Jeudi 13 décembre 2018
- Présidence conjointe de Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises et de M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales et Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Impact de l'éventuelle instauration d'un bonus-malus sur les contributions patronales à l'assurance chômage - Présentation par l'Observatoire français des conjonctures économiques de l'étude demandée par la délégation aux entreprises
Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises. - Le sujet qui nous réunit ce matin est commun à la délégation aux entreprises et à la commission des affaires sociales : il s'agit des contrats courts dans les entreprises.
Au cours des vingt dernières années, la structure des embauches s'est transformée en France : le nombre de contrats de travail conclus pour moins d'un mois s'est trouvé multiplié par 2,5. En outre, on observe que 80 % des embauches en contrats courts sont en fait des réembauches, laissant présumer des relations suivies entre un salarié et l'employeur. L'Unédic estime ainsi qu'environ 800 000 chômeurs sont dans cette situation, qualifiée de « permittence », depuis plus de cinq ans.
Ce phénomène est particulièrement frappant dans les services et, plus précisément, dans certains secteurs : l'hôtellerie-restauration, l'hébergement médico-social, mais aussi des activités plus techniques, comme celles dont relèvent les instituts de sondage. La possibilité de recourir à de tels contrats répond assurément au besoin qu'ont les entreprises soit d'ajuster leur production en fonction de la demande, soit d'assurer un service continu. Mais un tel phénomène contribue aussi à la précarité sociale et au déséquilibre du régime d'assurance chômage.
Cette situation a conduit le Gouvernement, dès 2017, à évoquer l'éventualité d'une taxation pour décourager le recours abusif aux contrats courts, malgré l'échec de plusieurs tentatives passées de régulation économique ou juridique du phénomène. La délégation aux entreprises, soucieuse d'optimiser l'articulation entre flexibilité et sécurité et de ne pas freiner la croissance des entreprises, prête à ces annonces une attention suivie.
Elle a ainsi décidé, au mois de juillet dernier, de proposer aux questeurs le lancement d'une étude sur la perspective d'une taxation des contrats courts. C'est en effet au cours de la lecture au Parlement, l'été dernier, du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel que cette perspective a fini par prendre corps. Sur le fondement de cette loi, promulguée le 5 septembre dernier, le Gouvernement a engagé les partenaires sociaux à renégocier la convention d'assurance chômage d'ici début 2019, se réservant, en cas d'échec, la possibilité d'introduire lui-même un système de bonus-malus des contributions patronales à l'assurance chômage pour réguler l'usage des contrats courts.
Sur décision du conseil de questure, c'est à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) que la délégation aux entreprises a donc confié le soin, début octobre, de réaliser une étude afin de déterminer pourquoi les contrats courts se développent tant et comment réguler leur usage sans porter préjudice aux entreprises, particulièrement aux PME, et donc à l'emploi.
Je remercie pour leur présence ici ce matin M. Bruno Coquet, chercheur affilié à l'OFCE, qui a rédigé cette étude avec M. Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'OFCE, ainsi que MM. Bruno Ducoudré, économiste, et Xavier Timbeau, directeur principal de l'OFCE, qui l'accompagnent.
J'ai tenu à associer à cette démarche la commission des affaires sociales, compétente sur ces questions, et je vous remercie, monsieur le président Milon, d'avoir accueilli favorablement ma proposition de réunir nos deux instances aujourd'hui pour prendre connaissance des résultats de cette étude. J'espère qu'elle contribuera aux réflexions que nous menons en tant que parlementaires et qu'elle pourra utilement éclairer la négociation entre partenaires sociaux, dont la conclusion, prévue pour la fin du mois de janvier, vient d'être reportée d'un mois en raison des récents évènements.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. - Je remercie Élisabeth Lamure de nous avoir associés à la remise des conclusions de l'étude demandée par la délégation aux entreprises sur la régulation économique des contrats courts. Notre réunion fait l'objet d'une captation vidéo, retransmise sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande après la conférence de presse que la délégation aux entreprises organise la semaine prochaine - c'est Frédérique Puissat qui y représentera la commission des affaires sociales.
La régulation des contrats courts, au carrefour du droit du travail et de la protection sociale, a compté au nombre des débats importants lors de l'examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ; il était important, me semble-t-il, d'y mettre un peu de clarté.
Les termes de ce débat sont connus et posés avec précision dans le dossier de référence de la négociation sur l'assurance chômage.
Le développement des contrats courts est un phénomène observé dans de nombreux pays européens au cours des vingt dernières années ; il participe d'un brouillage plus général de la frontière entre salariat et travail indépendant : les aléas économiques sont supportés par le salarié lui-même ou, le cas échéant, par l'assurance chômage, alors que le fait de supporter le risque économique qu'on a soi-même pris et, éventuellement, d'en recueillir les fruits caractérise en principe le travail indépendant.
En France, le nombre d'embauches en CDD de moins d'un mois a cru de 157 % entre 2000 et 2016 ; il atteignait, à cette dernière date, près de 17 millions, sur les 24,5 millions de déclarations préalables à l'embauche.
