- Mardi 17 juillet 2018
- Mercredi 18 juillet 2018
- Questions diverses
- Proposition de loi renforçant la lutte contre les rodéos motorisés - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes - Examen, en nouvelle lecture, du rapport et du texte de la commission
Mardi 17 juillet 2018
- Présidence de M. François Pillet, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
M. François Pillet, président. - Je commence par saluer la présence parmi nous de M. Vincent Segouin, qui rejoint notre commission.
Proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information - Examen du rapport pour avis
Proposition de loi organique relative à la lutte contre la manipulation de l'information - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la proposition de loi organique et rapporteur pour avis de la proposition de loi. - Je serai assez long, et donc très complet, ce qui devrait raccourcir le débat !
Nous examinons aujourd'hui, en procédure accélérée - une fois n'est pas coutume... - la proposition de loi et la proposition de loi organique relatives à la lutte contre la manipulation de l'information, adoptées par l'Assemblée nationale le 3 juillet 2018, après engagement de la procédure accélérée. Notre commission des lois est saisie au fond de la proposition de loi organique. Elle s'est également saisie pour avis de la proposition de loi pour laquelle elle a reçu une délégation au fond de la commission de la culture concernant le titre Ier, relatif aux dispositions modifiant le code électoral, et le titre IV, relatif à l'application outre-mer.
Déposées par le groupe La République en Marche en mars 2018, soumises à l'avis du Conseil d'État au mois d'avril, sensiblement réécrites en commission des lois de l'Assemblée nationale au mois de mai, puis en séance publique, ces deux propositions de loi ont pour objet de traduire la volonté du chef de l'État, exprimée lors de ses voeux à la presse le 3 janvier 2018, de « faire évoluer notre dispositif juridique pour protéger la vie démocratique de ces fausses nouvelles. »
La principale mesure consiste en la création d'un référé ad hoc, inspiré du référé créé par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), afin de faire cesser, en période électorale, la diffusion « des fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir » lorsque celles-ci sont diffusées sur Internet « de manière délibérée, de manière artificielle ou automatisée et massive ».
Après une rapide présentation du phénomène des fake news, je rappellerai les dispositions existantes de notre droit pour lutter contre les fausses informations, puis je vous présenterai brièvement les dispositions du titre Ier de la proposition ordinaire, avant de vous exposer les raisons qui me conduisent à préconiser, tout d'abord, de proposer à la commission de la culture de ne pas adopter les articles de la proposition de loi dont elle nous a délégué l'examen et à soutenir les motions tendant à opposer la question préalable à ce texte, ensuite et par voie de conséquence, de déposer au nom de notre commission des lois une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi organique.
Les fake news ne sont pas nécessairement des informations fausses, mais plutôt des informations trompeuses. On peut traduire cette expression par « désinformation », « infox » - la contraction d'information et d'intoxication - ou encore parler d'informations fallacieuses. Le phénomène des fake news, de la manipulation des informations et de leur propagation virale, a émergé il y a une dizaine d'années avec les plateformes en ligne, notamment les réseaux sociaux. En effet, un réseau social permet de partager des milliers de fois une opinion ou une allégation susceptible de toucher un grand nombre de personnes, que cette opinion ou allégation soit fausse ou vraie.
Les objectifs des producteurs de fake news sont très divers. Dans la plupart des cas, la finalité est commerciale ou publicitaire : une information biaisée ou fausse est mise en avant afin d'attirer un maximum de vues sur certaines pages web. Outre les sites publicitaires, certains sites ou comptes politiques peuvent également relayer des points de vue orientés sur l'actualité ou, plus généralement, des actualités présentées avec un angle conspirationniste. Enfin, on observe un phénomène de triche électorale, avec la diffusion de fausses informations par des bots, des communautés militantes ou encore par des fermes de faux comptes.
Plusieurs élections nationales ont été récemment concernées par la diffusion massive de fausses informations, qu'il s'agisse du référendum sur le Brexit au Royaume-Uni, de l'élection présidentielle américaine ou même de l'élection présidentielle française, avec la publication des Macron leaks, quelques heures avant le second tour de l'élection, mêlant piratage de vrais emails et mise en ligne de documents fabriqués de toutes pièces.
La répression des rumeurs ou des fausses nouvelles n'est pas une question nouvelle en droit, et la France dispose déjà d'un cadre législatif ancien en la matière. La publication de fausses nouvelles ayant eu pour effet de fausser un scrutin électoral est d'ores et déjà réprimée par le code électoral : l'article L. 97 punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait de surprendre ou détourner des suffrages, ou encore d'avoir conduit des électeurs à s'abstenir, à l'aide de « fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manoeuvres frauduleuses ».
Surtout, les dispositions actuelles de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de presse, pivot de la lutte contre les abus de la liberté d'expression depuis plus de cent trente ans, permettent déjà de réprimer des propos sciemment erronés, diffamatoires, injurieux ou provocants. Ainsi, son article 27 réprime « la publication, la diffusion ou la reproduction [...] de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler ». Il ressort de l'analyse de la jurisprudence que le terme « nouvelles » renvoie à une « annonce d'un événement arrivé récemment faite à quelqu'un qui n'en a pas encore connaissance » et ne peut s'appliquer pour des faits antérieurement révélés. Les poursuites et la charge de la preuve appartiennent exclusivement au ministère public.
L'action en diffamation peut également être particulièrement efficace pour lutter contre les fausses informations portant atteinte à l'honneur et à la considération d'une personne. En matière de diffamation, il existe une présomption réfragable de mauvaise foi : les imputations diffamatoires sont réputées de droit alléguées avec l'intention de nuire. C'est ensuite au prévenu de prouver soit sa bonne foi soit la véracité des allégations. Le champ d'application de ce délit est particulièrement vaste. Ainsi, l'allégation qu'une personnalité politique détiendrait un compte illégal offshore est susceptible d'être qualifiée de diffamatoire.
Si l'action en diffamation est la plus efficace, l'action en référé sur le fondement de l'article 9 du code civil est toujours possible en cas de « fausses informations », d'informations falsifiées ou même biaisées portant sur la vie privée d'une personne physique.
Enfin, plusieurs dispositions pénales répriment les fausses informations qui causent un trouble particulièrement grave à un particulier ou à la société. Par exemple, la publication d'un photomontage ou d'un montage sonore réalisé sans le consentement de l'intéressé et ne précisant pas qu'il s'agit d'un montage est réprimée par l'article 226-8 du code pénal d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
Vu l'abondance des dispositions existantes, pourquoi légiférer ? Les dispositions actuelles ne permettent-elles pas déjà de lutter contre les fausses informations ? Lorsque des faits d'injure ou de diffamation envers un candidat à une fonction élective sont commis en période électorale, la juridiction peut être appelée à statuer dans un délai de vingt-quatre heures. Ainsi, la loi du 29 juillet 1881 offre déjà des possibilités d'action rapides pour lutter contre les allégations diffamatoires. De même, l'article 6 de la loi dite « LCEN » du 21 juin 2004 dispose que l'autorité judiciaire peut prescrire, en référé ou sur requête, aux fournisseurs d'accès et aux hébergeurs de services de communication au public en ligne « toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne ». Enfin, l'article 809 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal de grande instance « peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».
Il est vrai qu'il existe des difficultés d'application de la loi du 29 juillet 1881 aux contenus diffusés sur Internet : les formalités particulièrement lourdes imposées à peine de nullité sont particulièrement inadaptées aux propos diffusés sur Internet. Cela avait notamment été souligné dans le rapport de nos collègues François Pillet et Thani Mohamed Soilihi sur l'équilibre de la loi du 29 juillet 1881 à l'heure d'Internet, et il convient sans doute de les adapter.
Néanmoins, l'Assemblée nationale et le Gouvernement n'ont pas fait le choix de préserver l'équilibre de cette loi, quitte à l'adapter. Au contraire, ils se sont inscrits dans le mouvement dénoncé dans ce rapport, consistant à intégrer des dispositions relatives à l'encadrement des abus de la liberté d'expression dans d'autres textes que la loi précitée, au risque de remettre en cause l'équilibre actuel.
Le titre Ier de la proposition de loi s'articule autour de l'article 1er, qui a deux objets. En premier lieu, il tend à créer, sous peine de sanctions pénales, plusieurs nouvelles obligations de transparence pour les opérateurs de plateforme en ligne concernant la promotion de « contenus d'information se rattachant à un débat d'intérêt général ». En second lieu, il vise à créer une nouvelle procédure de référé, inspirée du référé LCEN, afin de faire cesser la diffusion de « fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir », lorsque celles-ci sont diffusées « de manière délibérée, de manière artificielle ou automatisée et massive par le biais d'un service de communication au public en ligne ». Un nouvel article L. 163-1 A inséré dans le code électoral définirait la fausse information comme « toute allégation ou imputation d'un fait inexacte ou trompeuse ».
Saisi à la demande du ministère public, du candidat, de tout parti ou groupement politique ou de toute personne ayant intérêt à agir, le juge des référés devrait se prononcer dans un délai de quarante-huit heures à compter de la saisine. Toutes mesures utiles, « proportionnées et nécessaires » pour faire cesser la diffusion, pourraient être ordonnées. En particulier, le juge pourrait ordonner aux hébergeurs de contenus et aux fournisseurs d'accès à Internet une mesure de déréférencement, une mesure de retrait, voire une mesure de blocage du contenu. Ce référé ne pourrait s'exercer que pendant une période de trois mois précédant le premier jour du mois des élections et jusqu'à la date du tour du scrutin.
L'article 1er de la proposition de loi prévoit également la compétence exclusive d'un tribunal de grande instance : la juridiction précise serait déterminée par voie réglementaire.
Les articles 2, 3, et 3 bis prévoient l'application des dispositions de l'article 1er aux élections sénatoriales, européennes et référendaires. L'application à l'élection présidentielle est prévue par les deux articles de la proposition de loi organique.
Le titre II bis de la proposition de loi met de nouvelles obligations à la charge des plateformes, notamment au travers de la mise en place d'un dispositif permettant le signalement des fausses informations par les utilisateurs, et confie au CSA un véritable rôle de régulation en la matière, en lui attribuant une nouvelle mission spécifique de lutte contre la diffusion de fausses informations et un pouvoir de recommandation.
Je ne peux que déplorer le choix du Gouvernement d'engager la procédure accélérée sur un tel sujet affectant les libertés publiques, sans qu'aucune étude d'impact n'ait été réalisée, même si je salue le choix du président de l'Assemblée nationale de soumettre à l'examen du Conseil d'État les deux propositions de loi.
