Mardi 6 novembre 2018
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne - Examen des amendements de séance au texte de la commission
M. Jean Bizet, président. - Outre quelques amendements de précision de notre rapporteur, nous sont soumis pour la séance publique des amendements de notre collègue Jean-Louis Masson, en majorité déjà examinés par la commission spéciale lors de sa précédente réunion, et du Gouvernement, déposés fort tardivement.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Je suis, je l'avoue, un peu déçu par les amendements du Gouvernement. Les amendements que nous avons adoptés en commission spéciale apportaient des précisions utiles au projet de loi, en application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et des recommandations du Conseil d'État. En outre, en poursuivant les négociations, j'ai accepté, avec les modifications que je vous proposerai dans un instant, de prendre en considération plusieurs observations du Gouvernement. Pourtant, celui-ci a entrepris de déposer huit amendements qui remettent en cause nos apports : il refuse, malgré nos efforts à son endroit, la moindre concession.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Mon amendement no 19, outre des améliorations rédactionnelles, précise les finalités de l'habilitation à légiférer par ordonnances. Notre commission spéciale a spécifié que lesdites ordonnances seraient applicables jusqu'à l'entrée en vigueur de traités ou d'accords bilatéraux entre la France et le Royaume-Uni. Le Gouvernement préfère qu'elles s'appliquent dans l'attente de tels accords. Je lui en donne acte.
L'amendement n° 19 est adopté.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Mon amendement no 21 apporte au Gouvernement davantage de souplesse s'agissant de l'entrée en vigueur comme de l'abrogation des mesures prises par ordonnances.
L'amendement n° 21 est adopté.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Mon amendement no 22 clarifie la date retenue pour la prise en compte des diplômes et des qualifications professionnelles. Il s'inscrit également dans le cadre des discussions menées avec le Gouvernement aux fins de préciser le champ de l'habilitation.
L'amendement n° 22 est adopté.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Mon amendement no 20 précise que les flux de transport font référence aux passagers et aux marchandises, comme le souhaite, à juste titre, le Gouvernement.
L'amendement n° 20 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS ET DES MOTIONS DE SÉANCE
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Dans la perspective de la séance publique, notre collègue Jean-Louis Masson a redéposé, à l'exception de l'amendement no 10, les motions et les amendements précédemment rejetés par notre commission spéciale : les motions n° 1 et 2, et les amendements nos 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9. Mon avis demeure logiquement défavorable s'agissant de propositions contraires à notre position.
La commission spéciale émet un avis défavorable à la motion n° 1 tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, ainsi qu'à la motion n° 2 tendant à opposer la question préalable.
Article 1er
La commission spéciale émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
Article 2
La commission spéciale émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Le Gouvernement estime, dans son amendement no 11, que le texte de notre commission spéciale serait plus favorable que celui envisagé par le projet d'accord de retrait après le 31 décembre 2020. Les alinéas 3, 4 et 6 modifiés par nos soins reprennent les dispositions prévues aux 9, 22, 25 et 27 dudit projet d'accord pour la période de transition et les appliquent à un retrait sans accord tel qu'envisagé par le projet de loi. L'amendement no 11 apparaît à cet égard contraire à la position de la commission spéciale ; j'y suis défavorable, ainsi qu'à l'amendement no 12, pour des raisons identiques.
De façon plus générale, le Gouvernement revient, avec ses amendements, sur les précisions que nous avons apportées au projet de loi. Je suis surpris par son attitude, d'autant que les différents groupes politiques du Sénat s'étaient montrés responsables en acceptant qu'il légifère par voie d'ordonnance, compte tenu de l'urgence dans laquelle certaines mesures devront être prises en l'absence d'accord de retrait. Je m'étais, en outre, contenté de faire adopter seize amendements de précision, dans la stricte lignée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et des recommandations du Conseil d'État. Le Gouvernement souhaite pourtant revenir à son texte initial.
La commission spéciale émet un avis défavorable aux amendements nos 11 et 12.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Avec son amendement no 13 rectifié, le Gouvernement va plus loin encore. Notre commission spéciale avait, pour mémoire, précisé, à l'initiative de notre collègue Laurent Duplomb, qu'un niveau élevé de sécurité sanitaire devrait être garanti sur le territoire national. De fait, le recrutement de quarante ETP, dont seulement douze vétérinaires, nous semblait fort insuffisant. Hélas, le Gouvernement souhaite supprimer cette assurance ; j'y suis défavorable.