Notre pays se caractérise par des contrats plus courts encore qu'ailleurs, dont la durée n'excède pas parfois quelques jours ou quelques heures, mais aussi - vous l'avez évoqué, madame la présidente - par la récurrence du phénomène de la relation suivie, situation dans laquelle un salarié fait l'objet de réembauches successives par le même employeur, qui représente deux tiers des CDD de moins d'un mois.
Ce phénomène est très concentré sur certains secteurs, notamment celui du médico-social, qui nous intéresse à plus d'un titre - le CDD d'usage, qu'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2015 invitait à réformer très largement, lui est consubstantiel.
L'enquête qualitative réalisée par le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc), à la demande de l'Unédic, sur le recours aux contrats courts montre qu'il s'agit également d'une question d'organisation interne des entreprises : selon que leur recrutement est plus ou moins segmenté, selon les compétences, selon qu'il est plus ou moins centralisé et anticipé, le recours aux contrats courts est plus ou moins important.
Sur la base de ce constat, quelle réponse apporter ?
Vos invités nous le diront, madame la présidente ; je leur laisse donc la parole.
M. Bruno Coquet, chercheur affilié à l'OFCE. - Réguler les contrats courts - on assiste à une explosion du recours à ce type de contrats - ; les réguler sans contraindre les entreprises - il s'agit de ne brider ni l'activité économique ni l'emploi - ; en préservant l'assurance chômage - ces pratiques coûtent assez cher, et ceci indûment, au régime d'assurance chômage - : le titre de l'étude que je vais vous présenter rassemble l'ensemble des éléments que nous avons tâché de prendre en compte dans nos propositions. Son sous-titre résume l'esprit du rapport : « Il ne s'agit pas de taxer, mais de fixer un prix, qui représente une tarification correcte du contrat d'assurance » - inciter, donc, et non punir.
Quelques éléments de contexte, d'abord.
Les contrats de travail de courte durée sont un outil indispensable au fonctionnement de l'économie. Ils contribuent à accroître la production potentielle, donc l'emploi. En effet, l'activité économique comporte une part d'incertitude ; de tels contrats permettent aux employeurs d'effectuer des prévisions à court terme et de s'adapter à une éventuelle contraction de la demande.
Ils permettent aussi aux employeurs de diversifier ce que j'appelle leurs choix technologiques, c'est-à-dire la gestion de leurs carnets de commande - et, dans une économie de services, ceux-ci ne se stockant pas, les contrats courts sont naturellement plus nombreux.
Il faut également mentionner, au titre de ce panorama, les « institutions du marché du travail » : la réglementation incite plus ou moins les employeurs à recourir aux contrats courts. Le plus souvent, l'employeur utilise des formes de contrats diversifiées. En général, l'activité économique est assez largement prévisible ; l'incertitude n'est jamais totale. Le CDI représente donc la forme la plus répandue : 85 % de l'emploi total.
Autre point de contexte : les contrats courts ne doivent pas permettre de s'affranchir d'un certain nombre de règles de bon fonctionnement d'une économie sociale de marché.
Première règle : l'agent qui prend un risque doit être rémunéré en conséquence - or, avec le contrat court, l'employeur peut transférer une partie de ce risque sur le salarié et sur l'assurance chômage.
Deuxième règle : les coûts de production doivent être répercutés sur les clients, et non sur des acteurs extérieurs, concurrents ou assurance chômage.
Enfin, troisième règle : la recherche de compétitivité ne doit pas s'appuyer sur la détérioration des conditions sociales, raison pour laquelle, historiquement, ont été créés des accords de branche, et pour laquelle, aussi, la France lutte contre le dumping social des pays à bas salaires.
Les contrats courts connaissent une croissance extrêmement vive et ininterrompue depuis quarante ans. Dans ce rapport, nous nous sommes concentrés sur les CDD de moins d'un mois et sur les missions d'intérim, dont la durée moyenne est d'une dizaine de jours. Le nombre de contrats signés chaque année a cru de manière explosive, passant de 20 millions à 40 millions, pour l'essentiel des contrats courts, pour l'essentiel dans le secteur tertiaire.
Au passage, on entend souvent dire que les chômeurs ne sortent pas du chômage ; mais ces contrats instables, souvent mal payés, sont bel et bien acceptés par des chômeurs. Ceux qui plaident pour inciter les chômeurs à reprendre un emploi ne tiennent pas compte du fait que beaucoup de chômeurs reprennent déjà des emplois.
Si le nombre de contrats augmente, le volume total d'heures travaillées, lui, augmente très peu, parce que ces contrats sont de plus en plus courts. S'agissant des CDD, depuis le début des années 2000, la durée moyenne des contrats est passée de 120 à 40 jours, soit une division par trois.
L'usage des contrats courts est et reste typé par secteur. Par exemple, le secteur du médico-social utilise énormément de contrats courts, comme celui des hôtels, cafés et restaurants. L'industrie a traditionnellement recours à l'intérim - c'est toujours vrai -, et le tertiaire à des CDD courts. En réalité, dans le cadre de ce rapport, nous ne nous sommes pas intéressés au statut, mais à l'effet sur l'assurance chômage. De ce point de vue, la distinction entre contrat d'intérim et CDD court paraît peu significative, ce qui permet de ne pas tenir deux discours, l'un pour l'industrie, l'autre pour le tertiaire.
