Mercredi 10 octobre 2018
- Présidence de M. Roger Karoutchi -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Débat sur les mobilités urbaines à l'heure du vélo et des nouveaux engins de déplacement personnel
M. Roger Karoutchi, président de la Délégation à la prospective. - Mesdames et messieurs, je vous remercie pour votre présence à cette table ronde. Je remercie mes collègues sénateurs membres de la Délégation à la prospective, et les co-rapporteurs du rapport sur les mobilités du futur. La Délégation à la prospective publiera dans les semaines à venir deux rapports : l'un concernant les nouvelles mobilités, qui fait l'objet de cette table ronde cet après-midi, et un autre sur le pacte intergénérationnel.
La Délégation à la prospective du Sénat est une structure unique car l'Assemblée nationale n'a pas de délégation semblable et la plupart des autres Parlements non plus. Seul le Parlement finlandais possède une institution similaire. Nous avons publié des rapports sur les risques financiers, sur la ville, les changements géographiques, le climat, etc. La Délégation à la prospective a pour objet, en dehors du travail des commissions institutionnelles de Sénat, de faire de la prospective sur 10 ou 20 ans, voire plus.
Que pouvons-nous attendre comme nouveaux modes de déplacement ? Quels sont les critères de ces modes de déplacement ? Quels sont les problèmes liés au déplacement ? La table ronde de cet après-midi concerne davantage les mobilités urbaines. Un nouveau partage se prépare, de nouvelles habitudes apparaissent, même si je ne suis pas convaincu que les effets de mode puissent toujours durer.
M. Olivier Jacquin, sénateur. - Je remercie les nombreux présents cet après-midi et le président Roger Karoutchi qui a fortement soutenu cette initiative, qui aurait pu paraître anecdotique il y a encore quelques mois. Cependant, la réalité du développement des engins de déplacement personnel (EDP) nous a permis d'organiser ce débat, car cette question est désormais considérée comme sérieuse. Lors de l'examen du projet de loi de réforme ferroviaire, j'avais déposé un amendement pour favoriser l'utilisation des EDP auprès des opérateurs ferroviaires. J'espère que lors d'un prochain débat, nous pourrons organiser une démonstration de différents EDP sur le parvis de la cour d'honneur.
Cette question ne concerne pas que le milieu urbain. En effet, les vélos électriques à grande vitesse peuvent se développer en rural, afin de parcourir des distances significatives sans trop d'effort. Cette question dépasse la question des métropoles et atteindra bientôt la plupart des territoires.
Je tiens à remercier l'ADEME qui nous a aidés à organiser cette table ronde. Nous avions prévu un temps de démonstration, mais certaines contingences techniques sont apparues.
Nous ne présenterons pas cet après-midi le rapport sur les nouvelles mobilités, qui ne sera pas un inventaire des nouvelles technologies dans le domaine, mais posera la question de l'impact des mobilités sur l'aménagement du territoire, de la fracture territoriale, et de l'égalité devant les mobilités à l'avenir. Ce rapport sera présenté le 8 novembre. Ce débat surgit à un moment opportun, car la loi d'orientation sur les mobilités (LOM) sera bientôt examinée par le Parlement. De plus, la loi de finances traitera d'un certain nombre de questions liées aux mobilités douces et à la taxation éventuelle d'externalités négatives, le contexte est donc intéressant et favorable.
Plusieurs questions seront posées lors de ce débat : celles de la législation, du partage de la voirie, de la sécurité, et de la santé. Nous souhaitons dégager des pistes qui nourriront nos travaux législatifs. Ce matin, lors de la réunion de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, Valérie Masson-Delmotte, membre éminente du GIEC, a acquiescé lorsque j'ai souligné que nos concitoyens étaient plus volontaires que la moyenne du monde politique. Elle nous a indiqué qu'il était nécessaire d'avoir le courage de prendre des décisions et d'avancer sur ce sujet.
Mme Michèle Vullien, sénatrice. - Ces nouvelles mobilités nous interpellent, car nous sommes attentifs à ce qu'il n'y ait pas de fracture de mobilité entre les territoires moins denses et ceux qui le sont plus. Les milieux urbains sont ceux où se rencontre le plus grand nombre de modes de mobilité : la voiture, le vélo, le tramway, le bus, la trottinette, etc. Nous privilégions certains modes en fonction du temps de transport, du coût, du confort et de l'adaptation aux conditions météo. De plus, il existe une grande variété de modèles économiques, entre l'équipement individuel, partagé, le free-floating et la station. Ainsi, la loi LOM devra aborder la question du partage de la voirie.
Je m'intéresse à ce sujet depuis plusieurs années sur l'agglomération de la métropole de Lyon : comment faire cohabiter l'ensemble des modes de transport afin d'éviter qu'un de ces modes ne prenne le pas sur les autres ? J'ai envie de me fier au civisme des utilisateurs, mais il a ses limites. En effet, nous nous rendons compte, par exemple, que nous ne savons pas où doivent rouler les trottinettes. J'ai eu l'occasion de voir un jeune en skateboard sur la route qui prétendait avoir la priorité en arrivant de la droite. Nous devons trouver le moyen de faire cohabiter chaque mode et mettre en place des règles qui permettent à chacun de trouver sa place dans la ville, du plus fragile au moins fragile, et du plus jeune au moins jeune.
Un film est projeté.
Mme Elodie Trauchessec, animatrice mobilité à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise des énergies (ADEME). - Ce sujet des mobilités est notre quotidien pour certains, et il est de plus en plus prégnant dans l'actualité, avec les assises de la mobilité en 2017, le lancement du plan vélo, et la loi d'orientation sur les mobilités à venir. L'objectif est de donner la parole à différents acteurs de ces nouvelles mobilités afin d'apporter divers angles de vue sur une thématique aux multiples défis. Nous vous proposons plusieurs témoignages de ces grands acteurs de la mobilité d'aujourd'hui et de demain.
L'après-midi s'organisera en deux temps : une première série de présentations, puis un temps d'échanges avec la salle, sur la vision des usagers, l'état actuel du parc et du marché de ces nouvelles mobilités, et la question de la santé. Ensuite, nous aurons une deuxième série de présentations et un nouveau temps d'échange, notamment sur les questions de sécurité et de gestion par les collectivités territoriales.
État des lieux des nouvelles mobilités urbaines
M. Yann Trémeac, chef-adjoint du service transports et mobilités de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)
Ma présentation s'effectuera en trois temps : je donnerai des éléments de contexte en faisant un point sur les enjeux liés à la mobilité, puis je dresserai un panorama des nouvelles mobilités urbaines, et je finirai sur les nouveaux défis que nous devons relever collectivement pour la mobilité du futur et les leviers à notre disposition.
Nous sommes dans un contexte national favorable à l'émergence de nouvelles solutions de mobilités, notamment en raison de la loi sur la transition énergétique et la stratégie nationale bas carbone. En effet, la loi de transition énergétique oblige les entreprises de plus de 100 salariés à réaliser des plans de mobilité. Ainsi, les entreprises sont incitées à réfléchir aux nouvelles mobilités. De plus, la loi a introduit l'indemnité kilométrique vélo. Par ailleurs, dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone, une contribution est attendue de la part du secteur des transports. Afin de respecter l'objectif de facteur 4, sur la période 1990-2050, une réduction de 65 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports est attendue. Le plan climat évoque la fin de la vente des véhicules thermiques en 2040, et les assises de la mobilité ont représenté un moment structurant d'échanges collectifs entre les parties prenantes de la mobilité d'aujourd'hui et de demain. La loi d'orientation sur les mobilités devrait également être structurante pour les mobilités de demain. Enfin, je n'oublie pas le plan vélo et mobilités actives.
Les enjeux sont multiples. Tout d'abord, nous devons relever les défis énergétiques, en réduisant la dépendance énergétique au pétrole, et en diversifiant les énergies (carburant alternatif à travers l'électricité, le gaz, l'hydrogène). Il existe également un défi lié à l'épuisement des ressources. De plus, le réchauffement climatique doit être une préoccupation de chacun. Les émissions de polluants représentent un autre défi. En effet, nous estimons que les émissions polluantes sont la cause de 48 000 morts prématurées par an. Enfin, il existe un défi relatif à la vie urbaine, au sujet du partage de l'occupation de l'espace et la voirie, ces différentes modalités de déplacement doivent cohabiter. La voiture reste prépondérante dans la ville. La question du bruit doit également être traitée.
Selon l'INSEE, la moitié des salariés travaillent à moins de 10 kilomètres de chez eux. En 2015, 500 000 personnes se rendent au travail à vélo, ce qui représente 2 % des actifs. Le chiffre est similaire pour les deux roues motorisées. Ils sont donc beaucoup moins utilisés que les autres modes de mobilité : environ 15 % des actifs utilisent les transports en commun, et 70 % la voiture. De plus, cette dernière est utilisée dans 60 % des cas pour des trajets de moins d'un kilomètre. La marche représente 20 à 25 % des déplacements pour les distances inférieures à 2 kilomètres.
Les données suivantes sont issues du rapport 2016 de l'Observatoire des mobilités émergentes. 92 % des ménages disposent au moins d'une voiture, et 73 % des personnes utilisent leur voiture quotidiennement en zone rurale. La notion de fracture territoriale est un véritable sujet, car dans les grandes métropoles, seulement 30 % des personnes utilisent leur voiture quotidiennement. 46 % des Français déclarent avoir le choix dans leur mode de mobilité pour les déplacements quotidiens, contre 35 % en 2014. La multimodalité et l'intermodalité constituent la norme dans les grandes métropoles. Cependant, à l'échelle du territoire global, elles restent minoritaires. 58 % des Français utilisent un seul mode de transport de manière systématique, tandis que 13 % combinent plusieurs modes de transport. 22 % des personnes déclarent avoir le choix entre différents modes de transport en zone rurale, contre 64 % pour les personnes habitant dans des agglomérations de plus de 100 000 habitants. Ainsi, dans les grandes agglomérations, les citoyens ont le choix d'utiliser plusieurs modes de transport, contrairement aux zones rurales. Néanmoins, il est possible de réfléchir à de nouvelles offres dans ces territoires moins denses.
Quelles sont les mobilités émergentes ? Elles émergent avec une croissance relativement modérée. Tout d'abord, 30 % des Français ont utilisé le covoiturage. Il est nécessaire de différencier le covoiturage grande distance et petite distance. En effet, le covoiturage sur de courtes distances pour se rendre au travail reste peu développé, même s'il se développe de plus en plus. L'autopartage concerne 3 % des Français, ce chiffre a été multiplié par deux depuis 2014. Nous constatons que les nouvelles mobilités urbaines restent marginales, mais 6 % des Français ont utilisé au moins une fois ces nouveaux modes de déplacement dans les douze derniers mois. 5 % des Français pratiquent la location entre particuliers, ce chiffre est stable depuis plusieurs années. 23 % des Français ont utilisé le vélo au moins une fois lors des douze derniers mois. Ainsi, nous pouvons constater que ce mode de déplacement est plus ancré dans les pratiques.
Le premier défi est la notion de partage de la voirie et de l'espace urbain : comment partager l'usage du trottoir et de la chaussée ? Comment travailler sur le stationnement, la signalisation et la réglementation d'usage ? Il est primordial de différencier le code de la route du code de la voirie. Un deuxième défi concerne la sécurité et la santé. Même dans un environnement pollué, le gain du vélo pour la santé est positif. En effet, l'OMS préconise 30 minutes d'activité sportive soutenue par jour. Un autre axe d'amélioration concerne l'accidentalité. Celle du vélo est beaucoup moins importante que celle des deux roues motorisées. La fracture territoriale représente un autre défi. Comment lutter contre la dépendance à la voiture ? Quelles sont les opportunités en milieu rural pour développer de nouvelles mobilités ? Les services de covoiturage peuvent se développer. De plus, le vélo à assistance électrique étend la zone de possibilité d'usage de cette mobilité active, et modifie le champ des personnes en capacité d'utiliser le vélo. Je n'oublie pas non plus la notion de fracture numérique. À l'ère du développement de nouvelles mobilités, de la transformation numérique, de la digitalisation, il convient de ne pas oublier les personnes qui ne peuvent pas ou ne savent pas utiliser ces dispositifs. Il est nécessaire de prendre en compte la précarité numérique.
