Jeudi 21 juin 2018
- Présidence de M. Michel Magras, président -Financement du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) - Audition des représentants des filières agricoles des régions ultrapériphériques françaises
M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, avant d'accueillir nos hôtes, je dois vous informer que le groupe socialiste et républicain m'a fait savoir qu'il avait désigné Mme Victoire Jasmin pour succéder à Mme Catherine Conconne comme secrétaire du bureau de notre délégation. Nous prenons acte de ce remplacement et je félicite Victoire Jasmin en notre nom collectif.
Nous sommes heureux de retrouver ce matin les représentants des filières agricoles de nos outre-mer, territoires qui constituent les avant-postes de l'Union européenne dans la Caraïbe, en Amazonie et dans l'océan Indien.
Nous accueillons ainsi des représentants de la filière sucre, canne, rhum, de la filière banane, de la filière fruits et légumes, des filières d'élevage et de la pêche ainsi que des filières industrielles de transformation agro-alimentaires ; ils sont accompagnés de Gérard Bally, délégué général et fondateur d'Eurodom qui défend leurs intérêts à Bruxelles, et de Laetitia de La Maisonneuve, en charge des relations institutionnelles.
Malgré les progrès pour une reconnaissance des contraintes et besoins spécifiques des régions ultrapériphériques, nous savons qu'il faut inlassablement, vis-à-vis de la Commission européenne, réaffirmer la nécessité d'une régulation salvatrice face au dogme de la concurrence et de l'ouverture. Notre délégation sénatoriale aux outre-mer s'est prononcée à maintes reprises sur ce sujet pour contrer les effets dévastateurs, sur les économies de nos régions ultrapériphériques, d'une politique commerciale fort peu attentive aux conséquences collatérales d'accords conclus avec les pays tiers. Certaines de nos résolutions, adoptées par le Sénat, ont rencontré un certain succès et ont concrètement aidé à éviter des dérapages extrêmement dommageables : je pense bien sûr à notre rapport d'information sur l'accord conclu par l'Union européenne avec le Vietnam et ses conséquences pour la filière sucre, notamment la production de sucres spéciaux ; je pense également au travail d'étude que nous avons réalisé sur l'inadaptation des normes phytosanitaires nationales et européennes aux conditions de production dans nos régions ultrapériphériques, qui a donné lieu à une résolution adoptée solennellement par le Sénat en séance plénière et que j'ai eu l'honneur de présenter au Forum des régions ultrapériphériques de mars 2017.
Nous voilà confrontés aujourd'hui à un nouveau danger : celui de la contraction du soutien financier apporté par le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) dont la Commission européenne elle-même, dans son rapport de décembre 2016 au Parlement européen et au Conseil, a souligné la conformité aux objectifs de la politique agricole commune (PAC) mais surtout la pertinence et l'efficacité en faisant valoir - je cite - que le programme POSEI était « essentiel au maintien des productions de diversification traditionnelles » et s'était « avéré utile dans la mise en oeuvre des exigences en matière de qualité et d'environnement ».
Nonobstant ces prises de position claires et les déclarations non moins explicites du président Jean-Claude Juncker à Cayenne lors de la conférence des RUP fin octobre 2017 sur le maintien des enveloppes POSEI, la Commission vient d'annoncer une baisse de 3,9 % dans le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027, soit une amputation en valeur absolue de près de 11 millions d'euros pour les RUP françaises. Cette annonce est le corollaire de la réduction également envisagée de l'enveloppe budgétaire de la PAC, réduction qui s'établirait pour la France à près de 6,5 % par an.
Pour autant, sachez que le Sénat ne s'y résigne pas et a réagi vigoureusement lors de sa séance publique du 6 juin avec l'adoption d'une résolution européenne prenant la défense d'une politique agricole commune forte, portée par la commission des affaires économiques et son rapporteur notre collègue Daniel Gremillet, membre de notre délégation. Cette résolution a d'ailleurs été enrichie au cours du débat par l'adoption d'un amendement défendu en séance par notre collègue de la Guadeloupe Dominique Théophile pour prôner le maintien d'un budget stable pour le POSEI. Je précise que l'amendement a été adopté avec un double avis favorable de la commission et du Gouvernement. Je salue pour ma part cette louable initiative et espère que la France parviendra à se faire entendre grâce à une mobilisation générale sur cette question primordiale.
