Mercredi 28 novembre 2018
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Audition conjointe de M. Éric Guéret, réalisateur du documentaire « Enfance abusée » et de Mme Christine Pedotti, directrice de la rédaction de Témoignage chrétien
Mme Catherine Deroche, présidente. - Pour la deuxième audition de notre mission d'information, nous avons le plaisir de recevoir Mme Christine Pedotti, qui est directrice de la rédaction de Témoignage chrétien et M. Éric Guéret, réalisateur. Vous avez tous les deux lancé un appel pour interpeller les responsables politiques et la société toute entière sur le problème de la pédophilie dans l'Église catholique, appel qui a recueilli des milliers de signatures et qui a incité l'Église de France à prendre plusieurs initiatives dans la période récente. Je tiens à préciser que votre appel a également été, indirectement, à l'origine de la création de cette mission d'information dont le but est d'étudier la question des infractions sexuelles sur mineurs dans un cadre institutionnel.
Monsieur Guéret, vous êtes l'auteur du documentaire intitulé « Enfance abusée », diffusé le 20 novembre dernier sur France 2, visible en replay pendant un mois encore. Ce documentaire présente le témoignage de huit personnes qui ont été victimes d'abus sexuels pendant leur minorité dans un cadre familial ou extra-familial. À la suite de sa diffusion, vous avez lancé un appel citoyen qui a été signé par une soixantaine de responsables politiques et de personnalités. Vous demandez notamment au Gouvernement de lancer une grande campagne de prévention contre la pédophilie.
Je précise que cette audition est publique et enregistrée.
M. Éric Guéret, réalisateur du documentaire « Enfance abusée ». - Je ne suis pas un expert mais j'exerce le métier de documentariste de sorte que je travaille de manière très approfondie sur les sujets dont je me saisis, souvent pendant une année entière, car je ne réalise, en moyenne, qu'un film par an. En ce qui concerne le documentaire que vous avez mentionné, le tournage a été très rapide mais nous avons passé neuf mois à enquêter et à rechercher les témoins, en rencontrant le milieu associatif mais aussi de nombreuses victimes susceptibles de témoigner. Je porte donc un regard transversal sur la question des infractions sexuelles commises sur les mineurs, moins informé que celui d'un expert, mais sans doute plus large.
Mes films portent de plus en plus souvent sur les violences, qu'il s'agisse des violences faites aux femmes, des discriminations ou des traumatismes, mais aussi sur la démarche de résilience, car j'essaie toujours de filmer les solutions plus que les problèmes et j'aime choisir des personnages tournés vers la lumière plutôt que vers l'autodestruction. J'essaie ainsi de montrer par l'exemplarité comment certaines personnes pourraient trouver un avenir possible malgré les violences qu'elles ont subies. Tel a été l'objectif du documentaire « Les Insoumises » que j'ai réalisé pour Canal Plus sur les violences faites aux femmes à travers le monde, ou bien encore « Homos, la haine » sur l'homophobie, « Trans, c'est mon genre » sur les personnes transgenres et dernièrement « 13 novembre, vivre avec » qui suit la reconstruction de cinq personnes victimes des attentats de Paris.
Quant à mon documentaire « Enfances abusées », il a obtenu le record d'audience de la case « Infrarouge » de France Télévision, avec 650 000 spectateurs, malgré une heure de diffusion assez tardive à 23 heures 20. Nous attendons les chiffres du replay et j'espère que ce film sera vu par plus d'un million de personnes. Le film a fait l'unanimité chez les victimes, comme me l'a confirmé l'ancienne sénatrice Corinne Bouchoux qui a décidé de révéler son histoire dans ce film. À cela s'ajoute le succès de l'appel que nous avons lancé dans un article de Libération qui a été numéro un des articles téléchargés sur le site du journal, lorsqu'il a été publié le 20 novembre. La demande du public est donc forte sur ce sujet rarement traité.
Je tiens à vous remercier et à saluer l'initiative du Sénat. Les chiffres sont choquants, mais ce qui l'est plus encore c'est le déni généralisé que l'on constate face au nombre des victimes. L'absence totale de réponse organisée pour lutter contre ce type de violences est incompréhensible. Corinne Bouchoux en parle dans le film, et regrette que l'action qu'elle a tenté de mener durant son mandat de sénatrice n'ait pas abouti. Cette mission d'information soulève un énorme espoir, car chacun caresse le voeu que ce sujet devienne une urgence politique, avec le déploiement d'une campagne de prévention et la mise en place d'une grande politique publique impliquant la création d'un volet législatif. Il faudrait aussi cadrer la manière d'entendre et d'accueillir les victimes. Le champ de travail est large et nous sommes peut-être à l'aube d'un nouveau mouvement comparable à celui qui est à l'oeuvre en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.
N'oublions pas que les violences faites aux enfants sont comme la racine de toutes les violences. L'inceste en fait partie avec ses 4 millions de victimes en France. En évitant pudiquement de traiter le problème, on ignore 75 % des victimes. Pourquoi ne pas créer une seconde mission d'information spécifiquement consacrée à ce sujet ?