M. Simon Sutour. - L'amendement no 13 rectifié ne fait pas référence aux vétérinaires.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Justement ! Le Gouvernement en supprime la mention.
M. Laurent Duplomb. - La sécurité sanitaire ne pourra être garantie.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Le Gouvernement ne prend, en tout état de cause, pas les moyens d'éviter sa dégradation...
M. Simon Sutour. - Le Gouvernement ayant, en premier chef, déposé son projet de loi au Sénat, nous aurions pu penser qu'il envisageait d'y intégrer certaines de nos propositions. Bien que nous ayons donné notre aval à une procédure qui ne nous plaît guère, cela n'est hélas pas le cas.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Je m'en ferai l'écho en séance publique.
M. Simon Sutour. - Je regrette cet état d'esprit dont, déjà, le Gouvernement avait fait preuve lors de l'adaptation du droit français au Règlement général sur la protection des données (RGPD). La ministre chargée des affaires européennes avait pourtant rencontré l'ensemble les groupes politiques et promis d'associer le Parlement à la rédaction des ordonnances. Nous devons rester fermes sur nos positions !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - J'appelle chaque groupe et, lors de l'examen des amendements du Gouvernement, chaque sénateur à regretter en séance publique cette absence de dialogue.
La commission spéciale émet un avis défavorable à l'amendement n° 13.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Je suis également défavorable à l'amendement no 14 présenté par le Gouvernement : la rédaction proposée est à nouveau moins précise que celle de notre commission spéciale.
La commission spéciale émet un avis défavorable à l'amendement no 14.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement no 15 du Gouvernement revient sur un apport de notre commission spéciale en renvoyant à un décret, dans la loi d'habilitation, les conditions d'appréciation de la réciprocité entre la France et le Royaume-Uni. Juridiquement, ce renvoi doit être opéré dans les ordonnances. Je croyais, au regard de mes discussions avec Mme Loiseau, que nous avions sur ce point l'accord du Gouvernement, mais la dernière réunion interministérielle semble avoir rigidifié sa position. Avis défavorable.
M. Bruno Sido. - Ne prenons-nous pas le risque que notre position soit considérée comme une injonction au Gouvernement ?
M. Jean Bizet, président. - Notre proposition se trouve parfaitement conforme à l'article 38 de la Constitution, qui oblige à préciser le champ des ordonnances. Le Gouvernement se met en difficulté en la rejetant.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Je vous rappelle que la loi du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social ne prévoyait aucun décret.
M. Bruno Sido. - Nous ne sommes pas loin d'une injonction...
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Il ne s'agit effectivement pas d'une précision que nous apportons, mais d'une question juridique.
La commission spéciale émet un avis défavorable à l'amendement n° 15, ainsi qu'à l'amendement no 5.
Article 2
La commission spéciale émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Avec son amendement no 16, le Gouvernement préfère la notion de « situation » à celle de « droits sociaux et professionnels », tout en renvoyant à des dispositions relatives à ces droits. Il ne semble pas lui-même être certain de la définition de la « situation »... Mon avis est donc défavorable.
M. Bruno Sido. - Le Gouvernement semble surtout vouloir être libre de ses mouvements !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Surtout la haute administration, à mon avis...
La commission spéciale émet un avis défavorable à l'amendement n° 16, ainsi qu'à l'amendement n° 7.
Article 3
La commission spéciale émet un avis défavorable à l'amendement n° 8.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'amendement no 17 du Gouvernement revient également sur les efforts de précision de notre commission spéciale et fragilise, en insérant l'adverbe « notamment », le texte au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Je rappelle que l'article 3 du projet de loi permet d'adapter le droit en vigueur concernant l'aménagement, l'urbanisme, l'expropriation, la préservation du patrimoine, la voirie et les transports, la domanialité publique, la commande publique, les ports maritimes, la participation du public et l'évaluation environnementale. Que faudrait-il ajouter à cette longue liste ? Même avec de l'imagination, je ne vois guère, d'autant que le Gouvernement n'apporte aucune précision sauf à demander à pouvoir prévoir tous les cas de figure...