Mais je ne voudrais pas être trop long car nous sommes d'abord là pour vous entendre et vous vous êtes mobilisés en nombre. Je vais donc immédiatement vous céder la parole. Je vous propose d'entendre en premier lieu Gérard Bally, délégué général d'Eurodom, pour une approche fédératrice du sujet, puis M. Jean-Bernard Gonthier, président de la chambre d'agriculture de La Réunion, avant de donner la parole au président Philibert et aux représentants de chaque filière.
M. Gérard Bally, délégué général d'Eurodom. - Je salue les initiatives déjà prises par le Sénat pour maintenir le budget du POSEI. Depuis près de deux ans, nous sensibilisons l'ensemble de nos interlocuteurs à Paris et à Bruxelles sur ces questions car le Brexit et ses conséquences nous préoccupent. Comme l'a rappelé à l'instant le président Magras, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, s'est engagé au maintien de l'enveloppe POSEI, tandis que le Parlement européen prenait une position concordante très claire. Dans ces conditions, et sur la base du contexte qu'avec votre aide et celle d'autres institutions nous avions aménagé, nous étions confiants et avons été surpris et très déçus de l'annonce d'une coupe budgétaire. Nous avons immédiatement engagé une série de démarches, aujourd'hui à Paris auprès des autorités politiques nationales, et demain à Bruxelles où les représentants des autres régions ultrapériphériques des Canaries, des Açores et de Madère se joindront à nous pour parler d'une même voix. Ensemble nous rencontrerons les eurodéputés et les commissaires européens concernés, M. Phil Hogan, en charge de l'agriculture et du développement rural, Mme Corina Cretu, en charge de la politique régionale, et M. Pierre Moscovici, en charge des affaires économiques et financières. Nous engageons ainsi une campagne de mobilisation et de sensibilisation afin d'obtenir que, dans la suite du processus institutionnel, le Conseil ne confirme pas l'avis de la Commission.
Je souhaite souligner que les agricultures des RUP ont longtemps souffert d'un retard de plusieurs décennies en matière de soutien financier puisque le POSEI, initialement réservé aux seuls départements français, est né fin 1989. Ce processus doit poursuivre sa dynamique de progression et non se replier comme le fait aujourd'hui la PAC. Il ne faut pas céder au mouvement de restrictions budgétaires dicté par le Brexit car entraver la dynamique actuelle mettrait à bas les économies agricoles de nos RUP. En effet, l'Europe supprimant les barrières douanières, nos agricultures seraient prises en étau entre la diminution des tarifs douaniers qui les expose à une concurrence accrue et la baisse du budget de l'aide au développement. L'abaissement des tarifs douaniers, qui induit une baisse des prix sur le marché européen, notamment des produits tropicaux, aurait plutôt dû justifier une élévation des aides accordées à nos RUP dans la mesure où il majore pour nos entreprises l'impact des surcoûts de production.
M. Jean-Bernard Gonthier, président de la chambre d'agriculture de La Réunion. - Nos îles doivent continuer à se développer et, en premier lieu, conforter les équilibres qui ont pu être mis en place en ce qui concerne les filières agricoles. Grâce au POSEI, La Réunion est parvenue à atteindre une autosuffisance alimentaire sur les produits frais de 75 à 80 % selon les années. La Réunion est le département français qui a connu la plus forte baisse d'utilisation des produits phytosanitaires. Mais nous devons faire face à une double concurrence, celle des marchés de dégagement des grandes filières européennes et celle, en quelque sorte déloyale, des pays voisins auxquels les normes européennes ne s'appliquent pas et qui produisent à bas coûts des produits traités par des substances interdites sur le territoire de l'Union européenne. Cela fragilise et déstabilise les filières locales. On nous interdit de produire de cette manière, mais le consommateur est lui exposé à ces produits qui obéissent à des normes moins exigeantes. Toute baisse du POSEI nous ferait basculer dans une situation critique, proportionnellement plus sévère que la réduction de l'enveloppe PAC pour l'agriculture métropolitaine.