Mme Christine Pedotti, directrice de la rédaction de Témoignage chrétien. - À l'initiative de Témoignage chrétien, nous avons demandé qu'une commission parlementaire enquête sur les abus et leur dissimulation dans l'Église catholique. Pourquoi cette drôle d'idée ? Les scandales de pédophilie dans l'Église surgissent de façon permanente un peu partout dans le monde. Depuis la lettre du 20 août 2018 du pape François au peuple de Dieu, nous attendions que les évêques s'emparent de la question et réagissent, comme le leur suggérait le pape. Nos propositions de rencontre se sont heurtées à une fin de non-recevoir, voire à une absence de réponse, jusqu'au communiqué du 12 septembre émanant de la conférence des évêques, dont la teneur restait très en dessous de la lettre du pape. La France serait indemne et, tout comme le nuage de Tchernobyl, la pédophilie dans l'Église s'arrêterait à nos frontières !
Or de nombreux témoignages attestent que, partout dans l'Église de France, sévit ce que le pape appelle une « culture de l'abus » qui se décline en trois termes : abus de pouvoir, abus de conscience et abus sexuels. Il est donc clair que la pédophilie dans l'Église et sa dissimulation par l'institution ne relèvent pas de l'accident mais d'une crise majeure. Faute d'être entendus par une institution muette et sourde, nous avons fait ce à quoi le pape nous encourageait, à savoir prendre nos responsabilités de baptisés, c'est-à-dire de citoyens et citoyennes ordinaires de l'Église. Et puisque nous avons le privilège de vivre dans un État de droit, nous avons considéré qu'il était nécessaire qu'une commission d'enquête parlementaire s'intéresse à ceux qui sont des enfants de la République avant d'être des catholiques. Nous avons été entendus puisque me voici, cet après-midi, devant votre mission d'information dont le champ ne se restreint pas à l'Église catholique mais qui la prend en compte.
L'appel que nous avons lancé a recueilli 30 000 signatures et un sondage a montré que 88 % des Français, dont 90 % des catholiques pratiquants, approuvaient l'idée d'une commission d'enquête extérieure à l'Église. C'est dire qu'il ne s'agit pas d'enquêter contre l'Église, mais pour sortir l'Église de l'ornière.
En quoi la question des abus sexuels dans l'Église est-elle spécifique ? Sans doute d'abord à cause des auteurs des faits. Nous ne savons pas si le taux de pédophilie chez les prêtres est supérieur à celui d'autres catégories professionnelles en contact avec les enfants, faute de cartographie réalisée en France. Cependant, selon la Commission royale d'Australie qui a mené d'importants travaux fondés sur des appels aux victimes, le taux de pédophilie des prêtres approche les 7 %. Aux États-Unis, la commission John Jay a établi en 2004 un taux de 4,5 %. Enfin, selon les chercheurs indépendants de la Commission allemande, qui reconnaissent cependant ne pas avoir eu accès à la totalité des sources et des archives, ce taux avoisinerait les 4,5 %. Nous pouvons donc établir une moyenne oscillant entre 4 et 7 %.
Nous ne disposons pas d'éléments comparatifs avec d'autres catégories professionnelles et nous ne pouvons pas déterminer par exemple si les maîtres-nageurs sont plus souvent coupables que les prêtres. En revanche, il est bien établi que 80 % des enfants qui sont agressés par des prêtres pédocriminels sont des garçons, dont 80 % encore ont plus de dix ans. Il s'agit donc d'une pédocriminalité spécifique visant des garçons qui ne sont plus tout à fait dans l'enfance, âgés de douze, treize ou quatorze ans, soit à l'aube de la puberté. Soyons clairs : l'argument développé dans les milieux catholiques conservateurs, selon lequel la pédocriminalité des prêtres serait liée à l'homosexualité relève d'une grande absurdité, car les homosexuels normalement équilibrés ne violent pas les enfants.
En revanche, la particularité de la pédocriminalité dans l'Église tient au rôle symbolique très particulier que jouent le prêtre et l'évêque, rôle de paternité spirituelle que l'on ne retrouve dans aucune autre institution. Elle tient aussi à la sacralité des prêtres qui représentent Dieu, savent ce que Dieu veut, connaissent ce qui est bien ou mal, peuvent pardonner les péchés, et vont jusqu'à faire Dieu quand ils célèbrent la messe. J'ai été stupéfaite de voir très récemment sur YouTube le Padre Amar, jeune prêtre de 35 ans, expliquer que le prêtre devient Jésus et est lui-même le corps de Jésus, lorsqu'il célèbre la messe. C'est théologiquement faux et cela ouvre la voie à toutes les formes d'abus. Les victimes le disent : « Le curé, c'est comme si c'était le bon Dieu.» Il se fait appeler « Mon père ». Or le père c'est symboliquement celui qui dit la loi.
À côté de ceux qui ont commis les crimes, il y a ceux qui les ont dissimulés, à savoir les évêques qui disent aussi qu'ils sont « les pères » de leurs prêtres. Dans un entretien publié le 30 octobre 2018 dans le journal La Croix, l'évêque de Gap, Xavier Malle, s'explique ainsi à propos de la dénonciation des prêtres pédophiles : « Le pape m'avait dit après mon ordination : `soyez un père pour vos prêtres.' Comment un prêtre peut-il aller dénoncer son fils à la police ? J'ai discuté avec un évêque émérite qui m'a dit : `Tu es aussi le père des victimes' et cela m'a éclairé. » On nage en plein délire symbolique, car si l'on pousse jusqu'au bout la logique selon laquelle le père est celui qui dit la loi, il peut aussi devenir celui qui brandit l'intérêt de son fils, prêtre criminel, en le faisant prévaloir sur celui du fils qui n'est pas prêtre, quand bien même il serait la victime.
