- Jeudi 5 juillet 2018
- Avenir de la chaîne France Ô - Audition de Mme Isabelle Giordano et de M. Frédéric Lenica, membres de la commission de concertation sur la réforme de l'audiovisuel public
- Avenir de la chaîne France Ô - Audition de M. Walles Kotra, directeur exécutif en charge de l'outre-mer à France Télévisions
- Avenir de la chaîne France Ô - Audition des représentants du collectif « Sauvons France Ô »
Jeudi 5 juillet 2018
- Présidence de M. Michel Magras, président -Avenir de la chaîne France Ô - Audition de Mme Isabelle Giordano et de M. Frédéric Lenica, membres de la commission de concertation sur la réforme de l'audiovisuel public
M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, nous devions accueillir ce matin Mme Catherine Smadja-Froguel, chargée de mission sur la réforme de l'audiovisuel public. Empêchée, Mme Smadja-Froguel est représentée par deux autres membres de la mission de concertation sur l'audiovisuel public, Mme Isabelle Giordano, journaliste de télévision qui a été chargée d'une mission sur la transformation de l'audiovisuel public au sein du comité Action publique 2022, programme lancé par le Gouvernement à l'automne 2017 qui vise à repenser le modèle de l'action publique en interrogeant les métiers et les modes d'action publique au regard de la révolution numérique, et M. Frédéric Lenica, maître des requêtes au Conseil d'État, qui a notamment dirigé le cabinet de Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture.
Mme Smadja-Froguel nous a sollicités en milieu de semaine dernière pour recueillir notre sentiment sur la réforme annoncée, qui pourrait impacter France Ô ; j'ai immédiatement donné suite en conviant mes collègues à la réunion d'aujourd'hui, dès lors qu'elle m'avait indiqué devoir remettre un rapport d'étape à Mme la ministre de la culture dès la mi-juillet. Je regrette profondément que ces délais très brefs n'aient pas permis à mes collègues de venir nombreux ce jour : l'éloignement de nos territoires ne permet pas de reconfigurer aisément les agendas et cette contrainte est encore trop peu souvent prise en considération !
Pour autant, la question de la visibilité de nos outre-mer sur les ondes publiques et de la mission de France Ô est récurrente ; elle donne d'ailleurs lieu à de fréquentes questions adressées par les sénateurs au Gouvernement. En outre, la visibilité et une meilleure connaissance des contraintes propres et des potentiels et atouts de nos territoires sont au coeur de la démarche de notre délégation, qu'il s'agisse des études réalisées ou de son activité événementielle. Nous avons malheureusement de trop fréquentes occasions de mesurer combien les clichés sont vivaces et combien il est nécessaire de mener une politique informative déterminée en direction du grand public !
Nous avons tous entendu les déclarations du Président de la République lors de la présentation du Livre bleu ; elles n'ont fait qu'amplifier les craintes suscitées par les annonces du 4 juin de Mme la ministre Françoise Nyssen et ont cristallisé la formation du mouvement qui a pris la défense de France Ô. Nous avons le sentiment que les décisions sont d'ores et déjà scellées, prévoyant une bascule de France Ô de la TNT vers le numérique et, concomitamment, des moyens renforcés pour les antennes locales en vue de davantage de décrochages sur les grandes chaînes publiques, France 2 et France 3.
Je souhaiterais pour ma part que notre audiovisuel public parvienne à dépasser le stade des cartes postales paradisiaques ou des images de catastrophes, pour rendre compte plus exactement de nos outre-mer et de toute la richesse et de l'ouverture sur le monde qu'ils apportent à notre pays. Mais il me paraît parallèlement erroné de faire l'impasse sur la dimension symbolique d'une chaîne telle que France Ô, qui est un vecteur de ralliement et de reconnaissance !
Ainsi, avant que mes collègues ne s'expriment, je vous serais reconnaissant de rappeler brièvement l'histoire de la chaîne et d'énoncer aussi concrètement que possible les pistes de réforme actuellement envisagées.
Mes collègues et moi-même avons de nombreuses questions. Vers quel projet nous orientons-nous ? En quoi la nouvelle offre serait-elle meilleure que celle qui existe ? Avez-vous effectué une étude d'impact et avez-vous évalué les conséquences de la réforme sur le personnel et les spectateurs ? Quelles garanties offrez-vous à ces derniers ? L'offre de service sera-t-elle la même, qualitativement et quantitativement ?
M. Frédéric Lenica, membre de la commission de concertation sur la réforme de l'audiovisuel public. - Il ne faut pas se méprendre sur la mission de notre commission. Nous sommes complètement indépendants de l'exécutif. Nous recueillons les observations de toutes les parties prenantes - professionnels de l'audiovisuel, créateurs et artistes, associations de téléspectateurs et d'auditeurs.
Le Gouvernement a déjà fait plusieurs annonces ; certaines décisions ont donc déjà été prises : le rapprochement partiel de France Bleu et France 3, ou encore la suppression de la diffusion hertzienne de France 4. Nous voulons savoir ce que les gens pensent de ces décisions.
Sur l'outre-mer, en revanche, la consultation est totalement ouverte, aucune orientation n'a été donnée par le Gouvernement. Nous pourrons donc, à l'issue de nos rencontres, produire à la mi-juillet un document d'étape rassemblant plusieurs scénarios, à partir duquel le Gouvernement prendra des décisions. Nous travaillons donc, sur ce sujet, plus en amont que sur d'autres.
Il est du moins une idée que tout le monde partage au sein de notre commission : la visibilité de l'outre-mer, notamment en métropole, doit être mieux assurée demain qu'elle ne l'est aujourd'hui en dépit de la diffusion de France Ô. Tel est l'objectif que nous pouvons avoir en commun, tant avec vous qu'avec le Gouvernement. Il reste à déterminer les modalités.
Mme Isabelle Giordano, membre de la commission de concertation sur la réforme de l'audiovisuel public. - Nous avons rencontré, il y a quelques jours, le collectif Sauvons France Ô. Nous avons été attentifs à leurs propos ; ils nous ont alertés sur des dysfonctionnements au sein de France Télévisions et sur le fait que certaines missions de service public ne semblent pas totalement remplies. La visibilité des outre-mer est en effet cruciale.
M. Michel Magras, président. - Je me sens assez démuni : on ne sait pas quelles sont les données réelles d'écoute de France Ô. Que changerait le passage de la TNT au numérique ? Serait-ce une modernisation, un besoin ? Qui est l'audience cible de cette chaîne, les ultramarins de métropole ou l'ensemble de nos concitoyens ? Quelles sont les relations avec les chaînes premières, en matière de travail commun, de finances et de programmes ? Pour que nous puissions vous donner un avis, encore faudrait-il que vous nous communiquiez ces quelques informations supplémentaires.
