- Mercredi 6 février 2019
- Réforme du recouvrement fiscal et social - Audition de M. Alexandre Gardette, administrateur général des finances publiques, et de Mme Lauren Turfait, inspectrice principale des finances publiques
- Audition de M. Martin Vial, commissaire aux participations de l'État, directeur général de l'Agence des participations de l'État
Mercredi 6 février 2019
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Réforme du recouvrement fiscal et social - Audition de M. Alexandre Gardette, administrateur général des finances publiques, et de Mme Lauren Turfait, inspectrice principale des finances publiques
M. Vincent Éblé, président. - Nous avons ce matin le plaisir d'accueillir M. Alexandre Gardette, administrateur général des finances publiques, accompagné de Mme Lauren Turfait, inspectrice principale des finances publiques. M. Gardette a été chargé par M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, de rédiger un rapport sur la simplification du recouvrement fiscal et social, qui pourrait amener à la création d'une agence unique du recouvrement.
Notre commission a souhaité vous entendre, monsieur Gardette, afin que vous puissiez nous présenter les grands enjeux de cette réforme. Il s'agit non pas d'exposer vos conclusions définitives, mais de nous présenter votre mission et vos méthodes de travail, et de nous faire part des enjeux et des premières orientations qui se dessinent.
M. Alexandre Gardette, administrateur général des finances publiques. - Il s'agit en effet d'un sujet important pour la transformation publique.
Je précise que la lettre de mission qui m'a été adressée le 2 octobre dernier est cosignée par Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, au titre des finances sociales et de la tutelle de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).
Commençons par définir le champ de notre réflexion. Nous sommes partis du constat que les opérateurs qui s'occupent du recouvrement des prélèvements obligatoires sont très nombreux ; le rapport du Comité Action publique 2022 (CAP 2022) du printemps 2018 en recensait deux cent cinquante, pour un nombre de prélèvements supérieur à six cents. Ainsi, quand on est redevable - entreprise ou particulier - et que l'on doit s'acquitter d'impôts, de taxes et de cotisations sociales, on a affaire à un grand nombre d'interlocuteurs. Il m'est donc demandé s'il serait intéressant de rationaliser cet ensemble et si cette situation est source de complexité pour les contribuables.
Notre champ initial recouvre les prélèvements obligatoires, c'est-à-dire, selon l'OCDE, ce que l'on n'a pas le choix de payer : impôts, taxes et cotisations sociales. Les prélèvements obligatoires représentent, en 2017, 1 038 milliards d'euros, soit 45,3 % du PIB.
Cela dit, il nous semble que l'on ne doit pas forcément se limiter à ce champ. Les opérateurs sont polarisés, pour la partie fiscale, autour de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), qui collecte 80 % de la masse des impôts et taxes, et de la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), et, pour la partie sociale, autour de l'Acoss, qui recouvre 72 % des montants de cotisations sociales.
Nous considérons que l'on peut étendre le sujet, disais-je, car l'Acoss et la DGFiP recouvrent des « choses », si j'ose dire, qui ne correspondent pas à la définition des prélèvements obligatoires que je vous ai donnée, mais qu'il convient d'inclure dans notre réflexion ; je pense en particulier aux redevances. Les redevances ont, contrairement aux prélèvements obligatoires, une contrepartie directe ; seuls les acquittent ceux qui bénéficient du service fourni. En effet, il paraîtrait étonnant de s'orienter vers un, deux ou trois interlocuteurs sans tenir compte du regroupement qui a été fait précédemment ; aujourd'hui, les entreprises paient leurs impôts et redevances auprès d'un seul interlocuteur, la DGFiP. Il serait absurde de leur demander de payer, à l'avenir, leurs impôts auprès d'un nouvel interlocuteur unique mais de continuer de s'acquitter de leurs redevances auprès de la DGFiP.
Par ailleurs, lors du dernier comité interministériel de la transformation publique, le 29 octobre dernier, le Gouvernement a évoqué l'hypothèse d'une agence unique du recouvrement des entreprises. De quel redevable parlons-nous dans le cadre de notre mission, est-ce uniquement des entreprises, du travailleur indépendant au grand groupe ? En réalité, la question des particuliers se pose aussi, car ceux-ci ont aujourd'hui un interlocuteur unique, la DGFiP - en particulier, les travailleurs indépendants s'acquittent de leur impôt professionnel et leur impôt personnel auprès de la DGFiP. Il ne faut pas remettre cela en cause. Par ailleurs, les particuliers employeurs ont déjà affaire à l'Acoss. Nous irons donc au-delà des seules entreprises.
J'en viens aux trois objectifs de la mission.
Premièrement, nous ne modifierons pas les organisations existantes ni le droit applicable si cela ne correspond pas aux attentes des usagers, notamment des redevables que sont les entreprises. Notre premier objectif est de simplifier réellement les démarches de ces usagers. Par exemple, quand un contribuable communique une information sur sa situation, il doit contacter l'Acoss, les Douanes, la DGFiP, etc. On pourrait imaginer qu'il ne la transmette plus qu'une seule fois, à un interlocuteur unique, et que les organismes se la communiquent entre eux. De même, on peut imaginer qu'un redevable souhaitant poser une question à l'administration n'interroge qu'un seul point de contact et n'obtienne qu'une réponse, tant pour le volet fiscal que pour le volet social.
On peut aussi concevoir qu'une entreprise rencontrant des difficultés de paiement n'ait pas à exposer sa situation à plusieurs organismes, mais qu'elle puisse faire sa demande une seule fois et que les organismes de recouvrement répondent de même.
Deuxièmement, nous tâcherons d'améliorer, au travers de cette réforme, le taux de recouvrement des prélèvements obligatoires. Aujourd'hui, l'Acoss, la DGFiP et les Douanes affichent des taux d'encaissement spontané très élevés, de l'ordre de 98 à 99 %. La très grande majorité des redevables s'acquitte donc très vite des prélèvements obligatoires. Il paraît difficile d'améliorer substantiellement ces taux, mais, eu égard aux masses en jeu, les améliorer ne serait-ce que de dix points de base permettrait de collecter quelques dizaines de millions d'euros supplémentaires.
En réalité, c'est surtout le recouvrement forcé qui offre de réelles perspectives d'amélioration ; les procédures sont très différentes entre la sphère sociale et la sphère fiscale, et il est difficile d'être efficace sans disposer d'une vision consolidée sur la situation d'ensemble d'un redevable qui permettrait d'améliorer l'efficacité de ce recouvrement.
Troisièmement, nous essaierons d'apporter un gain d'efficience pour le service public. Si l'on veut mobiliser moins d'agents publics pour ces missions de recouvrement, que ce soit pour diminuer le nombre total d'agents publics ou que ce soit pour les redéployer vers des missions plus importantes, on doit se demander si l'on peut faire aussi bien, voire mieux, avec moins d'agents.
J'en arrive maintenant aux trois pistes que nous envisageons, qui peuvent être complémentaires.
Avant de constituer une agence unique, on peut d'abord aller plus loin dans l'unification du recouvrement au sein de chacune des deux sphères. Du côté fiscal, le recouvrement est déjà très polarisé autour de la DGFiP et des Douanes. Plusieurs transferts du recouvrement de taxes douanières, telles que la taxe générale sur les activités polluantes, ont été prévus dans la loi de finances pour 2019 ; ainsi, d'ici un, deux ou trois ans, la DGFiP recouvrera ces taxes. Néanmoins, le Gouvernement n'a pas prévu de s'arrêter là, et j'approfondirai la question du transfert, vers la DGFiP, d'autres taxes des Douanes ou de petits opérateurs publics.
Il en va de même dans la sphère sociale. Ainsi, la loi dite Pénicaud, adoptée l'été dernier, prévoit le transfert du recouvrement de la contribution à la formation professionnelle des organismes de formation professionnelle vers les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf). Le recouvrement des cotisations des travailleurs indépendants a également été transféré aux Urssaf. Nous verrons si l'on peut aller plus loin.
Ensuite, deuxième piste, on peut développer des services communs sans fusionner les opérateurs. Outre le fait d'harmoniser les procédures, on peut prévoir une plus forte interaction des administrations entre elles, lors de la naissance de l'entreprise ; le guichet de création des entreprises pourrait offrir plus de services auprès des jeunes entreprises. De même, à l'échelon départemental, la commission des chefs de services financiers (CCSF), avec la direction régionale des finances publiques (DRFiP) et l'Urssaf de la région, pourrait accompagner les entreprises en difficulté en amont, avant que les problèmes ne s'intensifient.
Enfin, on pourrait créer un portail informatique sur lequel les entreprises, et éventuellement, à terme, les particuliers, pourraient faire certaines démarches et obtenir une compensation des créances et des dettes. Ainsi, lorsqu'une entreprise doit payer des cotisations sociales et récupérer un crédit de TVA, on pourrait prévoir une compensation.
