Jeudi 8 novembre 2018
- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -Table ronde « Relations entre les collectivités territoriales membres de la métropole de Lyon près de quatre ans après sa mise en place »
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous souhaite la bienvenue.
Je veux dire aux intervenants que s'ils ont pu se rendre disponibles, d'autres, que nous aurions aimé avoir parmi nous, se sont désistés. Comme vous le savez, il y a eu une élection à Lyon cette semaine tandis qu'un congrès des départements se tient actuellement.
Nous avons souhaité, sur le travail au long cours que nous menons, approfondir quelque peu l'exemple de Lyon. Nous avons déjà réfléchi à ces questions dans le cadre d'un colloque organisé avec Sciences Po, sur les éléments de souplesse dans l'organisation territoriale et les relations des collectivités entre elles.
J'ajoute, en saluant Charles Guené, que la commission des Finances a lancé, sous son impulsion, un travail sur ce thème. Nous n'aborderons évidemment pas notre sujet sous cet angle, notre souhait étant d'être en complémentarité avec les commissions permanentes plutôt que de marcher inutilement sur les plates-bandes des uns et des autres. L'actualité des congrès va également, entre autres sujets, mettre en exergue cette question très importante.
Pour cette audition, je souhaite remercier Michel Mercier, président de la communauté d'agglomération de l'Ouest rhodanien et ancien président du conseil départemental du Rhône. Nous savons tous qu'il a été, avec Gérard Collomb, l'un des préfigurateurs et auteurs de la démarche ensuite mise en oeuvre. Je salue également Danielle Chuzeville, ancienne présidente du conseil départemental du Rhône, qui aura certainement des éléments intéressants à nous communiquer. De plus, Michèle Vullien, sénatrice du Rhône et conseillère de la métropole du Grand Lyon, a été très impliquée dans certains aspects de la démarche, tandis qu'Olivier Nys, directeur général des services de la métropole du Grand Lyon, représentera, aux côtés des élus, les hauts fonctionnaires qui collaborent à la mise en oeuvre du Grand Lyon. Je sais d'expérience que la construction de mon agglomération, plus modeste, n'aurait par exemple pas pu aboutir sans un climat de confiance avec les directeurs généraux des services successifs.
Nous aimerions que nos intervenants nous parlent de la genèse de cette démarche et de la manière dont les événements ont évolué par la suite.
M. Michel Mercier, président de la communauté d'agglomération de l'Ouest rhodanien, ancien président du conseil départemental du Rhône. - Merci tout d'abord de nous avoir invités. Mme Chuzeville m'a succédé à la présidence du conseil départemental. Je suis parti pour constituer une commune nouvelle, puis la communauté d'agglomération de l'Ouest rhodanien.
Pourquoi avons-nous réalisé cette opération ? Pourquoi la loi a-t-elle transformé la communauté urbaine de Lyon en métropole, mais surtout en collectivité territoriale ? Nous n'avions pas le choix : dès lors que la communauté urbaine exerçait des compétences départementales, elle devenait presque nécessairement collectivité territoriale. Dans ce contexte, comment allons-nous réunir le conseil qui va gérer la métropole, étant donné que la Constitution prévoit expressément que les collectivités territoriales s'administrent librement par les conseils élus ? Nous ne sommes plus dans l'intercommunalité, mais dans une nouvelle collectivité territoriale.
Nous avons pris en main ce dossier à deux, et j'ai averti les conseillers généraux une heure après que nous ayons pris notre décision. Un débat a été engagé, avant un vote en décembre 2012 qui s'est conclu par une approbation à la quasi-unanimité.
Mme Danielle Chuzeville, ancienne présidente du conseil départemental du Rhône. - Seul un conseiller régional a voté contre.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je comprends que garder le secret sur cette décision apparaissait indispensable ?
M. Michel Mercier, président de la communauté d'agglomération de l'Ouest rhodanien, ancien président du conseil départemental du Rhône. - Il ne s'agissait pas d'un secret, ce dossier ayant été en gestation depuis très longtemps. Nous avons pris cette décision pour une raison d'efficacité des collectivités territoriales. La plus-value qu'apportait le département sur le territoire de la métropole n'était pas évidente. Prenons l'exemple de quelques dossiers majeurs : nous payions la moitié des transports en commun, mais nous étions, dans le même temps, obligés d'acquiescer à ce que décidait le président de la métropole, qui était également le maire de Lyon. Nous étions donc payeurs sans être décideurs. De plus, lorsque nous avons réalisé le périphérique de Lyon, seuls la communauté urbaine et le département se sont partagé les coûts. L'État n'a rien financé. Ce projet a été attribué en premier lieu au maire de Lyon, qui était le décideur même si le département en finançait la moitié.