La lettre de félicitations que le cardinal Castrillon Hoyos, préfet de la Congrégation pour les évêques, adresse à l'évêque Pierre Pican, condamné en septembre 2001 pour non-dénonciation dans l'affaire du prêtre Bissey à Caen est particulièrement explicite. Il le félicite de ne pas avoir dénoncé le prêtre en arguant du lien sacré de protection entre l'évêque et son prêtre. La citation est glaçante.
Une autre particularité de la pédocriminalité dans l'Église tient au lien particulier qui unit les évêques entre eux selon le principe de la succession apostolique qui dispose qu'un évêque est ordonné par l'imposition des mains de trois autres évêques appelant l'Esprit Saint sur sa tête. Selon la tradition catholique, les mains et les fronts se succèdent dans ce geste depuis les origines de l'Église. Cette idée, très belle d'un point de vue spirituel, a un revers terrible, dès lors que tout évêque intimement, profondément et spirituellement lié à son prédécesseur, jugera bon de ne pas dénoncer un cas de pédophilie dont son prédécesseur n'aura pas fait état, car ce serait juger son propre père qui l'aura fait évêque.
Il faut en outre prendre en compte le regard extrêmement péjoratif que la doctrine catholique porte sur la sexualité presque toujours entachée par le péché, puisqu'elle n'est licite que dans le cadre d'un mariage unique, stable et ouvert sur la procréation. Le péché est partout ailleurs, y compris dans le simple acte de masturbation. Dès lors qu'il n'existe pas de principe de gradualité, il est difficile de comprendre que certains actes peuvent tomber sous le coup du péché alors que d'autres, qualifiés de crimes, sont redevables du régime de la justice et non de celui de la pénitence et du pardon. Cette confusion a été longtemps entretenue dans l'Église de France, notamment par le cardinal Barbarin qui disait encore au début du mois de novembre, dans une interview à Radio Notre-Dame, à propos de l'affaire Preynat dont il doit répondre devant la justice le 7 janvier : « Dès que j'ai su, j'ai dit à Rome, et Rome m'a répondu. J'ai fait ce que Rome avait dit. » Le cardinal Barbarin est-il redevable à Rome ? Ne doit-il pas être soumis à la justice française, en tant que citoyen français ? De fait, il va l'être. Cependant, l'idée même d'un régime du droit canonique dépendant de Rome explique l'impossibilité longtemps entretenue dans l'Église de faire la lumière sur cette question.
Les évêques ont décidé de réunir une commission indépendante confiée à Jean-Marc Sauvé dont nous connaissons la droiture. Nous attendons de voir ce qu'il en sortira. Souhaitons que cette commission soit à l'image de la vôtre, publique et enregistrée, et que les travaux que les évêques entreprendront aient ce caractère de publicité, puisque c'est précisément le silence qui a été à l'origine de tant d'abus.
Vous m'avez demandé quelles mesures il faudrait prendre. Je suis navrée d'entendre des évêques nous expliquer qu'on formera mieux les séminaristes et que l'on invitera des familles à leur table pour qu'ils voient ce que c'est qu'une vraie famille. Les séminaristes ne sont-ils pas eux-mêmes issus de familles, de sorte qu'ils ont sans doute une vague idée de ce qui s'y passe ?
Une mesure efficace consisterait à renforcer l'éducation des enfants, chaque début d'année scolaire, dans les institutions qui les accueillent, catéchisme ou scoutisme. Après tout, qui peut mieux défendre les enfants qu'eux-mêmes ? C'est en les éveillant à l'idée qu'ils ont un corps auquel personne ne doit toucher qu'on les rendra capables de se protéger eux-mêmes. Autant vous dire qu'une telle mesure ne sera pas facile à faire passer dans l'Église catholique où l'on tient qu'il ne faut pas parler de ces choses-là aux enfants innocents sous peine de leur donner des idées.
Je ne suis pas juriste mais je suis une observatrice de ce monde particulier dont je crois pouvoir dire sans prétention que je le connais très bien. Ce qui est certain, c'est que les prêtres et les évêques ne peuvent pas juger eux-mêmes de la prescription de ces crimes. La commission Christnacht a été réunie en 2016 dans le but d'éclairer les évêques sur la conduite à tenir à l'encontre des prêtres ayant purgé leur peine et sur les cas où il y aurait prescription. De toute évidence, les cas prescrits doivent être présentés à la justice car c'est à elle d'établir si la prescription s'applique ou pas.
Une autre question reste de savoir ce que nous devons faire des innombrables témoignages que nous avons reçus. Je ne suis que la directrice d'un microscopique journal et je n'ai aucune compétence pour accueillir tous ces mots, toutes ces souffrances, toutes ces confidences.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Je voudrais tout d'abord vous féliciter tous les deux pour vos témoignages. Évaluer le nombre exact des victimes est un objectif de notre travail. La France ne dispose pas d'un chiffre officiel, mais selon les travaux des associations, près de 20 % d'une tranche d'âge seraient victimes de violences sexuelles chez les mineurs. D'où la nécessité absolue et impérieuse d'en faire une cause nationale et de disposer de chiffres précis pour répondre aux victimes et prendre en charge les auteurs. Votre préconisation concernant l'éducation des enfants et la prévention correspond aux mesures de la proposition de loi qui a été votée au Sénat à l'unanimité au mois de mars. Quand l'enfant saura que son corps lui appartient et doit être respecté complètement et entièrement, il aura en lui la possibilité de se protéger. D'autant que les violences peuvent être intrafamiliales, devenant ainsi une sorte de normalité pour l'enfant.
