Mardi 19 juin 2018
- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -Audition de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente, et de M. Erwan Balanant, co-rapporteur, de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale
Mme Annick Billon, présidente. - Madame la présidente, monsieur le co-rapporteur, mes chères collègues, dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, nous avons le plaisir d'accueillir ce soir Marie-Pierre Rixain, présidente, et Erwan Balanant, co-rapporteurs de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale, sur le projet de loi précité.
Cette réunion sera la dernière que nous consacrerons à ce projet de loi, après avoir entendu notre collègue Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois, le 31 mai, le Conseil français des associations pour les droits de l'enfant (COFRADE) le 7 juin, les ministres Marlène Schiappa et Nicole Belloubet le 11 juin et Danielle Bousquet, présidente du Haut conseil à l'égalité, le 12 juin, sans oublier les nombreuses autres auditions que nous avons conduites entre les mois de novembre 2017 et mars 2018, en vue de notre rapport Prévenir et combattre les violences faites aux femmes, un enjeu de société, adopté le 12 juin1(*).
Chère Marie-Pierre Rixain, cher Erwan Balanant, la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale a publié un rapport d'information sur le projet de loi qui sera examiné par le Sénat en séance publique les 4 et 5 juillet prochains. Nous avons pu constater une convergence certaine entre vos travaux et les nôtres. Votre rapport présente des recommandations pour renforcer la lutte contre les violences sexuelles qui visent notamment à améliorer la connaissance statistique de ces violences et à garantir une prise en charge spécialisée à toutes les étapes de la procédure judiciaire, en particulier en cas de viol sur mineur. Vous préconisez également le développement effectif de l'éducation à la sexualité dans le cadre scolaire, dans un esprit de prévention que nous partageons largement.
S'agissant plus spécifiquement de la protection des mineurs, vous plaidez pour la définition d'un seuil d'âge de treize ans, ce qui rejoint la proposition que nous avons formulée dans notre rapport d'information adopté jeudi 14 juin dernier2(*). Nous allons donc écouter vos positions globales sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, en particulier pour ce qui concerne l'article 2.
Nous souhaitons faire le point avec vous des principaux apports de l'Assemblée nationale sur ce texte. Nous aimerions également identifier ensemble les marges d'amélioration qui pourraient être envisagées dans le cadre de la navette parlementaire. Notre objectif vise à améliorer le texte au cours de son examen au Sénat afin d'aboutir à la solution la plus protectrice pour les jeunes victimes. Nous partageons bien évidemment tous ce but.
J'ajoute que nous aimerions rendre ces contacts plus fréquents et que nous nous félicitons de la réunion commune prévue le 28 juin.
Je vous remercie chaleureusement pour votre présence et vous cède la parole sans plus tarder.
Mme Marie-Pierre Rixain, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale. - Merci, madame la présidente. Mesdames les sénatrices, je tiens tout d'abord à vous remercier chaleureusement pour votre invitation à venir présenter devant vous les travaux que nous avons menés en tant que co-rapporteurs de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale. La coopération entre nos deux délégations est, à mes yeux, primordiale. Il me semble tout à fait pertinent que nous puissions avancer de concert sur des problématiques aussi importantes que la lutte contre les violences faites aux femmes.
Nous poursuivons en effet le même objectif. Il est nécessaire de mettre fin à toute forme de violence sexiste et sexuelle si nous voulons permettre l'avènement d'une société d'égalité et garantir aux femmes d'y trouver leur juste place. Pour y parvenir, toutes les formes de violence doivent être réprimées. Ainsi, les victimes doivent être mieux protégées et les auteurs mieux sanctionnés. En outre, nous conviendrons tous que les violences commises sur les mineurs doivent faire l'objet d'une attention toute particulière et d'une répression absolue. Il nous incombe de tout mettre en oeuvre pour les prévenir. Mieux protéger les victimes et mieux sanctionner les agresseurs : voici la double conclusion à laquelle nous sommes parvenus avec Sophie Auconie, au terme des travaux sur notre rapport d'information sur le viol3(*) que nous avons conduits pendant plusieurs mois en auditionnant près de quatre-vingt personnes et en nous déplaçant en France et à l'étranger, en Suède en particulier. Cette démarche s'est avérée fortement utile pour poursuivre notre réflexion.
Mieux protéger les victimes et mieux sanctionner les agresseurs constitue également le double objectif poursuivi par le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Ce texte renforce donc le droit existant, répond à certains vides juridiques et envoie surtout un signal extrêmement fort. En effet, les violences faites aux femmes sont intolérables. Nous ne les acceptons plus. La réponse pénale devra s'avérer sans faille. Notre démarche s'inscrit en outre dans le puissant mouvement de libération de la parole des femmes, dans le monde entier.
Je voudrais tout d'abord souligner plusieurs avancées portées par ce projet de loi. En premier lieu, l'allongement du délai de prescription constitue une évolution fortement positive, qui était attendue par les victimes et qui avait été préconisée par la Mission de consensus menée par Flavie Flament et Jacques Calmettes à la demande de votre collègue Laurence Rossignol, alors ministre chargée des Droits des femmes, que je salue. Il permettra de mieux sanctionner les auteurs de viols et d'inclure dans le cadre de la procédure judiciaire un plus grand nombre de victimes.
En outre, comme nous l'avons constaté tout au long de nos auditions, l'allongement de ce délai de prescription constitue une nécessité, afin de mieux prendre en compte les nombreux cas d'amnésie traumatique, en particulier lorsqu'il s'agit de jeunes victimes qui, en raison de leur âge ou de leurs liens familiaux avec l'auteur des violences, se trouvent en incapacité de révéler sur le moment les violences qu'elles ont subies. Cette réforme se place ainsi dans le camp des victimes et traduit une volonté claire de faire avancer la lutte contre les infractions sexuelles. Je crois que ce point emporte un consensus majeur.