M. Jean-Pierre Philibert, président de la FEDOM. - S'il y a des alternatives économiques à la politique agricole en métropole du fait de l'existence d'un important secteur industriel, l'agriculture constitue le coeur du réacteur nucléaire de l'économie outre-mer. Tout ce qui affecte sa situation a nécessairement des répercussions dommageables globales dans un contexte où les taux de chômage sont particulièrement élevés. Du point de vue institutionnel, nous ne comprenons pas la volte-face de l'Union européenne. Le POSEI se fonde sur le principe de solidarité qui est au coeur de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), reconnaissant les conditions spécifiques générant des surcoûts pour les activités économiques des RUP, notamment le secteur agricole. Cet article n'a en effet pas uniquement pour objet de permettre aux États membres d'adopter des politiques de compensation des handicaps. Le président Jean-Claude Juncker lui-même a réaffirmé ce principe de solidarité. Nous ne comprendrions pas que l'Union européenne, en l'absence de toute modification du traité, prenne la décision de baisser le budget du POSEI.
Les travaux de la délégation sénatoriale sur l'adaptation des normes, spécifiquement les normes agricoles, constituent un précieux éclairage que nous saluons. Nous attendons maintenant de la représentation nationale qu'elle rappelle le Gouvernement à la vigilance vis-à-vis de l'Europe. L'Union européenne doit respecter ses engagements.
M. Michel Magras, président. - Je tiens à ajouter que notre délégation a toujours trouvé auprès de la commission des affaires européennes du Sénat un soutien indéfectible en faveur des outre-mer.
Mme Martha Mussard, présidente de l'association réunionnaise interprofessionnelle pour le bétail et les viandes (ARIBEV). - Comme dans les autres DOM, le POSEI constitue à La Réunion un outil fondamental de structuration des filières. La Réunion présente un taux de structuration de 90 %, essentiellement dans le cadre interprofessionnel. À la demande de l'État, nous avons travaillé sur un nouveau projet de développement dénommé défi responsable, intégrant les préoccupations sociales, économiques et environnementales. Que dire aux nouveaux producteurs qui s'installent moyennant un fort endettement s'il y a une baisse de POSEI ? Devons-nous les laisser s'installer ? Dans notre interprofession, un éleveur installé crée 7 emplois. Au regard du taux de chômage élevé, la baisse du POSEI serait catastrophique car elle porterait un coup d'arrêt à nos politiques de développement.
M. Ange Milia, président de la société coopérative agricole Madivial (Martinique). - Le POSEI a permis la diversification dans nos départements ainsi qu'une structuration indéniable qui permet aujourd'hui de couvrir quasiment la totalité des besoins en produits frais carnés et près de 20 % de la consommation globale martiniquaise. Nous pouvons couvrir quasiment 100 % de nos besoins en viande. Cela a permis de créer des centaines d'emplois et de nombreuses familles vivent de cette activité. La diminution du POSEI serait catastrophique et il faudrait bien au contraire une augmentation. Le POSEI a permis à notre filière de décoller en réalisant des investissements pour l'abattage et la transformation. Couper le carburant aujourd'hui reviendrait à provoquer un crash. Nous vous demandons solennellement de nous accompagner. Il faut déconnecter le POSEI de l'enveloppe globale de la PAC car il s'agit d'un véritable outil de politique de développement et les indicateurs le confirment, qu'il s'agisse des créations d'emplois ou des conquêtes de marchés.
Après les événements de 2009, nous avons fait le pari du développement endogène, et nous devons continuer à être accompagnés dans cette démarche.
M. Sylvain Édouard, pour la société de commerce interentreprises de produits agricoles Imco (Guyane). - Je souscris aux propos tenus jusqu'à présent. Aujourd'hui, la Guyane est confrontée à une forte croissance démographique et le développement agricole est en pleine expansion. Il est inimaginable de ne pas être accompagné dans cette dynamique alors que nous devons créer des emplois ; ce serait une catastrophe sociale. En ce qui concerne la provenderie, nous avons du mal à installer des industries et les entrepreneurs ont besoin de soutien.
