Mercredi 4 juillet 2018
- Présidence de M. Robert del Picchia, vice-président -
La réunion est ouverte à 11 heures.
Politique étrangère des Etats Unis - Audition de Mme Maya Kandel, responsable des Etats-Unis et des relations transatlantiques au Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères
M. Robert del Picchia, président. - Je suis heureux d'accueillir Mme Maya Kandel, universitaire et, depuis quelques mois, en charge des Etats-Unis et des relations transatlantiques au Centre d'analyse et de prévision du ministère des affaires étrangères (CAPS). Madame Kandel est déjà intervenue à plusieurs reprises devant notre commission au moment des élections américaines en 2016.
Aujourd'hui nous sommes à la veille des « mid-terms », ce qui a peut-être une incidence sur certains développements récents de la politique étrangère américaine, mais je crains que nous ne soyons devant un mouvement plus profond de réorientation.
Est-ce un retour à l'unilatéralisme avec le retrait des traités de Paris sur le climat, du traité sur le nucléaire iranien et la sortie de la commission des droits de l'homme des Nations unies ?
Est-ce un retour au protectionnisme avec l'imposition de droits de douanes sur les produits importés de Chine, mais aussi des pays de l'ALENA et de l'Union européenne ?
Est-ce une logique purement économique ou une réaction devant une montée en puissance chinoise contestant la suprématie américaine ?
Comment dès lors comprendre que ces mesures s'appliquent aux plus proches alliés des États-Unis au risque d'une rupture du lien transatlantique ?
Plus généralement, cela pose la question de la stabilité des alliances et la capacité des Etats-Unis à incarner le leadership de la démocratie occidentale et de ses valeurs, qui était le sien depuis 1945, de la part de l'initiative personnelle du président actuel et de celle de mouvements plus profonds de la société américaine.
Nous avons hâte de vous entendre, sans plus attendre, je vous cède la parole.
Mme Maya Kandel, chargée des États-Unis et des relations transatlantiques, au Centre d'analyse, de prévision et de stratégie du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. - Je vais essayer de faire le point sur la réorientation de la politique étrangère américaine après 18 mois de présidence Trump. Je procèderai en trois temps : d'abord en dressant un tableau général de l'évolution 2018 par rapport à 2017 et montrer qu'il y a une vraie rupture dans la politique suivie, puis pour préciser s'il existe une « doctrine Trump » compte tenu de la double spécificité du moment actuel en distinguant ce qui relève de la personnalité du président et ce qui relève d'une remise en question de la politique étrangère américaine, commencée bien antérieurement. Je serai ensuite à votre disposition pour aborder les principaux dossiers en réponse à vos questions.
Premier point à souligner : sur le plan intérieur, les républicains devraient perdre la Chambre des représentants à l'occasion des élections de mi-mandat, mais pas le Sénat, il n'y a donc plus guère d'action à attendre sur ce plan. Il faut donc s'attendre à ce que Trump se concentre sur l'international, où il a davantage de marges de manoeuvre.
A l'intérieur, ce seront surtout des guerres verbales, tweets et surenchères, domaines où Trump excelle. On constate que plus il provoque, plus ses critiques surréagissent, plus les républicains le soutiennent, au-delà de sa base d'ailleurs (90% des républicains) - et mieux, il progresse dans les sondages. C'est sans doute une stratégie cynique, mais elle fonctionne si l'on se réfère au dernier sondage Gallup qui lui donne une popularité record à 45% d'opinions positives soit l'équivalent à Obama, Reagan, Clinton ou Carter au même moment de leur mandat. Cette popularité est aussi un facteur crucial qui lui donne d'importantes marges de manoeuvre vis-à-vis du Congrès qui joue un rôle important en matière de politique étrangère des États-Unis. Le très bon état de l'économie américaine, et surtout son principal succès législatif, la réforme fiscale, mettent le secteur privé de son côté, du moins pour l'instant, en attendant l'effet de l'augmentation des tarifs des droits sur les importations.
J'en viens au tableau général, on parlait en 2017 de période de « régence » pour la première année du mandat de Trump, pendant laquelle les « adultes », c'est-à-dire des conseillers expérimentés du président, fixaient les orientations de la politique étrangère. Cette période a pris fin, et Trump aujourd'hui a repris la main, il l'a dit en interview : la Maison Blanche, c'est lui, il n'écoute pas ses conseillers et dynamite tous les processus de décision connus.