Nous nous sommes demandé pourquoi le recours aux contrats courts augmentait ainsi. Lorsque la conjoncture est très bonne et qu'on crée beaucoup d'emplois, on a plutôt tendance à créer des CDI ou à convertir des CDD en CDI : la progression du taux de recours aux CDD courts se ralentit dans les périodes de croissance soutenue. Seule exception : le courant des années 2000 - le taux de recours aux contrats courts a alors augmenté massivement, malgré une conjoncture plutôt bonne. Ceci s'explique par l'incidence de mesures spécifiques.
Première variable significative : la réglementation des contrats courts, en particulier des CDD d'usage, explique en grande partie le développement de ces contrats - il est possible en effet d'y recourir facilement, sans risque juridique. Autre facteur déterminant : les allègements de cotisations sociales sur les bas salaires. La réglementation ne dit pas que ceux-ci sont réservés aux contrats courts ; mais, les contrats courts étant principalement dédiés à des emplois peu qualifiés et à bas salaires, ils sont donc surexposés à cette politique d'allègement des cotisations sociales.
Depuis 2008, ces deux facteurs jouent néanmoins un rôle mineur : les allègements de cotisations sociales sont restés plutôt stables ; et le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), principal dispositif actuel de baisse du coût du travail, concerne des salaires beaucoup plus élevés, donc généralement des contrats plus longs. Par ailleurs, on ne peut isoler un quelconque effet de la taxation des contrats courts mise en oeuvre entre 2013 et 2017 sur le taux de recours aux contrats courts.
De manière générale, les contrats courts ont modifié à la fois la physionomie de l'emploi et celle du chômage.
Les contrats courts ne correspondent pas forcément à des statuts courts : les CDI sont aujourd'hui assez souvent utilisés comme des contrats courts. L'Insee, en 2014, estimait que la moitié des CDI créés étaient rompus avant le premier mois. Quant au ministère du travail, il parvient à une conclusion analogue : un tiers des CDI durent moins d'un an. Il existe donc un usage court du CDI, car la période d'essai peut être rompue sans coût et sans préavis.
Je remarque, en outre, que les discussions sur les contrats courts oublient systématiquement le secteur public, où l'usage desdits contrats a pourtant été multiplié par trois - l'employeur n'y est pourtant pas soumis ni à la concurrence internationale ni à la saisonnalité de l'activité.
L'assurance chômage est surexposée à ces contrats courts. En effet, qui dit contrats courts dit beaucoup d'interruptions de contrats, et autant d'inscriptions, entre deux contrats, à Pôle emploi.
L'assurance chômage couvre bien ces risques, les partenaires sociaux ayant tenu compte du fait que le risque de chômage se déplaçait du salarié employé pendant 35 ans par exemple dans la sidérurgie, vers des actifs enchaînant des périodes d'emploi court et de chômage récurrent. Il est logique, légitime et rassurant que de nombreuses personnes issues de contrats courts soient couvertes par l'assurance chômage, puisqu'il s'agit de la forme que prend le risque aujourd'hui - une assurance doit assurer des risques effectifs. Il est naturel aussi que ces contrats courts nourrissent le déficit de l'assurance chômage ; c'est l'ampleur de ce déficit qui pose problème.
Pendant longtemps, l'assurance chômage a voulu trop bien faire ; ses règles étaient donc très « généreuses » pour les contrats courts, en particulier pour l'intérim. Depuis 2011, ces règles sont peu à peu revues. Il en reste deux qui incitent aux contrats courts, en ce sens qu'elles offrent des droits plutôt favorables : la règle de calcul du salaire de référence et le taux de remplacement. L'assurance chômage doit donc, avant toute chose, travailler sur ses propres règles.
Quant à la régulation du recours aux contrats courts, elle est déséquilibrée. Historiquement, la France fait du droit. On a donc privilégié la régulation juridique du marché du travail au détriment de la régulation économique, alors même que le motif du recours aux contrats courts n'est pas juridique : ce n'est pas parce que le code du travail l'autorise qu'on utilise de tels contrats, mais parce que c'est économiquement rentable.
Dès lors qu'on veut réformer le marché de l'emploi, il est toujours question de l'indicateur de protection de l'emploi de l'OCDE. En la matière, la France est au-dessus de la moyenne de l'OCDE, tant pour le CDD que pour le CDI ; mais, paradoxalement, l'écart de « rigidité » entre la France et les autres pays est important sur le CDD, pas sur le CDI. Ce qui apparaît dans le radar de l'OCDE, ce sont donc les régulations juridiques qui contraignent l'usage des CDD. Si la moyenne de l'OCDE a baissé très significativement depuis 1995, du fait des réformes du marché du travail, l'indicateur de protection de l'emploi relatif aux CDD est resté, en France, parfaitement stable. Tous les ministres qui se sont succédé depuis les années 1990 vous diront que des réformes très importantes ont été menées en matière de régulation du marché du travail ; c'est vrai : en la matière, on a voté une loi par trimestre. Mais ces réformes n'ont eu aucun effet sur l'indicateur OCDE.