Je concentrerai mon analyse sur le dispositif normatif principal des propositions de loi : le référé visant à lutter contre les fausses informations en période électorale.
Ce dispositif est insuffisamment préparé. Pourquoi n'avoir pas amélioré les procédures existantes au lieu de créer un dispositif ad hoc ? Il est regrettable que le Gouvernement n'ait pas procédé à l'évaluation des dispositifs existants en matière de lutte contre les abus de la liberté d'expression, qui n'aurait révélé aucun besoin impérieux de concevoir un nouveau dispositif.
Le seul vide juridique qui se dessine concerne une action en référé contre les fausses informations qui ne troublent pas ou ne sont pas susceptibles de troubler la paix publique, qui ne sont attentatoires ni à l'honneur, ni à la considération, ni à la vie privée des personnes et dont l'effet sur un scrutin n'est qu'incertain. La création d'un référé spécifique n'apparaît ainsi nécessaire que pour permettre de prescrire des mesures attentatoires à la liberté de communication - retrait, déréférencement, blocage - en l'absence de tout dommage avéré ou probable ou en l'absence de tout trouble à l'ordre public.
Faut-il, dans une société démocratique, permettre de telles mesures ?
La procédure de référé adoptée par l'Assemblée nationale cible les « fausses informations ». Or, comme le relevait le Conseil d'État dans son avis, il n'est pas aisé de qualifier juridiquement les « fausses informations ». Initialement, aucune définition de la « fausse information » ne figurait dans la proposition de loi. Lors de son examen en commission par l'Assemblée nationale, la rapporteure de la commission des lois, Mme Naïma Moutchou, soucieuse de l'intelligibilité de la loi et afin de suivre la recommandation du Conseil d'État, a estimé nécessaire de définir la fausse information dans le code électoral comme « toute allégation ou imputation d'un fait dépourvue d'éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable ». Vu les réactions contrastées que cette définition a suscitées, elle a proposé, en séance publique, une nouvelle définition de la fausse information, adoptée par l'Assemblée nationale avec un avis de sagesse du Gouvernement : « toute allégation ou imputation d'un fait inexacte ou trompeuse. »
Si je salue cet effort, je déplore que la recommandation du Conseil d'État de limiter le dispositif aux allégations qui procèdent d'une intention délibérée de nuire n'ait pas été suivie. Dans quelle mesure cette disposition protégera-t-elle la satire ou la parodie, qui peuvent être, par nature, trompeuses sans, pour autant, démontrer une quelconque intention de nuire ?
Les seules modalités de diffusion - « artificielle ou automatisée et massive » - ne peuvent suffire à établir une intention malveillante alors même que, par exemple, des contenus humoristiques et viraux peuvent, chaque jour, être reproduits, partagés et diffusés de manière artificielle et massive sur les réseaux sociaux.
Cette définition hasardeuse pose incontestablement la question de la légitimité du juge des référés à définir, en quarante-huit heures, la nature authentique, inexacte ou trompeuse d'une information alors que, traditionnellement, le juge des référés est le juge de l'évidence, de l'illégalité manifeste.
Plus inquiétant encore, le texte adopté par l'Assemblée nationale vise non pas les seules fausses informations diffusées dans l'intention d'altérer la sincérité d'un scrutin, mais plus généralement toutes allégations inexactes ou trompeuses d'un fait « de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir ». Ainsi, la seule diffusion massive et virale d'une information trompeuse susceptible d'avoir des conséquences sur une élection, même si cette diffusion n'a pas été réalisée dans ce but, est susceptible de faire l'objet d'un déréférencement, d'un retrait, voire d'un blocage, « sans préjudice de la réparation du dommage subi ». Or comment le juge des référés pourrait-il, en quarante-huit heures, établir a priori l'altération d'un scrutin qui n'a pas eu lieu ?
L'application du référé aux seules périodes électorales pose également question. Les propositions de loi semblent rompre, sans aucune raison juridique impérieuse, avec la tradition juridique française de liberté d'expression accrue pendant les périodes électorales. Le juge judiciaire, comme le juge électoral, a toujours laissé une large place à la polémique politique.
Pourquoi, d'ailleurs, faudrait-il encadrer le débat électoral plus strictement que le débat sur les questions de santé, de défense ou d'économie ? N'est-il pas paradoxal, voire outrageant à l'égard des électeurs, de vouloir nécessairement priver les citoyens de l'accès à une fausse information en période électorale ? Une éducation de chacun à la vigilance individuelle face aux contenus diffusés sur Internet ne serait-elle pas plus efficace et moins attentatoire aux libertés qu'une énième disposition législative ?
Enfin, l'article 1er de la proposition de loi pose de nouvelles exigences en matière de transparence qui excèdent l'objectif de préservation de la sincérité du scrutin. En posant des obligations de transparence concernant tout « contenu d'information se rattachant à un débat d'intérêt général », la proposition de loi est susceptible de viser un nombre important de contenus sans aucun lien avec les fausses informations, les informations biaisées aux fins d'altérer la sincérité d'un scrutin, une élection, la politique en général ou encore même sans aucun lien avec des faits d'actualité. L'imprécision de la notion est susceptible de rendre applicables les dispositions à toutes les publicités concernant des acteurs économiques publics comme la SNCF ou la RATP, ou des entreprises fondant leur publicité commerciale sur un « contenu d'information ».
Au-delà des incertitudes de certains termes, qui révèlent la précipitation avec laquelle ces propositions de loi ont été élaborées, le dispositif prévu à l'article 1er présente d'importants risques d'inapplicabilité, mais également, et de manière paradoxale, d'atteintes graves à la liberté d'expression.
En effet, le dispositif ne pourra s'appliquer que très difficilement aux phénomènes qu'il entend contrer.
En premier lieu, même une procédure de référé n'aura qu'une efficacité incertaine face à des contenus dont la vitesse de propagation est fulgurante. Il est également paradoxal de lutter contre la diffusion d'une information en référé, car l'expérience montre qu'une action en référé a souvent pour effet de contribuer à la notoriété des informations contestées.
En second lieu, le Gouvernement a fait le choix d'un dispositif nouveau, et non d'une amélioration des procédures existantes. Ce faisant, il s'est privé de l'efficacité des procédures habituelles en matière de diffamation où le propos diffamatoire est présumé de mauvaise foi, sauf démonstration contraire - exception de bonne foi - ou même établissement de la véracité des faits allégués - exception de vérité. Contrairement à un procès en diffamation, il n'y aura donc pas de renversement de la charge de la preuve. Ainsi, la personne agissant en référé et invoquant l'existence d'une fausse information devra rapporter la preuve du caractère faux de l'information en question. Or il n'est que très difficilement possible de rapporter la preuve contraire de certaines affirmations ou allégations, même infamantes : comment établir des faits négatifs ? Comment prouver, par exemple, que l'on n'a pas commis une fraude fiscale ou que l'on ne dispose pas d'un compte offshore ?
J'émets donc de sérieux doutes quant à l'utilité réelle d'un tel dispositif.
Paradoxalement, alors que les dispositions de l'article 1er ne seront que très difficilement applicables, je considère qu'un tel dispositif pourrait présenter, en pratique, de nombreux risques d'atteintes disproportionnées à la liberté d'expression.
Le risque d'instrumentalisation à des fins dilatoires d'un tel dispositif ne doit ainsi pas être sous-estimé. Ces propositions de loi pourraient permettre à n'importe quel parti d'empêcher, à tort ou à raison, la publication d'informations dérangeantes en période électorale, alors même qu'il est légitime pour le citoyen d'être informé, surtout en période électorale. La rapidité avec laquelle le juge des référés devra statuer risque d'engendrer des décisions contestables, au risque d'ailleurs de jurisprudences contraires entre le juge judiciaire et le juge de l'élection.
Vous l'avez compris, je considère que ces propositions posent un problème de principe.
Si la préservation de la sincérité des scrutins est essentielle, peut-on pour autant, en démocratie, admettre l'interdiction ou, plus probablement, le déréférencement d'un mensonge qui ne cause aucun trouble à l'ordre public ? Faut-il interdire, en raison des intentions malveillantes de certains, le droit d'imaginer, d'alléguer ou de supposer en période électorale ? La recherche de la vérité ne suppose-t-elle pas la confrontation d'informations vraies comme d'informations douteuses ou fausses ?
La jurisprudence constitutionnelle, quant à elle, rappelle que la liberté d'expression est une liberté fondamentale « d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale ». Dès lors, la loi ne peut en réglementer l'exercice « qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ». Les atteintes doivent être « nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi ». Le Conseil constitutionnel ajoute que « la liberté d'expression revêt une importance particulière dans le débat politique et dans les campagnes électorales ».
Il est permis de s'insurger, à l'instar du Président de la République, sur la proximité, voire la confusion entretenue par certaines plateformes entre les informations vérifiées des journalistes professionnels et les informations diffusées uniquement sur certains réseaux sociaux. Néanmoins, la lutte contre ce phénomène passe peut-être davantage par des mesures incitatives d'éducation aux médias ou par la garantie d'un plus large pluralisme médiatique.
Au regard des risques de dérives que porte en germe toute législation entravant la liberté de communication, n'est-il pas préférable de s'abstenir de légiférer plutôt que de risquer de nuire à la diffusion de contenus légitimes ?
En conclusion, comme je vous l'ai indiqué, je préconise, tout d'abord, de proposer à la commission de la culture de ne pas adopter les articles de la proposition de loi dont elle nous a délégué l'examen et donc de soutenir les motions tendant à opposer la question préalable à ce texte n° 623, ensuite, par voie de conséquence et à l'instar du groupe socialiste et républicain, de déposer au nom de notre commission des lois une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi organique n° 629. Dès lors, je vous propose de donner un avis défavorable à tous les amendements portant sur les articles délégués au fond à la commission des lois.
M. François Pillet, président. - Merci pour cette analyse précise et complète des arguments juridiques, qui touchent directement à certaines libertés fondamentales. Nous pouvons tous lire, dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen affichée dans cette salle, l'article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »
Ces deux propositions de loi démontrent que nous n'avons pas encore trouvé un équilibre entre certaines de nos libertés, en particulier entre la liberté d'expression et le droit au respect de la vie privée.
Néanmoins, vous avez bien montré que ces propositions de loi ne pouvaient qu'ajouter de la confusion et du danger à l'équilibre actuel, et je note une grande convergence entre les groupes sur ce point.