S'il est vrai que dans l'Église catholique le mariage est d'abord fait pour la procréation, il ne se réduit pas à cela. Sinon, les prêtres ne marieraient pas des personnes âgées qui manifestement ne peuvent plus être parents. Les chiffres australiens à 7 % sont énormes. Cependant, il reste 93 % des prêtres qui exercent leur mission en leur âme et conscience. Votre travail consiste aussi à les mettre en lumière.
En vous écoutant, je pensais à une phrase toute simple : la loi avant la foi. Effectivement, les petits enfants sont des enfants de notre République avant d'être catholiques, ou bien avant d'être gymnastes ou basketteurs, et avant de suivre des cours à l'école. Cette phrase, si elle était martelée, finirait peut-être par frapper l'imaginaire collectif.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Vous nous avez parlé de ce tabou, de cette omerta et de la loi du silence qui protègent les auteurs de crimes sexuels et qui malheureusement étouffent les victimes. Avec vos documentaires, vos articles de presse et l'appel que vous avez lancé, vous sensibilisez l'opinion. Nous autres, législateurs, nous tentons de vous faire écho pour que le problème soit reconnu. Vous nous demandez que faire de tous les témoignages qui vous arrivent. Il faut les porter haut et fort pour que la situation ne puisse plus se reproduire. Pour l'instant, c'est certainement une utopie, mais pas à pas nous y parviendrons.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Monsieur Guéret, pensez-vous que le témoignage des victimes libèrera la parole d'autres victimes ? Parmi ceux que vous avez rencontrés, vous avez choisi de mettre en lumière des résilients. Constituaient-ils une majorité ? Comment sont-ils devenus résilients ?
Le 119 a besoin d'être renforcé selon vous. Quels éléments vous laissent penser qu'il serait sous-doté ?
Madame Pedotti, y a-t-il un lien entre la spécificité de l'Église et le fait que les prêtres ne peuvent pas se marier ? Croyez-vous que dans les cas de pédophilie avérés, c'est le prêtre qui est devenue pédophile ou bien le pédophile qui est devenu prêtre ?
M. Éric Guéret. - Toutes les questions butent sur le manque de données statistiques fiables en France. Une société qui ne veut pas voir un problème se débrouille toujours pour ne pas le quantifier. Il n'y a jamais eu d'enquête fiable en France pour déterminer le pourcentage d'incestes intra-familiaux, ni le nombre de crime pédophiles commis par les entraîneurs sportifs, les prêtres, etc. Il est indispensable de mieux cerner les problèmes si l'on veut mettre en place une politique de prévention et d'accompagnement des victimes qui feront que la France sera non seulement le pays des droits de l'homme mais aussi celui des droits de l'enfant.
Je me suis appuyé sur plusieurs sources, dont la plus officielle est le baromètre santé et sexualité de l'Agence de santé publique. Il distingue les violences sexuelles que les gens ont subies, puis celles que les gens ont subies avant dix-huit ans. Si l'on fait une règle de trois, on en déduit qu'il y a 4 millions de victimes de viol et tentative de viol en France avant dix-huit ans, 3 millions de femmes et un million d'hommes, soit 6 % de la population. Le Conseil de l'Europe va jusqu'à dire qu'un enfant sur cinq est victime d'une forme de prédation sexuelle, ce qui donnerait en France une estimation à 12 millions de victimes. Outre les 4 millions de victimes de viol et tentative de viol, les études s'accordent à chiffrer entre 6 et 7 millions le nombre des victimes de violences sexuelles, ce qui revient à dire que trois enfants sur une classe de trente élèves sont touchés. Si l'on inclut les prédateurs sur Internet, on atteint les 12 millions de victimes.
Ces chiffres donnent le vertige et pourtant rien n'est fait. Il faudrait commencer par mener des études. Certaines associations en font, l'Association internationale des victimes de l'inceste (AIVI) par exemple, mais leurs moyens sont limités et il faudrait que les pouvoirs publics s'emparent du problème comme ils le font pour d'autres fléaux.
Face aux 4 millions de victimes de viol et tentative de viol, soit 1,8 enfant par classe sur une classe de trente, on constate le déni le plus complet. J'ai des enfants à l'école. Personne ne m'a prévenu de la situation. On ne peut qu'être en colère lorsqu'on apprend que 6 % de cette population est victime d'abus sans que personne n'en parle ni ne s'y intéresse.
Les victimes sont dans un sentiment d'abandon et de solitude extrêmes qui pousse certaines d'entre elles à se suicider ou à garder le silence. Elles partagent le sentiment que les institutions ne leur viennent pas en aide.
Le déni a pour conséquence que les parents ne décèlent pas les signes, lorsqu'un enfant de cinq ans se remet à faire pipi au lit, ou bien lorsqu'un enfant commence à se masturber à un âge précoce. Ce sont pourtant des signes forts qui indiquent la possibilité d'une forme d'attouchements. Il faudrait informer davantage les parents pour qu'ils puissent identifier le problème. Ceux que j'ai filmés étaient désespérés de découvrir que leur enfant avait été abusé pendant parfois dix ans sans qu'ils aient rien vu. Or personne ne leur a dit ce qu'il aurait fallu voir, ni ne les a guidés dans la manière d'identifier le problème. Ce silence est criminel, car il ne donne pas aux parents, à l'encadrement scolaire ou sportif les moyens de lire ces petits signes qui sont des alertes.
