- Mardi 13 novembre 2018
- Mercredi 14 novembre 2018
- Projet de loi de finances pour 2019 - Examen des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2019 - Tome II du rapport général
- Projet de loi de finances rectificative pour 2018 - Examen du rapport
- Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Culture » et article 74 bis (et communication sur le contrôle budgétaire sur la gestion déconcentrée des crédits du ministère) - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances rectificative pour 2018 - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
- Nomination d'un rapporteur
- Mercredi 14 novembre 2018
- Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Pouvoirs publics » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Outre-mer » (et article 77 bis) - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2019 - compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Travail et emploi » (et article 84) et compte d'affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage » - Examen du rapport spécial
Mardi 13 novembre 2018
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 14 h 35.
Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Régimes sociaux et de retraite » et le compte d'affectation spéciale « Pensions » - Examen du rapport spécial
M. Vincent Éblé, président. - Permettez-moi de souhaiter la bienvenue à notre collègue René-Paul Savary, membre de la commission des affaires sociales, qui suit de près ces questions et nous livrera son point de vue sur, notamment, le compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions ».
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale de la mission « Régimes sociaux et de retraite ». - Je salue moi aussi la présence de notre collègue René-Paul Savary, avec qui je partage un certain nombre de préoccupations.
Je vous présenterai brièvement - et peut-être pour la dernière fois... - la mission « Régimes sociaux et de retraite » et le compte d'affectation spéciale « Pensions ».
M. Jean-Claude Requier. - Pourquoi ? Il n'y aura plus de retraites ?...
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - Sait-on jamais...
La mission « Régimes sociaux et de retraite » subventionne les déséquilibres financiers des régimes spéciaux, principalement ceux de la SNCF et de la RATP, qui absorbent les deux tiers des dotations, ainsi que ceux des marins et des mines pour l'autre tiers. Il est toutefois à noter le rattachement du régime complémentaire des exploitants agricoles, avec une dotation budgétaire de 55 millions d'euros, qui devrait être maintenue à ce niveau malgré la disparition de taxes à hauteur de 190 millions d'euros, les taxes sur les huiles et les farines, qui finançaient plus de 20 % des dépenses.
Les crédits de la mission baissent un peu, pour s'établir à 6,2 milliards d'euros, mais les incertitudes sont telles qu'il est inutile de commenter une évolution soumise à d'importants aléas. Ceux-ci sont renforcés par l'incertitude liée à la réforme du système des retraites. Par ailleurs, à la suite d'un contentieux, les conditions dans lesquelles une dette de l'État de l'ordre de 100 millions d'euros envers le régime de la SNCF sera honorée ne sont pas précisées. L'essentiel est que les subventions d'équilibre demeurent à un niveau élevé.
Cette stabilisation est quelque peu décevante au vu des réformes passées des régimes, mais, pour l'essentiel, ces dernières entreront en application dans les années à venir. La politique de revalorisation des pensions adoptée par le Gouvernement est de nature à augmenter les dépenses à hauteur de 27 millions d'euros, mais la sous-revalorisation mise en oeuvre en 2018 et en 2019 dégage des économies de près de 100 millions d'euros.
Les régimes spéciaux connaissent une progression spontanée assez significative de leurs dépenses du fait de la revalorisation des bases liquidatives, à l'inverse de ce qui se produit pour l'État.
Les subventions couvrent principalement les déséquilibres démographiques. Le rapport démographique de 1,3 dans le régime général n'est que de 0,65 à la SNCF et de 0,85 à la RATP. C'est l'origine de la majeure partie de la subvention de 3,3 milliards d'euros versée à la SNCF et de celle de 736 millions versée à la RATP. Il en va de même pour les marins, avec une subvention de 815 millions d'euros, et les mines, avec une subvention de 1,1 milliard d'euros.
Cependant, les déséquilibres démographiques ne sont pas indépendants des règles spéciales s'appliquant à ces régimes. Ces dernières ont été partiellement corrigées par les réformes, mais celles-ci n'exerceront leurs effets que dans le temps. Pour le moment, les âges de départ, qui ont augmenté, restent bas (cinquante-sept ans et cinq mois à la SNCF et cinquante-cinq ans et cinq mois à la RATP). Ils sont plus bas encore pour les agents de conduite (cinquante-deux ans), cette situation pouvant être discutée selon l'opinion que l'on se fait de la pénibilité des métiers. Ainsi, les périodes de retraite sont assez inhabituelles (plus de quarante ans avec les réversions à la RATP) : elles sont supérieures à la durée d'activité. La montée en puissance des réformes concernant les conditions d'âge se traduira par des économies substantielles.
Les régimes spéciaux, du fait de cette perspective, mais aussi de l'extinction de certains régimes, comme le régime minier, devraient parvenir à un meilleur équilibre et, par là même, beaucoup moins solliciter la subvention publique. Les engagements de l'État actualisés se situent en cumulé entre 120 et 160 milliards d'euros pour la période allant de 2017 à 2050. Cela correspond à une réduction des besoins de financement projetés. Dans le compte général de l'État, les soldes financiers des régimes se rétablissent et se stabilisent à terme autour de 1,4 milliard d'euros, contre 6,2 aujourd'hui.
Toutefois, cette perspective, qui est évidemment soumise aux aléas de la vie économique, a été remise en cause par l'adoption du « pacte ferroviaire ». Celui-ci instaure un nouveau régime fermé, les nouveaux salariés de la SNCF étant appelés à être recrutés hors statut. Les pertes de recettes du régime des anciens salariés s'accentueront en cours de période, les baisses de dépenses intervenant plus tardivement. L'opération se solde par un alourdissement des engagements de couverture de l'État de 1,7 milliard d'euros par an à l'horizon de 2050.
Le CAS « Pensions », avec des crédits de paiement à hauteur de 59 milliards d'euros, connaît, de son côté, des évolutions très modérées. Les dépenses progressent de 1 %, soit à peu près au même niveau que les recettes toutefois un peu moins dynamiques. Concernant les dépenses, la sous-revalorisation des pensions permet d'économiser plus de 600 millions d'euros bruts, la revalorisation de 0,3 % au 1er janvier augmentant les dépenses de 147 millions d'euros. Le bilan est positif pour l'État, avec une économie en 2019 de près de 500 millions d'euros. L'écart est sensible pour la pension moyenne avec 250 euros de moins. Les pensions nouvellement liquidées le sont sur une base qui décroche depuis quelques années de l'inflation. C'est l'effet de la faible revalorisation indiciaire. Seuls échappent à celle-ci les personnels bénéficiant du glissement vieillesse-technicité (GVT), ce qui avantage certains hauts fonctionnaires. Les recettes progressent moins que la masse salariale de l'État en raison de la structure de rémunération qui réserve une place importante aux primes généralement non cotisées, mais aussi du fait de la déformation de l'emploi public. Depuis quelques années, la part des contractuels non affiliés a augmenté de plus de quatre points ; elle était supérieure à 16 % en 2016.
Malgré des recettes évoluant très peu, le solde financier devrait demeurer à peu près inchangé, en excédent de 1,6 milliard d'euros. Le solde cumulé atteindrait 8,4 milliards à la fin de l'année 2019. Ces dernières années, la progression des cotisations salariales a permis de couvrir les dépenses supplémentaires, si bien que le supplément de contribution employeur de l'État a contribué à améliorer le solde du CAS.
Les soldes financiers des régimes couverts par le CAS devraient demeurer plus ou moins positifs dans tous les scénarios à l'horizon de 2070, au contraire du solde du régime général qui exigera que la croissance soit supérieure à 1,5 %.
Les perspectives du CAS reposent sur une forte réduction de la valeur relative de la pension servie par rapport au revenu moyen d'activité. La valeur réelle de la pension servie progresserait de 50 % entre 2017 et 2070, même si le niveau de vie des retraités relatif chutait de 25 % par rapport à l'ensemble de la population.
Face à ces perspectives, les conditions de liquidation des pensions dans le régime général et dans la fonction publique sont très différentes. Aujourd'hui, le taux de remplacement est nettement plus élevé dans le régime général en raison de l'exclusion des primes des fonctionnaires de la base de liquidation.
Le pilotage implicite de l'équilibre financier des régimes de retraite passe par une dégradation de l'assiette de liquidation des pensions. Dans le régime général, le calcul sur les vingt-cinq meilleures années de salaires qui ne sont revalorisées que de l'inflation concourt à ce décrochage. Dans la fonction publique, le calcul sur les six derniers mois permet une revalorisation qui tient compte des progressions de carrière. Aussi, le taux de remplacement de la fonction publique ne perdra que de cinq à sept points contre quinze points dans le régime général.
Malgré les différences entre les régimes de liquidation, les avantages relatifs du régime des fonctionnaires ne doivent pas être exagérés. J'observe cependant que plus la rémunération est élevée, moins elle est cotisée. Dans un régime à cotisations définies et à points, comme celui qui est actuellement envisagé, ceci pose question.
Dans le cadre de la réforme, il faut donc évoquer ici le projet d'intégrer les primes des fonctionnaires. Cela impliquera, outre un certain nombre de modifications dans la répartition des droits entre catégories, une réduction du pouvoir d'achat courant, compensée par la constitution de droits nouveaux, mais dont la conversion en revenus sera fortement différée. Combiné avec l'application du prélèvement à la source, l'effet « feuille de paye » s'annonce assez délicat.
Je vous propose d'adopter les crédits de la mission et du compte d'affectation spéciale.
M. René-Paul Savary. - Je m'exprimerai ici à titre personnel, la commission des affaires sociales n'ayant pas encore examiné cette mission. Nous ferons les mêmes remarques que l'an dernier.
Je note les différentes approches entre le CAS « Pensions » et la mission « Régimes spéciaux et de retraite », avec, d'un côté, des recettes et des dépenses exposées avec une vision réaliste de la situation et, de l'autre, une subvention d'équilibre, à hauteur des deux tiers du financement des pensions des régimes spéciaux, qui ne reflète pas la réalité des problèmes.
Les problèmes sont différents d'un régime à l'autre ; j'ai pu le constater au travers des auditions que j'ai organisées en tant que futur rapporteur du projet de loi sur les retraites. Il faudra pourtant en tenir compte lors de la réforme. Comment ces spécificités seront-elles transcrites ? Comment parvenir à une équité ? Des mesures ont certes déjà été prises concernant l'âge de départ à la retraite : on arrive à une uniformisation.
Aujourd'hui, il y a une part forfaitisée, si je puis dire, au travers d'une subvention d'équilibre, et une cotisation patronale de l'État. À l'avenir, comment clarifiera-t-on la situation d'employeur de l'État pour parvenir à un régime universel ?
Quant aux coûts de gestion des régimes spéciaux, ils sont importants. La réforme concernera 96 % des salariés ; il n'y aura donc plus de place pour les régimes de retraite complémentaires obligatoires. Il conviendra d'améliorer les coûts de gestion (plus de 320 millions d'euros annuellement pour l'ensemble des régimes de retraite de base et complémentaires).
Je partage les observations formulées par votre rapporteur spécial dans leur intégralité.
M. Thierry Carcenac. - Ce rapport nous permet de toucher du doigt la difficulté d'harmoniser les régimes spéciaux, le régime général et les pensions des fonctionnaires. De façon générale, se pose, à nos yeux, le problème de la majoration de 0,3 % des retraites en termes de pouvoir d'achat. Néanmoins, je ne vois pas comment nous pourrions ne pas voter les crédits de cette mission et du CAS « Pensions ».
Concernant les coûts de gestion, j'ai lu que le programme 197 « Régimes de retraite et de sécurité sociale des marins » est géré à Périgny en Charente-Maritime. La situation des personnels a-t-elle été évoquée, alors même que l'on nous parle de déconcentration ?
Par ailleurs, on a tendance à nous dire que les pensions des fonctionnaires de l'État sont importantes en raison du calcul sur les six derniers mois. Mais se pose la problématique des primes. De nombreux départs à la retraite de personnels de catégorie C sont prévus, alors que les personnels de catégorie A et A+ partent généralement après l'âge légal et bénéficient de la surcote. Que sait-on sur ce sujet ? La suppression des 50 000 fonctionnaires au cours de la législature a-t-elle été prise en compte dans l'équilibre global des pensions ? Vous l'avez noté, l'État envisage de recourir plus encore aux contractuels.
M. Jean-Claude Requier. - Un grand chambardement va se produire à la suite du rapport de M. Delevoye, ancien sénateur : on peut être sénateur et réformer !
Je relève le poids des régimes spéciaux, avec une contribution de plus de 6 milliards d'euros, ce qui est considérable. Si l'on peut comprendre cette forme d'héritage culturel, les divers régimes vont devoir s'uniformiser pour ce qui concerne tant l'âge du départ à la retraite que le calcul des retraites. Nous abordons ici ce sujet difficile de manière sereine. L'ensemble des membres du groupe du RDSE sans doute votera ces crédits.
Mme Christine Lavarde. - Je profite de la présence du rapporteur du futur projet de loi sur les retraites pour poser une question relative aux petites retraites de 600 ou 700 euros. Des personnes licenciées à quelques mois ou trimestres de leur départ à la retraite souhaitent bénéficier du dispositif du cumul emploi retraite. Or elles cotisent pour la retraite, sans voir la leur abonder pour autant. Ces personnes se démènent pour vivre des revenus de leur travail et non pas des minima sociaux ou de différentes aides. Ne conviendrait-il pas de faire évoluer cette situation ?
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - Je tiens à souligner que la future réforme est très anxiogène pour les militaires. Il est aujourd'hui difficile de dire aux futurs recrutés ce qu'il adviendra de leur retraite. Or c'est un élément très important dans une carrière militaire.
Thierry Carcenac, la revalorisation de 0,3 % des retraites seulement entraîne un boni de 500 millions d'euros pour l'État. On ne sait pas ce que deviendront les personnels des sites qui gèrent toutes les caisses de retraite, ainsi que les bâtiments. À l'heure actuelle, on est encore bien loin de tout cela. A priori, une seule structure pourrait assurer le pilotage.
On observe effectivement des surcotes dans les personnels de catégorie A, ce qui participe à une certaine iniquité mais résulte aussi de la faiblesse des taux de remplacement. Cette question fait partie des aléas comportementaux dans l'évolution du CAS dont j'ai parlé.
Le départ prévu de 50 000 fonctionnaires induit 50 000 cotisants en moins. Cela correspond toutefois à moins de 2,5 % de la masse salariale publique. Je l'ai dit, on a de plus en plus recours aux contractuels.
Jean-Claude Requier, les régimes spéciaux sont là pour compenser un déséquilibre démographique. Comme l'a souligné René-Paul Savary, dans le cadre de la réforme des retraites, nous ne savons pas comment seront traduits certains avantages réels, comme l'âge de départ à la retraite à la SNCF ou à la RATP. La contribution de 6,2 milliards d'euros n'est pas uniquement due au déséquilibre démographique. Revoir le départ à la retraite à cinquante-deux ans du personnel roulant de la SNCF risque de faire quelques vagues.
Christine Lavarde, le régime à points réglerait le problème du cumul que vous avez évoqué : dès lors que l'on travaille, on cotise et on acquiert donc des points.
Mme Christine Lavarde. - Aujourd'hui, ces personnes sont obligées de cotiser et ne perçoivent rien de plus.
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - La situation n'est pas satisfaisante aujourd'hui, mais la réforme devra résoudre ce problème.
Mme Christine Lavarde. - Il y aurait donc un calcul continu de la pension de retraite.
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - Oui.
M. René-Paul Savary. - Même si une simplification est opérée au travers des points - chaque rémunération donnera des points -, il faudra voir comment s'exercera la solidarité. Se pose notamment le problème des petites retraites, qui sont aujourd'hui compensées par le biais du minimum contributif (MICO), une prestation complémentaire permettant d'avoir une retraite minimale. Demain, la part de solidarité doit rester identique sur le plan macroéconomique (20 % de l'ensemble des prestations), mais on ne sait pas comment elle se déclinera.
J'ajoute que la commission des affaires sociales proposera de décaler de six mois, dès 2020, l'âge du départ à la retraite pour arriver à soixante-trois ans, levier incontournable pour équilibrer le régime des retraites en assurant des pensions décentes. Concernant le pouvoir d'achat des retraités - nous n'avons pas été insensibles à cette préoccupation -, nous proposerons un amendement visant à indexer, dès 2019, les pensions sur l'inflation selon un mécanisme identique à celui qui était en vigueur avant 2015, de façon à limiter la diminution du pouvoir d'achat.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'âge du départ à la retraite nettement plus précoce des cheminots tient à des raisons historiques. À l'époque, beaucoup mouraient malheureusement de maladies professionnelles et ne bénéficiaient pas de leur retraite. Au regard des évolutions techniques, ces avantages sont aujourd'hui beaucoup moins justifiés. Un conducteur de bus a même une plus grande responsabilité individuelle qu'un conducteur de train automatisé. Ces avantages sont encore moins justifiés pour les personnels administratifs : du fait de la bonification pour enfants, certaines employées de cinquante-trois ou cinquante-quatre ans partent à la retraite. Même si l'âge a été relevé, on sait que l'âge effectif ne correspond pas à l'âge légal. Il s'agit d'arriver progressivement à faire converger l'âge du départ à la retraite avec la réalité actuelle. D'ailleurs, connaissez-vous l'âge effectif de départ à la retraite des non-roulants à la RATP ?
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - L'âge moyen est de cinquante-sept ans et cinq mois. À la page 48 du rapport, vous trouverez un tableau établissant la répartition des retraités selon leur âge.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je note que 53 % des personnels de la RATP de moins de cinquante-six ans partent à la retraite !
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - J'ajoute que les réformes successives ayant fait passer l'âge de départ à la retraite pour les roulants de cinquante à cinquante-deux ans et cinquante-cinq à cinquante-sept ans pour les non-roulants se sont chaque fois accompagnées d'avantages salariaux relativement coûteux.
Par ailleurs, avec les mécanismes de décote et de surcote, mécaniquement, l'âge légal de départ à la retraite est plutôt de soixante-quatre ans pour avoir une retraite décente ; les projections à long terme intègrent d'ailleurs la perspective d'un report de l'âge effectif de départ à la retraite bien au-delà de 62 ans.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ».
Proposition de loi contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux - Examen du rapport
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure. - Au Sénat, nous sommes particulièrement familiers du phénomène de dévitalisation progressive de nos territoires. Qu'ils soient ruraux ou urbains, nous sommes tous confrontés à des difficultés similaires tenant à la disparition de commerces de proximité au profit des centres périphériques de consommation et au commerce en ligne. Pour autant, nous sommes convaincus qu'il n'y a pas de fatalité et qu'une action résolue et conjointe permettra d'enrayer les problèmes.
Tel était d'ailleurs l'objet de la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs adoptée par le Sénat en juin dernier, sur l'initiative de nos collègues Martial Bourquin et Rémy Pointereau. Notre commission s'était alors prononcée sur le rapport pour avis de notre collègue Arnaud Bazin. Nos travaux de commission relatifs à l'essor du commerce en ligne ainsi qu'aux nouveaux moyens de paiement concernent aussi directement ces thématiques.
C'est d'ailleurs sous l'angle de l'accès aux espèces que la proposition de loi visant à lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux de notre collègue Éric Gold aborde la question.
Faisant le constat d'un accès parfois difficile aux espèces dans les territoires ruraux, ce texte souligne les conséquences en chaîne qui pourraient en résulter pour l'activité commerciale locale. En réponse, deux solutions complémentaires sont proposées dans chacun des deux articles qui la composent, le troisième étant classiquement dévolu au gage relatif au tabac. L'article 1er prévoit la création d'un fonds dédié au maintien et à la création de distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales. L'article 2 étend la mission d'aménagement du territoire confiée à La Poste, en prévoyant que chacun des 17 000 points de contact sur le territoire doit comprendre un distributeur automatique de billets.
Cette proposition de loi se distingue donc par une double singularité : géographique, d'une part, puisque seuls les territoires ruraux sont visés ; thématique, d'autre part, puisque l'accès aux espèces est envisagé par le seul recours aux distributeurs automatiques de billets. J'y vois à la fois un atout et une limite.
Un atout, car la proposition de loi se concentre sur des cas précis confrontés à un cumul de difficultés : des territoires mal couverts par les réseaux de télécommunication, dans l'incapacité de faire fonctionner des terminaux de paiement par cartes bancaires, souvent géographiquement enclavés et délaissés par les établissements bancaires.
Un inconvénient, car, pour des situations précises, est envisagée une réponse globale, qui me paraît peu adaptée à deux égards.
D'abord, le fonds dont il est proposé la création prévoit d'apporter une réponse nationale, qui s'accompagnera nécessairement d'une rigidité. Or c'est une réponse immédiate, souple et laissant la mainmise à l'initiative locale qui est nécessaire. Je relève que l'essentiel des modalités du fonds est renvoyé à un décret en Conseil d'État, ce qui n'est pas la meilleure méthode.
Ensuite, le fonds comme la présence obligatoire d'un distributeur automatique de billets dans un point de contact sous-tendent une même évolution, à savoir la mise en oeuvre d'un filet de sécurité public pour l'accès aux espèces. À l'heure où les établissements bancaires s'interrogent sur le redimensionnement de leur réseau - l'investissement est de 90 000 euros et les frais liés au fonctionnement et à l'entretien d'un distributeur automatique de billets s'élèvent à 14 000 euros par an, je crains un effet d'engrenage. En voulant traiter des défaillances ponctuelles, nous pourrions déplacer la charge sur les établissements bancaires. Or je ne pense pas que telle soit notre volonté. C'est pourquoi il ne m'a pas paru opportun de préciser le champ du fonds.
Concernant les ressources prévues pour alimenter le fonds, l'affectation d'une fraction du produit de la taxe pour le financement du Fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant souscrit des emprunts à risque n'est pas possible, car il s'agirait d'un changement d'affectation : en vertu de l'article 36 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), seule une loi de finances peut y procéder. D'ailleurs, je rappelle que ce fonds a été créé pour résorber les emprunts toxiques.
Je rejoins toutefois l'auteur de cette proposition de loi, les défaillances ne sont pas acceptables et un égal accès aux espèces doit être assuré pour tous. Pour ce faire, il me semble préférable de recourir au Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac), qui doit jouer un rôle dans l'accompagnement des commerçants volontaires pour accueillir en leur sein un distributeur automatique de billets. Pour certains territoires non couverts par les réseaux de communication, c'est l'unique recours envisageable. Un tel soutien du Fisac est possible aux termes des missions que lui confère le code de commerce ; je vous proposerai un amendement pour le préciser expressément. La semaine dernière, notre commission a adopté un amendement visant à conforter l'existence de ce fonds, menacé par le projet de loi de finances pour 2019 ; cet amendement me paraît plus que jamais indispensable.
Concernant l'extension de la mission d'aménagement du territoire de La Poste, cette évolution ne me paraît pas souhaitable. Je ne suis pas certaine que tous les maires se réjouissent à l'idée d'installer un distributeur automatique de billets dans leur agence postale communale. De surcroît, le jeu de la libre concurrence pourrait paradoxalement conduire La Poste à héberger des distributeurs automatiques de billets d'un établissement bancaire concurrent de La Banque postale ! Je vous proposerai donc de supprimer l'article 2.
Lors des auditions que j'ai conduites, il m'a été indiqué qu'un groupe de travail sur l'accessibilité aux espèces avait récemment été mandaté par la Banque de France : celui-ci doit recenser l'offre d'accès aux espèces, tous canaux confondus, et définir les scénarios d'organisation de la distribution permettant de garantir l'accessibilité des espèces. Ce travail est complexe, compte tenu de la multiplicité des modes d'accès aux espèces. Aux côtés des distributeurs automatiques de billets des établissements bancaires il y a également des distributeurs dans des commerces (les 4 000 points relais), les services postaux ainsi que, dès la fin d'année sans doute, le « cashback ».
C'est à partir de ces différents outils que le groupe de travail doit remettre une cartographie en janvier prochain, qui mettra en évidence les situations de défaillance. Il sera alors indispensable de définir, entre acteurs publics et privés locaux, une solution à partir de la palette d'outils que j'ai mentionnée. J'ai rencontré Philippe Wahl et Rémy Weber, présidents de La Poste et de La Banque postale, qui m'ont assuré de leur entière coopération en la matière. Je vous mets en garde sur l'effet pervers à constituer un fonds pour maintenir les distributeurs automatiques de billets. Il ne faudrait pas que les banques se mettent à exiger le recours à ce fonds pour rester sur le territoire.
Enfin, je voudrais mentionner quelques éléments chiffrés. En France, il existe 56 000 distributeurs automatiques de billets dans 14 400 communes. Depuis 2011, la baisse du nombre de retraits en espèces, de 6 %, est supérieure à la baisse du nombre de distributeurs automatiques de billets, de 4,1 %, tandis que les paiements par carte bancaire ont augmenté de 43 %, s'élevant à 10,5 milliards d'euros en 2017. Le plafond de paiements en espèces est passé de 3 000 euros à 1 000 euros. Dans 17 000 points de contact, 6 305 agences postales communales peuvent délivrer jusqu'à 350 euros en espèces par semaine et 2 746 relais postes peuvent délivrer jusqu'à 150 euros. Le paiement par carte bancaire est aujourd'hui possible à partir d'un euro. Le paiement sans contact a été multiplié par cinq entre 2015 et 2017 et atteint 1,2 milliard d'euros. L'installation d'un distributeur automatique de billets n'est pas seulement liée à son coût ; les questions de lutte contre la fraude et le blanchiment, la sécurité des agents et du transport de fonds ainsi que le contrôle des billets sont soumis à des règles exigeantes.