M. Fabrice Minatchy, président de l'Association réunionnaise interprofessionnelle de la pêche et de l'aquaculture (Aripa). - Nous bénéficions dans les filières pêche des régions ultrapériphériques d'un plan de compensation des surcoûts dans le dispositif du Fonds européens pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Cela a permis la structuration de la filière et le développement du marché local. On est ainsi passé d'un taux de couverture inférieur à 15 % des besoins à un taux de l'ordre de 21 %. La Commission européenne envisage une baisse de 25 à 30 % de ce plan de compensation des surcoûts alors qu'il s'agit de la ligne budgétaire la plus utilisée du dispositif FEAMP et que celui-ci ne baisserait globalement que de 5 %. Ces annonces se heurtent à une incompréhension totale. Nous demandons le maintien du plan de compensation de surcoût (PCS) et que les coupes budgétaires portent sur d'autres aspects.
M. Philippe Ruelle, directeur général de l'Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique (UGPBAN). - La filière banane de Guadeloupe et Martinique s'est organisée et structurée avec une coopérative dans chaque île qui encadrent 600 producteurs et 6 000 salariés. Les producteurs ont fait des efforts pour adhérer à la dynamique de développement durable dans le cadre du plan « banane durable » et ont réduit l'usage des intrants chimiques et des produits phytosanitaires de 75 % en dix ans. Nous avons créé un institut technique pour faire la promotion de nouvelles techniques de production et un dispositif de commercialisation unique sur le marché européen. Tous ces efforts de structuration et de marketing faisant la promotion de la « banane française » pourraient être réduits à néant par une baisse du POSEI car nous ne serions plus en mesure de compenser les écarts de rémunération avec les pays voisins d'Amérique du sud et centrale ou d'Afrique. Le POSEI permet en effet de compenser environ 90 % de ces écarts. L'impact social serait important puisque cela représente 10 000 emplois directs et indirects en Martinique et en Guadeloupe, 20 000 dans les Canaries et à Madère, et 500 à Dunkerque. Fragiliser ce dispositif compromettrait les efforts fournis depuis 20 ans. La baisse du POSEI aurait un effet cumulatif avec l'impact des accords commerciaux européens et la baisse des tarifs douaniers. Nous avons l'impression que l'agriculture est trop souvent la monnaie d'échange dans le cadre des tractations européennes, et encore davantage celle des DOM. Dans une approche macroéconomique, cette question paraît négligeable alors que les conséquences peuvent être catastrophiques à l'échelle des territoires.
M. Justin Céraline, président de la SICA canne union. - J'ai fait le déplacement alors que nous sommes en pleine récolte à la Martinique, particulièrement pénible. La situation à laquelle nous sommes confrontés engendre incompréhension et inquiétude. Nous venons d'obtenir une augmentation de notre contingent de rhum, nous luttons pour l'amélioration de nos produits et, dans le même temps, une baisse des dotations est annoncée.
M. Isidore Laravine, co-président pour les planteurs du Comité paritaire de la canne et du sucre (CPCS). - L'an dernier, après deux mois de grève qui ont bloqué l'île de La Réunion, nous avons obtenu 2,60 euros de rémunération supplémentaire par tonne de canne lors de la renégociation de la convention canne ; or, la baisse du POSEI aurait pour conséquence de nous priver de la moitié de cette avancée. L'affaiblissement de la filière canne à La Réunion emportera la destruction de toutes les autres filières car les producteurs se tourneront vers d'autres filières, ce qui déstabilisera le système productif de l'île ainsi que les équilibres entre les hauts et le littoral. La Réunion est la porte de l'Europe dans l'océan Indien, entourée de pays ACP, avec une pression exercée par les agricultures de l'Afrique du sud, de Maurice et de Madagascar. Il faut soutenir le modèle agricole de La Réunion qui se conforme aux normes européennes de qualité et qui est vertueux du point de vue social comme environnemental ; il ne faut pas diminuer mais au contraire augmenter le budget du POSEI.