Il ne peut y avoir ni politique de prévention, ni politique publique, en l'absence de chiffres. Par conséquent, vous nous offrez un énorme espoir. Lorsqu'on constate que les accidents de la route font 3 500 morts par an, on passe toutes les routes de France à 80 kilomètres à l'heure. Et on ne ferait rien alors que l'on sait qu'il y a 4 millions de victimes de la pédophilie ? Pas une affiche dans le métro, pas un spot à la télévision, pas un petit fascicule de formation pour les enseignants, pour les prêtres, pour les accompagnateurs sportifs, pour les colonies de vacances, absolument rien ou si peu.
Enfin, énorme écueil, la loi « Villefontaine » impose au ministère de la justice de transmettre les fichiers des membres du personnel de l'Éducation nationale, condamnés pour pédocriminalité. Cependant, les recteurs sont seuls avec ces informations, sans que personne ne leur indique comment réagir. Faut-il renvoyer, réintégrer, ou bien éloigner ces personnes des enfants ? Il serait intéressant que vous entendiez un recteur à ce sujet. On a fait une loi sans donner aux recteurs les clés pour l'appliquer.
Autre problème considérable, cette loi concerne le personnel de l'Éducation nationale, mais pas les personnels de mairie et de cantine qui exercent une activité dans les écoles. Ces personnes peuvent donc avoir été jugées pour pédocriminalité et continuer à être proches des enfants. C'est la même chose pour les personnes qui exercent dans le monde du sport. Dans mon documentaire, l'un des témoins, Kévin, a été violé pendant dix ans par son entraîneur sportif à la Fédération française de football. Cet homme va sortir de prison dans quatre ans. Il changera de district et il aura le droit d'entraîner des gamins au foot en toute impunité. De mon point de vue, une personne qui a été jugée pour pédocriminalité doit être écartée des enfants dans tous les milieux et de toutes les manières possibles. Mais ce n'est pas ce que dit la loi.
Enfin, le 119 est un numéro indispensable. Il devrait figurer sur les pages de garde des manuels scolaires, comme le préconise l'AIDI. Il devrait être inscrit partout, puisque c'est un numéro d'urgence à destination des enfants victimes de violence. Cependant, le 119 ne fonctionne qu'avec 45 personnes. Nous les avons rencontrées et elles savaient qu'après la diffusion du film, elles risquaient d'être submergées d'appels et de ne pas pouvoir faire face. Le 119 manque de moyens pour former les écoutants et pour pouvoir intervenir en cas de situation d'urgence. Puisqu'il s'agit de la première main tendue aux victimes, donnons des moyens au 119. Les personnes qui y travaillent sont les acteurs d'une possible libération de la parole.
Mme Catherine Deroche, présidente. - L'Institut national d'études démographiques (Ined) a accepté d'étudier, à notre demande, les chiffres de leur grande enquête de victimation, afin de quantifier les violences sexuelles sur mineur en dehors de la famille. Ils devraient nous rendre leurs conclusions d'ici deux mois.
Mme Christine Pedotti. - Dans l'Église catholique, nous ne disposons d'aucun chiffre. J'espère que la commission Sauvé travaillera comme la Commission royale australienne qui a invité les victimes à témoigner. Il est essentiel de faire parler les victimes. Le suicide est parfois la porte de sortie de celles qui ne trouvent pas d'autre issue. C'est un constat terrible que de découvrir que les témoignages des victimes sont souvent très anciens, car les abus sexuels placent la victime dans un état de sidération, de sorte qu'elle va oublier pendant très longtemps ce qui lui est arrivé, et qu'elle s'en souviendra parfois des dizaines d'années plus tard.
Je ne sais pas s'il faut lever la prescription. Pour autant, ce n'est pas parce qu'on a été victime d'un crime prescrit, que ce que l'on a subi ne doit pas être pris en compte. La prescription ne doit pas empêcher que les victimes soient entendues.
Madame Mercier, les prêtres innocents sont évidemment au coeur de mes préoccupations. Au mois de septembre, deux prêtres innocents, dont l'un était un ami, se sont suicidés, victimes du soupçon.
Quant au célibat des prêtres, la question est très délicate. La pédocriminalité n'est pas une sexualité de substitution. Cependant, la solitude liée au célibat des prêtres a des conséquences sur leur structuration psychique. Il faut une sacrée dose de sainteté pour rester un homme généreux, ouvert et humain dans cette situation-là. Un livre remarquable intitulé Le Nouveau visage des prêtres a été publié chez Bayard, en 2007, par Donald Cozzens, un Américain. Il procède à un inventaire de la situation des prêtres américains après que les grands scandales de pédophilie ont surgi aux États-Unis.
Le témoignage du prêtre d'Orléans, qui vient d'être condamné, et qui a dit qu'il avait commis ces abus dans un moment où il était dépressif et se sentait très seul, pose des questions. Il y a sans doute un rapport indirect. Question plus difficile : les prêtres deviennent-ils pédophiles ou sont-ce des pédophiles qui deviennent prêtres ? Évidemment, nous n'en savons rien. J'espère que la commission présidée par Jean-Marc Sauvé aura le courage de se pencher sur cette question.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je n'ai pas vu votre documentaire mais vous m'avez donné envie de le faire, monsieur Guéret. Et je suis signataire de votre appel, madame Pedotti. Votre témoignage a été très important pour nous. Il ne faudrait pas que le refus d'une commission d'enquête par la majorité sénatoriale contribue à « noyer le poisson » : nous devons parler de ce qui, dans la structure, le fonctionnement, l'inconscient même de l'Église catholique, a abouti à une sorte d'omerta ou de dissimulation sur ce sujet. La confession, par exemple, dit « ne pêche plus et part en paix ». Mais quid de la victime ? De la loi de la République ?