Dans ces conditions, je vous propose d'adopter les amendements que je vous présenterai et d'adopter la proposition de loi ainsi réécrite.
M. Éric Gold, auteur de la proposition de loi. - De nombreuses agences bancaires ferment dans des territoires déjà désertés par nombre de services publics, de services au public. Différents groupes bancaires prévoient la fermeture de plus de 400 agences en deux ans ; d'autres 450 établissements d'ici à 2020 ; 236 guichets ont été fermés au cours de ces dernières années. Si de nombreuses opérations bancaires et de paiement sont désormais dématérialisées, il n'en demeure pas moins que tous les territoires ne peuvent pas bénéficier de la même couverture numérique.
Deux logiques m'ont animé, qui peuvent s'entendre individuellement. Je propose que des communes menacées, voire victimes de désertification bancaire, puissent subventionner des banques conventionnées grâce à la création d'un fonds alimenté par des banques. Je propose également de renforcer le maillage territorial via l'introduction d'un critère de distance minimale entre les bureaux postaux.
Le Sénat, dans sa mission de représentation des territoires, se doit de lutter contre la désertification bancaire. La réécriture totale de la proposition de loi par un amendement tendant à réduire cette lutte à une extension des missions du Fisac, appelé à disparaître, enverrait, à mon sens, un signal négatif à destination des élus locaux. Rien ne dit que l'amendement de la commission des finances visant à pérenniser l'existence de ce fonds dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 sera adopté. Le « cashback » ne constitue pas un palliatif, compte tenu notamment du montant maximum pouvant être décaissé et des horaires d'ouverture des commerçants.
Cet amendement très limitatif ne permet pas à mon sens de lutter efficacement contre la désertification bancaire et n'envoie pas un bon signal aux territoires. Je l'accueillerais plus favorablement s'il pouvait se conjuguer avec le dispositif prévu pour la création d'un fonds et le maintien des distributeurs automatiques de billets dans les territoires ruraux, financé par les banques. Je ne renonce pas à l'idée de proposer d'ici à la séance publique un amendement prévoyant un mode de financement plus approprié. Peut-être pourrions-nous profiter de l'examen ce texte pour montrer la capacité du Sénat à accompagner les territoires les plus en difficulté. Nous ne pouvons guère proposer uniquement une extension des missions du Fisac, qui est voué à disparaître, je le répète.
M. Jacques Genest. - Cette proposition de loi est intéressante, même si elle n'est peut-être pas parfaite. Pour répondre à la rapporteure, la commune signerait une convention. Les groupes de travail, c'est comme les commissions : plus on en crée, plus on enterre des dossiers. En outre, on le sait très bien, le Fisac est mort-né, et notre amendement ne sera sûrement pas accepté par le Gouvernement.
Vous avez beaucoup parlé de La Poste, mais on ne peut pas tout miser sur cette entité. Pour le moment, elle doit respecter les missions de service public, mais peut-on être sûr que les petits villages ne seront pas un jour abandonnés ? Dans ma petite commune, le distributeur automatique de billets attire du monde, ce qui est positif pour les petits commerces. Je suis donc favorable à ce texte et je le soutiendrai.
M. Yvon Collin. - Cette proposition de loi illustre l'inégalité à laquelle sont confrontés nos concitoyens face aux services publics. Au travers des distributeurs automatiques de billets, les zones blanches sont ici visées. La Poste répond assez bien aux missions de service public qui lui sont confiées, contrairement à l'opérateur Orange. Depuis un an, certains territoires sont privés du réseau cuivre. Cette situation est insoutenable. Je vous invite, mes chers collègues, à soutenir ce texte pour montrer les inégalités insupportables qui existent sur notre territoire.
M. Jérôme Bascher. - On comprend bien l'idée que sous-tend cette proposition de loi. Sur le fond, on ne peut qu'être d'accord : il nous semble normal que tous les citoyens puissent accéder aux espèces sur tout le territoire. Mais que paie-t-on en liquide ? On retire des espèces pour consommer sur place. Encore faut-il qu'il y ait des commerces !
Qui plus est, c'est un texte de transition. Orange est certes sous le coup d'une amende très importante, mais la fibre optique est le projet de demain. Il serait bizarre d'adopter une loi dont la mise en oeuvre serait problématique. Le Fisac risque de mourir, faute d'ailleurs d'avoir été souvent mal utilisé, il faut le dire. J'aurais tendance à prôner d'autres solutions et, donc, je soutiens les propositions de Sylvie Vermeillet.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cette proposition de loi pose une vraie question. Des zones entières, y compris des villes d'une certaine importance, se retrouvent aujourd'hui sans aucun distributeur automatique de billets. Or la réalité, c'est que l'on ne peut pas utiliser la carte bancaire partout.
Ce problème étant posé, les réponses sont multiples. Historiquement, la France a un niveau de bancarisation très élevé, alors que de nombreux pays offrent la possibilité de retrait chez les commerçants. Introduit dans la loi ratifiant l'ordonnance de transposition de la seconde directive concernant les services de paiement dans le marché intérieur (dite « DSP 2 »), le « cashback » permet le retrait d'espèces chez un commerçant, lequel est rémunéré à cet effet. Par ailleurs, dans de nombreux pays, comme les États-Unis, on trouve des distributeurs automatiques de billets dans les commerces, ce qui coûte beaucoup moins cher en termes de maintenance. C'est aussi le coût de recharge du distributeur, avec le transport de fonds, qui est onéreux. C'est donc une piste à creuser, surtout pour les commerces dont l'équilibre est fragile.
Vous le savez, l'administration fiscale cherche à ne plus avoir un centime dans les trésoreries. La Poste répondra sans doute à cette mission, mais le ministre parle aussi des buralistes.
Dans ces conditions, je ne suis pas certain que cette proposition de loi réponde à tous les problèmes. D'ailleurs, comment le fonds prévu sera-t-il alimenté ? Je crains que les dons prévus à l'article 1er ne soient pas nombreux...
M. Patrice Joly. - Je salue la proposition de loi de notre collègue Éric Gold et je remercie l'analyse de notre rapporteure et les propositions qu'elle a émises. Ce texte évoque une problématique réelle sur nos territoires. L'idée de maintenir, voire de développer, un maillage sur nos territoires pour permettre à nos concitoyens d'accéder aux espèces me semble indispensable. J'ajouterai deux remarques.
Les populations dans nos territoires sont vieillissantes. Même si elles ne sont pas nécessairement réticentes à l'évolution des modalités de paiement, des habitudes se sont créées, et une part importante de la population a besoin d'espèces. De plus, les commerces dans nos territoires développent une activité relativement réduite et sont réservés sur l'utilisation de la carte bancaire au regard du coût que cela représente.
Il s'agit là d'un enjeu lié à l'aménagement du territoire, comme on l'évoque assez régulièrement dans cette institution. Récemment encore, nous avons adopté à l'unanimité la proposition de loi Bourquin-Pointereau. Ce texte s'inscrit aussi parfaitement dans le programme « Action coeur de ville » porté par le Gouvernement.
Certes, la question des ressources reste à affiner ; je ne suis pas sûr que la solution du Fisac soit la plus pertinente puisque la suppression de ce fonds est envisagée. En revanche le financement par les banques me semble justifié, car elles exercent une responsabilité sociale et territoriale, contrepartie de l'accès à une épargne abondante : le rapport entre l'encours de dette et l'épargne est particulièrement faible dans ces territoires. L'obligation de leur demander de mettre la main à la poche est intéressante.
Je terminerai par deux propositions : si un distributeur automatique de billets doit être fermé, il faut envisager un redéploiement dans le même périmètre et éviter la concurrence inutile dans les petites collectivités territoriales. Dans ma commune, j'ai obtenu, après dix ans de négociations, l'implantation d'un distributeur automatique de billets par La Banque postale ; trois mois plus tard, un autre distributeur était installé par le Crédit agricole à quelques dizaines de mètres, le tout dans une zone de chalandise de 2 500 habitants ! C'est inacceptable. Ce texte traite donc d'un sujet bien réel, même s'il n'aura vocation à s'appliquer que dans une période de transition d'une dizaine d'années.
M. Bernard Delcros. - Je souhaite rappeler Jérôme Bascher à la réalité des territoires ruraux : les distributeurs automatiques de billets dans les communes où il n'y a pas de commerces sont moins à craindre que l'absence de distributeurs automatiques de billets dans les communes où il y a des commerces ! Aucun risque de ce côté-là.
M. Jérôme Bascher. - Bien sûr que si !
M. Bernard Delcros. - L'enjeu de ce texte est la présence de services dans les territoires à faible densité de population. Nous savons qu'un jour les espèces ne seront plus utilisées, mais, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres de la révolution numérique, il faut réussir la gestion humaine et sociale des périodes transitoires. Les générations les plus anciennes ont du mal à passer au « tout numérique ».
Si le « cashback » se développe, par qui sera rémunéré le commerçant pour cette prestation ? Par la banque ou le client ?
Cette proposition de loi a tout son sens, même si, comme la rapporteure l'a souligné, il faut la faire évoluer jusqu'à un équilibre satisfaisant. Elle marque le besoin de conforter les services en milieu rural.
M. Thierry Carcenac. - Ce texte répond à un besoin exprimé par ceux qui n'ont pas encore vécu la révolution monétique. J'ai été membre d'une commission départementale de présence postale territoriale. Les activités postales de La Poste relèvent d'une mission de service universel, mais pas ses activités bancaires. La rémunération et le financement du dispositif sont assurés, au départ, par La Poste, mais font ensuite l'objet d'une compensation, par le biais d'un prélèvement sur le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), jusqu'à ce qu'une convention soit signée entre l'Association des maires de France (AMF) et La Poste. Implanter de nouveaux distributeurs automatiques de billets est problématique eu égard à cette enveloppe, votée par le Parlement, dont le montant résulte d'une évaluation menée par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). De plus, ces dispositifs sont examinés par la Commission européenne au regard des règles relatives aux aides d'État applicables aux services d'intérêt économique général. Pour les collectivités territoriales, le financement proposé est un manque à gagner puisqu'il est alimenté par un prélèvement sur les impôts locaux non compensé par l'État.
De plus, il existe une solution moins coûteuse que les distributeurs automatiques de billets : les points de retrait, qui sont plus faciles à gérer parce que moins sécurisés et moins approvisionnés. Le besoin, cependant, est incontestable.
M. Jean-Marc Gabouty. - Les mesures proposées dans ce texte revêtent sans doute un caractère provisoire, avec la dématérialisation - quoiqu'il puisse se produire des retours en arrière : on assiste ainsi, dans un autre domaine, à un retour au vrac, dont on redécouvre les vertus face à l'emballage systématique.
Je suis favorable à l'esprit de cette proposition de loi : il faut restaurer de la proximité dans les territoires ruraux où le handicap du déplacement est prégnant, qu'il soit lié à la vitesse de circulation ou au prix du carburant...
Il faut également tenir compte, en plus des activités commerciales, de celles des particuliers dans leurs activités de loisir, associatives ou touristiques. La clientèle étrangère privilégie parfois le liquide ; le chèque n'offre pas toutes les garanties de solvabilité et la carte bancaire ne peut pas toujours être utilisée. Il faut aussi se poser la question du coût de traitement des transactions par carte à un euro... Le chèque a lui aussi un coût de traitement, et certaines banques refusent d'en émettre en dessous d'un certain montant. Les territoires ruraux ont besoin de solutions à court terme, et pas seulement de perspectives à dix ans.
Le financement de ces mesures doit, à mon avis, être assuré par le secteur bancaire et non par des fonds publics. Le système doit financer un service qui lui est bénéfique.
M. Vincent Éblé, président. - Il est de tradition, confirmée par une Conférence des présidents de 2016, qu'une proposition de loi examinée dans le cadre de l'espace réservé d'un groupe ne soit pas modifiée en commission sans l'accord de celui-ci. En l'absence de cet accord, des amendements de commission peuvent être examinés sous la forme d'amendements de séance.
M. Jacques Genest. - À mon tour de vous rassurer, Jérôme Bascher : il n'y a pas de risque qu'une commune signe une convention avec un établissement bancaire sans avoir de commerce sur son territoire. Le bon sens paysan est demeuré dans les communes rurales !
Il convient de prévoir, dans ces conventions, un financement par le système bancaire et par la commune si elle le souhaite. Mais si le financement repose entièrement sur les banques, ce texte n'est pas nécessaire puisqu'elles implanteront les distributeurs là où elles le souhaiteront. Il est déjà possible de retirer de l'argent dans les commerces grâce aux points relais de certains établissements bancaires, avec deux limites : les horaires d'ouverture des commerces et l'importance du dépôt d'argent liquide nécessaire.
M. Jean-Claude Requier. - C'est un texte d'appel, qui attire l'attention sur le manque de distributeurs dans certains territoires. Une commune rurale a besoin de commerces ; ceux-ci ont besoin d'un distributeur automatique de billets ; et, enfin, le distributeur automatique de billets nécessite un espace pour se garer devant. De plus, dans le cadre des festivités, les jeunes retirent beaucoup d'argent liquide, puisque c'est le mode de paiement privilégié. Ce texte rend compte des difficultés du monde rural ; le groupe du RDSE souhaiterait qu'il soit présenté en séance en l'état.
Dernière remarque : en Occitanie, on appelle le distributeur de billets un « tiradou » ! C'est un signe que les populations se sont approprié le service et souhaitent le conserver, au bénéfice de l'économie locale.
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure. - Éric Gold, votre texte prévoit que le fonds dédié au maintien et à la création de distributeurs automatiques de billets sera financé par un fonds alimenté par les banques ainsi que par une contribution de la Caisse des dépôts et consignations. Il y a donc bien un recours à des ressources publiques.
Je partage les observations de plusieurs d'entre vous sur les nécessités liées à l'aménagement du territoire, d'autant que je suis du Jura, un département très rural. Mais il faut que votre dispositif puisse être mis en oeuvre ! Le texte mobilise une fraction de la taxe qui alimente le Fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant souscrit des emprunts à risque, financé par les établissements bancaires, mais qui est prévu uniquement pour la résorption des emprunts toxiques. Or le détournement de l'objet d'une taxe ne peut résulter, je le répète, que d'une disposition de loi de finances, aux termes l'article 36 de la LOLF. Je suis tout à fait favorable à un financement par les banques, mais c'est techniquement impossible dans la rédaction retenue.
Un décret fixera, avant la fin de l'année, le montant maximal autorisé du « cashback », qui n'est pas encore connu. Dans ce cadre, une commission serait prélevée par le commerçant.
J'ai pris note de vos doutes à l'égard du Fisac. J'ai proposé cette solution dans l'esprit de l'abondement de ce fonds, voté par notre commission la semaine dernière notamment pour financer l'entretien des 2 000 stations-service de proximité. Je conviens cependant que l'on ne peut pas trop demander à La Poste. Comme Thierry Carcenac. je siège dans une commission départementale de présence postale territoriale... J'y entends les représentants de l'entreprise nous répéter combien le maintien d'une présence postale est difficile et coûteux. L'obligation d'implantation des distributeurs automatiques de billets ajoutera à ces difficultés, et nous n'avons pas intérêt à porter atteinte à la compétitivité de La Poste. Les efforts demandés doivent être soutenables.
Yvon Collin, je suis tout à fait d'accord avec vous : les zones blanches sont inacceptables, et c'est précisément l'objet de mon premier amendement que de permettre la mobilisation du Fisac pour les commerces situés dans ces zones. Ceux-ci subissent une double peine : l'absence d'accès au numérique est aggravée par l'impossibilité d'installer des terminaux numériques pour cartes bleues.
Je rappelle qu'il existe 4 000 points relais chez des commerçants, sur la base de conventions entre ceux-ci et les organismes bancaires. Les points retraits, sur le même principe, seraient en effet une solution économique, comme l'a souligné Thierry Carcenac.
Pour répondre à Patrice Joly, le financement par les banques peut se défendre, mais il n'est techniquement pas possible. En revanche, je partage l'avis selon lequel il faut éviter la concurrence inutile.
La transition que vous avez évoquée sera courte. Les paiements par carte bancaire ont augmenté de 43 % et les paiements sans contact ont été multipliés par cinq entre 2015 et 2017. Ce ne sont pas les campagnes, mais les villes qui ont réduit l'accès aux espèces. Les 17 000 points postaux desservent une population âgée, utilisatrice du livret postal.
Je répète que l'obligation d'implanter un distributeur automatique de billets dans un point de présence postale n'implique pas que ce distributeur automatique de billets appartienne à La Banque postale.
J'en conviens, Jean-Marc Gabouty, les espèces peuvent être nécessaires au tourisme, mais, surtout, il n'est pas acceptable que des commerçants, dans les territoires non couverts numériquement, ne puissent pas installer des terminaux de carte bancaire.
Enfin, je comprends et respecte la position exprimée par Jean-Claude Requier, même si je pensais être parvenue à un accord avec Éric Gold. En l'état je proposerai un rejet du texte, qui pose un problème de forme : je vous renvoie à l'article 36 de la LOLF.
M. Jean-Claude Requier. - Le groupe du RDSE se ralliera à l'avis de l'auteur de la proposition de loi.
M. Éric Gold, auteur de la proposition de loi. - Je souhaite que ce texte d'appel puisse être discuté tel quel en séance publique, pour que soient évoquées les problématiques du clivage entre l'urbain et le rural, les zones couvertes et les zones non couvertes, celles qui sont abandonnées par les services et celles où ils s'y maintiennent. Le groupe du RDSE pourra lui aussi y apporter des amendements.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Laissons la proposition de loi être discutée en séance publique dans sa formulation initiale, ne nous y opposons pas, nous aurons le débat dans l'hémicycle et la rapporteure aura l'occasion d'exprimer à nouveau sa position.
M. Vincent Éblé, président. - Les propositions formulées par notre rapporteure Sylvie Vermeillet pourront être reprises sous forme d'amendements de séance.
L'amendement COM-1 rectifié est retiré, ainsi que les amendements COM-2 et COM-3.
La proposition de loi est adoptée sans modification.
La réunion est close à 16 heures 05.
Mercredi 14 novembre 2018
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 8 h 35.
Projet de loi de finances pour 2019 - Examen des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2019 - Tome II du rapport général
M. Vincent Éblé, président. - Nous examinons ce matin les amendements présentés par le rapporteur général sur la première partie du projet de loi de finances pour 2019. Celui-ci comptait à l'origine 39 articles. À la suite de son examen par l'Assemblée nationale, ce nombre a plus que doublé et en compte désormais 87.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je regrette tout d'abord que nous travaillions dans des conditions toujours difficiles. Nous avons eu parfois du mal à chiffrer les mesures que nous allons vous présenter faute de réponse de nos interlocuteurs, très occupés.
Ces amendements sont de trois ordres. Une part d'entre eux visent à répondre à la préoccupation que les Français expriment tous les jours, en particulier ce week-end, en matière de fiscalité énergétique et écologique, qui augmente très fortement. L'année dernière, nous avions refusé d'entériner une hausse de la trajectoire pluriannuelle, jusqu'en 2022, de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui représentait 46 milliards d'euros de fiscalité cumulée. Nous avions alors avancé comme motif qu'on ne pouvait pas voter une hausse aussi importante sans que celle-ci soit davantage connectée au cours du baril, qui a fortement augmenté depuis l'année dernière. En outre, moins de moyens sont consacrées à la transition énergétique : en particulier, le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) est passé de 1,6 milliard d'euros à 880 millions d'euros, cependant que les autres postes n'augmentent pas. Conformément au vote du Sénat l'an passé, je vous proposerai donc un gel de la trajectoire de la TICPE.
Je propose également un amendement visant à lisser le coût du gazole non routier (GNR), même s'il est moins soumis à la TICPE que les autres carburants. Ce qui est en tout cas inacceptable pour les entreprises, c'est la brutalité de la hausse dès le 1er janvier 2019 alors même qu'elles ont des contrats en cours. Elles se verraient ainsi imposer le triplement de la TICPE, ce que ne pourraient encore moins absorber les PME, faute de pouvoir répercuter cette hausse sur leurs tarifs.
Je vous propose également un amendement relatif à la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), qui doit augmenter très fortement dans les années prochaines. Cette augmentation obligera les collectivités à augmenter leur taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM), sans que cela soit compensé par le passage à 5,5 % du taux de TVA pour certaines prestations de gestion des déchets, qui ne concerne d'ailleurs que les collectivités territoriales qui ne sont pas en régie.
Je vous présente également des amendements techniques visant à améliorer ou à supprimer, s'ils sont aberrants, les dispositifs votés par l'Assemblée nationale.
Je rappelle que les membres du groupe de travail de notre commission sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ont auditionné des représentants de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), de la Direction de la législation fiscale (DLF), de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) sur la fraude à la perception de dividendes, certains jouant sur les conventions fiscales très avantageuses. Avec les membres du groupe de suivi, nous proposerons prochainement un amendement visant à mettre fin à ces pratiques.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.1 vise à supprimer cet article, dans la ligne de l'an passé. Le dispositif d'incitation fiscale à l'investissement locatif, « Pinel », prévu pour les zones tendues, a été étendu aux territoires couverts par un contrat de redynamisation de site de défense (CRSD) à l'initiative de l'Assemblée nationale par la loi de finances pour 2018. Cet article propose un aménagement qui l'étend encore un peu. Or, sur ces territoires, de nombreux logements se libèrent du fait du départ des militaires. Le souci de ces territoires en grande difficulté, c'est non pas prioritairement le manque de logements, mais de conserver leurs habitants.
L'amendement de suppression FINC.1 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Dans un arrêt du 26 février 2015 « de Ruyter », la Cour de justice de l'Union européenne a estimé que les prélèvements sociaux sur les revenus du capital ne peuvent être perçus sur les revenus de personnes relevant d'un régime de sécurité sociale d'un autre État membre de l'Union européenne, lorsqu'ils présentent un lien direct avec certaines des branches de sécurité sociale. Le Gouvernement entend faire passer de 20 % à 30 % le taux d'imposition minimum sur les salaires, pensions et rentes viagères à titre gratuit de source française des non-résidents perçus ou réalisés à compter du 1er janvier 2018. Rien ne justifie que les non-résidents fiscaux résidant en dehors de l'Union européenne, et qui ne sont donc pas concernés par l'exonération de prélèvements sociaux sur les revenus du capital proposée par le Gouvernement, financent une réforme dont ils ne bénéficieront pas. Nous proposons qu'on s'en tienne au taux de 20 %. C'est l'objet de l'amendement FINC.2.
L'amendement FINC.2 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le Gouvernement nous a fait une petite entourloupe en réalisant une économie substantielle au détriment des collectivités territoriales. Cet article transforme un dégrèvement exceptionnel de taxe d'habitation (TH), dont devaient bénéficier certains contribuables au titre de 2018, en une exonération de TH. Il prévoit également le dégrèvement de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) pour cette même année et étend le dispositif à certains contribuables. Le coût net de cette mesure serait de 77 millions d'euros, financé à hauteur de 56 millions d'euros par les collectivités territoriales ! Par cet amendement FINC.3, nous proposons que ces mesures soient à la charge de l'État.
L'amendement FINC.3 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement de précision FINC.4 vise à s'assurer que les dépenses de structures et les dépenses indirectes liées au service entrent dans le champ des dépenses pouvant être financées par la TEOM.
L'amendement FINC.5 vise à supprimer la possibilité d'augmenter de 10 % le produit de la TEOM lors de la mise en place de la part incitative et à prévoir, en contrepartie, des frais de gestion de l'État à 0 % pendant trois ans lors de cette même mise en place.
M. Claude Raynal. - Nous proposerons un amendement plus précis que l'amendement FINC.4. Que recouvrent les charges indirectes ?
M. Philippe Dallier. - Que couvre le champ des dépenses pouvant être financé par la TEOM ? Des collectivités ont été condamnées pour y avoir inclus toutes sortes de dépenses. Cet article clôt-il ainsi le débat ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le contentieux porte essentiellement sur l'inclusion ou non de dépenses d'investissement.
M. Philippe Dallier. - Pas seulement !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cet article et cet amendement visent précisément à éviter ce genre de situation et à prévenir le risque contentieux.
M. Claude Raynal. - L'Assemblée nationale a dans un premier temps voulu fixer un taux de 15 %, taux admis par la jurisprudence. Le ministre l'a refusé au motif qu'on ne pouvait fixer ainsi une mesure d'ordre général. D'où la volonté de définir précisément ce que recouvrent ces charges. Nous proposerons de fixer un taux maximum de 15 % sous réserve de définir précisément le champ de ces dépenses éligibles.
L'amendement de précision FINC.4 est adopté.