Le mot d'« agence » a été cité. Le ministre me demande de réfléchir aux conditions favorisant le meilleur service pour le redevable, et me demande si la fusion organique des opérateurs actuels serait la meilleure solution pour y parvenir. On peut se contenter de la mise en place d'un portail numérique sans fusion organique ; on peut concevoir au contraire une grande agence unique obtenue par la fusion des administrations, mais la présence de fonctionnaires d'État et de salariés de droit privé rend cette opération très délicate ; entre ces deux options, il y a des solutions intermédiaires, avec la mise en commun d'une partie du recouvrement, par exemple le recouvrement forcé.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il s'agit d'un sujet important, même si le taux de recouvrement spontané est déjà très élevé en France. Je n'ai pas d'opposition de principe à l'égard des options que vous évoquez, si elles permettent d'améliorer le service et de réduire les coûts.
Première question : quel est le coût de recouvrement des prélèvements obligatoires collectés par la DGFiP, par la DGDDI et par l'Acoss ? Y a-t-il un organisme plus efficace ? Cela peut constituer un élément de réflexion pour vous.
Deuxième question, relative au champ de votre réflexion. Le mot « obligatoire » est central ; certains prélèvements ne rentrent pas dans la définition des prélèvements obligatoires mais sont obligatoires ; je pense notamment aux frais de mutuelle et de retraite complémentaire. Ces sommes perçues par des organismes de droit privé sont-elles incluses dans votre réflexion ? Les PME et TPE doivent aujourd'hui s'adresser à plusieurs organismes.
En ce qui concerne le service, je suis personnellement favorable à une simplification ; un interlocuteur unique pourrait représenter un gain pour les finances publiques, mais surtout un avantage pour le contribuable. Cela dit, j'ai une inquiétude : une agence s'appuierait-elle toujours sur le réseau des trésoreries ? Il devient compliqué de joindre l'administration fiscale... Le numéro de téléphone Impôts Service existe-t-il toujours ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Pourtant, personne n'y répond jamais !
M. Alexandre Gardette. - Je pense que, pour l'heure, l'ensemble des agents travaillent à répondre à des questions portant sur le prélèvement à la source.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le directeur général des finances publiques a été vague sur le nombre d'agents affectés à ce service, qui pourrait semble-t-il disparaître...
Bref, contacter l'administration fiscale devient compliqué et, si l'on s'oriente vers une solution centralisée, un numéro de téléphone sur lequel un message automatique demande de rappeler plus tard ne sera pas satisfaisant. Quant au portail en ligne, sachez que toutes les questions ne peuvent pas être traitées par internet ; un contact téléphonique ou physique est parfois nécessaire. On le voit, sur tout le territoire, il y a toujours beaucoup de monde dans les centres des impôts, et les redevables qui y viennent ne sont pas toujours à l'aise avec l'informatique. Comment concilier l'objectif d'économies avec le maintien du service ?
Enfin, faites-vous des comparaisons internationales ? Y a-t-il des exemples d'unification réussie ?
M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». - Je m'interroge sur le champ de votre mission. Le Gouvernement a fait des annonces et, par deux fois, Gérald Darmanin a annoncé la création d'une agence unique de recouvrement à l'horizon de 2022.
Par ailleurs, vous avez évoqué les attentes des usagers - vous avez notamment mentionné la simplification des démarches -, mais des dispositifs existent déjà en la matière. La question qui se pose est plutôt celle des systèmes d'information. Or la DGFiP voit son budget informatique diminuer fortement, puisqu'il a été divisé par dix en dix ans.
Vous mentionnez, parmi les objectifs, une diminution du nombre d'agents publics ; on le sait, le Gouvernement veut supprimer 50 000 postes de fonctionnaires d'État. Il y a 100 000 agents à la DGFiP, dont environ 20 000 s'occupent de recouvrement. Quel est l'objectif en la matière ? Quelle conséquence cela aura-t-il sur la présence du réseau dans les territoires, eu égard à la décentralisation et à la déconcentration qu'envisage le Gouvernement ?
Enfin, il y a eu l'année dernière une panne informatique majeure sur les droits de mutation ; des correctifs ont-ils été mis en place ?
M. Claude Nougein, rapporteur spécial de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». - Quelles seront les conséquences de cette réorganisation sur les territoires, notamment ruraux ? Il y a environ 20 000 agents à la DGFiP, 3 000 aux Douanes et 13 000 aux Urssaf qui sont chargés du recouvrement, et l'on envisage une réduction des effectifs - c'est le but. Sans doute, cela entraînera, à terme, une réduction des dépenses publiques, mais cela aura aussi des conséquences sur nos territoires. La question du calendrier est également importante : quel serait le calendrier idéal pour vous ?
Par ailleurs, comment la réforme du recouvrement s'articulerait-elle avec le recours à un prestataire extérieur pour le décaissement et l'encaissement en numéraire ? On a parlé des buralistes et de la Poste lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2019.
M. Vincent Éblé, président. - Le rapport CAP 2022 envisageait de confier tout le recouvrement à la DGFiP. Validez-vous cette recommandation ?
Aux Douanes, 3 000 agents travaillent au recouvrement ; quitteront-ils leur administration d'origine pour être intégrés dans la future agence ou au sein de la DGFIP ?
M. Alexandre Gardette. - Dans le rapport CAP 2022, on a, certes, évoqué la centralisation du recouvrement fiscal au sein de la DGFiP, mais la lettre de mission de Gérald Darmanin et Agnès Buzyn est revenue sur cette recommandation. Elle évoque la possibilité de faire exception au principe d'unification du recouvrement quand un acte « métier » est indissociable du recouvrement. Cela s'applique notamment aux Douanes ; en effet, mes travaux m'amènent à faire le départ entre les taxes douanières dont le recouvrement est intrinsèquement lié aux travaux de contrôle et les autres. Quand les douaniers contrôlent un entrepôt de pétrole ou dédouanent des importations, par exemple, la taxe douanière est intimement liée au contrôle de la matière. Ma lettre de mission prévoit cette exception et il m'est demandé de distinguer ce qui peut être unifié de ce qui doit demeurer séparé.
Très clairement, nous n'en sommes donc pas du tout à prévoir le transfert de la totalité des 3 000 agents des Douanes faisant du recouvrement vers la DGFiP ou vers une future agence, d'autant que la Douane a déjà revu l'organisation territoriale de son recouvrement, elle n'aura bientôt plus qu'une seule implantation par ancienne région.
Monsieur le rapporteur général, les opérateurs disposent de données sur le coût du recouvrement. On les trouve notamment dans les documents budgétaires accompagnant le projet de loi de finances. Le coût de la collecte s'étend, selon les impôts et taxes, de 0,25 % à 1 % des sommes collectées. En réalité, la question essentielle n'est pas tant celle de l'efficacité de tel réseau par rapport à tel autre que celle de la complexité de l'impôt à collecter, qui a une grande incidence sur son coût de recouvrement. La DGFiP est ainsi très compétente pour recouvrer la TVA, car il s'agit d'un prélèvement autoliquidé - l'entreprise redevable déclare et paie. Cela est donc plus facile que le recouvrement des impôts sur rôle, comme l'impôt sur le revenu, pour lesquels les administrations doivent faire le travail de calcul, établir un rôle et un avis d'imposition sur le fondement de la déclaration.
Le coût de la collecte des cotisations sociales par l'Acoss se situe entre 0,25 % et 0,3 %, mais le ratio est moins bon pour les cotisations des entrepreneurs indépendants. Le taux moyen de la DGFiP tourne autour de 0,4 ou 0,5 %, mais cela recèle des variations importantes : ce coût varie de 0,3 % pour TVA à 1 % pour les impôts locaux, qui sont les plus compliqués.
Je vous confirme par ailleurs, monsieur le rapporteur général, que le recouvrement des prélèvements assimilables à des prélèvements obligatoires, comme les cotisations de retraite complémentaire, est inclus dans ma réflexion. Il y a une réforme en cours sur ce sujet, d'ailleurs, et si une réforme systémique des retraites a lieu d'ici à 2025, il faudra que le Gouvernement détermine au préalable qui est collecteur. En ce cas, vaudra-t-il mieux transférer le recouvrement des cotisations de retraite complémentaire avant d'instituer la retraite universelle, ou faudra-t-il tout faire en même temps ? Les avis divergent à ce sujet.
Vous avez aussi parlé du réseau local. Quand j'ai cité le portail informatique pour illustrer le service commun, je ne voulais pas dire que l'éventuelle agence unique serait virtuelle. On ne fera pas, comme au Canada, une agence unique avec très peu de guichets - trois ou quatre pour les dix millions de Québécois sur un territoire immense. Il s'agirait d'offrir une couche unifiée de services sans fusionner les réseaux. Dans cette hypothèse, le réseau des Urssaf resterait inchangé et celui de la DGFiP continuerait d'évoluer au rythme choisi par ailleurs par le Gouvernement ; la réforme n'aurait pas d'incidence à cet égard.
En revanche, en cas de fusion des réseaux, il y aurait forcément une réorganisation. Pour ma part, à ce stade, je suis favorable au minimum à la maille départementale, voire infradépartementale ; je ne suis pas favorable à un lieu national unique avec un centre d'appel.