M. Jean-Claude Cantorné, président du Conseil interprofessionnel du rhum traditionnel des DOM (CIRT DOM). - Le rhum est une bonne illustration de la nécessité du maintien de l'aide européenne actuelle. Lors d'une récente réunion des producteurs de rhum des Caraïbes, à laquelle participaient notamment la Jamaïque, Trinidad, Sainte-Lucie ou encore la République dominicaine, il a été confirmé que ces pays ne produisaient plus de canne et fabriquaient leur rhum avec de la mélasse importée, non plus de la zone Caraïbe - auparavant le Guyana était gros pourvoyeur - mais des îles Fidji et du Pakistan. Dans le même temps, les producteurs de rhum des DOM sont tenus par le règlement communautaire 110-2008 à n'utiliser que des cannes ou des mélasses du cru. Ces deux modèles de production illustrent parfaitement les contradictions de l'Union européenne et les difficultés concurrentielles que nous devons affronter. Les prix de revient sont environ 7 fois supérieurs à ceux de nos voisins. Cette injonction faite aux producteurs locaux a en réalité la vertu de dynamiser et de renforcer l'agriculture locale. Mais ce bon travail, nous ne pouvons le poursuivre qu'avec le maintien, voire le renforcement du POSEI. Or, les aides aux intrants pour la distillerie agricole sont les mêmes depuis quinze ans alors que la production a doublé.
M. Joël Sorres, président de la Fédération réunionnaise des coopératives agricoles (FRCA). - La République sait être solidaire de ses départements d'outre-mer et j'en remercie la représentation parlementaire qui a su se mobiliser en urgence. Je partage l'essentiel des propos déjà tenus. L'article 349 du TFUE est une référence précieuse et nous devons absolument nous appuyer sur cette base juridique pour apporter un éclairage nécessaire à l'ensemble de l'UE. La gestion actuelle du POSEI, outil au service de l'ensemble de nos agriculteurs, est saluée par l'ensemble de l'Union européenne. Qu'il s'agisse des filières animales ou végétales, dont la canne à sucre, nous avons fait le choix de structurer notre agriculture sous forme de coopératives qui jouent un rôle essentiel sur nos territoires. Elles permettent de produire en quantité, mais aussi de la qualité tout en respectant la régularité. Nous avons fait le choix de nous ancrer dans l'économie sociale et solidaire : un emploi d'éleveur à La Réunion induit 7 emplois directs et indirects. Le POSEI sert aussi à maintenir les emplois sur notre territoire et un niveau de prix acceptable. La filière fruits et légumes est une filière récente qui s'est construite grâce au POSEI ; toute réduction de l'aide aurait des conséquences catastrophiques.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je tiens à vous remercier de votre contribution. Mayotte n'a pas été souvent cité alors que le Département ne bénéficie des fonds européens que depuis 2014. Nous vivons de 80 % d'importations pour nourrir la population car la dynamique démographique est galopante. Je me tourne vers nos voisins réunionnais pour les inviter à jouer collectif et leur dire que j'aspire à ce que la population mahoraise se fixe sur notre territoire au lieu que les personnes en difficulté fuient vers La Réunion. Ce n'est une situation acceptable pour aucune de nos deux îles.
M. Claude Bihry, directeur général de l'Union réunionnaise des coopératives agricoles (URCOOPA). - Je représente ici l'URCOOPA mais également l'Association pour le développement industriel de La Réunion (ADIR). Je voudrais insister sur le régime spécifique d'approvisionnement pour la provenderie. Il nous faut importer 90 % des matières premières, avec les risques sanitaires que cela comporte pour des produits fragiles, alors que dans l'hexagone tout est disponible dans un rayon de vingt kilomètres. La filière élevage réunionnaise est cependant performante, à l'équivalent de ce qui se pratique en métropole. Le budget du régime spécifique d'approvisionnement de 26 millions d'euros est indispensable à nos activités. L'alimentation du bétail représente 60 % du coût de revient pour la volaille et le porc si bien que l'aide contribue à la compétitivité des prix pour le consommateur. Diminuer le RSA serait la fin de l'élevage et dans la phase actuelle de croissance de la filière nous aurions plutôt besoin d'une augmentation. Il ne faut pas oublier que sur le pilier de l'agriculture s'appuie le secteur de l'agro-transformation où de nombreux emplois sont en jeu.