M. Bruno Sido. - Souvent, l'adverbe « notamment » ne renvoie qu'à la liste qui le suit.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Mais le Gouvernement pourrait étendre ainsi la liste. Or, le projet de loi lui offre déjà une marge de manoeuvre considérable.
La commission spéciale émet un avis défavorable à l'amendement n° 17, ainsi qu'à l'amendement n° 9.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Notre commission spéciale a réduit de six à trois mois le délai de dépôt du projet de loi de ratification, afin que le Parlement se prononce rapidement sur les ordonnances du Gouvernement. Avec son amendement n° 10, notre collègue Jean-Louis Masson propose de le fixer à deux mois. Je parais dès lors très raisonnable ! Avis défavorable.
La commission spéciale émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Le Gouvernement revient quant à lui, avec son amendement no 18, au délai initial. Mon avis est également défavorable.
La commission spéciale émet un avis défavorable à l'amendement n° 18.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - N'hésitez surtout pas, lors du débat en séance publique, à rappeler que les ordonnances ne constituent pas la voie normale pour légiférer, mais que le Sénat, au vu de l'urgence, en a accepté le principe. Que le Gouvernement entende la commission spéciale et suive la jurisprudence du Conseil constitutionnel et les recommandations du Conseil d'État !
M. Jean Bizet, président. - Je remercie notre rapporteur pour le travail mené et la commission spéciale de l'avoir suivi. Souvenez-vous que les ordonnances des articles 2 et 3 ne s'appliqueront qu'en cas d'absence d'accord, à la condition du principe de réciprocité et qu'elles ne concernent que les mesures nationales. Le groupe de suivi du Brexit appréhendera évidemment les dispositions européennes.
Nous avons rendu service au Gouvernement en apportant au projet de loi des précisions en application de l'article 38 de la Constitution. Quant au délai de trois mois pour le dépôt du projet de loi de ratification, il permet aux mesures, par définition urgentes, d'être ratifiées rapidement par le Parlement.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'agitation était palpable ces derniers jours à Londres : la City bruissait d'un accord prochain, conduisant la livre à augmenter à deux reprises. Pourtant, hormis sur des sujets financiers, les discussions, notamment s'agissant de la frontière irlandaise, n'ont nullement avancé. Peut-être y aura-t-il un accord pour repousser la date butoir de l'accord ?
M. André Gattolin. - Theresa May a assuré, il y a trois jours, se trouver proche d'un accord.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Elle est également revenue à sa proposition de demeurer dans l'union douanière, mais la majorité du parti conservateur y est hostile.
M. Jean Bizet, président. - Nous devrions être en mesure de vous faire parvenir prochainement une troisième note d'information. Le livre blanc britannique, que nous avons réussi à nous procurer, donne le sentiment que la Grande-Bretagne souhaite continuer à profiter du marché unique en appliquant les normes européennes. À mon sens, la production britannique sera dès lors à double standard, ce qui porte un risque de dumping normatif. S'agissant des services, les Britanniques cherchent à contourner le passeport financier et à conserver sur leur territoire les chambres de compensation. Les Brexiters refusent l'union douanière : la proposition de Theresa May sera repoussée. Le risque d'échouer à trouver un accord de retrait est réel.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Ceux qui souhaitent s'exprimer sur ce sujet devront le faire lors de la discussion de l'article 2.
M. Simon Sutour. - Ce projet de loi est d'autant plus important que la possibilité que l'accord soit ratifié par Westminster est quasi-nulle. Nous avons donc intérêt à ce que le texte soit précis.
M. Bruno Sido. - La commission spéciale ne sera pas par définition pérenne. Aurons-nous d'autres occasions d'échanger sur le Brexit ?
M. Jean Bizet, président. - Le groupe de suivi du Brexit perdure. Je souhaite d'ailleurs vous remercier de lui avoir témoigné votre confiance, ainsi qu'au rapporteur, en ne déposant que peu d'amendements. Nous veillerons à ce que nos travaux soient largement diffusés pour que la communication soit la plus efficace possible.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Le groupe de suivi devrait avoir à traiter beaucoup de sujets qui intéressent la commission des affaires économiques, mais aussi la commission des affaires sociales. Il faudra veiller à associer à nos travaux les sénateurs membres de ces deux commissions.