M. Dominique Théophile. - Selon le Gouvernement, il n'est pas question de supprimer France Ô. La question est celle du basculement de cette chaîne vers le numérique, et donc de sa suppression du canal hertzien, ce qui permettrait de faire passer la chaîne Outremer en HD. Les chaînes généralistes nationales devront aussi diffuser davantage de programmes ultramarins. Le bureau de rédaction de France Ô à Malakoff ne sera pas supprimé. Les contrats d'objectifs et de moyens avec les sociétés de télévision seront renouvelés à l'occasion de la réforme ; ces sociétés devront suivre des indicateurs très ciblés. Enfin, un décret définira le cahier des charges de France Télévisions.
Ces orientations devraient donner l'architecture des changements prévus.
Il y a un constat commun : la chaîne La Première, diffusée outre-mer, est bien ancrée, alors que France Ô connaît un problème de positionnement. Par ailleurs, l'outre-mer est trop peu présent sur les chaînes généralistes, tant dans les programmes que dans le journal télévisé. Si France Ô passe à un modèle de diffusion numérique, il faudra s'assurer que l'accès à internet sera garanti à chacun.
Il existe des inquiétudes quant à la suppression de France Ô : les médias changent et il faut interroger les pratiques nouvelles. Je suis contre l'immobilisme, il faut évoluer. Il faut seulement préserver l'essentiel, et donner plus de lisibilité et de moyens aux personnes chargées de cette mission.
Mme Viviane Artigalas. - Je suis sénatrice d'un département métropolitain, j'ai donc un autre point de vue. Je regrette la faible visibilité des outre-mer pour tous nos concitoyens, ce qui en retour limite l'intérêt que les métropolitains ont pour les outre-mer. Il faut toujours expliquer notre rôle dans ces territoires si lointains. Leurs problématiques semblent très éloignées alors qu'elles sont souvent similaires à celles de nos territoires ruraux et montagnards. On donne à la télévision, plus généralement, trop de place à ce qui intéresse peu nos concitoyens, pas assez à ce qui fait leur quotidien. C'est pourquoi il faut une réflexion plus large sur les télévisions régionales. Le paysage audiovisuel reste trop centralisé ; on ne s'y intéresse qu'aux problèmes urbains, sauf quand de graves difficultés surviennent.
Mme Jocelyne Guidez. - On ne connaît pas France Ô : la visibilité de cette chaîne n'est pas assez importante. On ne peut pas réduire nos Antilles à des cartes postales : ces territoires ont des problèmes politiques, les prix y sont trop élevés. Peut-être pourrait-on faire passer des messages importants grâce à cette chaîne, mais encore faudrait-il qu'elle soit connue !
M. Michel Magras, président. - Notre inquiétude est que nous ne connaissons pas les intentions du Gouvernement, le contenu global du projet. Ce qui nous gêne le plus, ce sont les délais imposés et la méthode employée puisque nous ne savons pas quand la décision définitive sera prise. Notre délégation est habituée à mener un travail de fond et à conduire une instruction minutieuse, ce qui est impossible dans ces circonstances.
Mme Isabelle Giordano. - Je voudrais que cette matinée lève toute inquiétude : pour l'instant nous écoutons, nous réfléchissons, nous esquissons des scénarios. Un rapport d'étape sera remis dans quelques jours, mais les auditions continueront tout au long de l'automne, sans précipitation. Vos propos reflètent du reste parfaitement l'état d'esprit de nos travaux. Comme tous les autres médias publics, France Ô est confrontée aux transformations qu'impose le numérique. Et il ne faudrait pas qu'elle devienne une chaîne alibi où l'outre-mer serait traité pour en décharger les autres chaînes. Actuellement, on constate paradoxalement que les questions d'outre-mer sont davantage abordées par les médias privés, alors que c'est une mission élémentaire de service public... Pour autant, il y a une grande créativité sur certaines antennes de l'outre-mer. Nous réfléchissons à l'information locale et aux programmes locaux, dans le cadre d'une réflexion sur le rapprochement entre France 3 et France Bleu.
M. Frédéric Lenica. - Les idées que vous avez évoquées sont apparues aussi dans le cadre de la concertation. Nous espérons que celle-ci favorisera une prise de conscience, même chez ceux qui ne s'intéressent pas aux sujets ultramarins en métropole. Comment exposer davantage l'outre-mer ? La diffusion en hertzien de France Ô est-elle la bonne méthode ? Personne, en tous cas, ne souhaite supprimer cette chaîne. La question est de savoir s'il faut basculer vers une diffusion numérique avec, par exemple, un bouquet rassemblant France Ô et les différentes chaînes d'outre-mer. Si cela doit accroître l'audience, tant mieux ! Pour l'instant, l'outre-mer n'est jamais traité selon le droit commun, si j'ose dire, à telle enseigne que la continuité républicaine n'est pas assurée sur les écrans du service public. Par exemple, la météo n'évoque que la Métropole - et la Corse. Pourtant, la radio évoque les outre-mer dans ses bulletins météo, ce qui est une bonne manière de faire vivre la continuité territoriale.
Sur France Info, peu de sujets concernent l'outre-mer. Et, quand on traite de la rentrée scolaire, par exemple, il n'y a jamais de reportages sur la rentrée scolaire aux Abymes ! Nous devons donc nous demander comment développer une meilleure exposition de l'outre-mer sur les chaînes nationales. En particulier, les programmes de flux - divertissement, documentaires... - alternent, lorsqu'ils abordent les outre-mer, entre carte postale ou catastrophes, alors que ceux-ci devraient traiter des sujets ordinaires. La réforme n'emporte aucune fatalité et ne fera pas qu'on parlera moins de l'outre-mer, au contraire ! La manière dont l'information ultramarine peut être traitée par une rédaction dédiée fait aussi l'objet d'inquiétudes, dont nous ferons état.
Mme Isabelle Giordano. - L'idée de la concertation est de recentrer le média public sur ses missions fondamentales : rendre service et être au service de tous les Français, sans s'enfermer dans des logiques de niche. Vous dites qu'on trouve dans les outre-mer un concentré de tous les problèmes qui se posent en métropole. En effet, les émissions de la télévision de service public ne ressemblent pas toujours à la France d'aujourd'hui, car plusieurs des problèmes sont concentrés dans certains outre-mer : environnement, diversité, racisme, entrepreneuriat, mondialisation... Pour mieux en parler, notre antenne publique doit s'inspirer de ce qui se passe outre-mer. On rêverait que la rentrée scolaire ne soit pas toujours celle du 15ème arrondissement de Paris mais aussi, de temps en temps, celle de Gosier ou des Abymes ! Pour cela, il faudrait sans doute une meilleure collaboration avec les équipes sur place. Les manifestations sur la vie chère ont commencé six mois avant que des personnalités politiques ne commencent à parler pouvoir d'achat. Sur la santé, les problèmes sont aussi exactement les mêmes.
M. Michel Magras, président. - J'entends bien la volonté d'améliorer la visibilité des outre-mer sur les grandes chaînes publiques. Nous sommes unanimes à constater que celles-ci ne parlent de nous qu'occasionnellement, et souvent dans un déphasage total. Pour la météo, par exemple, les informations diffusées sur les chaînes publiques ont deux jours de retard ! Si j'ai bien compris les propos du Président de la République, lors de la clôture des Assises, il faudra choisir. France Ô est déjà un outil au service des populations. Pour l'améliorer, il faut du temps. Mais il n'y a pas à choisir entre information quotidienne et meilleure connaissance des territoires : c'est complémentaire. Passer de la TNT au numérique, est-ce une nécessité absolue ? Faut-il à tout prix libérer un canal hertzien ? Que mettra-t-on à la place ? Les box numériques sont-elles suffisamment répandues ?