Thierry Carcenac, vous considérez l'intervention de Gérald Darmanin du 11 juillet dernier comme étant une décision prise. Ce qu'il m'a indiqué à plusieurs reprises, c'est que ce discours était un cap destiné à faire bouger les choses et à faire réagir. L'année 2022 n'est plus le terme fixé pour la réforme, et le ministre a indiqué avoir utilisé le mot d'« agence » pour illustrer son propos, il ne considère pas que c'est la seule voie possible.
En ce qui concerne le nombre d'agents publics et les moyens informatiques, j'insiste beaucoup sur le chemin de la réforme, sur la nécessité de prendre le temps et de disposer des moyens, notamment informatiques, indispensables, afin d'éviter une nouvelle catastrophe industrielle comme celle de l'interlocuteur social unique, qui gérait le régime social des indépendants au début des années 2010. Si l'on se précipite, si les systèmes ne peuvent pas communiquer entre eux avant toute autre action, on ira à la catastrophe. Or je ne veux pas mettre en risque le recouvrement de 1 038 milliards d'euros...
Des procédures formidables fonctionnent très bien, comme le prélèvement à la source ou la déclaration sociale numérique, mais cela a requis des années de travail et des investissements importants. Il faudra travailler par étapes et ne pas attendre de gain sans investissement informatique. Je ne suis pas spécialiste des droits de mutation à titre onéreux, je sais qu'il y a eu une panne et un correctif, mais je ne sais rien de plus.
Je ne travaille pas sur un nombre de suppressions de postes publics ; j'ai les mêmes chiffres que vous, mais, à ce stade, je ne fais pas de règle de trois.
Claude Nougein, j'ai déjà répondu à la question sur l'impact de la réorganisation pour les territoires. Le terme idéal n'est pas 2022, ce serait trop précoce. Il faut faire en sorte que cette réforme ne conduise pas à des difficultés. Si l'on peut faire des économies, tant mieux, mais le premier objectif est de fournir un meilleur service aux TPE, PME et ETI - les grandes entreprises ont les services nécessaires pour traiter ces questions.
Enfin, la question de l'articulation avec le recours à la Poste pour le paiement en numéraire est déjà pendante. Il faut articuler chaque encaissement ou décaissement en numéraire avec l'information comptable, dans le système d'information de la DGFiP, selon laquelle M. Untel a acquitté sa taxe locale ou un produit local dans le bureau de poste de son village.
M. Michel Canévet. - Certaines petites taxes ont des coûts de recouvrement très élevés ; d'ailleurs, on en a supprimé un certain nombre.
La question du maintien de la double comptabilité entre la collectivité et le comptable public se pose ; votre mission aura-t-elle une incidence sur ce sujet ?
La validation des accords d'intéressement par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) ne vaut pas aujourd'hui rescrit social. La nouvelle organisation pourrait-elle remédier à cela ?
L'Agence de services et de paiement (ASP) a connu de graves difficultés de fonctionnement, je pense notamment à la gestion des fonds européens. Les dispositifs d'unification ne doivent donc pas aboutir à des pannes informatiques ; de nombreux projets ont échoué faute d'investissement informatique.
M. Bernard Delcros. - Vous avez évalué le coût du recouvrement entre 0,25 % et 1 % ; envisagez-vous une réduction de ces coûts ?
L'objectif final d'une agence unique est-il réaliste et, si oui, dans quels délais ?
Comment cette réforme peut-elle se décliner localement ? Est-elle compatible avec l'aménagement du territoire et la présence de services de proximité dans des territoires ruraux ? Il y a besoin de contact humain dans certains cas.
M. Alain Houpert. - Vous avez évoqué, à propos du regroupement des services de l'État, moins d'agents et plus d'efficacité. Je me félicite de l'efficacité financière, mais les services fiscaux sont éloignés, ce qui se traduit par une déshumanisation galopante. Or, que je sache, la détention d'un ordinateur n'est pas obligatoire pour s'acquitter de ses impôts. Je crains que l'on en arrive à une révolte fiscale - on le constate chaque samedi dans les rues.
En outre, quand les services fiscaux commettent une erreur, ils ne la réparent pas intégralement. On m'a rapporté le cas d'une petite entreprise qui a été contrainte de payer indûment la cotisation foncière des entreprises pour 1 083 euros, et à qui on a accordé un dégrèvement de seulement 903 euros, le solde étant conservé « pour frais de dossier ».
M. Jacques Genest. - Votre feuille de route contient la conclusion de votre mission : une agence unique de recouvrement. Le prélèvement à la source était le premier pas vers un regroupement à la DGFiP ou aux Urssaf - je ne pensais pas que l'on irait jusqu'à une agence, qui sera très coûteuse.
Aujourd'hui, notre taux de recouvrement est très bon ; pourquoi casser un système qui fonctionne ? Il ne faut pas créer une agence ; il faut tout regrouper soit à la DGFiP, soit à l'Acoss, mais créer une agence sera très coûteux.
Le réseau du trésor public, où j'ai travaillé, sera mis à mal. On a déjà prévu de nombreuses fermetures, et, en retirant le recouvrement à la DGFiP, vous allez tuer le réseau et le service offert aux collectivités territoriales. Le premier pas est déjà fait, au travers des expérimentations des agences comptables. On s'éloigne encore du terrain...
J'ai alerté le Président de la République sur la déshumanisation des services publics. Pour faire des économies, je lui ai suggéré d'étudier le cas des hauts fonctionnaires des ministères, notamment de Bercy, qui sont très bien payés et dont on ignore l'activité.
La fusion des directions générales des impôts et de la comptabilité publique a été catastrophique sur le terrain ; un comptable ne sait pas gérer les finances d'une commune, donc c'est la panique.
Puisque nous y sommes, pourquoi ne pas privatiser le recouvrement, comme on privatise les aéroports ?
M. Marc Laménie. - C'est très bien de tout automatiser avec des superordinateurs, mais il faut aussi des gens compétents pour les faire fonctionner. Regrouper prélèvements fiscaux et sociaux suscite des interrogations. Il y a de moins en moins de trésoreries dans les territoires ruraux ; quelle sera, à terme, l'incidence de cette réorganisation sur le fonctionnement des collectivités territoriales ? Les trésoriers restent des interlocuteurs privilégiés des collectivités - pour le budget, les finances locales, les impôts locaux et diverses taxes - et des hôpitaux.
Mme Sylvie Vermeillet. - Comment la nouvelle organisation participera-t-elle à la lutte contre la fraude fiscale ?
Imaginez-vous une forme de mutualisation ou de partenariat avec la Mutuelle sociale agricole (MSA) ?
Vous avez parlé des CCSF pour les défaillances d'une entreprise ; la réforme pourrait-elle conduire à des saisines automatiques ?
Le coût du recouvrement de la fiscalité locale facturé aux collectivités territoriales est beaucoup plus élevé que ce que vous avez dit - autour de 8 %, de mémoire. Une réorganisation entraînerait-elle une économie pour les collectivités territoriales ?
M. Philippe Dallier. -Le Gouvernement s'est engagé à supprimer 50 000 postes de fonctionnaires d'ici à la fin du quinquennat, mais votre réforme n'y contribuera pas d'ici à 2022. Le Gouvernement vous a-t-il fixé un objectif d'économie, en nombre de postes ou en euros ?
M. Éric Bocquet. - L'expression de prélèvements obligatoires me gêne, il faut rappeler à quoi cela sert. On ne jette pas les produits fiscaux dans un trou, cela donne accès à l'école, aux collectivités, aux services publics, à tout ce qui fait que la société fonctionne.
Quel est l'avantage du prélèvement à la source s'il n'améliore pas le taux de recouvrement, qui est déjà excellent ?
Apple va s'acquitter de 500 millions d'euros auprès de l'État ? Est-ce un redevable défaillant ? Quel est votre point de vue sur ce sujet ?
Mme Christine Lavarde. - Avec la mise en place du prélèvement à la source, on entend dire qu'un premier système de compensation pourrait être mis en place pour les particuliers employeurs, qui paient des cotisations sociales pour leurs salariés et reçoivent un crédit d'impôt. Où en est-on ?
M. Alexandre Gardette. - Rassurez-vous, Jacques Genest, j'ai d'autres fonctions en parallèle de mon rapport ; je n'étais donc pas totalement désoeuvré avant que l'on me confie cette mission...
Michel Canévet, les petites taxes ont effectivement un coût très élevé. Au travers de la mission qui m'a été confiée, on peut proposer des simplifications. Vous avez adopté le principe de la suppression de petites taxes en loi de finances ; la perte de ces revenus fiscaux représentera un assez faible coût global, vu leur coût de recouvrement. Les petites taxes ayant un coût de gestion élevé sont donc incluses dans le champ de notre réflexion.
La DGFiP refacture un coût plus élevé aux collectivités territoriales, car elle ne traite pas que le recouvrement ; elle assure aussi le calcul de l'assiette et le contrôle ; elle facture un service global.