Le président Trump considère, avec raison, que ce sont ses instincts qui lui ont permis de l'emporter envers et contre tous. Depuis le début 2018, on observe donc qu'il revient à ses promesses de campagne et les applique : cela explique que la plupart des « adultes », tenants d'une continuité de la politique étrangère, ont démissionné comme Gary Cohn, conseiller pour l'économie, ou le plus souvent ont été, comme Rex Tillerson, secrétaire d'Etat, remercié par tweet, ou encore le général McMaster, conseiller à la sécurité nationale ; d'autres comme le général Kelly, secrétaire général de la Maison Blanche, sont aujourd'hui marginalisés.
S'il y a eu un flottement l'an dernier, c'est avant tout parce que Trump et son entourage ne s'attendaient pas à gagner et n'étaient pas prêts. On a des témoignages aujourd'hui sur cette période, des ouvrages de journalistes. Ce flottement a été accentué par les échecs du Congrès sur le rejet de l'Obamacare et par les décisions de certaines cours de justice qui ont retoqué ses décrets sur l'immigration. On a pu croire que Trump serait digéré ou du moins domestiqué par le système, par la bureaucratie. Ce temps est révolu et nos interlocuteurs à Washington, j'en reviens, certains dans l'administration, nous disent : voilà la position officielle, les documents existants, mais on ne sait pas ce que le président va décider, ce qui est une situation assez inédite.
Si l'on doit dégager, aujourd'hui, les grandes lignes de la politique étrangère des États-Unis en termes de continuité et de ruptures, le premier point est de souligner la continuité sur les engagements militaires.
Cela s'explique par deux facteurs. Le premier, c'est la présence de secrétaire à la défense, le général Mattis seul « adulte » qui reste au sein de l'exécutif. Le second est le fait que Trump a délégué au Pentagone et aux commandements combattants un large pan de la décision sur le plan militaire. On a vu, l'an dernier une intensification des bombardements sur différents théâtres d'opérations, de la présence au sol en Afghanistan, mais on agit toujours selon les modalités définies par l'administration Obama au titre de la doctrine dite de l' « empreinte légère » avec l'emploi des drones, de surveillance et armés, des forces spéciales, préférence pour des bombardements à haute altitude et aux mercenaires avec un moindre engagement des militaires au sol. J'insiste toutefois sur cet aspect, avec un pays en guerre, engagé sur une dizaine de théâtres et qui dispose de bases des militaires dans une centaine de pays, on ne peut parler d'isolationnisme que l'on confond souvent avec l'unilatéralisme. Ce sont des notions différentes.
Autre point important parce qu'il s'agit d'une obsession de Trump, la destruction de l'héritage de son prédécesseur Obama est achevée pour la politique étrangère : les Etats-Unis sont sortis des Accords de Paris sur le climat, l'ouverture à Cuba a été réduite, l'accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) a été dénoncé.
Les autres ruptures principales répondent à des préoccupations de politique intérieure plus qu'à une vision stratégique internationale. Je pense notamment à l'installation de l'ambassade des Etats-Unis à Jérusalem qui est une réponse à l'une des bases électorales de Trump qui sont les chrétiens évangéliques qui ont voté pour lui à 80% et qui le soutiennent toujours, aussi contre intuitif que cela puisse paraître. Je pense aussi aux mesures concernant l'immigration et le commerce. Là on a les deux principales caractéristiques de la ligne America First définie pendant la campagne présidentielle.
Dans ces ruptures, on a un assaut général contre le multilatéralisme qui se développe contre les institutions internationales, contre les alliances et les accords dans lesquels les Etats-Unis sont engagés, ce que Trump appelle la guerre au « globalisme ».
Pour terminer, il existe aujourd'hui trois incertitudes : la Corée du Nord, la Russie - sur ce dossier, le sommet de l'État fait montre d'une véritable schizophrénie - et le Moyen-Orient - avec le gendre du président, Jared Kushner, à la manoeuvre, et assez peu d'informations sur le fameux plan de paix.
L'an dernier, nous avions pu nourrir quelques inquiétudes quant à une éventuelle guerre avec la Corée du Nord ou l'Iran ; en réalité, cette hypothèse est peu probable. En effet, sur ce point, Donald Trump ressemble à Ronald Reagan : un président qui parle fort mais qui agit de manière mesurée - je vous renvoie à l'invasion de l'île de la Grenade en 1983, alors qu'à cette époque Ronald Reagan parlait de « l'Empire du mal ». La base électorale de Donald Trump ne souhaite pas de nouveau conflit armé, sans toutefois écarter la possibilité d'une réaction forte à une provocation ou une humiliation ; il s'agit là d'un sentiment jacksonien, le président ne voulant pas paraître faible.