M. Dominique Théophile. - Vos remarques sur la météo sont exactes : c'est que la France est le pays où le soleil ne se couche jamais... Je comprends que le rapport sera présenté en juillet, mais que les trois chantiers ne seront lancés qu'en 2019 : la réforme de la gouvernance, la régulation du numérique et le financement de l'audiovisuel public, avec la réforme de la contribution à l'audiovisuel public. Il faudra absolument interroger nos pratiques, et faire un effort d'adaptation.
Mme Victoire Jasmin. - Je ne suis pas contre la modernité, au contraire. À mon avis, il faut être en permanence dans l'amélioration. Il est dommage que le rapport de l'Assemblée nationale n'ait pas été rendu public. Il faut vivre avec son temps, mais sans oublier les outre-mer ! La secrétaire d'État Marlène Schiappa nous a parlé de son tour de France de l'égalité : celui-ci s'est résumé à l'hexagone ! Élue guadeloupéenne, je considère pourtant que je représente ici la République, et toutes les femmes, de France, de Corse et de l'ensemble des outre-mer ! Je suis très choquée de constater qu'une secrétaire d'État, qui représente la République, qui représente l'État, qui nous représente, puisse évoquer un tour de France de l'égalité en parlant uniquement de l'hexagone. Les outre-mer font partie de la France, avec des statuts différents et une grande diversité. Il faut les valoriser avec de la transparence dans les propositions et les dispositifs. La France est une et indivisible, même si, de l'Atlantique au Pacifique, les pratiques diffèrent. Un proverbe corse dit à propos : entre le dire et le faire, il y a la mer !
M. Gilbert Roger. - Je suis un ultramarin de Seine-Saint-Denis ! Dans ce département, la communauté des ultramarins est très nombreuse. Pour faire campagne, il faut aller dans les îles ! C'est un lien indispensable que représente France Ô, qu'il ne faudrait pas remettre en cause sous prétexte de mutations technologiques. J'ai été maire pendant dix-neuf ans d'une ville de 54 000 habitants, et j'ai vu que France Ô passe en boucle dans les familles.
Membre de la commission des affaires étrangères et de la défense, je puis témoigner que, aux Antipodes, sans la Nouvelle-Calédonie, il n'y aurait que la Chine et l'Australie. Nous ne devons pas perdre cette influence diplomatique et audiovisuelle.
Mme Isabelle Giordano. - Les familles que vous évoquez regardent-elles France Ô en journée ou dans la soirée ? Nous nous interrogeons sur l'utilité de la programmation en journée.
M. Gilbert Roger. - Plutôt le soir - mais aussi les week-ends. En effet, France Ô ne diffuse pas des boucles répétitives. Le contenu pourrait être parfois plus local...
M. Michel Magras, président. - Vous avez bien résumé le malaise : faut-il, sous prétexte d'évolution technologique, faire disparaître un lien fondamental ? C'est cette inquiétude qu'il faut dissiper. Elle concerne le public ultramarin de l'hexagone, les hexagonaux eux-mêmes, et les ultramarins dans leurs territoires. Pour réformer, un rapport ne suffit pas. Vous devez produire des données précises pour éclairer la décision, de telle sorte qu'elle réponde aux besoins réels.
Mme Isabelle Giordano. - J'aimerais que cette matinée serve à la fois à lever les inquiétudes et à donner de premiers éléments d'information. Nous voulons tous un service public qui soit pleinement dans ses missions de service public. Aussi souhaitons-nous d'abord écouter vos recommandations. J'ai été extrêmement sensible à tout ce qu'a dit le collectif « Sauvons France Ô ». Il y a là un réservoir de créativité, d'innovation, de propositions et d'énergie pour défendre les vraies missions de service public. C'est dans cette audition que j'ai entendu les propos les plus pertinents.
M. Michel Magras, président. - Pouvez-vous nous rassurer sur le passage de la TNT au numérique ?
Mme Isabelle Giordano. - Écoutez-vous Radio France ou France Culture ? Pour ma part, je les écoute beaucoup plus grâce aux podcasts. Le numérique est une chance de démultiplier les diffusions. Ce que l'outre-mer a à nous dire doit infuser dans les antennes hertziennes. Il n'est évidemment pas question de faire disparaître France Ô - mais il faut la faire évoluer. Nous sommes là pour entendre vos recommandations et faire des propositions.
M. Michel Magras, président. - Au risque de soulever de nouvelles inquiétudes !
Mme Isabelle Giordano. - Nous voulons plus d'efficacité pour le média d'outre-mer.
M. Michel Magras, président. - Je suis pour la modernisation, mais la TNT est récente. Et, outre-mer, il faut souvent poser des paraboles. Pourquoi ne pas avoir TNT et numérique ?
Mme Victoire Jasmin. - Il y a encore beaucoup de zones blanches, nous l'avons constaté dans le cadre de nos travaux sur les risques naturels majeurs.
Mme Catherine Procaccia. - Je préside le groupe France-Vanuatu-Îles du Pacifique. Ce n'est que de temps en temps que France Ô diffuse des reportages sur ces îles. Peut-être pourriez-vous préciser que France Ô dépasse le cadre des collectivités françaises d'outre-mer.
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie de cet échange, même si nous regrettons l'absence de Mme Smadja-Froguel. Je retiens de vos propos qu'il est hors de question d'envisager la disparition de France Ô. Celle-ci se transformera sans que les infrastructures ni le personnel ne soient remis en cause. Il faut bien distinguer la cible : public hexagonal, dont les ultramarins de l'Hexagone, mais aussi public totalement ultramarins aux quatre coins du monde. L'idée de nous donner plus de visibilité sur les chaînes publiques est noble. Il faudra y mettre les moyens. Le rapport sera-t-il suffisamment incontournable pour imposer une décision ? S'il est effectivement remis en 2019, il serait sage que les choses restent en l'état en attendant que la réflexion ait abouti.
Avenir de la chaîne France Ô - Audition de M. Walles Kotra, directeur exécutif en charge de l'outre-mer à France Télévisions
Nous accueillons maintenant M. Walles Kotra, directeur exécutif en charge de l'outre-mer à France Télévisions et les représentants du collectif « Sauvons France Ô ».
Avant de céder la parole à M. Kotra, je tiens à rappeler l'importance que notre délégation sénatoriale attache à la mise en valeur de nos outre-mer dans les médias afin d'infléchir progressivement une opinion encline aux clichés et caricatures, et qui méconnaît largement les réalités de nos territoires. Les études réalisées par notre délégation, par exemple sur le foncier ou les normes, ou encore cette année sur les risques naturels majeurs ou le sport, poursuivent cet objectif, comme notre activité événementielle.