Les leviers sont multiples. Tout d'abord, les incitations : incitation à l'achat (prime à l'achat du vélo à assistance électrique par exemple), indemnité kilométrique vélo, forfait mobilité, barème fiscal. Nous estimons qu'il y a trois piliers pour permettre le développement des mobilités actives : les infrastructures (pistes et stationnement), le cadre incitatif (la culture vélo), enfin les services vélo. En effet, il arrive souvent que des personnes utilisent le vélo plusieurs mois, mais s'arrêtent quand il se casse, car elles n'ont pas de service de réparation vélo à proximité. Le dernier levier est culturel et sociétal. En effet, le développement du vélo peut nécessiter des vestiaires, une douche dans les entreprises, ainsi qu'un stationnement sécurisé. Nous devons agir sur plusieurs leviers sociétaux pour développer les nouvelles mobilités urbaines de demain.
Mme Elodie Trauchessec. - Cette présentation permet de cadrer le débat et d'introduire le contexte, les grands enjeux, les défis et les leviers autour de ces mobilités. Face à ce point de vue théorique, nous avons voulu opposer le point de vue du marché, des usagers et des professionnels. Ainsi, l'Union Sport et Cycle, qui représente les professionnels de la mobilité active, va nous présenter son activité et l'état des lieux du point de vue du marché.
M. Virgile Cailler, délégué général d'Union Sport et Cycle (USC). - Je vous remercie de donner la parole aux acteurs de l'industrie pour évoquer le sujet de la mobilité active. Je tiens à excuser le président de l'USC qui doit assister à une réunion urgente à Bruxelles, mais qui aurait souhaité être là afin de parler de ce marché et de son évolution. L'USC est un syndicat professionnel qui représente l'ensemble de la filière des entreprises du sport, du loisir, du cycle et la mobilité active. Le nom de l'USC révèle l'importance que nous accordons à la dimension du cycle qui figure dans le nom de notre syndicat professionnel. Le vélo constitue une révolution, mais quelle révolution : industrielle, culturelle, sociale ? Il peut s'agir des trois à la fois.
On pourrait croire que le vélo arrive soudainement dans nos quotidiens. Or, c'est une histoire qui se répète. En effet, avant de redécouvrir le vélo comme moyen de locomotion du quotidien, le vélo était déjà le principal outil de locomotion dans les années trente. Les archives révèlent que le vélo était très utilisé pour les déplacements, mais également pour un certain nombre d'activités professionnelles. C'est un véritable sujet de réflexion, car nous nous dirigeons vers les prémices d'une nouvelle période faste pour la « petite reine » (ce surnom provient d'une jeune reine néerlandaise qui, à la fin du XIXe siècle, utilisait tout le temps le vélo comme moyen de déplacement).
Près de 3 millions de vélos sont vendus par an en France. Il s'agit donc d'une véritable industrie, avec une spécificité européenne, voire française, en raison du savoir-faire du pays. En effet, avec l'émergence du vélo à assistance électrique et sa technologie embarquée, il est important de conserver cette industrie et ses emplois non délocalisables. Le parc français de vélos est d'environ 8 millions, il fait partie des patrimoines familiaux.
L'émergence du vélo électrique et de la mobilité active se révèle à travers la progression de 90 % des ventes des vélos à assistance électrique entre 2016 et 2017. Il y a eu un effet bonus, mais cette courbe décrit bien le phénomène et la montée en puissance du vélo à assistance électrique (VAE). Nous observons donc une tendance de fond. Le vélo reposait sur deux piliers majeurs : le sport avec le vélo de route, et le loisir avec le VTT. Désormais, nous voyons émerger une tendance à la mobilité active, le vélo est devenu un nouveau moyen de locomotion.
Pourquoi les Français s'intéressent-ils, achètent-ils et pratiquent-ils le vélo pour les déplacements au quotidien ? Trois phénomènes sont importants et correspondent bien aux aspirations actuelles de la société. Tout d'abord, il s'agit de la sensation d'entretenir son capital santé en faisant ses déplacements du quotidien à vélo. C'est très important, car c'est un sujet qui participe à cette ambiance collective, qui consiste à faire attention à son corps et à son environnement du quotidien. C'est une véritable lame de fond qui semble inéluctable. De plus, le vélo est utilisé par souci écologique. Il existe une vraie prise de conscience des citoyens aujourd'hui. Le troisième élément est la notion d'efficacité. En effet, le VAE est plus efficace, va plus vite, coûte moins cher et il est plus aisé à garer. Ce phénomène donne un effet exponentiel à cette montée en puissance de la mobilité active.
Cependant, nous ne sommes pas encore arrivés à un niveau satisfaisant. Le VAE continuera à se développer de manière exponentielle. En effet, 250 000 unités ont été vendues en 2017, et les projections à 2025 s'élèvent à 900 000 unités vendues. Cette mobilité active se diversifie. Nous verrons davantage à l'avenir de vélos cargo, de vélos utilitaires. Dans les centres-villes, les vélos cargo se substitueront sans doute aux véhicules utilitaires des artisans et commerçants, il s'agit d'un enjeu écologique et de désengorgement des centres-villes. De plus, il existe une offre de location en libre-service, et nous voyons fleurir le free-floating. Tout n'est pas bon, mais ces initiatives montrent qu'il s'agit d'une lame de fond qu'il sera nécessaire d'accompagner. Les EDP sont notamment intéressants dans une logique de mobilité de dernier kilomètre.
Enfin, les industriels étaient très attachés au plan vélo, non seulement par intérêt économique, mais aussi car tous les dirigeants des entreprises sont intimement convaincus de l'importance de l'évolution de la mobilité active et des activités physiques et sportives dans notre société, car il s'agit d'un réel sujet de santé publique et d'équilibre social. Le plan vélo est indispensable, car les pays du nord de l'Europe, en avance sur ce sujet, ont bénéficié d'un véritable portage politique avec un plan national autour du vélo. Le portage politique est un message extrêmement fort qui permet de générer ce processus culturel. Il y a quelques années en arrière, il n'était pas bien vu que les salariés se rendent au travail à vélo, alors que désormais, ils sont admirés, car il s'agit d'une démarche vertueuse. Ainsi, la perception de la mobilité active a véritablement changé. Par ailleurs, il existe une vraie collaboration entre les usagers et le monde industriel, nous sommes donc en phase sur la nécessité de développer les mobilités actives.
Mme Elodie Trauchessec. - Je vous conseille d'essayer ces mobilités, car on découvre des sensations nouvelles. Virgile Caillet a mentionné la convergence entre les différents acteurs du secteur. Les assises de la mobilité ont permis des rencontres. Nous possédons une audience large et diversifiée aujourd'hui, et nous comptons sur votre point de vue sur ces mobilités urbaines pour les échanges que nous aurons tout à l'heure. Nous allons maintenant entendre le point de vue des usagers.
Tendances et perspectives pour le développement de la pratique du vélo et des nouveaux équipements de mobilité
M. Olivier Schneider, président de la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB). - Je suis satisfait de constater que cette salle est pleine. J'ai été positivement surpris lorsque j'ai été sollicité pour être auditionné par la Délégation à la prospective. En effet, il y a quelques années, le vélo était perçu comme une antiquité.
Qu'est-ce que la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB) ? Les usagers ont longtemps été assimilés aux usages urbains. 75 % des déplacements en France font moins de 5 kilomètres, et seulement 2 % sont effectués à vélo. Nous ne pouvons pas effectuer tous ces déplacements à vélo, mais il existe une réelle marge de progression, beaucoup de déplacements pourraient être faits à pied et à vélo.
Je souhaite me focaliser sur un seul avantage du vélo : la santé publique. En effet, le mode de vie sédentaire est très nuisible. Cependant, une heure d'activité physique modérée compense tous les effets nocifs de 8 heures de sédentarité. Ainsi, nous avons à notre disposition une solution simple et bon marché, qui peut résoudre un enjeu majeur. Elle ne répond pas immédiatement aux enjeux d'épuisement des ressources et du changement climatique, mais en termes de santé publique, les mobilités actives sont des réponses concrètes. Dans ce cas, pourquoi cela ne marche pas en France ? Ne faudrait-il pas instituer une culture vélo spécifique pour que le vélo se développe ? Il ne s'agit pas d'une question culturelle, mais de volonté politique. À Amsterdam, le vélo s'est fortement développé dans les années 70, sous l'impulsion d'une politique publique. Le développement du vélo est donc lié à une décision politique et non à une culture spécifique.
Comment créer les conditions pour que les Français puissent faire du vélo ? L'objet de la FUB n'est pas de défendre les 3 millions d'usagers réguliers du vélo, mais de dire qu'il s'agit d'un mode d'utilité publique. Nous souhaitons donc faire des propositions concrètes pour que chacun, dans tous les territoires, ait le choix de se déplacer à vélo ou non. Cela ne passe pas par des mesures précises, mais par la construction d'un système vélo efficace, comme il existe un système automobile et un système ferroviaire. En effet, sans code de la route international, sans concessionnaire automobile, et sans station-essence, le système automobile ne pourrait pas fonctionner. Ainsi, la ville doit être intégralement accessible à vélo : il doit être possible d'emprunter chaque rue, de disposer de stationnements sécurisés, de combiner le vélo avec d'autres modes, de lutter contre le vol. Ainsi, ce n'est pas seulement une action emblématique qui permettra le développement du vélo. Cela nécessite du temps pour instaurer une véritable culture vélo, et il est primordial d'avoir des actions cohérentes et phasées. Nous aurons ces bénéfices à condition que nous prenions tous notre part.
Avec le plan vélo annoncé par le Premier ministre le 14 septembre, nous arriverons à un point de bascule où il sera audible de demander à chacun de prendre sa part. Ce schéma du système vélo existe depuis plusieurs années. Jean-Pierre Raffarin avait commandé un rapport à ce sujet, qui a été rendu en 2004. Les conclusions n'ont pas changé depuis. Des plans vélo se sont succédé : en quoi le dernier plan vélo est-il différent ? Tout d'abord, il intervient en début de quinquennat. De plus, il rentre dans le sillage des assises nationales de la mobilité, qui bénéficieront d'un véhicule législatif. Ce plan vélo est le premier où l'État est audible, car il prend sa propre part. En effet, l'indemnité kilométrique sera désormais versée aux fonctionnaires, ce qui permet de donner l'exemple au privé. De plus, l'apprentissage de la mobilité à l'école est essentiel. Enfin, le fonds vélo, de 350 millions sur 7 ans, est inférieur aux besoins réels, mais pour la première fois de l'histoire, l'État consacre un budget à ce sujet. Il devient ainsi audible auprès des industries, des collectivités et des employeurs. Nous avons obtenu plus que ce que nous avions imaginé. En effet, nous avions rencontré l'USC en juin 2016 afin d'établir 10 propositions unanimes, mais nous n'imaginions pas nous retrouver ici. Cependant, nous restons très vigilants sur l'application des mesures.
Au sujet du VAE, il permet véritablement d'allonger les distances pour couvrir 80 % des besoins des Français, tout en allant plus vite qu'un vélo classique et en garantissant la santé pour tous. Les cardiologues et les pneumologues sont d'accord sur le fait qu'il est préférable d'utiliser un VAE plutôt qu'un vélo classique afin de réduire l'inhalation de particules fines. Il permet également d'effacer les dénivelés. 80 % des Français sont à moins de 5 kilomètres d'un transport en commun public, la combinaison avec le vélo permettrait donc de les utiliser tout en assurant le maintien des petites lignes ferroviaires. Cela permet également la revitalisation des bourgs, car les piétons et les cyclistes apportent une proximité, il s'agit de clients qui dépensent régulièrement. De plus, cela permet aussi le report modal, car des personnes qui n'envisagent pas de faire du vélo, comme les personnes âgées ou les femmes enceintes par exemple, le peuvent grâce à l'assistance électrique. Le VAE favorise aussi la création d'un emploi local et durable. Enfin, les vélos cargos permettent de couvrir les besoins de nombreux artisans et parents.