La politique étrangère de Donald Trump pose deux questions principales : que peut-il et que veut-il ? Pour répondre à cette dernière question, il faut prendre en compte la personnalité « originale » du président américain, mais également la crise que traverse la politique étrangère américaine, antérieure à l'arrivée de Donald Trump au pouvoir. Cette crise s'explique, au plan intérieur, par le fait que les classes moyennes et populaires ne soutiennent plus le rôle de « gendarme du monde » des États-Unis, et au plan international, par le déclin relatif de la puissance américaine et donc de sa capacité d'influence et d'action.
Que peut Donald Trump ? A-t-il les mains libres et jusqu'à quel point ? La politique étrangère américaine est un processus collectif ; pourtant, Donald Trump garde la haute main sur ce domaine. Il possède des marges de manoeuvre importantes vis-à-vis du parti républicain, car il est en train de dynamiter le paysage politique et la ligne partisane traditionnelle qui oppose les fédéralistes aux anti-fédéralistes quant à la place de l'État dans la société - small vs big government. En effet, depuis la campagne présidentielle de 2016, le débat a évolué et oppose aujourd'hui les « globalistes » aux nationalistes. Cette nouvelle ligne est transpartisane et explique l'impuissance du Congrès américain : certes, le parti républicain est majoritaire mais il apparaît désormais divisé, et la polarisation extrême de la classe politique limite les solutions de compromis et offre ainsi une certaine liberté à Donald Trump.
La Constitution offre des pouvoirs au Congrès pour permettre de contenir un président trop interventionniste sur la scène internationale, mais ne peut le contraindre à être plus actif. Par ailleurs, pour les raisons évoquées précédemment, le Congrès n'est pas à même de s'emparer de la politique étrangère. En outre, depuis la guerre menée contre le terrorisme (2001), le Congrès a délégué plusieurs prérogatives au président : pouvoirs de guerre, commerce, traités, etc. Son dernier pouvoir est budgétaire, ce qui lui a permis de contrecarrer plusieurs projets présidentiels comme le financement du mur à la frontière mexicaine, la diminution du budget du département d'État, ou encore la baisse des crédits alloués à l'initiative de réassurance européenne. En outre, des propositions de loi et des amendements ont été déposés afin de rétablir la précédente fiscalité sur les importations d'aluminium et d'acier en provenance de pays alliés (Union européenne, Mexique, Canada), de rétablir l'interdiction d'importer des produits chinois de marques ZTE et Huawei, ou encore d'encadrer la conclusion d'un éventuel accord nucléaire avec la Corée du Nord.
La crise que traverse la politique étrangère américaine trouve son origine à la fin de la guerre froide. Le slogan « America First », né dans les années 30, a été réutilisé en 1992 par Pat Buchanan, alors adversaire de George Bush aux primaires républicaines. Cette crise a ensuite été mise entre parenthèses par les attentats du 11 septembre 2001, mais a ressurgi avec l'échec des guerres de George W. Bush et la crise économique. En 2008, Barack Obama avait d'ailleurs, en partie, été élu sur une critique de la politique étrangère américaine (Irak, nation-building at home). Cette politique, critiquée par les classes moyennes et populaires qui considèrent qu'elle leur nuit, fut portée lors des primaires de 2016 par Donald Trump et Ted Cruz - qui ont recueilli près des trois quarts des voix républicaines -, mais aussi par le démocrate Bernie Sanders, pour des raisons totalement différentes.
Il existe un réel lien de filiation entre Donald Trump et Barack Obama. Toutefois, le président actuel va plus loin en souhaitant détruire l'ordre international et les institutions créées et soutenues par les États-Unis, et en étant plus dur avec les alliés des États-Unis qu'avec ses adversaires, avec une curieuse appétence pour les dirigeants autoritaires. L'impact de la réorientation politique menée par Donald Trump ne doit pas être sous-estimé car elle fait écho à une vision alternative des relations internationales contemporaines, portée par les partis populistes, mais aussi par des acteurs étatiques comme la Russie. Trois grands traits la caractérisent : une obsession de la souveraineté, une hostilité à toute forme de multilatéralisme, et une fermeture des frontières au commerce et à l'immigration. En ce sens, et comme en attestent plusieurs documents stratégiques américains publiés en fin d'année dernière, Donald Trump clôt la période post-guerre froide. Il mène un assaut général et destructeur contre le « globalisme » en retirant les États-Unis de plusieurs accords (partenariat transpacifique) ou en menaçant de le faire (ALENA, OTAN), et en fragilisant de grandes institutions internationales (ONU, UNESCO, G7, etc.). La presse américaine évoque même un projet de loi en préparation visant à retirer les États-Unis de l'OMC.