En second lieu, nous avons renforcé notre arsenal pour mieux réprimer le viol comme crime. Les débats, riches et fournis, que nous avons eus en délégation, en commission des lois et en séance, ont permis de compléter utilement les dispositions du projet de loi, en particulier grâce à un amendement porté par mon collègue Erwan Balanant, qui revoit la définition du viol pour mieux prendre en compte les différentes situations de viol. En effet, la formulation « pénétration commise sur autrui » empêchait auparavant de réprimer comme un viol les cas où la pénétration était faite sur l'agresseur. Nous avons corrigé cette définition et retenu la formule « pénétration commise sur ou avec autrui », ce qui permet d'inclure notamment les cas de fellation imposée à de jeunes garçons. Il s'agit là d'une véritable avancée qui permet la répression de toutes les formes de pénétration.
De plus, le travail législatif en première lecture a également permis de mieux réprimer les cas d'inceste, qui constituent une large partie des violences sexuelles commises sur mineurs. Nous nous sommes interrogés sur ces points en délégation, mais il a nous semblé qu'il s'agissait là d'un sujet si complexe et important qu'il convenait de le traiter en tant que tel, peut-être dans un autre texte, de façon plus complète et plus ciblée.
Concernant l'article 2 du projet de loi, j'aimerais répondre à une fausse interprétation du texte tel qu'il a été adopté à l'Assemblée nationale. En effet, contrairement à ce que plusieurs médias ont pu dire, il ne conduit en rien à une correctionnalisation des viols. Le viol reste un crime et nul n'entend le correctionnaliser. Ce n'est ni l'esprit, ni l'objet de ce projet de loi. La question qui se pose est celle de la réponse pénale qu'il convient d'apporter à la relation sexuelle d'une personne majeure avec un mineur. Rappelons que notre droit, avec l'atteinte sexuelle, pose déjà un interdit. Ce dernier était toutefois mal compris et mal appliqué.
Comme l'a rappelé madame la garde des Sceaux devant votre délégation, le projet de loi apporte une précision interprétative sur les notions de surprise et de contrainte, c'est-à-dire sur deux des éléments caractérisant le viol. Cette précision permettra concrètement de poursuivre plus facilement pour viol, puisqu'il sera plus simple de démontrer l'existence d'une contrainte ou d'une surprise. Par conséquent, cette réforme arme mieux les juridictions pour sanctionner les viols.
Par ailleurs, et ce point a été peu relevé lors des débats, le texte prévoit que la cour d'assises devra systématiquement poser la question d'une requalification en délit d'atteinte sexuelle, si jamais elle décidait de ne pas retenir la qualification de crime. Ce changement aura des conséquences importantes puisque les procureurs hésiteront d'autant moins à porter les affaires devant une cour d'assises qu'ils seront assurés de cette possibilité alternative de sanction, s'il ne s'avérait pas possible de retenir finalement les éléments caractéristiques du viol.
Quant à la création d'une infraction autonome pour les actes sexuels commis par un adulte sur un mineur de moins de treize ans, nous avons conduit une longue réflexion sur ce point. Comme vous l'avez souligné, nos délégations adoptent des approches convergentes en la matière. À l'Assemblée nationale, la délégation a souhaité ouvrir le débat. Il me semble d'ailleurs que l'un de nos rôles consiste à explorer toutes les pistes possibles.
Comme l'a souligné madame la garde des Sceaux, la piste d'un double seuil d'âge de quinze ans et de treize ans semblait a priori prometteuse. J'insiste sur la notion de double seuil, car nous visions à combiner deux dispositifs. Un examen plus approfondi a cependant fait apparaître des risques constitutionnels importants. De plus, ce double seuil d'âge risque de manquer de lisibilité. D'ailleurs, la façon dont la presse a évoqué le texte montre à quel point il est aisé de mal interpréter un dispositif pénal techniquement complexe. L'instauration d'un double seuil d'âge entraînait le risque d'entretenir une confusion et de rendre le dispositif pénal peu compréhensible, voire incompréhensible.
Il nous a donc semblé préférable de préserver l'équilibre du texte et son caractère très opérationnel qui permettra, dès le lendemain de sa promulgation, de mieux réprimer les viols commis sur les mineurs. D'une part, il sera plus facile de prouver et de condamner le viol grâce à la précision interprétative des notions de contrainte et de surprise. D'autre part, si jamais le viol ne pouvait être prouvé malgré cela, la cour d'assises sera obligée d'envisager une requalification en délit. Enfin, si cette requalification a lieu, les peines seront renforcées pour garantir une meilleure protection de tous les mineurs de moins de quinze ans contre les violences sexuelles.
M. Erwan Balanant, co-rapporteur de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale. - Par ailleurs, le projet de loi permet d'adapter notre droit pénal aux évolutions technologiques, notamment aux phénomènes de raids numériques. Jusqu'alors, les raids numériques, qui correspondent à la publication par plusieurs auteurs de propos violents proférés en une seule fois à l'encontre d'une même cible, n'étaient pas pris en compte par le code pénal, car ils ne rentraient pas dans la définition actuelle du harcèlement. Par conséquent, ce projet de loi comble un véritable vide juridique qui permettra de sanctionner ces agissements, qui peuvent se révéler d'une violence extrême, allant même parfois jusqu'à des menaces de viol ou de mort. Internet n'est pas, ne peut pas et ne doit pas être un espace de non-droit.
Il s'avère primordial de protéger les plus jeunes utilisateurs, qui se trouvent exposés aux violences en ligne. Pour cette raison, nous avons préconisé dans notre rapport de compléter cette réforme par la mise en place d'une plateforme inspirée du modèle de PHAROS (Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements) permettant de signaler tous les comportements répréhensibles commis par voie numérique. Je crois que nous avons été entendus sur ce point par madame la ministre. Nous pouvons d'ailleurs nous réjouir de récentes annonces gouvernementales à ce sujet.
Enfin, le projet de loi prévoit la création de la contravention d'outrage sexiste, qui marque également un engagement fort en faveur de la lutte contre toutes les formes de violences sexistes et sexuelles. Cette infraction, issue des recommandations du groupe de travail transpartisan dont je faisais moi-même partie, permettra d'abaisser drastiquement le seuil social de tolérance à l'égard des comportements sexistes qui sont aujourd'hui omniprésents dans la vie des femmes. Cette nouvelle infraction, qui sera immédiatement applicable grâce à son caractère contraventionnel, envoie un signal clair aux auteurs potentiels et vise ainsi à rompre le plus tôt possible le continuum des violences.