Mme Elodie Trauchessec. - Nous parlons de nouvelles mobilités urbaines, mais nous évoquons surtout la marche à pied et le vélo. Il s'agit de mobilités qui reviennent au goût du jour. Nous avons un certain momentum politique, avec le partage fort autour du plan vélo, un momentum technique, avec l'avènement du VAE et des EDP, et un momentum culturel, car le vélo est plus attractif et les nouvelles générations sont attirées par des équipements plus modernes et plus connectés. L'état des lieux étant terminé, nous pouvons maintenant aborder l'un des premiers sujets à enjeu : la santé.
Homme qui marche, homme qui roule : effets sur la santé de la mobilité en ville
M. Yorghos Remvikos, professeur de santé environnementale, Université de Paris-Saclay. - Je vous remercie pour cette possibilité qui m'a été donnée de venir contribuer à vos réflexions. Je collabore régulièrement avec les territoires sur un sujet plus large, le bien-être dans son cadre de vie, que j'évoquerai à la fin, car il est en lien avec les aspects culturels. Le côté utilitariste peut se révéler agaçant, car nous considérons que nous devons aller au travail en vélo, mais pas flâner à pied ou à vélo.
Je me restreindrai au mode actif pour parler des bénéfices sanitaires. Les trottinettes électriques et les EDP ne peuvent pas rentrer dans le calcul de ces bénéfices. J'essaierai de donner une vision plus large des bienfaits de l'activité physique. J'insiste sur ce sujet, car nous oublions beaucoup des gains possibles : la mortalité toute cause, les maladies cardiovasculaires, l'obésité et le diabète, la santé mentale, la lutte contre le stress et la santé sociale. Néanmoins, il est nécessaire d'intégrer l'exposition à la pollution atmosphérique, car la distribution de l'espace public et notamment l'autorisation des vélos dans les couloirs de bus élargis expose à la pollution. Ainsi, elle doit être prise en compte tout comme l'accidentologie. Cependant, ces risques sont contrebalancés par les bénéfices de l'activité physique, de la santé physique et mentale, l'accidentologie évitée par la moindre présence de voitures, la gestion du temps, et les bénéfices environnementaux.
Afin de calculer le ratio bénéfice/risque, nous prendrons en compte le bénéfice minimal et le risque maximal. Le bénéfice provient principalement de l'activité physique, et les risques correspondent à l'accidentologie et l'exposition à la pollution. Le ratio reste très positif et augmente en même temps que la part modale. Ainsi, le niveau d'ambition doit être porté par les politiques.
Les bénéfices de l'activité physique sont dominants, même si les bénéfices environnementaux sont calculables. Il existe un effet de la pollution atmosphérique, et l'accidentalité corrigée montre qu'il existe un coût important associé à l'augmentation de la présence du vélo dans l'espace public. Cependant, ces chiffres ne doivent pas être considérés comme une constante. Par ailleurs, je suis surpris de constater que le transport vers l'école continue à être dominé par les transports motorisés. Il s'agit d'un véritable sujet sociétal.
Je souhaite insister sur la spécificité de la sécurité routière en ville. En effet, les victimes et les accidents sont différents en milieu urbain, car il s'agit principalement des piétons et cyclistes. Cela pose la question de la cohabitation de la voiture et des vélos. Nous pensons aujourd'hui qu'elle ne peut pas être harmonieuse sans diminuer massivement la vitesse en ville, en limitant la circulation à 30 km/h dans la majeure partie de la ville. Nous savons que l'augmentation du nombre de vélos n'accroît pas proportionnellement les accidents, car la modification de la composition des modes de mobilité fait que l'automobiliste porte plus d'attention aux cyclistes. Le bilan suite à l'autorisation donnée aux cyclistes d'emprunter certains sens interdits est satisfaisant et n'a pas augmenté le nombre d'accidents.
Les mobilités actives sont avant tout une incitation à habiter la ville autrement. Nous ne pouvons pas nous limiter à l'utilité, car chaque pratique sociale (marche, vélo ou voiture) est une culture spécifique, et le passage aux mobilités actives nécessite un nouveau rapport au temps, à l'espace, aux autres et au corps. Les changements culturels se mesurent à l'échelle d'une génération.
Au sujet du partage de l'espace, la cohabitation, plutôt que la domination, doit être privilégiée. De nouveaux aménagements fleurissent en Europe : ce sont les zones de rencontre. Par exemple, la place devant la gare de Genève sera transformée en zone de rencontre, alors que tous les modes de déplacement se rencontrent, ce qui représente un véritable défi et fait preuve d'un certain volontarisme. Il existe également une zone de rencontre à Paris devant la gare du Nord, et elle fonctionne. Dans ces zones, le piéton est prioritaire sur le vélo qui est prioritaire sur la voiture.
La culture concerne également les valeurs. L'aménagement de l'espace représente les valeurs défendues par la société : la politesse, l'urbanité, la civilité. Un changement de culture s'opérera dans le temps, mais l'efficacité de l'accès au travail n'est pas le seul intérêt. En effet, ce qui compte, c'est la manière d'habiter la ville.
L'espace public et la présence de catégories de personnes avec des besoins particuliers doivent être pris en compte, qu'elles soient utilisateurs de vélo ou non. Je considère que la présence des enfants sur l'espace public par exemple est un indicateur de la qualité de vie urbaine. L'évaluation des options du plan de déplacements urbains (PDU) d'Île-de-France a révélé que l'accès aux différentes mobilités se fait plus facilement pour les catégories aisées que les catégories défavorisées. Il est nécessaire d'être vigilant à ce sujet, car il existe des handicaps spécifiques que nous devons résoudre. Des expériences sont effectuées et peuvent être inspirantes.
M. Olivier Henno, sénateur. - Si nous avions dit dans les années 70 que le vélo serait envisagé comme une nouvelle mobilité, nous n'aurions pas pu le croire. Nous avons évoqué la mobilité émergente, les équipements partagés et les équipements individuels. Je me demandais s'il était encore pertinent d'investir dans des modes de transport lourds comme les tramways par exemple, ou si l'avenir résidait plutôt dans le développement de ces nouveaux modes de transport. Par exemple, dans la métropole lilloise, de lourds investissements sur les modes de transport public ont été réalisés dans les années 70-80, mais peu depuis. La question revient à l'ordre du jour : ces modes de transport sont-ils encore pertinents ou sont-ils obsolètes ? Les décideurs publics se posent ce type de question.
Mme Fabienne Keller, sénatrice. - Je viens de Strasbourg, une ville qui apprécie beaucoup le vélo, et l'ensemble des modes de transport doux. De plus, elle n'a jamais perdu la culture vélo. Pierre Pflimlin écrivait le premier plan vélo pour la ville il y a presque 40 ans. Les jeunes « branchés » comme les familles modestes utilisent le vélo pour leurs déplacements. Je souhaite rappeler que le vélo représente un mode de transport peu cher dès lors que la lutte contre le vol est assurée. De plus, il est aussi souple que la voiture. Je suis contente que des plans vélo soient mis en place, mais j'estime qu'encourager le vélo doit se faire à travers des actions diverses et cohérentes. Le niveau local est le plus important, car les usagers attendent des pistes cyclables ainsi que des lieux pour garer leur vélo. Un véritable plan vélo ne peut être décliné qu'à plusieurs échelles. De plus, il existe une synergie entre le vélo loisir et le vélo utile. Par ailleurs, les vélos pour les personnes à mobilité réduite commencent à se développer et sont intéressants. Je partage aussi le fait qu'une vraie difficulté émerge : la cohabitation entre le vélo et les piétons. Un débat devrait s'engager à ce sujet. La réglementation ne pourra pas résoudre cette question, car il s'agit avant tout d'une question de respect mutuel.
Enfin, les gares sont les lieux naturels de l'intermodalité, où l'articulation entre les différents modes de transport peut se faire. Elles permettent de mettre fin à la division entre le rural et l'urbain, car la gare peut être un lieu de centralité. Un certain nombre de villes, petites ou grandes, réinvestissent leurs gares. Le chaînage de différents modes de transport peut permettre d'exercer un effet de levier sans pour autant pénaliser les personnes qui sont obligées d'utiliser la voiture dans des zones très peu denses. J'apprécie l'idée de hiérarchie : favoriser le piéton, puis le vélo et les transports actifs, puis les transports collectifs, etc. L'autosoliste ne doit pas être écarté complètement afin de ne pas exclure une catégorie de citoyens. Par ailleurs, la question des vêtements, notamment en cas de pluie, doit être abordée.
Mme Elodie Trauchessec. - Une ligne de vêtements a été créée spécialement pour le vélo.
M. Benoit Hiron, chef du groupe sécurité des usagers et des déplacements au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). - Je vous rappelle que nous sommes dans le cadre d'un vieillissement de la population. En 2017, les piétons représentent 470 morts, contre 173 pour les cyclistes. Cependant, la moitié a plus de 65 ans. Ainsi, les perspectives d'augmentation de cette catégorie de la population risquent de poser problème sans mesures fortes. Nous pouvons évoquer le problème des conflits entre les piétons et les cyclistes, mais 80 % des piétons tués et des cyclistes sont le fait des voitures. L'aspect vieillissement de la population ne doit pas être oublié, car les piétons auront de plus en plus de mal à se déplacer sur les trottoirs. Les cyclistes seront vieillissants, l'espace public doit permettre aux personnes âgées d'être présentes, et pas seulement sur les trottoirs, ils doivent être capables de traverser la route. Ainsi, pour que ce système fonctionne, il est nécessaire d'agir sur les autres véhicules, et notamment sur la vitesse, non seulement en ville, mais également dans les zones périurbaines.
M. Jean-Philippe Santoni, pneumologue, Fondation du Souffle. - D'un point de vue de la santé, le VAE a un très grand mérite : il permet une activité physique modérée, c'est-à-dire sans hyperventilation. Il limite l'exposition à la pollution en milieu urbain, tout en permettant l'activité physique. De plus, il permet d'allonger les distances parcourues. Le vélo est bénéfique pour le système respiratoire (en France, 10 millions de personnes souffrent de maladies respiratoires chroniques) et pas seulement pour le système cardio-vasculaire. Le VAE permet également aux seniors de faire du vélo facilement, ce qui est un point important compte tenu de l'évolution de la démographie en France. Par ailleurs, le vol est un phénomène fréquent en France, la sécurisation du VAE est donc un enjeu important.
Le maillon faible du système de santé français est la prévention. La pratique des mobilités actives est un bon moyen de prévention. Il pourrait ainsi être intéressant de se rapprocher non seulement des plans de transition énergétique, mais également des plans de santé afin de favoriser la pratique de ces modes de mobilité.
M. Thierry Jammes, vice-président de la Fédération des Aveugles de France. - Je représente les personnes malvoyantes, mais je pourrais aussi représenter les personnes malentendantes et les personnes âgées. Ces populations dites fragiles font partie des piétons. Or, le vieillissement de la population n'est pas assez pris en compte dans le cadre de cette thématique. Le piéton est censé marcher à 6 km/h, mais en réalité, il marche entre 2 et 3 km/h. Néanmoins, des vélos et des EDP sont utilisés sur l'espace piéton et permettent de rouler plus vite. Le problème est que le trottoir est utilisé pour leur stationnement. Or, il est nécessaire que l'ensemble des utilisateurs puisse trouver des espaces pour stationner, afin de permettre la cohabitation entre les différents usagers.