Notre plus-value était circonscrite au domaine social. J'ai eu à ce propos l'occasion d'emmener Gérard Collomb visiter la cité de l'enfance ; il a mesuré ce jour-là ce que signifiait la violence chez les jeunes.
Ainsi, la codécision département-métropole était largement factice. De plus, les conseillers généraux de Lyon et de la communauté urbaine étaient tous élus locaux ou municipaux de la communauté urbaine ou de la ville de Lyon ; pour eux, leur premier mandat était le municipal ; le mandat départemental n'était utilisé qu'en renfort de l'autre.
La recherche de l'efficacité était l'objectif principal qui sous-tendait notre projet. C'est la communauté urbaine qui allait exercer les compétences d'un département et nous devions nous attacher à définir les modalités du transfert. Le Rhône comptait environ 1,7 million d'habitants, dont un quart dans le territoire dit rural (mais qui ne l'est pas spécialement) et trois quarts dans la communauté urbaine. C'était un département relativement riche, le troisième moins imposé de France. Rappelons que lorsque le taux d'impôt est bas, c'est que le département est riche. Il fallait que le département restant soit un vrai département et puisse avoir des ressources suffisantes pour rester ce qu'il était auparavant. Dans ce contexte, Gérard Collomb et moi nous sommes mis d'accord sur une allocation compensatrice de 75 millions d'euros, que la métropole verserait chaque année au département du Rhône. Après une nouvelle négociation, cette enveloppe a été ramenée à 72 millions d'euros. Cela représente une recette conséquente pour le département. Le « nouveau » Rhône reste un département parfaitement viable. Il a un avantage essentiel : il est situé au milieu des départements français, légèrement supérieur à la Savoie en termes d'habitants. Il se développe très rapidement et les ressources économiques ou liées à l'immobilier sont extrêmement productives.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Quel est le chef-lieu du département ?
M. Michel Mercier, président de la communauté d'agglomération de l'Ouest rhodanien, ancien président du conseil départemental du Rhône. - Considérant que cela ne représentait aucun intérêt, il n'a pas été fixé. Nous n'avons pas construit d'Hôtel du département ; la préfecture sert en effet d'Hôtel de département. Lorsque j'étais président du conseil général, mon bureau était à proximité de celui du préfet, ce qui était particulièrement pratique. La loi a décidé que le conseil général pourrait être situé en dehors du département du Rhône, à Lyon.
Avons-nous tout réglé ? Non, bien entendu. Nous n'avons réglé que la partie la plus facile du problème : il n'y a plus de département et la communauté urbaine devient collectivité territoriale de la République et fait, sur son territoire, office de département. Un point n'a jamais été traité, ou a été traité sans le dire : quid des communes qui sont dans la métropole ? Laisser croire à celles-ci qu'elles ont le même statut que les autres est faux. Cela peut arranger tout le monde : ceux qui veulent le croire, et ceux qui acceptent de le croire en sachant que c'est faux.
M. Alain Richard. - Elles ne sont pas dans un établissement public de coopération intercommunale.
M. Michel Mercier, président de la communauté d'agglomération de l'Ouest rhodanien, ancien président du conseil départemental du Rhône. - La communauté urbaine était auparavant la forme la plus intégrée dans l'intercommunalité. Parlons du rendez-vous électoral : jusqu'à maintenant, la métropole s'administre par le conseil communautaire ; elle le sera prochainement par le conseil élu. Or il est très difficile de dire qui est élu avant de savoir qui est candidat...
Je l'ai dit lors des élections sénatoriales, ce qui a fait que je n'ai eu aucune voix dans les communes de la métropole.
Une fois la séparation faite, il convient de reconstruire les deux collectivités : le département, qui a ses compétences propres, et la communauté urbaine, qui doit devenir aussi département dans le cadre de la métropole. Un travail conséquent doit être réalisé pour ce qui est de la communauté urbaine ; il s'agit en effet de compétences qui étaient pour partie, et notamment dans le domaine social, ignorées du conseil communautaire.