Le monde tend donc vers une multipolarité sans multilatéralisme, c'est-à-dire avec moins de coopérations et plus de conflictualité et de risques. Néanmoins, cette remise en question pourrait permettre à l'Europe d'avancer en devenant plus unie et plus puissante, d'aplanir les différends avec la Corée du Nord, et de contraindre la Chine à agir selon des règles commerciales plus équitables.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - L'éditorialiste d'un grand hebdomadaire écrivait que « Le président Trump rétrécit l'Amérique ». Est-ce que sa politique étrangère participe de ce rétrécissement ? Est-il possible de continuer dans le rapport de force, le bluff, la rupture ? Le comportement actuel de Trump est-il conjoncturel, lié aux élections, ou bien faut-il s'habituer à cet abandon du multilatéralisme ?
Mme Maya Kandel. - Quelle importance donner aux tweets ? En diplomatie, les paroles comptent. C'est ce poids de la parole présidentielle qui échappe le plus aux autres acteurs. L'année dernière, beaucoup de gens disaient ignorer les tweets. Mais cela s'est avéré impossible. Par exemple, le limogeage de Rex Tillerson a eu lieu par ce biais. Grâce aux tweets, Trump est en prise avec son électorat et avec le monde.
Il y a toujours eu un débat aux Etats-Unis entre, d'une part, la posture de grande puissance qui s'efforce de promouvoir un ordre international libéral, démocratique et ouvert, posture qui a été celle de Clinton et de Bush, et, d'autre part, la posture « kissingerienne » de « balance of powers » dans un monde multipolaire, chaque grande puissance régnant sur sa sphère et poursuivant pour le reste ses seuls intérêts. C'est cette dernière posture que Trump a choisie, ce qui n'est pas absurde dans un contexte de montée des égoïsmes à l'échelle internationale. Mais c'est un problème pour l'Europe, qui n'a pas fait le choix de ce rapport de force. La France étant un cas un peu à part avec son outil militaire.
M. Joël Guerriau. - Quelles sont vos prévisions sur les effets du protectionnisme ? Cela ne va-t-il pas finalement se retourner contre les États-Unis ? Renforcer la position chinoise ? Et que peut-on attendre de la rencontre Juncker/Trump ?
Mme Maya Kandel. - La stratégie des États-Unis vis-à-vis de leurs alliés risque en effet d'avoir des conséquences contreproductives à long terme. Déjà des entreprises annoncent leur délocalisation, ce qui suscite l'inquiétude des sénateurs notamment. Il est possible que Trump recule sur les droits de douane, surtout si la bourse chute, car il demeure un businessman. Il y a aussi une grande crainte sur le retard pris par rapport à la Chine, notamment avec la route de la soie et l'intelligence artificielle : les Etats-Unis pensent revivre un « spoutnik moment ». Sur la rencontre avec Juncker, Trump aimerait tout ramener au bilatéral pour pouvoir jouer le rapport de force. Il se focalise toujours sur deux choses s'agissant de son interlocuteur : le budget défense et le solde commercial par rapport aux États-Unis.
M. Yannick Vaugrenard. - Trump n'a-t-il pas finalement pour seule ligne de conduite de faire le contraire de ce qu'a fait Obama ? Dans le cadre de l'OTAN, ne va-t-il pas demander bien plus aux Européens ? Nous sommes dans une économie mondialisée contre laquelle d'ailleurs beaucoup se révoltent. La Chine possède une grande partie de la dette et tout se tient...
M. Hugues Saury. - Depuis l'élection de Trump, on assiste à une très forte hausse du budget de la défense, qui atteint près de 700 milliards de dollars. Ceci n'est-il pas contradictoire avec la volonté de ne plus jouer les gendarmes du monde ? Enfin, la politique étrangère de Trump n'est-elle pas avant tout un outil de politique intérieure ?
M. Richard Yung. - Il est vrai qu'une énorme augmentation du budget de la défense a eu lieu dans le récent plan de relance américain. Or, vous avez parlé de déclin militaire. N'est-ce pas contradictoire ?