Mme Gisèle Jourda. - Ce week-end, des journalistes m'ont sollicitée au sujet des accords économiques bilatéraux que le Royaume-Uni pourrait signer indépendamment du Brexit. Notre position doit être claire, car le Royaume-Uni est déjà en train de lancer des négociations dans ce cadre.
M. Jean Bizet, président. - La négociation d'un accord de libre-échange avec un État tiers est du seul ressort de l'Union européenne. Tout cela sera cadré.
Le groupe de suivi, émanation de la commission des affaires étrangères et de la commission des affaires européennes, est tout à fait disposé à ce que la présidente de la commission des affaires économiques et le président de la commission des affaires sociales, ou leurs représentants, puissent assister aux réunions de travail sur les sujets qui entrent dans leur champ d'intérêt respectif.
M. Bruno Sido. - Dans le cas où le processus du Brexit irait à son terme, comment discuterait-on du sort de la Grande Bretagne au Sénat ? Relèverait-il de la commission des affaires européennes ou de la commission des affaires étrangères ?
M. Jean Bizet, président. - Les deux commissions seraient concernées. En outre, le groupe de suivi du Brexit risque de perdurer.
M. André Gattolin. - Et les accords de libre-échange ?
M. Jean Bizet, président. - Ils sont au coeur des travaux de la commission des affaires européennes, mais relèvent aussi de la commission des affaires économiques. Nous travaillons sur les propositions qui ont cours au sein de l'OMC. Ces sujets devraient gagner en importance après l'examen de l'accord par la Chambre des communes.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Les projets de loi autorisant la ratification de traité avec la Grande-Bretagne relèveront du champ de la commission des affaires étrangères.
Quant à la question de Mme Jourda, il me semble que s'il y a un accord, il reviendra à l'Union européenne de traiter les sujets qui concernent la Grande-Bretagne. En l'absence d'accord, il faudra ouvrir des négociations bilatérales dans les domaines relevant de la compétence des Etats membres.
Mme Gisèle Jourda. - Certains pays commencent déjà à négocier dans cette perspective.
M. Jean Bizet, président. - Le ministre des affaires étrangères du Portugal a déjà avancé des pions en ce sens, ce qui est nul et non avenu, car il n'en a pas le droit. La Grande-Bretagne est prise en compte au titre des contingents tarifaires dans le cadre des accords que l'Union européenne a conclus avec tel ou tel État tiers. Il faudra déconstruire ce système avant de pouvoir ouvrir toute négociation bilatérale. Cela prendra des années. Il n'y a qu'à voir le comprehensive economic and trade agreement (CETA) qui a requis huit ans de négociations...
M. Simon Sutour. - ...et qui n'est toujours pas ratifié !
Mme Fabienne Keller. - L'Union européenne garde sa compétence en matière de négociations commerciales internationales. Si le Royaume-Uni devient un pays tiers, il aura vocation à négocier avec l'Union européenne.
Mme Fabienne Keller. - Chaque État sera tenté de renégocier des accords commerciaux avec le Royaume-Uni et l'Union européenne travaillera à éviter que cela se produise. Elle risque d'être fragilisée avec les élections qui se profilent. Alors que l'Union européenne favorisait jusqu'ici un processus de convergence, le Brexit ouvre la voie à une force centrifuge pénalisante.
M. Jean Bizet, président. - Les États membres ont dévolu certaines compétences à la Commission européenne. D'autres compétences sont partagées. D'autres restent de leur ressort. Les États membres n'ont pas le droit d'ouvrir des négociations commerciales bilatérales avec le Royaume-Uni, car il s'agit d'une compétence qu'ils ont dévolue à l'Union européenne.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Au sujet de Gibraltar, la seule fenêtre d'intervention se trouve dans la discussion de l'article 3. C'est un enjeu important, car Gibraltar peut être une porte d'entrée indirecte vers l'Union.
M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie. Le groupe de suivi communiquera autant que possible sur ses travaux pour que vous soyez parfaitement informés de l'évolution de la situation.
La réunion est close à 10h20.