La régulation a donc été juridique ; dans cette affaire, la régulation économique est le parent pauvre, si l'on excepte l'indemnité de fin de contrat et la petite expérience de taxation menée entre 2013 et 2017. C'est ce volet qu'il faut renforcer.
L'usage des contrats courts a de multiples causes ; il n'y a donc pas une solution unique, mais beaucoup de réponses à apporter. Ce constat s'applique en particulier à l'assurance chômage : la taxation des contrats courts, bien qu'indispensable, ne suffira pas à faire cesser leur utilisation. Elle doit donc prendre sa place au sein d'un panel de réformes au champ bien plus large que celui de la seule assurance chômage, et même plus large que celui du marché du travail.
L'assurance chômage, comme toute assurance, assure un risque ; elle ne doit pas assurer ce qui relève du choix des employeurs. À partir du moment où l'usage du contrat court, qui rend inévitable l'alternance avec des phases de chômage, répond à des problèmes d'organisation de la production et de réponse aux carnets de commande - j'ai parlé de choix « technologiques -, il s'agit d'un choix. On sort donc du domaine du risque, et l'assurance doit s'en prémunir : elle ne saurait prendre en charge ce qu'on appelle une « externalité », c'est-à-dire un coût qui devrait bien plutôt être intégré par l'employeur dans son coût de production et facturé au client. À défaut, l'entreprise fait peser sur ses concurrents ainsi que sur les autres secteurs d'activité, qui contribuent à la caisse commune de l'assurance chômage, le coût de ses choix.
On pourrait énoncer le problème comme suit : l'assurance chômage fait deux choses à la fois. Elle indemnise le chômage ordinaire, donc assure un risque lié aux fluctuations de l'activité économique, d'une part ; d'autre part, elle couvre aussi très bien le choix technologique de recourir au contrat court, créant une incitation au chômage temporaire et volontaire. Ce système, dans lequel les entreprises s'appuient sur l'assurance chômage - elles ont raison de le faire, de leur point de vue -, mène à la faillite.
La solution idéale consisterait à séparer ces deux risques : l'assurance chômage ordinaire et une assurance chômage temporaire, technologique, proche de ce qui existe aux États-Unis, qui ferait l'objet d'une caisse et d'un financement particuliers. Si l'on gagne, en effet, à mutualiser le financement de l'indemnisation du chômage ordinaire, le chômage temporaire, en revanche, doit être financé par ses seuls utilisateurs - la théorie économique est claire sur ce point.
Il est malheureusement impossible de procéder ainsi, tout simplement parce qu'une telle séparation exigerait de mettre « cul par-dessus tête » l'assurance chômage. À court terme, la seule solution est d'adapter cette dualité du régime d'assurance chômage aux pratiques des employeurs. Les journaux résumeraient : « on va taxer les contrats courts ».
Je serai plus nuancé. Certaines expériences de taxation ont manifestement échoué : les intermittents du spectacle paient une cotisation double de celle du droit commun ; pour autant, dans ce secteur, les contrats courts continuent de se multiplier. Autre exemple : les CDD en auto-assurance ; ils concernent le secteur public - près d'un tiers des salariés, en France, n'est pas affilié à l'assurance chômage, parce que leur employeur peut s'en exonérer ; le versement de l'allocation, dans les mêmes conditions que celles prévues par l'Unédic, est alors intégralement à sa charge. Pourtant, le recours aux CDD, dans le secteur public, a considérablement augmenté. Je citerai enfin l'expérience menée de 2013 à 2017 sur les contrats courts eux-mêmes ; la règle étant plus rare que les exceptions, la majorité d'entre eux échappaient à la taxation.
L'objectif doit être d'inciter les employeurs à adopter des comportements responsables en matière de recours aux contrats courts : les employeurs qui utilisent des contrats longs n'ont pas à subventionner ceux qui utilisent des contrats courts ; c'est pourtant ce qui se passe, via l'assurance chômage. Il s'agit donc d'empêcher un tel transfert, sans punir les employeurs - je l'ai dit : l'usage des contrats courts est normal ; il s'agit simplement de le contrôler.
Il ne faut pas viser un statut, mais un effet : taxer les CDD engendre des manoeuvres de contournement. Les employeurs utilisent d'autres statuts, par exemple le CDI. En définitive, il faut trouver une formule simple et applicable : il s'agit de taxer un comportement. Si le prix subi par l'employeur est indépendant de ce comportement, l'effet produit ne sera pas l'effet escompté.
Dans le cadre d'un tel réseau de contraintes, nous proposons une troïka d'instruments dont le coeur serait une tarification dégressive en fonction de la durée du contrat de travail. Cette tarification s'appliquerait à tous les contrats, quel que soit le statut. Le mois de l'embauche, le taux de cotisation serait le même pour tous ; il diminuerait ensuite, au fil des mois et de la durée du contrat. Deux contrats successifs d'un mois, en revanche, seraient chacun taxés au taux initial. On inciterait ainsi à recourir à des contrats longs.