M. Miguel Kichenassamy, représentant de la société collective d'intérêt agricole caribéenne de fruits et légumes (SICACFEL) (Guadeloupe). - Du POSEI dépend la survie des professions agricoles et des milliers d'emplois sont en jeu. Cela coûtera plus cher à l'État de financer le chômage que de soutenir l'activité.
M. Alex Velayoudon, représentant de l'Association Martiniquaise de l'Interprofession Viande (AMIV). - Tout a été dit et je voudrais simplement insister sur deux points. Tout d'abord, je rappellerai que, contrairement aux clichés paradisiaques, nos îles sont vulnérables et subissent de plein fouet les dérèglements climatiques, sans compter les séismes et, aux Antilles, les sargasses. Le POSEI a permis le développement de l'agriculture outre-mer et sa diversification. Le taux de couverture des besoins de la Martinique en produits frais atteint aujourd'hui 20 %. Si le POSEI se réduit, c'est l'agriculture qui disparaitra.
M. Dominique Théophile. - Au Sénat, nous avons anticipé votre combat qui ne fait que commencer. Un amendement que nous avons présenté récemment pour demander le maintien de l'enveloppe POSEI a été approuvé par la commission et le Gouvernement et adopté à l'unanimité. Le POSEI est un dispositif qui a fait des preuves et dont l'efficacité a pu être mesurée. Diminuer de 11 millions d'euros ses fonds signifie que le budget global de chaque producteur se réduirait de 3,9 %. Il ne faut pas entrer dans un processus de baisse et nous resterons vigilants.
Mme Catherine Conconne. - Je salue l'initiative d'Eurodom et l'engagement des producteurs qui ont fait le déplacement. Je suis à vos côtés dans ce combat, au nom du devoir d'équité de la France et de l'Union européenne envers nos territoires. Nous sommes actuellement dans une période de grande incertitude, qu'elle soit météorologique ou financière. Il faut reconnaître que nos territoires sont soumis à des difficultés spécifiques et que nos producteurs doivent constamment déployer des efforts extraordinaires dans ce contexte. Il n'est pas normal de devoir nous gendarmer et revendiquer avec virulence ce qui est dû, au risque de paraître pratiquer la mendicité : nous ne demandons pas de l'aide mais simplement de justes compensations. Aujourd'hui, la filière de la banane, longtemps stigmatisée par le scandale du chlordécone, a réduit de 75 % l'usage des produits phytosanitaires. Cette filière a fourni des efforts considérables mais doit constamment se battre face à une concurrence déloyale drainée par les accords commerciaux européens, avec notamment des pays d'Amérique latine bien moins vertueux en matière de normes sociales et environnementales et pourtant aidés financièrement par l'Union européenne. Canne, sucre et rhum sont des filières d'excellence. Ces productions ont obtenu des labels, désormais stabilisés. Le rhum martiniquais est ainsi labellisé « appellation d'origine contrôlée » et cela demande énormément d'efforts, alors que le partage des quotas est toujours délicat. Guadeloupe et Martinique font face à un défi démographique dû au vieillissement et au départ des jeunes. Comment dire à nos jeunes qui quittent nos territoires que nous avons besoin d'eux ? Que nous avons besoin d'agriculteurs ? La filière viande représente dix ans d'efforts surhumains, et la concurrence des produits à bas coûts déversés par l'Union européenne, comme le poulet congelé, est dévastatrice. Dans ce contexte, l'incertitude qui plane sur l'évolution du POSEI est déstabilisatrice et nous devons remédier à cette situation. Encore une fois, la France et l'Union européenne ont un devoir d'équité envers nos territoires et vous me trouverez à vos côtés dans ce combat. Pour commencer, je me rendrais avec vous à Bruxelles demain.