Devons-nous considérer notre projet comme un modèle à suivre ? Non, nous n'avons jamais prétendu qu'il était nécessaire que toute la France s'organise comme nous l'avons fait. Il faut au contraire accepter la diversité. C'est notre situation particulière qui nous a conduits à bâtir ce projet : un petit territoire, une forte population et une grande ville qui n'avait pas tout « aspiré ». Il reste en effet dans le département des territoires de forte activité économique. Le territoire autour de Lyon n'est pas rural, mais extrêmement dynamique. L'accroissement annuel de richesse est actuellement plus fort dans le département que dans la métropole ; il en est de même du point de vue de la démographie. Cela nous permet de travailler dans de bonnes conditions avec la métropole. Par exemple, dans la communauté d'agglomération que je préside, plus vaste que la métropole, nous travaillons avec cette dernière sans difficulté. C'est particulièrement vrai dans le domaine des transports.
Quels sont les aspects négatifs ? Le président du département n'est plus un personnage politique dans Lyon. Mais il ne l'était pas beaucoup plus auparavant... Le président du département est aujourd'hui un personnage politique du département, et plus de la métropole. Pour le reste, le département en tant qu'institution a des moyens conséquents du fait de l'allocation mentionnée au début de mon intervention. Nous l'avons instituée, en accord avec Gérard Collomb, comme une prestation compensatoire. Nous voulions une séparation qui permette aux collectivités de vivre comme avant et nous avons pu le faire grâce à nos petits territoires plutôt riches et en expansion. À défaut, c'eût été l'échec.
En conclusion, si on souhaite mener à bien un projet de cette nature, il faut une volonté locale. En l'absence, on accouche de monstres administratifs incompréhensibles.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci, Michel Mercier. Le témoignage d'un acteur essentiel, cela n'a pas de prix.
Mme Danielle Chuzeville, ancienne présidente du conseil départemental du Rhône. - L'allocation évoquée par Michel Mercier se chiffre à 73 millions d'euros, et non 72 millions d'euros. Le département devait en effet verser 1 million d'euros pour le Musée des Confluences, mais s'est finalement retiré.
Mettre en oeuvre cette métropole a évidemment nécessité un travail titanesque. Il a notamment fallu décortiquer de très nombreuses lignes budgétaires, et tout répartir au prorata de la population, du nombre de personnes âgées, du nombre de personnes handicapées, du nombre de personnes au RSA, etc. Il a donc fallu que cette enveloppe annuelle soit validée par des éléments tangibles et solides. L'étendue de ce travail et le challenge que cela représentait n'ont peut-être pas été bien mesurés. Pour autant, fin janvier 2015, tous les agents ont reçu leur feuille de paye, toutes les personnes âgées ont perçu leur allocation, tous les bénéficiaires de minima sociaux ont été payés normalement, etc. Je dois dire que nous étions accompagnés par des directeurs généraux qui ont oeuvré de façon extraordinaire, aussi bien du côté du département que du côté de la métropole. Les groupes de travail étaient placés sous la présidence du préfet et les commissions étaient présidées par la présidente de la chambre régionale des comptes.
Michel Mercier évoquait l'emplacement du siège du département. Au niveau de l'État, j'ai l'impression qu'il ne reste qu'une entité : celle qui existait auparavant. Il n'y a qu'un préfet, par exemple. Du point de vue de l'État, nous n'avons pas l'impression que cette scission réalisée au niveau des collectivités a eu un impact. Le fait que le siège reste à Lyon facilite le processus d'accompagnement et de voisinage entre le prédisent du département et l'État.
Par ailleurs, nous avons dû prendre en compte une difficulté liée aux agents ; nous en comptons 5 800, dont 5 300 du département et 500 assistants familiaux (au niveau de la protection de l'enfance). La plupart des 5 300 ont été territorialisés ; Michel Mercier avait mis en place depuis très longtemps des maisons du département, et ces agents ont été affectés, pour la plupart, dans la collectivité correspondant à leur poste. En outre, environ 350 cadres ou agents des services centraux ont été accompagnés pour choisir la collectivité à laquelle ils seraient rattachés. Les assistants familiaux étaient un cas à part, avec des problèmes spécifiques : les enfants étaient pour la plupart issus de la métropole, et confiés à des familles du département. Il nous a fallu travailler au cas par cas pour parvenir à une bonne répartition. L'IDEF, nouvelle dénomination de la cité de l'enfance, le SDMIS, ou encore l'OPAC, notamment, ont nécessité des mesures spécifiques. Nous ne nous sommes donc pas cantonnés à traiter des sujets financiers, nous avions également des problèmes humains à gérer. C'est l'accompagnement et l'implication des directeurs qui ont su créer autour d'eux une atmosphère de travail et d'adhésion qui ont permis le succès du projet. Au final, nous avons réussi à entraîner une grande partie des agents pour que cela se passe du mieux possible.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Ce témoignage était très intéressant, car très complémentaire de celui de Michel Mercier. Nous mesurons bien, en particulier, que cette réforme a nécessité une vaste négociation entre ces deux fortes personnalités qui ont marqué leur territoire.