M. Jérôme Durain. - Merci pour cet excellent rapport sur un sujet qui pose de vraies questions. Il est d'ailleurs regrettable que l'effondrement de ces textes sur leurs bases politiques et juridiques incertaines nous prive d'un vrai débat. Leur caractère improvisé et le choix de la procédure accélérée donnent un aspect trivial à une discussion qui mériterait de la solennité, et qui devrait aboutir à clarifier la question dans le débat public, et non à accroître la confusion. Une fois de plus, nous travaillons dans l'urgence et l'improvisation, ce qui est pénible. Ces textes resteront comme le symbole de la manière de faire la loi dans de mauvaises conditions.
Notre groupe pose la question préalable, car il existe déjà des lois pour traiter ces questions. La réflexion qui préside à ces propositions de loi est inaboutie : celles-ci suscitent le scepticisme des représentants des plateformes et des acteurs concernés et, surtout, le référé proposé est largement inapplicable. L'extension des pouvoirs du CSA est inopportune, tout comme les restrictions apportées au débat public en période électorale. Plusieurs motions tendant à opposer la question préalable ont été déposées, tant mieux ! Car nous devons nous opposer fermement à ces textes issus d'un travail mal engagé, mal effectué et donc inutile.
M. François Pillet, président. - Nombre de nos collègues peuvent légitimement s'étonner du choix de la procédure accélérée pour débattre de nos libertés...
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je salue l'excellent travail du rapporteur - comme d'habitude dans notre commission. Les arguments qu'il avance font partie de ceux que nous avions entendus, en juillet 2016, lors de la remise de notre rapport d'information sur la liberté de la presse à l'heure d'Internet. Nous avions alors formulé des propositions pour simplifier le cadre juridique actuel en maintenant la liberté d'expression, tout en réprimant ses abus. Or la manipulation de l'information fait partie de ces abus. Finalement, les questions préalables nous invitent à l'immobilisme, alors que le débat doit avancer et qu'il faut améliorer notre législation à l'heure d'Internet. Je ne doute pas que notre commission retravaillera ce sujet ; on aurait pu aussi retravailler ces textes, quitte à les réécrire partiellement - cela s'est déjà vu...
M. François Pillet, président. - Nous avions en effet cosigné un rapport d'information formulant plusieurs propositions.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - C'est la philosophie sous-jacente de ces textes qui me gêne profondément. Qu'est-ce que la vérité ? Je ne le sais pas. C'est le juge qui devrait le dire, avec un référé dont tous les aspects sont dérangeants : délai de quarante-huit heures, inversion de la charge de la preuve... et comment le juge pourrait-il décider ce qui altère, ou non, la sincérité d'un scrutin qui est à venir ? L'impréparation et la précipitation qui entourent ces textes sont palpables.
M. Philippe Bonnecarrère. - Les dispositions proposées sont une mauvaise réponse à une bonne question, celle des fake news dans une société post-vérité. Le problème est redoutable, et il est apparu très rapidement, dès les élections américaines. Les sociologues montrent bien comment il peut conduire à une polarisation de l'électorat et à la création de bulles de désinformation, sous la forme de ce que Bernard Manin appelle des « îlots de pensée homogène ». C'est aussi la dérégulation de l'information qui développe le complotisme. Les fake news peuvent même être instrumentalisées pour déstabiliser un pays, et on observe alors comment la mauvaise information chasse la bonne. On ne peut donc que reconnaître que ces textes s'attaquent à une question importante. Mais le rapporteur a raison : ils n'y apportent pas la bonne réponse. Sur ces sujets de société, je ne suis pas sûr que l'arme du droit soit la meilleure. Mieux vaudrait s'en remettre à une régulation par les médias, par la population - à travers des procédures de fact checking qui restent à développer - et, bien sûr, par un renforcement de l'éducation. Bref, je m'associe à la question préalable, tout en gardant à l'esprit que le travail reste à faire !
M. François Grosdidier. - Je salue à mon tour la qualité du travail du rapporteur ; je partage l'ensemble des propos de mes collègues : il s'agit en effet d'une mauvaise réponse à une bonne question. J'insiste sur la nécessité de repenser les modalités relatives à la loi sur la liberté de la presse, qui ne paraît plus adaptée aux nouvelles technologies.
Monsieur le président, vous avez parlé d'un équilibre. Certes, mais force est de constater qu'il devient aujourd'hui difficile de combattre les fake news. On a vu une dérive croissante au cours de ces dernières années, qui n'existe pas seulement en matière électorale. D'ailleurs, nous ne devons pas nous préoccuper que de la matière électorale. Il nous faudra réfléchir aux adaptations à apporter.
Des jurisprudences sont choquantes. On est obligé d'attaquer le directeur de la publication à titre principal et simplement à titre de complice l'auteur véritable de la diffamation. De même, la notion d'ordre public est parfois considérée de manière beaucoup trop souple par les juges : dès lors qu'une information est inexacte et est préjudiciable, l'auteur devrait être poursuivi. On peut aussi s'étonner de la faiblesse des peines retenues. Au regard des amendes encourues, qui se limitent parfois à l'euro symbolique, surtout quand il s'agit de personnalités publiques, les organes de presse, même les plus sérieux, prennent aujourd'hui délibérément le risque d'intenter un procès en diffamation. C'est encore plus vrai avec les nouveaux médias, l'auteur étant difficile à identifier.
En matière électorale, la jurisprudence est très aléatoire : au nom du caractère polémique normal d'une campagne électorale, certaines allégations ne sont pas condamnées pour motif de bonne foi ou de tolérance plus grande, alors qu'elles l'auraient été dans un autre contexte. Tous les avocats l'affirment, le droit de la presse est l'une des matières les plus difficiles. Certaines jurisprudences ne sanctionnent pas des allégations mensongères et outrageantes au motif qu'elles ont été reprises de bonne foi par un journaliste. Or cela est de nature à donner du crédit à l'information inexacte. Quoi qu'il en soit, on passe à côté de la nécessité de mieux cerner les fausses informations diffusées par les nouveaux médias : sur Facebook, on annonce aujourd'hui entre vingt morts et des milliers de morts dans des émeutes urbaines qui toucheraient absolument toute la France après la victoire de la Coupe du monde !
Toutes ces fausses informations ont une incidence électorale, certes pas directement sur l'élection présidentielle. Dans les primaires, elles ont eu une réelle incidence sur les scrutins. D'ailleurs, les primaires mériteraient d'être visées par un tel texte.
Tout en regrettant que l'on n'ait pas un débat approfondi sur ce sujet, je suivrai la position du rapporteur. Le Sénat devrait s'emparer de cette question. Il est choquant qu'un projet de loi touchant à des libertés publiques aussi fondamentales soit examiné en procédure accélérée : il n'y a aucune urgence, même au regard du calendrier électoral.
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser mon retard et je remercie François Pillet d'avoir assuré la présidence. Par ailleurs, je souhaite la bienvenue à notre nouveau collègue Vincent Segouin ; je me réjouis qu'il ait rejoint la commission des lois.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Très bon choix.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je partage totalement les remarques qui ont été formulées. Je déplore que, sur ce sujet, l'objet du texte soit limité à la période électorale. Cela témoigne du fait qu'il s'agit d'une loi ad hominem. Le Président de la République, qui n'a pourtant pas eu à pâtir de fausses informations durant la campagne présidentielle, considère que la période électorale est l'alpha et l'oméga de la lutte contre les fausses informations.
Par ailleurs, je m'interroge sur la compétence du juge des référés, le juge de l'évidence, qui devrait, selon moi, se déclarer in fine incompétent. En effet, le juge des référés a d'ores et déjà tendance, à juste titre ou pas, à renvoyer au juge électoral un certain nombre de contentieux, considérant que lui seul pourra juger si les faits incriminés ont été de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin.
La loi de 1881 est très protectrice de la liberté de l'information ; il faut donc y toucher avec la plus grande prudence.
Au fond, dans la protestation, j'estime que nous ne sommes pas à la hauteur. Il est extrêmement grave de légiférer pour dire quelle est la vérité. C'est ce que l'on est en train de nous proposer aujourd'hui : « la vérité officielle. » Ce texte est un pur scandale ; la procédure pour en débattre en est également un de plus : au final, ce texte risque fort d'être adopté. Au-delà de la motion tendant à opposer la question préalable - il est rare que le Sénat renonce à débattre, tant le sujet n'est pas abordé de manière sensée ! -, que pouvons-nous faire pour alerter ? Les journalistes défendent leur propre liberté comme s'il ne s'agissait pas de la nôtre, alors qu'il y va de notre liberté.
EXAMEN DES ARTICLES DE LA PROPOSITION DE LOI
M. Christophe-André Frassa, rapporteur pour avis. - En cohérence avec mes propos liminaires, je suis défavorable aux amendements COM-6, COM-7 et COM-4. Aussi, je vous propose de les rejeter.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je fais entendre ma voix dissidente.
La commission proposera à la commission de la culture de ne pas adopter les amendements COM-6, COM-7 et COM-4, non plus que l'article 1er.
Article 2 (délégué)
La commission proposera à la commission de la culture de ne pas adopter l'article 2.
Article 3 (délégué)
La commission proposera à la commission de la culture de ne pas adopter l'article 3.
Article 3 bis (délégué)
La commission proposera à la commission de la culture de ne pas adopter l'article 3 bis.
Article 10 (délégué)
La commission proposera à la commission de la culture de ne pas adopter l'article 10.
EXAMEN DES MOTIONS DE LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Concernant la proposition de loi organique, je vous propose d'adopter l'amendement COM-2 tendant à opposer la question préalable, identique à l'amendement COM-1 déposé par les membres du groupe socialiste et républicain, auquel je suis bien évidemment favorable.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Là encore, je fais entendre ma voix dissidente !
Les motions COM-2 et COM-1 sont adoptées. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi organique.
La réunion est close à 9 h 55.
Mercredi 18 juillet 2018
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Questions diverses
M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, notre commission devrait entendre le mercredi 5 septembre prochain, à 15 heures, Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Je vais demander au président du Sénat que cette audition soit ouverte à l'ensemble de nos collègues.
Par ailleurs, avec François Pillet et Philippe Bonnecarrère, rapporteurs adjoints, nous comptons organiser, les 4 et 5 septembre, des auditions qui seront ouvertes à l'ensemble des membres de la commission. Nous devrions présenter notre rapport devant la commission le 12 septembre car le projet de loi constitutionnelle pourrait être examiné par le Sénat en séance publique durant les semaines des 17 et 24 septembre.