Je n'ai pas encore rencontré l'ASP, mais je déconseille effectivement de faire quelque chose de grand et d'immédiat, de tout fusionner, sans se demander pourquoi on le fait et quelles en sont les conséquences.
Je ne sais pas encore estimer les gains sur les coûts de recouvrement, Bernard Delcros, mais ils seront élevés si l'on supprime les taxes chères à recouvrer. Surtout, j'attends une amélioration du taux de recouvrement forcé.
Pour la question du calendrier, l'échéance de 2022 ne me semble pas raisonnable.
En ce qui concerne l'efficience et le réseau local, le directeur général des finances publiques ou le ministre de l'action et des comptes publics lui-même seraient mieux placés pour vous répondre. Je peux toutefois vous dire que Gérald Darmanin demande à la DGFiP de travailler différemment sur les fermetures de petits postes, il parle de « déconcentration de proximité » ; il ne s'agit plus de concentrer les agents dans les métropoles ou les préfectures, mais de les installer là où ils habitent, là où les collectivités territoriales ont des locaux à proposer.
Pour ce qui concerne le risque de déshumanisation, mon propos introductif était sans doute peu clair ; quand j'ai cité l'exemple d'un portail informatique, je ne voulais pas dire que celui-ci aurait vocation à remplacer le guichet, il s'agirait d'un moyen d'apporter un service unique sans procéder à la fusion. Les premiers publics concernés sont les entreprises, je vous le rappelle, qui fréquentent beaucoup moins le réseau de la DGFiP que les particuliers. La question de la proximité se pose différemment pour elles. Les exemples que vous avez donnés concernent des particuliers, qui sont en marge du sujet que l'on m'a confié, même s'ils n'en sont pas absents.
Je suis moi aussi sensible à ce qui se passe dans la rue, Alain Houpert, et j'en tiens compte dans mon rapport. La question des frais de dossier que vous évoquez m'étonne beaucoup, en revanche ; je regarderai cette question de plus près, car je n'ai jamais vu cela.
Jacques Genest a fait part plutôt d'opinions que d'interrogations. Je partage toutefois votre analyse, monsieur le sénateur, il faut bien réfléchir avant de casser quelque chose qui fonctionne, et j'y travaille. L'hypothèse de la privatisation du recouvrement sera en revanche totalement écartée dans mon rapport. L'Italie a expérimenté cette modalité, mais elle en revient car cela s'avère très cher.
Marc Laménie, je crois avoir répondu à votre question sur les trésoreries et les ordinateurs. Les produits locaux ne devront pas être recouvrés par tel ou tel réseau si un service unique est créé ; le recouvrement ne doit pas être éclaté. Quel que soit le service qui en est chargé à terme, il fera l'ensemble du recouvrement. Cela dit, les produits locaux concernent plus souvent les particuliers que les professionnels, qui sont principalement concernés par ma mission. Aujourd'hui, en matière de produits locaux, l'ordonnateur est la collectivité, et c'est elle qui autorise le comptable à engager le recouvrement forcé ; nous ne toucherons pas à cela, évidemment.
Sylvie Vermeillet, vous me demandez si l'agence pourra contribuer à la lutte contre la fraude ; je prendrai la question dans l'autre sens. Le bon recouvrement est la condition pour que le travail des vérificateurs ne soit pas perdu. Il faut que l'organisation permette de recouvrer le maximum des sommes dues par les mauvais payeurs et les fraudeurs, et le fait d'avoir une vision globale sur leur situation nous donnera plus de chances de recouvrer ce qu'ils doivent.
J'ai rencontré le directeur général de la MSA. À ce stade, je propose qu'on rapproche les systèmes informatiques, mais que l'on s'en tienne là ; je ne souhaite pas inclure la MSA dans notre réflexion d'ensemble, car elle a un modèle intégré, qui couvre tous les risques, avec un interlocuteur unique. Il me semble délicat de casser ce système intégré en en sortant le recouvrement.
Je vous le confirme, l'objectif est que les CCSF soient actifs, repèrent les entreprises en difficulté avant même que celles-ci ne s'en rendent compte et proposent un soutien.
Philippe Dallier, le Gouvernement ne m'a pas fixé d'objectifs d'économie, ni en ETP ni en euros. Mon objectif est plus général, il s'agit de se demander si une telle réorganisation peut emporter ce type de conséquences.
Pour ce qui concerne les prélèvements obligatoires, Éric Bocquet, j'ai insisté sur le fait que cela sert à financer les politiques publiques dans mon propos liminaire. Je n'ai toutefois pas compris votre question sur les incidences du prélèvement à la source.
M. Éric Bocquet. - Je pensais aux conséquences sur les effectifs et les services dans les territoires.
M. Alexandre Gardette. - Les personnes chargées du recouvrement des impôts des particuliers à la DGFiP sont très peu nombreuses ; je ne crois donc pas que ce soit la réduction des effectifs qui ait motivé la mise en place du prélèvement à la source.
Vous vous en doutez, je ne peux pas m'exprimer sur Apple, surtout si le ministère a refusé de le faire.
Christine Lavarde, le projet de fourniture d'un service intégré pour les particuliers employeurs est toujours en cours, sa mise en oeuvre est prévue pour le début de l'année 2020, selon les informations dont je dispose.
M. Vincent Éblé, président. - Nous vous remercions pour vos éclairages très précieux pour les travaux de notre commission.
Audition de M. Martin Vial, commissaire aux participations de l'État, directeur général de l'Agence des participations de l'État
M. Vincent Éblé, président. -Nous en venons maintenant à l'audition de M. Martin Vial, commissaire aux participations de l'État et directeur de l'Agence des participations de l'État (APE).
Votre dernière audition devant notre commission date de février 2016, il y a exactement trois ans : il devenait donc particulièrement important que nous puissions vous entendre sur la situation et les perspectives de l'État actionnaire. Vous êtes en poste depuis environ trois ans et demi, avec une expérience particulièrement utile pour éclairer notre commission.
Comme chacun le sait ici, le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, dit « Pacte », est en cours d'examen devant notre assemblée ; le volet relatif à la privatisation d'Aéroports de Paris et de la Française des Jeux suscite de vifs débats. Il y aura certainement des questions sur ces sujets. Mais votre audition s'inscrit bien sûr dans une perspective plus large, tant les dossiers relatifs à l'État actionnaire sont nombreux et stratégiques pour la France, comme en témoignent par exemple les enjeux de réorganisation de notre filière nucléaire.
M. Martin Vial. - Il y a trois ans, j'avais retracé ici un historique de l'État actionnaire depuis 2004. Aujourd'hui, je me propose de rappeler notre champ d'intervention en quelques chiffres en insistant sur la feuille de route arrêtée par le Gouvernement en 2017 pour la durée de la législature.
L'État actionnaire est l'un des premiers acteurs investisseurs publics dans le monde et il a procédé ces dernières années à une gestion dynamique de son portefeuille. L'APE a en charge des participations dans 81 entreprises ou groupes d'entreprises dont le chiffre d'affaires cumulé dépasse les 500 milliards d'euros pour 1 600 000 salariés et un peu plus de 100 milliards de fonds propres. La valeur des actifs que nous gérons est de l'ordre de 120 milliards d'euros. Nos équipes sont peu nombreuses et j'ai coutume de dire que l'APE est un petit commando de 55 personnes. Nous gérons ces portefeuilles dans quatre grands domaines d'activités : les transports, l'énergie, les services et la finance, et enfin l'industrie.
Nous travaillons aux côtés d'autres grands acteurs publics français que sont la Caisse des Dépôts et consignations - qui gère son portefeuille financier -, et la Banque publique d'investissement (BPI), dont le portefeuille dépasse 20 milliards d'euros. Quant au Programme d'investissements d'avenir (PIA), il intervient très en amont et n'a pas du tout la même doctrine d'investissement que l'APE.
Notre portefeuille boursier est évalué à environ 80 milliards d'euros et sa valorisation a progressé de 18 % en 2018, tandis que l'indice du CAC 40 diminuait de plus de 4 %. Notre rendement, c'est-à-dire les dividendes rapportés à la valeur boursière, est de 4,9 % en moyenne sur 5 ans contre un peu plus de 3 % pour le CAC 40. Ces bonnes performances diffèrent beaucoup de celles que je vous avais rapportées en 2016, et ce pour une raison simple : la part de l'énergie a un poids très important dans notre portefeuille de participations et les titres EDF comme Engie se sont appréciés sensiblement au cours de la période.
Le rendement actionnarial du portefeuille, à savoir le rapport entre d'une part les dividendes reçus plus l'accroissement de valeur du portefeuille et d'autre part la valeur du portefeuille, s'est établi à +20 % à l'automne dernier, versus -2 % pour le CAC 40, ce qui traduit là aussi une bonne performance.
Je parlais de gestion dynamique : depuis 2015 nous avons réalisé un peu plus de 13,5 milliards d'euros d'investissements et nous aurons reçu environ 13 milliards d'euros de recettes de cessions. Les dividendes en numéraire sont directement reversés au budget général.
