Jeudi 27 septembre 2018
- Présidence de M. Yves Daudigny, président -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Examen du rapport de M. Jean-Pierre Decool, rapporteur de la mission d'information sur la pénurie de médicaments et de vaccins
M. Yves Daudigny, président. - Nous arrivons aujourd'hui au terme de nos travaux sur les pénuries de médicaments et de vaccins, menés tambour battant, auxquels je vous remercie d'avoir contribué.
En dépit de ce rythme très soutenu, je crois que nous n'aurons à rougir ni de la qualité de nos travaux préparatoires ni de celle du rapport que nous nous apprêtons à examiner. Plus de vingt auditions et tables rondes organisées tout au long du mois de juillet nous ont permis de recueillir le point de vue de près de soixante-dix personnes, représentatives de toutes les parties prenantes : l'État et ses agences, des laboratoires exploitants aux pharmaciens, en passant par les grossistes-répartiteurs, les professionnels de santé, les associations de patients et des syndicats d'entreprises du médicament.
Notre rapporteur a également interrogé de nombreux autres organismes par voie de questionnaires écrits, dont l'agence européenne du médicament, la direction générale de la santé de la Commission européenne, l'agence de sécurité du médicament américaine ou encore le syndicat de l'industrie chimique en France.
Je salue l'initiative de notre collègue rapporteur, Jean-Pierre Decool, qui a créé cette mission d'information pour faire la lumière sur le phénomène de plus en plus préoccupant des indisponibilités de médicaments. Il s'agit d'une problématique dont certains d'entre nous - moi, le premier - sous-estimaient sans doute l'urgence et la complexité. Alors que l'accès sécurisé aux produits de santé est généralement considéré comme un acquis en France, nous avons pris la mesure, au cours de nos travaux, des nombreuses vulnérabilités qui fragilisent la chaîne du médicament.
Certains d'entre vous ont déjà pu prendre connaissance du rapport hier, sans pouvoir, pour des questions de confidentialité, l'emporter avec eux. J'insiste à nouveau sur ce point. Le calendrier fait que la conférence de presse sur notre mission d'information n'aura lieu que mardi ; dans l'intervalle, nous sommes tenus à la plus grande discrétion quant au contenu de notre rapport, d'autant que je sais que le sujet intéresse grandement la presse. Nous avions évoqué cette question lors d'un échange de vues au début du mois de septembre et cela correspond aux règles générales que le Sénat applique en la matière. Je peux comprendre les frustrations que ces règles peuvent entraîner, ce d'autant plus que le rapporteur et moi-même sommes beaucoup sollicités depuis quelques jours par la presse pour révéler certains éléments du projet de rapport. Nous répondons évidemment par la négative à ces sollicitations.
M. Bernard Jomier. - Je prends acte du fait que ce sont les règles générales des missions d'information du Sénat, mais il est tout de même compliqué de s'exprimer sur un document que nous découvrons à peine.
M. Gérard Dériot. - Je peux vous dire d'expérience qu'il s'agit en effet des règles qui s'appliquent habituellement. La confidentialité est nécessaire, elle est le gage du sérieux de nos travaux et de la valeur ajoutée des missions d'information. Il est vrai que certaines règles peuvent paraître désuètes, mais il faut aussi savoir qu'elles évoluent : imaginez que la commission d'enquête sur les conditions d'utilisation des farines animales, consécutive à l'affaire de la vache folle, qui s'est réunie en 2000-2001 et que je présidais, a été la première à voir ses travaux retransmis à la télévision... Je le redis, je crois qu'il est très important d'éviter la divulgation prématurée d'informations sur nos travaux.
Mme Patricia Schillinger. - Le sujet de la pénurie de médicaments et de vaccins est sensible et délicat. Il est important que nous débattions en profondeur des préconisations du rapporteur et que nous trouvions un consensus. Nous avons déjà pratiqué cet exercice mardi dernier pour la mission d'information sur le développement de l'herboristerie.
M. Yves Daudigny, président. - Je vous propose de laisser dès maintenant la parole à notre rapporteur pour nous présenter ses conclusions et propositions.
M. Jean-Pierre Decool, rapporteur. - Au terme de nos travaux, qui ont en effet été denses, je souhaite avant tout adresser mes remerciements à l'ensemble des membres de la mission. En dépit des contraintes de notre calendrier, et malgré une session extraordinaire très chargée, vous avez fait preuve d'une grande implication tout au long des auditions du mois de juillet ; vos questions et interventions ont contribué à les rendre très riches d'enseignements et à inspirer très largement le projet de rapport que nous examinons aujourd'hui.
Nous avons ainsi montré que la Haute Assemblée est capable de travailler rapidement et de manière approfondie sur un sujet complexe et que, comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nous sommes capables de mener des « missions flash », comme l'Assemblée nationale, sans les nommer.
J'adresse également des remerciements appuyés à notre président, avec qui nous avons travaillé en excellente intelligence. Son regard informé et aiguisé sur les problématiques de santé nous a été extrêmement précieux et je crois que la manière dont il a conduit nos auditions a témoigné auprès de nos interlocuteurs du sérieux et de la qualité de notre mission.
J'en viens sans plus tarder à la présentation du projet de rapport.
Comme nous en avions convenu lors de notre échange de vues, il s'ouvre par une introduction qui précise les différentes notions couvertes par nos travaux, notamment celles de pénurie, de rupture de stock ou encore de tension d'approvisionnement. Par souci de clarté, nous avons également prévu un point liminaire comprenant un panorama des causes d'indisponibilité de médicament, accompagné d'un schéma récapitulatif.
Permettez-moi, avant d'entrer dans la présentation détaillée de nos propositions, de vous rappeler succinctement les principaux enseignements tirés de notre série d'auditions.
En premier lieu, le phénomène des pénuries ou indisponibilités de médicaments et de vaccins me paraît très largement sous-estimé dans le débat public. Il s'agit d'un problème réel, qui affecte au quotidien l'exercice des soignants comme la prise en charge des malades, avec des conséquences parfois tragiques, notamment en ce qui concerne les anticancéreux et les vaccins.
En second lieu, la chaîne de production et de distribution ne saurait être mise en cause dans son ensemble. L'analyse de son fonctionnement offre d'ailleurs plusieurs motifs de satisfaction : les patients français ont accès à des produits offrant toutes les garanties de sécurité et de qualité ; en outre, l'approvisionnement des médicaments disponibles est généralement effectué de manière rapide et fiable, en dépit d'une logistique particulièrement complexe.
Plutôt donc qu'un dysfonctionnement général, ce sont souvent des événements isolés qui sont en cause dans la formation des phénomènes de pénuries : ils tendent à se répercuter sur l'ensemble de la chaîne par le jeu d'un « effet domino » résultant de l'interdépendance de ses maillons. Un problème de qualité survenant dans une usine de substances actives en Inde ou en Chine, par exemple, peut affecter l'approvisionnement du marché français pour de longs mois.
