toujours choqués quand des sociétés métropolitaines s'affirment spécialistes de l'outre-mer. Le mot « spécialiste » est terrible, car il montre que nous ne sommes pas dans la Nation. Je demande une définition de l'oeuvre ultramarine afin d'éviter de tels discours. Nous voulons travailler avec les sociétés métropolitaines, mais nous n'en sommes pas les petites mains.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Au nom des rapporteurs, nous n'avons pas posé de questions, car vous avez exprimé de nombreuses idées en répondant aux questions que nous aurions pu vous poser.
M. Gérard Poadja, sénateur de la Nouvelle-Calédonie. - La Nouvelle-Calédonie, comme les autres territoires ultramarins, dispose d'une richesse exceptionnelle, souvent insoupçonnée par nos concitoyens de l'hexagone et par le reste du monde. Je pense à notre barrière de corail, la plus longue du monde, à notre exceptionnelle biodiversité et à notre culture locale.
Alors que l'évolution du monde nous impose de diversifier notre économie, nous oeuvrons pour que nos richesses naturelles et culturelles soient mieux connues, valorisées et préservées. Nous avons vu, près de chez nous, en Nouvelle-Zélande, que des succès à l'écran peuvent stimuler l'économie touristique du pays.
Comment, en tant que producteurs et réalisateurs, pouvez-vous agir pour améliorer la représentation et la visibilité de chaque territoire, en phase avec les politiques publiques ?
Quelles seront pour vous, concrètement, les conséquences de la suppression de France Ô ? Quelles autres chaînes pourraient être intéressées par vos programmes ?
M. Michel Magras, président. - Si nous relançons le débat, nous manquerons de temps pour écouter le CNC. Je propose donc que des réponses écrites soient apportées à ces questions.
Représentation et visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public - Audition des représentants du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)
M. Michel Magras, président. - Mesdames, Monsieur, mes chers collègues, après notre table ronde qui vient de nous permettre d'entendre un panel diversifié de producteurs, nous recevons les représentants du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Ce centre constitue un pourvoyeur important de fonds pour la production audiovisuelle donnant de la visibilité à nos outre-mer et les répercussions de la réforme annoncée par le Gouvernement doivent être soigneusement mesurées.
Nous recevons donc Mme Aude Accary-Bonnery, directrice générale déléguée adjointe du CNC, en charge de la stratégie et du contrôle, Mme Daphné Bruneau, cheffe du service de l'action territoriale, et M. Xavier Lardoux, directeur du cinéma.
Mme Aude Accary-Bonnery, directrice générale déléguée adjointe du CNC, en charge de la stratégie et du contrôle. - Nous dresserons un panorama de nos actions en faveur de la filière audiovisuelle dans les outre-mer. Nous répondrons ensuite à vos questions, soit aujourd'hui, soit par écrit.
Depuis quelques années, nous voulons renforcer le soutien à la filière du cinéma et de l'audiovisuel dans les outre-mer, pour la création, la production, l'exploitation et la distribution, à travers deux mécanismes principaux.
Premièrement, nous apportons des aides, parfois spécifiques, parfois à travers les soutiens traditionnels du CNC, qui concernent l'exploitation cinématographique mais qui passent aussi par les dispositifs de crédits d'impôt, qui contribuent à structurer la production et à soutenir l'activité et l'économie locales.
Deuxièmement, deux types de mécanismes soutiennent l'action régionale, à savoir des conventions régionales, signées avec chaque région française, et les contrats d'objectifs et de moyens que nous essayons de développer en partenariat avec les régions et les chaînes locales.
L'une des principales aides, invoquée dans les questions que vous nous avez transmises, est l'aide à la production et à la visibilité des cultures d'outre-mer, qui contribue à faire émerger les talents et à structurer le secteur.
M. Xavier Lardoux, directeur du cinéma. - Ce dispositif, créé en 2002, vise à aider la production de courts et longs-métrages. Une enveloppe de 350 000 euros par an permet d'accompagner une dizaine de projets, généralement une moitié de courts-métrages et une moitié de longs-métrages.
Contrairement à ce qui a été affirmé au cours de l'audition précédente, cette commission sélective est bien renouvelée tous les deux ans. Elle se compose du Directeur général des outre-mer ou de son représentant, de deux professionnels du cinéma, de deux personnalités qualifiées représentatives des cultures d'outre-mer et d'un représentant des diffuseurs. Il s'agit de professionnels reconnus en métropole comme en outre-mer.