Il ne s'agit pas de renflouer l'Unédic : les hausses de prélèvements sur les débuts de contrats seraient compensées par une baisse du taux « normal » de cotisation, qui passerait, dans l'exemple que nous donnons, de 4,05 à 3,75 %.
La principale critique adressée à ce type de formule consiste à y voir une taxe à l'embauche. Ce problème est très facile à traiter via une franchise minime destinée à exonérer les petites entreprises, jusqu'à vingt salariés permanents, les PME en forte croissance et les entreprises qui recourent faiblement aux contrats courts. Ne seraient ainsi taxées que celles qui abusent des contrats courts. Si tout cela ne suffit pas, nous proposons l'instauration d'un forfait dû dès lors qu'un contrat de travail est signé, permettant de dissuader les employeurs de recourir à des contrats extrêmement courts.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Notre attention a été récemment attirée sur des exemples précis : un salarié accumulant 4 mois de travail, même morcelés, pourrait aujourd'hui prétendre à 28 mois d'indemnisation au titre de l'assurance chômage. Cette formule encourage-t-elle les recours aux contrats courts ?
M. Bruno Coquet. - On dit parfois de l'assurance chômage qu'elle est « généreuse » - le terme est impropre, mais passons - en arguant d'exemples comme celui que vous venez de donner. Or, formellement, il est impossible de toucher 28 mois d'indemnisation en ayant travaillé 4 mois. Le système est parfaitement contributif : 4 mois de travail ouvrent 4 mois de droits potentiels. En moyenne, la durée d'emploi des chômeurs entrant dans le système est de 16 mois, donnant droit, donc, à 16 mois d'indemnisation potentielle, consommés à 60 % environ.
Vous avez raison sur un point : certaines règles font qu'on peut durablement alterner emploi et chômage, au-delà même, en théorie, de 28 mois. En pratique, nous ignorons qui se trouve dans cette situation : ce chômeur-là, nous ne l'avons jamais vu. Mais les deux règles que j'ai évoquées tout à l'heure, salaire de référence et taux de remplacement, rendent bel et bien possible le genre de cas que vous avez cité.
Le salaire de référence est calculé sur la base de la rémunération journalière, qui est multipliée par trente : l'assurance ne remplace donc pas les revenus effectivement touchés sur un mois. Autrement dit, il peut exister un bonus à l'entrée au chômage en cas d'interruptions de travail durant la période de référence. Par ailleurs, et pour des raisons historiques, le taux de remplacement est plus élevé pour les bas salaires que pour les hauts salaires. Le taux « normal » est de 57 % ; mais les chômeurs dont le salaire était inférieur à 1 000 euros bénéficient d'un taux de remplacement qui peut aller jusqu'à 75 %. Encore faut-il ajouter que, les cotisations n'étant pas de même niveau sur les allocations et sur les salaires, il faut faire le calcul sur le net, et non sur le brut. Conclusion : pour un salarié dont le salaire journalier de référence est à peu près au niveau du SMIC, le taux de remplacement net est de l'ordre de 80 % de l'ancien salaire.
A contrario, la suppression brutale de ces règles, qui engendrerait certes d'importantes économies, ferait beaucoup de dégâts : les personnes concernées deviendraient pauvres.
Il faut malgré tout définir une trajectoire permettant, progressivement, de défaire ces incitations à l'usage de contrats courts.
M. Philippe Mouiller. - Je suis élu dans une région de l'ouest de la France où le taux de chômage est relativement faible ; les entreprises y ont de vraies difficultés pour recruter, pour pourvoir notamment des emplois non qualifiés, et pour faire signer des CDI. Les demandeurs d'emploi demandent plutôt des contrats d'intérim ou des CDD de deux ou trois mois ; certains salariés refusent même la transformation en CDI. On est là, typiquement, au coeur du débat sur le taux de remplacement ; les employeurs sont aujourd'hui démunis face à cette difficulté.
Dans le secteur médico-social, il est juridiquement impossible, lorsqu'il s'agit par exemple de remplacer un arrêt de travail, de faire autrement que de cumuler des CDD de quelques jours, correspondant à la période d'arrêt. Les salariés concernés sont forcément en situation précaire ; nous n'avons ni les moyens ni le droit de les recruter. La seule possibilité est donc de recourir à une multiplicité de contrats courts, ce qui est une véritable aberration.
Par ailleurs, quid du lien entre cette explosion des contrats courts et les 35 heures ?
Autre remarque, sémantique : vous avez commencé par dire qu'il ne s'agissait pas de taxer, mais de fixer un prix. Mais, par la suite, vous n'avez parlé que de taxe. Dès lors qu'on fixe un prix, donc un coût supplémentaire, on augmente le coût du travail, quoi qu'on en dise.
La France est une grande spécialiste de la complexité ; certes, l'objectif que vous poursuivez est louable ; mais l'ajout d'une couche de complexité n'est pas ce qu'attendent les PME.
M. Bruno Coquet. - Une personne refusant un CDI au même salaire, déposé à Pôle Emploi, n'a pas droit à l'assurance chômage.