Quelles sont aujourd'hui les grandes lignes de notre action ? Je souhaiterai d'abord rappeler que la doctrine d'investissement de l'État actionnaire a été révisée en 2017. Sa première formalisation en 2014 était demeurée trop large et ne donnait pas vraiment de direction opérationnelle puisqu'elle pouvait concerner en réalité quasiment toutes les entreprises commerciales françaises.
Nous avons proposé une nouvelle doctrine qui s'inscrit dans la politique du Gouvernement définie depuis le printemps 2017. Elle est beaucoup plus sélective que par le passé, pour deux raisons principales : la dérégulation mondiale, qui réduit le poids de l'État dans les secteurs concurrentiels, et la disruption numérique, qui modifie les modèles économiques de toutes les entreprises. Ce changement concerne d'autant plus notre portefeuille que l'âge moyen de nos entreprises est de plus de 100 ans, contre 25 ans pour l'âge moyen des entreprises du Nasdaq. Il s'agit pour beaucoup de grandes entreprises, souvent des fleurons de l'économie française. Elles ont besoin d'agilité pour faire face à cette disruption numérique, investir dans de nouvelles activités et faire évoluer la composition de leur capital.
Parallèlement, la situation de l'État actionnaire a évolué : la dette publique, qui représentait 56 % du PIB en 1995, a augmenté de plus de 40 points depuis cette date. Dans ce contexte, il est absolument nécessaire que l'État soit plus économe et que tout investissement public soit très sélectif.
C'est pourquoi nous avons recentré notre doctrine autour de trois priorités. La première priorité est la souveraineté : nous resterons investis dans des entreprises relevant de la défense nationale et du nucléaire civil. La deuxième priorité est la présence dans les grandes entreprises nationales de service public telles que la SNCF ou la Poste, pour laquelle la régulation ne suffit pas à s'assurer de l'exercice des missions ; cela vaut aussi pour certains services publics locaux comme les ports maritimes. La dernière priorité est l'intervention en cas de risque systémique : l'État continuera d'investir en tant que secours lorsque cela est malheureusement nécessaire. Il l'a fait par le passé pour Dexia ou pour PSA. Nous espérons évidemment devoir utiliser cette cartouche le moins possible.
Cette nouvelle doctrine d'investissement nous engage dans une démarche de respiration du portefeuille qui comprend deux volets. D'une part, nous proposons des opérations de privatisation, et vous l'avez rappelé, le débat qui a eu lieu hier dans votre hémicycle a traité des projets de privatisations d' Aéroports de Paris et de La Française des jeux. Nous envisageons aussi une opération de respiration sur Engie. Ce n'est pas une opération de privatisation puisqu'il s'agit déjà d'une entreprise privée ; l'objectif est de pouvoir descendre en dessous de 33 % du capital ou des droits de vote, pour permettre des opérations de rapprochement ou des augmentations de capital qui dilueraient la part détenue par l'État.
D'autre part, nous avons aussi réalisé des réductions de participation dans certains entreprises telles qu'Engie à la fin de l'été 2017, Renault à l'automne 2017, puis à l'automne dernier, Safran où nous gardons une participation légèrement supérieure à 10 %.
En tant qu'actionnaire, l'APE doit contribuer de façon très active à la réforme d'entreprises publiques ou à de grandes réformes sectorielles, telles que la réforme ferroviaire pour laquelle nous avons été très impliqués. Je pense aussi à la réforme en cours de l'audiovisuel public, à la réforme portuaire annoncée par le Premier ministre à l'automne dernier ou à la préparation de la RATP à l'ouverture à la concurrence. Nous avons de plus été très actifs en tant qu'actionnaire très majoritaire d'EDF dans la préparation du projet de loi de programmation pluriannuelle de l'énergie, annoncé par le président de la République l'automne dernier.
Quant au projet de loi « Pacte », il apporte quelques changements visant par exemple à nous donner plus d'agilité en matière d'actionnariat salarié. Il s'agit de permettre aux salariés de détenir une part plus importante du capital dans les entreprises de notre portefeuille.
Nous cherchons également à renforcer l'efficience de l'APE. Il y a trois ans, nous avions souhaité banaliser notre mode d'intervention dans la gouvernance des entreprises. Par exemple, concernant le recrutement des dirigeants et des administrateurs proposés par l'État en assemblée générale, nous avons systématisé le recours à des chasseurs de têtes et mis en place des jurys de recrutement. Cela concerne aussi bien les entreprises dans lesquelles nous sommes actionnaires majoritaires que notre contribution à la gouvernance de celles où nous sommes minoritaires.
Nous contribuons au redressement des finances publiques et au financement de l'innovation de rupture, au travers notamment du fonds pour l'innovation et l'industrie (FII), sujet qui sera abordé en séance au Sénat cet après-midi.
Il y a enfin un dernier élément auquel je tiens beaucoup par conviction personnelle liée à mes responsabilités antérieures, il s'agit de l'intégration de la responsabilité sociale et sociétale (RSE) dans la stratégie des entreprises. Nous avons adopté une charte RSE pour l'APE, que nous entendons diffuser à l'ensemble des entreprises de notre portefeuille. C'est un travail de longue haleine, avec une composante environnementale qui va de soi lorsqu'il s'agit de réduire les émissions de gaz à effets de serre mais aussi avec des implications dans le coeur de la stratégie d'entreprise.
Ma conviction est que l'État actionnaire n'a pas vocation à disparaitre. Il est nécessaire pour garantir la souveraineté de notre pays, pour assurer sa présence dans les grandes entreprises de service public et pour répondre à des besoins d'interventions conjoncturelles, que l'on songe aux Chantiers de l'Atlantique où l'actionnaire coréen était en faillite et s'est désengagé. Il fallait que l'État trouve une solution, et nous sommes toujours actionnaires majoritaires dans l'attente du feu vert de la Commission européenne pour l'entrée de Fincantieri au capital. L'État actionnaire doit être aussi un facilitateur de notre économie même si sa présence dans le domaine concurrentiel a vocation à se réduire par rapport à il y a 40 ans ou 50 ans.
M. Vincent Éblé, président. - Merci de cet exposé éclairant, en particulier sur l'évolution de doctrine de l'État actionnaire.
L'alliance Renault-Nissan est fortement secouée par les investigations menées par la justice japonaise à l'égard de son ancien dirigeant et la réorganisation à la tête de Renault a pris du temps. Comment l'État actionnaire compte-t-il accompagner cette entreprise ? Y a-t-il un risque pour l'avenir de cette alliance ? Comment voit-on les choses du point de vue de l'APE ?
Deuxième question, le président de la République a indiqué sa volonté de voir l'ensemble des dirigeants et des mandataires sociaux des grandes entreprises françaises acquitter leur impôt en France. Le ministre de l'économie et des finances a indiqué la semaine dernière par voie de presse que des propositions en ce sens seront prochainement soumises à l'examen du Parlement. Quelle est la situation dans les entreprises dans lesquels l'État est actionnaire? Un rôle particulier est-il dévolu au représentant de l'État au sein des conseils d'administration sur les rémunérations et les pratiques fiscales des dirigeants de ces entreprises ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je commencerai par une question provocatrice : l'État peut-il être un bon actionnaire dès lors qu'il poursuit des objectifs potentiellement contradictoires ? Par exemple, en tant qu'actionnaire, il a intérêt à recevoir le dividende le plus élevé possible de ses entreprises du secteur énergétique mais en même temps, l'intérêt politique est d'avoir sans doute le prix d'énergie le plus bas via les pouvoirs de régulation.
Quant au recentrage annoncé du portefeuille de l'État dans le cadre de la nouvelle doctrine, ne risque-t-il pas de conduire à des variations plus importantes du montant des dividendes ? Avec un portefeuille recentré sur des titres n'ayant pas vocation à être cédés, il pourrait être nécessaire de recourir davantage au budget général. N'y a-t-il pas un risque de soumettre dès lors l'État actionnaire aux exigences budgétaires annuelles ?
Qu'en est-il de l'évolution éventuelle du statut de l'APE ? Faut-il la doter de la personnalité morale ou la rendre indépendante ? Une évolution de son statut est-elle envisagée ?
Enfin, l'État détient-il des participations via des holdings aux Pays-Bas ? Les participations sont-elles détenues en direct exclusivement en France ou si elles sont dans d'autres pays, pouvez-vous nous garantir qu'il n'y ait aucun montage à travers les holdings aux Pays-Bas ou dans d'autres juridictions ? Si tel était le cas, serait-ce exclusivement pour des raisons de droit boursier ou y aurait-il aussi des raisons fiscales ?
M. Vincent Delahaye. - Je me réjouis qu'il y ait une doctrine claire de l'État actionnaire même si l'on peut bien sûr en discuter.
En dehors des privatisations proposées dans le projet de loi « Pacte », quelles sont les participations qui pourraient faire l'objet d'une mise sur le marché cette année ? Combien pourrait-on en attendre ? Si l'on exclut les secteurs stratégiques et certains services publics comme La Poste, que reste-t-il ?