L'aide accordée par la commission va de 15 000 à 75 000 euros pour un court-métrage, dont le budget moyen s'élève à 120 000 euros, et de 50 000 euros à 150 000 euros pour un long-métrage, soit un montant significatif, quoiqu'il ne soit sans doute pas suffisant. Ces aides se cumulent bien sûr avec les autres aides du CNC.
Nous tenons à votre disposition la liste des projets aidés depuis 2002, avec les montants correspondants ; cette liste révèle un traitement équilibré des différents territoires ultramarins.
Mme Aude Accary-Bonnery. - Un soutien plus récent est apporté à l'exploitation, dans le cadre de la mise en place de la taxe spéciale additionnelle (TSA) pour l'outre-mer.
M. Xavier Lardoux. - La loi de finances de 2015 avait décidé l'extension à l'outre-mer de la TSA, créée en 1946 et perçue par le CNC à hauteur de 10,72 % du prix du billet de cinéma, et qui rapporte 150 millions d'euros par an. Jusqu'en 2016, elle n'existait qu'en métropole. Le Parlement a décidé d'étendre à l'outre-mer de manière progressive, jusqu'à atteindre le taux métropolitain. Elle a représenté 1 % du prix du billet en 2016, 2 % en 2017, 3 % en 2018 et 5 % en 2019.
À la suite du rapport que nous avons initié auprès de l'inspection générale des finances, le Parlement a cependant décidé, en 2018, dans le cadre de la loi de finances, de plafonner le taux de TSA dans les DOM, en raison de particularités et des coûts afférents. La TSA restera donc vraisemblablement plafonnée à 5 %. Elle a permis au CNC de percevoir 830 000 euros de recettes en 2017, les données de 2018 n'étant pas encore disponibles.
Ces recettes nous permettent notamment d'aider les salles des DOM à s'équiper et se moderniser, et à soutenir l'ensemble de la filière. En 2017, le CNC a ainsi versé plus de 870 000 euros d'aides dans les DOM. Le solde est donc légèrement positif. L'objectif consiste à rénover et moderniser le parc de salles, et à aider le cinéma français à y accroître sa part de marché, qui n'atteint que 15 à 17 %, contre 40 % en métropole. Nous voulons donc contribuer à réduire l'hégémonie du cinéma hollywoodien.
M. Michel Magras, président. - La TSA outre-mer n'est-elle affectée qu'à l'outre-mer ou une péréquation est-elle appliquée à partir d'une globalisation ?
Mme Aude Accary-Bonnery. - Un taux de retour est fixé. Près de la moitié de la TSA versée par un exploitant lui revient dans le cadre d'un soutien automatique. S'y ajoute du soutien sélectif, financé par le fonds de soutien et destiné notamment aux salles d'art et d'essai et aux salles plus fragiles économiquement. En revanche, il n'existe aucun compte de séquestre spécifique. Le fonds de soutien du CNC accompagne les salles, comme partout sur le territoire, en tenant compte de leurs spécificités.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Si la TSA dépassait un certain niveau, le danger existerait que vous n'ayez plus rien à soutenir dans l'outre-mer. Certaines activités cinématographiques risquent en effet de disparaître.
M. Xavier Lardoux. - La TSA sera justement plafonnée à 5 % du prix des billets. L'inspection générale des finances a incité à ce plafonnement, au motif des spécificités et des coûts d'exploitation en outre-mer. Pour la construction de salles comme pour assurer leur sécurité, les coûts sont plus élevés qu'en métropole. L'objectif est d'accompagner au mieux la filière. Nous pensons qu'il existe une potentialité de développement du cinéma en outre-mer, en termes de production comme d'exploitation, le nombre de salles pouvant augmenter. Nous pourrons aussi enfin comptabiliser les entrées des DOM avec les entrées de la France hexagonale. Plus de 3 millions d'entrées s'ajouteront ainsi aux 200 millions d'entrées de la métropole.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - À cause de l'insularité, le marché n'est pas extensible.