J'entends l'argument visant à faire de cette infraction un délit. Je crois néanmoins que cette qualification risquerait, d'une part, de créer de la confusion avec les délits existants et, d'autre part, ne permettrait pas une répression immédiate comme c'est le cas pour une contravention. Le caractère contraventionnel de cette infraction constitue à mes yeux une grande partie de sa force. Il permettra une immédiateté des sanctions. En sanctionnant directement les auteurs, nous marquerons fortement l'interdit de ces comportements sexistes qui font encore trop souvent l'objet d'une grande tolérance.
Comme nous l'avions recommandé dans notre rapport, l'examen du texte a également permis de gagner en efficacité dans l'application de ce dispositif, en prévoyant la possibilité pour tout agent de police judiciaire adjoint et pour tout agent assermenté au titre du code des transports de constater cette infraction. Cela facilitera grandement la répression de l'outrage sexiste par toutes les forces de l'ordre, notamment les policiers municipaux ou les agents de la RATP ou de la SNCF qui pourront relever cette infraction. Ainsi, tous les territoires et tous les déplacements des femmes seront couverts.
Comme vous l'avez dit en introduction, madame la présidente, il existe une convergence certaine entre nos travaux respectifs concernant le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Nous partageons des objectifs communs. Il me semble que ce texte de loi nous offre aujourd'hui la possibilité de faire avancer notre législation et d'apporter des réponses concrètes aux situations de violence, et surtout aux victimes de violences. Je suis persuadé que nous ne nous en tiendrons pas là et que nos délégations poursuivront leur travail sans relâche pour faire disparaître toute forme de violences sexistes ou sexuelles.
À nous de faire changer les mentalités et les comportements par un travail de fond. À nous de promouvoir résolument et quotidiennement l'égalité entre les femmes et les hommes. À nous enfin de lutter contre tous les stéréotypes, et notamment ceux de genre. À nous, tout simplement, de défendre les droits des femmes en général et ceux de toutes les victimes de violences sexuelles en particulier.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci, madame la présidente, merci monsieur le co-rapporteur. Avant de laisser la parole à mes collègues, j'aimerais revenir sur le projet de loi adopté à l'Assemblée nationale. Ce dernier inclut quatre thèmes principaux. Parmi eux, l'allongement du délai de prescription, qui ne fait pas débat - même si certains auraient pu imaginer aller jusqu'à l'imprescriptibilité -, les raids numériques et la contravention pour outrage sexiste, qui recueillent un certain consensus. Pour cette raison, je propose que nos débats se concentrent sur l'article 2.
Vous nous avez parlé des précisions apportées aux notions de surprise et de contrainte. Selon vous, il serait très difficile, voire inconstitutionnel, d'établir un seuil d'âge dans la mesure où il troublerait la compréhension des magistrats et l'application de la loi. Pour ma part, j'ai pourtant l'impression que le seuil d'âge représente la manière la plus simple de poser un interdit et d'éviter toute incompréhension et tout débat autour de la qualification de crime. Lorsque vous affirmez que les actes peuvent être requalifiés en délit si le viol n'est pas établi, cela me dérange. La proposition d'instaurer un seuil d'âge, qui était initialement la vôtre, permettait d'établir clairement que l'acte dont la victime a moins de treize ou quinze ans constitue systématiquement un crime et qu'il ne sera pas requalifié en délit. Pour ma part, je ne parviens pas à comprendre le cheminement qui vous a conduit à renoncer au seuil d'âge, alors qu'il permettait d'après moi de poser d'emblée une notion de crime, selon nous indiscutable.
Je voudrais également vous demander si vous pouvez nous garantir que les « affaires » de Pontoise et de Meaux auraient été différemment traitées si le projet de loi de l'Assemblée nationale était adopté en l'état. Je ne le crois pas personnellement, mais j'attends votre réponse sur le sujet. En outre, il m'est revenu qu'un policier étant intervenu lors de l'« affaire de Pontoise » avait estimé que si un seuil d'âge avait existé à ce moment-là, l'affaire aurait été traitée différemment. Par conséquent, j'ai des difficultés à comprendre le cheminement qui vous amène, après de longs mois de travail et de nombreuses auditions, à revenir sur le seuil d'âge et être d'avis que cette formule aurait été trop complexe à mettre en place. Selon moi, la complication consiste, au contraire, à ne pas fixer de seuil d'âge et à laisser au magistrat l'interprétation de ces arguments.
Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Je suis d'accord avec les questions et les remarques formulées par Annick Billon. Il est évident que nous ne pouvons que soutenir le fond du texte et notamment les apports liés à l'allongement du délai de prescription, qui était attendu par les victimes. Nous approuvons également les dispositions prises contre le harcèlement dit « de rue », même si nous savons que l'application en sera plus difficile. Je ne suis pas sûre, par exemple, qu'un agent de la SNCF puisse prendre ce genre d'infraction en flagrant délit. Nous proposerons par ailleurs des amendements inspirés de recommandations de notre rapport La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-hommes ? Sur ce sujet, nous centrons le débat sur les dimensions patriarcales de la question.
Malgré ces convergences entre nos deux délégations, il reste la question du seuil d'âge. Parmi les nombreux arguments en faveur de celui-ci, le plus important selon moi est que l'écart d'âge entre un jeune mineur de treize ans et un jeune majeur de dix-huit ans paraît suffisant pour que l'on puisse parler de viol. En effet, à treize ans, que l'on soit un garçon ou une fille, on reste un enfant.
Mme Maryvonne Blondin. - Merci à vous deux d'être venus nous rencontrer au Sénat. Cet échange me paraît important dans la mesure où nous partageons des objectifs similaires pour défendre des valeurs communes. Je suis d'accord avec les propos d'Annick Billon pour affirmer qu'il doit être clairement interdit de toucher un enfant. Cette remarque fait référence aux travaux menés par le Conseil de l'Europe sur la Convention de Lanzarote, qui marque bien pour les États parties l'interdiction d'agresser ou d'abuser sexuellement les enfants.