M. Michel Mercier, président de la communauté d'agglomération de l'Ouest rhodanien, ancien président du conseil départemental du Rhône. - Du fait du système électoral, le département était une petite assemblée uniquement composée de « vainqueurs ». Cela a beaucoup aidé dans l'avancement du projet, et l'ensemble des mesures a été voté pratiquement à l'unanimité.
La situation est différente pour ce qui est de la communauté urbaine, qui a nécessité un travail fin de connaissance. Nous avons notamment constaté une sorte de séparation au sein de la communauté, avec des élus urbains qui étaient devenus majoritaires en nombre ; or ils ne se souciaient pas particulièrement des problématiques propres au secteur rural.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je me tourne vers Olivier Nys, directeur général des services de la métropole du Grand Lyon. Je rappelais tout à l'heure combien vous pouvez, dans ces moments, jouer un rôle utile. Vous êtes en fonction depuis trois ans et avez donc vécu la mise en oeuvre du projet. Nous vous écoutons.
M. Olivier Nys, directeur général des services de la métropole du Grand Lyon. - Je vous propose de dresser un premier bilan, trois ans après la mise en place de la métropole de Lyon. Avant de démarrer, je souhaite excuser le président, qui n'a pas pu se rendre parmi vous ce matin. Nous avons beaucoup travaillé sur le bilan de cette expérience unique en France, qui n'a pas forcément vocation à se démultiplier.
S'agissant du retour d'expérience, je souhaite concentrer mon propos sur trois, ou plutôt quatre points.
En premier lieu, l'efficacité de la gouvernance du territoire. Nous sommes une grande métropole, et nous regardons ce qui se fait à l'échelle européenne, voire mondiale. Force est de constater que le phénomène métropolitain est mondial : 50% du PIB mondial est produit sur 300 métropoles, dont font partie Paris, Lyon et Marseille. Il est particulièrement intéressant d'examiner comment ces 300 métropoles sont gouvernées, ainsi que ce qui fait leur efficacité. Très clairement, un modèle de gouvernance se dégage à deux niveaux. La proximité, en premier lieu : l'ensemble des compétences exercées par la commune et une grande partie des compétences départementales sont entre les mains de l'échelon dit local. La maille supérieure est celle de la région en France, qui trace le schéma directeur et qui porte des compétences à l'échelle du territoire, tel un réseau ferroviaire ou de transport.
Si ce modèle est aujourd'hui très largement majoritaire dans les grandes métropoles mondiales, ce n'est pas un hasard. Il a une efficacité et permet d'aller très vite dans les décisions. Les quatre niveaux de collectivités rencontrés en France trouvent une efficacité indéniable dans un certain nombre de territoires ; toutefois, sur des territoires urbains, des frictions sont possibles, notamment lorsque les exécutifs n'ont pas la même appartenance politique. Ce sont autant de dérives et de freins dans l'exécution des projets.
Aujourd'hui, si Paris a la chance d'avoir deux niveaux de décision, c'est également un gage de son efficacité. Pour Lyon, le fait d'être un financeur passif et non embarqué dans la co-construction ou la co-décision aurait pu être plus un frein qu'un atout. Le dossier du périphérique, par exemple, aurait pu ne jamais voir le jour.
On voit bien combien ces décisions très importantes pour le territoire exigent des consensus complexes à obtenir.
Le deuxième constat est celui de la structure financière de la métropole, qui renvoie à la soutenabilité des dépenses sociales. La dynamique de ces dépenses est très forte, a fortiori dans les territoires urbains, et la structure financière de la métropole (recettes et dépenses de fonctionnement) est très équilibrée. Nous avons des recettes en provenance de la fiscalité directe et indirecte, de l'État, ainsi que des recettes propres liées aux activités. L'équilibre des recettes crée les conditions de leur sécurité et de leur dynamisme. C'est très précieux, comparé à des structures dépenses-recettes d'autres collectivités qui sont trop asymétriques. Certains départements sont ainsi trop dépendants de la conjoncture, et les EPCI sont peut-être excessivement, jusqu'ici, tournés vers la fiscalité économique.
La structure actuelle de nos dépenses-recettes permet d'absorber plus facilement les dépenses sociales. Celles-ci représentent aujourd'hui à peu près un quart de nos dépenses de fonctionnement, pour une moyenne de 50 à 60% des dépenses d'un département en France. Lorsqu'elles progressent de 2, 3 ou 4 points, cela devient très compliqué pour les départements. En 2010, à la demande de Matignon, le directeur général de Michel Mercier avait produit un rapport sur la santé financière des départements deux ans après la crise financière de 2008. Il révélait que les départements avaient beaucoup souffert pour faire face à des dépenses sociales très élevées dans un contexte de recettes atones.