Mme Aude Accary-Bonnery. - Quand la TSA a été élargie aux territoires d'outre-mer, le Parlement a décidé une progressivité. Leur fragilité spécifique a cependant été prise en compte, ce qui explique le plafonnement à 5 %. Notre expérience métropolitaine montre que la TSA possède une incidence très positive pour l'exploitation, en raison par exemple de la transparence ainsi permise sur les entrées et les recettes. La sur-fiscalité française explique d'ailleurs qu'avec 200 millions d'entrées le marché soit le premier marché d'Europe, tandis que le Royaume-Uni ne compte que 170 millions d'entrées par an et l'Allemagne, 130 millions d'entrées, malgré une population supérieure. Pour autant, des accompagnements spécifiques sont bien sûr nécessaires.
Mme Daphné Bruneau, cheffe du service de l'action territoriale. - Le dispositif « Image de la diversité » constitue une aide complémentaire qui peut être accordée si une aide du CNC ou, depuis 2017, d'une région a préalablement été accordée. Il a été instauré à la suite des émeutes de 2005, pour remédier au fait que les médias ne montraient pas la diversité de la France.
En 2018, elle a permis de soutenir 19 oeuvres d'outre-mer (9 documentaires, 2 fictions, 5 courts-métrages et 3 longs-métrages), pour un montant de 400 000 euros, le budget du dispositif s'élevant à 2 millions d'euros.
Quant à l'action territoriale, le modèle a changé en 2017 pour passer à une politique d'accompagnement des politiques des régions. Ma présidence s'est déplacée dans toutes les régions pour écouter les collectivités, afin de connaître leurs besoins et spécificités. Nous avons ainsi établi des contrats particuliers avec toutes les régions, sauf Mayotte. Même la Martinique, d'abord réfractaire à un tel partenariat, a été convaincue qu'il s'agissait d'un bon d'accompagnement.
Dans l'ensemble, le CNC y investit 1,3 million d'euros par an. Cette aide concerne toute la filière, de la création à la production, et nous essayons de la développer pour la diffusion. Depuis 2017, en outre, nous incitons les collectivités à signer des COM avec les chaînes locales de télévision, dans lesquelles est prévue une enveloppe pour financer des oeuvres locales. Nous les accompagnons alors au titre du « 1 pour 3 ».
Le fonds de soutien s'est élevé à 2,3 millions d'euros pour La Réunion, à 800 000 euros pour la Guadeloupe, à 520 000 euros pour la Guyane et à 390 000 euros pour la Martinique. Tout dépend cependant des initiatives de la collectivité, que nous accompagnons ensuite. Les collectivités décident par exemple d'aider en priorité les courts-métrages. Elles sont complètement autonomes. Nous exigeons seulement qu'elles disposent d'un comité de professionnels pour analyser la qualité artistique des projets.
Mme Aude Accary-Bonnery. - Nous pourrons vous transmettre des données chiffrées.
M. Dominique Théophile, sénateur de la Guadeloupe. - Nous souhaiterions disposer des chiffres concernant les quatre dernières années, sachant notamment que les aides sont nettement plus faibles pour la Martinique que pour la Guadeloupe, bien que ces territoires soient similaires.
Mme Aude Accary-Bonnery. - Nous vous les fournirons. Nous n'avons toutefois signé un contrat avec la Martinique qu'en 2017, ce qui explique cet écart, tandis que la Guadeloupe l'a signé en 2005.
M. Michel Magras, président. - Des données seraient aussi utiles sur les autres soutiens concernant la diffusion et d'autres aspects de la filière.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Les acteurs de l'audiovisuel sont-ils bien informés des aides qu'ils peuvent obtenir ?
Mme Daphné Bruneau. - Oui. Ils se sont en effet structurés et sont donc devenus de véritables interlocuteurs pour leurs élus.
Mme Aude Accary-Bonnery. - Nous essayons aussi de nous déplacer, afin de rencontrer les élus et les professionnels. Certaines régions veulent d'ailleurs mettre l'accent sur la création et d'autres sur la production. Certaines veulent aussi développer l'éducation à l'image, que nous pouvons également soutenir dans le cadre des conventions.
M. Xavier Lardoux. - La structuration du secteur nous importe également. Des organisations professionnelles se sont formées, à l'exemple du SPICAM, syndicat des producteurs indépendants en Martinique et, depuis 2018, le premier syndicat pour l'exploitation concernant l'ensemble des départements et territoires d'outre-mer.