M. Grégoire Hénin, vice-président de la Fédération des professionnels de la micro mobilité (FP2M). - La Fédération des professionnels de la micro mobilité a été créée il y a environ un an afin de représenter les professionnels des EDP, sous l'impulsion des pouvoirs publics, pour pouvoir participer aux assises de la mobilité. Il s'agit d'une filière qui se structure, elle réalise une étude sur le marché des EDP. Nous nous situons à des niveaux de croissance très importants, et nous nous sommes rendu compte que nous étions deux fois plus avancés que les chiffres les plus optimistes que nous avions prévus. Nous devons trouver une place dans l'espace public pour ces EDP, car ils permettent de répondre à une problématique de fluidification des villes et de bien-être. Nous souhaitons intervenir dans ce sens afin d'aider les pouvoirs publics. Nous leur demandons de légiférer sur les EDP, car les utilisateurs sont de plus en plus stigmatisés. De plus, nous demandons d'informer sur l'utilisation d'EDP dans les villes, afin de savoir où doivent être l'usager d'EDP, le piéton et le cycliste.
M. Frédéric Héran, économiste des transports et urbaniste, Université de Lille 1. - Je souhaiterais que nous tenions compte des lois de la physique. En effet, par rapport à un vélo, la trottinette dispose de petites roues et avale mal les défauts de la route. Les grandes roues du vélo permettent d'avaler les défauts du revêtement. Cela pose donc un réel problème de sécurité pour la trottinette. De plus, elle a un empâtement (la distance entre les deux points d'appui des roues sur la chaussée) très faible. Le vélo permet à l'usager d'éviter de basculer vers l'avant, en cas de freinage brusque. En outre, la trottinette manque d'efficacité sur les freins, comparée aux vélos. Enfin, ce n'est pas la première fois qu'un engouement est constaté sur la trottinette. Cependant, il était retombé en raison de la dangerosité soulevée par les médecins. Ces aspects de sécurité et ces contraintes physiques doivent être pris en compte.
Mme Victoire Jasmin, sénatrice. - Je souhaite féliciter mes collègues pour cette initiative.
M. Olivier Jacquin. -Il a été dit que certains publics étaient moins susceptibles d'accéder à des changements de mode de déplacement. Il existe aussi des incitations à trouver pour encourager des modes de déplacement doux.
M. Alain Fouché, sénateur. - Le vélo électrique permet aux personnes âgées de continuer à utiliser le vélo. Par ailleurs, il peut y avoir un besoin d'information sur la circulation des vélos et les règles à respecter. Enfin, certains trains ne sont pas équipés pour recevoir des vélos. Des aménagements devront donc être effectués pour faciliter le plan vélo.
Mme Elodie Trauchessec. - Je remarque que beaucoup d'interventions concernent la cohabitation nécessaire entre les différents usages, et la pertinence économique des investissements sur les modes de transport également. Cela renvoie aux sujets que nous allons maintenant aborder.
Nouveaux partages de la voirie et nouveaux enjeux de sécurité routière
Mme Anne Lavaud, déléguée générale de l'Association Prévention routière. -Prévention routière est une association qui réalise des actions de sensibilisation depuis bientôt 70 ans. Nous nous intéressons à tous les modes de mobilité. J'ai choisi de partager avec vous les résultats d'une récente étude réalisée sur les nouveaux EDP. Globalement, en ville, ce sont les populations les plus vulnérables, c'est-à-dire les piétons et les cyclistes, qui sont tués. Néanmoins, plus une ville est dense, moins il y a d'accidents graves et mortels. Nous avons lancé un label « Ville prudente » et nous récompenserons les 130 premières communes qui ont postulé à ce label. Une grande partie des actions liées à la sécurité routière concerne les zones de partage et les voies à 30 km/h, car la vitesse permet de diminuer la gravité des accidents.
À Paris, Lyon et Bordeaux, nous avons installé une zone où les personnes avaient la possibilité de tester les nouveaux EDP. Nous ne savons pas comment nommer ces nouveaux modes : les nouveaux véhicules électriques individuels (NVEI), ou les EDP. Comme disait Boileau, « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément »... Il existe une pratique citadine, mais pas seulement. De plus, nous constatons une accélération du phénomène, surtout dans les villes avec l'arrivée du free-floating.
Que nous dit cette étude ? La partie quantitative nous indique qu'un tiers des Français a déjà testé les EDP. 10 % les utilisent de façon régulière ou occasionnelle, et 57 % envisagent de s'en servir à l'avenir. Ce phénomène ne concerne donc pas seulement le centre des grandes agglomérations. Aujourd'hui, les Français recherchent plusieurs qualités dans leur mode de déplacement : la rapidité, le plaisir, l'innovation, l'écologie. Cependant, il est nécessaire d'être vigilant sur la fracture sociale des modes de mobilité. Le nouveau mode de déplacement peut devenir une alternative de mobilité en milieu rural et périurbain, ce qui peut faire apparaître d'autres risques qu'il est nécessaire de prévenir dès maintenant. Ainsi, nous ne devons pas limiter ces EDP au centre-ville. Nous devons nous projeter dans une mobilité différente qui fera que certains usagers pourront faire 10 à 15 kilomètres sur une trottinette électrique, mais sur des routes qui, aujourd'hui, ne sont pas équipées pour les accueillir.
Le partage de l'espace est la question essentielle. 79 % des Français estiment que ces EDP doivent rouler sur les voies cyclables, et 39 % pensent qu'ils pourraient être utilisés sur les trottoirs. Cependant, les usagers de ces EDP souhaitent pouvoir les utiliser partout, car c'est un de leurs avantages. Les visions sont donc diamétralement opposées entre les Français de manière générale, et les usagers. Ainsi, notre association commence à construire les actions de prévention nécessaires auprès des nouvelles générations qui utilisent ces EDP. Les usagers savent qu'il existe des risques à cette utilisation. Cependant, très peu de littérature existe sur les traumatismes occasionnés par les EDP. Les informations que nous avons pu recueillir à ce sujet indiquent que les traumatismes sont similaires à ceux des trottinettes classiques, mais avec un niveau de gravité supérieur en raison de la vitesse. Ainsi, le nombre de traumatismes crâniens est important.
Nous sommes face à une disparité totale des législations en vigueur en Europe. Nous rappelons cependant que, dans notre pays, les maires ont le pouvoir de prendre des arrêtés pour réglementer la circulation de ces EDP. Il est donc déjà possible de prendre en compte la sécurité de l'ensemble des administrés.
Notre association recommande de bien s'équiper, afin de se protéger, mais aussi de prendre conscience du risque que représente ce mode de déplacement au sein de la circulation. De plus, la visibilité est essentielle. Lorsqu'un cycliste ne porte pas de vêtements rétro-réfléchissants, il est visible à 30 mètres, contre 150 mètres s'il est équipé. Il est également indispensable de s'assurer. En effet, selon le code des assurances, tout véhicule terrestre à moteur doit être assuré. De plus, le fait de s'assurer pour son mode de mobilité permet de comprendre qu'un risque existe. La jurisprudence dite de la tondeuse à gazon est utilisée pour illustrer l'article du code des assurances : si la tondeuse est utilisée sur l'espace public, il est indispensable de s'assurer.
Mme Elodie Trauchessec. - Nous avons évoqué les risques encourus par les personnes utilisant les EDP. Ils ont de nombreux avantages, mais posent également des questions de sécurité. Le partage de la voirie peut être précisé au niveau national et local.
La prochaine intervention concerne l'organisation de ces nouvelles mobilités à l'échelon des collectivités territoriales.
Organisation des nouvelles mobilités urbaines par les collectivités territoriales
M. Charles-Eric Lemaignen, vice-président de l'Assemblée des Communautés de France (AdCF) et conseiller métropolitain d'Orléans Métropole (Centre-Val-de-Loire). - 70 % des autorités organisatrices de mobilité sont des intercommunalités. J'ai présidé la métropole d'Orléans pendant 16 ans, et je suis vice-président du GART, je m'intéresse donc particulièrement à la question du transport.
Il existe trois caractéristiques majeures des politiques de mobilité des collectivités locales. Aujourd'hui, nous avons tous une approche globale de la mobilité. Le vélo et les nouvelles mobilités font partie intégrante des politiques de mobilité de notre territoire. Ainsi, il n'est plus possible d'imaginer une politique de transport public sans intégrer le vélo. Ensuite, le périurbain constitue le noeud de nos difficultés. Des tramways sont nécessaires pour les axes lourds. Cependant, la question est plus complexe dans les périphéries avec une densité faible, car les bus sont souvent vides. Or, pour un opérateur de transport, le personnel représente 60 % du coût, et l'énergie 10 %. Ainsi, le problème du périurbain est le plus complexe. Enfin, quand nous élaborons une politique globale de transport, nous n'évoquons plus les outils, mais nous analysons le besoin de mobilité, qui a profondément évolué avec la révolution digitale et le comportement des jeunes générations. Par exemple, l'autopartage n'était pas concevable il y a 30 ans. Nous devons donc comprendre ce que représentent ces nouvelles mobilités et à quels besoins elles répondent.
Au départ, le vélo était intégré dans des politiques de location de vélo. Nous avions des pistes et des bandes cyclables. Ensuite, le libre-service est apparu. Cependant, ce modèle est totalement remis en cause aujourd'hui par le free-floating. Le vélo en libre-service coûte cher : chaque vélo représente un coût de 2 000 à 3 000 euros. Le free-floating ne coûte rien, mais a d'autres inconvénients, notamment le vol. Ainsi, le vélo a changé et la révolution technologique n'est pas achevée. Une entreprise près d'Orléans fabrique des vélos utilisant des super-condensateurs pour récupérer l'énergie produite par les efforts physiques.
Au sujet des EDP, le problème est avant tout juridique. Il existe trois échelles : en trottinette traditionnelle, l'usager est considéré comme un piéton s'il ne circule pas à plus de 6 km/h. Cependant, la trottinette à assistance électrique est un ovni juridique, car elle ne peut pas circuler sur la voie publique étant donné que ce n'est pas un véhicule à moteur, ni sur le trottoir, car sa vitesse est trop élevée. Il existe trois catégories de vitesse : jusqu'à 6 km/h, entre 6 et 25 km/h, et au-delà de 25 km/h. Il sera donc nécessaire de résoudre ce problème juridique et d'assurer une continuité de l'usage de la trottinette électrique. Des collectivités ont le droit d'établir leur propre réglementation de l'espace public. Ainsi, Barcelone a interdit en 2017 tout véhicule électrique en centre-ville.
Il existe quatre types d'approches pour les collectivités. Tout d'abord, l'approche économique : auparavant, les innovations technologiques permettaient d'apporter un service supplémentaire, mais à un coût supplémentaire. Désormais, les start-ups permettent de réaliser de véritables économies d'échelle. Or, les politiques globales de transport sont mises en place dans un système très contraint financièrement. En effet, le client ne paye en moyenne que 20 % du coût du transport public. Les innovations doivent permettre d'obtenir un meilleur service à un moindre coût. Le free-floating, si nous arrivons à pallier les inconvénients, ne coûte rien à la collectivité, comparé au vélo en libre-service. Ainsi, l'adaptation de l'outil au ciblage du besoin est essentielle. La réponse à la question des mobilités est un ensemble comprenant le vélo et les EDP.
La deuxième approche concerne la sécurité. Il existe une norme européenne qui devrait être publiée début 2019 afin d'homogénéiser les règles de sécurité au sujet des EDP.
La troisième approche concerne les données. Afin d'assurer une véritable politique globale des transports, les collectivités doivent être propriétaires des données du transport sur leur territoire. Cette approche ne doit pas être négligée, car si les collectivités prennent seulement en charge la régulation de l'espace public, elles n'ont pas la priorité des données.
Enfin, la dernière approche concerne l'espace public. Le free-floating entraîne un stationnement sauvage de vélos. Il existe donc des conflits d'usage causés par ces EDP, et donc des problèmes de sécurité, car ces nouvelles trottinettes peuvent être très dangereuses. Des collectivités ont mis en place des codes de la rue, comme à Bordeaux ou à Nantes.