Proposition de loi renforçant la lutte contre les rodéos motorisés - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - Nous sommes aujourd'hui saisis d'une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les rodéos motorisés, déposée par M. Richard Ferrand et plusieurs députés en mai dernier et adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 4 juillet dernier. Une proposition de loi comportant des dispositions quasiment identiques a été déposée au Sénat par notre collègue Vincent Delahaye et des sénateurs issus de plusieurs groupes politiques, ce qui témoigne d'un large consensus. Je ne doute pas que nous réussirons, au sein de notre commission, à trouver un accord sur cette problématique qui constitue à la fois un enjeu important d'ordre public et un enjeu de qualité de vie pour certains de nos concitoyens.
Les rodéos motorisés constituent, depuis quelques années, un véritable fléau dans certains quartiers : outre la nuisance sonore importante qu'ils créent pour les riverains, ils sont l'une des formes les plus nuisibles et les plus dangereuses de la délinquance routière, dont les conséquences se sont malheureusement révélées, dans plusieurs cas, dramatiques. Le phénomène, loin d'être isolé, connaît une progression inquiétante depuis quelques années : alors que les rodéos se pratiquaient à l'origine surtout dans les zones urbaines, ils s'étendent de plus en plus aux périphéries des villes, mais aussi, dans une moindre mesure, aux zones rurales.
Selon les données qui m'ont été communiquées par le ministère de l'intérieur, 8 700 rodéos ont été constatés par les forces de police sur le territoire national au cours de l'année 2017. Pour ce qui concerne la gendarmerie, 6 614 interventions pour des rodéos motorisés ont été réalisées en 2017, contre 5 335 en 2016, soit une augmentation de près de 24 % en un an.
Pour lutter contre ce phénomène en pleine expansion, notre arsenal législatif se révèle, dans la pratique, bien pauvre. Il serait erroné de dire que rien n'existe, mais les outils dont nous disposons actuellement sont soit difficiles à mettre en oeuvre, soit insuffisamment dissuasifs. Il est ainsi possible de retenir à l'encontre des auteurs de rodéos la mise en danger de la vie d'autrui. Ce délit, puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, demeure toutefois difficile à mettre en oeuvre dans la pratique : les forces de l'ordre peinent à prouver l'existence d'un risque réel et immédiat pour la sécurité d'autrui. Il est, par exemple, peu probable qu'un juge reconnaisse l'existence d'un risque qualifié pour autrui pour des runs organisés de nuit, sur un parking, alors qu'aucune personne ni aucun piéton ne circulait sur la voie publique. Or de telles pratiques n'en sont pas moins dangereuses et sont sources d'importantes nuisances. Les auteurs des rodéos sont donc, dans la majeure partie des cas, punis par de simples contraventions, par exemple pour absence de casque ou circulation à vitesse excessive. Mais ces sanctions sont peu dissuasives et ne permettent pas de réprimer les comportements à la hauteur du risque qu'ils engendrent.
Ces raisons ont conduit plusieurs de nos collègues députés et sénateurs à déposer, au cours des dernières années, des propositions de loi visant à renforcer les outils juridiques. Aucune n'a toutefois abouti à ce jour, malgré les fortes attentes des élus locaux, en particulier des maires qui sont, chaque jour, confrontés à ces comportements dangereux.
Dans la continuité de ces initiatives, la proposition de loi dont nous sommes saisis vise à apporter une réponse spécifique et efficace à la problématique des rodéos motorisés. Le dispositif prévu s'articule autour de trois volets.
En premier lieu, la proposition de loi crée un délit spécifique de participation au rodéo motorisé, qui serait sanctionné d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, si deux conditions sont réunies : d'une part, la pratique de manoeuvres délibérées et intentionnelles constituant des violations particulières en matière de sécurité ou de prudence prévues par le code de la route ; d'autre part, l'existence d'un risque pour la sécurité des usagers de la route ou d'un trouble à la tranquillité publique. Plusieurs circonstances aggravantes sont prévues lorsque les faits sont commis en réunion, sous l'empire d'un état alcoolique ou de stupéfiants ou sans être détenteur d'un permis de conduire adapté. Ce dernier point a été ajouté par l'Assemblée nationale et me semble essentiel. Les peines peuvent alors atteindre, au maximum, cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Tant la chancellerie que le ministère de l'intérieur ont souligné, lors des auditions, l'intérêt de créer un délit autonome : celui-ci permettra en effet de réprimer de façon expresse la participation aux rodéos, tout en prévoyant des peines appropriées, dissuasives et donc plus efficaces. En outre, le fait de réprimer les rodéos en matière correctionnelle permettra aux forces de l'ordre de bénéficier de nouveaux outils d'enquête et, en particulier, de placer les individus interpellés en garde à vue.
En second lieu, la proposition de loi vise à mieux réprimer l'organisation et la promotion des rodéos motorisés, ainsi que l'incitation directe à y participer, qui seraient punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Il s'agit de prévenir, en amont, l'organisation des rodéos motorisés.
Enfin, la proposition de loi prévoit plusieurs peines complémentaires encourues par les auteurs du délit de participation à un rodéo ainsi que par les auteurs du délit d'organisation ou d'incitation. Parmi celles-ci figurent, notamment, la confiscation obligatoire du véhicule - cette mesure répond à une forte attente des maires -, à laquelle le juge pourra certes déroger, mais uniquement par une décision motivée, ainsi que la suspension, voire l'annulation du permis de conduire. Ces peines complémentaires sont au coeur du dispositif, car elles sont de véritables leviers pour lutter contre la récidive.
Au cours des auditions que j'ai organisées, j'ai constaté parmi les acteurs concernés un large consensus sur le dispositif proposé. Jugé utile, ce dispositif devrait en effet permettre de renforcer la répression à l'encontre des individus organisant ou participant à ces rodéos et d'exercer un réel effet dissuasif grâce à des peines élevées. Les nouveaux délits créés apparaissent facilement caractérisables, ce qui est une garantie de l'opérationnalité et de l'efficacité du dispositif.
Pour ces raisons, je n'ai pas souhaité vous proposer d'amendements au texte adopté par l'Assemblée nationale. Il me semble par ailleurs indispensable que ces dispositions puissent entrer en vigueur au plus vite.
Toutefois, il serait naïf de croire que cette évolution législative, bien que nécessaire, sera suffisante pour éradiquer rapidement le phénomène. Une des difficultés rencontrées par les forces de l'ordre est en effet celle d'interpeller les individus, qui prennent généralement la fuite dans des conditions particulièrement dangereuses. Il m'a d'ailleurs été rapporté que les policiers et les gendarmes avaient pour consigne de ne pas poursuivre les individus en fuite, pour des questions de sécurité. Or, sans interpellation, l'action du législateur restera lettre morte.
C'est pourquoi cette proposition de loi devra, me semble-t-il, être accompagnée d'une véritable réflexion sur les moyens à engager pour renforcer l'interpellation des individus concernés. Je pense, notamment, au recours à la vidéoprotection, qui permet d'interpeller a posteriori les individus participant à un rodéo. Plusieurs autres mesures de nature réglementaire pourraient également être prises par le Gouvernement pour compléter ces moyens ; je pense, par exemple, à un durcissement de la réglementation concernant l'acquisition et la mise en circulation des véhicules dits non soumis à réception qui, bien que non autorisés à circuler sur la voie publique, sont généralement utilisés dans le cadre des rodéos. Nous pourrons évoquer ces pistes avec le ministre en séance publique et lui demander des engagements en la matière.
M. Philippe Bas, président. - Notre rapporteur a parfaitement analysé la question qu'elle connaît bien en raison de son expérience de maire dans la région parisienne.
Mme Agnès Canayer. - Cette proposition de loi est très attendue notamment par les maires des grandes villes urbaines. Avec les beaux jours, il n'y a pas un week-end sans que nos concitoyens réagissent vivement à des rodéos intempestifs, qui constituent une double agression à leur égard : un sentiment d'insécurité sur la voie publique assorti d'un bruit insupportable. Il s'agit là d'un véritable fléau. L'arsenal juridique actuel est bien faible : le seul moyen de réprimer ces actes est par le biais de contraventions au code de la route, peu dissuasives. À ce titre, la confiscation obligatoire de l'engin constituera une bonne réponse.
Vous avez raison de soulever ce point, madame le rapporteur : demeurera la question de la mise en oeuvre de ce texte. Les forces de police et de gendarmerie lors des interpellations, de mettre en danger autrui et sont donc dépourvues de moyens pour arrêter les jeunes en flagrant délit.
M. François Pillet. - Nous allons vraisemblablement nous accorder sur ce texte à la suite du rapport très clair et très précis de notre collègue. La vie de nos concitoyens est effectivement affectée par ce phénomène, source de nuisances sonores et d'insécurité, pour les usagers de la route comme pour les participants eux-mêmes.
J'exprimerai une petite réserve sur le quantum des peines. Je comprends que l'on veuille être particulièrement dissuasif, mais, je le répète, il faudra un jour que nous nous posions la question de l'échelle des peines dans le code pénal au vu de la stratification des textes répressifs à laquelle nous assistons depuis plusieurs années. En revanche, j'adhère totalement à la saisie des engins : ce n'est pas une peine privative de liberté pour une infraction qui est certes grave, mais l'est moins que d'autres.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - La saisie, il n'y a que cela !
M. François Pillet. - L'expérience le démontre : la saisie par les gendarmes d'un cyclomoteur trafiqué vaut toutes les punitions du monde.
Mme Esther Benbassa. - Je suis d'accord avec mes collègues. La confiscation est un élément très important. Toutefois, plutôt que de prévoir des peines très lourdes, ne pourrait-on pas penser à des travaux d'intérêt général, dans des centres pour handicapés, par exemple, ou à des stages de bonne conduite, etc. On ne peut pas mettre tout le monde en prison ! Le taux d'occupation de certaines prisons est de 200 %. La tendance au « tout répressif » me gêne ; cela ne règle pas les problèmes.
M. Philippe Bas, président. - Il appartient au juge de l'application des peines de convertir la peine, s'il le juge utile, en travaux d'intérêt général, lesquels peuvent s'exercer dans une institution à caractère social.
M. François Pillet. - Dès le prononcé de la peine, le juge peut décider un travail d'intérêt général, qui doit être accepté, je le rappelle, par le délinquant.