L'amendement FINC.5 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.6 vise à créer une franchise sur la TGAP, qu'augmente le Gouvernement, lequel réduit certes de 10 % à 5,5 % le taux de TVA applicable à certaines prestations de gestion des déchets, mais qui ne permet pas de compenser totalement la hausse de la TGAP. Le compte n'y est pas et cela constitue un surcroît de recettes pour l'État, notamment au détriment des collectivités locales. En effet, le recentrage du champ de la TGAP ne couvre pas les déchets pour lesquels aucune alternative au stockage ou à l'incinération n'est possible - un tiers environ. Cette franchise, qui serait donc d'environ 30 % à l'heure actuelle, correspond à cette part non recyclable. Par ailleurs les collectivités en régie ne sont pas soumises à la TVA. Par conséquent, le Gouvernement exagère le bénéfice lié à la baisse de la TVA.
M. Marc Laménie. - Il est indiqué dans l'objet de cet amendement que « au total, le surcoût de la hausse de la TGAP déchets cumulés jusqu'en 2025 représenterait 851 millions d'euros ». Qu'est-ce qui justifie une telle augmentation ? C'est un dilemme : nous encourageons nos concitoyens au tri sélectif, en ayant le sentiment que cela conduit à un alourdissement des charges.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est une mesure de rendement. Nous aurons le même débat sur la fiscalité énergétique : l'idée est que, si le litre de gazole coûte 2 euros, les gens n'achèteront plus de voitures diesel. Et si l'on augmente la TGAP, les gens seront davantage incités à trier. Mais c'est oublier cette part de déchets pour lesquels il n'existe aujourd'hui aucune solution de valorisation. À terme, ce seront 851 millions d'euros supplémentaires de taxes, ce que ne couvre pas la baisse du taux de TVA.
M. Bernard Delcros. - J'approuve ce principe de la franchise : nous sommes tous d'accord pour favoriser le tri sélectif et les choses ont bien évolué ces quinze dernières années. Mais toute taxe incitative est vaine en l'absence de solution alternative. Près d'un tiers des déchets ne peuvent pas être valorisés.
L'amendement FINC.6 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.7 a pour objet d'abroger la taxe sur les ordres annulés dans le cadre d'opérations à haute fréquence, d'un rendement nul.
L'amendement FINC.8 vise à maintenir l'existence de la taxe annuelle sur les friches commerciales, supprimée par l'Assemblée nationale. Cette taxe comportementale peut être instituée par les communes et certains établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Depuis que je suis rapporteur général, j'ai comme principe de privilégier les libertés locales, en laissant la liberté aux élus locaux de décider des taxes qu'ils veulent ou non créer. En l'occurrence, en 2018, 235 communes et 31 EPCI ont institué cette taxe, contre 59 communes et 17 EPCI en 2012.
M. Éric Bocquet. - Concernant l'amendement FINC.7, comment savez-vous que le rendement de cette taxe est nul ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est indiqué dans le rapport Voies et moyens.
M. Claude Raynal. - Je suis d'accord avec le rapporteur général : il faut maintenir la taxe sur les friches commerciales, pour la raison qu'il a indiquée. En outre, elle est de création récente.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.9 vise à supprimer la taxe sur les radioamateurs, dont le coût de collecte représenterait 409,6 % des montants recouvrés. Créée en 1987, elle est encore en francs dans la loi !
L'amendement FINC.10 vise à reporter au 31 décembre 2019 la suppression de la taxe hydraulique.
Mme Fabienne Keller. - Je soutiens le maintien de la taxe annuelle sur les friches commerciales. De telles taxes sont en vigueur chez nos voisins allemands, et elles sont même d'un montant assez élevé. C'est pourquoi ils réhabilitent plus qu'ils n'utilisent de nouveaux terrains. Cela permet de lutter contre l'étalement urbain et de recycler les terrains.
M. Jean-Claude Requier. - Qui paye cette taxe ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Très souvent, ces friches étaient occupées par des établissements industriels qui ont été liquidés, avec tous les problèmes de pollution des sols qui se posent. C'est bien là le problème.
Les amendements FINC.7, FINC.8, FINC.9 et FINC.10 sont adoptés.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.11 est un amendement de précision.
L'amendement de précision FINC.11 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.12 vise à maintenir les dispositions relatives aux sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC) que supprime cet article.
L'amendement FINC.12 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'Assemblée nationale a complété le dispositif initial en introduisant une exemption pérenne de l'encadrement de la déductibilité pour les intérêts afférents à des infrastructures publiques de long terme, exemption qui concerne à la fois les contrats, marchés et baux déjà conclus et ceux à venir. Cette possibilité est offerte par la directive du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale dite « ATAD », laissant les États membres libres de définir le champ de cette exemption. Dans un double objectif de stabilité juridique et de préservation des recettes fiscales, il est préférable de circonscrire l'exemption de l'encadrement de la déductibilité des charges financières aux seuls contrats, baux et marchés déjà conclus.
L'amendement FINC.13 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.14 vise à abaisser à 7 % le taux d'imposition préférentiel des revenus tirés de la cession ou de la concession de brevets et d'actifs de propriété industrielle dans le cadre du nouveau régime prévu par l'article 14 du projet de loi de finances pour 2019.
Ce taux a déjà été abaissé de 15 % à 10 % par l'Assemblée nationale ; passer à 7 % nous semble indispensable pour préserver l'attractivité de la France par rapport aux autres pays, notamment en matière de brevets.
M. Éric Bocquet. - Connaît-on le coût de cette mesure ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le Gouvernement n'est même pas capable de chiffrer vraiment son propre article ! Nous n'avons pas l'information.
L'amendement FINC.14 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La transmission des entreprises, notamment familiales, est un sujet majeur. L'amendement FINC.15 vise à étendre aux sociétés unipersonnelles le bénéfice de l'exonération partielle « Dutreil » en cas de transmission de certaines entreprises. Certaines d'entre elles doivent parfois mettre la clé sous la porte faute de pouvoir en bénéficier.
Le dispositif proposé reprend un aménagement figurant dans la proposition de loi de nos collègues Claude Nougein et Michel Vaspart visant à moderniser la transmission d'entreprise, dont Christine Lavarde était rapporteur au nom de notre commission.
L'amendement FINC.16 vise à assouplir les conditions de l'engagement collectif de conservation dit post mortem, qui permet aux héritiers de bénéficier de l'exonération partielle « Dutreil » lorsque la transmission n'a pas été préparée en signant un engagement collectif dans les six mois suivant le décès. Nous reprenons là encore une disposition de la proposition de loi précitée.
L'amendement FINC.17 vise à assouplir une exigence : le bénéfice de l'exonération partielle « Dutreil » est subordonné à l'exercice d'une fonction de direction pendant la phase d'engagement collectif ainsi que pendant une durée de trois ans à compter de la transmission ; ainsi, en cas de décès du dirigeant, une exception serait introduite. Dans une telle hypothèse, si personne ne peut suppléer le défunt, il serait désormais possible aux héritiers de transmettre une ou plusieurs parts ou actions à un tiers, qui exercerait alors une fonction de direction jusqu'au terme de l'engagement.
J'en viens à l'amendement FINC.18. En principe, toute cession à un tiers par les héritiers, donataires ou légataires est prohibée et emporte de ce fait la remise en cause totale de l'exonération « Dutreil » pour son bénéficiaire. L'article 16 propose toutefois d'introduire une exception en cas de cession ou de donation à un autre signataire du pacte pendant la phase d'engagement collectif. Une telle opération entraînerait la remise en cause de l'exonération partielle pour le cédant ou le donateur à hauteur des seules parts ou actions cédées ou données. Cet amendement vise à étendre cette dérogation à la phase d'engagement individuel.
L'amendement FINC.19 est un amendement de cohérence.
Enfin, l'amendement FINC.20 vise à permettre aux redevables, dans le cadre du dispositif « Dutreil », de réaliser des donations à tout ayant cause sans remettre en cause l'exonération partielle, à condition que le donataire poursuive l'engagement individuel.
M. Bernard Lalande. - Il faut aussi sécuriser ce que recouvre un pacte familial. Bon nombre d'entreprises peuvent être mises en difficulté lors de successions ; c'est pourquoi il faut renforcer le pacte familial de façon à lui permettre de profiter de l'avantage fiscal.
M. Claude Raynal. - Nous proposerons pour notre part des amendements tendant à restreindre le champ de l'article 16. Si l'on y ajoute les propositions du rapporteur général, cela fait quand même beaucoup.
M. Claude Nougein. - Ce sont des amendements de souplesse, et non d'élargissement. Il faut éviter qu'une disposition mineure empêche d'appliquer le « pacte Dutreil », qui a permis de sauver des milliers d'emplois et à des entreprises de rester dans le giron familial. Comme tous les textes, il faut l'ajuster, ce à quoi s'emploient ces amendements, dont le coût budgétaire est minime.
M. Claude Raynal. - Ce n'est jamais qu'un transfert de taxation : si, in fine, les héritiers revendent, c'est là que se fait la taxation.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il s'agit de prévoir des cas aléatoires, comme un décès, afin d'éviter la vente ou la disparition de l'entreprise.
Les amendements FINC.15, FINC.16, FINC.17, FINC.18, FINC.19 et FINC.20 sont adoptés.
Article additionnel après l'article 16
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.21 vise à proposer une définition législative commune du concept de holding animatrice, dont les contours demeurent aujourd'hui très incertains.
À titre de rappel, les sociétés holding passives, simples gestionnaires d'un portefeuille mobilier, ne peuvent bénéficier de certains avantages fiscaux en raison de la nature civile de leur activité, contrairement aux holdings animatrices, qui sont assimilées aux sociétés exerçant une activité commerciale.
M. Alain Joyandet. - Pour que les holdings soient considérées comme animatrices sur le plan fiscal, elles devaient satisfaire à trois critères : être majoritaires, animatrices des groupes et que les administrateurs soient les mêmes. Maintient-on ce cadre ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous apportons des éléments de souplesse, notamment en prévoyant des renvois vers le dispositif « Dutreil », sans remettre fondamentalement en cause les critères de définition d'une holding animatrice, notamment dans le cas d'une activité mixte. Nous tenons compte également de plusieurs décisions récentes du Conseil d'État.
L'amendement FINC.21 est adopté et devient article additionnel.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.22 vise à étendre jusqu'au 31 décembre 2024 la période pendant laquelle les détenteurs de parts ou actions de carried interest dans des fonds hors de France peuvent transférer leur domicile fiscal en France et bénéficier du régime d'imposition tel que prévu par l'article 16 bis.
Le dispositif tel qu'adopté à l'Assemblée nationale prévoit que seuls les détenteurs de part ou actions de carried interest établissant leur domicile fiscal en France entre le 11 juillet 2018 et le 31 décembre 2022 peuvent bénéficier du nouveau régime d'imposition, soit pendant une durée de quatre ans et demi. Il faut renforcer l'attractivité de la place financière de Paris pour les gestionnaires de fonds d'investissement qui pourraient opter pour une domiciliation fiscale en France après le Brexit.
L'amendement FINC.23 vise à clarifier les parts ou actions de carried interest bénéficiant du régime fiscal défini au 9 du II de l'article 150-0 A du code général des impôts.
Les amendements FINC.22 et FINC.23 sont adoptés.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.24 est un amendement rédactionnel.
L'amendement rédactionnel FINC.24 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'article 28 de la loi de finances pour 2018 a instauré le prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 12,8 % sur les revenus du capital perçus par des personnes physiques. Toutefois, le régime dérogatoire des plans d'épargne en actions (PEA et PEA-PME) n'a pas été modifié par l'instauration de ce PFU. Ainsi, dans le cas d'un retrait ou d'un rachat intervenant dans les cinq années suivant leur ouverture, les gains constatés sont imposables au titre de l'impôt sur le revenu au taux de 22,5 % si le retrait ou l'achat intervient avant l'expiration de la deuxième année, ou au taux de 19 % s'il intervient postérieurement. Par conséquent, l'amendement FINC.25 vise à aligner l'imposition des gains constatés dans le cadre d'un PEA et d'un PEA-PME lors d'un rachat ou retrait anticipé sur celle applicable aux autres revenus du capital en les faisant entrer dans le champ du PFU.
L'amendement FINC.25 est adopté.
Article 16 quinquies (nouveau)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'article 16 quinquies porte de 60 % à 70 % le taux minimum de distribution par les sociétés d'investissements immobiliers cotées (SIIC) des bénéfices issus des cessions d'immeubles. Il semble préférable de préserver la stabilité juridique de ce dispositif. C'est pourquoi nous proposons, par cet amendement FINC.26, de supprimer cet article.
L'amendement de suppression FINC.26 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le Premier ministre s'était engagé, lors de la mise en place de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), à ce qu'aucun contribuable ne paie davantage que ce qu'il payait jusqu'alors au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Or tel n'est pas le cas : certains contribuables paient plus qu'avant.
Ainsi, l'amendement FINC.27 vise à assurer la complète neutralité de l'IFI au regard de l'organisation de la fonction immobilière au sein des groupes. En effet, lorsque le contribuable détient une participation dans une holding de tête passive, les immeubles détenus par la holding et affectés à l'activité opérationnelle des filiales qu'elle contrôle ainsi que les immeubles détenus par une filiale et affectés à l'activité opérationnelle d'une autre filiale ne peuvent être exonérés. Ces derniers auraient pourtant pu l'être s'ils avaient été détenus directement par la filiale exerçant l'activité opérationnelle à laquelle ils sont affectés. Aussi, le présent amendement vise à ce que le contrôle des filiales et l'affectation à une activité opérationnelle soient désormais suffisants pour pouvoir bénéficier du régime d'exclusion au titre de l'immobilier professionnel.
M. Claude Raynal. - L'année dernière, vous étiez pour la suppression de l'IFI, et maintenant vous le modifiez !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cette année, le Gouvernement reconnaît lui-même, à travers cet article 16 octies, que l'IFI, à la suppression duquel je demeure favorable, comporte des incohérences et des imprécisions. J'en profite donc pour présenter mes amendements.
M. Alain Joyandet. - Normalement, les bâtiments abritant l'activité de l'entreprise étaient exonérés d'ISF, et s'ils n'y étaient pas totalement consacrés, un calcul se faisait au prorata. Dans le cas d'un bâtiment industriel placé dans une société civile immobilière (SCI) dont le propriétaire n'est pas forcément l'exploitant de l'entreprise, que se passe-t-il ? Est-il assujetti à l'IFI ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Si le dirigeant de l'entreprise possède, à titre personnel, cette SCI et loue ces bâtiments à un tiers pour une activité opérationnelle, il est soumis à l'IFI. Si la location des bâtiments est destinée à l'activité opérationnelle d'une société au sein de laquelle le dirigeant exerce son activité principale, ce dernier bénéficie de l'exonération au titre des biens professionnels.
M. Alain Joyandet. - Avec la réforme, celui qui a des comptes courants dans son groupe n'est plus soumis à l'IFI, alors qu'il l'était à l'ISF. L'amendement règle-t-il le problème du bâtiment qui appartient au dirigeant et qui abrite son entreprise, placé dans une SCI ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement ne concerne pas le régime d'exonération des biens professionnels mais le régime d'exclusion pour l'immobilier professionnel des groupes. Ce sont deux régimes différents !
M. Alain Joyandet. - Prenons le cas d'un dirigeant actionnaire de son entreprise, qui y possède des comptes courants, et qui détient par ailleurs 100 % d'une SCI où il loge son entreprise. Paie-t-il sur le bâtiment ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Si le dirigeant y exerce son activité principale, l'exonération au titre des biens professionnels peut s'appliquer. Mais ce n'est pas l'objet de notre amendement qui concerne l'exclusion de l'immobilier des groupes.
S'agissant de l'amendement FINC.28, il vise à assouplir les exigences requises pour qualifier une société mixte opérationnelle au titre de l'IFI. On s'aligne sur les critères du régime « Dutreil ».
L'amendement FINC.29 vise à ce que les loueurs en meublé professionnel puissent bénéficier de l'exonération au titre des biens professionnels en matière d'IFI dans les mêmes conditions qu'en matière d'ISF.
L'amendement FINC.30 vise à introduire une exonération partielle d'IFI, à hauteur de 75 %, pour les biens qui font l'objet d'une convention à loyer très social. Cela concerne des propriétaires qui acceptent de placer sur le marché locatif un logement avec en retour un rendement très faible et qui, en plus, sont assujettis à l'IFI.
M. Alain Joyandet. - Je reviens sur les deux amendements précédents. Si je comprends bien, le chef d'entreprise qui possède un bâtiment professionnel ne logeant que son entreprise dont il est propriétaire sera soumis à l'IFI ; en revanche, celui qui loue des meublés professionnels habités par une personne qui n'a rien à voir avec lui sera exonéré.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Non !
M. Alain Joyandet. - L'amendement FINC.29 vise bien à exonérer les loueurs en meublé professionnel.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ils sont exonérés au titre des biens professionnels s'ils exercent leur activité dans ce cadre à titre principal. Dans le premier cas que vous citez, celui du chef d'entreprise, il est également exonéré au titre des biens professionnels, s'il exerce son activité principale dans l'entreprise.
M. Alain Joyandet. - J'ai cité le cas d'un entrepreneur dont le bâtiment professionnel serait logé dans une SCI dont il serait actionnaire. Est-il soumis à l'IFI ? Vous m'avez dit oui. Et là, votre amendement tend à exonérer les loueurs en meublé professionnel.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La règle ne change pas : l'outil de travail était exonéré d'ISF à condition de représenter l'activité principale. Là, vous citez le cas de quelqu'un qui possèderait un patrimoine diversifié, notamment une SCI. Si les immeubles sont loués à une entreprise opérationnelle tierce dans laquelle le redevable n'exerce pas son activité principale, il n'y a pas d'exonération.
L'IFI est moins clair que l'ISF dans la mesure où, avant, les dettes étaient entièrement déductibles ; avec l'IFI, on ne peut déduire que les seules dettes relatives à l'immobilier. Il y a des clauses anti-abus pour les comptes courants d'associés.
M. Philippe Dallier. - L'amendement FINC.30 est un excellent amendement. A-t-on une idée de son coût ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Non, mais cela concerne des locations avec des plafonds de loyer très faibles.
L'amendement FINC.31 vise à modifier les modalités de calcul du plafonnement de l'IFI pour tenir compte de l'érosion monétaire, sujet qui fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité.
Enfin, l'amendement FINC.32 vise à ce que les modalités d'entrée en vigueur du prélèvement à la source ne pénalisent pas les contribuables bénéficiant du mécanisme de plafonnement de l'IFI. Nous proposons à cet effet d'introduire une dérogation permettant de ne pas imputer le crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement (CIMR) pour le calcul du plafonnement de l'IFI.
Les amendements FINC.27, FINC.28, FINC.29, FINC.30, FINC.31 et FINC.32 sont adoptés.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.33 vise à transposer au dispositif Dutreil-ISF certains assouplissements apportés au pacte Dutreil prévu en matière de transmission à l'article 16 du présent projet de loi de finances,
L'amendement FINC.33 est adopté.
Article additionnel après l'article 17
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous avions organisé une table ronde sur le mécénat. Les grands groupes connaissent parfaitement les dispositions fiscales qui lui sont relatives ; en revanche, les PME pourraient davantage s'investir dans un mécénat de proximité. Par cet amendement FINC.34, je propose de favoriser le mécénat local en introduisant, dans le cadre de la réduction de 60 % d'impôt sur les bénéfices ouverte aux entreprises pour les dons qu'elles versent, une franchise de 10 000 euros en-deçà de laquelle le plafond de 5 %o du chiffre d'affaires ne trouve pas à s'appliquer. La direction de la législation fiscale s'est montrée ouverte à cette idée. Une entreprise réalisant un chiffre d'affaires de 100 000 euros ne peut pas aller au-delà de 500 euros dans ses actions de mécénat, ce qui est ridicule.
Mme Nathalie Goulet. - Je suis très favorable à ce dispositif, d'autant que, après la suppression de la réserve parlementaire, nous avons beaucoup de mal à financer un certain nombre de travaux.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - De surcroît, on enregistre moins de dons avec la mise en place du prélèvement à la source et la suppression de l'ISF.
L'amendement FINC.34 est adopté et devient article additionnel.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.35 est rédactionnel et l'amendement FINC.36 vise à supprimer une disposition inutile.
L'amendement rédactionnel FINC.35 est adopté.
L'amendement FINC.36 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.37 maintient l'option de blocage des stocks en cas de transmission d'exploitation.
L'amendement FINC.37 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.38 prévoit que les coopératives d'habitations à loyer modéré (HLM) puissent elles aussi transférer les déficits à la société absorbante en cas de fusion.
M. Philippe Dallier. - C'est une mesure bienvenue, dans le contexte d'application de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN).
L'amendement FINC.38 est adopté.
Article additionnel après l'article 18 duodecies (nouveau)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.39 supprime la trajectoire des tarifs de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour les années 2019 à 2022. Il garde le tarif de 2018 et ne prévoit pas de hausse supplémentaire. Comment fixer dès à présent le tarif de 2022 alors que personne ne peut prévoir le coût de l'énergie à cette date ? Concrètement, avec cet amendement, le tarif de 2018 s'appliquera jusqu'en 2022 si l'on ne revient pas dessus, conformément à notre vote de l'année dernière.
M. Vincent Éblé, président. - C'est un sujet politique important, dont nous débattrons en séance publique.
L'amendement FINC.39 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le gazole non routier (GNR) est utilisé par de nombreuses entreprises, comme les gravières ou le matériel de travaux publics, qui bénéficient d'un tarif réduit de TICPE de 18,82 centimes d'euro par litre. L'article 19 prévoit d'augmenter brutalement ce taux à 64,76 centimes d'euro le litre en 2019, en supprimant ce tarif réduit pour les entreprises industrielles.
Une PME ou une entreprise du bâtiment utilise le GNR pour tous ses engins, de même que les exploitations agricoles. Les transports frigorifiques utilisent du gazole routier pour rouler et le GNR pour leur groupe froid. Cela reviendrait à une augmentation de 46 centimes d'euro par litre d'essence, soit un triplement de la taxe. Les grands groupes du bâtiment et des travaux publics (BTP) sont souvent déjà couverts par leurs contrats, alors que les PME ne peuvent pas répercuter une telle hausse, surtout aussi brutale. Cela pèsera sur leur compétitivité. Les industries extractives devraient perdre 2,48 points de marge l'an prochain, l'industrie métallurgique 0,43 point et l'industrie chimique 0,5 point. Et ces sommes bénéficieront au budget de l'État... Mon amendement FINC.40 prévoit un lissage sur deux ans, la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable propose quatre ans...
M. Vincent Éblé, président. - J'ai été interpellé par les dirigeants d'une gravière ; cette augmentation représenterait 14 % de sa masse salariale, et aurait un effet négatif équivalent à 3,5 fois le CICE. C'est un choc de compétitivité à l'envers !
M. Jacques Genest. - Vous pouvez ajouter à la liste les collectivités territoriales qui doivent assurer le déneigement en montagne...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Oui, et celles qui fauchent. Inéluctablement, les collectivités subiront aussi l'augmentation des prix répercutée par les entreprises de BTP. C'est une fiscalité supplémentaire.
M. Jacques Genest. - Les stations de ski particulièrement...
M. Alain Joyandet. - L'État prélève un milliard d'euros supplémentaires. Vous proposez seulement d'étaler sur deux ans ?
M. Vincent Éblé, président. - Oui, le rapporteur général est raisonnable et modéré !
M. Alain Joyandet. - Le Gouvernement peine à trouver des recettes...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je préfèrerais qu'on trouve des économies...
M. Alain Joyandet. - Au moment où nous avons supprimé les 2,9 milliards d'euros relatifs à la trajectoire des tarifs de la TICPE, je préfèrerais que nous supprimions cet article. Cela coûtera très cher aux entreprises.
Pouvez-vous expliciter les chiffres cités dans l'objet de l'amendement ? Au début, vous mentionnez une taxe passant de 18,82 à 64,76 centimes d'euros, et à la fin de l'objet une taxe atteignant dans un premier temps 39,11 puis 59,40 centimes d'euros. Pourquoi n'est-ce pas 64,76 centimes d'euros en fin de trajectoire ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Mon amendement précédent a gelé le taux de la TICPE, ce qui correspond au tarif de 59,40 centimes d'euros en fin de trajectoire ; 64,76 centimes était le tarif prévu en se fondant sur la trajectoire de la TICPE du PLF 2018 - que nous avons rejetée. Nous allons plus loin que le Gouvernement en gelant la TICPE.
M. Alain Joyandet. - Cela a-t-il une incidence sur le GNR ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Oui, l'article 265 du code des douanes comporte un tableau avec tous les tarifs possibles.
M. Alain Joyandet. - Si l'amendement précédent n'est pas adopté, il faudra remettre les pendules à l'heure...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Bien sûr, nous déposerons alors un sous-amendement. La brutalité de l'augmentation est injustifiée.
M. Claude Raynal. - Amendons davantage. Un lissage sur deux ans n'en est pas vraiment un... Les collectivités subiront la surfacturation de leurs fournisseurs. Je suis favorable à un lissage sur plus long terme.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - On pourrait s'interroger sur l'existence de ce GNR, mais la brutalité de la mesure est injustifiée. Deux ans de délai permettraient de s'adapter plus facilement. Ces deux amendements ont déjà pour conséquence une perte cumulée de recettes de 3,4 milliards d'euros pour l'État, raison pour laquelle je ne propose pas la suppression de l'article 19.