Notre structure financière permet aussi d'affronter plus facilement la contractualisation financière. Comme vous le savez, nous sommes contractualisés à 1,2%, un objectif compliqué, avec la dynamique actuelle des plans sociaux. Même si les AIS sont plafonnés à 2% dans le calcul des 1,2%, il reste que tous les frais d'hébergement ne sont pas plafonnés. Pour un département, respecter le 1,2% est très difficile ; plus de la moitié des dépenses sont à 2%, ce qui signifie qu'aucune augmentation n'est possible pour le restant. Le simple fait que les dépenses sociales ne représentent « que » 25% de nos dépenses nous facilite la tâche.
Par ailleurs, notre pays traverse aujourd'hui un enjeu migratoire majeur. C'est un enjeu mondial qui représente une réelle responsabilité nationale, avec des conséquences avant tout locales. La question des mineurs non accompagnés (MNA) devient un enjeu dépassant le simple cadre de nos responsabilités. Deux chiffres : les MNA, pour la métropole de Lyon, représentaient un budget de 16 millions d'euros en 2015, pour la première année de vie de la métropole, et de 50 millions d'euros pour 2018.
Mme Danielle Chuzeville, ancienne présidente du conseil départemental du Rhône. - Pour le département, cela représente 13 millions d'euros.
M. Olivier Nys, directeur général des services de la métropole du Grand Lyon. - Tout à fait. En année pleine, nous serions à 60 millions d'euros. Assumer 40 millions d'euros de dépenses en 3 ans réclame une structure financière qui permette d'y faire face. Je le dis d'autant plus volontiers qu'il existe une grande iniquité en France dans la prise en charge financière de l'accueil MNA. Le département lyonnais, de par sa proximité avec les frontières et sa tradition d'accueil, est particulièrement sollicité.
Le troisième enjeu que je souhaite évoquer est celui du service public. Qu'est-il devenu avec la métropole ? J'ai la prétention de penser que nous réunissons les conditions pour l'améliorer, sur deux aspects.
En premier lieu, les politiques publiques ont été réécrites à l'aune de notre nouvelle cartographie de responsabilités et de compétences. Nous avons réécrit les cadres stratégiques en essayant de les enrichir des compétences. L'exemple le plus notable est évidemment la réécriture de la politique de réinsertion, dont on sait qu'elle est tirée dans les départements par le barycentre social. Lorsqu'on met l'insertion aux côtés de l'économie, qui reste la principale compétence d'une communauté, nous avons une richesse potentielle d'interactions et de projets d'actions assez incroyable. En outre, il est vrai que la métropole de Lyon a l'avantage de très bien connaître son tissu économique, pour l'aider et favoriser son expansion. Elle a pu tisser des liens pour que ce tissu prenne en compte la remise dans l'emploi des plus démunis. Ce n'est pas que de l'incantation : il s'agit d'actions et de projets précis. Nous avons, par exemple, créé la « Charte des 1 000 entreprises » pour l'insertion, dont les signataires s'engagent à remettre dans l'emploi des allocataires du RSA. Ce travail de proximité est évidemment favorisé par la forte connaissance du tissu économique lyonnais.
Bien d'autres compétences se sont enrichies en maillant les compétences des uns et des autres ; par exemple, il est clair que la compétence prévention santé, historiquement portée par le département, a considérablement enrichi des compétences régaliennes auparavant exercées par le Grand Lyon (environnement, politique déchets, qualité de l'air, notamment).
Le dernier exemple que je souhaite mentionner est celui de l'aménagement du territoire et l'urbanisme, qui sont portés structurellement par les métropoles. L'urbanisme tel qu'il était historiquement porté par le Grand Lyon était largement tourné vers l'économie et la politique de la ville. Aujourd'hui, nous espérons achever un PLUH qui a pris en compte les dimensions sociales comme nous ne l'avons jamais connu.
Enfin, le dernier point à mettre en avant dans cet enrichissement des compétences est leurs services dans les territoires. Je pense que la métropole, dans l'articulation de la territorialisation de ces politiques publiques, peut encore travailler à un atterrissage de ces politiques de manière très favorable sur les territoires. Nous avions jusqu'ici deux maillages traditionnels : un maillage départemental, plutôt tourné sur le canton, et un maillage communal que nous avons privilégié. Je pense que cette territorialisation plus coordonnée peut être un relais de qualité de service très intéressant pour les communes. Par ailleurs, nous avons passé avec chaque commune un contrat territorial des services publics, pour chercher les synergies entre les compétences communales et les compétences métropolitaines. Les communes ont une cartographie des compétences qui est très proche de celle des métropoles.