M. Philippe Bas, président. - Il n'y a pas de travaux forcés.
M. Jean-Pierre Sueur. - J'ai cosigné la proposition de loi de Vincent Delahaye après avoir mené une réflexion, notamment avec des élus : je pense aux élus de Fleury-les-Aubrais ou à ceux de Sully-sur-Loire, qui m'ont confié que la situation devenait véritablement infernale, suscitant des réactions très vives de la population et des problèmes de sécurité très importants. Les rodéos sont un problème majeur dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Certes, on peut estimer que les mesures proposées sont répressives - et elles le sont - mais, comme vous l'avez indiqué, monsieur le président et comme l'a souligné François Pillet, nous devons faire confiance aux magistrats, qui apprécieront la nature des peines. À certains moments, la réalité s'impose à nous, et nous aurions tort de ne pas adopter une mesure ferme.
Pour autant, je ne méconnais pas les difficultés d'application pour la police et la gendarmerie nationales, comme vous l'avez relevé, madame le rapporteur.
Cette proposition de loi a été précédée de plusieurs propositions de loi émanant de différents groupes et allant dans le même sens pour faire face à l'impuissance devant laquelle se trouvaient les forces de police et de gendarmerie pour faire appliquer la loi. Ce problème demeurera, car les rodéos ont très souvent lieu avec des véhicules volés, dont la plaque d'immatriculation a été changée, et il est difficile de rattraper les auteurs dans des conditions de sécurité.
Ce texte est de nature à donner des moyens plus importants avec, notamment, la confiscation des engins, qui peut être opérée à tout moment. Il serait utile de recevoir les représentants de la police et de la gendarmerie nationales pour connaître concrètement les effets de ce texte. Il ne faudrait pas que ce nouveau texte ne change pas les choses...
M. Philippe Bas, président. - Il va de soi qu'il faudra confier à Mme le rapporteur le soin d'assurer le suivi de ce texte, en laissant au Gouvernement le temps de s'organiser, mais sans le lâcher sur cette question. On a trop souvent tendance à se payer de mots avec la loi sans qu'elle change la réalité. Il faudra que les moyens de mise en application de cette loi soient mobilisés.
Avant de donner la parole à M. Grosdidier, permettez-moi de lui rendre publiquement hommage pour l'excellent rapport de la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure - l'état moral des forces de l'ordre et la nécessité de procéder à un redressement - qu'il a commis, un travail reconnu qui honore notre institution.
M. François Grosdidier. - Merci, monsieur le président, de votre hommage, que je partage avec les membres de la commission d'enquête. Nous avons réalisé un travail sans présupposés, en toute objectivité, et dans un parfait consensus. Mon seul regret est que le Gouvernement n'ait pas l'intention, pour l'instant, d'en tenir compte.
Pour en revenir au sujet qui nous occupe, ayant été maire pendant dix-sept ans d'une ville comportant de nombreux quartiers dits sensibles, j'ai tout imaginé pour essayer de combattre le phénomène des rodéos, qui empoisonne la vie des quartiers : le bruit, le danger, l'insécurité, y compris pour ceux qui pratiquent ce type de sport. J'ai déploré plusieurs fois des blessés graves et même des morts. J'ai aussi pu constater toutes les difficultés auxquelles sont confrontées, avec l'arsenal juridique en vigueur, la police municipale et la police nationale pour mettre fin à ce phénomène, voire la quasi-impossibilité de le faire. À l'évidence, il faut le compléter.
Toutes les propositions formulées me semblent pertinentes, même s'il est extrêmement difficile de rattraper les contrevenants - on peut même parler de délinquants -sans prendre des risques inconsidérés pour les riverains et pour eux-mêmes. D'ailleurs, en vertu d'une circulaire du ministère de l'intérieur, la police nationale a ordre de ne pas poursuivre les contrevenants lorsque cela est susceptible d'entraîner un danger, ce qui suscite parfois l'incompréhension et une grande frustration de la population. La vidéoprotection est extrêmement efficace. Il faut adopter ce texte, qui est de nature à améliorer la réponse, si je puis dire, parce qu'il n'apporte pas la solution miracle.
Concernant le quantum des peines, celles-ci peuvent aussi sembler très élevées pour d'autres délits routiers - on peut aller en prison pour de très grands excès de vitesse, sans avoir cherché à mettre en danger la vie d'autrui -, mais il est extrêmement rare que le juge prononce la peine maximale ou une peine qui se situe dans la fourchette supérieure dès lors qu'il n'y a pas récidive ou circonstances aggravantes. En revanche, on espère que la peine maximale aura un effet dissuasif.
Mme Brigitte Lherbier. - La tension est vive dans les villes. Pour avoir été adjointe à la sécurité de la ville de Tourcoing, je puis vous assurer qu'il ne se passait pas une semaine, voire plusieurs jours, sans que l'on m'informe de situations exaspérantes.
J'approuve le fait d'avoir ciblé les organisateurs. À la frontière belge, des camions belges proposent régulièrement des motos pour l'amusement général, et nous avons dû intervenir à plusieurs reprises. J'approuve aussi la saisie des véhicules, car il était très difficile de mettre en oeuvre cette sanction. Mais le flagrant délit est-il vraiment nécessaire ? La vidéoprotection peut contribuer à identifier la personne à moto. Certains se sentent en impunité totale : ils agissent à visage découvert. J'espère et je pense très sincèrement que cette loi remédiera à cette situation. Sachez que l'adjointe à la sécurité routière de Roubaix a été renversée voilà quinze jours par une moto rodéo.
M. François Bonhomme. - Je partage les propos de mes collègues. Les rodéos sont devenus un véritable fléau social ; le renforcement de l'arsenal juridique est donc bienvenu. J'aborderai aussi la question de la promotion, par Internet, qui est partie intégrante des rodéos eu égard au caractère démonstratif ou mimétique, voire en raison du défi que ceux-ci représentent par rapport à l'autorité publique. De ce point de vue, la confiscation des véhicules sans attendre la récidive est un moyen fort pour mettre fin à certains agissements. Néanmoins, j'ai quelques doutes concernant l'augmentation des amendes. On voit les limites liées à l'insolvabilité des personnes condamnées. Ce texte est vraiment de nature à réduire ce phénomène social.
Mme Josiane Costes. - Merci, madame le rapporteur, de votre rapport complet et précis. Le phénomène des rodéos touche aussi des villages éloignés dans des campagnes profondes, où la vidéoprotection n'est pas mise en place. La confiscation du véhicule est la meilleure réponse, et elle aura un impact très positif.
M. André Reichardt. - Je voterai naturellement ce texte, même si j'émets, à titre personnel, les plus grandes réserves sur son applicabilité.
Sans reprendre ce qu'a dit François Pillet, le quantum des peines est élevé et il est évident que les peines d'emprisonnement ne seront jamais appliquées. Des peines aussi sévères pour ce type d'infraction ne présentent même pas le caractère pédagogique que certains veulent leur reconnaître. Par ailleurs, je crains que nous ne puissions pas mettre un terme aux rodéos pour les raisons qui ont été évoquées. Ce sera dramatique pour la puissance publique, qui sera désarmée face à ce phénomène. J'espère que j'aurai tort, et j'accueille avec beaucoup d'intérêt, monsieur le président, votre proposition de réaliser un suivi de ce texte. Ce texte est tellement attendu par la population qu'il serait terrible de constater sa totale inapplicabilité, comme je le pressens aujourd'hui. Regardons ce que nous pouvons faire pour redorer, si je puis dire, le blason de la puissance publique, en assurant un service après-vente de ce texte.
M. Philippe Bas, président. - Je partage votre point de vue : tout va se jouer dans la mise en oeuvre de ce texte. Rien ne serait pire que de communiquer sur un tel texte et que rien ne change !
M. Thani Mohamed Soilihi. - Mon groupe approuve l'excellent rapport de notre collègue et votera ce texte. Par ailleurs, je fais miennes les réserves émises par François Pillet, notamment sur le quantum et l'échelle des peines. En attendant que nous remettions un jour de l'ordre dans l'échelle des peines, nous pouvons heureusement faire confiance à nos juges. Je suis un peu plus optimiste que mon collègue André Reichardt. Figurent, dans notre arsenal juridique, le sursis avec mise à l'épreuve et la possibilité de sanctionner plus sévèrement les récidivistes : la peine de prison, même symbolique, s'impose à un multirécidiviste. Faisons confiance aux juges pour que, dans la pratique, ce texte nourrisse tous les espoirs que nous plaçons en lui.
M. Patrick Kanner. - Le président Sueur l'a évoqué, nous sommes d'accord pour voter ce texte. Toutefois, je voudrais qu'on le contextualise eu égard à la question de la politique de la ville. Ce sont souvent des quartiers issus de cette politique qui sont concernés par cette forme d'incivisme extrêmement violente. À cet égard, je vous invite à l'excellent colloque qui se déroulera demain matin, sur l'initiative du président Larcher et organisé par Philippe Dallier et moi-même, ainsi qu'à la lecture de notre interview croisée dans Le Parisien de ce matin : quelles que soient nos différences, nous pouvons avoir des points communs sur l'approche que nous avons de la politique de la ville. Je le dis devant Thani Mohamed Soilihi, nous sommes inquiets face à l'absence de réponse du Gouvernement : la politique de la ville n'est pas considérée comme un élément de prévention. Le secteur associatif notamment se voit fragilisé par la baisse du nombre de contrats aidés et ne peut pas intervenir pour traiter cette forme d'incivisme.
Dans la discussion générale, nous soulignerons qu'il faut bien sûr légiférer pour lutter contre les rodéos, mais qu'une loi ne règlera pas, à elle seule, les problèmes d'incivisme des jeunes dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il importe d'évoquer le contexte. Nous soutiendrons ce texte avec l'espoir que la politique de la ville ne passe pas par pertes et profits, alors qu'elle a été portée ici par les uns et les autres de manière continue depuis quarante ans.
Mme Catherine Troendlé. - Avec Michel Amiel, nous menons actuellement une mission d'information sur la réinsertion des mineurs enfermés. Même si les conclusions ne seront dévoilées qu'au mois de septembre, je puis néanmoins vous dire que la prévention est la meilleure des solutions. Aujourd'hui, on constate un déficit concernant le nombre d'éducateurs dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. La meilleure des sanctions est, selon moi, la confiscation des véhicules, puisque les auteurs de ces incivilités, voire, pour certains, de ces actes de délinquance, seront touchés au plus proche d'eux-mêmes.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - Même si chacun a une analyse quelque peu personnelle, un consensus se dégage sur ce texte.