M. Arnaud Bazin. - Quelle est la taxation du GNR dans les pays voisins ? Le secteur du transport frigorifique a des marges très faibles, de l'ordre de 1 %. La mesure du Gouvernement risque de favoriser les transporteurs étrangers...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je n'ai pas de réponse à ce stade. L'article a une vocation écologique, mais le produit supplémentaire ne reviendra pas à la transition énergétique : il pénalise la compétitivité de l'industrie française et les collectivités.
M. Emmanuel Capus. - Je partage l'avis d'Arnaud Bazin sur la compétitivité. Ce n'est pas une mesure écologique car les entreprises n'ont pas d'alternative - il n'y aura pas d'engins de chantier électriques avant longtemps - tandis que pour le gazole routier, les particuliers pourront, à terme, changer de véhicule. Les collectivités devront payer un surcoût pour la construction des routes et le terrassement. Enfin, les grands groupes pourront répercuter le surcoût, alors que les PME n'auront aucune capacité de négociation avec leurs donneurs d'ordres - je m'en inquiète.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Tout à fait. Les PME verront leurs marges réduites, sans alternative. Il existe des tractopelles électriques, mais seulement en modèle jouet pour enfants.... Ils fonctionneront au gazole pendant encore très longtemps. Étaler davantage cette surtaxe sur les coûts de production est coûteux.
M. Alain Houpert. - Au-delà des recettes fiscales, les entreprises de BTP le répercuteront sur leur facture. Les maîtres d'ouvrage voudront aussi réaliser des économies : les routes seront sous-dimensionnées et de moindre qualité. Voyez la situation actuelle : le bitume est de plus mauvaise qualité lorsque le prix du brent est cher.
M. Philippe Adnot. - C'est un amendement de repli. Pour une fois, je suis d'accord avec Claude Raynal. Il faudrait étaler davantage dans le temps, ou mieux, déposer un amendement de suppression. Toute entreprise française qui exporte des produits agricoles utilisera des transporteurs étrangers...
M. Vincent Capo-Canellas. - Je suis favorable à la progressivité, même si elle ne règlera pas le problème. Les charges seront-elles réduites pour compenser ? Le Gouvernement doit nous répondre.
M. Jean-Marc Gabouty. - Je suis favorable au lissage sur deux ans, mais trois ans auraient été préférables, notamment pour sortir des contraintes des marchés publics. Les PME répercutent le surcoût sur les prix. Concernant les transporteurs, la plupart des produits sont distribués sur le marché intérieur. La comparaison avec l'Espagne nous est moins favorable, celle avec l'Allemagne davantage car le gazole y est davantage taxé. Je remarque qu'on ne fait pas autant de bruit lorsque les prix d'autres matières premières flambent...
Enfin, vous l'observez dans vos communes, les commissions d'appels d'offres, pour des réalisations coûtant de quelques centaines de milliers d'euros à quelques millions d'euros, sont plutôt confrontées à l'absence de réponses !
M. Roger Karoutchi. - Nous ne sommes pas là pour creuser les déficits ; nous sommes responsables et rationnels. En face, le Gouvernement est irresponsable et irrationnel, lorsqu'il supprime la taxe d'habitation et creuse le déficit de plusieurs milliards d'euros. Nous sommes raisonnables. Que le Gouvernement fasse un geste et soit plus responsable, et nous resterons dans notre rôle. La faute incombe d'abord au Gouvernement ; nous défendons les particuliers et les entreprises.
M. Bernard Delcros. - En dehors des transporteurs frigorifiques, ce sujet ne concerne pas le transport routier. Je suis plutôt favorable à un lissage.
M. Alain Joyandet. - Selon le rapporteur général, les grands groupes s'en sortent mais pas les PME. L'agriculture est exemptée, de même que la SNCF. Plutôt que de lisser ou de supprimer, ne peut-on déterminer un seuil - par exemple 100 ou 250 salariés - en dessous duquel les entreprises seraient exonérées ? Ce ne serait pas une niche supplémentaire, car toutes les PME seraient dans la même niche.
M. Jérôme Bascher. - Nous essayons de trouver des recettes. Pourquoi la SNCF serait-elle exonérée alors qu'elle oublie d'électrifier certaines lignes, notamment dans la vallée de l'Arve ? Taxer la SNCF, qui a des alternatives, contrairement à d'autres, nous apporterait des financements. Un tel équilibre est souhaitable.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'augmentation de la TICPE, votée l'année dernière, pèse sur tout le monde. L'amendement FINC.40 tient aussi compte du gel des tarifs, - pour un coût total de 2,9 milliards d'euros - et permet aux entreprises d'adapter les contrats en cours. Cependant, les grands groupes répercuteront sur leurs tarifs, ce sera plus difficile pour les PME.
La proposition de distinguer les PME est séduisante, mais il faut n'y avoir qu'une seule pompe pour tous les véhicules du chantier, qu'il s'agisse d'un grand groupe ou de sous-traitants. Les agriculteurs, eux, ont un réservoir propre sur leur exploitation, tandis que les terrassiers n'en ont pas lorsqu'ils sont sur un chantier.
M. Vincent Éblé, président. - Nous pouvons en discuter en séance publique !
M. Philippe Dallier. - Réservons la position de la commission sur cet article le temps de trouver un consensus entre nous.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je suis d'accord, réservons l'article en attendant de trouver la bonne formulation de l'amendement.
M. Jacques Genest. - Les agriculteurs se font-ils rembourser ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Tout à fait.
L'amendement FINC.40 est retiré.
L'article 19 est réservé.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.41 permet d'éviter la minoration des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle en 2019.
L'amendement FINC.41 est adopté.
M. Vincent Éblé, président. - L'amendement FINC.42 est de clarification et de coordination.
M. Victorin Lurel. - Cet article concerne le revenu de solidarité active (RSA) de Guyane et Mayotte. Attention à la recentralisation du RSA, demandée par les collectivités. Lorsque le RSA était géré par les départements, il fallait cinq ans de présence régulière sur le territoire pour que les migrants le touchent. Désormais, l'État demande 15 ans de présence sur le territoire. Je comprends l'enjeu de la pression migratoire en Guyane et à Mayotte, mais le principe me gêne...
M. Vincent Éblé, président. - Cela s'appelle voir midi à sa porte. Lorsque l'État accepte quelque chose, cherchez d'abord pourquoi !
M. Victorin Lurel. - Je reviens sur les articles 4, 5, 11 et 11 bis relatifs à l'outre-mer qui sont d'une brutalité extrême. Débattons de la trajectoire en séance publique.
M. Arnaud Bazin. - Si l'État modifie les conditions d'attribution du RSA, recalcule-t-il les fonds alloués aux départements qu'il récupère ensuite ?
M. Vincent Éblé, président. - Je vous invite à vous rapprocher de nos collègues d'outre-mer sur ce sujet.
L'amendement FINC.42 est adopté.
Article 28
L'amendement FINC.43, de coordination avec l'amendement FINC.41, est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.44 opère une correction technique sur une taxe affectée.
L'amendement FINC.44 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous avions déjà voté l'amendement FINC.45 relatif à la « taxe Chirac » sur les billets d'avion. Celle-ci rapporte plus que prévu, et le surplus n'est pas reversé au développement mais au budget de l'État - désormais au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA). Réduisons cette taxe ou affectons la part qui lui revient au développement, plutôt que de l'écrêter à hauteur de 7 à 8 millions d'euros. La Cour des comptes l'avait également préconisé.
M. Vincent Capo-Canellas. - Je voterai cet amendement, qui appartient aux mesures qui auraient dû sortir des assises du transport aérien pour le PLF 2019. Le secteur aérien attend toujours des propositions concrètes...
L'amendement FINC.45 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.46 supprime l'obligation de réunion pour les chambres de commerce et d'industrie infra-départementales dont le périmètre comprend 70 % de communes classées en zone de revitalisation rurale, cavalier législatif qui réglait le cas d'une seule chambre.
L'amendement FINC.46 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement FINC.47 réduit les taux des abattements pour vétusté du droit annuel de francisation et de navigation (DAFN). Ce droit est une recette du Conservatoire du littoral. Un abattement pour vétusté était prévu au bout de dix ans. Comme les navires vieillissent, il y a de moins en moins de recettes. L'article 29 ter supprime cet abattement pour les nouveaux entrants dans ces abattements à compter de 2019, je propose simplement de le réduire.
M. Gérard Longuet. - De quelles sommes parle-t-on ? C'est une brimade dont la rentabilité est extrêmement faible, et les ports de plaisance sont encombrés de vieux navires qui ne sortent pas. Est-il nécessaire de taxer encore un loisir qui change de visage, puisque la location devient plus fréquente ? Les utilisateurs seront pénalisés.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Les navires de plus de dix ans continueront à bénéficier d'un abattement, sinon cela aurait été brutal pour ceux qui auront 11 ans l'année prochaine.
M. Jean-François Rapin. - L'abattement sera réduit de 33 à 25% seulement.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est une proposition. En l'état actuel du texte, il n'y aurait plus eu d'abattement pour tous les bateaux de plus de 10 ans à compter de 2019.
M. Jean-François Rapin. - Cette mesure était prise pour maintenir les budgets du Conservatoire du littoral. La réduction des financements était un mauvais signal pour la protection du littoral. Le Gouvernement souhaitait maintenir une disposition votée l'an dernier.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Mon amendement vise à éviter une rupture brutale d'égalité. Je suis prêt à défendre d'autres solutions.
L'amendement FINC.47 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Si vous voulez polluer sans malus automobile, achetez un pickup à double cabine... Certaines personnes les détournent aussi en véhicules de société... L'amendement FINC.48 clarifie l'assujettissement des pickups à double cabine à la taxe sur les véhicules des sociétés et au malus automobile.
M. Alain Joyandet. - Ce sera la double peine pour les terrassiers...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ils ne paient ni la taxe sur les sociétés ni de malus...
M. Alain Joyandet. - Avec trois salariés, au lieu d'avoir un véhicule à double cabine, ils auront deux véhicules à simple cabine.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cela ne concerne pas les utilitaires. L'amendement vise notamment les particuliers.
L'amendement FINC.48 est adopté.
Article 34
L'amendement rédactionnel FINC.49 est adopté.
M. Vincent Éblé, président. - Le vote sur l'ensemble de la première partie aura lieu lorsque la réserve de l'article 19 sera levée, la semaine prochaine.
Le vote sur l'ensemble de la première partie est réservé.
Projet de loi de finances rectificative pour 2018 - Examen du rapport
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous examinons le projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2018 dans des délais extrêmement contraints. Cette année, le calendrier a été très largement modifié : au lieu d'examiner le PLFR après le projet de loi de finances (PLF), au mois de décembre, nous l'examinons au milieu de l'examen du PLF. Ce PLFR est donc réduit à des ajustements principalement budgétaires - je m'en réjouis - et remplace le traditionnel décret d'avance de fin de gestion. Chaque année, j'étais le premier à hurler lorsque le Gouvernement déposait ses amendements au milieu de la nuit...
M. Jérôme Bascher. - Cela pourrait continuer !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il n'y en a pas eu à l'Assemblée nationale. Le Gouvernement s'est discipliné. Mais le prochain PLFR, en 2019, risque d'être plus dense.
Le PLFR de fin d'année retrouve ainsi son objectif d'origine en se concentrant sur les mesures ayant uniquement un impact sur l'année en cours.
Le scénario macroéconomique demeure inchangé par rapport au PLF pour 2019, en dépit des signaux conjoncturels défavorables apparus depuis. Le Gouvernement maintient l'hypothèse de croissance à 1,7 %. Malgré un rebond du PIB au troisième trimestre après un premier semestre décevant, la reprise est plus faible qu'escompté par l'Insee. L'économie française aura besoin d'une forte accélération pour atteindre un taux de croissance annuel de 1,7 % sur l'ensemble de l'année. Cela supposerait que l'économie française retrouve au dernier trimestre un rythme de croissance entre 0,6 % et 0,8 %. Un tel rebond apparaît difficilement compatible avec l'orientation actuelle des enquêtes de conjoncture.
S'agissant de la consommation, les ménages ne semblent pas avoir anticipé la hausse de leur pouvoir d'achat au dernier trimestre, ainsi que l'illustre l'évolution de leur indicateur de confiance. Nous sommes loin de « l'automne du pouvoir d'achat » prôné par le Gouvernement ! Et l'attentisme des ménages pourrait se prolonger avec l'augmentation du prix du carburant et la mise en place du prélèvement à la source.
Se sont ajoutées des inquiétudes sur l'investissement des entreprises. L'enquête menée en octobre auprès des chefs d'entreprise dans l'industrie manufacturière fait état d'une forte baisse des prévisions d'investissement pour 2018 - moins 5 points - par rapport à l'estimation de juillet dernier. Dès lors, l'hypothèse de croissance du Gouvernement reste très optimiste.
Dans son avis, le Haut Conseil des finances publiques qualifie la prévision de croissance gouvernementale d'« un peu élevée » et considère qu'une croissance de 1,6 % est « plus vraisemblable ». L'enjeu n'apparaît toutefois pas très significatif, car une croissance inférieure de 0,1 point à la prévision se traduit en moyenne par une hausse du déficit de seulement 0,06 point de PIB.
Sur la trajectoire budgétaire, l'objectif peu ambitieux de déficit devrait pouvoir être tenu. La prévision de déficit public du Gouvernement, de 2,6 % du PIB, demeure inchangée par rapport au PLF 2019. Le déficit ne se réduirait donc que de 0,1 point de PIB par rapport à 2017. Cette amélioration n'est même pas imputable à la politique budgétaire du Gouvernement, mais à la composante non discrétionnaire de l'évolution du solde structurel.
Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit que le déficit public atteindra 2,6 % du PIB, tout comme la Commission européenne. Le Haut Conseil des finances publiques estime ces prévisions plausibles.
Venons-en au budget de l'État en 2018. Le déficit présenté est de 80 milliards d'euros, soit une légère amélioration par rapport à l'estimation de déficit de 81,3 milliards d'euros que nous avons examinée la semaine dernière dans le cadre du PLF pour 2019.
Ce niveau reste très élevé puisque l'aggravation est de 12,3 milliards d'euros par rapport à 2017. Le déficit continue ainsi d'être supérieur aux niveaux connus avant 2008, en attendant une nouvelle aggravation à 98 milliards d'euros en 2019. Les chiffres sont faciles à retenir : 100 milliards d'euros de déficit, une dette représentant 100 % du PIB, 1 000 milliards d'euros de prélèvements...
M. Philippe Dallier. - Ce n'est pas très bon...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amélioration de 1,3 milliard d'euros du solde budgétaire s'explique essentiellement par la vente de 2,35 % du capital de Safran, au début du mois d'octobre, pour 1,24 milliard d'euros. Cette cession d'actifs devrait bénéficier au désendettement, mais elle ne sera qu'une gouttelette d'eau dans un océan de dettes. Les dépenses sont en hausse de 500 millions d'euros. Malgré cela, le Gouvernement maintient son objectif d'économiser 600 millions d'euros sur les dépenses dites « pilotables » grâce au compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique ». La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a constaté, le 12 juillet dernier, que les compensations liées à l'obligation d'achat d'électricité d'origine renouvelable seraient moins importantes que prévu en 2018. Le Gouvernement ne le constate que maintenant. Il annule donc un montant correspondant de crédits qu'il transfère au budget général. Retirer 600 millions d'euros du CAS « Transition énergétique », et affecter davantage de TICPE au budget général, ce n'est, en tout état de cause, pas un bon signal....
En dehors de ce transfert de TICPE, les recettes fiscales nettes évoluent peu par rapport à l'estimation présentée dans le cadre du PLF pour 2019. La hausse est liée principalement au dynamisme de la TVA et à un rattrapage sur les produits des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) lié à une erreur de comptabilisation à la fin de 2017. On peut faire le même constat pour chaque grand impôt.
L'évolution principale porte donc sur la TICPE : son produit n'augmente pas, mais il est affecté pour 600 millions d'euros supplémentaires au budget général. La fiscalité écologique a bon dos ; l'État bénéficiera de 13,9 milliards d'euros issus de la TICPE, contre 11,1 milliards d'euros en 2017.
Une fois de plus, cette augmentation n'est pas assortie d'un renforcement des moyens consacrés à la transition énergétique, même si le Premier ministre a annoncé ce matin 500 millions d'euros de mesures - une somme inférieure à ce que le Gouvernement récupère de TICPE... Je m'étonne d'ailleurs que ces révisions n'aient pas été annoncées explicitement lors de la présentation du PLF pour 2019 puisque la délibération de la CRE date du 12 juillet dernier.
Le Gouvernement annonce la mise en oeuvre de la limitation à 1 % de la vacance sous plafond d'emplois à partir de 2018. Cela correspond à une disposition de la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022 que nous avions introduite. Le plafond s'ajuste à la réalité, réjouissons-nous en. Nous constations toujours une décorrélation importante, de l'ordre de 1,5 % à 1,7 %, entre les plafonds d'emplois et les postes effectivement pourvus, ce qui dépassait largement le niveau nécessaire. Ils diminuent donc de 10 805 équivalents temps plein travaillé (ETPT).
Les ouvertures de crédits atteignent 6,9 milliards d'euros en crédits de paiement et les annulations 2,7 milliards d'euros. Les deux tiers de ce montant concernent la mission « Remboursements et dégrèvements », notamment pour des remboursements de TVA.
La question la plus délicate concerne la mission « Défense » : l'ouverture de crédits nécessaire pour financer le surcoût des opérations extérieures (OPEX) est entièrement compensée par des annulations de crédits dans la même mission budgétaire. Le Gouvernement propose d'ouvrir 404 millions d'euros d'ouvertures de crédits pour les OPEX, en les finançant entièrement par des annulations de crédits de la mission « Défense ». Selon le Gouvernement, le ministère de la Défense aurait perdu bien plus s'il avait dû participer au financement des annulations sur d'autres ministères. Mais ce faisant, il n'applique pas l'article 4 de la loi de programmation militaire pour 2014-2019 qui pose le principe de solidarité interministérielle pour le financement de ces surcoûts.
La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » connaît des ouvertures de crédits en raison notamment d'une sous-évaluation en loi de finances initiale du nombre des bénéficiaires de la prime d'activité. La mission « Enseignement scolaire » ouvre des crédits pour assurer la couverture en crédits de la paie du mois de décembre des enseignants, tandis que la mission « Cohésion des territoires » doit en particulier couvrir des besoins en hébergement d'urgence et répondre à une dynamique plus élevée que prévue des aides personnelles au logement.
Enfin, l'annulation la plus importante concerne la mission « Travail et emploi » en raison de dépenses moins élevées qu'attendu pour plusieurs dispositifs d'aide à l'emploi.
Mon interprétation générale est donc positive sur le fait que le Gouvernement revient à l'objectif initial de la LFR plutôt qu'à la « voiture balai » des dispositifs fiscaux... Il fait preuve de discipline en exécution, notamment avec ses taux de mise en réserve, qui atteignaient parfois 8 % ! Désormais, le Gouvernement ne propose plus de décret d'avance, et respecte davantage les principes budgétaires. Il n'y a pas de raison d'être en désaccord avec ce PLFR pour ces raisons, mais je ne vous proposerai pas d'avis favorable car il est la conséquence d'un PLF que je n'ai pas voté.
La seule raison que j'aurais eue de voter contre ce PLFR était l'annulation des crédits sur la mission « Défense ». Mais hier, le Gouvernement a annoncé le dégel de 408 millions d'euros en autorisations d'engagement et 272 millions d'euros en crédits de paiement. Dès que ce dégel sera effectivement constaté, je m'abstiendrai.
M. Roger Karoutchi. - La Banque de France vient de publier son estimation de croissance pour le quatrième trimestre 2018, qui ne serait pas supérieure à 0,4 %. Il n'y a pas de rebond. La croissance annuelle atteindra 1,4 à 1,5 %, loin des 1,7 % prévus. Les remontées fiscales au quatrième trimestre seront beaucoup plus basses. Tout cela aura des conséquences. Le Gouvernement ne serait-il pas mieux avisé de regarder ces prévisions ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - A priori, l'acquis de croissance atteint déjà 1,5 % après trois trimestres. Je serais très prudent sur les chiffres. La vocation du PLFR est respectée, mais je ne l'approuverai pas.
M. Dominique de Legge. - Je compte comme un épicier breton : Le Gouvernement a annoncé 1,8 milliard de crédits supplémentaires pour la Défense en 2018 après 850 millions d'euros d'annulations en 2017 ; l'effort réel était de 950 millions d'euros ; mais désormais, la Défense doit financer les surcoûts des OPEX sur ses fonds propres ; l'effort réel n'est donc que de 350 millions d'euros pour 2018.
Le Gouvernement ne cesse de nous répéter que ses deux priorités sont la transition énergétique - alors que les crédits du compte d'affectation spéciale diminuent en 2018 - et les crédits de la Défense, soi-disant sanctuarisés. Même si les 272 millions d'euros de crédits devraient être dégelés - j'attends le décret - cela en dit long sur la méthode... Si le PLFR mentionnait explicitement tout cela, il serait plus clair.... Le Parlement dans son ensemble a servi à alerter pour respecter les engagements du Président de la République. Je m'abstiendrai.
M. Marc Laménie. - Les recettes fiscales devraient augmenter de 6,7 milliards d'euros - cela semble beaucoup. La principale recette est la TVA, avec un produit net de 157 milliards d'euros ; la multiplicité des taux est aussi complexe. Peut-on espérer une progression plus forte de la TVA ?
M. Claude Raynal. - Ce PLFR est plutôt simple par rapport aux précédents. Il ne comprend pas de grandes mesures fiscales nécessitant une analyse fine, ni ne joue sur de grandes masses budgétaires.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il n'y a pas eu de décret d'avance.
M. Claude Raynal. - Reste le sujet lancinant de la Défense. L'effort de l'État se réduit. Dominique de Legge l'avait relevé dans son rapport. Les dépassements d'OPEX auraient dû être payés par la solidarité interministérielle ; or ils seront financés uniquement par le budget de la Défense. Je ne tirerai pas la même conclusion que le rapporteur général de tout cela : j'ai voté contre le PLF, je voterai contre ce PLFR.
Mme Sylvie Vermeillet. - Sur l'évolution du déficit budgétaire, vous mentionnez une part de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) et des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) négatives, avec moins 0,2 milliard d'euros. Il me semblait cependant que l'IFI avait rapporté plus que prévu ?
Mme Sophie Taillé-Polian. - L'énorme implication du Gouvernement sur la transition énergétique n'est que du « blabla ». Et dans la réalité de l'exercice budgétaire, les crédits diminuent. Les contrats aidés sont sous-utilisés, en raison du durcissement des conditions d'octroi et de la moindre prise en charge. Dans le cadre de l'examen de la mission « Travail et emploi », nous avons interrogé, avec Emmanuel Capus, les membres du cabinet de la ministre. Selon eux, la fongibilité permettra d'aider davantage les dispositifs d'insertion économique - ce qui est le cas, mais pas à la hauteur du besoin d'accompagnement des personnes éloignées de l'emploi. Ces crédits ne sont pas tous consommés, il y a donc moins de personnes accompagnées vers l'emploi. Or dans le même temps, le chômage des catégories B et C, les plus éloignées de l'emploi, augmente fortement. Cela a des conséquences importantes sur l'exécution budgétaire et dans le PLF 2019.
M. Jérôme Bascher. - Avec ce PLFR, c'est comme si nous votions des décrets d'avance !
La réduction non dite du plafond d'emplois me gêne ; au lieu d'être décidée par la représentation nationale, le Gouvernement ne budgète pas correctement. Le titre II n'est pas sincère. Les administrations ne pourront pas atteindre leur plafond d'emplois, faute de crédits. Ce n'est pas une façon de traiter la représentation nationale. Par ailleurs, que reste-t-il du gel après le décret d'annulation ?
M. Philippe Dallier. - Je vais finir par me trouver sur la même ligne que Claude Raynal... La grande affaire de ce projet de loi de finances rectificative est le budget de la Défense. Certes, cela aurait pu être pire puisque des crédits ont été dégelés. Des promesses avaient été faites en 2017 après le départ du chef d'État-major des armées ; mais tout le monde savait que les crédits inscrits pour les OPEX en 2018 étaient insuffisants, d'où ce tour de passe-passe en fin d'année. Je suis, pour ma part, tenté de rejeter de ce PLFR. Nous avons assez critiqué ce genre de pratiques, sur tous les bancs. Si nous laissons faire cette fois-ci, jusqu'où cela nous entraînera-t-il ?
M. Jean-Claude Requier. - L'article 4 de la loi de programmation militaire prévoit un partage entre les ministères du surcoût lié aux OPEX et aux missions intérieures. Ce PLFR est-il en contradiction avec cette exigence ?
M. Emmanuel Capus. - Je partage l'analyse du rapporteur général sur ce texte qui va dans le bon sens ; cependant, j'ai eu l'occasion d'exprimer jeudi dernier, dans une question au Gouvernement, mes réserves sur le budget de la Défense et le trou de 404 millions d'euros dans le financement des OPEX découvert mercredi dernier, à l'occasion de la présentation du PLFR. C'est fâcheux, non parce qu'il n'aurait pas été prévu, mais parce que la solidarité interministérielle ne jouera pas.