Ces événements sont aggravés par le manque d'information et de transparence qui caractérise la chaîne du médicament. Celui-ci alimente en outre la défiance entre ses acteurs, qui se suspectent mutuellement de pratiques de nature à alimenter les pénuries.
Au-delà de ces causes « mécaniques », qui résultent de la configuration actuelle du marché du médicament, je suis très préoccupé de constater que, dans de nombreux cas, les phénomènes de pénuries résultent de la priorité accordée aux objectifs économiques par rapport aux enjeux de santé publique.
Cette constatation vaut tant pour les acteurs privés de la chaîne que pour les pouvoirs publics. Les décisions résultant de stratégies industrielles et commerciales tendent à donner la priorité aux rendements les plus élevés, dont les conditions ne sont guère compatibles avec un approvisionnement continu du marché et des patients français. Dans un contexte de forte contrainte des finances sociales, les pouvoirs publics cherchent, dans le même temps, à réduire la dépense associée aux médicaments, ce qui a accéléré la recomposition du secteur.
Sur ce dernier point, nos travaux ont débouché sur un constat inattendu : pour lutter contre les pénuries, notre grille de lecture habituelle, qui nous conduit à dénoncer régulièrement le prix exorbitant de certaines innovations pharmaceutiques, n'est pas nécessairement adaptée. Pour certains produits anciens, mais essentiels, les acteurs sanitaires font face à un problème de prix trop bas et non trop élevés.
Je suis par ailleurs très inquiet de constater la perte progressive d'indépendance sanitaire de notre pays, du fait de la délocalisation à l'étranger de la plupart des structures de production de médicaments indispensables. Les patients français ne sont aujourd'hui ni les premiers ni les seuls servis par une industrie, désormais largement implantée en Asie. Si un événement impactant de manière majeure les conditions de production de médicaments distribués sur le marché français devait survenir au cours des prochaines années, la prise en charge des patients pourrait être fortement affectée.
Face à ces constats, que je pense partagés, je vous propose de formuler une trentaine de propositions, qui ont pour point commun de viser à donner davantage de place à la préservation de la santé publique et de notre indépendance sanitaire qu'aux objectifs de maîtrise des coûts dans la production et la distribution de médicaments et de vaccins. Il s'agit, en d'autres termes, de replacer l'éthique de santé publique au coeur de la chaîne du médicament.
Le levier de la transparence, qui joue un rôle essentiel dans la responsabilisation des acteurs, y tient une place importante, de même que le renforcement de la coordination nationale et européenne dans la prévention et la gestion des indisponibilités. Face aux problèmes de pénurie, l'échelle nationale n'est pas toujours la plus pertinente ; c'est à l'échelon européen que nous pourrons recréer les conditions d'une production et d'un approvisionnement sécurisés.
La première partie du rapport dresse un état des lieux de la situation des pénuries de médicaments et de vaccins, qui est loin d'être aussi anecdotique que l'on pourrait le penser dans la France de 2018, et qui se révèle parfois même franchement inquiétante.
Au-delà du constat chiffré, qui fait apparaître une très forte évolution des difficultés au cours des dix dernières années, l'accent est mis sur deux points : les difficultés rencontrées par les professionnels de santé, qui consacrent une part très importante et largement sous-estimée de leur temps de travail à la gestion des situations de pénurie ; leurs répercussions sur les patients, qui peuvent aller jusqu'à la perte de chance de survie. Sur cet aspect, le rapport insiste également sur la remise en cause de certains objectifs de santé publique, notamment s'agissant des indisponibilités de vaccins.
Cette partie évoque, dans un second temps, l'évolution du dispositif législatif et réglementaire de prévention et de gestion des ruptures d'approvisionnement. En première analyse, la France dispose d'un arsenal juridique solide, qui s'est considérablement renforcé au cours des six dernières années et qui nous place en tête de peloton au sein de l'Union européenne. Nous avons notamment innové dans la mise en place obligatoire de plans de gestion des pénuries pour des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) exposés à de fortes tensions d'approvisionnement.
Notre réglementation ne permet cependant pas d'agir directement sur les origines des ruptures, lorsque celles-ci interviennent en amont de la distribution du médicament : cette phase se déroule le plus souvent à l'étranger, sous le contrôle de donneurs d'ordres qui ne sont pas nécessairement européens. Nos propositions ne sauraient donc être uniquement juridiques : bien souvent, les solutions se nichent dans une meilleure fluidité des relations entre les acteurs, dans l'amélioration des outils d'information à leur disposition ou une plus grande transparence de leurs pratiques.
Cela nous amène à la deuxième partie, centrée sur les difficultés liées à la chaîne de production.
Une grande partie des situations de pénurie découle de la fragilité croissante des chaînes de production pharmaceutiques, qui alimentent une demande accrue à l'échelle mondiale et dont la réactivité est altérée à la fois par le haut niveau de technologie déployée, les difficultés liées à l'approvisionnement en matières premières, ainsi que le foisonnement des normes de sécurité applicables.
Dans ce contexte, le décrochage de l'industrie pharmaceutique française et européenne est à l'origine d'une inquiétante perte d'indépendance sanitaire. Je vous propose de préciser les contours d'une stratégie industrielle nationale et européenne du médicament, afin de recréer les conditions d'une production pharmaceutique de proximité.
Ce premier ensemble de propositions comprend notamment des mesures financières en faveur d'une relocalisation des sites de production en France, qui doivent être à mon sens accompagnées de contreparties exigeantes pour leurs bénéficiaires.
Plutôt que de réfléchir à un nouveau crédit d'impôt dans un secteur pharmaceutique bénéficiant déjà très largement du crédit d'impôt recherche, nous pourrions envisager l'expérimentation, pour une durée de cinq ans, de mesures plus ciblées en faveur des entreprises qui s'engageraient à développer de nouvelles capacités de production de produits stratégiques pour la sécurité sanitaire européenne. Il s'agirait d'un abattement sur le chiffre d'affaires déclaré au titre des taxes sur les chiffres d'affaires des produits remboursables et des premières ventes, complété par une exonération partielle ou totale de la taxe foncière sur les propriétés bâties, sur le modèle de ce que les collectivités territoriales font déjà au sein des pôles de compétitivité.
Afin de favoriser la relance d'une industrie française de chimie fine, ces mesures fiscales pourraient, le cas échéant, être complétées par des aides à l'embauche versées les deux premières années.
La mise en place de ces mesures s'accompagnerait d'engagements réciproques entre l'État, les entreprises pharmaceutiques et l'industrie chimique, formalisés dans un accord-cadre tripartite.
Quoique des limites techniques à ce projet aient été mises en avant lors de nos auditions, il me semble par ailleurs indispensable d'engager une véritable réflexion sur la possible internalisation de certaines productions stratégiques pour la santé publique. Face aux menaces d'arrêt de commercialisation de certains médicaments essentiels, je vous propose la mise en place d'un programme public limité de production de ces produits critiques. Un tel programme, bien entendu extrêmement coûteux, pourrait être confié à 'l'agence générale des équipements et produits de santé de l'assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) et à la pharmacie centrale des armées, dont les moyens devront être très significativement augmentés en conséquence.