Concernant le quantum des peines, il faut savoir que d'autres infractions au code de la route sont très sévèrement punies. Or nous ne pouvons pas être en deçà de ces infractions. Les peines ne seront probablement pas appliquées à leur maximum et les juges se prononceront en fonction des circonstances de l'infraction. Madame Benbassa, le travail d'intérêt général est prévu par la proposition de loi à titre de peine complémentaire. Eu égard à l'impunité qui règne dans les quartiers, certains sauront qu'avec ce texte ils risquent la prison. Cela ne représente peut-être rien pour certains, mais cela n'est pas neutre.
Il nous faudra demander au ministre quels moyens seront octroyés aux services de gendarmerie et de police pour procéder aux interpellations dans de bonnes conditions ; il conviendra peut-être de réécrire les trois notes actuellement en vigueur qui restreignent fortement la poursuite des individus en fuite. La vidéoprotection constitue effectivement, comme nombre d'entre vous l'avez rappelé, un outil très important pour interpeller le contrevenant après les délits.
L'incitation constitue aussi un délit important, car ce sont souvent des mineurs qui répondent à un appel sur les réseaux sociaux et peuvent se retrouver en danger.
Enfin, les peines complémentaires sont essentielles. La confiscation est le point majeur de ce texte ; c'est le seul moyen de protéger les habitants de ces quartiers. Aujourd'hui, les confiscations existent, mais dans un cadre légal très défini. La suspension du permis de conduire est également un outil très important.
Je partage l'avis exprimé par certains d'entre vous : il n'y aurait rien de pire que de faire une loi pour répondre à l'attente des élus et des citoyens et qu'elle soit inapplicable.
M. Philippe Bas, président. - Merci de ce complément d'information, madame le rapporteur, notamment sur le quantum des peines. Vous proposez donc d'adopter ce texte conforme.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
Les amendements COM-7 et COM-8 ne sont pas adoptés.
Mme Esther Benbassa. - Je m'abstiens.
La proposition de loi est adoptée sans modification.
M. Philippe Bas, président. - Je considère, mes chers collègues, que vous donnez mandat à Mme Jacqueline Eustache-Brinio de veiller à la mobilisation par le ministre de l'intérieur des moyens nécessaires à la mise en oeuvre de ce texte, une fois qu'il aura été adopté.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Proposition de loi relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes - Examen, en nouvelle lecture, du rapport et du texte de la commission
M. Philippe Bas, président. - Le parcours de cette proposition de loi est beaucoup trop long, alors que le Sénat avait adopté dès l'an dernier une solution qui nous paraissait satisfaisante.
M. François Bonhomme, rapporteur. - La navette parlementaire réserve parfois des surprises.
Constatant les graves dysfonctionnements que risquait de provoquer, sur nos territoires, le transfert obligatoire aux communautés de communes et d'agglomération de la distribution d'eau potable et de l'assainissement des eaux usées, prévu par la loi NOTRe, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, le Sénat, comme vous vous en souvenez, a adopté à une large majorité, le 23 février 2017, une proposition de loi, présentée par les présidents Philippe Bas, Bruno Retailleau et François Zocchetto ainsi que par notre collègue Mathieu Darnaud, visant à maintenir ces compétences parmi les compétences optionnelles de ces deux catégories d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre. Malgré le soutien du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, notre collègue député Fabrice Brun, cette proposition de loi fut renvoyée en commission par l'Assemblée nationale le 12 octobre 2017, et son examen reporté sine die. À l'automne 2017, un groupe de travail de seize parlementaires a néanmoins été constitué auprès de la ministre Jacqueline Gourault pour étudier cette question. Il a formulé trois recommandations : renforcer l'aide financière et technique au bloc communal ; permettre aux communes de surseoir au transfert de ces compétences jusqu'au 1er janvier 2026 et garantir la pérennité des syndicats d'eau et d'assainissement existants.
Devant le Congrès des maires, le 21 novembre 2017, le Premier ministre annonçait sa volonté, « pour une période transitoire, de donner la même souplesse que celle qui a prévalu pour la mise en oeuvre des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi), en laissant la possibilité de maintenir la compétence au niveau des communes si un certain nombre de maires s'expriment clairement en ce sens ».
Le 21 décembre 2017, nos collègues des groupes La République en Marche et MoDem de l'Assemblée nationale déposaient une proposition de loi censée mettre en oeuvre ces engagements. Ce n'était, malheureusement, pas tout à fait le cas.
Un texte d'initiative parlementaire ne pouvait, en vertu de l'article 40 de la Constitution, traiter de l'aide financière et technique susceptible d'être apportée par l'État aux communes et à leurs groupements dans le domaine de l'eau et de l'assainissement. En outre, s'il était prévu d'instituer une « minorité de blocage » permettant aux communes de s'opposer jusqu'en 2026 au transfert obligatoire de ces compétences, cette possibilité ne devait concerner que les communautés de communes, et non les communautés d'agglomération. Enfin, pour garantir la pérennité des syndicats d'eau et d'assainissement, il était proposé de revenir au droit commun de la « représentation-substitution » en ce qui concerne les communautés de communes, mais aucun assouplissement n'était prévu pour les communautés d'agglomération. Grâce au travail de la rapporteure de la commission des lois, notre collègue députée Émilie Chalas, cette dernière difficulté fut résolue dès la première lecture du texte par l'Assemblée nationale. En revanche, aucune avancée ne fut enregistrée sur les autres points. En outre, fut adopté un amendement prévoyant le rattachement systématique de la gestion des eaux pluviales et de ruissellement à la compétence « assainissement » des EPCI à fiscalité propre, ce qui soulevait de nombreux problèmes de droit et d'opportunité.
En première lecture, le Sénat, qui s'était déjà exprimé en faveur du maintien du caractère optionnel des compétences « eau » et « assainissement » des communautés de communes et d'agglomération, a réaffirmé cette position afin de laisser les élus libres de décider ou non du transfert de ces compétences, en fonction des réalités locales. L'extension aux communautés d'agglomération du mécanisme de la minorité de blocage aurait pu sembler un moindre mal, et un compromis aurait pu être recherché avec nos collègues députés sur ce terrain, mais l'opposition résolue du Gouvernement et de sa majorité rendait cette tentative vaine.
Le Sénat a, par ailleurs, clarifié les modalités de rattachement de la gestion des eaux pluviales à la compétence « assainissement » des communautés de communes et d'agglomération, en en excluant les eaux de ruissellement. Il a, en outre, adopté cinq articles additionnels visant à faciliter la gestion des services publics d'eau et d'assainissement ainsi que leur transfert au niveau intercommunal.
Aucun terrain d'entente n'a pu être trouvé en commission mixte paritaire. En nouvelle lecture, nos collègues députés ont commencé, en commission, par rétablir intégralement leur texte, sans tenir aucun compte des apports du Sénat ni des demandes des associations d'élus. En séance publique, toutefois, la majorité de l'Assemblée nationale semble avoir quelque peu entendu la nécessité d'apporter des assouplissements au texte. À l'initiative de la rapporteure et des deux groupes majoritaires, ont été adoptés plusieurs amendements qui vont dans le sens souhaité par le Sénat et témoignent d'un souci de pragmatisme, dont nous avions jusqu'ici déploré l'absence.
Ainsi, les communes membres des très nombreuses communautés de communes qui ne sont aujourd'hui compétentes qu'en matière d'assainissement non collectif pourraient, elles aussi, s'opposer jusqu'en 2026 au transfert du reste de la compétence « assainissement ». De plus, la gestion des eaux pluviales urbaines resterait une compétence facultative des communautés de communes ; elle deviendrait une compétence obligatoire des autres EPCI à fiscalité propre, mais toute référence à la gestion des eaux de ruissellement a été abandonnée.
Ces avancées ne répondent certes pas à l'ensemble des préoccupations exprimées par le Sénat, mais je vous propose d'aborder cette nouvelle lecture avec un esprit constructif, l'expérience ayant démontré qu'il n'était pas vain de tenter de faire valoir des arguments de bon sens.
À l'article 1er, je ne crois pas possible de trouver un terrain de compromis avec les députés. C'est pourquoi je vous proposerai de rétablir le texte adopté en première lecture par le Sénat, afin de maintenir sans limite de temps le caractère optionnel des compétences « eau » et « assainissement » des communautés de communes et d'agglomération.
Les articles 1er bis à 1er sexies, insérés par le Sénat en première lecture, ont tous été supprimés par l'Assemblée nationale, alors même qu'ils soulevaient des problèmes très concrets et que le Gouvernement avait marqué son intérêt pour certains d'entre eux. Je vous proposerai de rétablir trois de ces articles dans une rédaction améliorée, et j'ai bon espoir que ces apports seront repris par l'Assemblée nationale en lecture définitive. Quant aux deux autres articles, l'un est satisfait par le droit en vigueur et l'autre m'apparaît, à la réflexion, un peu excessif.
En ce qui concerne l'article 2, la répartition des compétences entre les communes et leurs groupements en matière d'eaux pluviales urbaines est aujourd'hui extrêmement confuse et pourrait donner lieu à de nombreux contentieux, à la suite d'une décision d'espèce du Conseil d'État de 2013, qui a fait l'objet d'une interprétation extensive du Gouvernement par voie de circulaires. La rédaction de l'article 2 adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture clarifie les choses de manière satisfaisante à compter de 2020. Je vous proposerai un amendement visant à lever une ambiguïté qui subsiste en ce qui concerne les communautés d'agglomération entre aujourd'hui et 2020. Pour ce qui est des situations juridiques antérieures à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, elles sont également clarifiées pour peu que l'on accorde aux dispositions de l'article 2 une portée interprétative.
Enfin, à l'article 3, je vous présenterai un amendement visant à clarifier le droit en vigueur en ce qui concerne la « représentation-substitution » des EPCI au sein des syndicats d'eau et d'assainissement.
M. Alain Marc. - Dans le cadre de la mission de contrôle et de suivi des lois de réforme territoriale, les présidents de communautés de communes que j'ai rencontrés il y a quelques jours avec Mathieu Darnaud et d'autres collègues nous ont confié que la proposition de loi sénatoriale qu'avait votée la ministre Gourault, alors sénatrice, donnait toute satisfaction en maintenant le caractère optionnel des compétences « eau » et « assainissement ».
Les observations formulées par le rapporteur me convainquent une fois de plus du bien-fondé du bicamérisme. Les députés ont sans doute été influencés par nos propositions. Tous les sénateurs ont été par ailleurs élus locaux. Ce n'est pas forcément le cas de la majorité des députés, qui ne comprennent peut-être pas grand-chose à la gestion quotidienne de ces compétences par les présidents de communautés ou les maires. Le bicamérisme est donc plus que jamais d'actualité. Un peu de simplicité et de bon sens : laissons les présidents de communautés décider ce qu'ils souhaitent. C'est un moindre mal de repousser l'échéance à 2026. J'espère que nous trouverons une solution d'ici là.