M. Philippe Dallier. - Si le budget avait été mieux ajusté, nous n'en serions pas là.
M. Emmanuel Capus. - Malgré le dégel de 272 millions d'euros de crédits de paiement, les investissements risquent d'en souffrir : le manque budgétaire représente plusieurs Rafale, ou des équipements dont nos troupes ont besoin.
L'augmentation des crédits promise est là. Rappelons que le budget de la Défense augmente, ce qui est une première depuis vingt ans et invite à relativiser les critiques. Néanmoins, le non-respect de l'article 4 de la loi de programmation militaire est un mauvais signal envoyé à nos armées, qui ont besoin de confiance. Savez-vous quels programmes d'investissement seront affectés ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Comme vous l'avez dit, l'article 4 de la loi de programmation militaire n'est pas respecté. La Défense va différer le paiement de ses factures d'armement ; en d'autres termes, ce sont les industriels qui font la trésorerie du ministère... En revanche, soyez assuré que les 272 millions d'euros issus du dégel de crédits de paiement seront consommés immédiatement.
Les réponses adressées par l'administration à notre questionnaire sur le PLFR, reçues hier soir, sont particulièrement peu éclairantes voire même incompréhensibles à dessein. Circulez, il n'y a rien à voir sur la baisse du produit de l'IFI, la loi de finances initiale pour 2018 prévoyait un produit de 850 millions d'euros ; 1,2 milliard d'euros sont inscrits au PLF 2019, mais le PLFR ne prévoit que 1,1 milliard d'euros. Nous n'avons toujours pas reçu d'explication satisfaisante. En somme, ce PLFR n'est pas loin d'un décret d'avance, à cette différence près qu'il est soumis à la représentation nationale.
Marc Laménie, il y a deux moyens d'augmenter le produit de la TVA : soit par la croissance, ce qui est un peu difficile pour les parlementaires, soit en luttant contre la fraude, et notre commission s'y emploie.
M. Jean-Claude Requier. - Il y a aussi la suppression de certains tarifs réduits !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le CAS « Transition énergétique » sera réduit de 600 millions d'euros, comme l'avait prévu la Commission de régulation de l'énergie dès le mois de juillet. 600 millions d'euros du produit de la TICPE seront dès lors déplacés vers le budget général ; cela correspond à peu près au montant des mesures annoncées ce matin par le Premier ministre...
La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter le projet de loi de finances rectificative pour 2018. En conséquence, elle décide de proposer au Sénat de ne pas adopter chacun des articles du projet de loi.
Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Culture » et article 74 bis (et communication sur le contrôle budgétaire sur la gestion déconcentrée des crédits du ministère) - Examen du rapport spécial
M. Vincent Éblé, président, rapporteur spécial (mission « Culture »). - Je présenterai seul le rapport spécial, mon collègue Julien Bargeton étant excusé.
Le niveau des crédits de la mission « Culture » sera relativement stable en 2019. Le projet de loi de finances prévoit 3,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,9 milliards d'euros en crédits de paiement répartis entre les trois programmes de la mission.
Nous avions mis en évidence l'année dernière que la barre symbolique du « 1 % Culture » n'avait pas été atteinte dans le projet de loi de finances pour 2018 malgré des moyens en hausse. C'est à nouveau le cas en 2019, même si nous évoluons en tangentiel vers ce montant : le niveau atteint par les crédits budgétaires en faveur de la culture s'élève à 0,98 % du budget de l'État.
Les crédits de la mission « Culture » ne représentent qu'une partie des financements publics en faveur de la culture : cette année, le ministère de la culture a choisi de communiquer sur le montant total atteint par l'ensemble des modes de financement public en faveur du secteur culturel, qu'il s'agisse de crédits budgétaires ou non. L'ensemble de ces moyens atteint près de 10 milliards d'euros en 2019. C'est un effort bien plus considérable que le montant du budget, mais il cache des situations contrastées.
Parmi les points positifs, on peut souligner le niveau élevé de la fréquentation des établissements culturels en 2018, susceptible de favoriser la dynamique des ressources propres de ces établissements. Autre motif de satisfaction, le loto du patrimoine, porté par la personnalité de Stéphane Bern, a contribué à une prise de conscience de la nécessité de préserver le patrimoine monumental dans sa diversité ; les effets d'image ne sont jamais à négliger.
Mais d'un autre côté, les nombreux projets immobiliers du ministère de la culture et de ses opérateurs ne sont pas tous financés. Quant aux opérateurs du ministère, ils doivent faire face à des dotations stables, ce qui pourrait s'avérer problématique sur le long terme face à l'évolution mécanique de leurs charges.
Le budget de la culture pour l'année 2019 témoigne de la continuité des orientations de la politique culturelle fixées l'année dernière.
L'éducation artistique et culturelle (EAC) et plus généralement l'accès à la culture pour tous demeurent l'objectif prioritaire des politiques conduites par le ministère de la culture.
Environ 110 millions d'euros y sont consacrés, dans le cadre d'un plan « 100 % EAC » qui vise à faire bénéficier l'ensemble des jeunes en âge d'être scolarisé d'au moins une action d'éducation artistique et culturelle subventionnée par le ministère de la culture.
Autre aspect de la politique en faveur de l'éducation artistique et culturelle, le « Pass culture » trouve dans ce projet de loi de finances une véritable traduction budgétaire. Les 5 millions d'euros votés en 2018 avaient permis de réaliser l'outil informatique de pilotage du Pass. Le dispositif entre désormais dans une phase d'expérimentation, et non plus de test, pour un budget de 34 millions d'euros. L'expérimentation va concerner 10 000 jeunes, sélectionnés afin de garantir la représentativité de l'échantillon, dans cinq départements : le Finistère, la Guyane, l'Hérault, le Bas-Rhin et la Seine-Saint-Denis. Le dispositif devrait par la suite monter progressivement en puissance pour toucher jusqu'à 200 000 jeunes de 18 ans.
Selon les estimations du Gouvernement, le Pass pourrait concerner en régime plein jusqu'à 820 000 personnes. Cette estimation porte le coût théorique total du dispositif à plus de 400 millions d'euros chaque année - avec 34 millions d'euros pour 2019, nous en sommes encore loin. La question du financement à l'horizon 2022 n'est pas encore tranchée. Les premières expérimentations donneront des précisions utiles sur les pratiques culturelles ou les taux d'utilisation par exemple, à partir desquelles un scénario réaliste de financement devra être proposé. Nous veillerons par ailleurs à ce que le coût du Pass culture ne conduise pas à une diminution des financements consacrés aux nombreuses autres actions d'éducation artistique et culturelle. La question ne se résume pas à la consommation culturelle.
Autre motif de satisfaction : le montant des crédits dédiés à l'entretien et à la restauration des monuments historiques, hors grands projets, est conforté en 2019. Ils s'élèveront à 297 millions d'euros en crédits de paiement, en augmentation de 4 millions d'euros par rapport à 2018.
C'est d'abord la conséquence de la mise en oeuvre du fonds partenarial et incitatif en faveur des collectivités à faibles ressources financières créé en 2018, afin d'aider celles-ci à entretenir leurs monuments historiques.
Deux grands projets de restauration de monuments historiques expliquent la hausse des autorisations d'engagement du programme en 2019 : la rénovation du Grand Palais et celle du château de Villers-Cotterêts.
La rénovation du Grand Palais a fait récemment l'objet d'un débat sur la maîtrise des coûts et l'opportunité de ce chantier. Nous avons essayé de montrer dans le rapport que malgré un montant incontestablement élevé, ce projet présente de sérieuses garanties, sans qu'il existe par ailleurs de véritable alternative à la rénovation du site telle qu'elle est proposée par la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (Rmn-GP). Le bâtiment pourrait menacer ruine...
Le Grand Palais n'a pas connu depuis sa construction en 1900 de véritable rénovation d'ampleur, à l'exception des travaux réalisés sur la verrière au début des années 2000. Le projet actuel vise à remettre le bâtiment aux normes techniques, d'importantes surfaces n'étant actuellement pas ouvertes au public en raison des carences en termes de normes de sécurité - notamment les galeries supérieures de la grande nef, qui couvrent plusieurs milliers de mètres carrés. Il permettra de mieux accueillir le public en créant une zone logistique sous le Grand Palais pour permettre l'installation des événements qui s'y déroulent. La jauge d'accueil sera doublée grâce à la création de nouvelles issues de secours, car les 13 000 mètres carrés de la nef ne peuvent accueillir actuellement que 5 000 visiteurs à cause de l'insuffisance de celles-ci. Enfin, ce projet permettra d'élargir l'offre culturelle, en réunissant le Grand Palais et le Palais de la découverte, qui disposeront à l'avenir d'une entrée commune.
Le chiffrage du projet s'élève à 466 millions d'euros, dont 137 millions d'euros au titre de la restauration du monument historique ; il est constant depuis la présentation du projet actuel. Le budget se décompose ainsi : 150 millions d'euros d'emprunt, 25 millions d'euros de mécénat de Chanel, 8 millions d'euros de partenariats d'Universcience, 160 millions d'euros au titre des investissements d'avenir et, enfin, 118 millions d'euros de crédits budgétaires. Ces crédits sont répartis sur neuf ans, ce qui permet de ne pas remettre en cause l'effort consacré par la mission « Culture » à l'entretien et à la restauration des autres monuments historiques.
D'importantes contraintes de calendrier pèsent sur le projet, qui doit être achevé pour accueillir les Jeux olympiques de 2024. Le Grand Palais devra être fermé au public à compter de décembre 2020, tandis qu'un Grand Palais éphémère sera implanté sur le Champ de mars. Ce projet a été réalisé en partenariat avec Paris 2024, pour en partager les coûts. La structure sera donc reprise en 2023 par le comité d'organisation. Elle aura ainsi un double usage : le remplacement du monument pendant les travaux puis l'accueil de manifestations olympiques.
Les terrains aux abords du Grand Palais seront cédés par la Ville de Paris à l'État, qui en affectera l'utilisation à la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (Rmn-GP). À cette fin, deux amendements ont été présentés par le Gouvernement à l'Assemblée nationale lors de l'examen du présent projet de loi de finances. Le premier crée un article 74 bis rattaché à la mission et autorise cette cession. Le second tire les conséquences de l'opération sur le budget de la mission « Culture ». Nous sommes favorables à cette opération, c'est pourquoi je donnerai un avis favorable à l'adoption de l'article 74 bis.
Autre grand projet : la rénovation du Château de Villers-Cotterêts, le Président de la République l'ayant choisi pour héberger un lieu dédié à la francophonie. Restauré et revalorisé, il aura vocation à devenir à la fois un site patrimonial attractif ouvert à la visite et un laboratoire de rencontre, d'expression et d'expérimentation autour de la francophonie et de l'avenir de la langue française.
Le coût de la première tranche du projet est évalué à 110 millions d'euros, dont 55 millions d'euros de crédits budgétaires, 30 millions d'euros au titre du grand emprunt et 25 millions d'euros de mécénat, avec un objectif de réalisation pour le printemps 2022. Le monument a été mis à la disposition du Centre des monuments nationaux (CMN) pour la mise en oeuvre du projet.
Le maintien du niveau des crédits de la mission en faveur de l'entretien et de la restauration des monuments historiques ne doit pas occulter le fait que de nombreux projets restent à ce jour en attente d'un financement, comme le schéma directeur du centre Pompidou, l'extension du site des archives à Pierrefitte, la rénovation des toitures du Mont Saint-Michel ou encore de la façade du Panthéon.
Dans ce contexte, le loto du patrimoine qui s'est tenu pour la première fois en septembre dernier, dans le prolongement de la mission confiée par le Président de la République à Stéphane Bern, constitue un outil utile de sensibilisation du public à la nécessité de préserver et sauvegarder le patrimoine.
Nous souhaitons donc que le loto du patrimoine soit pérennisé, de même que l'affectation des recettes fiscales afférentes, conformément à la solution trouvée le 25 octobre 2018 par les ministres de l'action et des comptes publics et de la culture consistant à accorder 21 millions d'euros supplémentaires en faveur du patrimoine pris sur les recettes fiscales du loto. Il est important d'obtenir cette pérennisation quel que soit le futur statut de la Française des Jeux.
Les crédits de paiement du programme « Création » seront, en 2019, d'un niveau globalement équivalent à celui de 2018, qui permet de poursuivre l'aide au réseau de structures labellisées. Les financements en matière de spectacle vivant sont particulièrement fléchés en raison des nombreuses labellisations et conventionnements dans ce secteur.
Le soutien de l'État à la création se conjugue avec les aides et subventions apportées par les collectivités territoriales. Il représente ainsi environ 30 % de l'aide totale apportée par les collectivités publiques.
Deux projets immobiliers d'envergure sont également portés par le programme : la Cité du théâtre aux ateliers Berthier, à Paris, et la relocalisation du Centre national des arts plastiques (CNAP) à Pantin.
Dans le cadre des travaux du comité interministériel Action publique 2022, le ministère de la culture a décidé de renforcer la responsabilisation des établissements publics administratifs possédant la taille critique nécessaire sur la gestion de leurs emplois et de leur masse salariale. Trois établissements seront concernés par cette réforme en 2019 : le Centre des monuments nationaux, le Château de Versailles et le musée d'Orsay.
Des amendements présentés par le Gouvernement ont été adoptés lors de la discussion, en première lecture, du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale pour réaliser ce transfert.
En conclusion, compte tenu de la continuité des grandes orientations de la politique culturelle et du maintien, pour l'essentiel, des financements portés par la mission « Culture », nous vous invitons à adopter les crédits de la mission et l'article 74 bis.
J'en arrive au deuxième volet de ma présentation. Dans le cadre du programme de contrôle de la commission des finances, nous nous sommes intéressés à la gestion déconcentrée des crédits du ministère de la culture et aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC). 38 % du montant total des crédits de la mission, hors dépenses de personnel, sont déconcentrés. Cette déconcentration est renforcée en 2019, conformément à la volonté du Gouvernement.
Dans ce contexte, il nous a semblé utile d'étudier l'organisation et les moyens des treize DRAC de France métropolitaine et des cinq directions des affaires culturelles en outre-mer, afin d'évaluer si celles-ci sont en mesure de mettre en oeuvre les politiques publiques sur le territoire régional.
Comme vous le savez, une majorité des DRAC de France métropolitaine a dû faire face à une réorganisation à la suite de la fusion des régions issue de la réforme territoriale de 2014. Ces fusions ont constitué pour les administrations territoriales un véritable défi, qu'elles semblent en passe de relever.
Le principal défi pour les DRAC fusionnées a consisté à absorber une réorganisation des services guidée par la volonté du Gouvernement de ne pas recréer des services « miroirs » dans chacune des anciennes capitales régionales supprimées. C'est la raison de l'organisation retenue en pôles multi-sites, qui correspondent aux grands axes de la politique culturelle.
La principale difficulté soulevée par cette organisation était de nature managériale : les directeurs de pôles présents sur des sites dits distants n'étaient pas pour autant chargés de l'encadrement des agents relevant des autres pôles. D'où les critiques formulées par le rapport inter-inspections sur les missions, l'organisation et les moyens déconcentrés du ministère de la culture, qui recommandait une révision de l'organisation des DRAC avec la nomination d'un directeur adjoint couvrant la totalité des domaines d'intervention des DRAC dans chaque site distant.
De notre point de vue, la nouvelle organisation a commencé à produire des effets positifs et les agents ne souhaitent plus un retour en arrière - même si certains ont changé d'avis. Certes, l'accompagnement des DRAC a été insuffisant, comme l'ont reconnu tous les agents que nous avons rencontrés. Malgré le temps réduit pour procéder aux adaptations nécessaires, il y a eu peu de conséquences sur le niveau de consommation des crédits, un indicateur utile pour notre commission.
La réorganisation a cependant été source de pertes de compétences et de ressources humaines selon les personnels d'encadrement rencontrés. De nombreux agents ont vécu la réorganisation comme un déclassement dans les sites maintenus dans les anciennes capitales de région. Pour autant, l'ensemble de ces personnels a eu à coeur de minimiser les effets des fusions sur l'action des DRAC et sur la consommation des crédits déconcentrés.
Néanmoins, des effets positifs ont également été relevés. La taille des nouvelles directions régionales a par exemple permis en Nouvelle Aquitaine de créer un poste de conseiller « architecture » qui n'existait dans aucune des trois anciennes DRAC fusionnées. Par ailleurs, un véritable travail de mise en réseau des équipes s'est développé pour « faire région », selon les termes d'un directeur régional des affaires culturelles que nous avons rencontré.
Les agents ayant participé à ces fusions ont eu le sentiment que le rapport inter-inspections n'avait relevé que les difficultés nées de la réforme et non les efforts et les progrès réalisés, qui ont sans doute tardé à produire leurs effets. Cela a provoqué une certaine frustration.
Quelques difficultés persistent néanmoins. La première inquiétude exprimée par les personnes des directions régionales concerne les déplacements, nombreux et parfois longs, que doivent effectuer ceux-ci pour exercer leur mission. Les agents des DRAC ont exprimé la crainte d'une diminution des montants accordés pour les déplacements. Ces dépenses sont en effet mutualisées et gérées directement par les secrétariats généraux pour les affaires régionales (SGAR) qui gèrent les directions de façon homogène sous l'autorité des préfets de région, alors que certains services restent départementalisés et n'ont donc pas les mêmes besoins de mobilité que les agents des DRAC.
Dans l'ensemble, une opération de regroupements de régions comme celle qui a été décidée en 2015 n'a de sens que si elle permet une amélioration de la productivité des directions régionales. Le détail du fonctionnement des services et de la gestion des crédits ne met pas en évidence une réalisation des gains escomptés : il n'a pas été dégagé de moyens supplémentaires, aucun local affecté au travail des DRAC n'a été cédé ou rendu et le niveau des emplois est resté équivalent. Beaucoup d'énergie ayant été consacrée à la réalisation de ces fusions, il faut donc se convaincre que les bénéfices de ces réorganisations se manifesteront à long terme. En somme, ces fusions ont d'abord répondu à une exigence de réformes administratives correspondant à l'état de l'opinion.
La gestion des crédits par l'ensemble des DRAC, et non seulement celles qui ont été fusionnées, appelle quelques remarques.
Les agents rencontrés ont exprimé le besoin d'une responsabilisation renforcée des gestionnaires en région. Le constat d'un interventionnisme trop poussé des directions générales métiers a été formulé à de nombreuses reprises par les agents des directions régionales et admis par les responsables d'administration centrale.
La difficulté est bien souvent celle de la coexistence d'instructions formulées par différents acteurs : secrétariat général du ministère, directions métiers et DRAC elles-mêmes. La frontière entre les domaines d'intervention de chacun de ces niveaux de pilotage de l'action territoriale du ministère de la culture apparaît floue. La gestion du programme « Création », en particulier, a été décrite comme très contrainte et faisant l'objet d'un interventionnisme marqué de l'administration centrale. Certains crédits dits déconcentrés, comme ceux des monuments historiques, le sont réellement et les enveloppes sont réparties au niveau de la région ; mais pour la mission « Création », les montants sont en quelque sorte pré-affectés depuis Paris. Dans ces conditions, est-il utile que les crédits transitent par la région ?
Des initiatives sont prises pour répondre à ces critiques et renforcer la liberté de gestion des DRAC. C'est le cas avec l'expérimentation en Bretagne et Nouvelle-Aquitaine d'une enveloppe mutualisée entre les programmes « Création » et « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », dont la fongibilité est évidente.
Pour conclure, je formulerai une proposition qui permettrait d'améliorer le pilotage par les DRAC de l'intervention de l'État en matière culturelle sur le territoire régional : créer un instrument de suivi cartographié de l'ensemble des moyens consacrés au secteur de la culture au niveau de chaque territoire, non seulement d'un point de vue budgétaire, mais également au travers les dépenses fiscales, toujours importantes en matière culturelle - aides à l'entretien des monuments historiques ou incitations fiscales au mécénat.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Merci, monsieur le président, d'avoir porté un regard sur les effets de la réforme des régions. Avez-vous constaté des contrastes entre les régions ? Ainsi, l'organisation de la DRAC de Montpellier est parfois redoublée sur le site de Toulouse, certains agents ayant refusé la mobilité. La taille de la région Nouvelle-Aquitaine en rend la gestion très difficile, notamment pour les déplacements de terrain. Y a-t-il toujours une variation importante des taux d'exécution des crédits en fonction des DRAC ? Certaines d'entre elles en consommant très peu, Bercy menaçait de réduire leurs crédits. La réorganisation a-t-elle amélioré l'efficacité ?
J'avais déjà proposé il y a plusieurs années un loto du patrimoine, qui est le mode de financement principal du National Trust au Royaume-Uni - à condition que les sommes récoltées aillent bien au patrimoine ! Quand il s'est aperçu que Bercy avait mis la main sur les recettes, Stéphane Bern a protesté et obtenu gain de cause. C'est pourquoi je suis favorable à votre proposition de pérennisation de ce principe. Voyons si le code général des impôts donne la possibilité de prévoir une exemption de taxes pour le loto du patrimoine.
M. Jérôme Bascher. - Les coûts affichés pour l'opération du Grand Palais ne me surprennent pas. Le bâtiment ne se résume pas à la grande nef ; ce qui rapporte le plus à l'EPIC, ce sont les galeries nationales du Grand Palais.
La volonté du Gouvernement de laisser une plus grande liberté d'administration aux établissements publics, notamment pour la gestion du personnel, est tout à fait recevable. Mais qu'en est-il des monuments comme le château de Compiègne, qui sont des services à compétence nationale (SCN) ? Nous savons que le ministère de la culture est sous-administré et s'intéresse davantage à la programmation culturelle qu'à la gestion. Y a-t-il un programme de recrutement de meilleurs gestionnaires ?
Mme Christine Lavarde. - Je lis dans la synthèse du rapport que le financement du projet de rénovation du Grand Palais est « bien cadré ». Or il apparaît dans ce rapport que 160 millions d'euros sont consacrés à ce projet au titre du programme d'investissements d'avenir. Pourtant, dans l'action 9 du programme 423 de la mission « Investissements d'avenir » que j'ai rapportée le 17 octobre, intitulée « Grands défis » et destinée à soutenir les projets de rénovation de ce type, aucun crédit de paiement n'a été engagé. D'où viennent donc ces 160 millions ? De plus, une telle affectation serait surprenante alors que les subventions sont une ressource rare dans le PIA 3, qui privilégie les avances remboursables, et qu'un défaut de subventions serait très dommageable à la deep tech et aux innovations de long terme. On s'éloignerait de la raison d'être du PIA 3 au profit d'annonces conjoncturelles. Dans ces conditions, je préfère m'abstenir sur les crédits de cette mission.
M. Philippe Dallier. - L'enjeu, ici, est l'arbitrage entre les grands projets et l'entretien courant du patrimoine. Je suis très surpris de lire dans la synthèse du rapport que « les rapporteurs spéciaux se satisfont du maintien, voire du renforcement, du montant des crédits pour l'entretien et la restauration des monuments historiques ». Comment pouvez-vous écrire cela ? Un reportage récent a montré que, faute d'entretien, les arcs-boutants de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris risquaient de s'effondrer. Il y a un véritable retard d'investissement.
Quant aux grands projets, je comprends que le Grand Palais doit accueillir des manifestations olympiques mais, avec la rénovation conduite il y a dix ans, le coût total atteindrait 700 à 800 millions d'euros ! À titre de comparaison, la Philharmonie de Paris a coûté entre 500 et 600 millions d'euros, avec un doublement du budget initial, or la technicité des deux chantiers est sans commune mesure. Le Grand Palais est une grande verrière... Pensez-vous vraiment ce que vous avez écrit ?
M. Éric Bocquet. - Les départements ont une action importante d'aide à la diffusion culturelle, mais c'est souvent la première mission qui fait les frais de la recherche d'économies de fonctionnement. L'impact sur les politiques culturelles des départements des gels et réductions de crédits a-t-il été évalué ?
M. Jean-Claude Requier. - 466 millions d'euros pour la rénovation du Grand Palais, cela peut sembler colossal, mais ce n'est guère plus que le montant cumulé des transferts de Neymar et Kylian Mbappé !
La Ville de Paris a vendu à l'État les terrains aux abords du Grand Palais pour 4,6 millions d'euros, soit 532 euros au mètre carré ; mais il arrive que les communes cèdent gratuitement un terrain à l'État pour des opérations comme la construction d'un collège...
Je salue l'effort engagé sur le patrimoine, un domaine dans lequel la suppression de la réserve parlementaire se fait sentir. 10 000 euros, cela permettait par exemple de boucler le budget de rénovation d'une petite église.
Enfin, si le rapporteur dépose un amendement pour flécher les ressources issues du loto vers le patrimoine, je le signerai.
M. Marc Laménie. - En effet, la réserve parlementaire complétait utilement les aides d'État, notamment aux petites communes, pour la restauration d'un patrimoine parfois non classé ni inscrit. Ces aides d'État sont-elles maintenues ?
L'échelon départemental reste pertinent dans le cadre de la redistribution des personnels des DRAC. Chaque département compte un architecte des bâtiments de France (ABF) et un service de l'architecture. Conserver cet échelon permet d'éviter les déplacements trop importants.