Personnellement, j'émettrais quelques réserves sur le choix que vous laissez au procureur de requalifier les faits en délit. Il s'agit précisément de ce que je souhaite éviter. Les viols doivent être jugés aux assises, car il s'agit de crimes. Aucun choix ne doit être laissé. En effet, si nous ouvrons une marge d'interprétation, nous obtiendrons des réponses qui ne nous satisferont pas. Afin d'éviter cela, nous devons donner aux magistrats des outils clairs pour pouvoir qualifier ces actes de crimes.
En outre, s'agissant de la libération de la parole, on sait que l'amnésie post-traumatique peut durer plusieurs années. Or le code de procédure pénale permet désormais de suspendre la prescription en cas d'obstacles insurmontables. Par ailleurs, le parquet de Paris a développé une bonne pratique en permettant aux victimes de déposer plainte, même si le délai de prescription est écoulé. Cette démarche contribue pour la victime à une forme de réparation. De plus, comme l'agresseur sait - malheureusement - qu'il ne sera pas puni, il arrive qu'il reconnaisse les faits, voire qu'il présente des excuses. Monsieur Molins nous avait à cet égard expliqué que c'était pour la victime quelque chose de positif. Voilà une piste intéressante pour inscrire cette bonne pratique dans la loi.
Mme Victoire Jasmin. - Pour ma part, je suis d'accord avec ce qui a été dit par Annick Billon et Maryvonne Blondin. Une chose me dérange dans votre intervention. Tel que le texte est conçu, la notion de protection des mineurs n'apparaît pas suffisamment clairement, notamment pour les plus jeunes enfants. Il me semble gênant que cette obligation légale que nous avons de protéger les mineurs ne se traduise pas dans le texte. Par conséquent, votre exposé, et notamment sur l'article 2 et la définition des actes, ne correspond pas à mes attentes.
Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - En effet, le projet de loi en l'état n'affiche pas d'interdit clair et précis en ce qui concerne une relation sexuelle entre une personne majeure et une personne mineure. Le texte reste uniquement dans la qualification de la relation, sans poser l'interdit de manière claire. C'est là que réside selon moi l'avantage d'un seuil d'âge.
Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Merci d'être venus au Sénat devant notre délégation. Nos deux délégations travaillent beaucoup, l'une et l'autre. Nous nous demandons parfois si ce travail est bien reçu, lu et entendu et s'il est suivi d'effets. Travailler à la délégation aux droits des femmes est très enthousiasmant. Toutefois, cela exige également une forte obstination de notre part. Il me semble en tout cas important de travailler ensemble.
Le projet de loi qui nous est présenté comporte trois aspects principaux. Le premier - l'allongement du délai de prescription - était attendu. Il n'avait pas pu aboutir l'année dernière lors de la discussion de la loi Fenech-Tourret. Par conséquent, il a fallu déverrouiller progressivement les blocages qui existaient. J'estime pour ma part que l'imprescriptibilité n'est pas une position taboue. En effet, je ne vois pas en quoi l'élargissement de cette notion aux victimes de crimes sexuels dégraderait la notion de crime contre l'humanité, à laquelle elle est pour le moment limitée. En outre, la question de la déperdition des preuves, fréquemment évoquée contre l'allongement des délais de prescription, existe déjà pour des délais de dix-huit ou de vingt ans. L'allongement à trente ans ne changera pas grand-chose. Toutefois, l'imprescriptibilité ne semble pas mûre à ce stade. Dans ce contexte, le délai de trente ans nous satisfait pour le moment.
Concernant l'outrage sexiste, les circonstances qui permettront de réunir en un même espace-temps une victime, un auteur et un policier seront relativement rares. Pour autant, cette disposition fait partie des lois à vertus pédagogique et civilisationnelle. Il ne s'agit toutefois pas d'une révolution dans la protection et l'avancée des droits des femmes. Cet élément ne mérite donc selon moi ni excès de critiques, ni louanges particulières. Il s'avère cependant intéressant sur le plan de la méthode. J'observe ainsi que le Gouvernement n'a pas tenu compte de l'avis du Conseil d'État pour l'outrage sexiste, ce qui montre bien qu'il est parfois nécessaire de créer des textes juridiquement audacieux afin d'envoyer des messages forts à l'opinion. Si cette démarche fonctionne sur l'outrage sexiste, je me demande pourquoi elle n'a pas été appliquée à l'article 2 ?
S'agissant de cet article, j'espère que nous pourrons comprendre un jour de quelle manière nous sommes parvenus à ce résultat. Pour le moment, nous en sommes réduits à des spéculations sur le revirement opéré par le Gouvernement. Je m'étonne vraiment de ce processus. En octobre dernier, après les « affaires » de Pontoise et de la cour d'assises de Seine-et-Marne, le Président de la République a tenu un discours fort. La secrétaire d'État affirmait dans les médias qu'elle mettrait en place une présomption de non-consentement. Or l'article 2 n'atteint aucun de ses objectifs. Il échoue à la fois sur les plans politique, sociologique et législatif. Personne n'en est satisfait, ni les auteurs de la loi, ni les associations, ni les victimes, ni les professionnels.
J'aimerais donc souligner que l'objectif du projet de loi n'est pas atteint puisqu'il ne pose pas d'interdit clair et absolu sur toute relation sexuelle avec pénétration entre une personne majeure et un mineur de moins de treize ans - nous estimons que le seuil de treize ans paraît en effet le plus pertinent. A la place, le texte « bricole » une nouvelle infraction, l'atteinte sexuelle avec pénétration, qui reste dans le domaine délictuel. Elle est punie de dix ans de réclusion alors que le viol sur mineur est puni de vingt ans. En résumé, la voie qui a été choisie ne me paraît pas offrir la meilleure solution. Pourquoi ?