Mme Laurence Harribey. - Je remercie notre rapporteur d'avoir un esprit constructif et positif. Nous pouvions avoir des doutes lors de la réunion de la commission mixte paritaire ; nous avons été relativement surpris de voir quelques améliorations introduites à l'Assemblée nationale.
Sur le fond, notre groupe a toujours été favorable au renforcement et aux progrès de l'intercommunalité dans ce domaine. Cette question doit être abordée dans le cadre plus global de la politique de l'eau et de gestion d'ensemble de la ressource. Nous avions soutenu en 2017 la proposition de loi de MM. Bas et Retailleau : il nous semblait alors que les transferts prévus en 2018 et 2020 étaient irréalistes et qu'il convenait de se donner un peu de temps. D'où nos amendements en première lecture du texte aujourd'hui examiné, qui avaient pour objet d'étendre le dispositif de blocage aux communautés d'agglomération jusqu'en 2026, d'accorder le même droit d'opposition aux communes membres de communautés de communes qui exercent déjà partiellement la compétence « assainissement » et de rendre sécables les compétences relatives à l'assainissement, à la gestion des eaux pluviales et à celle des eaux de ruissellement. Aujourd'hui, nombre de communautés d'agglomération sont à demi rurales.
Le texte qui nous est présenté apporte deux assouplissements que nous avions défendus : le droit d'opposition en cas d'exercice partiel de la compétence et la sécabilité entre les eaux pluviales et l'assainissement, pour les seules communautés de communes.
Pour rester cohérents avec notre position, nous présenterons des amendements concernant les communautés d'agglomération et nous soutiendrons des amendements allant dans le sens des trois points clés que je viens de souligner.
M. Mathieu Darnaud. - Je remercie le rapporteur de l'important travail qu'il a réalisé : je me félicite des évolutions positives sur plusieurs points. La sécabilité est un sujet essentiel. Nous avions demandé, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'exercice des compétences des collectivités territoriales dans le domaine de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (Gemapi), un rapport sur la question des eaux pluviales, en vue de nous éclairer. Il est absolument nécessaire d'inclure également les communautés d'agglomération, car une immense partie de leur territoire est en zone rurale.
Comme l'a souligné Alain Marc, la question de l'eau et de l'assainissement est aujourd'hui le sujet d'inquiétude majeur des élus locaux. Je déplore le temps perdu par le Gouvernement sur un sujet comme celui-ci. Le Sénat a toujours voulu faire oeuvre utile, considérant qu'il était d'une impérieuse nécessité d'apporter des solutions sur ce sujet. Les élus de nos territoires sont totalement déboussolés. Ce sujet est particulièrement anxiogène dans nombre de nos territoires ruraux. Même si certaines questions restent en suspens, l'engagement de notre rapporteur pour faire évoluer encore ce texte est positif.
M. François Grosdidier. - Je salue moi aussi le travail du rapporteur. Il importe que nous en revenions à notre proposition initiale : rétablir la liberté pour les communes de transférer ou non leurs compétences « eau » et « assainissement ». Dès le vote de la loi NOTRe, la majorité sénatoriale a voulu faire prévaloir la liberté d'organisation sur le territoire et ne souhaitait pas imposer, par l'ajout de nouvelles compétences obligatoires, un modèle unique d'intercommunalité. Il faut faire confiance aux élus locaux pour s'organiser en fonction de leurs contraintes réelles. Cette philosophie n'a, hélas, pas prévalu. Lors de la réunion de la commission mixte paritaire, nous étions arrivés à un compromis : nous obtenions satisfaction sur ce qui risquait d'être modifié de façon irréversible, comme l'élection des conseillers communautaires par liste intercommunale, et nous avions fait des concessions sur les compétences nouvelles obligatoires, en repoussant les délais, avec l'idée de changer les choses avant l'échéance prévue, au bénéfice d'une alternance politique, qui n'a pas eu lieu dans le sens escompté...
Compte tenu des déclarations du Gouvernement et de la majorité présidentielle en faveur des libertés locales, du droit à l'expérimentation plutôt que de la contrainte, nous espérions cependant être entendus. Mais la tendance technocratique et centralisatrice se révèle la plus forte. Ce n'est pas une question de délais : il faut se demander s'il est pertinent ou non de transférer les compétences « eau » et « assainissement » aux EPCI à fiscalité propre sur tout le territoire. L'INSEE et la nature n'ont pas défini les mêmes périmètres !
Dans ces conditions, il convient de rétablir la liberté pour les communes et les intercommunalités de s'organiser en fonction des réalités du terrain.
M. Jean-Pierre Sueur. - Permettez-moi de faire un petit rappel historique. Je me souviens de la commission mixte paritaire sur la loi NOTRe où les députés - il s'agissait à l'époque d'une majorité différente - voulaient à toute force que le transfert des compétences s'opérât dès 2018. Grâce à la vigilance des représentants du Sénat, l'échéance a été repoussée à 2020. Nous avions aussi dit, à l'époque, qu'une nouvelle loi serait inévitable. C'est ainsi qu'en 2017 le Sénat a adopté une proposition de loi donnant à ce transfert un caractère optionnel. Un compromis aurait sans doute été envisageable avec l'Assemblée nationale par la suite, sous réserve d'apporter un certain nombre de garanties aux communes. Malheureusement, cela n'a pas été possible. Comme l'a dit Laurence Harribey, le groupe socialiste et républicain maintiendra, dans ces conditions, sa position.
Dans sa hâte, le législateur a créé des communautés d'agglomération rurales, bel oxymore... À ce propos, je constate avec inquiétude le recours toujours plus fréquent à la procédure accélérée, contre lequel nos collègues du groupe La République en Marche devraient aussi s'insurger. La seule exception concerne le projet de révision constitutionnelle, heureusement... Quoi qu'il en soit, la création d'une communauté d'agglomération est justifiée si l'on est en présence d'un tissu urbain continu. En revanche, qualifier d'agglomération une juxtaposition d'espaces sans unité pour pouvoir bénéficier de mannes financières de l'État, hypothétiques et pas toujours à la hauteur espérée, est absurde. C'est une facilité, à laquelle le législateur a eu la faiblesse de céder. Reconnaissons qu'il n'a pas été bon.
On me demande souvent ce qu'il advient du solde du budget annexe en cas de transfert de la compétence à l'intercommunalité. S'il est excédentaire, la commune doit-elle aussi le transférer ? Si le budget est en déficit, les maires seront naturellement heureux de transférer le solde avec la compétence. Il est donc à craindre, dans ces conditions, que les maires ne laissent filer le déficit... J'ai interrogé le Gouvernement qui m'a répondu qu'il revient aux élus concernés de trouver une solution par la concertation. Mais certains maires seront tentés de récupérer l'excédent du budget annexe au profit du budget de leur commune avant le transfert. Il serait souhaitable de clarifier la situation.
M. Philippe Bas, président. - Je partage votre sentiment sur les communautés d'agglomération rurales. Je ne sais pas si le législateur n'a pas été bon. Il est vrai que le débat s'est principalement concentré sur le seuil minimal de population des intercommunalités : devait-il être de 20 000 habitants comme le souhaitait l'Assemblée nationale ou de 10 000 comme le souhaitait le Sénat ? Finalement un compromis a été trouvé à 15 000 habitants. Personne n'envisageait à l'époque que les préfets puissent, sur le fondement de cette loi, forcer le passage pour créer des communautés d'agglomération en zone rurale... Le législateur a été trompé sur les intentions du Gouvernement. Il est dommage que le Gouvernement ne reconnaisse pas les spécificités des communautés d'agglomération en zones rurales. C'est une grande lacune du texte que nous examinons par rapport à la proposition de loi du Sénat, même si certaines de nos propositions seront reprises. Je ne suis pas satisfait de l'évolution de ce dossier.
Mme Maryse Carrère. - La CMP nous a laissé à tous un petit goût de déception, tant sur le fond que sur la forme. La majorité des membres du groupe du RDSE avaient voté le texte du Sénat en première lecture. Nous avons été en partie entendus sur la sécabilité entre l'assainissement, la gestion des eaux pluviales et celle des eaux de ruissellement. Je regrette toutefois que la plus-value apportée par le Sénat en première lecture n'ait pas été conservée par l'Assemblée nationale. Je pense en particulier aux amendements du RDSE, que le Sénat avait adoptés, relevant à 5 000 habitants le plafond en-deçà duquel les services d'eau et d'assainissement peuvent être financés par le budget général de la commune, autorisant le reversement aux communes des redevances perçues sur l'installation d'antennes, ou prenant en compte la spécificité des communautés d'agglomération situées en zone rurale. C'est dommage. Nous redéposerons nos amendements. La majorité du groupe du RDSE suivra la position du rapporteur.
M. Loïc Hervé. - Je n'ai pas voté la loi NOTRe. Je regrette comme vous l'attitude du Gouvernement et de l'Assemblée nationale sur certains sujets. Toutefois, n'est-il pas temps, pour nous sénateurs, au vu des échanges que nous pouvons avoir avec les élus locaux et les présidents d'intercommunalité, de cesser de faire miroiter aux élus locaux des dispositions dont on sait qu'elles ne seront pas adoptées, et de privilégier le compromis ? Le texte adopté par les députés en nouvelle lecture ne comporte-t-il pas suffisamment d'avancées pour que nous le votions ? Les élus ont besoin de clarté et de lisibilité. Jusqu'en novembre, j'étais président d'une intercommunalité. Nous avions lancé des études pour préparer le transfert des compétences « eau » et « assainissement ». Dès que le Parlement a commencé à travailler sur ce sujet, les études ont été arrêtées. Cessons ce jeu de va-et-vient coûteux et arrêtons une position claire pour les élus.
M. Philippe Bas, président. - Merci pour cette position originale.
M. Arnaud de Belenet. - Je salue le travail du rapporteur, qui a fait en sorte que les positions du Sénat soient mieux prises en compte. J'ai entendu la ministre, pendant les débats, témoigner d'une certaine ouverture sur les services publics d'assainissement non collectif ou la sécabilité, et manifester clairement une certaine gêne à propos des communautés d'agglomération. Je ne pense pas que la position de Loïc Hervé et du groupe Union Centriste soit originale, elle est simplement pragmatique et de bon sens. Les collectivités ont besoin d'y voir clair. C'est pourquoi nous devons viser un compromis. Nous connaissons la fermeté du Gouvernement et de l'Assemblée nationale sur ce sujet. Le temps est peut-être venu d'entériner le compromis que nous avons collectivement obtenu, et à l'aboutissement duquel les sénateurs LaREM, qui ont plusieurs fois été interpellés ce matin, n'ont peut-être pas été étrangers...