Dans la loi d'orientation des mobilités, trois enjeux devront être traités. Tout d'abord, le rôle des autorités organisatrices de mobilité (AOM) sur l'ensemble du territoire : quelle est leur mission ? Quel partage entre les AOM et les régions ? Les intercommunalités doivent constituer le chaînon de base de cette loi. De plus, la clarification juridique des EDP est indispensable. Enfin, la question de la régulation de l'espace public par les maires doit être abordée. Elle peut être réglée par le pouvoir de police ou en tant qu'AOM, afin de disposer d'une licence permettant de détenir les données. Je préfère cette dernière solution, mais si elle n'est pas choisie, le pouvoir de police des transports doit être donné aux conseils municipaux.
Mme Christine Lavarde, sénatrice. - À quelle échéance envisagez-vous une transformation de la ville permettant une coexistence pacifique de ces différents modes de transport ? Lorsqu'un nouveau quartier est créé, la cohabitation des modes est envisagée. Cependant, dans les anciens quartiers, les possibilités de circulation peuvent être très variées. Combien de temps sera-t-il nécessaire pour transformer la ville ?
Mme Anne Lavaud. - Votre question n'a pas de réponse. Nous ne devons pas seulement regarder la mobilité, mais l'ensemble de nos pratiques. Par exemple, l'e-commerce déporte le problème de la mobilité. Les vélos cargos sont-ils la réponse à ce phénomène ? Toutes nos habitudes sociétales impactent la mobilité. Nous devons donc regarder tout ce qui impacte la mobilité.
Mme Claire Toubal, administratrice à l'Heureux Cyclage. - Les ateliers d'autoréparation de vélos n'ont pas été évoqués cet après-midi. Si nous souhaitons faire en sorte qu'une large partie de la population ait accès aux vélos, nous devons compter sur l'Heureux Cyclage qui fait en sorte de promouvoir ces structures. Il existe environ 200 ateliers en France, et plus d'une centaine est membre du réseau, ce qui représente 71 000 personnes. Plus nous sommes maîtres de l'outil, plus nous allons l'utiliser. Ainsi, les ateliers vélo promeuvent la pratique et l'accès au vélo et répondent aux problématiques évoquées aujourd'hui.
M. Laurent Jeannin-Naltet, vice-président de l'Association 60 millions de piétons. - Je souhaite évoquer le problème des personnes âgées. Notre association est favorable aux aménagements cyclables et pour une définition précise des EDP. Cependant, ils sont tolérés sur les trottoirs alors qu'ils ne disposent pas de compteur de vitesse, ce qui peut poser problème pour les piétons et les cyclistes. Les collectivités territoriales font des efforts importants pour les aménagements cyclables, mais certaines vont peut-être trop loin. En effet, la mairie de Paris prévoit de réaliser une piste cyclable sur l'avenue des Champs-Élysées, avec un déport des quais bus. Ainsi, les utilisateurs devront d'abord traverser la piste cyclable pour monter dans l'autobus. Nous contestons cet aménagement, car il est dangereux en raison de la circulation importante. Enfin, les statistiques d'accidents prennent en compte seulement les accidents qui ont fait l'objet d'un constat de police.
M. Grégory Pigier, Les Boîtes à vélo. - L'association Les Boîtes à Vélo représente les entreprises et les artisans qui se déplacent à vélo pour leur activité professionnelle. Je souhaite que vous utilisiez votre pouvoir politique pour aider les entrepreneurs et les artisans à utiliser davantage le vélo.
M. Laurent Kennel, directeur général France d'OFO. - Je souhaite apporter trois éléments de réflexion au débat. Nous avons parfois opposé certains modes entre eux, mais nous avons moins évoqué les changements d'usage : le partage plutôt que la possession, et l'intermodalité. Cette transformation des usages est aussi importante que les nouveaux modes qui émergent. Lorsque nous réfléchissons au partage de l'espace public, il est également nécessaire de prendre en compte l'espace alloué à la voiture, qui représente 80 à 90 % de l'espace public. De plus, la temporalité constitue un sujet important. Les innovations sont très rapides comparées à l'action publique, nous devons donc trouver un cadre de réflexion afin d'être flexible, évolutif et d'accompagner ces usages.
M. Éric Joly, coordinateur technique, Ateliers vélos solidaires SoliCycle. - Je souhaite évoquer le sujet du recyclage des batteries du VAE et de l'encouragement à l'achat du VAE par rapport au vélo traditionnel. Nous vendons beaucoup de vélos neufs, a priori de médiocre qualité par rapport à ce qui existe dans d'autres pays européens, qui s'usent vite et qui sont rapidement jetés. Ainsi, une écocontribution pourrait être un dispositif intéressant.
M. Virgile Caillet. - Nous avons créé une filière volontaire de collecte de batteries. Elle est en place depuis près d'un an et a collecté plus de 500 tonnes. Ainsi, la filière est consciente de cette responsabilité, et recherche l'amélioration constante des vélos et de la technologie embarquée.
M. Éric Joly. - Le lithium est en quantité limitée sur terre.
Mme Elodie Trauchessec. - Je remercie l'ensemble des intervenants pour leur participation. Cette transformation des mobilités est accompagnée par l'ADEME au niveau des territoires. Nous avons deux appels à projets en cours : un qui vise à expérimenter de nouvelles solutions de mobilité dans les territoires peu denses, et un autre nommé « vélos et territoires » qui vise à accompagner les collectivités qui souhaiteront mobiliser le fonds « mobilité active » du plan vélo sur trois axes (la rédaction de leur schéma directeur vélo, le développement de services vélo, et la mise en place d'une véritable ingénierie territoriale vélo). Je vous invite à prendre connaissance de ces appels à projets qui ont vocation à aider les territoires à se saisir de cette thématique pour une application du plan vélo au plus près des citoyens.
M. Olivier Jacquin. - Les échanges de cet après-midi ont été fructueux. Des questions importantes seront à traiter dans le cadre de la future loi sur les mobilités.
Une expérimentation a été lancée en Moselle avec des familles volontaires pour tester le mois sans voiture. Dans la presse, certains viennent réagir à ces expériences. Il existe une vraie question de l'incitation et de l'apprentissage au changement. Le temps de transport en commun peut être doublement utile, car il est possible de lire, de dormir, ou encore de travailler, tandis que le temps en vélo permet de pratiquer une activité physique.
J'ai rencontré un chercheur en Corée qui menait une expérimentation sur une application qui permettait d'accorder des points aux usagers qui utilisent le plus la marche ou le vélo, afin de financer leur transport en commun. L'innovation révolutionnera nos pratiques.
Je remercie mes collègues sénateurs, l'ADEME, et les intervenants. Les militants associatifs sont indispensables pour faire changer la société et aiguiller les élus.
Notre rapport sur les nouvelles mobilités sera examiné par la Délégation à la prospective le 8 novembre. Des idées de changement peuvent être envisagées dans le cadre du projet de loi de finances. Le courage est nécessaire à toutes et tous pour faire évoluer le monde. Notre engagement participe au combat indispensable pour sauver la planète.
Jeudi 11 octobre 2018
- Présidence de M. Roger Karoutchi, président -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Présentation du rapport sur l'avenir des relations entre les générations
M. Roger Karoutchi, président. - Notre ordre du jour de ce matin comprend l'examen du rapport que la délégation a décidé de consacrer au pacte entre les générations. Je rappelle que nous avons fait, le 5 juillet dernier, avec Nadia Sollogoub, un point d'étape sur ce rapport. Les débats qui ont suivi cette présentation ont été très fructueux. Je vais donc passer la parole à nos trois rapporteurs pour qu'ils nous exposent aujourd'hui leur rapport complet.
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur. - Devant la complexité du sujet, nous avons choisi de retenir deux angles d'attaque. Le premier est celui des transferts économiques entre générations, avec en particulier un questionnement sur l'opposition entre une génération parfois qualifiée de « dorée », celle des baby-boomers, et des générations postérieures, qui seraient « maltraitées ». Le second porte plutôt sur la dimension symbolique des relations intergénérationnelles. Nous avons voulu savoir quels rapports les différentes générations, et notamment les générations montantes, entretiennent avec la politique, le travail ou l'éducation et comment leurs relations s'organisent et se transforment dans ces différents champs.
Concernant la partie sur les transferts économiques entre les générations, je ne ferai que rappeler les principales conclusions, car cette partie a fait l'objet du rapport d'étape du 7 juillet dernier.
Le système de solidarités économiques entre les générations est assis sur le Pacte mis en place à la Libération. Ce Pacte a été, et sera encore, fortement affecté par le vieillissement de la population et par des mutations économiques telles que le ralentissement des gains de productivité, la persistance d'un chômage de masse et l'intensification de la concurrence en économie ouverte. Depuis 50 ans, le vieillissement est le principal moteur de la hausse des transferts intergénérationnels. Face à ces changements du contexte économique et démographique, le Pacte a déjà fait l'objet de réformes nombreuses et profondes, tant au niveau du financement, que de la nature et du montant des prestations versées.
Pour l'avenir, il faut souligner que nous ne nous trouvons pas face à un « mur de dépenses » infranchissable. Certes, la croissance des dépenses liées aux transferts entre générations va se poursuivre dans les décennies à venir, portée par les dépenses de santé et de dépendance. Cette dernière constitue sans doute le principal défi à relever : nous avons plus de 20 milliards d'euros à trouver d'ici à 2060 pour y faire face. Toutefois, globalement, l'augmentation considérable des transferts publics relativement au PIB constatée jusqu'à présent devrait s'interrompre. C'est un vrai changement par rapport aux tendances passées. Selon les projections du Haut conseil du financement de la protection sociale de juin 2017, même dans le scénario économique le plus pessimiste, on devrait avoir une stabilisation au niveau de 31 % du PIB des dépenses liées aux transferts intergénérationnels vers 2040. Dans les scénarios économiques plus optimistes, le poids de ces dépenses devrait même baisser sensiblement.
Plus qu'une impasse financière, ce qui met le Pacte sous tension, c'est en réalité le risque d'une répartition inéquitable de l'effort de solidarité entre les générations. Un tel déséquilibre pourrait, d'une part, nuire à l'efficacité économique. La contribution pesant sur les 26-59 ans a en effet fortement augmenté depuis 40 ans : + 8 points de PIB par tête. Alourdir encore la contribution des actifs crée un risque de blocage de leur consommation et de leur investissement. Sur le plan de la justice sociale, on doit aussi se demander s'il est juste d'imposer des prélèvements supplémentaires aux jeunes générations alors même qu'elles sont confrontées à un marché du travail peu favorable et vont connaître d'inextricables difficultés d'accès à un logement devenu inabordable. On peut imaginer qu'une gestion du Pacte inefficace ou injuste conduise à un scénario de l'exil : les jeunes bien formés et employables, issus des familles peu ou pas dotées en patrimoine, auraient tout intérêt à s'installer dans un autre pays pour éviter les prélèvements destinés à financer les transferts vers les séniors s'ils ne peuvent accéder au logement par le seul fruit de leur travail. Le second risque d'une gestion déséquilibrée du Pacte est politique. Les classes moyennes dépourvues de patrimoine économique, emportées dans la spirale du déclassement alors même qu'elles ont été lourdement mises à contribution pour financer la solidarité intergénérationnelle, pourraient être tentées par les votes extrêmes.
Pour dépasser les tensions du Pacte actuel, il est proposé en premier lieu de redéfinir les conditions du partage intergénérationnel en s'appuyant sur les « nouveaux âges » de la vie que sont la période d'entrée dans la vie adulte et la « séniorité active ». Repenser la solidarité intergénérationnelle entre cinq âges et non plus seulement trois permettrait d'envisager plusieurs « deals » intergénérationnels gagnants.