M. Antoine Lefèvre. - Le budget de 34 millions d'euros consacré au Pass culture vous paraît-il suffisant ? Il faudra prendre en compte la difficulté plus grande d'accéder aux équipements culturels dans les territoires ruraux. Les partenaires privés du dispositif ont-ils été identifiés ?
Les crédits de rénovation des monuments historiques sont notoirement insuffisants, en particulier pour les cathédrales. Dans ma commune de Laon, nous avons une cathédrale dont la gestion est municipale, ce qui est un beau cadeau et un poids très lourd... Le reportage sur Notre-Dame-de-Paris mentionné par Philippe Dallier est assez édifiant. Dans l'Aisne, les subventions des DRAC ont surtout profité à la cathédrale de Soissons, gérée par l'État, dont la verrière a été gravement endommagée par une tempête.
Je me félicite de la rénovation du château de Villers-Cotterêts, longtemps laissé à l'abandon. Le budget de 55 millions d'euros est-il suffisant pour l'ensemble du chantier, ou est-ce une première étape ?
Mme Nathalie Goulet. - Le loto du patrimoine a fait l'objet d'une publicité véritablement mensongère. Le groupe de l'Union Centriste serait favorable à un amendement assurant l'affectation des revenus de ce loto au patrimoine.
La ligne budgétaire consacrée au patrimoine linguistique n'apparaît plus. A-t-elle disparu ou a-t-elle été déplacée ?
Enfin, il serait utile que les dons des États étrangers aux musées ou aux expositions, notamment dans le cadre des saisons internationales, soient retracés car ils font l'objet de tous les soupçons.
M. Thierry Carcenac. - Vous indiquez que le projet de regroupement des administrations du ministère de la culture est estimé à 36,6 millions d'euros, financés par les produits de cession des locaux actuels. L'opération est-elle en cours ou à venir ? Elle ne semble pas respecter les grands principes de cession prévus pour le CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».
Comment se déroulent les négociations immobilières entre l'État et la Ville de Paris ? J'ai cru comprendre qu'elles étaient conduites par le préfet de région. Les cessions de l'État sont soumises à la décote Duflot. Dans l'autre sens, comme présenté ici, la Ville de Paris vend. Y a-t-il une vision globale des acquisitions et des cessions, ou sont-elles gérées indépendamment par chaque ministère ?
M. Vincent Éblé, président, rapporteur spécial. - Julien Bargeton et moi-même ne nous sommes rendus qu'à Montpellier et Bordeaux. Nous avons choisi Bordeaux parce que la région Nouvelle Aquitaine étant issue de la fusion de trois régions existantes, le processus de regroupement y avait été plus complexe. Le diagnostic d'ensemble est plutôt positif. Dès 2017, on ne constatait plus de corrélation entre les DRAC des régions issues d'une fusion et les retards dans la consommation des crédits, ce qui est rassurant.
Nathalie Goulet, la publicité menée autour du loto du patrimoine a en effet été quelque peu mensongère. La première édition a fait l'objet d'un véritable engouement : les buralistes ont rapporté qu'il avait attiré des personnes qui ne sont pas des habituées des jeux d'argent. Si l'idée que ce loto alimente les caisses de l'État s'accrédite, ces personnes n'y reviendront pas.
Stéphane Bern, qui avait signé la convention détaillant les règles de répartition des recettes du loto du patrimoine, a ensuite exigé que la part fiscale de l'État, soit 21 millions d'euros, soit reversée au patrimoine. Mais c'est peu au regard du puits sans fond que sont les monuments historiques. Les montants alloués, Philippe Dallier, seront toujours inférieurs aux besoins. Le patrimoine français, dans son état actuel, représente un élément très fort de l'attractivité touristique unique de la France. C'est pourquoi l'on peut se satisfaire du maintien des crédits en faveur du patrimoine, après plusieurs baisses successives ; mais le plus important est le montant de ces crédits hors grands projets, notamment les crédits déconcentrés dans les DRAC, indispensables à la restauration des petits monuments publics ou privés. Après une baisse des contributions des collectivités, Éric Bocquet, nous assistons à un regain du financement de la rénovation des monuments historiques par les régions. Les départements, dont les priorités budgétaires vont désormais à l'accompagnement social, ne le font plus.
Le Grand Palais, comme Notre-Dame de Paris, fait l'objet d'un traitement particulier par la presse : la critique fait vendre ! Oui, le coût du chantier est beaucoup plus élevé que prévu... parce que le périmètre a changé. Je pense à la muséographie du Palais de la découverte, avec les financements spécifiques d'Universcience. Je ne puis vous répondre immédiatement sur les 160 millions d'euros du PIA, Christine Lavarde - je n'ai pas votre connaissance du sujet ! Ce que je puis souligner, c'est que le Grand Palais est un élément d'attractivité de la place touristique parisienne, avec des manifestations comme la FIAC. On ne saurait s'en passer, une solution de remplacement est nécessaire, sauf à risquer une délocalisation de certains événements.
L'échelon départemental est précieux, Marc Laménie, notamment pour l'instruction des permis de construire aux abords des bâtiments classés par les ABF ; mais ce n'est pas l'échelon pertinent sur toutes les problématiques touchant les monuments historiques. Les conservateurs, les services ministériels, ont un rôle à jouer, complémentaire des DRAC et services départementaux.
Le Pass culture est en phase d'expérimentation dans les cinq départements pilotes, avec le développement d'une offre très territorialisée. La différenciation locale est parfaitement intégrée dans le dispositif. Il sera intéressant de dresser le bilan des propositions qui remportent les suffrages de la jeunesse : il y a loin entre l'acte d'achat d'un DVD en ligne et la démarche de se rendre à un spectacle vivant, de s'inscrire à un cours de musique ou de peinture. Et les choses sont forcément différentes selon la densité des zones ; reste à savoir si les 500 euros peuvent être utilisés pour la mobilité ou seulement pour l'achat de produits. Un bilan sera établi à la fin de la période d'expérimentation.
Je reviens un instant au Grand Palais puisque vous m'avez interrogé sur le terrain d'assiette : l'emprise foncière du monument lui-même a été acquise par l'État il y a quelques années, c'est à présent les abords que la Ville va lui vendre. Elle a également un gros projet visant à supprimer la circulation automobile entre le Grand et le Petit Palais.
Les 110 millions d'euros pour la restauration du château de Villers-Cotterêts correspondent à une tranche de travaux, dans la première cour. Ce château est dans un état de dégradation incroyable. Il a servi d'asile pour aliénés et personnes très désocialisées. M. Philippe Bélaval nous a expliqué que des décors intérieurs Renaissance, il ne subsistait que l'équivalent d'une petite salle - autrement dit, presque plus rien. C'est le bâti que l'on veut sauvegarder, mais c'est déjà beaucoup ! Le mécénat privé apportera-t-il la somme escomptée ? J'attends de voir. Si tel n'est pas le cas, il faudra allonger la durée de la restauration. Peut-être fera-t-on appel aux pays de la francophonie, en faveur de ce lieu fondateur pour la langue française ?
La langue ne figure plus dans le programme « Patrimoine », mais dans le programme consacré aux politiques transversales.
Pour évaluer les dons des pays étrangers, il faut consulter le budget de chaque opérateur. Mais ils figurent bien dans le total de 10 milliards d'euros. Les recettes du mécénat sont considérables dans un établissement comme l'Institut du monde arabe, significatives au Louvre, à Versailles, à Orsay, mais quasi-inexistantes dans les petits monuments.
L'Hôtel de la marine fait l'objet d'une très grosse opération de rénovation ; 400 mètres carrés seront affectés par convention au grand collectionneur qatari Al-Thani, qui exposera pendant vingt ans et par roulement les plus beaux éléments de sa collection. C'est un plus pour ce lieu !
Quant aux locaux administratifs du ministère, ils seront réunis sur le site de la rue de Valois, des Bons-Enfants et dans le quadrilatère Richelieu en cours de travaux. Le projet Camus sera entièrement autofinancé sur les produits de cession du ministère : 33 millions d'euros sont consacrés à l'aménagement du quadrilatère des Archives, 2,1 aux Bons Enfants, 0,7 aux frais d'accompagnement, 0,8 aux frais de transfert des agents et à l'équipement mobilier.
M. Thierry Carcenac. - Tout cela devant déboucher sur des économies de fonctionnement ?
M. Vincent Éblé, président, rapporteur spécial. - Oui.
Mme Christine Lavarde. - Dès lors que vous n'avez pu me donner plus d'informations sur les 160 millions d'euros provenant du PIA et inscrits au programme que je rapporte, je m'abstiendrai, à titre personnel ; mais mon groupe votera pour l'adoption des crédits.
M. Vincent Éblé, président, rapporteur spécial. - Julien Bargeton et moi-même y sommes favorables.
M. Jean-Claude Requier. - Abstention, pour ce qui nous concerne.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Culture » et de l'article 74 bis.
Projet de loi de finances rectificative pour 2018 - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Vincent Éblé, Albéric de Montgolfier, Dominique de Legge, Jérôme Bascher, Michel Canevet, Claude Raynal, Jean-Claude Requier comme membres titulaires ; et de MM. Éric Bocquet, Philippe Dallier, Bernard Delcros, Rémi Féraud, Mme Christine Lavarde, MM. Sébastien Meurant, Georges Patient comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances rectificative pour 2018.
Nomination d'un rapporteur
M. Vincent Delahaye est nommé rapporteur sur le projet de loi n° 84 (2018-2019) autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et la fortune.
La réunion est close à 12 h 30.
Mercredi 14 novembre 2018
- Présidence de M. Vincent Éblé, président, puis sous la présidence de M. Thierry Carcenac, secrétaire -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Pouvoirs publics » - Examen du rapport spécial
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial (mission « Pouvoirs publics »). - C'est un rapport particulier, du fait de la nécessaire autonomie financière des pouvoirs publics.
En un mot, les crédits de cette mission sont stables, mais cette stabilité ne peut pas durer.
Le périmètre de la mission englobe les deux assemblées, le Conseil constitutionnel, la présidence de la République et la Cour de justice de la République, qui n'a pas eu d'activité notable cette année. Je concentrerai mon exposé sur les trois premiers budgets, les plus importants, qui doivent être abordés comme des budgets d'établissements publics, avec des dotations de l'État, des recettes propres et des prélèvements sur les réserves. Or l'Assemblée nationale comme le Sénat font largement appel à ces réserves, et le tonneau des Danaïdes n'existant pas dans le domaine budgétaire et financier, celles-ci finiront par s'épuiser.
La Présidence, les deux assemblées et le Conseil constitutionnel se sont fixé un triple objectif de modernisation, d'optimisation et d'efficacité qui implique une révision ambitieuse des méthodes de travail.
Nous constatons une stabilité de la dotation de la présidence de la République accompagnée d'une légère augmentation des dépenses de personnel de l'Élysée, liée à une sous-estimation des crédits en 2018, et un budget de déplacement en forte croissance.
Autre fait saillant, l'Assemblée nationale puise beaucoup dans les réserves. Son budget s'élève à 568 millions d'euros, dont 517 millions d'euros de crédits budgétaires, sachant que les recettes propres sont très faibles. Pour le Sénat, le total est de 354 millions d'euros, jardin et musée inclus, dont 323 millions d'euros de crédits budgétaires.
Certes, les budgets des deux assemblées sont à peu près constants depuis 2012, soit une baisse réelle, mais le moment de vérité arrivera lorsque l'ensemble des réserves auront été consommées. C'est naturellement un sujet politique, une question d'exemplarité ; mais des mesures comme l'augmentation de 10 % de l'enveloppe des collaborateurs par les assemblées parlementaires doivent être financées. La situation me semble tenable jusqu'en 2020. Quoi qu'il en soit, il faudra se poser la question du budget après 2022, si le nombre et les moyens des parlementaires sont modifiés à cette échéance.
Ces observations faites, je propose l'adoption des crédits de la mission.
M. Arnaud Bazin. - Une réserve est toujours constituée en vue d'une utilisation déterminée. Quel est la raison d'être des réserves des assemblées ? Les ponctionner met-il en péril l'action ainsi envisagée ?
M. Marc Laménie. - L'augmentation des déplacements présidentiels a un impact sur les autres missions, notamment la mission « Sécurités ». Ainsi lors du passage du Président dans les Ardennes dans le cadre de l'itinérance mémorielle, une compagnie de CRS était mobilisée. A-t-on une idée de cet impact ?
Le budget du Sénat s'est stabilisé à 323 millions d'euros, et nos guides ne manquent pas de le signaler aux visiteurs. Il est important d'analyser la répartition de ces crédits.
Mme Christine Lavarde. - Où en est le projet de rapprochement entre la Chaîne Parlementaire et Public Sénat ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Certes, le budget de l'Élysée se stabilise, mais après une augmentation de 3 % l'an dernier...
Concernant l'Assemblée nationale, la presse s'est fait écho de dépassements budgétaires en cours d'année. Or les charges de personnel passent de 175 millions d'euros pour le réalisé 2017 à... 171 millions d'euros pour le budget 2019. De même, les charges de secrétariat parlementaire ont baissé de 194 millions d'euros pour le réalisé 2017 à 170 millions pour le budget 2019 ! Cette comptabilité est-elle vraiment sincère ?
Mme Nathalie Goulet. - La réserve a son utilité. Elle permet notamment d'absorber les indemnités des très nombreux collaborateurs parlementaires licenciés après le renouvellement de l'Assemblée nationale en 2017.
Comment sont gérés les fonds de pension ? Il importe de vérifier que notre institution ne fait pas de placements dans des paradis fiscaux.
M. Philippe Dominati. - La Cour de justice de la République coûte 900 000 euros par an. Quelle a été son activité ces dernières années ?
M. Philippe Dallier. - Le budget 2019 est très satisfaisant en termes d'affichage, puisque les dotations des assemblées n'augmentent pas depuis six ans, mais le recours aux réserves pose la question de la soutenabilité de cette trajectoire à moyen terme. Personne ne comprendrait un ressaut brutal de ces dotations. Une baisse du nombre de parlementaires ne réglera pas le problème : outre les charges fixes, l'une des justifications de la mesure proposée est l'augmentation des moyens dont bénéficiera chaque parlementaire. Le passage des retraites de l'Assemblée nationale au régime général est présenté comme une grande avancée, mais il a lui aussi un impact sur l'équilibre du budget. Les difficultés arrivent ; à quelle échéance, et ne faut-il pas s'y préparer ?
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - La raison d'être des réserves du Sénat et de l'Assemblée nationale est, pour le moment, de financer les projets immobiliers. Au Sénat, les ressources propres et les crédits budgétaires financent le fonctionnement de l'institution, mais pas l'entretien courant. Or le Sénat, comme l'Assemblée nationale, voire l'Élysée, ressemblent beaucoup à un monument historique, et ce n'est pas pris en compte dans la dotation... C'est pourquoi l'entretien courant du bâtiment est financé par la réserve.
Ces réserves ont été constituées progressivement. François Hollande a, en quittant la Présidence, rendu 10 millions d'euros sur les 17 millions de la réserve au budget de l'État.
Marc Laménie, le G7 organisé à Biarritz en 2019 explique en partie l'augmentation du budget des déplacements. La Cour des comptes s'est demandé si le budget de l'Élysée recouvrait l'ensemble des dépenses de la Présidence. Un effort d'internalisation a été réalisé mais une véritable comptabilité analytique fait défaut. Concernant la sécurité du Président, la garde du pavillon de la Lanterne est assurée par la Garde républicaine et affectée dans le budget de celle-ci ; la CRS-1 relève de la Mission « Sécurités ». L'Élysée ne fonctionne pas encore à coût complet, mais s'en rapproche. Il faudrait davantage de comptabilité analytique, pour la Présidence comme pour l'Assemblée nationale ou le Sénat.
Christine Lavarde, le rapprochement entre LCP et Public Sénat ne semble plus dans l'air du temps.
Le budget de l'Assemblée nationale est-il sincère ? Oui, dans l'ensemble, les Questeurs de l'Assemblée nationale ont ajusté le budget 2019 à la réalité. Par ailleurs, les projets immobiliers de l'Assemblée, notamment la reconversion de l'hôtel de Clermont en bâtiment de bureaux, ont entraîné un recours accru aux réserves.
Les Questeurs m'ont indiqué que les réserves constituées au Sénat pour payer les pensions en financent 70 % du total ; 30 % doivent être prélevés sur les crédits annuels. Ce sont deux comptes séparés. Il ne me semble pas que ces fonds soient mal gérés.
Mme Nathalie Goulet. - Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - Le Sénat veille à éviter les placements dans les paradis fiscaux et procède aux diligences nécessaires.
La Cour de Justice de la République n'a pas eu d'activité en 2018 ; en 2012, elle a reçu 34 plaintes, 44 en 2013, 45 en 2014, 42 en 2015, 74 en 2016, 41 en 2017 et 11 au 31 mai 2018. Cinq affaires se sont conclues par un non-lieu et deux sont en cours.
Philippe Dallier a posé une question fondamentale : que fait-on demain ?
M. Philippe Dallier. - Et quand est-ce, demain ?
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - L'Assemblée nationale peut maintenir cette trajectoire jusqu'en 2022, le Sénat aussi. Il est également possible de laisser les bâtiments se dégrader, comme l'État le fait souvent... L'ajustement des crédits de fonctionnement et d'investissement courants est indispensable, pour l'Élysée comme pour l'Assemblée nationale et le Sénat. De plus, le Conseil constitutionnel fera un bilan, en 2020, de l'introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, qu'il a absorbée à budget constant.
La baisse projetée de 30 % des effectifs parlementaires ne débouchera pas sur une économie de 30 % en fonctionnement, d'autant que le Président de la République a annoncé vouloir renforcer les moyens des assemblées, y compris en développant des capacités d'expertise propres. La fin du cumul des mandats et des cabinets locaux entraînera également un besoin de collaborateurs plus affûtés, et devrait se traduire par une augmentation du temps travaillé, du temps de présence des parlementaires et de l'activité de contrôle.
Il n'est pas raisonnable de laisser une telle situation à nos successeurs. Il faudra donc engager un travail d'explication auprès des Français et arrêter la démagogie.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Pouvoirs publics ».
Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Outre-mer » (et article 77 bis) - Examen du rapport spécial
M. Nuihau Laurey, rapporteur spécial (mission « Outre-mer »). - Il est difficile de présenter synthétiquement un rapport qui couvre des territoires aussi différents, avec des compétences touchant des domaines aussi divers que le logement, la mobilité, ou encore la situation sanitaire.
En 2019, le montant total des crédits de la mission outre-mer s'élèvera à 2 490,6 millions d'euros en crédits de paiement et à 2 576,4 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit une hausse respective de 20,5 % et 22,5 %.
Ces augmentations exceptionnelles résultent de deux importantes mesures de périmètre. D'abord, 170 millions d'euros de ressources nouvelles en autorisations d'engagement et 120 millions d'euros en crédits de paiement ont été dégagés par la suppression de la TVA non perçue récupérable (TVA NPR) et de la réduction d'impôt sur le revenu (IR) dont bénéficient les personnes physiques domiciliées fiscalement dans les départements d'outre-mer. Ensuite, 296 millions d'euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement correspondent à un transfert au profit du programme 138 « Emploi outre-mer », lié à la mise en oeuvre de la réforme des exonérations de charges spécifiques à l'outre-mer, qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2019 en même temps que la réforme du CICE.
Hors ces mesures de périmètre, les crédits de la mission seraient stables par rapport à la loi de finances initiale pour 2018 : aucune augmentation pour les autorisations d'engagement, 0,1 % pour les crédits de paiement qui s'élèvent à 2,2 milliards d'euros.
En réalité, l'action de l'État dans les outre-mer ne se limite pas au périmètre de cette mission ni aux crédits budgétaires. Le document de politique transversale (DPT) outre-mer couvre 27 missions différentes, pour un montant total de 17 milliards d'euros en crédits de paiement, auxquels il faut ajouter le montant des dépenses fiscales rattachées à la mission « Outre-mer », estimé à 4,7 milliards d'euros pour 2019.
La mesure de périmètre que j'ai évoquée a pour objet de permettre au Gouvernement de mobiliser l'équivalent de la dépense fiscale supprimée en dépense budgétaire, soit 100 millions d'euros, afin de favoriser le développement économique des territoires rassemblés principalement dans la nouvelle action 04 « Financement de l'économie » du programme 138 « Emploi outre-mer » ; et 70 millions d'euros seront dégagés pour abonder le fonds exceptionnel d'investissement (FEI). Avec mon collègue Georges Patient, nous avions, en 2016, réalisé un contrôle budgétaire de ce dispositif de financement des investissements publics ; nous en avions noté la souplesse et sa capacité à mobiliser rapidement l'action publique au service des collectivités concernées.
Ce projet de loi de finances comprend également d'importantes mesures fiscales. Son article 6 crée les « zones franches d'activité nouvelle génération » (ZFANG), pérennisant ainsi le dispositif temporaire des zones franches d'activité, augmentant les taux des différents avantages fiscaux prévus, et surtout supprimant leur dégressivité. La réforme conduit néanmoins à une réduction du nombre de secteurs éligibles aux taux préférentiels.
Les moyens budgétaires visant à favoriser le logement, dont la ligne budgétaire unique constitue l'instrument principal, sont stables mais inférieurs aux besoins exprimés par les territoires, comme Georges Patient vous le confirmera.
Les plans de convergence et de transformation prévus par la loi d'égalité réelle des outre-mer et le Livre bleu des Outre-mer voulu par le Président de la République font l'objet de 23 millions d'euros d'autorisations d'engagement en 2019. Ce dispositif devra impérativement monter en charge afin d'atteindre les objectifs fixés par ces deux textes. Ces plans se substitueront aux contrats en cours - contrats de plan État-région et contrats de développement pour les collectivités d'outre-mer, avec un périmètre budgétaire élargi. Il conviendra d'être vigilant sur le respect des engagements financiers de l'État en fin d'exécution.
En 2019, 179,1 millions d'euros sont prévus en autorisations d'engagement pour ces dispositifs contractuels, dont 55 millions d'euros pour les cinq départements d'outre-mer et 124,1 millions d'euros pour les collectivités d'outre-mer. Ces chiffres sont toutefois à rapprocher des 235,6 millions d'euros de restes à payer sur les engagements des contrats en cours et passés. Initialement prévus en juin, ces derniers devraient finalement être finalisés en fin d'année et n'entrer en vigueur qu'au début de l'année 2019.
Je tiens à exprimer la satisfaction du gouvernement de la Polynésie française vis-à-vis du maintien du soutien de l'État au régime de solidarité local, dans un contexte difficile de réforme de la protection sociale au niveau national, et du respect des engagements pris sous la précédente mandature sur la difficile question nucléaire. Il n'y a pas si longtemps, les crédits de la dette nucléaire étaient réduits chaque année en loi de finances, contrairement aux engagements initiaux.
Je vous propose de voter les crédits de la mission.
M. Georges Patient, rapporteur spécial (mission « Outre-mer »). - Les crédits de la mission « Outre-mer » ne retracent qu'une partie de l'effort de l'État en faveur des outre-mer. L'effort financier consacré par l'État aux territoires ultramarins s'élève à 18,72 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 18,41 milliards d'euros en crédits de paiement dans le PLF 2019. Les dépenses fiscales étant estimées à plus de 4,3 milliards d'euros, l'effort total de l'État devrait s'élever à 23,02 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 22,71 milliards d'euros en crédits de paiement en 2019. Sur l'ensemble de ces crédits, retracés par le document de politique transversale, plus de 1,7 milliard d'euros n'ont pas encore été ventilés par territoire. À périmètre constant, l'effort total de l'État en faveur des outre-mer n'augmente que de 1,5 % en autorisations d'engagement.
Je rappelle que cet effort est justifié par les fragilités socio-économiques spécifiques dont souffrent ces territoires. À titre d'exemple, en 2017, le PIB par habitant de la Guyane ne s'élevait ainsi qu'à 48 % de celui de l'ensemble de la France, tandis que celui de Mayotte ne dépassait pas les 28 %.
Comme l'a indiqué mon collègue Nuihau Laurey, les crédits de la mission sont stables par rapport à la loi de finances pour 2018. À périmètre constant, le budget 2019 respecte la programmation pluriannuelle. Il aurait été souhaitable que cette programmation fût réévaluée au cours de la tenue des « Assises de l'outre-mer », qui devaient définir la stratégie ultramarine du quinquennat et, en conséquence, le niveau réel des besoins de la mission « Outre-mer ». Le respect de cette trajectoire me paraît regrettable, car en contradiction avec l'objectif de rattrapage économique des territoires ultramarins.
Je serai particulièrement vigilant quant à la promesse du Gouvernement de « transformer » des dépenses fiscales en dépenses budgétaires. Ce PLF prévoit en effet, dans son article 5, la réaffectation des économies réalisées grâce à la suppression de la TVA non perçue récupérable, et dans son article 4 l'abaissement du plafond de la réduction d'impôt sur le revenu applicable aux contribuables domiciliés dans les DROM, qui devraient représenter un « gain » budgétaire respectif de 100 et 70 millions d'euros par an en dépenses budgétaires de la mission « Outre-mer ». Il est envisagé d'abonder le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) de 70 millions d'euros par an et d'utiliser les 100 millions d'euros restants pour financer des actions de soutien aux entreprises ultramarines.