J'en viens à présent à l'épineuse question de l'incidence du prix du médicament sur les pénuries. Nous le pressentions et nos auditions l'ont confirmé : les différences de prix entre pays pèsent sur les stratégies d'allocation de leurs stocks par les laboratoires. L'anticancéreux 5 FU, par exemple, est commercialisé à 5 euros en France, contre 40 dollars aux États-Unis. Selon les laboratoires, la France a les plus bas prix sur au moins les deux tiers d'une dizaine de valences vaccinales.
À cette difficulté s'ajoutent celles qui sont constatées dans le cadre des achats de médicaments par les établissements de santé. Notre politique de rationalisation des achats hospitaliers, en privilégiant des appels d'offres de très grande taille, a entraîné une raréfaction des fournisseurs et la multiplication subséquente des difficultés d'approvisionnement.
Face à ces situations, le constat me paraît simple : les conditions encadrant la commercialisation des médicaments sur le marché français sont principalement centrées sur leur sécurité et la maîtrise de leur coût ; il faut désormais également prendre en compte les impératifs liés à leur approvisionnement.
Il me paraît tout d'abord indispensable, et je crois qu'il existe un consensus sur ce point, de revoir les objectifs et la dimension des appels d'offres hospitaliers dans le but de préserver des solutions alternatives en cas de défaillance du titulaire du marché. Ces évolutions permettraient, par ailleurs, de mieux encadrer les surfacturations opérées dans le cadre des procédures d'achat pour compte.
Nous devrons également compter sur la plus grande responsabilité des laboratoires, en renforçant la transparence de leurs pratiques, notamment en ce qui concerne leurs plans de gestion des pénuries.
Dans sa troisième partie, le projet de rapport entend répondre aux difficultés constatées dans la chaîne de distribution. Nos travaux ont mis en évidence un fort climat de défiance entre les acteurs de la distribution du médicament. Les industriels et les grossistes-répartiteurs ont eu tendance à se renvoyer la balle, dénonçant chez les uns la pratique des quotas dans l'allocation des stocks et la tentation chez les autres des exportations parallèles. Dans ce contexte, l'instauration d'une plus grande transparence ne pourra que contribuer à lever les malentendus et à renforcer la coopération.
J'identifie de ce point de vue trois axes principaux.
Le premier enjeu me paraît être celui du défaut d'information entre les acteurs. Faute de pilotage centralisé, les différents acteurs de la chaîne de distribution ne bénéficient pas des informations qui leur permettraient d'assurer une gestion efficace des situations de pénurie : il est donc crucial d'assurer la diffusion de l'ensemble de l'information disponible à tous les acteurs concernés. D'autres pays, notamment les États-Unis, le font d'ailleurs déjà, au travers notamment d'applications mobiles extrêmement bien pensées. En France, nous disposons de l'excellent « DP-Ruptures » mis en place par l'ordre des pharmaciens, qui n'est cependant pas généralisé ni ouvert à l'ensemble des acteurs.
Je propose donc de mettre en place, sur le modèle du « DP-Ruptures », une plateforme d'information centralisée sur les situations de ruptures et de risques de rupture, renseignée par l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), les laboratoires, les dépositaires, les grossistes-répartiteurs, les pharmaciens d'officine et les pharmaciens d'hôpital, permettant notamment de disposer d'informations actualisées sur les origines des tensions et ruptures et les dates prévisionnelles de retour des produits.
Le projet de rapport comprend ensuite plusieurs propositions relatives à la déontologie des pratiques commerciales de la distribution. Une part importante de nos auditions a été consacrée à la question des exportations parallèles et à celle des contingentements des laboratoires. En l'absence de données objectives et vérifiables sur ces aspects qui cristallisent les tensions, l'urgence me paraît être de faire davantage de transparence sur ces pratiques.
Le projet de rapport aborde ensuite les mesures qui tendraient à faciliter l'exercice professionnel des pharmaciens et des distributeurs dans la gestion d'une situation d'indisponibilité.
Il nous faut avant tout renforcer la capacité de réaction des pharmaciens. Les pratiques de dépannage entre officines connaissent leurs limites en zones rurales, où il est parfois compliqué de renvoyer un patient vers une pharmacie située à plusieurs dizaines de kilomètres. Il pourrait par conséquent être envisagé d'expérimenter, sous le contrôle de l'ANSM et dans des conditions définies de manière concertée, une possibilité de rétrocession entre officines de stocks de médicaments signalés en tension ou en rupture afin de favoriser l'approvisionnement d'établissements pharmaceutiques situés en zones peu denses.
Par ailleurs, ménager une marge d'autonomie au pharmacien dans l'adaptation du traitement en cas de rupture sur une spécialité, dans un cadre clairement défini et partagé par les professionnels de santé, peut également contribuer à atténuer les effets d'une pénurie sur les patients. En nous inspirant de l'exemple québécois, nous pourrions suggérer d'expérimenter la possibilité pour les pharmaciens de proposer au patient une substitution thérapeutique en cas de rupture d'approvisionnement avérée, selon un protocole défini par l'ANSM et les représentants des professionnels de santé. La montée en charge du dossier médical partagé et de la coopération interprofessionnelle devrait faciliter le recours à ces solutions d'urgence.
Le rapport met enfin l'accent sur le renforcement de la coordination nationale et européenne dans la prévention et la gestion des tensions d'approvisionnement.
Il importe tout d'abord de mettre en place une instance nationale de concertation associant l'État et toutes les parties prenantes. Placée auprès du Premier ministre, cette instance serait chargée de définir une stratégie de long terme, d'assurer une veille de l'évolution de la demande nationale pour des médicaments essentiels en situation critique ou encore de coordonner la mise en place de protocoles de résolution des situations de crise.
La perspective du Brexit fait par ailleurs du renforcement de la coopération européenne une nécessité chaque jour plus urgente : on estime que le retrait du Royaume-Uni pourrait affecter la distribution de cent-huit médicaments sur le continent.
Dans cet esprit, le projet de rapport propose notamment d'activer un instrument essentiel qui existe déjà dans la réglementation européenne : l'achat groupé entre plusieurs États membres de vaccins. Les ruptures récentes ont concerné des vaccins pédiatriques pour lesquels il n'existe souvent qu'une seule campagne de production par an, la population cible étant trop restreinte. Un achat groupé permettrait de multiplier les effets d'échelle et de renforcer la prévisibilité des commandes pour les fabricants. Ce mécanisme devrait également être institué pour l'achat groupé de réserves de sécurité de médicaments destinés à des populations cibles restreintes, comme certains anticancéreux ou antibiotiques.
Enfin, compte tenu des contraintes de production et de commercialisation de certains médicaments anciens, nous pourrions recommander la mise en place, à l'échelon européen, d'un statut spécifique pour la commercialisation et le maintien de ces médicaments sur le marché européen, inspiré du statut des médicaments orphelins.