M. Éric Bocquet. - Combien de dirigeants des grandes entreprises où l'État est actionnaire sont imposés à l'étranger ? Étiez-vous au courant de la situation du président-directeur général de Renault-Nissan ?
M. Martin Vial. - Je réponds immédiatement que nous avons appris l'incarcération et les griefs qui ont été émis à l'encontre de Carlos Ghosn par la presse le 19 novembre dernier. L'État n'était au courant de rien et le conseil d'administration, dont je suis membre, non plus.
C'est une crise tout à fait inédite, et nous - le conseil d'administration de Renault et l'État - avons souhaité, dès le 20 novembre, prendre les décisions d'urgence sur la gouvernance de l'entreprise. Nous avons désigné un mandataire social puisque Carlos Ghosn était le seul mandataire social de Renault : Thierry Bolloré, nommé directeur général délégué et mandataire social, a été doté de tous les pouvoirs de direction de l'entreprise. Nous nous sommes aussi assurés qu'il disposait du mandat de représentation au sein de la filiale commune RNBV (Renault-Nissan BV) aux Pays-Bas, de façon à poursuivre de façon opérationnelle les travaux de l'alliance pendant cette crise.
Philippe Lagayette, administrateur référent, a en outre été désigné pour assurer l'animation du conseil d'administration pendant cette période de crise.
La position de l'État, rappelée à diverses reprises par le ministre, a été de considérer que la présomption d'innocence devait s'imposer. Elle le devait d'autant plus que nous n'avions à cette date aucune information officielle ni de la part de la justice japonaise, ni de la part de Nissan.
Le système judiciaire japonais est assez particulier. Il permet de maintenir en garde à vue pour des interrogatoires - sans avocat - pendant une longue période. Celle-ci est renouvelée chaque fois qu'un nouveau grief apparaît, ce qui signifie une vingtaine de jours supplémentaires d'incarcération. Le procureur a usé de cette possibilité et il est apparu très clairement au cours de la deuxième partie du mois de décembre qu'il faisait tout pour que Carlos Ghosn ne puisse être libéré. Sans se prononcer sur les faits qui lui étaient reprochés et encore moins sur sa culpabilité, l'empêchement de Carlos Ghosn était donc un fait avéré. Le conseil d'administration de Renault a donc pris ses décisions concernant la gouvernance après en avoir débattu à diverses reprises en janvier et après que Carlos Ghosn a démissionné de son mandat de directeur général et de président de Renault ainsi que de l'ensemble de ses mandats exécutifs au sein de Renault y compris - même si ce n'est pas de sa propre initiative - au sein de RNBV qu'il ne présidera plus. L'État a souhaité parallèlement assurer que les relations entre Renault et Nissan ne soient pas excessivement détériorées. Elles l'ont été et il est un fait qu'une grande tension a régné entre les directions des deux entreprises. Nous avons néanmoins souhaité maintenir le dialogue pour faire en sorte que l'alliance continue de fonctionner. Fin novembre, fin décembre et fin janvier comme chaque mois, les dirigeants des deux groupes se sont réunis à Amsterdam pour examiner un certain nombre de décisions prises du point de vue opérationnel.
Afin de renforcer l'alliance, nous avons fortement soutenu la proposition du conseil d'administration consistant à confier à Jean-Dominique Senard un rôle clé dans le dialogue avec Hiroto Saikawa, directeur général de Nissan, et son conseil d'administration. L'objectif est d'engager un dialogue sur l'évolution de l'alliance. Il nous parait en particulier évident que la première tâche des dirigeants des deux entreprises est de s'entendre sur la façon dont l'alliance doit faire face aux défis du secteur. La conjoncture du secteur automobile n'est pas bonne aux États-Unis, pas excellente en Europe et elle s'est très nettement détériorée en Chine. Or, les défis d'investissements sont majeurs pour la voiture autonome, la voiture électrique et la voiture connectée ; il est donc indispensable que les équipes dirigeantes puissent continuer à unir leurs forces.
Nous en sommes là : Jean-Dominique Senard a rencontré Hiroto Saikawa il y a quelques jours dans le cadre des réunions de l'alliance et le dialogue semble très positif, selon l'expression des deux dirigeants. Parallèlement, Nissan a donné un signe très favorable dès le jour de la réunion du conseil d'administration désignant Jean-Dominique Senard comme président de l'exécutif de Renault. L'entreprise japonaise a convoqué une assemblée générale pour qu'à son conseil d'administration, Renault puisse désigner un remplaçant à Carlos Ghosn. Ceci avait été refusé par Nissan jusqu'à ce conseil d'administration tenu il y a trois semaines. Le processus est engagé et Nissan va convoquer une assemblée générale. Selon les termes des accords entre les deux entreprises, il s'agira de désigner de son propre chef un représentant de Renault en plus des deux représentants français déjà membres du conseil de Nissan. Ceci devrait intervenir au début du mois d'avril puisqu'au Japon, réunir une assemblée générale prend environ huit semaines.
Nous souhaitons évidemment accompagner ce mouvement. L'alliance a beaucoup d'atouts ne serait-ce que par la taille de son activité, avec plus de 10 millions de véhicules produits et vendus chaque année. C'est un modèle économique qui est gagnant dès lors qu'il y a une véritable intégration des forces et des talents. Des investissements lourds sur la voiture autonome ou la voiture électrique seront mieux amortis sur une base de vente très importante. Il faut même aller plus loin dans l'intégration pour renforcer cette puissance d'achat et mettre davantage en commun les équipes d'ingénierie et de recherche. Mais ce n'est pas simple, car ce sont des cultures différentes, y compris au plan technique. Ma conviction est qu'il faut le faire à partir des besoins opérationnels des deux entreprises. Tel est le sens de notre action, à la fois au sein de la gouvernance de Renault et de notre appui aux dirigeants dans leurs dialogues avec Nissan.
S'agissant du statut fiscal des dirigeants dans les entreprises à participations publiques, nous n'intervenons pas. Cela relève du secret fiscal et il n'y avait, jusqu'à présent, pas de conditions établies à ce titre. Je ne connais pas la situation fiscale de chacun des dirigeants des entreprises du portefeuille de l'APE. Le ministre a déclaré, à la suite de l'annonce qui avait été faite par le président de la République avant Noël, que l'État actionnaire exigerait des dirigeants mandataires sociaux des entreprises à participations publiques qu'ils soient résidents fiscaux en France. Les modalités sont en cours d'examen et je pense que le ministre aura évidemment à coeur de revenir vers vous sur ce sujet qui est assez complexe car il met en jeu les questions de conventions fiscales entre pays.
En matière de rémunération, l'État actionnaire a plus qu'une doctrine ; il a une règle : là où nous sommes majoritaires, les mandataires sociaux ont une rémunération plafonnée à 450 000 euros, quelle que soit la taille de l'entreprise. C'est donc le cas à la SNCF ou à EDF. Pour les entreprises où nous ne sommes pas majoritaires, la doctrine est de faire en sorte que ces entreprises contribuent autant que possible à la modération salariale. Je dis « autant que possible » parce nous avons par exemple été amenés à voter pendant plusieurs années contre la rémunération de Carlos Ghosn en conseil d'administration et en assemblée générale. Cette doctrine en vigueur dans l'ensemble des entreprises du portefeuille n'est pas d'un maniement facile. La position de l'État n'est pas forcément celle des actionnaires majoritaires. Mais nous permettons d'ouvrir un débat sain sur les niveaux de rémunération excessifs des dirigeants d'entreprises dans un monde où l'écart entre les plus hauts salaires et la moyenne des plus bas s'est accru sur une longue période.
Ensuite, l'État peut-il être un bon actionnaire ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Oui, et l'État est-il actionnaire d'entreprises à l'étranger ? Toutes les entreprises du portefeuille de l'État actionnaire sont-elles de droit fiscal français ou avez-vous des participations d'entreprises dont le siège social est ailleurs ?
M. Martin Vial. - Nous n'avons aucune holding à l'étranger, tout est en France. Les deux seules entreprises dont le siège social est aux Pays-Bas sont d'une part, Airbus dans lequel nous sommes coactionnaires avec l'État allemand - au même niveau - et avec les Espagnols et, d'autre part, KNDS dans le domaine de l'armement, résultat de la fusion de Nexter et de l'allemand KMW en 2015. Comme souvent, le siège d'une entité européenne à partir d'entreprises de deux nationalités se fait en dehors des pays d'origine. Pour rappel, les sièges sociaux localisés aux Pays-Bas ne sont pas des holdings « artificielles ». Nous n'avons pas d'autres entreprises dont le siège social est en dehors de France.