M. Philippe Bas, président. - Si j'ai qualifié la position de Loïc Hervé d'« originale », ce n'était pas par boutade, mais pour des raisons institutionnelles. Si la CMP avait été conclusive, nous aurions voté le texte de compromis sans hésiter. En l'absence d'accord en CMP, nous devons constater que certaines dispositions ne sont pas satisfaisantes. Les spécificités des communautés d'agglomération rurales ne sont pas reconnues et elles ne bénéficieront pas des assouplissements octroyés pour le transfert de compétences aux communautés de communes. L'Assemblée nationale se prononcera en dernier ressort. Si le Sénat veut faire aboutir ses positions, il doit adopter des amendements, faute de quoi l'Assemblée nationale ne pourra les reprendre, quand bien même elle le voudrait. Il ne s'agit donc pas d'une démarche d'opposition à l'Assemblée nationale. Certains apports du Sénat avaient été balayés par l'Assemblée nationale, mais depuis, le Gouvernement s'est montré plus ouvert à leur sujet. Ne renonçons pas au dernier moment à nos idées !
M. François Bonhomme, rapporteur. - En lecture définitive, l'Assemblée nationale ne peut modifier le dernier texte qu'elle a voté qu'en reprenant des amendements adoptés par le Sénat en nouvelle lecture. C'est pourquoi je vous propose des amendements de compromis, en espérant que les députés, dans un ultime effort, les reprennent. Vos propos sont convergents. Chacun souhaite laisser aux collectivités territoriales le soin d'apprécier le niveau le plus pertinent pour exercer les compétences. Comme l'a souligné François Grosdidier, le périmètre administratif des intercommunalités à fiscalité propre n'est pas toujours adapté à la gestion de l'eau qui, elle, dépend de réalités topographiques. Les équipes techniques risquent aussi de perdre leur savoir-faire à cause des regroupements. Comme l'a très bien dit le Président de la République, lors de la première Conférence nationale des territoires du 18 juillet 2017, « dans la très grande majorité des cas, les territoires savent mieux l'organisation qui est la plus pertinente pour eux » ! Tel est le fil directeur qui nous a guidés, ce qui ne m'empêche pas, à l'article 2, de proposer un amendement pour régler les contentieux qui ne manqueront pas de survenir si le texte n'évolue pas. La balle est dans le camp du Gouvernement. Je serais très heureux que nous parvenions à un accord, mais pas aux dépens de la liberté d'appréciation des collectivités territoriales.
Monsieur Sueur, dans sa rédaction initiale, l'article 1er sexies - introduit par le Sénat en première lecture et supprimé par l'Assemblée nationale - prévoyait le transfert obligatoire du solde du budget annexe à l'EPCI devenu compétent. Mon amendement COM-4 tend à rétablir cet article dans une rédaction modifiée, afin d'ouvrir la voie au transfert facultatif du solde budgétaire, par convention entre la commune et l'EPCI. En effet le transfert obligatoire risquerait de s'accompagner d'effets pervers. Ce serait un pousse-au-crime, une incitation au déficit.
M. Jean-Pierre Sueur. - Et que se passera-t-il s'il n'y a pas d'accord ?
M. François Bonhomme, rapporteur. - Il faut s'en remettre à l'intelligence des territoires. L'automaticité aurait, je le répète, des effets pervers. On a vu des communautés de communes organiser leur insolvabilité avant de fusionner avec d'autres communautés de communes... Nous préférons la voie de la convention, en espérant que la sagesse des parties l'emporte.
Madame Carrère, mon amendement COM-2 répond à vos préoccupations : pour éviter une hausse brutale des redevances à l'occasion du transfert des compétences à l'échelon intercommunal, je propose d'instituer une disposition transitoire permettant aux communautés de communes et d'agglomération comptant, parmi leurs membres, une ou plusieurs communes de moins de 3 000 habitants de prendre en charge une partie des dépenses liées aux services d'eau et d'assainissement dans leur budget général pendant une période de quatre années. Ce dispositif transitoire me semble préférable à un relèvement du seuil.
M. Philippe Bas, président. - Nous examinerons à la rentrée le projet de révision constitutionnelle. Cette proposition de loi illustre parfaitement le rôle que peut jouer le Sénat après l'échec d'une CMP. Il faut veiller à ce que le Sénat conserve des leviers pour défendre ses positions. Aujourd'hui, seuls les amendements adoptés par le Sénat peuvent être repris par l'Assemblée nationale après l'échec de la CMP. Il est vital de conserver cette procédure.
EXAMEN DES ARTICLES
M. François Bonhomme, rapporteur. - L'amendement COM-1, comme l'amendement identique COM-10, vise à rétablir le caractère optionnel du transfert des compétences « eau » et « assainissement ».
M. Alain Marc. - Supprimer la date butoir me semble intelligent. Beaucoup de communes n'ont pas encore réalisé leurs équipements d'assainissement. Si une date butoir était fixée, certains seraient tentés d'attendre cette date, sans rien faire, pour laisser l'intercommunalité en assumer la charge. Concernant les déficits du budget annexe, j'ai posé la question à la direction départementale des finances publiques et elle n'a pas su me dire ce qu'ils deviendraient. C'est une question qui relève de la loi de finances.
M. Loïc Hervé. - Pour les raisons que j'ai exposées, le groupe Union Centriste votera contre cet amendement.
M. Arnaud de Belenet. - Le groupe LaREM votera aussi contre cet amendement. Nous avons intérêt à chercher un compromis et à ne pas dissuader les ministres, attentifs au Sénat, de continuer à chercher à convaincre les députés.
Les amendements identiques COM-1 et COM-10 sont adoptés. Les amendements COM-11, COM-16 et COM-19 deviennent sans objet.
Articles additionnels après l'article 1er
Les amendements COM-12, COM-13 et COM-14 deviennent sans objet.
M. François Bonhomme, rapporteur. - Comme je l'indiquais, l'amendement COM-2 prévoit d'instaurer une disposition transitoire permettant aux communautés de communes et d'agglomération comptant, parmi leurs membres, une ou plusieurs communes de moins de 3 000 habitants de prendre en charge une partie des dépenses liées aux services d'eau et d'assainissement dans leur budget général pendant une période de quatre années.
L'amendement COM-2 est adopté. Les amendements COM-17 et COM-15 deviennent sans objet.
Article 1er quinquies (supprimé)
M. François Bonhomme, rapporteur. - Introduit par le Sénat en première lecture puis supprimé par l'Assemblée nationale, l'article 1er quinquies visait à autoriser un EPCI qui s'est vu mettre à disposition, pour l'exercice de ses compétences, un bien appartenant au domaine public d'une commune, à reverser à celle-ci tout ou partie du produit des redevances perçues pour son occupation ou son utilisation. Il en va ainsi, par exemple, lorsqu'une antenne-relais est installée sur un château d'eau. L'objectif poursuivi semble pertinent. Il y a tout lieu de lever les obstacles financiers susceptibles d'entraver les transferts de compétence lorsque ceux-ci répondent à la volonté des élus et à l'intérêt général. L'amendement COM-3 vise donc à rétablir l'article 1er quinquies dans une rédaction clarifiée et étendue à tous les cas de transfert de compétences à un EPCI ou à un syndicat mixte.
L'amendement COM-3 est adopté. L'amendement COM-18 devient sans objet.
M. François Bonhomme, rapporteur. - Dans sa rédaction initiale, l'article 1er sexies rendait obligatoire le transfert du solde budgétaire d'un service public à caractère industriel ou commercial à l'EPCI devenu compétent. L'amendement COM-4 vise à rétablir cet article dans une rédaction modifiée, afin d'ouvrir la voie au transfert facultatif du solde budgétaire par convention entre la commune et l'EPCI.
M. Jean-Pierre Sueur. - Peu importe que le solde soit positif ou négatif ?
M. François Bonhomme, rapporteur. - Oui.
M. Jean-Pierre Sueur. - Cet amendement est sympathique, mais je crains qu'il n'ait pas d'effets : si les parties ne parviennent pas à s'entendre, les juges risquent de considérer qu'il n'y a aucune obligation de transfert du solde.
Mme Josiane Costes. - Il y a eu, en effet, une décision du Conseil d'État en ce sens.
M. Jean-Pierre Sueur. - Pourquoi refuser l'automaticité du transfert ?
M. François Bonhomme, rapporteur. - Il s'agit d'éviter les comportements stratégiques.
M. Jean-Pierre Sueur. - La non-automaticité entraînera aussi des effets pervers. Des maires vont vouloir récupérer l'excédent au profit de leur commune.
M. François Bonhomme, rapporteur. - Inversement, si le transfert est obligatoire, les cas d'insolvabilité organisée risquent de se multiplier. Cet amendement est conforme à la philosophie du Sénat, qui est de faire confiance aux élus locaux.
L'amendement COM-4 est adopté.
M. François Bonhomme, rapporteur. - L'amendement COM-5 répond à un souci de sécurité juridique.
L'amendement COM-5 est adopté.
M. François Bonhomme, rapporteur. - L'amendement COM-6 est de cohérence.
L'amendement COM-6 est adopté.
Article additionnel après l'article 2
M. François Bonhomme, rapporteur. - L'amendement COM-9, rejeté par le Sénat en première lecture, n'a de relation directe avec aucune disposition restant en discussion de la proposition de loi. Il est donc contraire à la règle dite de l'« entonnoir ».
L'amendement COM-9 est déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution et de l'article 48, alinéa 6, du Règlement du Sénat.
M. François Bonhomme, rapporteur. - L'amendement COM-7 vise à clarifier les règles de « représentation-substitution » en matière d'eau et d'assainissement, afin qu'elles s'appliquent, non pas aux syndicats regroupant des communes appartenant à deux ou à trois EPCI à fiscalité propre, selon le cas, mais aux syndicats exerçant leur activité sur le territoire de deux ou trois EPCI à fiscalité propre. Cela correspond à l'interprétation du droit en vigueur faite par le ministère de l'intérieur.
L'amendement COM-7 est adopté.
Intitulé de la proposition de loi
M. François Bonhomme, rapporteur. - L'amendement COM-8 tend à rétablir la mention des communautés d'agglomération dans l'intitulé de la proposition de loi.
L'amendement COM-8 est adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion est close à 11 h 30.