Tels sont donc, mes chers collègues, les contours du rapport que je vous propose d'adopter. La situation est inquiétante, mais elle n'est pas irrémédiable, à condition que l'ensemble des parties prenantes prenne véritablement conscience des enjeux, car c'est aujourd'hui que se dessinent les contours de ce que sera dans dix ou vingt ans l'approvisionnement de la France en médicaments et vaccins.
Je vous remercie de votre attention et je reste naturellement à l'écoute de vos observations et suggestions.
Mme Laurence Cohen. - Je souhaite tout d'abord saluer le travail qui a été réalisé dans un délai si contraint, mais je regrette aussi que nous n'ayons pas eu le temps de le faire de manière plus collective.
Si le constat qui est formulé ne me pose pas de problème particulier, je suis au fond opposée à la logique qui sous-tend ce rapport. Certes, vous déplorez que la priorité soit donnée aux objectifs économiques plutôt qu'aux enjeux de santé publique - ce point fait consensus, me semble-t-il -, mais vous n'en tirez pas les conséquences dans vos propositions ! Alors que nous avons pointé du doigt les manquements des laboratoires et des industriels, vous ne proposez que des mesures incitatives sans aucune garantie ou contrepartie. Je ne comprends pas cette logique.
Je prends quelques exemples.
La proposition n° 3 prévoit d'expérimenter la mise en place d'exonérations fiscales, ce qui semble faire fi de la responsabilité de ces mêmes entreprises. En outre, il existe déjà un dispositif coûteux, le crédit d'impôt recherche.
La proposition n° 4 prévoit une autre expérimentation, qui me surprend beaucoup : le versement par l'État et les régions d'aides à l'embauche les deux premières années suivant le démarrage d'un site de production. Mais où sont les contreparties ? Et que se passe-t-il après ces deux années, si l'entreprise ferme le site ou le restructure ?
Par ailleurs, beaucoup de propositions touchent directement l'ANSM. Or je constate, en tant que membre du conseil d'administration de 'l'agence, que ses dirigeants et personnels dénoncent régulièrement le rabotage de leurs moyens humains et financiers. Comment l'ANSM pourrait-elle assumer de nouvelles missions sans moyens supplémentaires ?
Je ne peux pas non plus partager la proposition n° 9, qui prévoit de renforcer le rôle de l'ANSM quant à la prévention des arrêts de commercialisation des médicaments indispensables, notamment par une procédure de renégociation du prix. Cette proposition constitue en fait un cadeau aux entreprises et me semble assez dangereuse, surtout quand on a en tête les exemples des années passées - je pense aux efforts fournis par Marisol Touraine, alors ministre de la santé, pour renégocier le prix d'un médicament contre l'hépatite C.
La proposition n° 22 sur la possibilité de substitution par les pharmaciens subordonne le dispositif au suivi d'une formation spécifique. Certes, mais qui l'organise et la paye ? Si ce sont les laboratoires, le risque est évident... Nous devons faire attention aux fausses bonnes idées.
La proposition n° 25 prévoit la création d'une cellule nationale de gestion des ruptures d'approvisionnement placée auprès du Premier ministre. Pourquoi auprès du Premier ministre et pas auprès du ministre chargé de la santé ?
Vous mettez en avant à plusieurs reprises la notion de médicaments essentiels. Mais quelle instance en fixe la liste ? Et dans quelles conditions de transparence ? Sur ce sujet, comme sur beaucoup d'autres, nous devons nous engager sur la voie d'une véritable démocratie sanitaire qui rassemble l'ensemble des acteurs intéressés.
Pour terminer sur une note positive, j'estime que la proposition n° 8, qui prévoit un programme public de production et de distribution de quelques médicaments essentiels, est intéressante et constitue un premier pas, mais il faut aller plus loin.
En conclusion, j'ai vraiment l'impression que ces propositions récompensent ceux dont on reconnaît par ailleurs la responsabilité dans la faillite du système... C'est assez étrange ! Dernier point, vous n'évoquez à aucun moment la sécurité sociale, qui est pourtant un acteur essentiel sur ces questions, notamment en termes de financement...
Vous l'aurez compris, en l'état actuel de ses propositions, je ne pourrai que voter contre ce rapport.
M. Jean-Pierre Decool, rapporteur. - Soyons bien conscients du contexte : aujourd'hui, la production des substances actives des médicaments s'effectue essentiellement à l'étranger ! Les décisions ne sont donc pas prises en France. Je rappelle que Sanofi a des projets de développement à Singapour...
En ce qui concerne l'ANSM, ses moyens sont certainement insuffisants, mais nous devons justement conforter ses missions et sa place dans le dispositif. Il me semble d'ailleurs logique que le caractère essentiel d'un médicament soit reconnu par cette agence.
Nous proposons de placer une instance spécifique auprès du Premier ministre, parce que cette mission est transversale et ne concerne pas qu'un seul ministère.
Mme Laurence Cohen. - Monsieur le rapporteur, vous répondez sur des points techniques, mais ce qui me gêne fondamentalement, c'est la logique d'ensemble. J'ai l'impression que vous proposez uniquement des mesures d'accompagnement, sans vous attaquer réellement aux réponses à apporter au constat que vous posez vous-même, à savoir la faillite des laboratoires privés. J'estime qu'il faut donner les moyens au secteur public de reprendre la main ; de ce point de vue, vous faites un premier pas, mais la proposition n° 8 est noyée au milieu de propositions qui ne s'inscrivent pas dans la même logique.
D'ailleurs, je n'ai pas l'impression que vos propositions aideront le Gouvernement dans ses négociations avec les entreprises pharmaceutiques sur le prix des médicaments. C'est un peu comme si vous sciiez la branche sur laquelle nous sommes assis !
M. Yves Daudigny, président. - Madame Cohen, je n'ai pas la même lecture que vous de nos propositions et je n'ai pas le sentiment que ce projet de rapport soit particulièrement favorable aux laboratoires, dont nous avons essayé de mettre en avant les responsabilités.
Nous avons tenté de trouver un équilibre, en incitant les industriels, par des mesures ciblées et limitées dans le temps, à produire en France. Au fond, la question est de savoir comment répondre au danger, grave, de perte d'indépendance sanitaire de notre pays et aux risques qui pèsent sur les approvisionnements en médicaments et vaccins.
Au-delà des mesures économiques incitatives dont nous avons parlé, nous proposons aussi de responsabiliser les industriels, en renforçant les sanctions, notamment en cas de ruptures répétées d'approvisionnement.
En contrepartie des mesures que nous proposons, nous prévoyons notamment la signature d'un accord-cadre tripartite entre l'État, les entreprises pharmaceutiques et l'industrie chimique pour accompagner l'augmentation des capacités de production de médicaments et de substances pharmaceutiques essentiels en France. C'est la proposition n° 5.
La création d'une cellule de coordination placée auprès du Premier ministre répond à une suggestion de l'Académie nationale de pharmacie et d'autres organismes que nous avons auditionnés, que nous relayons.