Est-ce que l'État peut être un bon actionnaire ? Je l'espère ! Première remarque, la période dans laquelle l'État avait tendance à solliciter des ressources excessives à travers les dividendes me semble révolue parce que, dorénavant, la fixation des dividendes se fait selon des critères assez simples : la capacité de distribution de l'entreprise dans le temps et de plus en plus, la comparaison avec les entreprises du même secteur. La fixation des dividendes les plus élevés possibles n'est donc plus notre objectif central. EDF en est un très bon exemple. Cette entreprise participe à une politique sectorielle publique majeure et a contribué à la compétitivité économique avec -grâce au nucléaire - des prix d'électricité plus bas que ceux des autres pays voisins. Parallèlement, il faut aussi s'assurer de la soutenabilité financière d'EDF. Entre ces objectifs, nous devons donc procéder à un arbitrage raisonné. Notre responsabilité collective est de faire en sorte que cette entreprise puisse continuer d'investir dans les énergies nouvelles et renouvelables et de s'assurer de tarifs toujours abordables, en particulier sur les entreprises électro-intensives et pour les particuliers à faible pouvoir d'achat. Cela fait partie des discussions que nous aurons dans les prochains mois avec la Commission européenne pour s'assurer que la poursuite de la prolongation du parc nucléaire existant peut se faire dans les conditions économiques soutenables pour EDF et, en même temps, protéger les consommateurs des hausses de prix. Je rappelle que le prix de vente du KWh par EDF est plafonné à 42 euros alors que les prix de marché sont au-dessus de 50 euros, voire 60 euros il y a quelques mois. Nous sommes engagés dans une réflexion qui prend en compte notre position d'actionnaire mais aussi bien sûr au premier chef celle du ministère en charge de l'énergie et de l'environnement. Au sein des pouvoirs publics, il y a évidemment des visions différentes. Pour les entreprises purement commerciales, le sujet ne se pose pas de la même façon, il s'agit de s'assurer que les centres de décisions restent en France.
C'est vrai, la réduction de la taille du portefeuille boursier peut exposer davantage à l'évolution des cours. Quant à la communication sur les prévisions de cessions éventuelles, je me dois d'être extrêmement prudent car il s'agirait d'informations dites d'initiés au sens de la réglementation boursière.
Cela dit, une partie du portefeuille est constitué d'entreprises concurrentielles dans lesquelles l'État a une participation significative et qui ne sont ni des services publics, ni des entreprises de défense ou liées au nucléaire civil.
Il y aura des mouvements significatifs dans ces entreprises si deux conditions sont remplies. Première condition, il nous parait exclu de sortir totalement d'une entreprise s'il n'y a pas d'autres actionnaires français de long terme qui se substituent à l'État. On ne peut pas envisager que l'État étant présent pour près du quart du capital dans une grande entreprise française puisse sortir de son capital sans se préoccuper du fait que les centres de décisions et le maximum d'emplois resteront en France ou que la recherche et développement soient bien menés en France. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. C'est différent que de vendre 3 % de telle ou telle entreprise sur le marché par une opération de cession de bloc, comme on l'a fait sur Safran, Renault ou Engie.
La seconde condition concerne la priorité donnée à des opérations de rapprochements industriels, créatrices de valeur et de capacité de développement. Par définition, cela ne se décrète pas. Les 10 milliards d'euros de cessions prévus en projet de loi de finances pour 2019 constituent un montant notionnel lié essentiellement aux projets de privatisation d'ADP et de la FDJ. J'ajoute que nous n'avons pas une liberté de manoeuvre considérable. Pour les raisons que j'évoquais, nous n'allons pas nous retirer d'EDF et de toute façon, dans ce cas précis il faudrait une loi. Il en est de même pour Orano ou pour Thales où nous n'envisageons pas de retrait.
Sur le statut de l'APE, la loi de finances pour 2018 prévoyait la remise d'un rapport au Parlement sur l'opportunité d'une transformation en holding de participations de l'État. Nous l'avons remis et ce rapport conclut que cela ne fait pas partie des priorités du Gouvernement même si comme je l'ai indiqué, nous sommes le seul gestionnaire d'actifs qui ne récupère pas les dividendes ; ils sont versés directement au budget général.
M. Jean-François Husson. - Où en sont actuellement les différents scénarios et le calendrier des ventes des parts de l'État dans ADP ?
Quant à la privatisation de La Française des jeux, elle soulève beaucoup de questions notamment sur le périmètre des droits exclusifs et de la régulation, restées à ce stade sans réponse. L'entreprise a, jusqu'à maintenant, privilégié la stratégie de développement fondée sur le jeu extensif ; beaucoup de joueurs qui misent peu, ce qui correspond à son maillage territorial actuel. Mais un investisseur privé pourrait opter pour une stratégie de jeu plus intensive, ce qui soulèverait des enjeux en termes d'aménagement du territoire et de santé publique. Quelles modalités de cessions envisagez-vous et à quel type d'investisseur pensez-vous pouvoir céder ? Comment prévenir les risques évoqués ?
Une question sectorielle : en 2017 l'État accompagnait la réorganisation de la filière nucléaire française en capitalisant Areva et EDF pour un total de 7,5 milliards d'euros. Cette réorganisation est-elle arrivée à son terme ? Les deux entreprises sont-elles désormais solides ? Quelles évaluations faites-vous des risques associés aux difficultés sur les projets d'EPR ?
Enfin, j'apprécie la démarche RSE, mais je me méfie toujours du verdissement de façade. Pouvez-vous nous préciser la stratégie de l'État actionnaire dans le sens d'une stratégie bas carbone ? Comment pensez-vous concilier les impératifs de rendements avec cette démarche de croissance durable ?
M. Marc Laménie. - La réforme ferroviaire présente-t-elle pour vous plutôt des avantages ou des inconvénients ?
Ma deuxième question portera sur les partenariats public-privé (PPP) - je songe notamment à la reconstruction des barrages sur la Meuse. Quel est votre point de vue sur ces montages ?
M. Jean-Marc Gabouty. - L'État sait-il optimiser la valeur des actifs qu'il cède ? En effet, s'il existe plusieurs méthodes d'évaluation de la valeur d'un actif, on constate que les transactions se font souvent à des niveaux beaucoup plus élevés, correspondant en réalité à la valeur jusqu'à laquelle l'acheteur est prêt à aller. On a l'impression que l'État ne sait pas trop appréhender les choses de cette manière. L'aéroport de Toulouse-Blagnac a été vendu par l'État 300 millions d'euros et l'investisseur devrait le céder 500 millions d'euros, seulement 4 ans ou 5 ans après ! Je comprends bien que ce soit une difficulté pour l'État de bien valoriser ses actifs du point de vue des acheteurs mais ces situations sont difficiles à comprendre.
M. Gérard Longuet. - L'État est un actionnaire qui poursuit des objectifs de nature extraordinairement différents ; c'est la complexité-même de la vie publique. Pour un actionnaire privé, le seul objectif est d'une façon ou d'une autre, le profit, et tel n'est pas votre cas. Aussi, ne faudrait-il pas que l'APE soit placée sous l'autorité du Premier ministre plutôt que liée strictement à Bercy ?
Mme Fabienne Keller. - La confirmation de l'interdiction par la Commission européenne du rapprochement entre Alstom et Siemens vient de tomber. Je voudrais plaider ici pour la puissance à l'export de l'ensemble du secteur ferroviaire français et donc m'inquiéter de cette décision. Accepteriez-vous de nous donner votre avis sur le sujet ?
M. Michel Canévet. - Pensez-vous que la situation des dividendes perçus par l'État soit si bonne ? En 2012, ils représentaient 4,6 milliards d'euros et ils ont diminué régulièrement pour atteindre 3,5 milliards en 2016 et 2,8 milliards en 2017. Avez-vous une indication du montant perçus en 2018 ? La baisse observée tient-elle au fait que l'État s'est séparé de ses participations les plus fructueuses ? En 2014, cinq participations - EDF, Engie, Orange, ADP et La Poste - représentaient en effet 84 % des dividendes. Si l'on vend des actions de ces principaux pourvoyeurs de dividendes, le montant encaissé ne va-t-il pas se réduire considérablement ?
Concernant la privatisation de La Française des Jeux et d'ADP, ne pensez-vous pas que le vote défavorable du Sénat d'hier traduit le sentiment général dans le pays de défiance à l'égard de ces opérations ? Je précise que pour ma part, j'ai voté pour la privatisation d'ADP...
Les dirigeants d'entreprises auprès desquelles vous intervenez vous semblent-ils sensibles à la question de la RSE ? Jean-Dominique Senard la prône activement, mais les autres dirigeants d'entreprises y sont-ils aussi favorables ?
M. Éric Jeansannetas. - La Commission européenne vient de mettre son veto sur le rapprochement Siemens et Alstom. Or, rappelons que c'est ce rapprochement qui, à l'automne 2007, avait motivé le choix du Gouvernement de ne pas exercer l'option d'achat sur les titres Alstom prêtés par Bouygues.
Dans ces conditions, comment l'État entend-il aujourd'hui accompagner le développement d'Alstom ?