C'est le cas par exemple de la cohabitation intergénérationnelle. Les jeunes en phase d'entrée dans la vie adulte ont du temps mais pas de logement : ils pourraient échanger ce temps avec des séniors qui ont un logement surdimensionné et ont besoin de présence. Des expériences se développent déjà dans ce sens, mais pour changer d'échelle, il y a sans doute des adaptations juridiques importantes à réaliser, notamment sur la loi de 1989 sur les relations locataires-bailleurs.
On peut également envisager de valoriser et de mobiliser l'appétence des générations montantes pour les formes directes et concrètes d'engagement citoyen, afin d'en faire un outil de la solidarité intergénérationnelle. Nous proposons de donner un cadre clair et protecteur à ces formes d'engagement citoyen au service de la solidarité, de les valoriser pas seulement symboliquement. Récompenser la vertu civique pourrait se faire de diverses manières : par des unités de valeur dans les études, par la création de droits sociaux tels que des mécanismes de garantie publique pour faciliter l'accès au logement ou au crédit.
Enfin, il faut affirmer plus nettement la place de la « séniorité active » dans la chaîne de la solidarité intergénérationnelle. Nous proposons ainsi de réfléchir à la mobilisation des séniors dans le financement de la dépendance grâce à un système d'assurance obligatoire qui serait assis sur les revenus et le patrimoine et qui fonctionnerait selon le principe : « le 3e âge finance le 4e ». Nous appelons également à consolider le statut de fonction pivot des plus de 50 ans en travaillant encore sur le statut de l'aidant et sur l'organisation du temps de travail à l'échelle de la vie. Dans un contexte de hausse du taux d'emploi des séniors, il est indispensable de trouver les moyens de prolonger la vie active sans menacer en même temps l'entraide générationnelle et l'engagement bénévole.
Le second grand axe de nos propositions repose sur une meilleure prise en compte du patrimoine dans le jeu des solidarités intergénérationnelles. La question du patrimoine est en effet revenue au premier plan après une période d'éclipse. Les actifs possédés par les Français représentent aujourd'hui huit années de revenu disponible, contre seulement quatre en 1980. Or, ce patrimoine, dont la valeur a explosé, est dormant. Il est constitué de biens immobiliers et de placements financiers improductifs. Par ailleurs, les flux successoraux représentent une part croissante du revenu national : bientôt un tiers du revenu national, ce qui nous renvoie à la situation de la fin du XIXe siècle. Enfin, le patrimoine est fortement concentré entre les mains des séniors et se transmet désormais de séniors à séniors, car l'âge où on hérite va bientôt atteindre 60 ans. Un premier enjeu est de mobiliser le patrimoine des séniors au service des besoins des séniors eux-mêmes, notamment pour financer la dépendance. Un deuxième défi est d'accélérer la transmission vers les jeunes. Enfin, nous devons trouver des modalités de mobilisation et d'accélération de la transmission du patrimoine qui ne fassent pas exploser les inégalités intragénérationnelles et qui évitent l'apparition d'une société « héritocratique » contraire aux valeurs de mérite individuel.
Le rapport propose plusieurs pistes pour répondre à ces enjeux.
En premier lieu, il recommande, comme condition préalable à toute réforme du patrimoine, de rassurer les séniors sur la question de la dépendance. Il faut « décrisper » la question patrimoniale en apportant une réponse collective à l'enjeu de la dépendance. Cela renvoie à une proposition déjà évoquée : celle d'une prise en charge de la dépendance sur le principe « le 3e âge finance le 4e ».
Il recommande également de faciliter juridiquement et fiscalement les transmissions du vivant, via divers dispositifs. Pour renforcer le poids des incitations positives, on pourrait aussi compléter le dispositif incitatif par une sur-taxe des héritages familiaux en cas de conservation du patrimoine malgré les facilités nouvelles offertes pour le transmettre plus vite.
La troisième piste consiste, dans un souci de réduction des inégalités intragénérationnelles, à affecter les recettes de la taxation des transmissions à des programmes de soutien aux jeunes et à la solidarité intergénérationnelle, par exemple le financement des primo accédants, des écoles de la deuxième chance ou de la formation continue.
Enfin, il est indispensable de développer les formes de viager intermédié, en s'appuyant par exemple sur les expériences menées dans ce domaine par la Caisse des Dépôts et consignations ou sur les travaux de la Chaire « Transitions démographiques, transitions économiques » en matière de vente anticipée occupée. Dans la même veine, on peut réfléchir à un viager hypothécaire « dépendance », c'est-à-dire un dispositif ouvert seulement aux personnes qui entrent en dépendance, ainsi qu'aux moyens de rendre le viager possible en-dehors des zones 1, peut-être grâce à un système de garantie de l'État.
Mme Fabienne Keller, rapporteur. - J'aborde maintenant la seconde partie de notre rapport, celle qui a trait à la recomposition des liens entre les générations dans les sphères de la démocratie, du travail et de l'éducation.
On assiste à une reconfiguration du rapport des générations à la vie politique, avec, d'un côté, une montée de l'indifférence par rapport au jeu électoral classique et, de l'autre, un essor de formes alternatives d'engagement citoyen chez les jeunes.
Concernant la participation électorale, on observe une forte participation des séniors à chaque élection et on fait le constat inverse pour les jeunes. Ce constat est connu. Ce qui l'est moins, c'est que le fossé intergénérationnel semble se creuser.
On reste en effet politiquement jeune (et donc fortement abstentionniste) de plus en plus longtemps. Selon Anne Muxel, un individu peut être considéré comme jeune du point de vue de la participation électorale jusqu'à 40 ans. Le pic de participation entre 18 et 20 ans, qui coïncide avec l'accès à la majorité et au droit de vote, est en effet suivi d'un décrochage électoral chez les 20-30 ans et la participation rattrape le taux moyen de participation seulement vers 40 ans. Au fur et à mesure que la jeunesse s'allonge, les comportements électoraux typiques de la jeunesse tendent donc eux-aussi à se prolonger.
Par ailleurs, le lien très fort traditionnellement observé entre niveau d'éducation et participation politique n'est plus aussi net chez les jeunes. La forte hausse du niveau de formation des jeunes observée depuis la fin des années 1980 aurait dû entraîner une participation électorale plus importante. Or, les générations de jeunes plus éduquées que les précédentes boudent plus fortement le système électoral.
Enfin, on note qu'il se produit une transformation du sens de l'abstention. Celle-ci correspond de plus en plus à un acte d'expression démocratique critique, et non plus à une forme de passivité. Cette évolution est liée au fait que les plus jeunes pensent le vote comme un droit et non comme un devoir, ce qui implique le droit de refuser de voter. C'est une différence importante entre les jeunes et les séniors.
Ce grand écart pourrait alimenter deux scénarios sombres concernant l'avenir de nos institutions démocratiques. Le premier concerne l'apparition d'un « pouvoir gris » et la confiscation ou le « verrouillage » de la démocratie par les plus âgés en raison de leur surreprésentation électorale. On reste cependant circonspect devant ce scénario. D'une part, cette thèse du verrouillage n'a jamais été mise en évidence sur le plan empirique. Rien ne démontre que le vote exprime des intérêts générationnels spécifiques, autrement dit qu'il existe un vote de classe d'âge des séniors. Les campagnes électorales et le débat politique ne se structurent pas en termes d'oppositions générationnelles d'intérêts ou de projets. Les enquêtes électorales et les études politiques montrent plutôt que les séniors s'inquiètent de l'avenir du pays et des générations plus jeunes. Quant aux jeunes, si certains considèrent que la génération précédente est avantagée et qu'ils ne bénéficieront pas de la même retraite, ils n'expriment pas pour autant de ressentiment à son égard.
Le second scénario est celui d'une progression de l'abstention chez les séniors. C'est peut-être le principal risque pour la démocratie représentative : voir la désaffection pour la vie politique gagner progressivement l'ensemble des classes d'âges, y compris les séniors, sous l'effet d'une crise durable de la représentation, de l'efficacité et de l'exemplarité du politique. On pourrait alors voir apparaître des séniors abstentionnistes au fur et à mesure que vieillissent ceux que Brice Teinturier appelle les « PRAFs » (ceux qui n'en ont Plus Rien À Faire).
Ces tendances inquiétantes ne sont cependant pas les seules qu'on observe dans le champ politique. On voit en effet que la crise de la participation des jeunes s'accompagne de la diffusion ou de l'émergence de formes alternatives de participation. Il se produit donc peut-être moins un refus de la participation politique qu'une transformation des formes d'engagement de la jeunesse. Celle-ci se tourne plus volontiers vers une participation non conventionnelle ou protestataire. Surtout, l'engagement politique des jeunes se réalise de plus en plus à bas bruit, dans des formes d'action directes et concrètes, « sous les radars » de la vie politique. Ils veulent faire directement et constater les effets de ce qu'ils font. C'est ce que fait remarquer la sociologue Cécile Van de Velde : « On observe (...) une politisation accrue des vies. Des petits actes quotidiens - consommer, manger bio, aider la voisine âgée, choisir sa vie, quitter un travail salarié qui ne plaît pas... - sont souvent associés à un discours très réflexif contre la société. Ils deviennent codés comme des actes politiques. Ça veut dire qu'on a conscience de changer le système, à petits pas : «à défaut de changer les vies, je change ma vie» ; «le changement c'est maintenant et c'est moi !» ».
Cette reconfiguration du rapport à la politique offre donc des points d'appui pour remobiliser les jeunes citoyens. Le rapport envisage les pistes suivantes.
La première est citée pour le principe mais ne constitue sans doute pas une voie pertinente : il s'agit de l'abaissement de l'âge du droit de vote. Cette mesure renforcerait mécaniquement le nombre de jeunes qui participent aux élections mais sans doute de façon très marginale, car on sait que le pic de participation lors de l'accès à la majorité électorale est suivi d'un décrochage fort et durable. Autrement dit, le fond du problème n'est pas le droit de vote des jeunes, mais leur désir de l'exercer.
La deuxième piste est de faciliter l'abord de la participation politique. Pour toute une partie de la jeunesse, la participation politique continue en effet à se heurter à des barrières culturelles fortes. Il existe une sorte de « cens caché » de nature culturelle. Il faut donc lever ces barrières culturelles par la mise en place d'un travail d'information, d'éducation, d'encouragement, d'accompagnement et d'expérimentation à l'exercice du vote. Pour cela, nous pensons qu'il faut privilégier une socialisation politique plus « horizontale », passant par des médiations perçues comme légitimes par les jeunes. On pourrait par exemple utiliser le service civique comme levier de la mobilisation politique des jeunes.
Un autre axe de réflexion porte sur le renforcement de la capacité du monde politique à entendre les attentes que nos concitoyens expriment à « bas bruit » à travers leur participation aux réseaux sociaux ou des actes du quotidien codés comme des actes politiques. Il faut rendre audible ce qui se dit sur ces fréquences. Le travail politique de terrain y contribue depuis longtemps, mais cela ne suffit plus car le terrain a changé. Comme l'a souligné Brice Teinturier devant la délégation, si le numérique pose un certain nombre de problèmes aux institutions démocratiques, il constitue aussi une partie de la solution à la crise. Les nouveaux canaux d'information et les communautés qui se forment ponctuellement peuvent aider à trouver des solutions afin de compléter la démocratie représentative traditionnelle.
La quatrième piste est de travailler à associer davantage les jeunes sous forme consultative dans les décisions les concernant. Cela pourrait passer par le développement, au niveau local ou national, de panels consultatifs de jeunes citoyens et par leur association à des études d'impact générationnelle qui évalueraient les conséquences des choix collectifs sur la situation de la jeunesse.
Enfin, comme l'a indiqué précédemment ma collègue, il faut davantage valoriser et mobiliser l'appétence des générations montantes pour les formes d'engagement citoyen concret, en leur donnant un cadre clair et protecteur.
M. Julien Bargeton, rapporteur. - J'en viens maintenant au thème des relations intergénérationnelles dans le domaine du travail. On observe une reconfiguration du rapport des générations au travail qui s'opère aux deux extrémités de la vie professionnelle : chez les actifs les plus âgés (les 55-64 ans) et chez les jeunes qui entrent ou s'apprêtent à entrer dans la vie professionnelle.