Depuis de nombreuses années, la question des objectifs et des moyens pour les atteindre se pose. Les enjeux consistent à accroître la visibilité et la connaissance de nos territoires, à montrer leur diversité et la richesse corrélative qu'ils apportent à notre pays mais aussi à l'Europe, à susciter ce faisant une meilleure prise en compte de leurs spécificités et de leurs atouts face aux défis mondiaux, au-delà des discours incantatoires. Ce sont là des défis majeurs à relever, qui supposent une action déterminée et concertée. France Ô constitue à cet égard un repère important dans le paysage audiovisuel, un support d'identification qu'il serait dangereux et contreproductif de méconnaître : notre collègue et ancien ministre, Victorin Lurel, l'a bien mis en lumière dans son récent courrier au Président de la République.
Vos sénateurs sont très attentifs aux évolutions en cours : j'en veux pour preuve les questions adressées respectivement au Gouvernement par nos collègues appartenant à différents groupes et issus de divers territoires : Dominique Théophile, sénateur LaREM de la Guadeloupe, Stéphane Artano, sénateur RDSE de Saint-Pierre-et-Miquelon, Nassimah Dindar, sénatrice UC de La Réunion, et tout récemment Maurice Antiste, sénateur socialiste et républicain de la Martinique.
M. Walles Kotra, directeur exécutif en charge de l'outre-mer à France Télévisions. - Je voudrais d'abord présenter mes respects à l'ensemble des élus présents et remercier tout particulièrement le président Michel Magras pour son invitation.
France Ô est un élément du pôle outre-mer de France Télévisions, la partie émergée d'un ensemble plus important qu'il convient d'aborder de manière globale, comportant dix centres de diffusion dans dix régions du monde : à Paris, dans l'océan Indien, dans l'océan Pacifique et l'Atlantique. C'est à la fois de la radio, de la télévision et des offres numériques, souvent puissantes. Ce sont des univers et des réalités historiques et culturelles très spécifiques, avec par exemple plusieurs langues régionales fortes. Je résumerai ces missions du Pôle outre-mer par deux mots : l'enracinement et la visibilité.
L'enracinement, c'est l'enracinement dans nos pays. Dans la plupart de nos territoires, c'est sans doute difficile à imaginer ici, la chaîne la 1ère, notre chaîne locale, est un acteur médiatique incontournable et puissant : le journal télévisé de Guadeloupe la 1ère fait 73 % d'audience. Et il faut rajouter à cela la radio et les offres numériques. La situation est similaire partout, sauf à La Réunion où la chaîne concurrente privée est devant nous.
Cette situation fait que nos chaînes sont beaucoup plus que des médias. Elles participent à la cohésion et à la construction des territoires et des pays, en ouvrant des espaces de débat et de citoyenneté, en éclairant l'histoire et le présent, et en essayant de s'ouvrir aussi à nos environnements régionaux.
Enracinement donc mais aussi visibilité. C'est un débat récurrent outre-mer : peut-il y avoir une citoyenneté sans visibilité nationale ? Le Pôle outre-mer de France Télévisions a pour mission de faire émerger dans l'espace national ce qui était autrefois des confettis de l'empire et qui sont aujourd'hui des collectivités qui font partie intégrante de la Nation.
C'est la raison d'être principale de France Ô. Elle va au-delà de cette chaîne, mais elle est un élément clé du dispositif pour montrer la vie et les réalités complexes de l'outre-mer, pour partager les cultures et les univers particuliers et pour faire connaître les acteurs de ces sociétés éloignées.
Enracinement et visibilité vont de pair : plus nous sommes implantés, plus nous sommes portés par nos pays et plus nous pouvons témoigner de ce que nous sommes à l'extérieur. Des événements récents que nous avons couverts en témoignent.
Ainsi le blocage et la reconstruction à Mayotte ; vous le savez, le département a été complètement bloqué en mars et avril, les écoles fermées, les routes barrées, plusieurs services publics bloqués. Dans ce pays complètement déstabilisé, Mayotte la 1ère a joué un rôle capital, d'information bien sûr, mais aussi d'explication et d'interactivité. Nos équipes essayent maintenant d'accompagner la reconstruction avec un nouveau problème : les secousses sismiques.
Autre exemple, les commémorations pour le 170e anniversaire de l'abolition de l'esclavage. Il a fallu prendre en compte la diversité des mémoires nationales, régionales et locales. Plusieurs manifestations ont été retransmises sur l'ensemble du Pôle comme la déambulation du Président de la République au Panthéon ou la grande marche du 23 mai à Paris. Nous avons aussi coproduit avec Arte « Les routes de l'esclavage ». Il faudrait ajouter à cette séquence mémorielle les dix ans de la disparition d'Aimé Césaire.
Nous pourrions citer d'autres événements : la crise des sargasses aux Antilles, le déplacement du Président de la République en Nouvelle-Calédonie, les élections en Polynésie Française, l'arrivée du câble sous-marin à Wallis-et-Futuna ou la clôture des Assises de l'outre-mer.
C'est donc une période très dense que nous venons de vivre à la radio, à la télévision et sur le numérique. Dans nos stations, sur France Ô, mais aussi à travers des programmes que nous avons proposés aux autres chaînes ou les autres réseaux.
C'est donc dans ce contexte que se définit le rôle de France Ô, ce lien si particulier entre l'outre-mer et la communauté nationale. Les événements que je viens de citer sont immédiatement visibles sur France Ô, avant d'être repris ensuite par les autres chaînes, souvent tardivement.
Il n'y a plus de débat sur l'identité de France Ô. Elle est la chaîne des outre-mer. Non pas les outre-mer fermés sur eux-mêmes : pas seulement les paysages et les îles, mais tout ce que l'outre-mer apporte à la Nation, ses réalités, ses histoires, ses cultures, ses difficultés, ses richesses mais aussi ses regards si particuliers sur le monde.
C'est par exemple « Histoires d'outre-mer » qui éclaire les pages oubliées, ignorées ou méconnues de l'Histoire de France. Tout simplement parce que ces pages-là ont été écrites là-bas, ou dans ces périodes où les hommes concernés n'étaient pas tout à fait des citoyens. C'est par exemple des magazines et des spectacles qui montrent la vitalité de nos artistes, musiciens ou écrivains. Ce sont aussi des émissions comme « Témoins d'outre-mer » ou « Flash Talk » qui donnent la parole à nos compatriotes d'outre-mer, à leurs associations, à leurs élus ou à ceux qui s'intéressent aux enjeux d'outre-mer. Je citerai également le magazine « Investigations » ou « Archipels ». Nous avons participé avec nos collègues de TV5 aux « 24 heures de la Francophonie », parce que nous sommes aussi ces Français d'ailleurs, toujours en dialogue avec le monde.
Aujourd'hui, la grille de programmes de France Ô est constituée à 40 % de séries et de films - dans la mesure du possible, des films qui concernent l'outre-mer, mais pas seulement - à 17 % d'information, à 17 % de documentaires et à 10 % de magazines. Mais la grille de septembre va renforcer notre empreinte outre-mer avec en première partie de soirée une offre culturelle plus ambitieuse et plus ciblée.