Mme Aude Accary-Bonnery. - Ces interlocuteurs nous permettent une régularité dans le dialogue avec les professionnels. Nous pouvons ainsi adapter et expliquer nos mécanismes.
Mme Daphné Bruneau. - Par ailleurs, seule la Guadeloupe a conclu un partenariat avec Canal Plus qui s'est engagée à soutenir un certain nombre d'oeuvres. Nous les accompagnons, non pas en « 1 pour 3 » mais en « 1 pour 1 ». La Réunion pense aussi à un pareil partenariat. En revanche, la Martinique a besoin de temps, puisqu'elle vient de créer un fonds. Dans l'ensemble, je pense qu'il serait vertueux que nous parvenions à inciter les collectivités à dialoguer avec les diffuseurs locaux.
Mme Aude Accary-Bonnery. - Cette action avec les professionnels date de 2017 et se trouve donc en phase de structuration, ce qui explique qu'une seule région y participe. Cependant, nous y croyons beaucoup, car notre rôle consiste aussi à établir des liens entre les acteurs locaux, dans le respect des spécificités et des priorités de chacun.
D'autres dispositifs doivent être mentionnés, les trois crédits d'impôt. Les deux premiers concernent le cinéma et l'audiovisuel. Le troisième, le crédit d'impôt international, s'adresse aux productions étrangères tournées en France. Datant de 2004, il a été renforcé fin 2015 par le Parlement, afin que la France devienne une grande terre de tournage. Il profite notamment à des régions d'outre-mer, par exemple la Guyane, avec la série éponyme, où ce crédit d'impôt a permis 350 jours de tournage, et la Guadeloupe, avec la série « Meurtres au Paradis », avec 100 jours de tournage et 5 millions d'euros de dépenses de production locale. Si ces tournages structurent la filière de production locale, ils possèdent aussi une incidence sur toute l'économie, de l'hôtellerie-restauration au tourisme, puisque le succès de « Meurtres au Paradis » a amené des voyagistes britanniques à organiser des circuits dans les lieux du tournage.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Nous souhaiterions que vous répondiez à deux questions écrites que nous vous avons transmises.
Quelles conséquences le CNC envisage-t-il de l'arrêt de la diffusion de France Ô sur la TNT sur les capacités de production de contenus dédiés aux outre-mer ?
Les critères d'éligibilité aux financements du CNC doivent-ils selon vous évoluer dans la perspective de la production de contenus dédiés principalement à une plateforme en ligne et non plus à une diffusion sur la TNT au niveau national ?
Mme Aude Accary-Bonnery. - L'objectif de France Télévisions et du Gouvernement consiste à faire en sorte que les programmes ultramarins conservent leur visibilité, sur les autres antennes. Le CNC continuera évidemment d'accompagner l'ensemble des programmes ultramarins, à travers les mécanismes existants. Dès lors que ces programmes seront diffusés sur les autres chaînes de France Télévisions, rien ne laisse penser que la production baissera.
Par ailleurs, nous avons déjà ouvert plusieurs dispositifs du CNC à un système de plateformes. En l'occurrence, certains financements ne viendraient que de plateformes, par exemple le fonds Jeunes talents, créé en partenariat avec Youtube et réservé à des créateurs de l'Internet. De manière générale, nous ouvrons nos dispositifs d'aide à la production audiovisuelle à ces nouveaux diffuseurs.
M. Michel Magras, président. - Quand vous parlez des territoires, incluez-vous ceux du Pacifique ?
Mme Daphné Bruneau. - Nous parlons des régions administratives. La situation des collectivités au statut particulier diffère. Nous avons donc signé une convention avec la Polynésie et plus récemment avec la Nouvelle-Calédonie, pour lui permettre d'accéder à nos aides nationales.
Mme Aude Accary-Bonnery. - En effet, le code du cinéma n'y est pas automatiquement applicable. Nous passons donc par ce biais afin d'accompagner la production locale.
M. Michel Magras, président. - La TSA y est-elle payée ?
Mme Aude Accary-Bonnery. - Non. Les conventions avec la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie concernent l'aide à la production et à la création, sans contrepartie liée à la TSA.
M. Gérard Poadja. - Cela prouve l'existence d'une solidarité entre les outre-mer.
M. Michel Magras, président. - Il me reste à vous remercier, en vous rappelant que nous sommes preneurs de tout document écrit.