Enfin, je dois vous dire que nos travaux sont venus heurter, d'une certaine manière, la perception que j'avais de la question des médicaments. En fait, nous sommes face à deux problèmes distincts : le prix des médicaments innovants est parfois si élevé qu'il est intolérable et insoutenable à terme pour un financement solidaire, tandis que celui de certains médicaments anciens, lorsqu'il est trop bas, entraîne des ruptures d'approvisionnement.
Soyons clairs : les ruptures d'approvisionnement concernent d'abord des médicaments anciens, complexes à produire et destinés à un nombre réduit de patients. Les pénuries ne touchent pas les médicaments innovants.
Il existe déjà des procédures de renégociation dans le cadre des relations entre le Comité économique des produits de santé (Ceps) et les entreprises pharmaceutiques, mais nous estimons que certains médicaments anciens encore très utiles, mais dont l'équilibre économique n'est pas assuré, doivent faire l'objet d'une attention particulière.
Mme Patricia Schillinger. - Nombre d'entreprises pharmaceutiques sont installées dans mon département, le Haut-Rhin. Depuis plusieurs années, je tente régulièrement de les mettre en relation avec la ministre de la santé, mais il est très difficile d'envisager ces relations autrement que comme du lobbying, ce qui est dommage, car il s'agit d'abord de santé publique. Nous devons faire vivre un véritable dialogue entre l'ensemble des acteurs du médicament, par exemple sur les questions d'innovation ou de financement. Ne serait-il pas intéressant de créer une instance spécifique dédiée à cette question ?
M. Bernard Jomier. - Je souhaite tout d'abord remercier le rapporteur et le président pour cette mission... impossible ! Il s'agit bien de cela quand on doit affronter de telles questions dans un délai aussi court.
La question des ruptures d'approvisionnement dépend naturellement de la politique générale conduite en matière de médicaments.
Nous avons connu, ces dernières années, plusieurs crises, qui ont marqué l'opinion publique : le Mediator, les contraceptifs de troisième génération, les coxibs, qui sont une nouvelle classe d'anti-inflammatoires, ou encore les médicaments contre la maladie d'Alzheimer, dont on sait depuis des années que le rapport bénéfice-risque est probablement défavorable - j'avais écrit un article à ce sujet en 2013. Il faut aussi relativiser certaines de ces crises, car il est assez naturel que l'évaluation d'un médicament évolue au fil du temps.
La question véritablement intéressante est de savoir comment ces différentes situations ont été gérées. Or il existe de fortes similitudes : une autorité politique très faible, voire défaillante ; des agences de santé engluées dans leurs difficultés, même si la situation s'est nettement améliorée de ce point de vue ; une industrie pharmaceutique plus soucieuse de développer ses ventes que de promouvoir la santé publique.
Le problème est non pas que l'acteur privé veuille vendre son produit, mais que la puissance publique ne régule pas de façon satisfaisante la place et le rôle de l'acteur privé. Je ne fais pas le procès des industriels du médicament, il est normal qu'ils veuillent vendre leurs produits le plus cher possible, mais la santé publique nécessite des cadres, des réglementations.
Un pharmacien a des obligations de service public, car il exerce une mission essentielle pour la population et la santé publique. S'il ne les respecte pas, il est sanctionné. Je trouve donc choquant que le titulaire d'un brevet pour un médicament d'intérêt thérapeutique majeur, alors qu'il obtient un prix pour le commercialiser, puisse ne pas fournir le médicament. Il doit avoir l'obligation de le fournir et être sanctionné en cas de non-respect de cette obligation. Qu'on réfléchisse à des mécanismes incitatifs en faveur de la relocalisation en France de la production ne me choque pas. Ce qui me choque, en miroir, c'est l'absence de sanction de ceux qui n'assurent pas l'approvisionnement d'un médicament d'intérêt thérapeutique majeur. Je me fiche de savoir 'que l'exploitant a un problème dans une usine en Inde ! De même, une fois que le prix a été négocié, je me fiche de savoir qu'il trouve qu'il n'est pas assez élevé. Quand un accord est signé, on l'applique ! Si l'autorité politique ne le fait pas appliquer, c'est une faiblesse de sa part. Il faut prévoir dans le rapport des obligations et des sanctions.
Par ailleurs, on le sait, le monde industriel souffre d'un manque de transparence, et ce pour de multiples raisons. Cela étant dit, ce qui importe est que ce défaut de transparence ne nuise pas à l'exécution du contrat. Il faut contracter sur le prix et sur la mise à disposition, et laisser l'industriel vivre sa vie d'industriel. L'autorité publique doit assurer la fourniture à la population dans de bonnes conditions des médicaments dont elle a besoin.
Mme Corinne Imbert. - Merci, monsieur le président, monsieur le rapporteur pour votre travail.
Je partage les constats qui ont été faits sur la sous-estimation de la pénurie, sur le fait que l'ensemble de la chaîne n'est pas forcément en cause, sur la rapidité et la fiabilité de l'approvisionnement, ainsi que sur le prix. Vingt ans après le développement des génériques, on mesure la perte de marges pour les laboratoires qui en a résulté. Ces médicaments ont-ils eu un effet néfaste et conduit certains laboratoires à céder à la tentation de vendre plus cher leurs médicaments à l'étranger ? Je n'ai pas la réponse à cette question.
Nous avons pour partie perdu notre indépendance sanitaire et il est en effet nécessaire de retrouver une production pharmaceutique de proximité. Cela étant dit, on voit combien il est compliqué de se procurer la matière première.
J'ai posé récemment une question orale à Mme la ministre de la santé sur les ruptures d'approvisionnement. Elle m'a répondu que ces difficultés récurrentes n'étaient pas propres au système de santé français et qu'elles n'étaient donc pas liées au fait que la France pratique les prix parmi les plus bas.
J'en viens aux propositions figurant dans le rapport, concernant notamment la capacité de réaction des pharmaciens. Heureusement que les pharmaciens n'ont pas attendu le rapport de la mission d'information pour réagir au quotidien et prendre en charge les patients de la meilleure façon !
Telle qu'elle est formulée, la proposition n° 22 me gêne beaucoup, car elle remet en cause les compétences et la formation des pharmaciens. Il y a une vingtaine d'années, alors que l'on connaissait occasionnellement des ruptures de stock, en proportions moindres qu'aujourd'hui, le pharmacien était autorisé par les textes à procéder à une substitution dans l'intérêt du patient. Pourquoi « expérimenter » une telle mesure aujourd'hui ? Subordonner cette substitution au suivi d'une formation spécifique viendrait en outre remettre en cause le diplôme des pharmaciens !
La proposition n° 27 d'harmoniser au niveau européen les règles d'étiquetage, la composition et la posologie des médicaments sur une spécialité exposée à des tensions d'approvisionnement me paraît être une usine à gaz. Une telle mesure aurait pour effet direct d'accentuer les tensions d'approvisionnement, car refaire l'étiquetage aurait un coût pour les laboratoires. Je rappelle que pour faire face aux baisses régulières des prix des médicaments, on a supprimé les vignettes, sachant en outre que les autorisations de mise sur le marché peuvent être différentes d'un pays à l'autre.