La dépense budgétaire présente toutefois pour caractéristique d'être pilotable, contrairement à la dépense fiscale, et nous ne pouvons que redouter son attrition progressive. Ce ne serait pas la première fois qu'un Gouvernement ne respecte pas son engagement... La promesse d'abondement du FEI doit donc être accueillie avec une extrême vigilance. Alors que le précédent président de la République avait formulé le souhait de doter le FEI de 500 millions d'euros sur son quinquennat, cet objectif n'avait pas été atteint. En 2017, le FEI n'avait cumulé que 230 millions d'euros en autorisations d'engagement et 214 millions d'euros en crédits de paiement, soit moins de la moitié des financements promis.
Ainsi, je souhaite que ces engagements fassent cette fois l'objet d'une surveillance particulière. J'envisage donc d'effectuer un contrôle budgétaire sur le FEI dans les années à venir afin de veiller à leur bonne exécution.
L'année 2019 est également marquée par la réforme des exonérations de charges sociales outre-mer prévue à l'article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), avec un recentrage du soutien sur les niveaux de rémunération jusqu'à 2 SMIC, alors que le régime actuel permet des allégements jusqu'à 3,5 SMIC pour les secteurs prioritaires, voire 4,5 SMIC dans certains cas. Cette réforme comporte le risque de créer une « trappe à bas salaires » en contradiction avec l'objectif de développement endogène de filières compétitives, qui nécessite des emplois qualifiés et des niveaux de rémunération plus élevés. Son impact est, en outre, négatif pour certains territoires, comme la Guyane.
Comme mon collègue Nuihau Laurey, c'est donc sans enthousiasme, et surtout avec une grande vigilance pour l'avenir, que je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Outre-mer ».
M. Victorin Lurel. - J'imagine les difficultés rencontrées par notre collègue Georges Patient dans le cadre de son rapport spécial et les efforts d'objectivité et d'équilibre qu'il a dû déployer. Mais malgré son travail remarquable de parlementaire averti, je crains de ne pouvoir suivre son avis sur la mission « Outre-mer », compte tenu de la politique menée par le Gouvernement. Le projet de loi de finances apparaît mal préparé et les études d'impact, incomplètes, n'ont été publiées qu'au dernier moment, empêchant les parlementaires de voter en conscience et en raison.
Comme ancien ministre, je connais particulièrement bien la mission « Outre-mer » et je regrette le choix du Gouvernement en faveur d'une réforme fiscale d'envergure sans consultation préalable. Les données fournies paraissent aussi loufoques qu'illisibles. Ainsi, l'abaissement du plafond de la réduction d'impôt sur le revenu rapporterait, selon le Gouvernement, 70 millions d'euros. Je crois davantage à un montant de 200 millions d'euros. L'estimation ne semble guère plus solide s'agissant la suppression de la TVA non perçue récupérable - souvenez-vous de la prestation de la ministre devant l'Assemblée nationale - dont le gain annoncé a varié de 200 millions d'euros à 23 millions d'euros. Quelle politique au doigt mouillé ! Quant à la défiscalisation, aucune étude sur l'amélioration de l'habitat privé n'a été réalisée. Je l'ai indiqué au président de la République lors de sa venue en Guadeloupe : il ne manque pas 170 millions d'euros sur quatre ans à l'outre-mer, mais plus d'un milliard d'euros. Pouvez-vous nous confirmer que les crédits de la mission demeurent stables en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement en 2019, hors changement de périmètre ? Ledit changement de périmètre - la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) pour un montant de 296 millions d'euros - se traduit-il effectivement par un gain de 171 millions d'euros pour la mission ?
D'après le rapporteur général du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), la réforme des exonérations de charges patronales serait déficitaire d'environ 14 millions d'euros. Ce chiffre vous semble-t-il exact ? En revanche, alors que le Gouvernement parle d'équivalence, les administrations publiques seraient bénéficiaires à hauteur de 66 millions d'euros. Quoi qu'il en soit, la méthode apparaît brutale. Pire, l'argent sera centralisé à Paris sans garantie de consommation effective pour l'outre-mer. Voilà, selon moi, le pire budget depuis cinquante ans pour l'outre-mer ! Nous demandons donc la reprise des discussions, afin de trouver un compromis raisonnable sur la réforme proposée. Je vous rappelle que la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer avait établi une feuille de route.
M. Michel Canevet. - Nous partageons certaines préoccupations de nos collègues ultra-marins. Lors d'un récent déplacement, j'ai constaté avec effroi l'état inquiétant des logements. Quelles politiques d'amélioration ont été mises en oeuvre ? Quel est, par ailleurs, l'état d'avancement du programme de soutien et d'intervention lancé après le récent mouvement social en Guyane ? Je m'interroge enfin, au regard du taux de chômage élevé en outre-mer, sur l'efficacité des politiques menées en termes de développement économique et d'insertion professionnelle des populations. Comment agir pour améliorer la situation ?
M. Nuihau Laurey, rapporteur spécial. - Le taux de chômage est effectivement deux à trois fois supérieur en outre-mer, qui dispose pourtant des mêmes dispositifs qu'en métropole, à l'instar, par exemple, des emplois aidés. Mais les handicaps - éloignement, éparpillement des territoires particulièrement prégnant en Polynésie, et étroitesse du marché économique - y demeurent nombreux et expliquent les résultats décevants des politiques en faveur de l'emploi.
Le budget consacré au logement social ultra-marin est longtemps resté stable, alors que plus de 60 000 ménages y prétendent dans les départements d'outre-mer. Le dispositif de défiscalisation se met difficilement en oeuvre, raison pour laquelle les collectivités territoriales disposant d'une autonomie en la matière souhaitent pouvoir l'accélérer. Nul ne peut hélas garantir que la transformation d'une dépense fiscale en crédits budgétaires se fera à enveloppe constante. Il nous faudra demeurer vigilants lors des prochains projets de loi de finances.
M. Georges Patient, rapporteur spécial. - L'action menée par la ministre part d'une louable intention. Le chômage constitue effectivement un fléau majeur pour l'outre-mer, avec un taux moyen de 25 % et de 40 % chez les jeunes, nombreux dans nos territoires, même si un phénomène de vieillissement de la population est observable en Martinique et en Guadeloupe. Mais une telle politique nécessite des financements supplémentaires dans un contexte budgétaire contraint. Le choix a donc été fait de faire appel à la solidarité locale en réduisant les niches fiscales - l'abattement de 40 % à Mayotte et en Guyane et de 30 % aux Antilles dont bénéficient environ 4 % des foyers - et en réformant la TVA pour financer de nouvelles mesures à hauteur de 170 millions d'euros. Nous devons toutefois être certains de l'affectation de cette somme à l'outre-mer. Je vous rappelle qu'après avoir annoncé un plan de 500 millions d'euros, le précédent Gouvernement n'y a consacré que 230 millions d'euros...
Il semblerait que le coût des différents dispositifs d'exonération de charges s'établisse à 1,754 milliard d'euros en 2019, contre 1,736 milliard d'euros en 2018. Hier, avec notre collègue Victorin Lurel, nous avons combattu cette réforme dans le cadre de la discussion du PLFSS. La ministre a elle-même reconnu que le dispositif pouvait être amélioré et a accepté de nombreux amendements.
M. Vincent Éblé, président. - Ne vous faites guère d'illusion : rien ne changera !
M. Victorin Lurel. - Le Gouvernement précédent s'était certes engagé à hauteur de 500 millions d'euros mais, au moins, ne prélevait-il pas de recettes. Le président de la République a, pour sa part, promis 4,5 milliards d'euros à l'outre-mer, dont un milliard d'euros pour la seule Guyane, mais avec les mesures fiscales, il commence par nous retirer des ressources ! Or, en observant le produit intérieur brut (PIB) de l'outre-mer, il apparait que la consommation, qui souffrira de ces mesures, représente le principal facteur de croissance. Nous votions toujours le budget de l'outre-mer à l'unanimité ; chacun désormais défend ses intérêts. La réforme proposée est trop brutale : la majorité sénatoriale doit nous aider à trouver un compromis.
M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Je peux vous confirmer que la situation en Guyane demeure tendue. Si la mise en oeuvre du plan de soutien est respectée, les plans complémentaires promis sont restés dans les limbes. Les attentes sont considérables et l'agitation palpable : veillons à ce que les troubles ne se reproduisent pas.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Si les dispositifs fiscaux suscitent des inquiétudes, la mission « Outre-mer » ne semble pas poser de difficulté.
M. Georges Patient. - L'article 77 ter introduit par l'Assemblée nationale prévoit la remise au Parlement, avant le 31 décembre 2020, d'un rapport sur le nouveau dispositif d'exonération de charges sociales outre-mer. Nous y sommes favorables.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Outre-mer » et de l'article 77 ter qui lui est rattaché.
Projet de loi de finances pour 2019 - compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » - Examen du rapport spécial
M. Victorin Lurel, rapporteur spécial (compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État »). - L'an dernier, je vous faisais part de ma perplexité de rapporteur spécial face à la présentation du compte spécial « Participations financières de l'État ».
Les impératifs de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) sont en effet aménagés afin de préserver la confidentialité des opérations de cessions envisagées au cours de l'année suivante. La présentation du compte s'opère de façon conventionnelle, avec un montant artificiel de crédits proposés.
Comment vous éclairer dans ces conditions ? C'est pourquoi j'avais proposé une position de vote inédite, en m'en remettant à la sagesse du Sénat.
Cette année, ma conviction s'est affermie : la présentation du compte n'est pas satisfaisante. La capacité d'analyse du Parlement est balayée sur l'autel de la confidentialité des opérations. Des alternatives existent pourtant, j'y reviendrai ensuite.
Dans l'immédiat, laissez-moi vous présenter le compte tel qu'il est proposé pour 2019. Le montant conventionnel de crédits est multiplié par deux, choix artificiel censé tenir compte des cessions envisagées par le Gouvernement et faisant l'objet de dispositions législatives dans le projet de loi dit « Pacte » que nous allons prochainement examiner.
Vous connaissez sans doute à grands traits le projet du Gouvernement. Il s'agit de céder pour 10 milliards d'euros de participations afin d'abonder un fonds pour l'innovation dite « de rupture », dont seuls les intérêts seront affectés à l'innovation. La dotation du fonds est donc non consumptible.
Ce projet initial a été précisé dans le courant de l'année. Le fonds a été créé en janvier dernier ; il est placé auprès de l'Epic Bpifrance. Il a reçu une dotation transitoire, dans l'attente des cessions effectives d'Aéroports de Paris (ADP) et de la Française des Jeux (FDJ) : 1,6 milliard d'euros en numéraire et des titres de l'État dans Thalès et EDF.
Ces titres n'ayant pas vocation à être cédés, ils sont temporairement confiés au fonds afin d'assurer que la somme des intérêts générés par le 1,6 milliard d'euros en numéraire et les dividendes tirés de ces participations atteignent l'objectif visé de crédits destinés à l'innovation dès cette année, à savoir 250 millions d'euros environ.
Les titres Thalès et EDF seront ensuite récupérés par l'État lorsque le produit des cessions ADP et FDJ aura été encaissé et que la dotation du fonds atteindra effectivement les 10 milliards d'euros en numéraire.
Surtout, en août dernier, les modalités de placement de la dotation en numéraire du fonds ont été précisées. En pratique, les 10 milliards d'euros seront placés sur un compte ouvert auprès du Trésor, portant un intérêt annuel de 2,5 %.
Compte tenu de ce taux particulièrement avantageux dans le contexte actuel de taux faibles, je serais tenté de féliciter le Gouvernement pour ce rendement !
La réalité est malheureusement plus sombre. L'étude d'impact du projet de loi « Pacte » nous renseigne à cet égard : le rendement du fonds sera retracé dans la charge de la dette. Posons les termes adéquats : le rendement annuel du fonds, de 250 millions d'euros, sera retracé dans le budget général de l'État au titre du service de la dette.
C'est là le tour de passe-passe trouvé par le Gouvernement. La dotation du fonds pour l'innovation viendra en effet s'inscrire en déduction de la dette maastrichtienne. J'ai calculé : par cet artifice, le Gouvernement affiche une réduction artificielle de l'endettement public.
Plus encore, il convient de distinguer entre sous-secteurs d'administrations publiques. En effet, la réduction de l'endettement public inscrite dans la trajectoire du Gouvernement résulte uniquement des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale. Le mécanisme du Gouvernement permet en réalité de contenir le dérapage de l'endettement de l'État de 20 %.
Sous couvert, selon les termes mêmes du ministre de l'économie et des finances Bruno Le Maire, de préparer l'avenir de nos enfants en soutenant l'innovation dite « de rupture », le Gouvernement maquille surtout la réalité des chiffres.
Récapitulons les conséquences pour le budget général de cette opération : les dividendes tirés d'ADP et de la FDJ seront perdus, pour un montant d'environ 200 millions d'euros par an, tandis qu'en parallèle les intérêts dus au titre de la dotation du fonds pour l'innovation s'élèveront à 250 millions d'euros par an. Or le Parlement ne sera nullement associé aux modalités du soutien à l'innovation qui sera apporté par le fonds.
Relevez que, jusqu'à présent, je n'ai pas fondé mon propos sur la pertinence ou non de céder ces entreprises. Ces débats auront lieu lors de l'examen de « Pacte », ils seront nourris, j'en suis certain. Non, j'alerte uniquement votre attention sur la manoeuvre du Gouvernement et ses risques pour les intérêts patrimoniaux de l'État, et donc pour nos enfants que le Gouvernement affirme pourtant privilégier par ce tour de bonneteau.
Je vous disais au début de mon intervention que des alternatives existent. J'en citerai deux.
La première nous est livrée par le Gouvernement lui-même : la dotation transitoire actuelle pourrait être prolongée, dans l'attente des retours des investissements consentis dans le cadre des programmes d'investissement d'avenir (PIA). Ces derniers sont estimés à près de 3 milliards d'euros d'ici 2022, puis à 8 milliards d'euros d'ici dix ans. C'est précisément le montant nécessaire pour compléter la dotation du fonds.
La seconde consiste en une évolution du statut de l'Agence des participations de l'État. Actuellement, il s'agit sans doute du seul gestionnaire de participations qui ne bénéficie pas du produit des actifs qu'il gère. En effet, les dividendes en numéraires sont directement versés au budget général de l'État.
En dotant l'Agence de la personnalité morale, elle pourrait percevoir ces dividendes. Elle serait liée à l'État par un contrat pluriannuel déterminant le montant du dividende annuel qu'elle serait tenue de lui verser.
Cette évolution apporterait une solution aux deux difficultés principales actuellement constatées. L'instabilité du montant annuel des dividendes perçus par l'État, mobilisée par le Gouvernement pour justifier l'impossibilité de compter sur cette recette pour financer l'innovation, serait lissée. L'information du Parlement et ses pouvoirs de contrôle seraient améliorés. L'unité de l'État actionnaire serait assurée. Le Parlement serait associé à la définition du contrat pluriannuel conclu avec l'APE et pourrait en suivre la réalisation.
L'équation initialement insoluble entre l'information du Parlement et la confidentialité des opérations de l'État actionnaire, derrière laquelle le Gouvernement se drape pour justifier la mise à l'écart du Parlement, serait résolue.
Dans l'immédiat, il m'appartient de vous faire part de ma position de vote.
Considérant qu'à l'appui de ce que je viens de vous exposer, il est pour le moins incongru de doubler la contribution au désendettement portée par le compte en 2019, je vous propose un amendement visant à la réduire de moitié et à rétablir ainsi le montant conventionnellement prévu sur le compte.
Sous réserve de l'adoption de cet amendement et des observations que j'ai formulées, je vous recommanderai d'adopter les crédits du compte spécial pour 2019.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - J'aimerais mieux comprendre votre amendement.
M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Il s'agit d'abaisser de deux milliards d'euros à un milliard d'euros le montant consacré au désendettement de l'État. Ce compromis me semble raisonnable pour éviter de participer à la manoeuvre comptable du Gouvernement sans pour autant contrarier la contribution au désendettement traditionnellement inscrite sur le compte.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le projet de loi de finances fait déjà état des montants des cessions de la FDJ et d'ADP alors que nous n'avons pas examiné le projet de loi qui les autorise. Je suis, pour ma part, réservé : il n'est jamais souhaitable de privatiser un monopole comme la FDJ. Nous en reparlerons en temps voulu. Je soutiens votre amendement.
M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - J'ai également des réserves sur les privatisations envisagées. La doctrine d'intervention de l'État actionnaire a changé, mais ce dernier pourrait avoir du mal à honorer sa propre doctrine, compte tenu du montant inédit du solde cumulé du compte. Il devrait en effet s'établir à un niveau très faible en fin d'année - environ 1,3 milliard d'euros. Les marges de manoeuvre de l'État actionnaire seront réduites et sa capacité d'intervention en cas de risque systémique touchant une entreprise, qui constitue pourtant un des trois axes de la doctrine d'intervention, se trouverait conditionnée à un versement du budget général et de fait assujettie aux contingences budgétaires annuelles.
M. Philippe Dominati. - Dans le cadre des travaux de la commission spéciale formée pour l'examen du projet de loi « Pacte », nous avons auditionné Martin Vial, Commissaire aux participations de l'État. Il a été consulté par le Gouvernement sur le choix des entreprises dont la privatisation pourrait être envisagée. Avez-vous eu accès à cette liste ?
La rentabilité d'une société comme ADP dépend des dividendes versés, dont le montant est déterminé par le conseil d'administration, dont l'État est un membre essentiel. La dernière vente de l'État sur cette société date d'il y a cinq ans dans une opération de gré à gré. Depuis, la valeur du titre a considérablement augmenté... Cela a-t-il été véritablement une bonne opération pour l'État ? Comment calculer la bonne opportunité ?
M. Jérôme Bascher. - Je m'interroge sur ce qui ne relève pas du compte d'affectation spéciale (CAS), mais de la Caisse des dépôts et consignations. La Caisse détient de nombreuses participations. Quelles pourraient être vos propositions pour l'articulation de ces participations avec celles de l'État ?
M. Arnaud Bazin. - Malgré toute la pédagogie du rapporteur spécial, je n'ai pas bien compris un point. L'État envisage de céder 10 milliards d'actifs, ce qui lui rapporterait 250 millions d'euros par an. Qui paie ces intérêts ? S'agit-il d'une recette fictive établie par rapport à des emprunts non contractés à raison des 10 milliards d'euros de liquidités - mais alors le taux considéré est particulièrement élevé par rapport aux taux actuels - ou s'agit-il des intérêts de l'argent prêté par l'État à quelqu'un ?
Mme Nathalie Goulet. - Cette mission sur l'État actionnaire est importante, mais elle est, malheureusement, souvent sacrifiée lors d'un examen de 30 minutes tard dans la nuit. Je regrette qu'il n'y ait pas davantage de débat, alors qu'on a fait riper les participations de l'État pour alimenter le Fonds stratégique d'investissement (FSI), sans contrôle parlementaire. Pourquoi ne pas organiser un débat en séance publique sur les participations de l'État ?
M. Vincent Éblé, président. - Certes, nos débats obéissent à certaines contraintes de temps, mais soyez rassurée : cette mission sera examinée un vendredi matin, et non à trois heures du matin, ce qui n'empêche pas un autre débat en séance publique. Tous les sujets budgétaires ont leur importance.
M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Nous avons reçus le Commissaire Vial, et l'avons interrogé. Il nous a avoué avoir été consulté et avoir fait des propositions, sans nous communiquer la liste - que je souhaite lui demander.
Il ne nous a pas explicité les critères de choix pour privatiser un monopole public, même si la nouvelle doctrine qui remplace celle de 2014 nous donne quelques informations. Un rendement faible justifie une privatisation.
C'est l'État actionnaire qui fixe les dividendes et donc influence le rendement. Mais en étant juge et partie, il peut prévoir un rendement faible et ensuite dire que la cession est une bonne affaire pour l'État. Or je ne suis pas certain que ce soit le cas. La multiplication par quatre des performances boursières devrait rendre l'État plus prudent.
La vente ne se fera pas de gré à gré mais par une opération de marché. J'ai été étonné par la convergence de vues entre sénateurs lors de l'audition de Martin Vial par la commission spéciale. Le Commissaire, un peu gêné, a dû reconnaître sa patte personnelle dans le choix des critères. Le mécanisme adopté est tout sauf simple : sans me prononcer idéologiquement sur la privatisation, le mécanisme a des effets indirects bien opportuns pour le Gouvernement... Le Gouvernement a mis au point un mécanisme extrabudgétaire, sans contrôle du Parlement.
Je vous invite tous à vous intéresser aux articles 44 à 51 du projet de loi « Pacte » portant sur le cadre proposé pour les cessions d'ADP et de la FDJ. Les contraintes sont-elles suffisantes dans le rapport de force ? Pour ADP, une double comptabilité est prévue, et les redevances aéroportuaires ne seront pas fixées en fonction de la rentabilité commerciale de l'entreprise.
M. Arnaud Bazin. - C'est déjà le cas.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il y a déjà une double caisse.
M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Les redevances seront une charge lourde pour la gestion d'Aéroports de Paris. Tous les autres grands aéroports du monde sont publics, y compris aux États-Unis...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Sauf l'aéroport de Saint-Louis, dans le Missouri.
M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Ce sont des monopoles presque naturels. Ce qui faisait la force d'Aéroports de Paris, cette exploitation pérenne, disparaîtra demain...
Le patrimoine de l'État actionnaire s'élève à 140 milliards d'euros. L'Agence des participations de l'État en gère environ 100 milliards d'euros, le reste relève de Bpifrance et de la Caisse des dépôts et consignations ; cela ne figure pas dans le compte d'affectation spéciale. Nous avions interrogé l'année dernière des gestionnaires de la Caisse des dépôts consignations ainsi que de Bpifrance sur leurs relations avec l'Agence des participations de l'État. Nous devons suivre attentivement cette articulation.
Concernant la question d'Arnaud Bazin, il faut bien le préciser : cette rémunération est un peu fictive et sera retracée dans le service de la dette. C'est l'astuce du mécanisme, qui permet de ne pas montrer de dérapage de l'endettement des administrations publiques centrales (APUC). Le soutien à l'innovation de 250 millions d'euros est obtenu par un mécanisme fort compliqué. Le Gouvernement aurait pu trouver une solution beaucoup plus simple, comme utiliser les dividendes. Je suis favorable à revoir le statut de l'Agence des participations de l'État. L'État garderait la main, mais avec un contrôle du Parlement, a priori et a posteriori - ce qui n'est pas le cas actuellement.
Je regrette également le manque de temps pour examiner cette mission - on voit moins les choses quand on manque de temps. Or ici, ce mécano un peu compliqué ne grandit pas l'exécutif...
M. Vincent Éblé, président. - Procédons au vote de l'amendement.
M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Le rapporteur général m'a interrogé sur le sens de l'amendement. Je considère que l'effort de désendettement est déjà assuré via les 8 milliards d'euros qui serviront à compléter la dotation du fonds pour l'innovation, dans la mesure où ces liquidités viendront réduire l'endettement maastrichtien de l'État. Initialement, je voulais même supprimer la totalité de la contribution au désendettement de l'État pour 2019, mais cela aurait été un mauvais signal car nous sommes tous favorables au désendettement. Aussi, je propose de ramener cette contribution à son montant habituel, à savoir un milliard d'euros.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - En inscrivant sur le compte des montants doublés par rapport à la convention, je considère que nous préemptons les recettes de la privatisation. Pour ne pas préjuger de mon vote sur le projet de loi « Pacte », je voterai cet amendement.
L'amendement n° 1 est adopté.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » sous réserve de l'adoption de son amendement.
Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Travail et emploi » (et article 84) et compte d'affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage » - Examen du rapport spécial
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial (mission « Travail et emploi » et CAS « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage »). - Nous ferons une présentation à deux voix avec ma co-rapporteure, Sophie Taillé-Polian, car nous avons des avis parfois convergents, parfois distincts, sur cette mission.
En 2019, les crédits de la mission « Travail et emploi » s'élèveront à 13,4 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 12,4 milliards d'euros en crédits de paiement.
Par rapport à 2018, la baisse prévue dans ce budget est assez importante, de l'ordre de 500 millions d'euros en autorisations d'engagement et de près de 3 milliards d'euros en crédits de paiement. Cette évolution était annoncée et elle s'inscrit dans un double contexte.
D'une part, la situation de l'emploi s'améliore notablement. Dans une note d'août 2018, l'Insee rappelle que le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) s'élevait à 9,1 % au deuxième trimestre 2018, contre 10,5 % en 2015. Le chômage de longue durée diminue en outre de 0,4 point sur un an et le taux d'emploi approche les 66 %. D'autre part, il est nécessaire de maîtriser la dépense publique. À cet égard, la contribution de la mission « Travail et emploi » et de ses opérateurs à cet effort est significative. Les effectifs de la mission diminueront ainsi de 233 équivalents temps plein (ETP), permettant une économie, hors pensions, de plus de 5 millions d'euros. Le montant des subventions pour charges de service public versées aux opérateurs sera également en baisse, de plus de 86 millions d'euros et leurs plafonds d'emplois connaîtront une diminution sensible, de 458 équivalents temps plein travaillé (ETPT).