Je ne reviendrai pas sur la solidarité financière, qui est en place et qui permet aux deux collectivités de conserver une trajectoire financière intéressante. Le département du nouveau Rhône est devenu, grâce à la dotation métropolitaine, le deuxième département le plus riche de France derrière les Hauts-de-Seine.
Mme Michèle Vullien, sénatrice du Rhône, conseillère de la métropole du Grand Lyon. - Même si l'actuel président du département oublie de le citer.
M. Olivier Nys, directeur général des services de la métropole du Grand Lyon. - Que reste-t-il à faire ? En premier lieu, le mariage de deux collectivités marquées par des cultures très différentes doit être accompagné au mieux. Observons les fusions entre grandes entreprises : tout le monde s'accorde à dire que les processus de rapprochements sont longs et complexes dès lors que l'on touche à l'humain. Je pense que nous nous en sommes plutôt bien sortis, tout en faisant un choix très courageux et structurant : nous n'avons pas aligné les régimes indemnitaires par le haut. Cela signifie que nous conservons dans notre corps social une asymétrie de rémunérations. C'est évidemment un frein possible au fait que chacun se considère comme appartenant à la même structure.
En outre, le sens de notre modèle au niveau national mérite encore réflexion. Cinq territoires y travaillent actuellement, dont Marseille de manière quelque peu séparée. Deux territoires se sont déjà retirés, ce qui prouve que le modèle inquiète encore. Pour respecter le 1,2% dans le temps, il est indispensable de se réformer. Soit nous nous réformons et le modèle lyonnais est une possibilité pour être plus efficient, soit nous ne le faisons pas et nous nous orienterons vers l'érosion de service public pour respecter les contraintes budgétaires.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous remercie pour ces interventions passionnantes, qui font écho à plusieurs dossiers sur lesquels j'ai été amené à travailler. Je suis désolé que plusieurs de nos collègues aient dû partir au vu de l'actualité. Je pense néanmoins que cette rencontre méritait d'avoir lieu. Sachez qu'un rapport de nos échanges sera fait et intégré dans nos travaux.
Je laisse la parole à Michèle Vullien.
Mme Michèle Vullien, sénatrice du Rhône, conseillère de la métropole du Grand Lyon. - Bonjour à tous. Veuillez excuser mon retard, je présentais mon rapport sur les nouvelles mobilités et l'aménagement du territoire devant la délégation à la prospective - là aussi, l'objectif est d'améliorer la qualité de vie de nos concitoyens.
J'ai eu la chance de participer à la création de cette métropole. En effet, alors en charge des transports publics, j'ai travaillé pendant trois ans sur cette fusion afin d'étudier les conditions du mariage entre 4 500 personnes d'un côté et 4 500 personnes de l'autre. Rappelons que les collaborateurs du département travaillaient 5 jours de plus que ceux du Grand Lyon et que, ainsi que l'a souligné Olivier Nys, nous avons su mener ce projet sans nivellement vers le bas. Pendant trois ans, je me suis efforcée, aux côtés du directeur général, de mener cette barque sans tangage. En effet, il s'agissait de gérer les aspects humains au sein des deux structures, mais également de tout faire pour éviter un bug sur les payes au 1er janvier 2015. Au final, cette fusion s'est effectuée dans d'excellentes conditions.
Que peut-on regretter ? À mon sens, il est essentiel pour le citoyen de n'avoir qu'un seul point d'entrée. Or les communes se sentent dépossédées ; nous sommes une collectivité territoriale, certes de statut particulier, mais plus un EPCI. Cela a conduit à la création de circonscriptions qui n'ont rien à voir avec les circonscriptions législatives. Par exemple, la commune dont j'étais maire depuis 1995 appartient à une circonscription de 25 communes qui ne comptera que 14 élus en 2020. En vertu des règles constitutionnelles, il est en effet tenu compte du nombre d'habitants et non de celui des communes. Face à ces nouvelles règles, une véritable frustration, pour ne pas dire une bronca, s'est déclenchée au fil du temps, d'autant que la révision constitutionnelle, qui me semble absolument nécessaire dans ce contexte, ne cesse d'être reportée.