France Ô est une chaîne atypique avec une programmation originale sans équivalent dans le paysage audiovisuel français. C'est un véritable écosystème : elle puise une partie de ses contenus dans les stations d'outre-mer et alimente par ses émissions l'ensemble du Pôle.
France Ô diffuse des programmes produits par nos stations pour elles-mêmes - « Miroir créole », « Les teams de la beauté », « Caraïbes », « Lamour lé Doux », « Itinéraires »... - qui représentent en moyenne trente-six heures par semaine.
France Ô cofinance certains programmes avec les stations - « Miss Tahiti », « Gospel sur la colline », « Ma terre pour demain » - ce qui permet de faire travailler nos équipes ensemble pour mieux harmoniser l'éditorial du programme et de faire participer France Ô au financement de l'audiovisuel outre-mer.
France Ô fabrique et finance seul des programmes qui sont rediffusés par les stations, comme « Les témoins d'outre-mer », de certains magazines comme « Investigations » ou « Archipels », de captations de spectacle ou de documentaires.
Enfin, France Ô reprend en direct ou en léger différé les événements importants des outre-mer, comme l'élection de Miss Tahiti il y a quelques jours ou cet été le Tour des Yoles, des tours cyclistes, le Heiva, la Diagonale des Fous, sans compter les différents carnavals, dont le Carnaval Tropical du week-end dernier à Paris. Nous souhaitons d'ailleurs que ces directs se multiplient et se banalisent sur la chaîne à la rentrée.
Lorsqu'il y a un événement national important, comme l'entrée de Simone Veil au Panthéon, il est diffusé en direct sur toutes les chaînes la 1ère. C'est notre mission de continuité territoriale. A contrario, lorsqu'il y a un événement important en outre-mer, il doit se retrouver sur France Ô. Cette émergence sur France Ô des moments forts de l'outre-mer est également symbolique.
France Ô peut sembler modeste avec une audience moyenne de 0,6 à 0,8 %. Elle a des moyens limités, une petite équipe et un budget modeste, mais elle assure une mission essentielle : la visibilité des outre-mer. Sans elle, beaucoup des événements que nous avons cités tout à l'heure seraient sans doute passés sous silence. Se reposerait alors cette question : « Peut-il y avoir une citoyenneté sans visibilité ? »
France Ô est une particularité française, née parce que le service public a dû inventer des structures adaptées à un pays qui est à la fois ici et là-bas, en Europe et dans le monde entier, qui conjugue l'infiniment petit et le grand large, avec des univers à la fois riches et très divers, ce pays que le Président de la République a très justement appelé l'Archipel France.
M. Michel Magras, président. - Merci pour la qualité de votre propos qui synthétise bien l'étendue de vos missions.
M. Dominique Théophile. - France Ô, d'après les déclarations officielles, ne va pas disparaître. L'outil sera préservé. Dans quelles conditions ?
Ce que nous voulons, c'est savoir quelles sont les inquiétudes. C'est à partir de votre réponse que nous pourrons interroger le ministre et son cabinet. Je suis très prudent. Parfois, sur WhatsApp ou d'autres réseaux, on lit tout et n'importe quoi. Beaucoup peuvent faire leur terreau politique là-dessus... J'ai été parmi les premiers parlementaires à écrire au ministre sur ce sujet. J'ai interrogé le Gouvernement ; j'ai suivi à distance les débats à l'Assemblée nationale. Nous partageons le constat que la 1ère est bien ancrée, mais que France Ô a un problème de positionnement. Il faut davantage de représentativité de l'outre-mer sur les chaînes généralistes. La bascule au numérique nécessite un accès au numérique, qui manque effectivement dans les zones blanches des outre-mer. Mais cela ne concerne pas France Ô qui est diffusée d'abord en France hexagonale.
Je me souviens d'une discussion en avril 2017 - je n'étais pas encore sénateur - avec un journaliste de France Ô qui me confiait son inquiétude sur l'avenir de sa station. La réforme de France Ô est un élément d'un cadre global de changement.
M. Walles Kotra. - Ma première préoccupation est qu'on saisisse bien la complexité du sujet. La visibilité des outre-mer ne peut se réduire à la bascule vers le numérique. Je peux en témoigner, cela fait trente ans que je travaille dans cet objectif, à RFO-Sat, puis à France Ô.
Pour comprendre notre méfiance à l'idée que les grandes chaînes puissent donner plus de visibilité, il faut considérer l'historique. La France est un pays jacobin, dont les élites ont tendance à penser que la frontière passe au périphérique. Pour nous, avec le recul, nous disons qu'il faut les deux : nous avons besoin d'un aiguillon qui puisse organiser la présence des outre-mer sur les chaînes nationales et sur le numérique. Celle-ci ne peut pas se réduire à une rubrique dans le journal du soir. Les populations investissent dans la chaîne la 1ère, il faut voir plus loin que l'audience.
Personne ne remet en cause France Culture : il est important, à côté des radios généralistes - où la culture doit être présente - qu'il y ait une radio spécialisée comme France Culture. France Ô veut jouer ce rôle-là, un rôle d'aiguillon, qui n'a pas vocation à faire 12 ou 15 % d'audience, mais qui travaille aussi pour les autres. Ainsi, une partie du traitement des outre-mer sur France Info est produit par les équipes France Ô de Malakoff.
Cet après-midi, nous travaillerons en séminaire pour faire des propositions sur ce sujet. Quelle que soit la météo, France Ô continuera à témoigner de la vie des outre-mer.
M. Michel Magras, président. - La mission fondamentale de notre délégation est d'informer nos collègues et le Gouvernement sur toutes ces questions. Cependant, nous n'avons été alertés officiellement que le 28 juin, et dans la perspective d'un rapport d'étape qui doit être rendu dès la mi-juillet. Nous ne pouvons pas décider d'une déclaration politique en quelques minutes. Nous avons besoin de temps pour émettre un avis fondé.
J'ai bien noté la relation entre France Ô et les chaînes la 1ère sur les territoires. Nous devrions sans doute entendre également leurs représentants.
Il faut davantage de visibilité sur les chaînes publiques, en effet ! Mais cela doit-il être fait au détriment de l'existant ou en complémentarité ? On ne m'a pas encore démontré en quoi le basculement sur le numérique était porteur d'économie et permettait de conquérir de nouveaux publics. Nous posons la question : et si nous gardions les deux ?
Je fais mon mea culpa : je ne regarde pas assez France Ô mais je ne regarde pas beaucoup la télévision de façon générale.
Avez-vous un problème de programmation ? Vos moyens financiers sont-ils suffisants ? Les transformations prévues de France Ô auront-elles un impact sur le personnel et sur l'organisation ?
M. Walles Kotra. - La question de l'audience mérite réflexion. Parmi nos territoires, Saint-Pierre-et-Miquelon comporte 6 000 habitants. Nous avons fait une journée entière pour présenter cette collectivité. Bien sûr, nous n'avons pas eu une grande audience. Mais 0,5 %, soit 200 000 spectateurs, c'est énorme en comparaison de la population concernée ! C'est le rôle du service public.