Mme Maya Kandel. - Effectivement, sur le climat, Cuba et l'Iran, il y a la volonté de faire le contraire de ce qu'a fait Obama. Mais en réalité, Trump rencontre sur ces différents points la volonté profonde des Républicains. En outre, quand les Républicains ont remporté les élections au Congrès en 1995, ils ont fait voter une loi sur l'installation de l'ambassade américaine à Jérusalem, sauf avis contraire du Président. Tous les présidents s'étaient opposés à ce transfert jusqu'à présent, pour des raisons de sécurité nationale.
Il est vrai qu'il y a une révolte globale contre la mondialisation, mais paradoxalement la réforme fiscale de Trump n'atténue absolument pas ses effets, au contraire elle bénéficie aux gagnants de la mondialisation.
Les deux chambres se sont mises d'accord sur un budget défense de 675 millions de dollars annuels. Est-ce contradictoire avec l'isolationnisme ? On peut faire une comparaison avec Reagan : il avait augmenté les dépenses militaires mais négocié la fin de la guerre froide. Les Etats-Unis entendent rester une grande puissance, mais moins comme gendarmes et davantage comme forteresse, prêts à frapper ponctuellement si les intérêts du pays sont menacés, et tout en gardant un oeil sur ce qui se passe dans le monde. Et beaucoup d'électeurs de Trump sont des militaires du Sud du pays, ils sont favorables à un gros budget militaire.
Il y a bel et bien un déclin de la puissance américaine en termes relatifs, surtout sur le plan économique. Nous ne sommes plus dans les années 90 : aujourd'hui, le budget de défense américain n'égale plus que la somme des budgets de défense des cinq premières puissances militaires après les États-Unis, qui comprennent des pays non alliés, alors qu'à l'époque, il égalait le budget défense des dix pays suivants, tous des alliés. En outre, ce budget comporte de fortes dépenses de sécurité sociale et des programmes d'armement excessivement coûteux. Il ne leur a d'ailleurs pas permis de gagner leurs dernières guerres. Mais ils disposent toujours du réseau des bases américaines, et de leurs alliances, qui sont toutefois en déclin du fait de la politique de Trump.
M. Ladislas Poniatowski. - Merci pour vos propos nuancés : il est ridicule de ne faire que critiquer Trump comme tous les journalistes américains, qui n'ont pas compris que c'est ce que ses électeurs apprécient. Le socle de Trump s'est renforcé. Et malgré cela les Républicains perdraient les prochaines élections ?
M. Pierre Laurent. - Quelles conséquences pourrait avoir le résultat de la récente élection présidentielle au Mexique ? Par ailleurs, quel est l'état de l'opposition démocrate depuis la défaite d'Hillary Clinton à la présidentielle de 2016 ?
M. Pascal Allizard. - Je voudrais revenir sur les relations avec la Chine. La Chine s'est remise à vendre de la dette américaine et elle vient de mettre au point un contrat à terme sur le pétrole libellé en yuan et convertible en or sur les bourses de Shanghai et de Hong-Kong. J'ajoute qu'elle s'intéresse fortement aux relations commerciales avec l'Amérique latine ce qui inquiète les Etats-Unis qui d'ailleurs viennent de rebasculer des forces militaires sur le Pacifique et qui vont expliquer dans quelques jours aux Européens qu'il va falloir qu'ils se prennent un peu plus en charge à l'OTAN. On est dans une nouvelle phase, pensez-vous que l'offre chinoise soit une véritable alternative à un monde américano-centré dans le nouvel ordre mondial, ce qui marquerait la fin de la suprématie des Etats-Unis ?