Même si nous sommes convaincus que cette métropole est un bel outil au service des citoyens, sa gouvernance pose question. Lorsque les élections auront lieu, il y aura des listes municipales. En 2014, les listes municipales recensaient ceux qui rejoindraient la communauté urbaine et qui deviendraient automatiquement conseillers métropolitains, c'est-à-dire dotés des compétences de la communauté urbaine et de celles d'un conseiller général. En 2020, vous aurez des listes municipales pour les 59 communes et des listes par circonscription. Sur ces dernières, vous trouverez à la fois des personnes figurant sur les listes municipales et d'autres n'y figurant pas. Les élus métropolitains pourront ainsi être le maire d'une commune, le chef de l'opposition municipale ou encore quelqu'un n'appartenant à aucune liste communale. Le risque est d'avoir des élus complètement déconnectés du terrain. Je ne vois pas comment tout cela pourra fonctionner. De plus, la loi interdit qu'un maire soit président de la métropole. Rappelons que Raymond Barre estimait nécessaire que le maire de la « ville-centre » soit le président de la communauté urbaine afin que cela fasse sens, en particulier vu de l'extérieur.
La situation actuelle n'est pas satisfaisante, et nombre de collègues sont en pleine révolte. Mon objectif était de faire en sorte que les 59 communes soient représentées par un collège et d'établir une liste métropolitaine. Ce projet a été bâti avec des constitutionnalistes, et présenté à Gérard Collomb. J'ai même demandé au président Gérard Larcher d'en vérifier la constitutionnalité. En conclusion, je suis persuadée que la métropole de Lyon est un beau projet, mais l'idée d'un effacement des communes et du territoire me semble dangereuse.
J'insiste enfin sur le travail réalisé en bonne intelligence, avec le président Mercier et le président du Grand Lyon. Nous étions notamment ensemble devant la chambre régionale des comptes pour les questions budgétaires.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci pour ces propos très complémentaires. Je vous propose de laisser la parole aux sénateurs présents dans l'assemblée.
M. Raymond Vall. - Merci à tous pour ces points de vue éclairants. Ce sujet m'est particulièrement cher étant donné que je préside l'Association nationale des PETR et pays de France, qui réunit environ 300 territoires. J'étais auditionné hier à l'Assemblée nationale sur la vision qu'on peut avoir dans le futur de cette problématique de métropolisation, susceptible d'entraîner une fracture territoriale. Le département est souvent la cause des conflits que nous pouvons observer sur les métropoles. Or vous avez réussi à régler ce conflit ; ce que vous faites est donc un laboratoire très important pour nous !
Rappelons que le Premier ministre a signé, en 2016, les contrats État-Innovation en prévoyant un volet coopération pour les 14 premières métropoles concernées ; à ce jour, seules 4 d'entre elles (dont 2 fonctionnent correctement) ont signé ce volet, pour les territoires hors de leur département. Dans ce contexte, il est capital que vous réussissiez à stabiliser cette fusion ; à défaut, cela donnerait raison à une résurgence de l'affrontement politique stupide, d'autant plus que nous assistons actuellement à une fracture entre le Gouvernement et les régions. Or les coopérations qui concerneront les territoires autres que ceux de votre département devront nécessairement bénéficier du soutien des régions.
En tant que président de l'Association nationale des PETR et pays de France, je serais intéressé par une visite de vos structures, afin de m'inspirer de ce que vous avez mis en oeuvre lorsque les territoires se retrouvent confrontés à un dialogue inaudible entre métropoles et départements. Ces derniers sont fréquemment vent debout lorsqu'un territoire veut réaliser une coopération avec une métropole. C'est désolant.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci, Raymond Vall, pour cette excellente intervention. Je cède la parole à Bruno Gilles.
M. Bruno Gilles. - Bonjour à tous. Je suis à la fois rassuré et inquiet par les débats qui viennent de se tenir.
Ce qu'on vit actuellement à Marseille dans la métropole est assez compliqué. C'est l'occasion pour moi de rappeler l'apport de Jean-Claude Gaudin dans la naissance de la métropole d'Aix-Marseille. Nous préparons actuellement la fusion avec le département des Bouches-du-Rhône, projet qui soulève quatre questions importantes :
- quel sera le territoire ? La métropole représentera-t-elle la totalité du département des Bouches-du-Rhône ? Ou, au contraire, le modèle se rapprochera-t-il de celui de la métropole de Lyon ?
- quelles seront les compétences ? Nous nous rendons compte que nombre de maires qui se plaignaient de leur manque de pouvoir ne semblent pas pressés de récupérer certaines prérogatives dans le cadre de la fusion. Prenez l'exemple de la propreté : certains maires reconnaissent qu'ils disposent désormais de machines très efficaces grâce à la métropole et ne souhaitent pas récupérer cette compétence.