Tout d'abord, nous nous sommes trompés lorsque nous avons voulu nous inscrire dans une extension de la définition du viol. Nous sommes partis des caractéristiques du viol, c'est-à-dire la violence, la contrainte, la menace et la surprise, afin de parvenir à une sorte de présomption éventuellement irréfragable. Or ni la présomption ni la présomption irréfragable n'existent en droit pénal. Nous avions donc choisi une mauvaise orientation. Toutefois, il est toujours possible de reculer et de choisir une autre piste.
Une autre voie ne rencontre à mon avis aucune difficulté sur le plan constitutionnel. En effet, faire de toute relation sexuelle avec pénétration entre un adulte et un mineur un crime de violence sexuelle sur enfant, puni d'une peine de vingt ans, n'est pas inconstitutionnel. Dans ce cas, il n'existe pas de présomption irréfragable. Le Parlement, dont c'est le métier, définit un nouveau crime dans le code pénal. Rien dans cette formulation ne porte atteinte aux principes généraux du droit pénal ni à ceux du droit de la défense. Le parquet garde d'ailleurs l'opportunité des poursuites. Une fois devant la cour d'assises, la défense pourra arguer de tout moyen, notamment le fait de ne pas connaître l'âge de la victime. En outre, j'aimerais réaffirmer que les questions de constitutionnalité doivent être évaluées par le seul Conseil constitutionnel. Le Conseil d'État n'est pas le juge constitutionnel. Il faudrait distinguer les rôles de ces deux instances.
Par ailleurs, je connais bien l'argumentation de madame la ministre qui, selon moi, n'est pas cohérente. J'aimerais rappeler tout d'abord qu'il est nécessaire de rassembler soixante parlementaires pour porter un texte devant le Conseil constitutionnel. Or je n'imagine aucun d'entre nous rentrant dans sa circonscription en disant à ses administrés qu'il effectuerait une telle démarche pour une loi visant à protéger les enfants des agressions sexuelles... Peu d'entre nous seraient enclins à initier une telle procédure. Il faudrait ensuite attendre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Lorsque nous avons rencontré de telles difficultés au sujet du harcèlement sexuel en 2012, nous avons refait une loi six mois après. De plus, aucun vide juridique ne serait ouvert durant cette période, à supposer que nous nous trouvions dans une telle hypothèse. La loi continuerait à punir les agresseurs sexuels et les violeurs, en vertu du code pénal actuellement en vigueur. Si nous suivons les propositions de notre délégation, le viol et l'atteinte sexuelle demeurent. Nous n'envisageons pas de déconstruire ce qui existe. L'intention du législateur, pour sa part, serait connue par la loi qui a été votée.
J'aimerais également lever un malentendu pour mes collègues sur la requalification en délit que vous évoquez. Les juges auront la possibilité de poursuivre sur les deux chefs d'inculpation, à savoir l'atteinte sexuelle avec pénétration et l'atteinte sexuelle, afin d'éviter l'acquittement, de façon systématique. Il convient d'éviter une affaire comme celle de la Seine-et-Marne dans laquelle l'agresseur a été acquitté parce que le jury n'a pas retenu le viol. Il faut donc prévoir une solution de repli, ce dont les juges disposent actuellement, mais à laquelle ils craignent de recourir parce qu'elle adresse un mauvais message envers le jury. Cette sécurité devant la cour d'assises ne répond toutefois pas à nos objectifs.
En conclusion, j'aimerais savoir comment sortir de cette situation. J'ai lu vos travaux. Vous aviez formulé de nombreuses propositions, dont une seule se retrouve dans la loi, à savoir la plus consensuelle. Sur le seuil d'âge, vos conclusions étaient initialement les mêmes que les nôtres.
Certes, il y a urgence. Cependant, l'urgence n'est pas toujours la meilleure façon de procéder, en particulier lorsqu'il n'existe pas de vide juridique total. En outre, le fait qu'une seule lecture soit prévue pour chaque assemblée nous laisse peu de temps pour travailler conjointement. Pourtant, le temps parlementaire est utile. En effet, nos pensées se sont affinées depuis le mois d'octobre. Nos positions se sont affirmées et nos rédactions juridiques ont évolué. Le Sénat tentera de revenir sur la proposition que porte la délégation aux droits des femmes relative à la nouvelle qualification de crime de violence sexuelle sur enfant. J'estime d'ailleurs que cette proposition ne comporte pas de risque d'inconstitutionnalité. À nouveau, nul ne peut se prononcer sur ce point hormis le seul juge constitutionnel.
M. Erwan Balanant. - J'aimerais répondre tout d'abord aux questions portant sur l'effectivité de l'outrage sexiste. Nous sommes tous conscients que ces dispositions ne deviendront pas effectives immédiatement. Comme vous l'avez signalé, le texte porte d'une part un aspect pédagogique et symbolique. Par ailleurs, je crois qu'il faut entendre la volonté exprimée par le ministre de l'Intérieur de former les policiers sur ces questions, notamment la police du quotidien. Il est vrai que nous n'avons pas de policier présent à chaque stop. Toutefois, les stops sont respectés par la majorité des concitoyens. En rappelant la règle et en fixant un interdit clair, j'espère que cette loi permettra d'avancer.
Je pense d'ailleurs que les mentalités évoluent déjà. J'ai ainsi assisté à une scène dans le métro récemment. Un jeune homme était en train d'importuner une jeune femme. Très rapidement, et avant même que j'ai pu agir, quelqu'un est intervenu en citant notre texte et en parlant de l'outrage sexiste. Cette réaction m'a fait plaisir. Je suis venu soutenir son intervention en expliquant qu'une loi était en passe d'être votée sur ce sujet.
Par conséquent, si l'effectivité reste à trouver, je considère que le symbole reste puissant. Vous avez raison de signaler que l'outrage sexiste ne représente pas une révolution en la matière. Toutefois, il s'agit d'une nouvelle pierre apportée à l'édifice. Je l'estime importante dans la mesure où cet outrage représente souvent la première marche dans le continuum des violences faites aux femmes.
Mme Marie-Pierre Rixain. - Merci pour l'ensemble de vos questions. Je tiens d'abord à vous redire que nous sommes heureux d'échanger avec vous. Il me paraît essentiel que nos délégations puissent communiquer. Je me réjouis d'ailleurs que cette occasion puisse se renouveler prochainement sur un autre sujet. Par ailleurs, sachez que je suis très respectueuse de la navette parlementaire et du travail mutuel que peuvent apporter les deux assemblées, et en particulier le Sénat. J'ai beaucoup de respect pour les réflexions que nous pouvons nourrir ensemble.