Le procès qui a eu lieu à Orléans a bien montré que, pour certaines personnes - dont l'évêque - la priorité est de défendre l'institution, et donc de ne pas faire de publicité négative. Préférer la défense de l'institution à la défense des victimes est une manière de se soustraire à la loi et à la justice. Les éléments que vous nous donnez doivent nourrir notre réflexion, indépendamment de la commission présidée par Jean-Marc Sauvé - pour lequel nous avons un immense respect - dont la mise en place a été suscitée par l'Église catholique, alors qu'il aurait été préférable de s'en remettre à une instance comme la nôtre, où tous les groupes politiques sont représentés et qui est donc forcément impartiale, pluraliste et indépendante.
Mme Laurence Rossignol. - Dans le propos de Madame Pedotti j'ai entendu pourquoi il était légitime de demander une commission d'enquête spécifiquement tournée vers la question de la pédocriminalité au sein de l'Église catholique : il y a effectivement une spécificité, à la fois dans l'âge des victimes et dans cette prévalence des garçons, sans parler des mécanismes de protection de l'institution. Même si j'ai la plus grande confiance dans le travail que notre mission d'information va conduire, une commission d'enquête aurait été préférable.
Madame Pedotti, pensez-vous que l'Église catholique est à même de mettre en place des mécanismes de prévention de la pédocriminalité sans procéder à un aggiornamento ni revisiter son rapport et à la sexualité et au péché ? L'une des difficultés est que tout est égal dans le péché : la gourmandise, la pédocriminalité, l'adultère ou la masturbation sont mis sur le même plan.
Je ne crois pas tellement aux pervers sexuels, ni aux malades. Je pense que les abus sexuels sont avant tout un abus de pouvoir, et qu'ils surviennent parce qu'ils sont possibles. C'est l'absence de limites qui fait le délinquant, qu'il s'agisse des limites intérieures, morales, ou des limites collectives. Puis, n'y a-t-il pas un lien entre le fait d'être le représentant d'un tout-puissant et d'être soi-même dans la toute-puissance ? Enfin, vous avez évoqué la dépression, la solitude. Les femmes aussi sont dépressives, les femmes aussi sont seules. Pour autant, elles commettent rarement des actes de pédocriminalité !
Mme Annick Billon. - Merci pour votre témoignage très éclairant, notamment sur les particularités de la pédophilie dans l'Église. L'Église va-t-elle réussir à nommer les crimes et les abus sexuels ? Il sera plus facile alors de trouver des solutions.
La difficulté, avec les violences faites aux femmes, c'est que la justice, la police, la gendarmerie ont du mal à entrer dans les maisons. De même, on a du mal à entrer dans l'Église. On ajoute une autre maison à la maison familiale et, dans cette maison, il y a de surcroît l'autorité, le Dieu suprême !
Vous dites qu'il va falloir éduquer et former, mais ce sera difficile pour l'Église. Si c'est trop difficile pour elle, il est urgent de mettre en place des politiques publiques pour assurer cette formation ailleurs que dans l'Église, pour tous les enfants.
Le secret de la confession vient ajouter une difficulté pour les enfants victimes, qui hésitent à le remettre en question. De plus, on a trop tendance à mettre en doute la parole de l'enfant, et peu de personnes sont formées pour la recueillir comme il convient.
Mme Maryvonne Blondin. - Dans un récent article, la sociologue Danièle Hervieu-Léger interpelle l'Église catholique et dit que, si celle-ci veut survivre aux affaires de pédophilie, elle doit se réformer en renonçant au contrôle de la sexualité des croyants par les prêtres et en prenant acte de l'émancipation des femmes. Elle ajoute qu'il faut déconstruire et reconstruire l'Église catholique où, pendant longtemps, la sexualité des prêtres avait été envisagée sous l'angle de la tentation. Les affaires de pédocriminalité sont maintenant exposées en plein jour. L'Église a-t-elle réellement pris la mesure de ce scandale ? Comment doit-elle se reconstruire ?
Vous avez évoqué la difficulté de trouver des chiffres, monsieur Guéret, et vous rappelez le slogan de la campagne « un sur cinq », promue par le Conseil de l'Europe, qui veille à l'application de la convention de Lanzarote. Souvent cela se passe au sein du cercle de confiance, plus large que la famille. Nous avons construit des outils d'information, de sensibilisation et d'information auprès de l'Éducation nationale et des autres acteurs de ce cercle de confiance. Il faut les utiliser.
Mme Christine Pedotti. - Ce n'est pas principalement dans le cadre de la confession que des abus ont été dénoncés mais, dans le droit de l'Église, ces délits ont longtemps été enregistrés comme fautes et abus autour de la confession. Or, il y a un grand interdit en droit canonique : on ne peut pas confesser le complice. L'Église était davantage intéressée par le risque de violer un sacrement en transgressant cet interdit que par la prise de conscience du fait qu'il y avait une victime. Cela dit, ce n'est pas la confession qui empêche aujourd'hui le dévoilement. Mais comme le prêtre est celui qui, au nom de Dieu, pardonne ou ne pardonne pas, dès lors qu'il commet lui-même le mal sur un enfant, le trouble qu'il met dans son psychisme et dans la vie spirituelle de celui-ci est désastreux.