Le secteur médico-social recourt le plus aux contrats courts, soi-disant pour des contraintes de présence, selon les degrés de handicap ou de dépendance, souvent pour des raisons de tarification des services. Mais si ce secteur est particulièrement exposé à des maladies professionnelles, c'est à la caisse AT-MP d'y pallier et non à l'Assurance chômage. Dans une étude de l'Unédic est évoquée aussi une augmentation de la saisonnalité pour justifier ce recours. Or la demande est stable à court terme, et en augmentation constante depuis quelques décennies. L'argument de l'incertitude dans ce secteur ne tient pas pour justifier ce recours aux contrats courts. L'Unédic précise qu'ils ont aussi des groupements d'employeurs pour pourvoir aux remplacements - c'est la bonne solution.
Certes, on pourrait voir les contrats courts comme une réduction généralisée du temps de travail, mais la compensation salariale est assurée par l'assurance chômage et les transferts sociaux - et non par une exonération de charges. Son corollaire est donc une augmentation du taux de prélèvements obligatoires.
Le bonus-malus n'est pas une taxe - c'était une facilité de langage - mais une tarification de l'usage, sans volonté de punir, comme pour le bonus-malus automobile. C'est un choix d'organisation. S'appuyer sur l'assurance chômage pour en supporter les coûts n'est pas compatible avec une économie de marché. Dans l'hôtellerie-restauration, si tout le monde va au restaurant le vendredi soir, pourquoi les caissières de supermarché devraient-elles le payer par leur assurance chômage ? Cela doit être financé par le client. Comme l'assurance chômage n'a pas à le payer, elle peut l'interdire en n'autorisant pas l'entrée de chômeurs avec de faibles durées potentielles de droits - ce qui est plutôt bon pour l'économie, car cela crée un effet d'éligibilité. L'assurance chômage permet aux chômeurs d'accepter des emplois risqués, ce qu'ils n'auraient pas fait s'ils n'étaient pas bien sécurisés ; cela rend service aux entreprises innovantes. Comme il n'existe pas deux caisses d'assurance chômage, une pour l'organisation de la production et une pour le chômage, nous avons besoin d'une solution hybride de tarification à l'intérieur de la caisse « ordinaire ».
Mme Frédérique Puissat, rapporteure. - Je remercie la délégation aux entreprises d'avoir fait réaliser cette étude. En juillet 2018, lors du débat sur la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, nous avions rejeté ce projet de bonus-malus, en raison des incertitudes qui perduraient. Votre étude permet d'éclairer ce sujet.
Les déterminants du recours aux contrats courts sont la saisonnalité et la stratégie de l'entreprise. L'Unédic a-t-elle chiffré le poids des relations suivies dans sa dette ?
Quel regard portez-vous sur les CDD d'usage ? Ils sont taxés un peu depuis la loi de 2013, et cela prendra fin en 2019. Que pensez-vous de la réforme de 2013 ? Ces CDD d'usage peuvent se transformer en CDI intérimaires ; serait-ce une solution ?
Je n'ai pas compris ce que vous proposiez pour le secteur médico-social ni, par ailleurs, en quoi les allègements de cotisations, qui concernent aussi les CDI, favoriseraient le développement des contrats courts.
M. Claude Nougein. - Il y a deux critères importants pour les CDD : la durée et le motif - que vous avez totalement occultés. Dans une entreprise « normale » de commerce ou de services, lorsqu'un salarié est absent, il faut immédiatement le remplacer. Cela coûte très cher, car il faut le remplacer, selon le code du travail, par une personne touchant le même salaire - c'est stupide -, payer au salarié absent un complément de salaire, et la prime de précarité du CDD. Vous proposez donc une quatrième peine avec une taxation supplémentaire ; ne mettez-vous pas la barre un peu trop haut ? C'est bien de lutter contre les abus du système d'assurance chômage, mais ce ne sont pas seulement les contrats courts qui en sont à l'origine. Je connais des salariés qui travaillent pendant six mois puis se reposent six mois durant, depuis dix ans, et ils sont payés toute l'année ! Cela coûte plus cher que les contrats courts.
M. Bruno Coquet. - La saisonnalité a plutôt baissé, hormis en infra-mensuel. Le nombre d'embauches en contrats courts a doublé. La seule corrélation dans cette proportion est l'exonération de cotisations sociales, qui touche indifféremment CDI et CDD, même si ces derniers sont surexposés, car orientés vers les bas salaires et des postes peu qualifiés.
L'Unédic a calculé le coût d'une prise en charge des contrats courts dans le cadre des relations suivies et d'une caisse spécifique - sectorielle ou générale. L'Unédic a recensé 3,5 millions de relations suivies. Dix ans après avoir repéré ce lien entre les contrats courts et l'assurance chômage, l'Unédic ne sait toujours pas combien cela lui coûte. Selon un tableau de l'Unédic, le déficit dû aux contrats courts atteindrait 8 milliards d'euros par an - hors intermittents du spectacle - mais selon un autre, ce déficit est estimé à 2 milliards d'euros... On ne sait comment ils ont calculé ces chiffres.