Mme Maya Kandel. - Sur la politique intérieure, les prochaines mid-terms vont renouveler la totalité de la Chambre des Représentants et un tiers du Sénat. Jusqu'à la semaine dernière, les Républicains pensaient perdre leur majorité à la chambre, mais vous avez raison, il faut tempérer cette appréciation. D'abord, parce qu'on s'est pas mal trompé dans les prévisions des résultats des élections ces dernières années. Ensuite, parce qu'aux Etats-Unis, c'est une particularité, les Américains votent très peu, la participation est faible et ce qui fait le résultat des élections parlementaires, mais présidentielles également, c'est la mobilisation. On le voit aussi bien dans l'élection d'Obama et dans celle de Trump. Ce qui va se jouer dans les mid-terms, c'est de savoir qui va réussir à mobiliser le plus son camp. Jusqu'à maintenant, tous les pronostics prévoyaient une vague démocrate, avec l'idée d'un camp républicain un peu las et une opposition démocrate très mobilisée. En fait, cette équation est en train de changer en ce moment et d'autant que Trump va pouvoir nommer un nouveau juge à la Cour Suprême. C'est un combat politique traditionnel, non seulement de la base évangélique, mais de l'ensemble de l'électorat républicain, car c'est une décision qui a des conséquences sur toute une génération puisque les juges sont nommés à vie et que Trump va sans doute nommer des juges jeunes. Le départ du juge Kennedy est importante et deux autres juges, notamment démocrates, sont âgés ce qui ouvre potentiellement des possibilités pour le président d'ici la fin de son mandat ou du mandat suivant s'il est renouvelé. Le deuxième aspect, c'est la médiatisation de certaines questions comme l'immigration. On a vu l'émoi qu'a suscité la décision de séparer les enfants de migrants de leurs parents, y compris dans les sphères religieuses et le recul de Trump sur ce dossier, mais les démocrates ont eu une réaction irréaliste en se prononçant pour la suppression du service de contrôle aux frontières. Cette outrance de l'opposition et de certains médias pourraient bien faire gagner les Républicains aux prochaines élections.
S'agissant des relations avec le Mexique, à la suite de l'élection à la présidence du candidat de la gauche Andrès Manuel López Obrador, elle intervient dans un contexte de relations dégradées ; quand on analyse le fil tweeter de Donald Trump, les principaux adversaires sont avant tout des alliés de l'Allemagne de Mme Merkel, le Canada et le Mexique. Trump a été une figure du débat présidentiel au Mexique. Le président américain est très impopulaire au Mexique. Cela étant, on connaît mal, aux Etats-Unis, la personnalité de López Obrador, est-il un populiste qui aurait des points communs avec Trump ? Il n'y a pas de positionnement stratégique à Washington sur ce sujet. Il faut disposer d'un peu de recul pour analyser cette question.
Concernant la situation du parti démocrate depuis la défaite de Mme Clinton, elle est assez dramatique. Le parti est divisé. On le voit bien avec la désignation comme candidate à la Chambre des représentants lors des primaires, d'une jeune femme de 28 ans, qui avait fait campagne pour Sanders, originaire du Bronx, serveuse, qui a largement battu le bras droit de Nancy Pelosi, lequel était pressenti pour être le Speaker de la Chambre en cas de victoire des démocrates. Il y a une sorte de clivage entre l'extrême-gauche et le centre. L'issue n'est pas encore certaine. La question est de savoir si des candidats de la gauche sans expérience politique avec des programmes très à gauche pour les États-Unis, peuvent l'emporter face à des candidats républicains. C'est une grande interrogation au sein du parti démocrate. Le parti est aujourd`hui déchiré.
On n'est pas encore dans un monde post-américain. Tant que le dollar reste la monnaie de référence internationale, les Etats-Unis conserveront une grande influence, même dans un système de Bretton Woods dégradé et à ce stade, on ne voit pas quelle pourrait être l'offre alternative de la Chine. Mais nous sommes peut-être déjà entrés dans une période de transition. Rappelons-nous que les Etats-Unis étaient déjà la première puissance économique à la fin du XIXe siècle et qu'ils étaient peu enclins à prendre des responsabilités et des engagements internationaux. La relève de l'Empire britannique a été longue et n'a été complètement effective qu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale avec la menace soviétique. N'assiste-t-on pas à une transition du même ordre des Etats-Unis vers la Chine. ? C'est déjà ce qui semble se passer dans la région Asie-Pacifique où l'hégémonie américaine est peut-être comptée, beaucoup de gens ne sont pas d'accord avec cette évolution aux États-Unis mêmes. Mais après tout, Trump et le Pentagone réfléchissent à un retrait éventuel des soldats américains de Corée du Sud. S'il y a désengagement d'un côté, il y aura une ascension chinoise. L'offre alternative peut être lue à la lumière de la déclaration de Xi Jinping à Davos en janvier 2017 où la Chine se positionnait en défense d'un ordre économique mondial, pas libéral au sens des valeurs démocratiques. Ces normes sont moins importantes pour les Chinois. Dans le document de stratégie de défense publié début 2018, on voit bien cette dimension de l'influence grandissante de la Chine en Amérique latine, en Afrique et Europe, on peut se demander si ce ne seront pas des terrains d'affrontement avec les Etats-Unis. Obama disposait d'une stratégie d'ensemble qui liait les domaines politique, économique et militaire. Avec les décisions protectionnistes de Trump, si elles sont maintenues, on assiste à une certaine déconnexion entre ces domaines.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 10.