L'essentiel de l'effort demandé aux opérateurs sera porté par Pôle emploi. S'agissant des crédits, cette diminution sera plus que compensée par une hausse de la contribution de l'assurance chômage. Au total, les ressources de Pôle emploi augmenteront de 18 millions d'euros par rapport à 2018. La baisse des effectifs sera quant à elle compensée par des gains de productivité. Lors de son audition, la direction générale de Pôle emploi ne s'est pas montrée inquiète sur la capacité de l'opérateur à absorber cette baisse et à faire face à ses nouvelles missions, telles que l'indemnisation des salariés démissionnaires ou des travailleurs indépendants. Néanmoins, si le nombre de demandeurs d'emploi devait progresser, il conviendrait alors de réexaminer la pertinence de la poursuite de la baisse des effectifs envisagée par le Gouvernement.
La diminution des crédits de la mission « Travail et emploi » poursuit une logique de recentrage des moyens sur les publics les plus éloignés de l'emploi. Moins nombreux, les contrats aidés ont vocation à devenir de véritables outils d'insertion des demandeurs d'emploi. La transformation des contrats d'accompagnement dans l'emploi (CUI-CAE) en parcours emploi compétences (PEC) intervenue en début d'année participe de cette logique. Les conditions pour y avoir recours sont plus restrictives, elles sont la contrepartie d'exigences plus grandes en termes d'accompagnement et de formation du bénéficiaire - ce qui est louable. Depuis longtemps, le Sénat prônait la diminution du nombre de contrats aidés en tant qu'instruments à la main des Gouvernements pour diminuer artificiellement les chiffres du chômage. La baisse des contrats aidés sera en outre en partie compensée par un effort en faveur du secteur de l'insertion par l'activité économique, qui bénéficiera de moyens en hausse de 51 millions d'euros par rapport en 2018, permettant le financement de 5 000 ETP supplémentaires.
Le présent projet de loi de finances vise à favoriser une « société de compétences ». Sur la durée du quinquennat, un effort inédit sera consenti dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences (PIC) en faveur de la formation et de l'accompagnement des jeunes et des demandeurs d'emploi les plus éloignés du marché du travail. Au total, le PIC sera ainsi doté de 15 milliards d'euros, dont 13,8 milliards d'euros portés par la mission « Travail et emploi ». En 2019, les crédits du PIC s'élèveront à 1,4 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 979 millions d'euros en crédits de paiement. Ils permettront le financement de la généralisation effective de la Garantie jeunes ainsi que la montée en puissance du volet « formation » du PIC, 2019 constituant la première année de mise en oeuvre des pactes pluriannuels d'investissement dans les compétences, qui seront conclus pour une durée de quatre ans (2019-2022) avec les conseils régionaux. Ces crédits budgétaires seront complétés par un fonds de concours de 1,5 milliard d'euros versé par France compétences.
Ce budget qui nous est présenté m'apparaît responsable, ses orientations sont claires : mieux accompagner les personnes les plus en difficulté et investir dans l'avenir, tout en réduisant la dépense publique.
Aussi, je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Travail et emploi », sous réserve d'un amendement, cosigné avec ma collègue co-rapporteure Sophie Taillé-Polian, visant à renforcer les crédits consacrés aux maisons de l'emploi. Dans le cadre du contrôle budgétaire que nous avons réalisé cette année sur ces structures, il nous est apparu que leur action était utile localement, notamment en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou de mise en oeuvre des clauses sociales. L'année dernière, le budget était de 12 millions d'euros, l'Assemblée nationale a adopté un amendement les fixant à 5 millions d'euros - contre zéro initialement. Nous vous proposons de ne pas descendre en dessous de 10 millions d'euros, et de maintenir un soutien de l'État suffisant.
Je vous propose en outre l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage » sans modification.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale (mission « Travail et emploi » et CAS « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage »). - Je n'ai pas la même appréciation budgétaire que mon collègue. Pour la deuxième année consécutive, les crédits consacrés à la politique de l'emploi sont en très forte baisse. Les chiffres ont été rappelés par mon collègue Emmanuel Capus, 500 millions d'euros en autorisations d'engagement et 3 milliards d'euros en crédits de paiement.
Certes, le taux de chômage diminue, mais la situation de l'emploi ne s'est globalement pas améliorée au cours des derniers mois.
Le nombre de demandeurs d'emploi (DEFM) en fin de mois en catégorie A a bien diminué entre le premier trimestre 2015 et le troisième trimestre 2018, mais cette baisse a été plus que compensée par une progression du nombre de DEFM en catégories B et C. Par exemple, le chômage des plus de 50 ans a progressé de 3 % sur un an toutes catégories confondues, et de près de 9 % pour les seules catégories B et C.
Dès lors, la logique baissière poursuivie par le Gouvernement se fera au détriment des personnes les plus éloignées de l'emploi, comme en témoigne la diminution drastique de l'enveloppe de contrats aidés. Je ne nie pas qu'il eût fallu avoir davantage d'exigences pour les contrats aidés en matière d'accompagnement et de formation des bénéficiaires, mais le taux d'insertion de ces derniers sera toujours insatisfaisant puisque précisément les contrats aidés s'adressent aux personnes les plus éloignées de l'emploi.
Certes, nous dit-on, les moyens consacrés à l'insertion par l'activité économique (IAE) augmentent pour contrebalancer la réduction du nombre de contrats aidés, mais c'est tout à fait insuffisant. En outre, il ne faut pas opposer l'IAE aux contrats aidés car il ne s'agit pas nécessairement des mêmes secteurs d'activité. À mon sens, ils sont plutôt complémentaires.
S'agissant du plan d'investissement dans les compétences (PIC), présenté comme l'innovation majeure du Gouvernement, une part importante des crédits qui lui seront dévolus en 2019 était déjà inscrite dans le budget de la mission « Travail et emploi ». Cela était notamment le cas des moyens consacrés à la Garantie jeunes ou au plan « 500 000 formations », auquel a succédé le volet « formation » du PIC.
Le dispositif « Garantie jeunes » gagnerait à être assoupli afin de toucher un public plus nombreux et d'en simplifier la gestion pour les missions locales, qui sont parfois fragilisées par les décisions de certaines collectivités locales, qui ne peuvent plus assurer leur financement.
Outre une diminution drastique des dépenses d'intervention de la mission, le Gouvernement a également choisi d'affaiblir les acteurs de la politique du travail et de l'emploi. À cet égard, la baisse des effectifs du ministère du travail, et notamment de ceux de l'inspection du travail, est un très mauvais signal alors que le travail illégal et la fraude au détachement constituent des enjeux de plus en plus prégnants et que le droit du travail a fait l'objet de modifications importantes au cours des années passées.
Face à ce paradoxe, le ministère répond que le ratio salariés par agent de contrôle de la France est conforme au standard fixé par l'Organisation internationale du travail (OIT). Mais les missions confiées à l'inspection du travail sont différentes de celles dévolues à d'autres inspections à l'étranger. Selon les organisations syndicales de la direction générale du travail, pour assumer l'ensemble des missions dévolues à l'inspection du travail, il conviendrait plutôt d'atteindre un ratio d'un agent pour 6 500 salariés au lieu des 9 000 actuels. La vérité se trouve peut-être entre ces deux chiffres...
Plus généralement, l'affaiblissement des opérateurs du travail et de l'emploi est symptomatique de la politique de l'offre mise en oeuvre par le Gouvernement actuel et rentre en contradiction avec la nécessité d'accompagner davantage les publics les plus éloignés de l'emploi.
S'agissant de Pôle emploi, je ne suis pas sûre que les gains de productivité, qui reposent sur le tout numérique, et dont on nous parle depuis des années, soient réels. En outre, si la dématérialisation simplifie certaines procédures, elle peut aussi s'avérer dissuasive pour divers publics. Pôle emploi avait recours à des contrats aidés pour accompagner les demandeurs d'emploi lors de leur inscription : aujourd'hui, tel n'est plus le cas.
S'agissant de l'Afpa, le projet de transformation avec, à la clé, des réductions d'emplois, conduira à affaiblir l'opérateur, d'où une baisse du nombre et de la qualité des services rendus et du nombre de bénéficiaires. Or, l'Afpa accompagne la reconversion de personnes très éloignées du marché du travail. En outre, ses capacités d'hébergement et le nombre de ses sites vont se réduire. Il n'y aura plus aucun centre de formation dans onze départements. L'alignement sur le moins disant contraindra l'opérateur à revoir à la baisse ses exigences en matière de qualité des formations dispensées et d'accompagnement des publics visés.
Enfin, l'affaiblissement de l'Afpa sera définitif, dans la mesure où il ne semble pas envisageable que des investissements massifs soient réalisés sur les plateaux techniques dans les années à venir. De plus, ces plateaux techniques étaient utilisés par des organismes privés ou publics lors des examens de qualification. Ne va-t-on pas aller vers une réduction du nombre de formations qualifiantes ?
Ce budget me semble donc mauvais : il nie la situation de millions de Français, pour qui trouver un emploi ne se résume pas au fait de traverser la rue. Aussi, je vous invite à adopter l'amendement que j'ai co-signé avec Emmanuel Capus sur les moyens consacrés aux maisons de l'emploi mais, contrairement à lui, je vous propose de rejeter les crédits de la mission « Travail et emploi ». Je vous suggère en revanche d'adopter sans modification les crédits du compte d'affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage ».
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je suivrai les conclusions d'Emmanuel Capus sur les crédits de la mission et je voterai l'amendement.
M. Antoine Lefèvre. - J'ai apprécié le rapport sur les maisons de l'emploi et je voterai l'amendement que vous nous présentez. En revanche, je partage l'analyse de Sophie Taillé-Polian sur la baisse des moyens de cette mission qui envoie de mauvais signaux du fait de la suppression des contrats aidés, de l'asphyxie des maisons de l'emploi et de la suppression de postes à Pôle Emploi. Toutes ces décisions ont des impacts négatifs sur les territoires, alors même que les dotations pour ces derniers diminuent. Je suis perplexe devant les décisions qui sont prises à Paris, notamment en ce qui concerne les maisons de l'emploi qui sont de bons outils.
Selon la ministre, 60 % des jeunes passés dans les écoles de la seconde chance sortent avec une qualification ou un emploi. Mais pourquoi alors ne pas accélérer leurs implantations ? Neuf écoles de plus d'ici 2022, c'est vraiment trop peu ! Dans mon département de l'Aisne, nous sommes candidats, mais on nous met des bâtons dans les roues. Si le Gouvernement ne débloque pas les crédits nécessaires, nous n'en resterons qu'à de l'affichage.
M. Éric Jeansannetas. - Il y a deux ans, dans leur rapport, nos collègues Jean-Claude Requier et François Patriat avaient insisté sur la nécessaire sécurisation financière des missions locales. Les crédits affectés aux conventions pluriannuelles d'objectifs diminuent alors même que le Gouvernement demande à ces structures d'augmenter les moyens accordés à la « Garantie jeunes ». Les magistrats de la Cour des comptes ont d'ailleurs salué ce dispositif d'insertion sociale pour les jeunes en grande difficulté tant sociale que scolaire et professionnelle. Les missions locales doivent être assurées d'un financement stable et pérenne.
Le Premier ministre a évoqué une éventuelle fusion entre Pôle emploi et les missions locales. J'y suis opposé, car les missions locales ne sont pas un Pôle emploi pour les jeunes : comme le préconisait le rapport Schwartz de 1981, les missions locales traduisent l'engagement des acteurs locaux, des élus, des chefs d'entreprise qui se préoccupent des jeunes en situation très précaire. Cette ambition doit perdurer. Que pouvez-vous nous dire de cette éventuelle fusion ?
M. Marc Laménie. - Comme mes collègues, je m'étonne de cette baisse des moyens. Disposez-vous de la répartition des agents entre l'administration centrale et déconcentrée ? Sur le terrain, les demandeurs d'emploi sont parfois perdus, ne sachant pas à qui s'adresser. Il est souvent difficile de s'y retrouver dans les subtilités du monde économique. Enfin, quid de la santé au travail ?
M. Arnaud Bazin. - Si nous ne disposions pas de missions locales sur nos territoires, nos services sociaux seraient submergés. La cause me semble entendue.
Je voterai l'amendement sur les maisons de l'emploi : l'action de l'État mérite d'être constante.
Nos rapporteurs peuvent-ils établir une corrélation entre les moyens dévolus à Pôle emploi et le retour à l'emploi des chômeurs ? En tant que président d'un département, j'ai dû, faisant face à une situation budgétaire dramatique, réduire les crédits destinés au revenu de solidarité active (RSA). Il est apparu que l'insertion des bénéficiaires du RSA dépendait beaucoup plus de la conjoncture économique que des moyens affectés. Par symétrie, je m'interroge sur la performance des crédits versés à Pôle emploi.
M. Jérôme Bascher. - Je ne suis pas d'accord avec l'affirmation de notre rapporteur spécial qui estime que l'amélioration globale de la situation de l'emploi justifierait de moindres dépenses. Les chiffres qui viennent d'être publiés montrent un ralentissement des créations d'emploi. Après une année 2017 particulièrement favorable, nous n'avons pu cette année résorber le chômage.
Ce budget étant au milieu du gué, nous avons les pieds mouillés. Le Gouvernement nous propose un début de réforme libérale, mais il ne va pas jusqu'au bout. S'il veut absorber les missions locales et les maisons de l'emploi, qu'il le dise et qu'il le fasse. Mais nous sommes ici dans un entre-deux.
Je suis favorable à la suppression des contrats aidés, mais pas si brutalement. Le projet de loi de finances rectificative a montré que les crédits avaient finalement été sous-consommés : chat échaudé craint l'eau froide. Cette politique de stop and go n'est pas sérieuse.
Pourquoi ne pas simplifier le financement de Pôle Emploi ? Celui-ci dispose encore de crédits budgétaires, et prélève aussi des moyens sur l'assurance chômage. Pourquoi celle-ci ne le financerait-elle pas entièrement ? Le candidat Jacques Chirac, en 1995, disait qu'au lieu d'affecter 100 000 francs à la lutte contre le chômage, on ferait mieux d'employer quelqu'un... Le pognon de dingue qu'on met dans ce budget, comme disent certains, ne donne pas des résultats suffisants.
M. Jean-Claude Requier. - Merci d'avoir évoqué les missions locales, qui soutiennent bien l'emploi des jeunes. Les écoles de la deuxième chance ont été créées par Édith Cresson, qui les dirige toujours. Elles font un excellent travail de réinsertion.
Je vois que l'Anact perd deux emplois. De quoi s'agit-il ?
Il me semble que, lors des élections professionnelles, les syndicats recevaient un soutien. Où est la ligne budgétaire correspondante ? A-t-elle disparu ?
M. Michel Canévet. - Le PIC, entre 2018 et 2022, doit totaliser 13,8 milliards d'euros. En 2019, seuls 848 millions d'euros sont prévus en autorisations d'engagement (AE), et 387 millions d'euros en crédits de paiement (CP). Cette trajectoire n'est-elle pas inquiétante ?
Le rôle de l'inspection du travail doit être d'informer les entreprises, face à des normes toujours plus complexes. Ses moyens ne diminuent-ils pas au point d'affecter sa capacité à le faire ? Elle doit aussi, naturellement, continuer à diligenter des contrôles... Comment le déficit de 723 millions d'euros de l'Afpa sera-t-il résorbé ? Sait-on si l'Afpa devra entrer dans le nouveau cadre de prise en charge de l'information ? Saura-t-elle le faire ? Enfin, la réduction de 25 millions d'euros des moyens de l'Agefiph pourra-t-elle être absorbée par le recours à ses réserves ?
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - Ma position est délicate, sous le feu croisé des tenants de la position de Sophie Taillé-Polian et des libéraux, qui ne veulent toutefois pas donner l'impression qu'ils se départissent de leur esprit critique sur ce budget.
Nous avons tous deux déposé un amendement sur les maisons de l'emploi. Ce sont des outils qui ont fait leurs preuves. Celles qui fonctionnent méritent d'être aidées - les autres ont déjà disparu. Sinon, ce sont les collectivités territoriales qui devront s'y substituer, ce qui posera un problème d'égalité, car leur niveau de richesse est très variable.
Les écoles de la deuxième chance sont en effet très utiles, et j'en ai une dans mon département. Le projet d'en ouvrir neuf nouvelles n'est pas malvenu - en tous cas, les crédits sont stables. Peut-être les 13,8 milliards d'euros du PIC y contribueront ?
Les conventions pluriannuelles d'objectif baissent de 8 millions d'euros, en effet, mais l'enveloppe globale renforce la Garantie jeunes de façon drastique - et donc, les missions locales.
Oui, Marc Laménie, c'est la mission qui contribue le plus à la réduction des dépenses publiques. Notre commission, qui réclame un recentrement sur le régalien, ne saurait s'en offusquer. Je suis libéral, et je préfère un traitement du chômage par l'investissement dans les compétences que par l'accompagnement social. En tout, hors Pôle Emploi, le plafond d'emploi de la mission diminuera de 239 ETPT, dont 28 ETPT dans l'administration centrale.
La subvention à Pôle Emploi baisse de 85 millions d'euros, ce qui n'empêche pas son budget d'augmenter de 18 millions d'euros, car la contribution de l'assurance chômage, qui atteint déjà les 3,5 milliards d'euros, s'accroît de 103 millions d'euros.
L'Anact est l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail. Je pense qu'elle pourrait être fusionnée avec l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS).
M. Jérôme Bascher. - Ce serait logique, avec la fusion des CHSCT en Comités sociaux et économiques.
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - Le PIC rassemble 13,8 milliards d'euros, et c'est vrai qu'il aurait été préférable que l'effort soit fait en début de mandat, même si, avec les 1,5 milliard d'euros du fonds de concours de France Compétences, on ne peut pas dire qu'aucun effort n'est fait. Oui, le rôle de l'inspection du travail est aussi d'accompagner, mais je connais peu de chefs d'entreprises qui considèrent l'inspecteur du travail comme leur conseil ! J'ignore quel sera l'impact de la diminution des crédits. Les réformes actuelles ont plutôt pour but de simplifier le code du travail. Le passage de la sanction à la lettre d'avertissement réduira sans doute la charge de travail, tout comme la réduction de la durée des contrôles dans les PME.
- Présidence de M. Thierry Carcenac, secrétaire de la commission -
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - Le Gouvernement s'efforce d'accroître la qualification des agents, en faisant passer les contrôleurs dans le camp des inspecteurs du travail - ce qui fut le cas pour plus de 250 d'entre eux l'an dernier.
Soyons clairs, la subvention de l'Afpa ne baisse pas d'un euro - contrairement aux autres établissements du même ordre - et reste à 110 millions d'euros. Mais le Gouvernement lui demande un effort considérable de restructuration. Elle a cumulé plus de 700 millions d'euros de déficit au cours des dernières années ; elle est au bord du dépôt de bilan : dans le secteur privé, elle serait en liquidation judiciaire. La masse salariale a déjà baissé de 11 % dans les dernières années et continuera à le faire. Les syndicats sont très inquiets ; de nombreux territoires perdront leur établissement - le Maine-et-Loire sera concerné. Mais cela devrait assurer sa survie.
Un financement de 25 millions d'euros est demandé à l'Agefiph pour financer les entreprises adaptées. Avec ses 145 millions d'euros de fonds de roulement, elle devrait pouvoir l'absorber.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale. - Emmanuel Capus et moi sommes d'accord sur les maisons de l'emploi et les écoles de la deuxième chance.
La Garantie jeunes a déjà été assouplie, mais le compte n'y est pas. Elle constitue une prise de risque pour les missions locales qui la gèrent, car une partie des crédits ne sont débloqués qu'en cas de sortie positive du jeune concerné. Or, en fonction des indicateurs retenus, certaines sorties ne sont pas considérées comme telles, alors qu'elles servent à l'insertion du jeune. Le dispositif est financé pour 100 000 jeunes, alors que 120 000 jeunes seraient éligibles. Cela semble difficilement atteignable ; cela constituerait-il une poire pour la soif ? Il serait préférable d'élargir les publics cibles, en rendant le dossier plus facile à compléter. Chacun s'accorde à trouver ce dispositif efficace, car il permet de récupérer des jeunes en désocialisation complète.
Les missions locales sont fragilisées par la diminution de 8 millions d'euros des crédits consacrés aux conventions d'objectifs, alors que certaines ont déjà été mises en difficulté par la baisse des subventions des collectivités territoriales. Il faudrait offrir de la visibilité à ces équipes, qui sont agiles et impliquées dans leur travail. Il me semble qu'il y a dans cette baisse de leur financement une contradiction avec les objectifs affichés du Gouvernement.
Nous avons demandé au cabinet de la ministre, au directeur de Pôle emploi - j'ai également écrit à la ministre du travail - où auraient lieu les expérimentations concernant la fusion entre missions locales et Pôle Emploi. Il semblerait qu'elles seraient organisées sur la base du volontariat des territoires. Le Gouvernement n'ira donc pas à marche forcée. Il faudra prendre garde aux spécificités des missions locales, qui prennent en charge de manière globale des jeunes en situation très difficile.
Dans le Val-de-Marne, l'inspection du travail a perdu une unité de contrôle. L'ensemble des missions en subit les conséquences, y compris celles de conseil, qu'il s'agisse des employeurs ou des salariés. On peut se plaindre qu'elle se concentre surtout sur le contrôle ; mais lorsqu'on lit dans les témoignages des inspecteurs du travail la description de ce qu'ils rencontrent au jour le jour, on se rend bien compte qu'elle ne peut faire autrement.
Deux rapports, dont un rapport parlementaire de Charlotte Lecocq, traitent de la santé au travail, ce dernier préconisant une réforme de la gouvernance. Les crédits de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) ont été sanctuarisés, ce qui est positif. L'Anact perd en revanche 2 emplois sur 80 ; cela semble peu, mais cela vient après d'autres réductions. C'est une petite structure qui apporte beaucoup à son réseau, celui des associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail (Aract). Contrairement à l'INRS, elle prend en compte les risques psychosociaux. Ces deux organismes, qui ont des cultures différentes, pourraient travailler davantage ensemble. C'est une préconisation intéressante du rapport Lecocq. Mais l'investissement de notre pays sur ce sujet est insuffisant, au regard de la dégradation en cours des conditions de travail en France, au contraire des autres pays européens. Leur amélioration bénéficierait, j'en suis sûre, à la sécurité sociale, mais aussi à la compétitivité de nos entreprises.
À quoi sert le service public de l'emploi, sachant que c'est d'abord l'activité qui fait l'emploi ? Même si une formation permet à un demandeur d'emploi d'être plus employable, cela ne lui garantit pas un emploi s'il n'y a pas d'activité. Le Gouvernement dit vouloir renforcer l'individualisation de l'accompagnement, mais ne va pas au bout de la logique, puisque les moyens baissent pour les personnes les plus en difficulté. La plateforme ne remplacera pas les conseillers, qui peuvent orienter les demandeurs, compte tenu des évolutions de long terme. Le Gouvernement prétend appliquer la flexisécurité ; il rend certes le marché du marché plus flexible, mais la sécurité ne progresse pas.
Une large part du financement de Pôle Emploi - 3,5 milliards d'euros sur plus de 5 milliards - est assurée par l'Unedic, qui y consacre 10 % de ses cotisations. Le Gouvernement parle de l'incroyable déficit de Pôle Emploi ; mais son montant est presque le même que celui de ses transferts à Pôle Emploi, dont l'État s'est désengagé. Ne fragilisons pas le financement de ce dernier en modifiant les règles de financement de l'Unedic. Ce manque de visibilité inquiète beaucoup, à Pôle Emploi.
Comment résorber le déficit de l'Afpa ? La situation de cette dernière a été organisée par son entrée dans le champ concurrentiel. Si nous voulons conserver un service public de qualité, cela a un coût. L'Afpa ne peut être mise brutalement en concurrence avec des organismes privés alors qu'elle est plus chère ; pourquoi ? Parce que ses formateurs sont en CDI et ne sont pas des vacataires - dont les intermissions sont prises en charge par d'autres, comme l'Unedic. Attention à ne pas perdre des savoir-faire acquis par l'accompagnement de personnes en reconversion, par exemple.
Je suis en accord avec Emmanuel Capus sur l'article 84 bis. L'Agefiph devrait pouvoir absorber la ponction, mais nous n'avons pas pu le vérifier en si peu de temps. Je constate en outre qu'une partie de l'effort en faveur des entreprises adaptées mis en avant par le Gouvernement sera prise en charge par l'Agefiph...
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - L'article 84 réduit de trois ans le délai pendant lequel une entreprise ayant recours au chômage partiel peut solliciter auprès de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) l'allocation qui y est consacrée. Aujourd'hui, elle peut le faire pendant plus de quatre ans - possibilité que seuls les grands groupes utilisent. Les petites entreprises, n'ayant pas les moyens d'attendre, font la demande tout de suite. L'article 84 bis transfère 25 millions d'euros de l'Agefiph vers les entreprises adaptées.
L'amendement n° 1 est adopté.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Travail et emploi » sous réserve de l'adoption de son amendement.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 84, de l'article 84 bis, et du compte d'affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage. »
La réunion est close à 17 h 20.