J'aimerais maintenant vous faire part des réflexions qui se sont tenues au sein de notre délégation, puisque c'est elle que je représente et non le Gouvernement.
Concernant l'article 2, la manière dont nous avons réfléchi se fondait en effet sur un seuil d'âge. Dans le projet de loi, le choix politique qui a prévalu fixait ce dernier à quinze ans. Cette décision émanait d'un groupe de réflexion instauré par le Gouvernement et comprenant notamment des représentants d'associations, des professionnels de santé et des juristes. Une fois que ce seuil de quinze ans a été établi, la délégation s'est interrogée sur la possibilité d'établir un double seuil d'âge. Le seuil de quinze ans nous semblait utile et nécessaire. Toutefois, nous souhaitions introduire un deuxième seuil à treize ans.
Cette réflexion n'était pas complètement aboutie sur le plan juridique ; il nous semblait en revanche important d'ouvrir le débat sur ce point.
Comme vous le savez, environ 150 000 enfants sont déclarés victimes de viols et tentatives de viols. Il en existe probablement davantage. Pour rappel, ces enfants sont aussi bien des filles que des garçons. Les débats à l'Assemblée nationale ont bien porté sur les deux cas de figure. D'ailleurs, l'amendement que j'évoquais tout à l'heure, adopté à l'initiative d'Erwan Balanant, permet de mieux protéger les garçons.
Nous nous sommes demandé de quelle manière mieux sanctionner les crimes sexuels sur les enfants. La première question consiste à savoir ce que nous entendons par « enfant », ce qui nous amène à la définition du seuil d'âge. Différents avis se sont exprimés au cours des auditions et au sein de la délégation. Des intervenants, et notamment des professionnels de santé, nous ont bien expliqué qu'un être n'est pas le même pendant l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte. Toutefois, en droit, pour que la qualification soit retenue, a fortiori dans le domaine criminel, il est nécessaire de disposer d'une assise législative et de prouver la matérialité des faits et l'intentionnalité de l'auteur.
En effet, nous avons rencontré, avec Sophie Auconie, co-rapporteure, dans le cadre du rapport d'information que nous avons fait sur le viol, la brigade des mineurs, qui a traité « l'affaire de Pontoise », qui nous a alertées sur le fait qu'il était parfois difficile d'être pleinement conscient de l'âge réel d'un adolescent. Bien que professionnels, ils ont été eux-même surpris par l'âge apparent d'une des victimes ; l'enfant de onze ans qui s'est présentée à eux paraissait en avoir quinze alors qu'elle n'était pas maquillée et qu'elle portait un simple jogging.
Nous avons mené une deuxième audition à Clichy, où il existe des situations de prostitution sur mineurs impliquant des adolescents qui ont parfois douze ou treize ans. Indépendamment de la répression de la prostitution, les autorités policières ont également souligné la question de savoir comment l'auteur connaît l'âge de la victime, ce qui permet de prouver l'intentionnalité de l'agresseur.
Or, la réalité est variable selon le développement des enfants. A onze ans, il est clair qu'il s'agit d'un enfant. Nous devons par conséquent nous demander comment faire en sorte de criminaliser davantage les violences sexuelles sur mineur en établissant une règle applicable et robuste. Il est primordial de lever tout obstacle constitutionnel, les exigences en la matière étant a fortiori plus fortes en matières criminelle.
Nous avons auditionné la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) afin d'identifier une solution qui soit conforme à la Constitution. Alors que la délégation était attachée à ce sujet du double seuil d'âge, la DACG a émis de forts doutes sur la conformité constitutionnelle de cette solution.
Malgré cet avis, nous nous sommes engagés en faveur du double seuil d'âge, l'avons inclus dans notre rapport d'information sur le projet de loi et l'avons porté à travers un amendement en commission. Deux arguments essentiels nous ont été opposés. Le premier concerne la lisibilité. En effet, il peut s'avérer difficile d'expliquer qu'il existerait une qualification automatique de crime en raison de l'âge de l'enfant, lorsque ce dernier a moins de treize ans, tandis qu'une autre qualification, celle de viol, serait portée si l'enfant a entre treize et quinze ans. Cette logique implique une forme de gradation de la gravité des crimes en fonction de l'âge de la victime.
La deuxième problématique à laquelle nous devons répondre porte sur la constitutionnalité. S'il existe une forme d'automaticité pour l'atteinte sexuelle en raison de l'âge de la victime, nous pouvons nous demander pourquoi une telle automaticité ne serait pas possible pour un nouveau crime fixant un seuil d'âge. Si cela s'avère possible sur le plan délictuel, il n'est pas sûr que ça le soit sur le plan criminel, parce que les enjeux ne sont pas les mêmes et qu'il existe, dans le contexte criminel, une forte suspicion d'inconstitutionnalité. Au vu de ces éléments, nous n'avons pas souhaité redéposer en séance ces amendements.
Par ailleurs, l'article 2 tel qu'il est écrit aujourd'hui prévoit de préciser les notions de contrainte et de surprise, ce qui peut permettre de criminaliser davantage les viols sur mineurs. Les chiffres révèlent que 49 % des viols sur mineurs sont commis sous la contrainte ou la menace, 42 % par surprise et 9 % avec violence. Si nous voulons sanctionner les crimes sexuels sur mineurs, il convient donc de durcir et d'armer davantage le juge pour qu'il puisse retenir la surprise, la menace ou la contrainte. L'article 2 le prévoit en évoquant notamment la notion d'abus de vulnérabilité pour les enfants de moins de quinze ans, de manière à pouvoir retenir plus facilement la qualification de viol.