- quel mode de scrutin ? Je rejoins entièrement ce qui a été dit par Michèle Vullien. Nous risquons de nous retrouver avec des élus à la métropole qui ne connaissent pas le fonctionnement des collectivités. De plus, rappelons que le nombre d'élus va être abaissé de 240 à 120, dont environ 50% pour la seule ville de Marseille. Conséquence immédiate : il y aura environ 112 ou 113 maires des Bouches-du-Rhône qui ne seront pas assurés d'être membres de la future métropole, ce qui est une aberration.
- quel délai ? Créer une métropole qui ne fonctionnerait que dans dix ans représenterait par exemple un intérêt très limité.
Je rejoins enfin le témoignage de Michèle Vullien concernant la crainte des élus, et surtout des maires, qui ne se reconnaissent pas dans un système pyramidal et complexe. Il faudra pourtant y arriver.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci Bruno Gilles. Je vous propose un dernier tour de table de nos intervenants.
Mme Danielle Chuzeville, ancienne présidente du conseil départemental du Rhône. - Il est très intéressant de pouvoir échanger nos points de vue. Ce qui me désole un peu, c'est le sentiment, vu de l'extérieur, de l'absence de lien entre département et métropole. Il existe pourtant ! En outre, je partage l'inquiétude évoquée concernant la constitution des métropoles ; si les maires n'y sont pas représentés, cela risque de poser de sérieuses questions.
Mme Michèle Vullien, sénatrice du Rhône, conseillère de la métropole du Grand Lyon. - Je voudrais simplement redire que je crois dans ce système de la métropole. Il est en outre impératif de garder à l'esprit que le citoyen est au coeur du dispositif.
M. Olivier Nys, directeur général des services de la métropole du Grand Lyon. - Pour compléter mes propos, je rappelle les raisons qui ont conduit deux métropoles, Nantes et Lille, à se retirer des travaux.
Le premier sujet ayant polarisé les réticences est celui de la représentation politique. C'est une vraie question, non résolue à ce stade, sauf dans le modèle lyonnais. En écho à cela se pose le sujet de l'acceptabilité de facto par les élus des deux parties. En effet, la posture de l'offre politique a pu freiner Nantes et Lille à ce stade ; la force lyonnaise résidait notamment dans l'accord entre les deux parties. Or les départements concernés par les cinq métropoles ont publiquement pris position pour s'opposer à toute perspective de métropolisation. Dans ce contexte, un tel projet ne peut qu'échouer. L'atout de Marseille, quelles que soient les difficultés qui ont été rappelées, est que les volontés semblent être en place.
Le second sujet qui a posé problème est la question financière. La péréquation (ou comment conserver une richesse équitable de telle manière que les deux territoires poursuivent leurs politiques publiques le plus efficacement possible) en place à Lyon n'est pas comprise. Elle est vécue par les métropoles comme une menace. Il est vrai que les métropoles ont actuellement une trajectoire financière plus positive que celle des départements. L'absorption des départements, a fortiori avec une péréquation financière en place, est un frein du coté métropolitain. C'est pourquoi je répète aux départements qu'au lieu de s'opposer à la création de métropoles départementales, nous pourrions réfléchir à la création de départements métropolitains.
M. Michel Mercier, président de la communauté d'agglomération de l'Ouest rhodanien, ancien président du conseil départemental du Rhône. - Que retenir de tout cela ? Je considère en premier lieu que le Gouvernement actuel s'y prend de la pire des façons. Pour que cela fonctionne, l'impulsion doit être donnée par le terrain et non par les technocrates. Tout repose sur la confiance. Gérard Collomb et moi étions adversaires politiques depuis toujours, mais nous avons su avancer ensemble. Et nous nous sommes appuyés sur le terrain.
S'il n'y a pas de confiance, nous n'y arriverons pas. De plus, si les départements ne sont pas parties prenantes dans la création des métropoles, ils s'opposeront inévitablement.
Il convient de dire la vérité : les communes de la métropole ne sont pas comme les autres. Je considère qu'il faut les associer à la gouvernance, car nous ne changerons pas la Constitution. Je suis très partisan que soit institutionnalisé un collège des maires, qui imposerait par exemple une deuxième délibération. Cela permettrait aux maires d'être associés à la gestion de la métropole ; les maires ont un rôle à jouer dans la gouvernance. C'est le chantier de demain si nous voulons que la métropole soit une vraie réussite.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci à vous tous pour ces échanges passionnants.