Une telle explosion de contrats très courts dans le secteur médico-social n'est pas due à des raisons comme la maladie ou l'absentéisme des salariés, ce n'est pas possible dans ces proportions ; c'est juste moins cher. Examinons les coûts de production des employeurs : peut-être qu'ils ne sont pas suffisamment remboursés par l'État. Ils réduisent le coût du travail et le reportent sur quelqu'un d'autre, ce qui aboutit à des temps incomplets complétés par exemple par une prime d'activité. L'essentiel est donc en dehors de l'assurance chômage.
Notre proposition ne fait pas tout, c'est comme pour le bonus-malus automobile : l'État se charge du code de la route, les constructeurs respectent également certaines obligations. Il y a un équilibre d'obligations à maintenir. Ce n'est pas en reportant les règles sur les assureurs et les assurés qu'on obtiendra la suppression du code de la route ! Cela restera une assurance.
Sur les CDD d'usage, créés en 1982, je renvoie au rapport de l'IGAS, qui dresse un bilan très négatif. On ne sait d'où provient la liste des secteurs éligibles, qui concerne en théorie 30 conventions collectives, mais 271 en réalité. Le CDD d'usage, très flexible, se développe bien, hors de tout contrôle. Il n'y a que l'OCDE qui croit qu'il est réglementé... Avant tout, ces contrats sont utilisés parce qu'ils sont rentables.
Notre proposition de tarification s'applique à tous les contrats. L'assurance chômage n'a pas à choisir le type de contrat le plus adapté à l'employeur, même s'il reporte ses coûts sur d'autres clients. Cinq secteurs seulement expliquent 22 % de la valeur ajoutée et 50 % des contrats inférieurs à un mois. Les concurrents et les autres secteurs d'activité paient. C'est à la puissance publique de réguler la concurrence.
On ne peut pas penser que l'absentéisme a doublé depuis les années 2000 et expliquerait l'augmentation des contrats courts et la réduction de leur durée.
La tarification ne sera pas une quatrième peine, car elle n'augmente pas le coût du travail mais le répartit différemment, en fonction des comportements. Cette mesure réduirait le coût de tous les contrats en cours de 0,3 point. Le chômage ordinaire sera l'objet d'une moindre contribution.
Les saisonniers ont des règles particulières dans l'assurance chômage. Vous pointez l'aléa moral, selon lequel des chômeurs vivraient indûment de l'assurance chômage qui leur apporterait suffisamment de bien-être. Mais en France, selon les études, il y en a deux fois moins que dans les autres pays européens. Même si on en a vu certains, on ne sait pas repérer ces chômeurs...
Une expérimentation de Pôle emploi a eu lieu en Provence-Alpes-Côte d'Azur l'année dernière, ciblant les chômeurs à risque sur le non-respect de leurs obligations de recherche d'emploi. Les chômeurs indemnisés étaient sous-représentés. Lorsqu'on crée 40 millions d'emplois par an, cela veut dire que certains les acceptent ! Même si des cas marginaux existent, ce n'est pas la situation générale. La règle générale ne doit pas dépendre d'eux, sinon elle est sous-optimale. L'important est d'assurer des contrôles suffisants.
M. Jean-Louis Tourenne. - Merci de votre exposé qui bouscule quelques idées reçues. La présidente et le directeur général de l'Unédic ont rappelé que l'indemnisation du chômage par l'assurance chômage n'est qu'une partie de l'indemnisation, l'État apportant des compléments financés sur le budget de la Nation. En Allemagne, ces financements sont supérieurs à ceux que la France apporte. L'indemnisation du chômage n'est donc pas dissuasive pour reprendre un travail.
Que pensez-vous de l'amendement que j'avais déposé sur le projet de loi relatif à la liberté de choisir son avenir professionnel ? Je prévoyais une cotisation forfaitaire selon la durée du contrat : plus le contrat est long, moins elle pèse sur la rémunération.
Toutes ces propositions risquent de devenir obsolètes si les cotisations sont intégralement remplacées par la CSG - ce qui est actuellement le cas pour les cotisations salariales, et ce sera peut-être le cas demain pour les cotisations patronales. On ne pourrait alors plus intervenir sur les employeurs abusant des CDD.
M. René-Paul Savary. - Je ne partage pas vos analyses sur la caissière de supermarché. Si elle est malade un vendredi soir, elle ira se faire soigner, et il faudra trouver des soignants. À force de taxes, les gens vont finir par vivre de la solidarité. Les contrats courts permettent d'avoir une petite partie de ses ressources qui provient de revenus d'activités.
Dans le secteur médico-social, plus de 80 % du budget sont consacrés aux dépenses de personnel. Lorsqu'une collectivité a besoin de recruter, elle ne sait pas si elle pourra rémunérer à terme. C'est pourquoi elle calcule au plus juste. Tenez compte de l'embauche dans le secteur.
Les Français en ont assez de se voir imposer des systèmes complexes par rapport à leur comportement, sur le type de contrat, la taxe sur le sucre, les taxes écologiques... C'est la raison pour laquelle ils sont dans la rue ! Il n'y a plus de consentement à l'impôt de la part du contribuable, ni de consentement aux normes pour les entreprises. Ayons une vision plus globale. Vos arguments m'ont surpris.