La proposition n° 14 prévoit de mettre en place une plateforme d'information sur les situations de rupture centralisée par l'ANSM. On sait que les agences ont des moyens restreints. Pourquoi ne pas plutôt se servir du « DP-Ruptures » et l'ouvrir à d'autres acteurs ?
M. Jean-Pierre Decool, rapporteur. - Madame Schillinger, la proposition n° 25 - la création d'une cellule nationale de gestion des ruptures d'approvisionnement - est une réponse à votre question. Ce dispositif permettrait de définir une stratégie nationale pour la prévention et la résolution des causes des ruptures d'approvisionnement.
Monsieur Jomier, la grande différence entre les pharmaciens d'officine et les fabricants, c'est que les pharmacies ne peuvent pas être délocalisées. Par ailleurs, le rapport prévoit clairement des sanctions lorsque les engagements ne sont pas tenus. Nous proposons notamment des mesures de shaming, soit une sanction très dure en termes d'image.
Le problème - on y revient sans cesse - est que les fabricants ne sont plus ni en France ni en Europe. On ne décide pas forcément pour eux. Il faut essayer de rapatrier les fabricants en France et en Europe.
Madame Imbert, les ruptures de stock et d'approvisionnement existent dans tous les pays. Elles peuvent résulter de quotas alloués en fonction des prix. Il faut essayer de faire en sorte que les prix bas ne soient pas pénalisants dans ce mécanisme d'allocation.
M. Yves Daudigny, président. - Madame Schillinger, pour renforcer le dialogue entre toutes les parties prenantes, nous souhaitons mettre en place une cellule nationale de gestion de la problématique des pénuries. Cette cellule nous a été réclamée quasi-unanimement par les interlocuteurs que nous avons interrogés.
Monsieur Jomier, je ne vous fais évidemment pas le reproche de ne pas avoir lu le rapport. Sachez simplement que nous consacrons un long développement aux moyens de la direction de la surveillance de l'ANSM, laquelle nous a confirmé qu'elle avait entrepris une réflexion sur l'évaluation de ses besoins en équivalents temps pleins afin de tenir compte de l'évolution de ses responsabilités dans la prévention et la gestion des ruptures d'approvisionnement.
Par ailleurs, il me semble que c'est la première fois que nous prévoyons une sanction des industriels qui n'assureraient pas l'approvisionnement du marché français. La proposition n° 16 prévoit en effet de confier à l'agence le soin de sanctionner financièrement les laboratoires empêchant les grossistes-répartiteurs d'honorer leurs commandes et d'assurer leurs obligations de service public.
Madame Imbert, l'introduction du générique a clairement eu un impact sur l'équilibre financier de la production d'une spécialité. Il faut faire en sorte que la multiplicité des fabricants soit non pas un problème, mais un atout. Or nombre de fabricants ont souvent les mêmes fournisseurs de substances actives, situés en général en Asie. Un problème chez l'un de ces fournisseurs entraîne donc la défaillance de tous les fabricants.
La production des substances actives presque exclusivement en Inde ou en Chine, en Asie de façon générale, pose un grave problème de sécurisation de l'approvisionnement en France et, à terme, de santé publique, en cas d'épidémie par exemple. L'une des priorités des politiques économiques, financières ou fiscales de notre pays devrait être la relocalisation des productions pharmaceutiques, en particulier des substances actives, en France ou en Europe. Notre rapport ne produira pas d'effet magique, mais il aura le mérite d'attirer l'attention sur le fait que le point de départ de la chaîne est en passe de devenir unique, à savoir en Asie.
La relocalisation des productions à l'échelon européen ne sera pas simple, d'abord parce que nous allons plus vers une Europe des nations que vers une Europe fédérale, ensuite parce que les principaux pays consommateurs de médicaments en Europe tiennent à leur indépendance, comme nous l'avons vu lors de l'affaire du médicament contre l'hépatite C. Les Allemands ont alors préféré conserver leur indépendance plutôt que de s'associer à la France.
Madame Imbert, la proposition n° 22 répond à une idée suggérée par des représentants de pharmaciens, notamment en milieu rural, et l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine, qui ont évoqué dans leurs réponses au questionnaire du rapporteur l'exemple québécois : le pharmacien québécois ne peut effectuer de substitution qu'à la condition d'avoir suivi une formation réglementaire dispensée par l'ordre des pharmaciens du Québec.
M. Bernard Jomier. - Je propose que la proposition n° 16 soit réécrite. On comprend qu'un laboratoire se livrant à des pratiques discriminantes entre les différents grossistes-répartiteurs sera sanctionné. Or, visiblement, ce n'est pas ce que vous voulez dire. Ce n'est pas la même chose de sanctionner des pratiques de non-fourniture à un grossiste-répartiteur et de sanctionner la non-fourniture d'un médicament d'intérêt thérapeutique majeur.
Mme Nadia Sollogoub. - Nous avons très bien compris qu'il fallait relocaliser la production en Europe. Nous avons bien compris également qu'il y avait une chaîne de production. Cela étant dit, il faut veiller à ce que l'industrie ne devienne pas trop puissante par rapport aux grossistes-répartiteurs et aux distributeurs.
Je m'interroge sur le contingentement des médicaments. L'établissement de la liste des médicaments contingentés est fait de manière unilatérale. Il serait intéressant de retravailler cette organisation. J'ai compris qu'il fallait éviter les arrangements commerciaux. Or une répartition sur la base d'une moyenne nationale n'est pas pertinente, car il existe des spécificités régionales. En outre, les patients ne sont pas répartis de façon homogène en France
Enfin, la mise en place d'un système d'information à destination du grand public, prévue dans la proposition n° 15, m'inquiète. Le malade pourra-t-il ainsi savoir où son médicament est délivré ? Ce serait mettre en péril les officines.
Mme Nadine Grelet-Certenais. - Je salue le travail effectué dans ce rapport, que j'ai lu en diagonale hier.
L'échelon européen me semble être le bon niveau pour équilibrer les parties en présence et pour avoir une vision précise de la manière dont les choses fonctionnent dans les autres pays. Se pose toutefois la question de la gouvernance : a-t-elle une fonction d'animation et de coordination ? L'échelon européen peut-il être un laboratoire de préconisations ?
La question des moyens a été posée. Ne peuvent-ils pas figurer dans le programme d'investissements d'avenir ? Il faut s'interroger sur le bon dimensionnement des moyens de l'ANSM.
Les sanctions prévues mériteraient d'être précisées car elles sont manifestement insuffisantes.
La proposition sur la transparence me semble intéressante. On sait pertinemment quelles sont les répercussions du manque de transparence sur tous les acteurs de la chaîne.
J'ai en revanche un doute sur la transparence vis-à-vis des malades. Ne risque-t-on pas de les affoler en signalant un manque quelque part ?
Enfin, quid du devenir de ce rapport ? Sera-t-il remis en mains propres au ministère ? Peut-on se rapprocher de l'agence européenne pour approfondir les préconisations du rapport ?