Mme Gisèle Jourda. - Vos témoignages nous permettent d'appréhender encore plus concrètement les difficultés auxquelles vous êtes confrontés. La résolution sur la problématique des accords commerciaux menaçant la production sucrière des régions ultrapériphériques, que nous avons adoptée au Sénat, demandait déjà le renforcement des aides financières du POSEI pour compenser les handicaps qui pèsent sur ces régions. Les autorités françaises s'intéressent à l'équilibre global des accords sans évaluer leur impact sur des filières qui ne sont pas les plus en vue. Par ailleurs, l'attitude de l'Union européenne est paradoxale puisque, par l'ouverture du marché et le soutien financier aux pays tiers, elle compromet les fruits de ses propres investissements sur le territoire européen dont font partie les RUP. De la même manière, elle ne met jamais en oeuvre les mécanismes de sauvegarde et de compensation figurant dans les accords commerciaux en cas de dépassement des quotas impartis aux pays tiers. Toute coupe des crédits du POSEI s'avèrerait dramatique et nous devons nous mobiliser, fédérer nos énergies pour contraindre l'Union européenne à respecter ses engagements. L'hexagonale que je suis sera à vos côtés, en particulier au sein de la commission des affaires européennes qui soutient la dynamique économique des outre-mer.
Mme Victoire Jasmin. - Je vous remercie d'être venus jusqu'à nous pour nous faire part de vos difficultés. Je m'associe pleinement à ce qui a été dit et vous avez tout mon soutien. On crée constamment des normes sans en mesurer l'impact : l'Union européenne préconise ainsi de privilégier les circuits courts ; mais comment développer ces circuits dans nos territoires sans les moyens nécessaires, et alors même que nos territoires sont soumis à une concurrence déloyale des pays tiers qui ne répondent pas aux mêmes exigences sur la qualité et la traçabilité des produits ? Nous devons travailler pour faire reconnaître les efforts considérables réalisés par les filières agricoles de nos territoires. Avec le scandale du chlordécone, les gens peinent à comprendre que les modes de production ont changé. Il faut améliorer l'information de la population et, à cet égard, l'UGPBAN a mené une campagne formidable de promotion de la banane française. Pour oeuvrer en faveur de la visibilité de nos productions, nous avons mené cette semaine au Sénat une opération de valorisation des produits des Antilles et de la Guyane. Nous voulons accompagner les filières qui fournissent de l'emploi à nos territoires, le chômage étant un problème majeur. Nous devons redoubler de vigilance pour optimiser les potentialités et nous voulons aussi favoriser les nouvelles installations. Notre présence aujourd'hui témoigne de l'intérêt que nous portons à ces problématiques et de notre mobilisation à vos côtés.
M. Maurice Antiste. - Nous faisons corps aujourd'hui à vos côtés et je fais le voeu que nous puissions gagner ce combat. Notre délégation elle-même, depuis 2011, témoigne de cette volonté de s'unir pour défendre les intérêts ultramarins. L'unité est la meilleure réponse à toutes les attaques car nous sommes une goutte d'eau dans l'océan des 27 pays européens ; ils ne nous connaissent pas. Ainsi, chaque fois que des décisions sont prises en matière de la politique de la pêche, les responsables européens sont incapables de concevoir les spécificités des RUP et nous nous trouvons impliqués malgré nous dans un processus d'adoption de réglementations qui ne sont pas adaptées à nos contextes et qui peuvent même avoir des effets délétères sur nos économies. Je souscris au propos de Catherine Conconne pour dire que notre démarche commune ne relève pas de la mendicité mais qu'il s'agit de nous rendre justice dans le cours de l'Histoire. Je me permettrai un parallèle avec la situation des réfugiés aujourd'hui qui affluent vers l'Europe : ils ne font que suivre le chemin inverse du pillage perpétré autrefois par les puissances colonisatrices. L'éloignement géographique de nos régions ultrapériphériques nécessite de rester vigilant et de rappeler régulièrement notre existence. Il faut avoir conscience que seuls trois pays de l'Union européenne ont des RUP. Notre mobilisation doit être forte et pérenne.
M. Michel Magras, président. - Je me permets à cet instant de rendre hommage à mon prédécesseur Serge Larcher, sénateur de la Martinique, qui a présidé la délégation. La première résolution adoptée par notre délégation a en effet eu pour objet la prise en compte par l'Union européenne des réalités de la pêche des régions ultrapériphériques françaises au moment de la réforme la politique commune de la pêche.