En outre, le recours à la question subsidiaire ne concerne pas le procureur. Il vise à rendre systématique la sanction pour atteinte sexuelle de l'auteur par la cour d'assises si la qualification de viol ne peut être retenue. Par conséquent, cette disposition de l'article 2 permet de porter un interdit à l'échelle de la société tout en respectant les dispositions constitutionnelles. Il ne pourra donc pas exister d'autres affaires telles que celle de Pontoise puisque l'auteur sera condamné de facto.
Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Vous ne pouvez pas dire qu'on va mieux criminaliser les relations sexuelles entre majeurs et mineurs et parler d'un délit. Vos propos me semblent contradictoires.
Mme Marie-Pierre Rixain. - Nous atteignons notre objectif sur la partie liée au crime puisque nous durcissons la définition du viol. Si la qualification de viol ne peut être retenue, nous prévoyons une sanction plus importante au titre de l'atteinte sexuelle.
Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Nous souhaitons réagir sur votre argumentaire, puisqu'il constitue le coeur de notre sujet. Vous nous dites que vous avez entendu les policiers chargés de l'« affaire de Pontoise » et que la petite fille, âgée de onze ans, en paraissait quinze. Si je poursuis une telle logique, à partir du moment où une jeune fille aura connu une croissance précoce, faut-il en déduire qu'elle rencontre plus de risques d'être agressée sexuellement ? Selon cet argumentaire, il serait presque normal qu'un prédateur puisse imaginer la violer ! Cela me dérange réellement. En effet, nous avons tous des enfants dans notre entourage. Est-il acceptable qu'un prédateur puisse violer une petite fille au motif qu'elle paraît plus grande que son âge et présente un développement physique précoce ?
La délégation est favorable à l'instauration d'un seuil d'âge afin, précisément, de poser l'interdit et de faire en sorte que ni l'apparence des jeunes filles, ni la question de leur développement physique ou d'éventuels signes extérieurs de féminité n'entrent en compte. Je ne suis pas convaincue que l'on facilitera l'établissement de l'infraction de viol en prévoyant des dispositions sur la contrainte qui ne sont qu'interprétatives.
Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - J'ai apprécié, madame la présidente, que vous parliez de cheminement. Certes, il s'agit d'un problème difficile et douloureux. Nous avons tous envie d'améliorer la protection des enfants. Je suis moi-même à l'initiative d'une proposition de loi, avec mon groupe parlementaire, qui a proposé le seuil d'âge de quinze ans et la présomption irréfragable. Ensuite, au fil des auditions, des échanges et de réflexion, mon avis a évolué. J'en suis venue à la proposition qui a été formulée par Annick Billon et Laurence Rossignol. Je pense désormais qu'il convient de sortir du piège de la définition pénale du viol. En effet, le viol implique toujours de prouver l'existence de la contrainte, de la surprise, de la violence ou de la menace. Or, à mon sens, ces critères ne fonctionnent pas pour les enfants. En effet, les enfants ne se définissent pas par leur apparence physique, mais par leur absence de maturité psychologique et sexuelle. Nous voyons bien que ce champ reste ouvert. Quelqu'un peut sembler plus âgé qu'il ne l'est, tout en faisant preuve d'une grande immaturité. C'est précisément ce que nous devons protéger.
Un tout autre débat se développe d'ailleurs aujourd'hui. Un groupe de gynécologues a récemment alerté sur l'accès à la pornographie des petits enfants, autour de huit ans, et sur les dégâts terribles qu'entraîne l'influence de ses codes par définition violents sur les relations sexuelles, avec des conséquences telles que des lésions physiques sur les jeunes filles. La norme devient le film pornographique, et ce dès le plus jeune âge. Par conséquent, nous devons réfléchir à la meilleure manière de protéger les enfants. Il me semble donc que le fait de dire que toute pénétration est un crime, en résumé, exclut les problématiques de surprise ou de menace.
Par ailleurs, en voulant trop bien faire, nous ne devons pas nous placer inconsciemment du côté du prédateur. Nous ne devons pas nous mettre à sa place, mais du côté de la victime. Je suis choquée de constater qu'aujourd'hui, alors qu'une lutte importante existe contre les violences faites aux femmes, nous nous trouvons loin du compte au niveau des mineurs. Par conséquent, l'idée que nous soumettons peut permettre de créer une loi protectrice. J'espère que vos réflexions évolueront également en ce sens.
Notre responsabilité consiste à poser un interdit sur une relation sexuelle entre un adulte et un mineur. Un mineur ne peut pas avoir conscience de ce qu'il subira en suivant un adulte. En effet, nous savons que les ressources et l'imagination des prédateurs sont sans fin pour entraîner leurs victimes. J'appelle donc à ne pas dévier de cette ligne. En l'état, la loi risque d'être décevante parce qu'elle n'est pas véritablement protectrice. Nous aurons raté notre cible alors que nous souhaitons tous protéger les victimes.
Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Tout le monde partage en effet ce même objectif.
Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Nous butons sur la question de l'intentionnalité, qui constitue le coeur du problème. Je partage totalement les propos de Laurence Cohen. Au bout du compte, la loi se préoccupe beaucoup plus des risques de poursuivre un auteur qui n'aurait pas eu conscience de l'âge de sa victime que de protéger les enfants. Je vois pour ma part dans ces arguments l'expression d'une solidarité, voire d'une confraternité. J'ai entendu certains me dire : « Tu veux envoyer en prison un homme qui s'est fait prendre par une " Lolita " ? ». Voilà le fantasme qui se cache derrière ces réticences sur le seuil d'âge. Je souligne en outre que nous n'évoquons jamais les « Lolitos »... Nous avons également entendu des propos sur la soi-disant maturité sexuelle des jeunes filles issues des départements d'outre-mer. L'impression qui prédomine maintenant est celle d'une résistance et d'une solidarité profonde entre les prédateurs. Malheureusement, le mouvement #Metoo n'a pas tout changé. Il a toutefois permis de mesurer cette complaisance et cet entre-soi qui permettent de perpétuer les violences faites aux femmes et aux enfants depuis des siècles.
S'agissant de l'intentionnalité, je rappelle que des personnes sont envoyées aux assises pour avoir braqué une boulangerie avec un pistolet en plastique au motif que l'intentionnalité de braquer était en effet présente ! Dans l'« affaire » de Pontoise, la petite fille avait montré son carnet de correspondance à l'auteur. Il a donc vu dans quelle classe elle se trouvait et pouvait en déduire son âge.