Mme Martine Berthet. - Je pense moi aussi qu'il faut poser les jalons d'une stratégie commune à l'échelon européen. J'émets toutefois une réserve sur la définition de « médicament essentiel », qui risque d'être compliquée à obtenir.
Il est essentiel de relocaliser la production des principes actifs, en France ou en Europe, et de mettre en place un contrôle européen commun des sites de production.
J'émets des réserves sur la proposition n° 8. Quels médicaments seront concernés par ce programme public de production ?
Il faut bien sûr éviter le désengagement des laboratoires dans les médicaments essentiels peu rémunérateurs. La question du prix est importante, s'agissant de médicaments anciens, qui ne sont plus rentables et pour la production desquels il faut recréer des chaînes de production.
Il est aussi très important d'aménager l'encadrement et la procédure des appels d'offres hospitaliers, de renforcer les obligations éthiques des entreprises pharmaceutiques, d'assurer la diffusion de l'ensemble de l'information disponible, les officines manquant trop souvent d'informations. Il faut aussi mieux évaluer les comportements spéculatifs et prévoir une sanction financière.
Les propositions nos 20 et 21 de renforcer la capacité de réaction des pharmaciens sont en fait des régularisations de pratiques déjà en cours. Concernant la proposition n° 22, la substitution fait déjà partie de notre formation professionnelle : nous maîtrisons la pharmacologie et la pharmacodynamie autour des principes actifs, nous sommes donc bien à même de procéder à des substitutions. Mais nous ne disposons plus de réglementation officielle nous y autorisant, nous le faisons avec l'accord des médecins. Il serait utile de disposer d'un cadre officiel pour la faciliter. La subordination de cette possibilité au fait, pour le pharmacien, d'avoir suivi une formation spécifique est pour moi un point bloquant. Je rappelle que la formation continue est obligatoire pour les pharmaciens.
J'émets ensuite des réserves sur les propositions nos 23 et 24, qui portent sur le déconditionnement. Je signale que toutes les officines ne sont pas équipées pour la préparation des doses à administrer (PDA) et que s'équiper représenterait un coût pour elles. Je ne reviens pas sur les questions de sécurité.
Il faut effectivement accélérer le cadre réglementaire des AMM. Je rappelle toutefois que la procédure de l'autorisation temporaire d'utilisation (ATU) permet d'accélérer la mise à disposition des principes actifs.
La proposition n° 27 d'harmonisation des règles d'étiquetage ne me paraît pas judicieuse, certaines ruptures d'approvisionnement étant liées à de nouvelles obligations d'étiquetage.
Pour finir, je trouve que l'exemple du Valsartan évoqué page 15 n'est pas pertinent.
M. Hugues Saury. - Je tiens tout d'abord à souligner la pertinence de cette mission d'information et la qualité des travaux qu'elle a effectués. Si je suis d'accord dans les grandes lignes avec ce qui est dit dans le rapport, j'émettrai tout de même quelques réserves sur certaines propositions.
Il me semble ainsi qu'il sera extrêmement compliqué de relocaliser ce qui a été délocalisé. On peut prendre des mesures incitatives, mais il y a un tel différentiel entre les conditions de production des pays asiatiques et les nôtres que je ne crois que modérément à cette possibilité.
De même, je suis dubitatif sur notre capacité à créer et stocker en nombre important des produits sensibles. En revanche, l'accord conclu par notre système de sécurité sociale avec l'exploitant pourrait prévoir la possibilité pour la pharmacie centrale des armées de se substituer à un laboratoire en cas de rupture, notamment pour les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur.
Quant au faible prix de certains médicaments en France par rapport aux prix pratiqués en Europe, il est un effet pervers de notre système de protection sociale, que je défends complétement. Les médicaments étant remboursés, les pouvoirs publics font pression pour que les prix soient les plus bas.
Je suis d'accord avec ce qui a été dit sur les relations entre les pouvoirs publics et les laboratoires pharmaceutiques dans un cadre contractuel. Les pouvoirs publics ne sont pas suffisamment forts et, dans un certain nombre de cas, n'imposent pas de mesures de cohérence et de bon sens.
La proposition n° 14 est à mon sens une réelle priorité dans la crise que nous connaissons. La communication est totalement défaillante aujourd'hui. Cette proposition est la plus facile à mettre en oeuvre et la plus urgente, afin d'éviter le développement d'une forme de défiance des patients vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique et des professionnels de santé.
Comme mes collègues, je suis hostile, dans la proposition n° 22, au fait de subordonner la substitution thérapeutique au suivi d'une formation spécifique. Ce point est bloquant aussi pour moi. La formation n'est pas nécessaire, compte tenu de la formation initiale et de l'obligation de formation continue des pharmaciens.
Par ailleurs, je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'expérimenter la rétrocession de stocks entre officines - c'est la proposition n° 20 - car elle se pratique déjà de façon informelle. À mon sens, la rétrocession devrait être encouragée et légalisée.
Enfin, je pense qu'il sera difficile de modifier les règles d'étiquetage et d'harmoniser les compositions et les posologies des spécialités exposées à des tensions d'approvisionnement. Cela prendra beaucoup de temps. En revanche, c'est une très bonne idée de généraliser l'accès dématérialisé aux notices dans les différentes langues de l'Union européenne.
Pour ma part, je voterai ce rapport, si la dernière partie de la proposition n° 22 est supprimée.
M. Jean-Pierre Decool, rapporteur. - La proposition n° 15 ne vise pas à permettre de localiser les officines détenant les stocks des médicaments en rupture. Il s'agit simplement d'informer sur les médicaments en situation de rupture.
Aujourd'hui, la rétrocession des stocks entre officines étant illégale, il vaut mieux prévoir d'« expérimenter » et d'« encourager » cette pratique.
Nous prenons acte de l'inutilité d'une formation spécifique dans la proposition n° 22, compte tenu de l'obligation de formation continue des pharmaciens. Nous supprimons donc la seconde partie de la proposition.
Mme Laurence Cohen. - J'ai compris que la substitution existait déjà. Pourquoi ne pas généraliser et officialiser cette pratique, au lieu de l'expérimenter ?
M. Yves Daudigny, président. - Aujourd'hui, les pharmaciens ne peuvent substituer qu'avec l'accord du médecin. Nous proposons de leur permettre de le faire sans l'accord du médecin.
Mme Laurence Cohen. - Il faut donc aller plus loin que l'expérimentation.
M. Yves Daudigny, président. - La substitution par le pharmacien, sans l'accord du médecin, est un sujet très sensible, car on touche au pouvoir et au domaine de compétences du médecin. C'est pour cela qu'on prévoit une expérimentation.
M. Jean-Pierre Decool, rapporteur. - J'en viens à la proposition n° 27 d'harmoniser au niveau européen les règles d'étiquetage, de composition et de posologie. Cette harmonisation devrait se faire progressivement dans le temps.