M. Bruno Coquet. - Il s'agit de modifier la répartition entre l'assurance chômage de l'Unédic et l'État. La France est le seul pays au monde où l'État n'a pas mis un euro, entre 1958 et 2018, dans l'assurance chômage : seul le secteur privé est affilié obligatoirement par les cotisations des salariés et des employeurs. Les recettes des cotisations sont supérieures au coût des prestations, chaque année depuis 25 ans, y compris durant la crise de 2008. Cet excédent atteint 2 milliards d'euros. Pourquoi l'Unédic est-elle alors en déficit ? Un rapport de la Cour des comptes de 2007, juste avant la création de Pôle emploi, déplorait la somme des charges imposées par l'État à l'Unédic à partir de 1997 : celle-ci est obligée de recevoir tous les chômeurs, qu'ils soient indemnisés ou non, sans compensation. Le financement du service public de l'emploi repose pour les deux tiers sur l'Unédic, pour un tiers sur l'État. Or en économie, un service public doit être financé par l'impôt, sinon il doit être financé au coût marginal. Actuellement, l'Unédic devrait payer 450 millions d'euros par an à Pôle emploi au lieu de 3,5 milliards d'euros. À aucun moment une règle modifiant les droits à l'assurance ne pourrait régler ce différentiel. La politique culturelle vers les intermittents du spectacle a coûté 20 milliards d'euros sur 20 ans... Par un tel système, l'État fait d'importantes économies !
Les droits à l'assurance chômage sont-ils généreux ? Les droits allemands sont un peu supérieurs, mais leur composition est différente. En Allemagne, 40 % des revenus sont des transferts publics, contre 15 % en France, où l'assurance chômage se substitue en grande partie à l'État. Si on modifie les règles de calcul du salaire de référence, on augmentera les dépenses sociales de l'État. Les transferts de l'État vers l'assurance chômage sont un sujet important, mais pas dans le sens qu'on croit habituellement.
En 1979, l'assurance chômage était en faillite une première fois. La loi a alors prévu qu'à chaque fois que le salarié payait 2 euros, l'État devait payer 1 euro à l'assurance chômage - comme dans la plupart des pays. En effet, le chômage n'est pas seulement dû à des causes individuelles, mais peut être lié à des cycles économiques. La CSG a cette fonction.
L'assurance chômage fonctionne bien comme assurance. L'inclure dans la redistribution serait la mettre dans un pot commun où personne ne comprendrait plus qui paie quoi ni pourquoi... Ainsi, le Royaume-Uni prévoit une allocation forfaitaire pour tous, avec, en contrepartie, des contributions très faibles. Jamais personne n'a évalué positivement le système. En revanche, une économie qui a une assurance chômage fonctionne toujours mieux qu'une autre, car elle a une meilleure croissance potentielle, plus d'innovation.... Il est important de financer cette assurance avec des ressources publiques partielles tout en conservant un système assurantiel et non de redistribution.
Le secteur médico-social est très contraint. Notre rapport montre en quoi modifier les règles générales de l'assurance chômage est nécessaire, mais sa portée est modeste. Jamais un coût de production ne doit être reporté sur l'assurance chômage, or c'est ce qui se passe dans l'hôtellerie-restauration : c'est au consommateur de payer et non à l'assurance chômage. C'est en raison de cette mauvaise incitation que les contrats courts se développent. Avec une mauvaise incitation, le niveau de prélèvements obligatoires va augmenter. Si une tarification dégressive et comportementale n'est pas efficace, il faut interdire au secteur automobile de le faire, et au transport aérien de faire du yield management. Si un assureur privé gérait l'assurance chômage, cela se passerait ainsi ; il faudrait juste contrôler qu'elle n'en abuse pas pour augmenter ses profits, et reste un service public. Il ne s'agit pas de taxer mais bien de réguler un comportement. Le système sera en faillite si l'on ne fait rien.
M. René-Paul Savary. - Je comprends votre raisonnement, mais si rien ne remplace cette formule, on va réduire l'activité économique. De plus en plus de restaurants ferment certains soirs, notamment dans les zones rurales, pour ne pas avoir de charges de personnel trop importantes. À terme, cela fait moins d'activité, donc moins de cotisations, et crée moins de valeur ajoutée. Il faut trouver une solution de remplacement sur le long terme. Ne réduisons pas l'activité.
M. Bruno Coquet. - Les dysfonctionnements actuels réduisent l'activité. Dans une économie de marché, si des consommateurs n'achètent pas un produit, pourquoi serait-il subventionné ? Les gens qui ne vont pas au restaurant n'ont pas à payer l'organisation des restaurants pour ceux qui s'y rendent. Sinon, c'est une subvention à un secteur qui capte une ressource, qui ne bénéficie plus à un autre.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je vous remercie ; ces échanges visent à enrichir le débat public, pour mûrir la réforme de l'assurance chômage, afin qu'elle soit favorable à la fois aux salariés et aux employeurs.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 45.