Nous avons une cinquantaine de langues régionales sur nos territoires. Même sur France Ô, on ne les entend pas : nous perdrions de l'audience. Cela fait partie de notre mission de service public d'être l'aiguillon pour une meilleure visibilité des outre-mer sur les autres chaînes.
Un grand travail de réorganisation des autres stations est en cours. Les équipes de Malakoff sont concernées. Cela ne se voit pas beaucoup, de Paris. Nous essayons de jouer la convergence : nous avons regroupé les directions d'antenne de la radio, de la télévision et du numérique. C'est ce qui explique la richesse de notre offre numérique. Nous travaillons dans le domaine de l'information pour que l'outre-mer soit plus présent sur France Info et les rédactions de France Télévisions.
M. Robert Laufoaulu. - Merci pour cet exposé très clair. En arrivant à cette réunion, je n'avais pas d'idée bien précise et j'y vois maintenant un peu plus clair.
Je suis rassuré par les propos de notre collègue, qui nous assure que France Ô n'est pas menacée de disparition. J'avais compris le contraire. Mais s'il ne s'agit que d'une recherche d'amélioration...
Un des sujets qui intéressent beaucoup nos collectivités, surtout dans le Pacifique, c'est l'intégration régionale. Comment faire pour que nos collectivités soient mieux perçues, mieux comprises dans la région. C'est aussi important que la perception de la région dans l'hexagone, dont parlait Catherine Procaccia.
Comment France Ô pourrait-elle aider à cette politique essentielle tant au niveau national qu'au niveau européen ?
M. Michel Magras, président. - Elle est aussi essentielle dans l'océan Indien et dans la Caraïbe. L'intégration régionale est une clé pour le devenir de nos collectivités. Notre délégation reste à votre écoute. Nous contribuons au débat aussi par la diffusion sur internet de la vidéo de la présente audition.
Avenir de la chaîne France Ô - Audition des représentants du collectif « Sauvons France Ô »
Je passe maintenant la parole aux représentants du collectif « Sauvons France Ô » : Mmes Nella Bipat, Véronique Polomat, M. Louis-Gérard Salcede et Mme Nathalie Sarfati au titre du collectif des salariés ainsi que MM. Didier Givaudan et Jean-Michel Mazerolle au titre de l'intersyndicale.
Mme Véronique Polomat, représentante du collectif des salariés. - Merci beaucoup de nous accueillir. Je voulais partager avec vous une réflexion que j'ai menée avec la productrice Marie-Pierre Bousquet. La menace est réelle et toujours bien présente. En témoigne le rapport de la députée Frédérique Dumas, certes resté confidentiel : « Concernant France Ô, l'échec étant constaté, que faire ? Le débat ne doit déboucher sur aucun tabou, mais n'avoir qu'un seul objectif, la visibilité de l'outre-mer. Faut-il reconstruire France Ô ou faut-il fermer France Ô en contrepartie de l'ouverture des autres antennes de France Télévisions à l'outre-mer ? »
Et si France Ô n'était pas un échec ? Nous rejetons ce postulat et notre directeur a bien démontré l'absence d'échec. France Ô est en effet, au sein de France Télévisions, le premier diffuseur de programmes musicaux, le premier diffuseur de fiction française et européenne, le deuxième diffuseur de spectacles vivants et le deuxième diffuseur de documentaires.
Je mettrai un dossier à votre disposition qui montre de façon très claire sa productivité ; 0,6 % d'audience, ce n'est pas beaucoup, mais c'est significatif au regard de notre budget : en outre, le point d'audience de France Ô coûte moins cher que celui des autres chaînes de France Télévisions. Le modèle économique et les résultats de France Ô sont positifs.
France Ô est une vraie chaîne du service public ; c'est une chaîne généraliste qui crée du lien entre l'hexagone et les outre-mer, une chaîne du direct, une centrale de production au sein du pôle outre-mer, une chaîne d'information, une chaîne culturelle, une chaîne solidaire, un outil médiatique stratégique, une chaîne du vivre-ensemble.
Si l'État supprimait la chaîne France Ô ? Cela serait une injustice pour cette chaîne qui remplit sa mission de service public avec d'énormes restrictions budgétaires. Cela signifierait aussi la perte annuelle directe de programmes patrimoniaux - la mémoire collective des outre-mer, via des documentaires aujourd'hui à l'Institut national de l'audiovisuel (INA) - qui ont été produits par RFO puis France Ô. Cela serait une perte évidente de la visibilité des ultramarins au niveau national.
France Ô est menacée, car le passage sur le web est une menace : 24 % des Français n'ont accès qu'à la télévision - et je ne parle pas des zones blanches ultramarines ; 65 % des Français préfèrent regarder la télévision sur leur téléviseur. La télévision web est complémentaire de la télévision classique, mais elle ne peut la remplacer. Celle-ci a un rôle fédérateur et social. La webtélé est une plateforme de contenus affinitaires dans une forêt inextricable de vidéos - pour être noyés, il n'y a pas mieux ! Faire des économies en passant sur le web est un leurre : nous perdrions le gros du financement de nos documentaires par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), qui ne rétribue pas les web-documentaires comme ceux qui passent à la télévision.
Ce qu'il faut faire, c'est renforcer France Ô en développant la synergie entre les chaîne La 1ère et le groupe, en la repositionnant comme un média sociétal, culturel et citoyen - personne ne réclame la suppression d'Arte, malgré ses audiences confidentielles au regard de son budget.
Il ne faut pas supprimer France Ô - 0,8 % du budget de la société - en prétendant renforcer la visibilité des outre-mer sur les chaînes nationales - si elles devaient parler davantage des outre-mer, elles le feraient déjà. Il faut au contraire coproduire des programmes avec elles, ce qui permettra de réduire le coût pour nous.
Il faut faire de France Ô un vrai média global : télévision, radio web, digital. Il faut en faire un nouveau modèle expérimental qui pourra dépoussiérer les autres chaînes.
Pour ne citer qu'un exemple de notre créativité, nous avons capté le carnaval tropical de Paris sur les Champs-Élysées, que nous diffuserons mardi prochain ; en même temps, nous l'avons diffusé en direct par un Facebook live démultiplié dans le monde entier.
Encore une fois, supprimer France Ô serait une grave erreur et une injustice. La chaîne doit affirmer sa ligne éditoriale pour plus de qualité et de visibilité et, pour cela, nous avons besoin de temps. C'est un enjeu stratégique pour notre pays.
M. Michel Magras, président. - J'ai une incertitude, ou une incompréhension. Vous avez évoqué le fait que France Ô allait basculer sur le web. Les intervenants précédents disaient plutôt « basculer sur le numérique », ce qui prend en compte les « box » que tous, à Paris, nous avons. Est-ce ou non la même chose ?
Mme Véronique Polomat. - La « box », il faut la payer : c'est une fracture numérique et sociale. En tant que service public, nous sommes censés toucher le public le plus large.
On a par ailleurs annoncé hier la création d'un réseau privé de télévision outre-mer ; c'est un énorme projet. D'autres acteurs arrivent quand le service public recule. C'est bien la preuve que la télévision n'est pas un media périmé.