M. Yves Daudigny, président. - Monsieur Jomier, nous proposons de rédiger de la façon suivante la deuxième partie de la proposition n° 16 : « Sanctionner financièrement tous les industriels qui n'assureraient pas un approvisionnement approprié et continu du marché français en médicaments essentiels. »
On ne peut pas limiter cette proposition aux seuls médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, qui pour beaucoup sont directement livrés à l'hôpital et donc non pas gérés par les grossistes. Il faut ouvrir le champ aux médicaments en rupture, qui sont très souvent des médicaments anciens, qui s'administrent par injection, dont la fabrication est compliquée et dont le prix est bas.
M. Bernard Jomier. - Cet élargissement est positif et la formulation satisfaisante.
M. Yves Daudigny, président. - Madame Sollogoub, nous souhaitons nous appuyer sur le programme d'investissement d'avenir et sur le programme européen Horizon 2020 pour moderniser la production pharmaceutique et mettre en oeuvre un processus de fabrication très prometteur, la fabrication en continu.
Madame Berthet, nous proposons de confier à la pharmacie centrale des armées et à l'agence générale des équipements et produits de santé la production de quelques médicaments indispensables dans l'arsenal thérapeutique et qui sont régulièrement en situation de rupture ou de tension. Il s'agirait essentiellement d'anticancéreux ou d'antibiotiques anciens, souvent menacés d'arrêt de commercialisation. Nous ne sommes d'ailleurs pas sûrs de la capacité de réponse de ces organismes ou de leur délai de réponse s'ils étaient sollicités.
Monsieur Saury, vous avez raison de dire qu'il ne sera pas simple de relocaliser les productions. Pour autant, ne devons-nous pas mettre le doigt sur ce point ? Devons-nous rester impuissants ? Pour notre part, nous pensons que ce sujet doit être mis dans le débat public. La relocalisation de la production des principes actifs doit être inscrite dans les grands plans d'investissement pour l'avenir tels que ceux que proposent régulièrement les gouvernements successifs dans l'informatique ou encore la voiture autonome.
Madame Cohen, toutes les mesures de soutien financier public aux industriels seront subordonnées à la signature de l'accord-cadre tripartite prévu dans la proposition n° 5 afin d'augmenter les capacités de production en France. On imagine mal distribuer des subsides à des industriels sans contrepartie !
J'insiste sur la rétrocession de stocks entre deux officines, laquelle est illégale aujourd'hui puisque les officines doivent se consacrer à la vente au détail. Nous proposons d'assouplir cette interdiction en cas de rupture et de la légaliser afin de sécuriser la solidarité entre pharmaciens, tout en sachant que les grossistes-répartiteurs risquent de regarder cette proposition d'un mauvais oeil.
Mme Fabienne Keller. - Je me réjouis des propositions à caractère européen, les propositions nos 26 et suivantes, qui prévoient la mise en place d'une stratégie européenne de prévention des ruptures d'approvisionnement. L'Europe doit être mise en avant là où elle peut être précieuse. Par ailleurs, il faut retrouver une capacité à produire les principes actifs en Europe.
M. Yves Daudigny, président. - Tout le monde est d'accord sur le caractère indispensable de la dimension européenne. J'ai toutefois évoqué tout à l'heure l'échec de l'association entre la France et l'Allemagne dans le cas du médicament contre l'hépatite C.
Mme Fabienne Keller. - On le voit, il faudrait organiser une convergence, là où elle serait utile, et construire des synergies. On a du mal à comprendre pourquoi les autorisations de mise sur le marché sont différentes entre les États membres. Cela étant dit, personne n'est dupe, il y a des enjeux industriels majeurs. On ne pourra progresser sur ces sujets que dans le cadre d'une démarche globale, sur les ruptures et les principes actifs.
On nous a longtemps expliqué que les diplômes étaient différents, mais une convergence a été possible à force de discussion. Peut-on ajouter dans le rapport une partie sur la convergence ?
M. Yves Daudigny, président. - Les deux premières propositions du rapport visent à poser les jalons d'une stratégie commune à l'échelon européen. La proposition n° 26 prévoit d'harmoniser au niveau européen le cadre réglementaire d'examen des demandes d'AMM.
Mme Fabienne Keller. - La proposition n° 2 n'est pas de construire une stratégie européenne de gestion des ruptures.
M. Yves Daudigny, président. - On pose les jalons d'une stratégie commune à l'échelon européen. Dans le domaine de la santé, il est très difficile d'arriver à des harmonisations avec les Allemands, car nos systèmes sont très différents.
Passons au vote. Le titre proposé est : « Pénuries de médicaments et de vaccins : replacer l'éthique de santé publique au coeur de la chaîne du médicament ». Nous avons souhaité inscrire l'éthique dans le titre et mentionner la chaîne du médicament pour prendre en compte la production et la distribution.
Mme Martine Berthet. - Je trouve que le terme « replacer » est fort.
Mme Fabienne Keller. - Oui, « replacer » est dur.
M. Gérard Dériot. - En effet.
M. Bernard Jomier. - Que pensez-vous d'« affirmer » ?
M. Yves Daudigny, président. - Nous avons choisi « replacer » car notre analyse est peut-être plus sévère que la vôtre. Il nous a semblé que l'éthique n'était pas toujours au premier plan.
M. Jean-Pierre Decool, rapporteur. - Ces dix dernières années, en particulier les six dernières, ont été dramatiques.
Mme Nadine Grelet-Certenais. - Est-il judicieux de maintenir le terme de « vaccins » ? Nous l'avons dit : cette question, que nous n'avons pas approfondie, doit être traitée à part.
M. Yves Daudigny, président. - Elle est abordée dans le rapport.
Mme Nadia Sollogoub. - Je propose « renforcer », puisque nous donnons des moyens supplémentaires.
M. Bernard Jomier. - « Affirmer » n'est pas suffisant. En outre, l'avant-propos, qui explicite le titre, est plutôt modéré. Un titre un peu percutant ne ferait pas de mal.
M. Jean-Pierre Decool, rapporteur. - Nous avons voulu un titre percutant - il faut savoir l'être. La difficulté est très grande.
Mme Martine Berthet. - « Replacer » est trop fort vis-à-vis de tous les professionnels de l'industrie pharmaceutique qui travaillent très bien. Je préfère « renforcer ».
M. Yves Daudigny, président. - Pouvons-nous nous accorder sur « renforcer » et choisir le titre : « Pénuries de médicaments et de vaccins : renforcer l'éthique de santé publique dans la chaîne du médicament » ?
Mme Laurence Cohen. - Je partage une partie du constat du rapport, même si ma logique est différente. Quant au titre, j'aimais bien l'emploi du mot « coeur » concernant une question de santé.
M. Yves Daudigny, président. - Seul, j'aurais conservé le titre initial.
M. Gérard Dériot. - Le rapport tiendra-t-il bien compte des modifications évoquées ?
M. Yves Daudigny, président. - Oui, évidemment.
Merci, chers collègues, d'autant que les conditions de l'exercice ont été un peu abruptes.
La réunion est close à 12 h 5.