Du côté des séniors, le fait marquant est le passage d'une logique de partage intergénérationnel du travail, qui a prévalu au cours de la période 1975-2010, à la logique actuelle de maintien des séniors sur ce marché. Cela résulte de la suppression des dispositifs de préretraite et de dispense de recherche d'emploi, ainsi que de l'allongement de la durée de cotisation retraite et du recul de l'âge de la retraite. Le taux d'emploi des 55-64 ans a fortement augmenté depuis 2010 et ce mouvement devrait se poursuivre, surtout sur la tranche d'âge 60-64 ans.
Le maintien des séniors sur le marché du travail se heurte pourtant à des difficultés. Selon les études du Conseil d'orientation de l'emploi, le choc de la digitalisation va transformer profondément environ 50 % des emplois dans les années à venir, entraînant en particulier la multiplication des emplois demandant de mobiliser des compétences qualifiées de « transversales ». Or, parmi les 55-64 ans, voire les 50-64 ans, la maîtrise de ces compétences est moins répandue que dans les autres catégories d'âges. Les plus de 50 ans rencontrent donc des difficultés spécifiques devant la transition numérique.
Cela s'ajoute à toute une série de handicaps, tels que des salaires en moyenne plus élevés qui ne reflètent pas forcément un surcroît de productivité, un niveau de formation initiale en moyenne plus faible que les actifs plus jeunes, un capital « expérience » menacé de déclassement dans un contexte de redéfinition profonde des métiers ou encore un défaut d'actualisation des qualifications lié à un accès insuffisant à la formation continue.
Ces éléments font redouter un « scénario noir » de l'emploi des 55-65 ans, avec un développement du chômage de longue durée ou des phénomènes de déclassement professionnel si les séniors, pour éviter le chômage, sont contraints de consentir une perte de salaire ou de qualification ou d'accepter des formes précaires d'emploi.
Pour éviter ce scénario, il apparaît indispensable d'activer les politiques de l'emploi en direction des séniors, en particulier en développant leur formation continue, clé du renforcement de leur employabilité. Il faut sans doute également adapter les conditions de travail à leurs spécificités, ce qui passe par des investissements pour améliorer l'ergonomie des postes, ou encore par une adaptation des rythmes de travail. La collectivité dans son ensemble subirait sans doute un effet « boomerang » en cas de scénario noir. On note par exemple déjà que la hausse du taux d'emploi des séniors s'est accompagnée d'une forte hausse des dépenses liées aux arrêts maladie depuis dix ans. Par ailleurs, les 55-65 ans jouent un rôle central dans l'entraide familiale et la vie associative, de sorte qu'une fragilisation de leur situation socio-économique conduirait à la fragilisation de ces mécanismes de solidarité intergénérationnelle.
Mme Fabienne Keller, rapporteur. - Je me place maintenant à l'autre extrémité de la vie active, du côté des plus jeunes. Le fait marquant dans ces générations montantes est le développement d'un rapport nouveau au travail. On note chez elles une forte progression de l'importance accordée aux aspects « intrinsèques » du travail. Elles expriment en effet des attentes plus élevées que les générations précédentes en termes d'épanouissement personnel au travail. L'intérêt et l'utilité des tâches, ainsi que le sens du travail effectué, sont des éléments essentiels - alors que leur aînés, tout en attachant une forte importance au travail en général, avaient plutôt tendance à mettre en avant la sécurité de l'emploi, le salaire ou les possibilités de promotion.
On observe également une forte progression des conceptions « polycentriques » de l'existence, ainsi qu'une convergence des modèles professionnels de genres. Plus que leurs aînés, les jeunes sont préoccupés par la conciliation entre le travail et les autres centres de l'existence (vie personnelle, vie familiale, engagement associatif ou politique...). Il y a ainsi un refus croissant des jeunes hommes de reproduire un modèle parental masculin centré sur le travail, ce qui les rapproche des représentations traditionnellement féminines du travail. Inversement, on relève un désir croissant des jeunes femmes de faire carrière et de s'épanouir dans leur travail - ce qui les rapproche du modèle professionnel traditionnellement masculin.
Or, toutes ces attentes paraissent, à bien des égards, en contradiction avec la réalité actuelle du monde du travail. On observe dans ce dernier des indices d'une forte dégradation des conditions de travail depuis 35 ans. Intensification des tâches, recul de l'autonomie, formes de management plus « agressives » : le constat de cette dégradation est clairement mesuré par toutes les enquêtes sur le travail, qu'il s'agisse des enquêtes de la DARES, de la Fondation de Dublin ou de la CFDT. Le phénomène, depuis longtemps sorti du monde de l'industrie, touche désormais une grande partie du secteur des services et se diffuse des emplois peu qualifiés vers les postes très qualifiés et d'encadrement.
On observe également la diffusion d'un sentiment de perte de sens du travail. Ce phénomène accompagne bien sûr la dégradation objective des conditions de travail, mais il s'explique aussi par des facteurs culturels plus nouveaux. Le développement des attentes intrinsèques vis-à-vis du travail semble en effet conduire à un abaissement du seuil de tolérance aux tâches et instructions « absurdes » ou à l'élaboration desquelles on n'a pas été associé. On remarque ainsi l'essor du thème des bullshit jobs et le rejet de plus en plus marqué des « métiers à la con » qui touche désormais des emplois de cadres, stables, qualifiés et bien payés. Les cabinets de recrutement signalent également une désaffection croissante des jeunes diplômés pour les grandes organisations relativement anonymes. Alors que le besoin de sens devient un critère de choix professionnel essentiel, les avantages matériels ne suffisent plus à les attirer. Enfin au-delà de la « révolte des premiers de la classe » qui se reconvertissent vers des métiers porteurs de sens, la sociologue Cécile Van de Velde attire l'attention sur la frange de ceux qu'elle appelle les « loyaux critiques » : ils ont réussi à l'école et au travail, mais ils n'y croient plus. Ils ne se plaignent pas, mais ils développent un discours radicalement critique contre le système.
Devant le risque d'une crise sociétale du travail, il faut se demander comment réconcilier l'idéal du travail et sa réalité.
Le préalable à cette réconciliation est peut-être d'abord de reconnaitre la réalité de ce problème. De fait, la crise du travail fait encore relativement peu débat dans notre pays, sans doute pace qu'elle est occultée par une autre crise, celle de l'emploi. Dans un contexte de chômage de masse et de développement de la précarité, tout se passe comme si se soucier de la qualité du travail était considéré comme un luxe qu'on ne peut pas se permettre, sinon comme un obstacle dans la lutte contre le chômage. Les différences de perception entre générations contribuent sans doute aussi à cette occultation : là où les plus jeunes voient un « travail à la con », les plus anciens voient un bon poste qu'on ne peut se permettre de refuser.
Trois choses pourraient accélérer une prise de conscience. D'abord, la crise du travail commence à toucher le coeur même du système, à savoir les salariés les mieux intégrés et les mieux formés. Il y a donc un enjeu fort pour les entreprises à les attirer et les fidéliser. Par ailleurs, les comparaisons internationales révèlent qu'il existe un problème spécifiquement français en matière de dégradation des conditions de travail. C'est ce que montrent les éditions successives de l'enquête internationale de référence réalisée par la Fondation de Dublin. Enfin, les comparaisons internationales montrent aussi qu'il n'y a pas d'arbitrage entre la quantité et la qualité de l'emploi. Allemagne, Autriche, Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède font globalement mieux que la France, à la fois en matière de chômage, de taux d'emploi et de qualité de l'emploi.
Rapprocher le monde professionnel des attentes des générations montantes suppose de mieux répondre à la quête de reconnaissance des salariés. Le défaut de reconnaissance par les pairs et la hiérarchie des contributions de chacun ou bien le déni des difficultés rencontrées dans l'accomplissement du travail sont en effet des causes majeures de mal-être au travail, de démobilisation et de perte d'efficience. Alors que le travail se transforme et fait de plus en plus appel à des compétences difficiles à observer et mesurer (par exemple, l'intelligence émotionnelle et la capacité d'écoute, la créativité et l'initiative dans la résolution de problèmes, la capacité à planifier, etc.), il est nécessaire de faire évoluer aussi les formes de management et d'évaluation, de manière à rendre visible ce déploiement d'intelligence protéiforme. Sans cela, la réalité du travail ne sera ni connue ni reconnue. Le défi, pour les entreprises, est d'inventer et de déployer une évaluation « au fil de l'eau », au plus près des situations de travail réelles. Il est également de passer du modèle traditionnel du supérieur hiérarchique qui donne des ordres indiscutables (le « chef ») à l'accompagnant qui impulse, fédère, mobilise, écoute et conseille.
Réconcilier la réalité et l'idéal du travail suppose aussi de mieux prendre en compte la conception polycentrique de l'existence portée par les nouvelles générations. Aujourd'hui, en France, les entreprises font preuve d'une faible capacité à concilier impératifs professionnels et extraprofessionnels, en partie en raison de la prégnance d'un modèle culturel à la fois masculin et daté qui exige une totale disponibilité des salariés tout au long de leur carrière et qui subordonne les opportunités de promotion au sacrifice des finalités extraprofessionnelles. Ce modèle de gestion de la ressource humaine présente un double risque : celui de priver les entreprises de nombreux talents féminins, mais désormais aussi masculins ; celui de promouvoir des managers sur le modèle du « chef » à l'ancienne, en décalage avec la culture des salariés qu'ils dirigent, de moins en moins légitimes et donc de moins en moins en capacité de mobiliser les talents nécessaires à la réussite de l'entreprise. Pour faire évoluer ce modèle, il faut développer la réflexion sur l'adéquation des temps de travail aux attentes des salariés et aux besoins des entreprises en tentant de concilier qualité de vie, compétitivité et emploi. En particulier, repenser l'organisation du temps de travail tout au long de la vie peut permettre aux personnes d'adapter leur rythme de travail en fonction de leurs besoins à différents âges.
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur. - Pour terminer ce tour d'horizon de l'évolution des relations entre les générations dans différentes sphères de la vie sociale, nous en venons à un aspect fondamental des relations intergénérationnelles : celui de la transmission de la culture.
Un constat s'impose d'emblée : l'apprentissage et la transmission du savoir sont des activités bousculées par des évolutions culturelles, économiques et techniques profondes. La première d'entre elles est le développement de voies d'accès au savoir nouvelles et non contrôlées par les institutions jusque-là en charge de former les esprits. La multiplication des sources d'informations et de savoirs, notamment avec Internet, permet en effet l'accès immédiat à une information abondante sans aucun filtre institutionnel, ce qui crée une situation de concurrence inédite pour l'école. Cette dernière voit sa légitimité et son autorité fragilisées. Elle doit aussi s'adapter à un déplacement des enjeux éducatifs, la priorité passant de l'effort de mémorisation au développement du sens critique et de la capacité à trier. Enfin, l'école est contrainte d'apprendre à articuler son modèle d'apprentissage fondé sur l'effort personnel avec des logiques de coopération en réseau.
La deuxième mutation qui bouleverse les conditions du travail éducatif est l'affirmation de plus en plus pressante d'une demande de différenciation de l'offre éducative. Ce phénomène a une double cause. Idéologique d'abord : il se diffuse au sein de la société une conception de l'éducation qui assigne au système éducatif une finalité d'épanouissement personnel des élèves. Mais il y a également une cause plus pragmatique, à savoir le souci de renforcer l'efficacité du système éducatif pour lutter contre l'échec scolaire, ce qui conduit à critiquer le caractère trop uniforme du modèle classique d'enseignement et son inadaptation à certains élèves.