Mme Nathalie Sarfati, représentante du collectif des salariés. - Les ultramarins sont très inquiets des menaces qui pèsent sur France Ô. Le passage sur le web, pour eux, c'est une fracture ; nombre d'entre eux, notamment les plus âgés, ne regardent pas la télévision sur internet.
L'alternative qu'on nous promet - une visibilité accrue de l'outre-mer sur France 2 et France 3 - n'est même pas de la science-fiction : ce ne sera jamais le cas ! Il pourra y avoir quelques émissions, mais ce ne sera jamais l'équivalent de nos programmes.
J'ai réalisé hier soir un reportage sur une jeune musicienne originaire de Guadeloupe. Nous lui donnons une visibilité sur le territoire national. Qu'adviendra-t-il demain des artistes qui ne bénéficieront plus de cette possibilité ? De même, un reportage que nous avons diffusé sur les étudiants ultramarins au Japon a permis à des jeunes de prendre connaissance de l'association qui facilite ce séjour et d'en bénéficier.
Mme Nella Bipat, représentante du collectif des salariés. - Je suis journaliste à la rédaction de France Ô où j'ai de multiples casquettes : outre les reportages diffusés sur notre antenne, je réalise des modules d'information et des décryptages pour France Infos et je présente un magazine d'investigation sur France Ô ainsi que de grandes opérations de France Télévisions telles que le Sidaction. On nous demande d'être présents sur tous les fronts. Nous le faisons, parce que nous croyons en notre chaîne. Nous sommes ici, sur notre temps libre, pour la défendre. Nous sommes animés par un amour génétique ou d'adoption pour l'outre-mer. Notre programme « Investigations » a reçu plusieurs prix cette année. On peut être fier de France Ô.
Derrière cette chaîne de télévision, il y a un media radio et internet. Mme Nyssen a vanté le modèle guyanais ; cela nous a fait plaisir, mais nous aurions aimé qu'elle puisse voir notre modèle parisien. Il serait temps de nous voir comme une force unique dans la valorisation des outre-mer.
On ne voit pas assez les outre-mer sur les grands médias nationaux. Si l'on devait les forcer, comme on en parlait déjà lors de la création de France Ô, cela ne mettrait-il pas en concurrence les différents outre-mer pour les fenêtres qui seront accordées ? L'effet ne serait-il pas contre-productif ?
France Ô joue également un rôle de lien intergénérationnel. Nous ne sommes pas nombreux à avoir des téléviseurs connectés à internet. Nous, ultramarins de métropole, regardons France Ô en famille, parce qu'il est compliqué de se rendre en famille dans nos territoires d'origine, parce que c'est cher. Faut-il supprimer ce lien familial ?
D'autres pistes peuvent être proposées. Un ancrage plus fort dans notre environnement géographique serait le bienvenu. Ai-je une obligation, en tant que Guadeloupéenne, de regarder tout le temps la chaîne guadeloupéenne ? Trop peu d'émissions représentent l'outre-mer hexagonal.
Certaines grandes chaînes privées répondent mieux que le service public à la mission de visibilité de l'outre-mer, notamment par le biais de reportages au « 13 Heures » de TF1.
France Ô pourrait aussi jouer un rôle de petite soeur des grandes chaînes du service public, comme TFX pour TF1 ou W9 pour M6, des chaînes où certains programmes trouvent une deuxième vie.
Enfin, nous devons aller vers plus de réactivité. Lors des ouragans de l'an dernier, les ultramarins de l'hexagone étaient très inquiets pour leurs proches, car il était difficile d'obtenir des nouvelles. Or il a fallu trois jours pour que France Ô réagisse et bascule sur les antennes locales. On doit répondre aux anxiétés.
M. Louis-Gérard Salcede, représentant du collectif des salariés. - Merci de nous recevoir et de nous donner la parole, si importante pour nos sociétés et cultures ultramarines de l'oralité. Merci de nous donner l'occasion d'échanger dans un exercice démocratique que nous espérons fructueux.
La parole, c'est l'humanité incarnée, l'opinion, la liberté d'expression, l'échange autour des arguments et le débat, dans le temps duquel nous nous trouvons.
À ce débat autour de l'avenir de France Ô, je souhaite porter la contribution de la radio, qui forme à Malakoff un bloc indissociable avec la télévision et le web, qu'il s'agisse des journalistes ou du personnel technique et administratif.
Tous les jours, il faut le savoir, nos équipes produisent des journaux, des revues de presse, des chroniques sur l'environnement, la santé et l'emploi, qui sont diffusés sur notre site web en même temps qu'ils sont envoyés aux neuf stations de radio du réseau Outremer Première.
Alors que le rapprochement entre France Bleu et France 3 est vivement encouragé par la ministre de la culture, nous avons dès 2014 rapproché nos rédactions télé, radio, et web à Malakoff.
De même, pour nos programmes, nous diffusons en radio des émissions de France Ô, comme l'émission littéraire « Page 19 » ou encore « Les Témoins d'Outre-mer » et le rendez-vous mensuel « Outre-mer politique ».
C'est dire combien nous sommes innovants. Du reste, la Cour des comptes le soulignait en octobre 2016 : « À bien des égards, le réseau Outremer Première constitue une expérience sur laquelle le réseau régional de France 3 pourrait s'appuyer pour sa propre réforme. » Avec notre télévision hertzienne, notre radio et nos sites web, nous sommes un media global innovant qui travaille en convergence.
Pour nous, ce modèle de media global est une fierté. C'est pourquoi le personnel ne comprend pas pourquoi on veut retirer, de manière incohérente, la télévision hertzienne de ce media global.
Ce malentendu nous dépasse, il y a comme un acharnement. Nous sommes un modèle, mais ce modèle n'est pas reconnu.
Des pistes de solutions existent. Nous sommes prêts, personnel de la radio, à renforcer la visibilité de la chaîne de télévision France Ô en contribuant à des sessions d'information en continu. Nos studios le permettraient. Monsieur Théophile, nous sommes bien à la pointe de l'innovation !
On imagine que d'aucuns préfèrent véhiculer une image négative des outre-mer et, singulièrement, de notre chaîne.
Nous, personnel du réseau Outremer Première et de France Ô, sommes une famille. Or, dans une famille, on ne coupe pas une main de l'un pour la donner à un autre. Au contraire, nous avons cette tradition du coup de main, de la main ouverte et de la main tendue. Seule la solidarité peut nous faire avancer ensemble.
Outremer Première et France Ô forment un bloc indivisible, modèle pour l'audiovisuel public. RFO avait déjà cette vocation de dialogue entre cultures ultramarines et hexagonales. Aimé Césaire nous a légué ce réseau : faudrait-il détricoter son héritage ? Nous avons des choses à dire à toute la France ! Nous sommes les enfants de toutes les musiques de nos territoires. Nous sommes aussi les enfants d'Eugène Nicole, d'Aimé Césaire, de Guy Tirolien, de Leconte de Lisle, de la poignée de main Tjibaou-Lafleur... Nous savons que la représentation nationale et tout l'hexagone apprécient notre inestimable apport - ce supplément d'âme que les outre-mer, leurs médias et leur population donnent à la République, qu'ils transforment en un archipel de France à nul autre pareil.