M. Antoine Karam. - Je prends la liberté de vous dire que j'ai contribué à la création de la conférence des RUP à l'époque où l'Union européenne avait pris le parti d'aider la Colombie, ce qui a eu pour effet de sacrifier le secteur de la pêche à la crevette en Guyane. Nous serons donc solidaires aujourd'hui et vous accompagnerons à Bruxelles pour demander au président de la Commission européenne de respecter la parole donnée puisqu'il a déclaré à Cayenne : « Nous allons poursuivre les programmes POSEI pour l'agriculture, je ne compte pas les réduire et les corriger vers le bas ». Nous devons être acceptés et respectés. Nos territoires donnent à la France sa dimension mondiale et nous ne devons pas être ravalés à des territoires sous perfusion contraints à la politique de la main tendue. Les populations continueront à braver tous les obstacles pour venir chez nous car nous sommes des espaces de prospérité dans un environnement en grande difficulté : entre 2015 et 2017, plus de 15 000 personnes sont ainsi arrivées en Guyane. Il faut que la France et l'Union européenne assument leurs responsabilités et nous prêtent davantage de considération car nous ne sommes pas de simples cautions exotiques. Qu'il s'agisse de l'octroi de mer ou des fonds POSEI, tout est constamment remis en question et ce sont des épées de Damoclès au-dessus de nos têtes, mais nous irons à l'affrontement s'il le faut.
M. Georges Patient. - Je vous prie d'excuser mon arrivée tardive qui s'explique par ma participation à une réunion avec la commission des affaires européennes où était examinée une résolution sur un sujet important, la cohésion territoriale. Les auspices sont globalement défavorables pour les outre-mer qui seront lourdement impactés par l'évolution du cadre financier pluriannuel, désormais quasiment adopté par l'Union européenne, dont l'enveloppe se réduit d'environ 10 %. Sur 15,6 milliards d'euros de fonds structurels, 27 % étaient versés aux RUP françaises. Il y a trois nouvelles catégories de régions : les moins avancées, celles en situation de transition et les plus avancées. Les RUP entraient jusqu'à présent dans la catégorie des régions les moins développées mais la Martinique va passer dans la catégorie intermédiaire, ce qui induira une baisse de 85 à 55 % du taux de cofinancement des projets. Une baisse de 85 à 70 % est également prévue pour les régions les moins avancées. Ces évolutions paraissent insoutenables au regard de la situation financière contrainte des collectivités territoriales et de l'État et constitueront un frein à la consommation des fonds européens, d'autant que parallèlement est prévu un durcissement des conditions du dégagement d'office. Les régions de l'hexagone ne sont pas autant impactées et je crains qu'une fois encore les outre-mer ne deviennent la variable d'ajustement, comme en matière de péréquation. La situation devient périlleuse pour nos économies qui sont vulnérables.
Mme Vivette Lopez. - Je partage ce qui vient d'être dit par mes collègues. Il ne faut pas oublier que les outre-mer sont la richesse de la France, son ouverture sur le monde. Je trouve regrettable que les décisions vous concernant soient prises en métropole, alors que vous connaissez, par définition, bien mieux la situation sur le terrain. Les décideurs devraient toujours se rendre sur place et il faut une réelle prise de conscience de la France et de l'Europe. Je remercie notre président de la délégation d'avoir suscité la réunion de ce jour et je vous confirme notre mobilisation à vos côtés.
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie pour ces échanges instructifs. Nous devrons utiliser tous les moyens à notre disposition pour faire prévaloir les intérêts bien compris de nos outre-mer. L'Europe nous a habitués à accompagner et à faire monter en puissance les dispositifs qui fonctionnent et je suis surpris de la volte-face actuelle de la Commission européenne sur le POSEI. Le Sénat, maison des territoires, avec notre délégation et sa commission des affaires européennes, a montré son engagement au service des territoires de la République, en particulier les outre-mer, et nous saurons continuer à porter vos justes revendications en synergie avec les députés européens et en servant d'aiguillon au Gouvernement. Notre démarche doit être celle d'un travail d'équipe.