M. Julien Bargeton, rapporteur. - La troisième mutation est l'accélération de l'obsolescence des savoirs et des compétences techniques dans un contexte de progrès technique et d'innovation économique perpétuels. La transformation incessante des métiers rend nécessaire le renforcement de la capacité des personnes à s'adapter à cet environnement professionnel changeant. Il s'en suit là-encore un déplacement des enjeux éducatifs : il ne s'agit plus de former un individu une fois pour toutes, de l'équiper d'un stock de compétences, mais de lui donner les moyens cognitifs de se former tout au long de sa vie. Ainsi, la maîtrise de compétences transverses et de savoirs fondamentaux structurants qui permettent de renouveler ses connaissances deviennent prioritaires.
Ces trois mutations favorisent l'émergence d'un nouveau modèle éducatif. Le premier trait caractéristique de ce modèle est la redéfinition de la relation entre l'enseignant et l'élève. Le professeur ex cathedra, qui transmet un contenu plus ou moins figé de connaissances, est incité à laisser la place au guide ou au mentor qui oriente et accompagne. Deuxième caractéristique : la diffusion de pratiques pédagogiques plus horizontales, plus participatives, plus coopératives et plus inductives. Enfin, ce modèle éducatif place l'expérimentation pédagogique au coeur du système. Il admet que différencier les méthodes et les rythmes d'apprentissage permet de faire réussir des élèves qui avaient échoué dans le cadre scolaire classique. L'École 42 et l'École « Cuisine mode d'emploi », que la délégation a visitées, en sont l'illustration. Mais au-delà des écoles expérimentales, le mouvement touche en réalité déjà l'ensemble de l'Éducation nationale.
Aller plus loin dans la différenciation de l'offre pédagogique et l'expérimentation suppose une évolution profonde de l'organisation administrative du système éducatif vers une moindre centralisation et une plus large autonomie des acteurs. Au-delà du corps enseignant, c'est l'ensemble des fonctions d'encadrement et de pilotage au niveau local et central qui seraient poussées à évoluer, impliquant une révolution culturelle dans la plupart des métiers du système éducatif, ainsi qu'une adaptation profonde des pratiques de recrutement, de formation et de promotion - qu'il s'agisse des chefs d'établissements, des personnels d'inspection ou des services centraux ou rectoraux.
Toutefois, une telle évolution demeure encore une simple éventualité car elle se heurte à des injonctions contradictoires. D'un côté en effet, le système éducatif est poussé à « bouger » par les demandes de personnalisation de l'éducation et les transformations liées à la révolution digitale. De l'autre, il est paralysé par une forme d'indécision collective : la Nation dans son ensemble n'est pas au clair sur l'école qu'elle souhaite mettre en place. Elle assigne à l'école de multiples finalités qui possèdent chacune sa légitimité mais qui ne forment plus aujourd'hui un ensemble cohérent. Il faut éduquer mieux en éduquant moins cher, personnaliser l'enseignement tout en continuant à forger la Nation, et surtout aider les élèves à s'épanouir tout en opérant un tri scolaire et social extrêmement sévère dès le plus jeune âge. On demande à l'école de respecter deux maximes contraires : « sois toi-même » et « passe ton bac d'abord » !
De fait, la compétition scolaire n'a jamais été aussi intense : très tôt dans le parcours éducatif, le travail d'apprentissage est placé sous le diktat de la performance et du benchmark. Ce phénomène est lié à la crise de l'emploi, mais aussi plus largement à la crainte du déclassement social. Il a des conséquences négatives en cascade admises par tous :
- un climat anxiogène, très dévalorisant pour les élèves les moins « performants » au regard des critères de l'excellence scolaire, mais aussi psychologiquement épuisant pour les élèves qui réussissent le mieux ;
- l'angoisse de l'orientation et la peur de faire les mauvais choix dès le plus jeune âge ;
- des stratégies familiales de recherche de l'environnement optimum qui se font au détriment de la mixité sociale et qui sapent la capacité de l'école à créer du lien et à « faire nation » ;
- le tout avec une performance moyenne du système très faible.
Faire en sorte que l'école cesse d'être une machine à trier les enfants dès le plus jeune âge constitue un enjeu majeur des relations intergénérationnelles. Il est urgent de trouver les moyens :
- d'immuniser beaucoup plus longtemps qu'aujourd'hui les parcours éducatifs et le travail de formation des esprits contre les angoisses liées aux choix de l'orientation et à la peur de l'échec. Il faut reconnaître aux jeunes le temps du choix ;
- de reconnaître aussi un droit à l'échec et au rebond. Il faut que les enfants, les familles et tous les acteurs du système éducatif échappent à la peur de l'échec initial. Développer les écoles de la seconde chance, instituer des possibilités de rebondir peuvent aider les acteurs à retrouver cette confiance ;
- de valoriser d'autres voies de réussite et d'autres modes de transmission, en particulier l'apprentissage et les métiers manuels.
Mme Marie Mercier. - Concernant le rapport des générations aux élections, ne faudrait-il pas différencier votre analyse en fonction du type d'élection ?
M. Yannick Vaugrenard. - L'obsolescence des connaissances ne doit-elle pas conduire à renforcer encore plus la formation générale des jeunes, pour favoriser la culture, l'esprit critique et la curiosité ? Une enquête d'opinion récente révélait que plus de 40 % des jeunes pensent que nous pourrions essayer un autre système que la démocratie. On voit bien que le travail d'éducation est essentiel et que nous avons encore beaucoup à faire pour convaincre la jeunesse et lui proposer quelque chose de crédible et de mobilisateur.
Vous avez souligné l'existence d'une crise du travail, de jeunes résignés mais qui n'y croient plus. La notion de respect est ici essentielle. Il y a une volonté d'être respecté et d'avoir son mot à dire dans son travail. Avoir un bon salaire ne suffit pas. Il faut répondre à ces attentes fortes.
Je conviens que l'enjeu de mobiliser le patrimoine et d'accélérer sa transmission est essentiel. Mais je voudrais aussi souligner l'importance de l'enjeu des inégalités de patrimoine. 10 % des plus riches possèdent 55 % du patrimoine national. Or, vous proposez seulement de contenir les inégalités de patrimoine. Je crois qu'il faut être plus ambitieux ! Il faut réduire les inégalités de patrimoine.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Vous avez souligné quelque chose de juste : apprendre à réfléchir est plus important qu'additionner les savoirs. Les briques de savoir, Internet nous les apporte aujourd'hui aisément - avec toutefois cet enjeu de la fiabilité des informations et de la capacité à trier ce qui est pertinent et ce qui ne l'est pas. Il faut donc insister sur l'enjeu éducatif de former des esprits capables de réfléchir et de faire preuve de sens critique.
En revanche, j'ai été surpris quand vous avez parlé de la nécessité de s'immuniser contre le stress du choix. La vie n'est faite que de choix. Il est dangereux de faire croire qu'on ne doit pas choisir.
M. Jean-François Mayet. - Je suis d'accord avec cette dernière intervention. Je veux dire aussi que je suis surpris par le pessimisme du diagnostic qui est fait concernant le rapport de la jeunesse au travail. La France n'est pas en état d'échec complet ! C'est vrai que nous avons un niveau élevé de chômage des jeunes. Mais ceux qui font des études poussées et qui partent ensuite travailler à l'étranger, pourquoi le font-ils ? Pour être intégrés à une société peut-être plus moderne que la nôtre et aussi pour avoir des salaires plus importants. Parce que le salaire est une chose importante. Pardonnez-moi, mais il y a un côté un peu cupide que j'apprécie finalement assez, parce que c'est cela qui fait marcher les choses. Donc je ne suis pas pessimiste. Nous fabriquons des élites que les étrangers essaient d'attirer. Il y a bien une raison à cela. C'est parce que nos élites sont de qualité.
Mme Michèle Vullien. - Je ne suis pas entièrement convaincue par le discours sur la dégradation du travail. Dans le travail aujourd'hui, il n'y a pas un chef qui dit et tout le monde qui exécute. Il y a du travail en réseau, de la coopération - même dans le travail d'usine, si tant est qu'on ait encore une industrie. D'ailleurs, je pense que la perte du sens du travail est en partie liée au développement d'emplois de services. Peut-être aussi que les plus âgés ont baissé les bras sur la transmission. Nous avons le devoir de dire aux jeunes que l'avenir n'est pas forcément ailleurs. Peut-être que les salaires sont plus élevés en Angleterre ou en Suisse, mais qu'en est-il de la protection sociale ? Cette protection a un coût. Les gens partent et reviennent parce qu'ils se rendent compte que la France, ce n'est pas si mal que ça. Il faut insuffler de l'espérance à la jeunesse.
M. Julien Bargeton, rapporteur. - Nous sommes dans un monde où il faut former des citoyens, leur donner des outils de compréhension. La seule chose qu'on sait, c'est qu'on ne sait pas ce qu'on aura besoin de savoir demain.
Concernant le stress du choix, la question est de savoir si on doit l'imposer aux jeunes dès le plus jeune âge. Bien sûr que la vie est faite de choix, mais notre système éducatif est entièrement construit là-dessus. Est-ce une bonne chose ?
Je ne pense pas que notre rapport soit pessimiste, notamment en ce qui concerne les jeunes et le travail. Les jeunes ont envie d'une cause. Nous disons qu'il y a chez eux une envie de travailler et de fortes attentes vis-à-vis du travail, un besoin de sens et d'accomplissement dans le travail. C'est un discours optimiste.
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur. - Dans ce rapport, nous faisons des constats et nous imaginons des scénarios qui appellent parfois à la vigilance sur certaines questions, mais nous sommes aussi force de proposition pour améliorer les choses. Donc je ne partage pas le sentiment de pessimisme que certains d'entre vous ont pu ressentir.
Concernant le rapport au travail, il y a un écart entre ce que nous enseignons aux jeunes - épanouis-toi, pas de plafond de verre, etc - et la réalité d'un monde du travail qui est encore très hiérarchique et peu participatif. Il y a là une articulation à travailler.
Il ne s'agit pas de s'immuniser contre le stress du choix, mais de faire en sorte qu'à chaque âge on soit assez fort pour faire les bons choix sans stress. Il faut qu'à tout âge les énergies puissent se mobiliser et que chaque âge dispose des moyens matériels et non matériels pour trouver sa place et se réaliser.
Concernant les inégalités, je suis sensible à vos remarques. Nous avons eu le souci constant, au cours de ce rapport, de les prendre en compte - qu'il s'agisse des inégalités entre générations, au sein des générations, entre les territoires, entre les salariés et les indépendants, etc.
Mme Fabienne Keller, rapporteur. - Ré-intéresser les jeunes à la politique : nous faisons des propositions, mais le débat est ouvert et il n'existe pas de solution évidente. Je crois toutefois beaucoup à l'expérimentation de la vie politique et de la prise de responsabilité. C'est la meilleure des éducations à la vie citoyenne.
Concernant la peur du choix, nous disons simplement qu'il faut reconnaître un droit à l'erreur, un droit à expérimenter. C'est le caractère trop précocement déterministe du système éducatif actuel dont nous analysons les limites.
Le rapport fait quelques constats qui peuvent paraître pessimistes. Mais la tonalité du rapport serait pessimiste si nous en restions à ces constats ! Or, nous faisons de nombreuses propositions constructives. Il faut bien faire des constats pour pouvoir apporter des réponses. C'est sur ces réponses qu'il faut insister. Notre rapport montre qu'il n'y a pas de conflit entre les générations mais des liens de solidarités multiples et très forts. Il faut simplement traiter le problème de cette jeunesse qui ne se sent pas toujours à sa place.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Vraiment, dans la rédaction du rapport, qu'on ne laisse pas sous-entendre que c'est mieux à l'étranger. La France est le plus beau pays du monde, même s'il est à l'arrêt.
Mme Christine Lavarde. - Sur la question de la pression du choix trop précoce, prenons garde à ne pas généraliser un phénomène qui est peut-être surtout parisien. Est-ce ainsi dans le monde rural ?
La délégation autorise la publication du rapport d'information sous le titre « Inventer les solidarités de demain face à la nouvelle donne générationnelle ».