M. Michel Magras, président. - Merci pour cette belle plaidoirie. On parle de plus en plus d'archipel France, mais un archipel est en principe une terre entourée d'îles, alors que de larges mers nous séparent... France-Monde : voilà la bonne perspective. Merci pour votre engagement, fondé et émouvant.
Mme Jocelyne Guidez. - Tout cela me donne envie de regarder France Ô, que je ne connaissais pas, alors que mon père est Martiniquais. Votre passion est communicative.
M. Michel Magras, président. - La précipitation ne correspond pas au mode de fonctionnement de la délégation, même si nous intervenons parfois dans l'urgence, comme ce fut le cas récemment sur le Posei. Nous n'avons appris que le 28 juin qu'un rapport d'information serait rendu le 11 juillet ! Si nous avions été alertés plus tôt, nous aurions nommé deux rapporteurs, conduit des auditions, rencontré les chaînes publiques, interrogé le Gouvernement, formulé des préconisations... Au moins pouvons-nous vous offrir une tribune.
Mme Nathalie Sarfati. - Il y a un vrai déficit de communication. La plupart des gens ne savent pas ce que nous faisons, et ne connaissent pas notre compétence ni notre expertise.
M. Didier Givaudan, représentant de l'intersyndicale. - Je participe à l'intersyndicale de Malakoff au titre du syndicat national des journalistes, dont je suis délégué pour France Télévisions. L'inquiétude du personnel est légitime, car la menace de disparition, quoi qu'on dise, est réelle : nous craignons que le changement de support technique soit le prétexte à la suppression de la chaîne, et que la bascule numérique ne serve d'alibi sémantique à un objectif purement économique. Comment réagiriez-vous si l'on remplaçait des lycées par du e-learning, ou des hôpitaux par de la télémédecine ? Vous dites qu'on écoute plus volontiers des podcast, mais encore faut-il qu'il y ait des personnes pour les produire ! Si l'on supprime France Culture, il n'y en aura plus, et le même raisonnement s'applique pour les chaînes de télévision. M. Lenica se réjouit de l'adoption d'un support plus moderne. Mais, en 2016, lors de la création de France Info, on ne s'est pas contenté du numérique ! Preuve que la TNT n'est pas obsolète. Pourquoi ne pas faire la même chose pour France Ô ? Si notre canal sur la TNT disparaît, le risque de dégradation, voire de disparition, sera réel.
Regardez les chiffres : depuis la création de l'entreprise unique France Télévisions en 2009, les effectifs sur le site de Malakoff sont passés de plus de 500 à moins de 400. Vous ne trouverez nulle part ailleurs une telle évolution. En 2009, le site de Malakoff a été rattaché au siège. Neuf ans après, on constate que tout l'effort de réduction des effectifs a porté sur ce site : le pôle outre-mer a servi de variable d'ajustement à l'entreprise. Le résultat des projets en cours sera du sous-emploi, donc du sureffectif. Le contrat d'objectifs et de moyens (COM) prévoit le non-remplacement d'un départ sur deux, ce qui représente 500 emplois supprimés au bout du compte. Malakoff et l'outre-mer auront à payer une part importante.
M. Michel Mazerolle, représentant de l'intersyndicale. - Je complèterai le propos de M. Louis-Gérard Salcede qui faisait valoir que nous étions des enfants du Maloya, du gwoka ou encore du zouk, en affirmant que nous sommes aussi des enfants du rock français. Comme représentant du personnel et délégué syndical, je puis témoigner que le personnel du siège de Malakoff est le reflet de la diversité de la France au quotidien. Le site abrite des personnels issus de l'ensemble des outre-mer et de l'hexagone ; on y devient ultramarin de coeur en se faisant adopter par la communauté de travail. Le collectif syndical exprime son aspiration à continuer, à France Télévisions, à représenter l'ensemble de ces France et nous comptons sur votre soutien. Ce qui est produit pour l'antenne reflète cet engagement et nous défendons d'abord une vision de la France. Nous avons à cet égard beaucoup apprécié la présentation de notre directeur Walles Kotra il y a quelques instants. J'étais par ailleurs stupéfait d'entendre une sénatrice ayant des attaches outre-mer déclarer sa méconnaissance de France Ô et suis ravi que la présente audition nous permette de gagner une auditrice.
La question du maintien de France Ô pose par ricochet celle de la place de nos outre-mer dans la République. Si les outre-mer, du fait de leur positionnement géographique dans différents bassins océaniques, confèrent à notre pays une notoriété mondiale et une capacité d'influence à travers le monde, celui-ci fait preuve en retour d'une véritable cécité et ne regarde pas de manière globale son histoire. Les outre-mer ont du mal à exister en dehors des clichés et nous voulons améliorer leur visibilité.
Concernant le support de diffusion, je prendrai l'exemple de la BBC. BBC 3 a quitté la TNT pour le numérique et a perdu de ce fait 85 % d'audience ! Conscients des enjeux économiques, nous sommes d'accord pour évoluer mais la bascule vers le numérique nous garantit la noyade. Nous sommes favorables à une présence sur les chaînes publiques ; nous avons d'ailleurs eu un journal qui touchait 4 à 5 millions de spectateurs mais il a été supprimé. Veut-on véritablement augmenter la visibilité des outre-mer ou simplement faire des économies ? La bascule entraînera une réduction de nos moyens sans générer de visibilité. On essaie de nous diviser et d'opposer Malakoff aux Premières, mais nous sommes solidaires et déterminés.
M. Dominique Théophile. - Des inquiétudes et des attentes ont été exprimées et c'est ce que j'attendais. Je souscris à l'idée selon laquelle une approche purement comptable et économique n'est pas pertinente ; votre analyse va bien au-delà puisque l'enjeu sous-jacent est la place des outre-mer dans la République, France Ô représentant un outil stratégique.
L'objectif de préserver la visibilité des outre-mer étant partagé, je propose l'élaboration d'un projet en commun avec la mise en place d'une plateforme, un projet alternatif qui permette, certes, de réaliser des économies, mais qui poursuive d'autres objectifs et se caractérise par un supplément d'âme. Il faut mettre en avant les atouts et les spécificités de France Ô, sa dimension humaine, et hâter le pas car la réforme du paysage audiovisuel est en marche.
Mme Véronique Polomat. - L'échéance de juillet n'est pas anodine et il est important d'exprimer dès à présent que France Ô doit demeurer sur la TNT, sur le canal hertzien. Il faut se projeter et concevoir un média global qui représente une véritable force de frappe pour la visibilité des outre-mer.
M. Michel Magras, président. - Nous avons bien noté que la bascule sur le numérique entraînerait une perte colossale d'audience et personne ne souhaite la disparition de France Ô. La visibilité de nos outre-mer doit s'entendre au niveau national mais également dans leurs bassins océaniques respectifs. Concernant le processus de réforme, nous notons qu'aucune décision n'est encore prise et que la réflexion est en cours ; nous apporterons donc, à l'image du colibri, notre contribution.