Oui, l'Église éprouve des difficultés à établir une gradation entre les actes sexuels. Si elle marie des époux inféconds, c'est parce qu'elle considère que c'est la nature qui les rend inféconds et que tout autre moyen qui viendrait empêcher la fécondité est condamnable.
Je suis d'accord avec Mme Hervieu-Léger : il y a des choses à changer, et je me bats pour cela depuis plus de dix ans. Je suis une de ces maudites féministe de l'Église ! Car je considère que l'Église est ma maison. Hélas, le système ne s'oriente pas dans la bonne direction, on voit des stéréotypes de genre se réinstaller, ce qui me désole : ainsi, de ces jeunes prêtres qui interdisent aux femmes l'accès au sanctuaire au motif de je ne sais quel impureté rituelle, sur un principe archaïque dont le christianisme, dès ses origines, s'est débarrassé. Moi, voir un jeune clergé vouloir n'être entouré que de jeunes garçons, cela m'inquiète. Je crois avec Mme Rossignol que la perversité n'est pas une maladie préalable, mais qu'elle survient lorsque tout est possible.
Sur ce point, la lettre du pape est d'un courage absolument inouï. Après quelques paragraphes sur la nécessaire pénitence, le jeûne et la prière, on y trouve une analyse d'une lucidité implacable sur ce que le pape appelle la culture de l'abus. Dans le catholicisme, de nos jours, il y a des abus de conscience extrêmement graves dans un certain nombre de jeunes communautés mal surveillées et dans lesquelles des adultes sont dans des situations d'emprise extrêmement graves. Quand il y a une culture de l'abus, il faut faire une révolution culturelle ! Pour ma part, je pense que la question des femmes est centrale - comme presque toujours : dans ce monde, s'il y avait davantage de femmes, tout fonctionnerait un peu mieux. Je suis convaincue que les sociétés où l'un des deux sexes est absent sont structurellement malades.
M. Éric Guéret. - Je comprends qu'on soit tous passionnés par l'Église mais, en matière de pédophilie, c'est peut-être l'arbre qui cache la forêt. Je rappelle que 80 % des actes délictueux ou criminels ont lieu dans la famille ou dans l'entourage proche. Nous n'avons pas les chiffres, mais les prêtres ne compteront que pour quelques points de pourcentage. Ne nous trompons donc pas de cible ! Pour moi, la mécanique est exactement la même dans toutes les situations : c'est le phénomène de l'emprise. Il faut absolument essayer de le comprendre, qu'il s'agisse d'un père de l'Église ou d'un père tout court - ou d'un entraîneur sportif. Il y a toujours le rapport d'une autorité à un enfant décelé comme fragile, vulnérable et qui tombe sous emprise.
La prévention doit passer par la sortie de l'enfant de l'emprise. Il faut lui expliquer qu'il ne doit pas y avoir de secret entre un enfant et un adulte, sauf ses parents ; que personne ne doit toucher certaines parties de son corps, dès qu'il sait se laver seul. Il faut lui apprendre à parler et à dire non. Un enfant vulnérable peut être fragile face à son père, son enseignant, n'importe qui. Il faut éduquer les enseignants, les soignants à dépister, à signaler et à libérer la parole. C'est vrai dans tous les milieux car le mécanisme est le même partout.
M. Martin Lévrier. - Merci pour votre témoignage. Être parent n'est pas un métier, c'est un art. Souvent, en tant que parent, on délègue son autorité, pour un temps, à un autre adulte, qui peut être un prêtre, un éducateur, un enseignant. L'enfant ne sait pas comment signaler les faits à cause de cette délégation d'autorité ; comme parent, on n'est pas non plus capable de l'entendre pour cette même raison. Comment trouver le chemin ? Dès qu'il y a délégation de l'autorité, il y a une zone de danger. Comment, aussi, déculpabiliser le parent qui a emmené son enfant là où il ne fallait pas ?
Mme Florence Lassarade. - Merci pour vos interventions. Je suis mère, grand-mère, pédiatre. Comment éviter tous ces écueils aux enfants et cette souffrance aux adultes qui sont passés, plus jeunes, par des épreuves extrêmement douloureuses ?
La société a évolué. J'avais l'idée que l'éducation idéale, pour un enfant, était d'être élevé par tout un village, parce que je suis issue d'un milieu rural. La question de la protection de l'enfant donne le vertige : il doit à la fois être dans un milieu de confiance et obéir à l'autorité. Comment apprendre à l'enfant à distinguer lui-même ce qui dépasse l'autorité légitime ? Sur ce point, je signale que les éditions Bayard ont publié, le 20 novembre dernier, un livret destiné aux jeunes enfants qui peut être un outil très intéressant.
Enfin, je rappelle que si l'on a parlé de chiffres, celui qui est abusé l'est toujours à 100 %.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Avant d'achever cette audition, il est nécessaire de mettre un terme à l'ambiguïté soulevée par M. Guéret. Non, nous n'avons pas écarté la pédocriminalité intrafamiliale. Notre mission s'est fixé comme périmètre l'ensemble des situations de pédocriminalité dès lors que l'enfant se trouve en relation avec un adulte en situation d'autorité.