M. Martin Vial. - Je ne voudrais pas m'élever au-dessus de ma condition pour répondre à la place du ministre sur le projet de loi « Pacte ». Tant que la loi n'est pas adoptée, nous n'avons pas engagé de démarches formelles pour la préparation de ces privatisations. Je me réfère simplement aux trois scénarios possibles que le ministre avait présentés concernant ADP : soit l'État cède plus de 30 % à un seul investisseur et il faudrait alors que l'acquéreur fasse une offre public d'acquisition (OPA), soit l'État vend ses 50 % par blocs sans qu'aucun des acquéreurs n'ait plus de 30 % et il n'y aurait alors pas d'OPA, soit enfin l'État garde une participation minoritaire, dont le montant serait à définir, et vendrait le reste par blocs, en tout cas à un niveau inférieur à 30 %. Ces trois scénarios restent ouverts et, à ma connaissance, le Gouvernement n'a pas tranché.
Sur La Française des jeux, l'intention exprimée devant l'Assemblée nationale par le ministre était que l'État garde 20 % du capital et en cède 52,4 % par une introduction en bourse. Je précise qu'une introduction en bourse est une opération lourde qui nécessite que les conditions de marché soient réunies, qu'il y ait suffisamment de concurrence entre les investisseurs. Si le Parlement vote ce projet de loi, nous souhaiterons garder le plus longtemps possible la capacité de décider.
Sur la filière nucléaire, l'opération menée pendant trois ans s'est terminée en 2017 avec d'une part, la capitalisation d'Areva et sa séparation en deux entités, Areva S.A. et Orano et, d'autre part, la prise de contrôle de Framatome par EDF. À ce jour, la réorganisation est achevée, mais il reste à mettre en oeuvre le contrat d'acquisition entre EDF et Framatome concernant les garanties de passifs données par Areva. Il s'agit d'une situation post-opération classique.
S'agissant des EPR, EDF a indiqué récemment que les calendriers seraient tenus. Le chargement du combustible aura lieu à la fin de l'année 2019 à Olkiluoto et sans doute à l'été ou au début de l'automne à Flamanville.
Sur la RSE, vous avez raison d'être vigilants, mais il ne s'agit pas de « verdir » l'action de l'État. Vous avez cité Jean-Dominique Senard mais il y a beaucoup de démarches engagées aussi par Engie, Thales ou EDF notamment en matière de réduction des émissions de CO2. Je pourrais vous faire passer la liste de ces objectifs qui existent d'ores et déjà dans la plupart des grandes entreprises. Notre idée est de tirer au maximum les entreprises vers le meilleur niveau de ce qui existe au sein du portefeuille. Je suis pragmatique : il ne s'agit pas d'inventer des choses mais de trouver le meilleur de ce qui se fait dans ces entreprises et de le copier.
Plus spécifiquement sur les émissions de CO2, nous avons signé une charte avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) en novembre 2018 pour homogénéiser les méthodes de mesure du CO2, les objectifs étant fixés par les entreprises. Nous commençons ce trimestre avec les vingt premiers groupes, l'idée étant d'étendre progressivement ce dispositif. C'est un travail de longue haleine. Il faudra des années pour que tout le monde s'aligne de façon positive.
Je pense que la réforme ferroviaire peut être source, pour l'entreprise, d'efficacité et de compétitivité dans tous les domaines : qualité de services, réactivité et soutenabilité financière. L'État a pris des responsabilités en reprenant la dette de la SNCF en deux fois. La conséquence immédiate a été la requalification en dette publique de l'intégralité de la dette, soit plus de 50 milliards d'euros et non les 35 milliards d'euros repris par l'État. Nous avons des réunions hebdomadaires avec la direction de la SNCF sur la préparation des trois nouvelles sociétés anonymes qui entreront en activité au 1er janvier 2020. L'idée est de mettre en place la gouvernance la plus rationnelle possible pour faire avancer la SNCF encore mieux et encore plus vite. Au plan financier, il y a beaucoup de sujets techniques concernant notamment l'affectation des biens et de la dette entre les différentes entités. Des sujets significatifs sont en discussion avec la Commission européenne concernant Fret SNCF. Il y a aussi le chantier social pour lequel nous ne sommes toutefois pas en première ligne. Les négociations se font à l'intérieur de l'entreprise et de la branche.
À propos de notre capacité à valoriser nos actifs lors les cessions, il faut distinguer deux types d'opérations de cessions. Il y a les cessions dites accélérées faites en une après-midi ou une soirée. Les outils de mesure de notre efficience sont assez simples : la décote, liée au fait de vendre un bloc important et la comparaison de cours des 6 mois ou des 12 mois suivant et précédant l'opération. De ce point de vue, les dernières opérations que nous avons faites ont fait apparaitre des niveaux de décotes très faibles et des indicateurs très positifs sur la valeur de la cession comparés aux 6 mois précédents et aux 6 mois suivants. Je rappelle que nous ne pouvons faire aucune transaction sans nous conformer à l'avis de la commission des participations et des transferts sur un prix minimal.
Le deuxième type de cessions se fait hors marché. Vous avez cité Toulouse-Blagnac, mais on pourrait citer aussi les aéroports de Lyon et de Nice qui ont suivi en 2016 et 2017. Comme dans toute enchère, il y a le prix que l'on souhaiterait avoir et il y a le prix de la meilleure enchère. S'agissant de Toulouse, j'entends bien évidemment les critiques, mais à l'époque Casil Europe avait proposé un prix très supérieur à celui du deuxième candidat. Pour Nice et Lyon, nous avons vendu les participations à des multiples - la valeur divisée par le profit - supérieurs à 20, soit les plus élevés observés en Europe dans les cessions aéroportuaires de tailles comparables. C'est le principe de l'enchère. En 2015 le prix payé par Casil Europe avait été considéré comme exorbitant. Ex post, on peut toujours dire que ce n'était pas assez... Aujourd'hui, je ne sais pas le prix qu'ils vont tirer. Celui qui circule dans la presse est simplement celui que le vendeur a mis sur la table pour pousser les acheteurs à aller jusqu'à ce niveau.
Dans un mécanisme d'enchères, l'objectif est effectivement de s'assurer d'une intensité concurrentielle suffisamment importante, raison pour laquelle nous souhaitons garder la main jusqu'au dernier moment concernant ADP. Si l'intensité concurrentielle est insuffisante, je recommanderai de ne pas faire cette opération.
L'APE devrait-elle être sous l'autorité du Premier ministre ? Pour l'heure, nous essayons de mettre de la rationalité économique dans la politique de l'État actionnaire et interviennent naturellement d'autres ministères - des transports, de la culture, de l'énergie, de la défense, etc. - qui mènent chacun leurs politiques publiques sectorielles. Nous participons donc, à notre place, au débat interministériel. Je ne sais pas si la tutelle directe du Premier ministre changerait les choses. En restant modeste, je peux dire que depuis sa création en 2004, l'APE n'a cessé, par l'expérience accumulée, de gagner en crédibilité dans le fonctionnement interministériel. Cela ne veut pas dire que l'on soit toujours d'accord ; en tous cas, je suis très satisfait d'être rattaché au ministre de l'économie et des finances.
Sur Alstom, nous ne sommes plus actionnaires mais nous considérons que la décision de la Commission européenne sur la fusion avec Siemens est une erreur. Tout d'abord, nous pensons que la Commission européenne a examiné ce dossier de façon non globale. Elle s'est fondée sur la projection du passé, ce qui pose problème au regard de la vitesse de déploiement du chinois CRRC en Europe. Ils ont gagné des appels offres sur les métros, sur certaines lignes en Allemagne.
Ensuite, sur le marché mondial, la Commission européenne n'a pas pris en compte le marché chinois, le marché japonais et le marché coréen. Or, le marché chinois est en passe de devenir le premier marché mondial, qui est d'ailleurs en train de se refermer. Le ministre s'est exprimé de façon très claire à nouveau ce matin. La question politique qui est posée est celle de la création de grands champions européens sur les marchés où des concurrents ne jouent pas à armes égales, ce qui est le cas de beaucoup ces entreprises chinoises ou américaines. De telles situations devraient amener la Commission européenne et les États membres à remettre sur la table les règles applicables. Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais est émise l'idée d'utiliser les dispositions des traités existants relatives à l'intérêt commun de l'Union européenne. En tout cas, nous considérons qu'il s'agit d'une erreur majeure pour l'industrie ferroviaire européenne. Qu'allons-nous faire? Nous ne sommes pas actionnaires d'Alstom. La bonne nouvelle c'est qu'à court terme, l'entreprise a un carnet de commandes bien rempli mais la question de la taille de l'entreprise va se reposer. Tout va vite et les investissements qui sont à faire en matière de signalisation nécessitent de disposer d'une masse critique suffisante. Il faudra mettre des propositions sur la table dès le début de la prochaine Commission européenne.
Certes, le montant des dividendes diminue : en 2018, le budget général aura encaissé environ 2,450 milliards d'euros. Ce n'est pas vraiment lié à la réduction de la taille du portefeuille car EDF est toujours, et de loin, le premier contributeur. Mais précisément, il y a eu une période où l'État avait fixé des niveaux de dividendes particulièrement élevés sur EDF, ce qui n'est plus le cas. Il y a eu aussi un creux pour Engie qui était autre un gros contributeur.
La réunion est close à 12 h 35.