En réalité, les cas présentant des agresseurs soi-disant trompés par l'apparence physique de leur victime restent marginaux. Nous ne légiférons pas pour des cas particuliers, mais pour les questions centrales, à savoir la prédation et les violences sexuelles sur les mineurs.
Enfin, je le redis, cette loi est porteuse de déceptions et de frustrations. Vos arguments ne m'ont pas convaincue.
Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Chacun a travaillé pendant des mois pour se forger son opinion sur ces questions d'une grande complexité. Nous pouvons bien sûr entendre que vous ne partagez pas la nôtre. Soyez en tout cas assurés de notre écoute bienveillante.
Mme Marie-Pierre Rixain. - Nous n'en doutons pas. Sur la question du camp dans lequel nous nous situons, je tiens à réaffirmer que nous sommes, sans doute possible, du côté des victimes.
Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Je n'ai bien sûr aucun doute vous concernant.
Mme Marie-Pierre Rixain. - J'ai rencontré aujourd'hui Adélaïde Bon, qui est l'auteure du livre remarquable La petite fille sur la banquise et qui a été victime d'un violeur en série. Nous avons échangé sur le projet de loi. En tant que victime, elle perçoit ces sujets d'une manière différente de la nôtre. Il ne s'agit pas de se référer au physique de l'enfant, mais de respecter la notion d'intentionnalité posée dans le code pénal. Dans mes réflexions initiales, j'en étais même arrivée à envisager un seuil d'âge de quinze ou seize ans qui confirmerait et ajusterait les critères de la violence, de la surprise, de la contrainte et de la menace, ainsi qu'un seuil très inférieur en dessous duquel il n'existerait aucun doute sur l'intentionnalité de l'auteur.
Soyez-donc réellement assurés que nous avons beaucoup travaillé sur la protection des victimes depuis le mois d'octobre et qu'elle représente notre principale préoccupation. Nous considérons sincèrement que la disposition trouvée aujourd'hui, notamment à travers l'abus de vulnérabilité proposé par la rapporteure Alexandra Louis, aboutit à une solution pertinente et efficace.
M. Erwan Balanant. - En tant que jeune député et jeune membre de la commission des lois, je constate que le droit pénal est un droit fragile. Comme Laurence Rossignol l'a dit, il existe des temps de maturité sociétale. Or ceux-ci diffèrent parfois de la transformation du droit pénal, qui reste plus lente.
Ce texte présente à mon sens une première avancée. Même si nous n'allons pas exactement là où nous souhaitions aller, nous ne reculons pas. Ce constat paraît insatisfaisant, mais je suis convaincu que le travail sur ce sujet continuera. En effet, nous avons porté plusieurs propositions. Pour différentes raisons, nous sentons que leur aboutissement sera compliqué. Vous pouvez porter ce regard critique sur notre travail, mais ne doutez pas de notre sincérité sur ce sujet. Nos amendements peuvent en témoigner. Le combat doit continuer, notamment au Sénat.
Mme Marie-Pierre Rixain. - Lors de cette rencontre avec Adélaïde Bon, je lui ai expliqué le cheminement de la réflexion au sein de la délégation à l'Assemblée nationale. En tant que victime, elle m'a répondu que le fait d'être reconnue victime d'un viol, et non pas d'un crime, avait totalement changé sa vie. Il s'agit d'un procès récent, qui date de 2015. Ce verdict lui a permis de se reconstruire. À ses yeux, le fait de définir cette relation sexuelle comme crime ne représenterait pas une avancée. Elle voulait être reconnue avant tout comme victime d'un viol.
Mme Annick Billon, présidente. - Quel âge avait-elle lors des faits ?
Mme Marie-Pierre Rixain. - Elle avait neuf ou dix ans.
Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Il n'est pas question pour nous d'affirmer qu'il ne s'agissait pas d'un viol. Il est question de ne pas avoir à débattre sur les éléments constitutifs du viol.
Comme Laurence Rossignol l'a rappelé, les déclarations officielles entendues à l'automne 2017 nous ont paru très prometteuses et ont suscité de nombreux espoirs. Les associations ont eu le sentiment qu'une évolution était alors en cours. Aujourd'hui, nous avons tous réalisé un travail colossal.
Toutefois, je regrette que nous aboutissions à un projet de loi qui suscite autant de déception. Les acteurs de la protection des mineurs disent bien que le texte ne répond pas à leurs attentes. Nous assistons en revanche à un affichage médiatique sur le numérique avec des mesures intéressantes qui représentent des avancées, mais les moyens mis à disposition seront-ils à la hauteur de celles-ci ? Par ailleurs, si les attentes des acteurs ont été entendues, ce projet de loi n'y répond pas. Concernant l'outrage sexiste par exemple, il faudrait que les territoires disposent déjà de suffisamment de policiers pour effectuer leurs tâches quotidiennes. Le manque de moyens reste une question cruciale.
Nous vous remercions de cet échange franc. Votre position a évolué et nous le comprenons. Je ne suis pas persuadée que nous réussirons au Sénat à inverser les tendances à l'oeuvre. Je le regrette, pas tant pour le travail que nous avons effectué que pour la question de la protection des mineurs. Nous sommes tous concernés par ce problème qui touche les enfants dans la société en général.
La plupart des propositions que vous aviez formulées dans votre rapport d'information ne se retrouvent pas dans le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale. En outre, nous avons l'impression de ne jamais être entendus lorsque nous formulons des objections. L'ensemble de ce travail méritait un texte qui fasse consensus au-delà des tendances politiques. Pour nous qui avons l'habitude de travailler dans le consensus, nous trouvons cette situation extrêmement frustrante.
Mes chers collègues, je vous remercie pour votre contribution à nos débats.
* 1 Rapport n° 564 (2017-2018).
* 2 Projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : contribution au débat, rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat, n° 574 (2017-2018).
* 3 Mieux protéger les victimes, mieux réprimer les crimes de viol, rapport d'information de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, n° 721, février 2018.