J'ai été signataire, comme Laurence Rossignol, de l'appel de Témoignage chrétien. Nous avons voulu, au nom du groupe socialiste, faire usage de notre droit de tirage pour demander une commission d'enquête sur les situations de pédocriminalité dans l'Église et le système qui a mené à ce que ce soit caché et non sanctionné. La majorité sénatoriale a bloqué notre demande mais souhaité une mission d'information dont le champ serait élargi au-delà de l'Église à toute situation de délégation d'autorité.
Monsieur Guéret et madame Pedotti, vous avez tous les deux formulé des propositions très utiles qui nous aideront à avancer, puisque le but de nos travaux est d'émettre des préconisations.
Dans tous les champs où il y a délégation d'autorité, des organisations publiques ont mis en place des mécanismes de sanction ou d'identification des comportements inacceptables, délictuels ou criminels. Vous avez évoqué à juste titre l'Éducation nationale : des choses ont été faites. Mais une institution n'a rien fait, ou très peu : l'Église. On voit encore aujourd'hui apparaître des procédures ; certains prêtres sont aussi des victimes collatérales car suspectés, sans que l'on sache si c'est à tort ou non. Nous sommes face à ce que certains ont qualifié d'omerta. Comment peut-on identifier les dysfonctionnements internes à l'Église ? Pourquoi n'a-t-elle pas tenté d'améliorer la situation, comme d'autres institutions, publiques, ayant à traiter avec des enfants ? Pourquoi l'a-t-elle même niée ? L'appel de Témoignage chrétien et notre demande de commission d'enquête pourraient avoir poussé la Conférence des évêques à nommer une commission qui ne soit pas interne comme la commission Christnacht, qui a eu, je le rappelle, à connaître de dix-sept cas en trois ans. Personne ne savait qu'elle existait ni à quoi elle a servi.
J'ai été baptisée ; je ne suis pas pratiquante mais je me sens forcément interpellée.
Il y a des campagnes annuelles en faveur de la sécurité routière ou contre le tabac ou le VIH. Ce n'est jamais le cas contre la pédocriminalité.
Mme Catherine Conconne. - Le champ de la pédophilie est très large. Dans mon département de la Martinique, elle représente 80 % des agressions sexuelles sur mineurs, pour des raisons parfois culturelles ou mystiques ; elles sont perpétrées par des proches, amis, ascendants, en particulier les pères. J'auditionnerai des structures de ma circonscription pour enrichir nos débats.
Mme Catherine Deroche, présidente. - M. Delarue, que nous avons auditionné, nous a appelés à nous intéresser à l'outre-mer.
L'objectif de notre mission est de formuler des préconisations, des solutions, en pensant avant tout aux victimes.
En ce moment, on constate une sensibilisation, avec le documentaire de M. Guéret, mais aussi avec le film « Les chatouilles » qui vient de sortir en salles. Un débat a attiré dernièrement un public nombreux à Angers, avec notre ancienne collègue Corinne Bouchoux. Beaucoup des propos évoquaient le secteur de l'éducation, des victimes ou des enseignants se plaignant du manque de réponses qui leur étaient apportées lorsqu'ils rapportaient des faits. C'est le « pas de vague » que l'on retrouve dans beaucoup d'institutions.
M. Michel Savin. - Quatre millions de victimes seraient recensées. Il y a sûrement plus d'enfants sur les terrains de sport, dans les gymnases et les piscines qu'à l'église. Sans ignorer la problématique de l'Église, je souhaite poser une question sur le sport. Monsieur Guéret, avez-vous constaté que des mesures avaient été mises en place par des fédérations et des clubs pour prévenir et informer ? Le suivi ne me semble pas à la hauteur.
Les parents confient leurs enfants à un entraîneur plusieurs fois par semaine en imaginant que l'encadrement est irréprochable. Les enfants ont beaucoup de mal à dénoncer les comportements car ils craignent celui qu'ils doivent écouter et respecter dans leur discipline sportive.
M. Éric Guéret. - Malheureusement, je n'ai pas connaissance de mesures mais je n'ai pas enquêté sur tous les milieux sportifs. L'agresseur de Kévin, qui témoigne dans mon film, appartenait à la Fédération française de football. La police a voulu saisir les ordinateurs mais n'avait pas le bon mandat. Lorsqu'elle est revenue, le contenu de tous les ordinateurs avait été effacé. Quand l'agresseur sortira de prison, il pourra retourner au sein de la Fédération française de football, dans un autre district, sans qu'il y ait d'échange d'informations.
Votre interlocuteur en la matière pourrait être M. Sébastien Boueilh, de l'association Colosse aux pieds d'argile.
Concernant le périmètre de votre mission, je voulais rappeler la proportion de cas intrafamiliaux et extrafamiliaux. C'est d'autant plus important que les mécanismes de l'emprise et de l'autorité sont les mêmes. Je suis extrêmement heureux que cette mission d'information existe. Le champ de l'inceste est si colossal qu'il pourrait être intéressant d'y consacrer de futurs travaux. Vous apportez de l'espoir en entamant ce travail, qui est un premier pas. Quand j'ai dit aux victimes qui témoignent dans mon film que je venais devant vous, toutes m'ont assuré que votre travail était fondamental.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci. Nous ne voulons pas écrire un énième rapport mais formuler des propositions concrètes pour aider les victimes.
La réunion est close à 15 h 45.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.