- Mardi 12 juin 2018
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Mardi 12 juin 2018
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 17 h 55.
Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude - Audition de M. Marc El Nouchi, président de la commission des infractions fiscales
M. Vincent Éblé, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui notre cycle d'auditions sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude.
Après l'audition de M. Bruno Parent, directeur général des finances publiques, la semaine dernière, nous entendons aujourd'hui M. Marc El Nouchi, président de la commission des infractions fiscales (CIF).
Cette commission, créée en 1977, est composée de membres du Conseil d'État et de la Cour des comptes, de magistrats honoraires à la Cour de cassation et de personnalités qualifiées désignées par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Souvent confondue à tort avec le « verrou de Bercy », cette commission a d'abord été conçue comme une garantie pour le contribuable : sur les quelque 1 000 dossiers que lui transmet chaque année l'administration fiscale en vue d'une plainte au pénal, elle en écarte environ 6 %, qui ne lui semblent pas présenter les caractéristiques suffisantes. L'administration est liée par son avis. De fait, la « vraie » sélection se fait en amont, parmi les quelque 5 000 dossiers potentiellement « répressifs », dont le montant dépasse les 100 000 euros.
Nous nous sommes déplacés hier à Bercy avec le rapporteur général pour voir comment l'administration effectuait cette sélection, mais les critères ne sont pas toujours très explicites.
C'est donc aussi pour cela, monsieur le président, que nous sommes heureux de vous recevoir aujourd'hui pour nous exposer le mode de fonctionnement de la CIF - même si celle-ci publie chaque année un rapport d'activité -, ainsi que pour votre expérience des « critères » susceptibles de justifier ou non des poursuites pénales.
Je vous laisse la parole pour un bref propos liminaire qui vous permettra de nous présenter brièvement les méthodes de fonctionnement de la CIF, ses moyens et son organisation.
M. Marc El Nouchi. - Merci à votre commission de m'accueillir. Je suis très honoré de contribuer à vos travaux dans la perspective de l'examen du projet de loi de lutte contre la fraude fiscale.
Votre commission a été éclairée sur le sujet par le rapport établi par le sénateur Jérôme Bascher, qui a le grand mérite de la pédagogie et a permis de dissiper certains mythes, voire certains fantasmes, qui entachent l'appréciation que l'on peut porter sur le « verrou de Bercy ».
M. Vincent Éblé, président. - Je crains qu'ils ne ressurgissent malgré le mérite de notre collègue !
M. Marc El Nouchi. - Je vais donc essayer d'objectiver la situation à travers la relation que je vais faire du fonctionnement de la CIF.
Comme vous l'avez dit, la CIF a été créée bien après ce qu'on appelle le « verrou de Bercy ». Le monopole des plaintes laissé à l'administration fiscale en matière de fraude fiscale remonte en effet à 1920, la CIF ayant été créée en 1977 par une loi destinée à assurer la garantie des contribuables, dans un contexte de mouvements antifiscaux, afin de préserver les droits des contribuables qui pouvaient être soumis à la discrétion de l'administration, voire à son arbitraire dans le choix des dossiers qu'elle décidait d'envoyer devant le juge pénal.
Elle a également été créée pour jouer un rôle de filtre indispensable. Si tous les délinquants doivent être sanctionnés, tous n'ont pas vocation à aller devant le juge pénal, sauf à engorger abusivement les parquets et le juge pénal, dont les tâches sont extrêmement lourdes.
Il est donc nécessaire d'assurer ce filtre selon des critères inspirés de ceux décidés par le juge constitutionnel. Tout le dispositif actuel sur lequel reposent le « verrou de Bercy » et la CIF, qui est adossée à ce verrou mais qui en est indépendante, est juridiquement sécurisé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
La CIF elle-même est une commission administrative indépendante et non une juridiction. Ainsi que vous l'avez souligné, elle est composée de 24 membres : huit conseillers d'État, huit conseillers référendaires à la Cour des comptes, huit magistrats honoraires à la Cour de cassation, tous élus par leur corps d'origine, ce qui renforce leur indépendance, et quatre personnalités qualifiées, deux par le président de l'Assemblée nationale et deux par le président du Sénat. Cette composition a d'ailleurs été enrichie par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique financière.
Cette commission n'a pas de pouvoir d'autosaisine. Elle émet un avis conforme qui lie le ministre dans un sens ou un autre, sur la base des dossiers qui lui sont transmis par l'administration fiscale. Son champ de compétences couvre celui défini par l'article L. 228 du livre des procédures fiscales, c'est-à-dire les impôts directs, la TVA, les autres taxes sur le chiffre d'affaires et les droits d'enregistrement.
La CIF est compétente pour les délits prévus à l'article 1741 du code général des impôts (CGI) qui caractérise la fraude fiscale et la volonté délibérée de soustraire certains montants à l'imposition et comporte des circonstances aggravantes prévues par les mêmes dispositions - organisation de l'insolvabilité, création de sociétés d'interposition, établissement de comptes à l'étranger, etc.
Par ailleurs, ces dossiers nous sont transmis sur le fondement de l'article 1743 du CGI lorsqu'il n'existe pas de comptabilité régulière et probante. Dans ce cas, la CIF émet un avis conforme. Lorsque cet avis est favorable, le ministre qui nous a saisis d'un dépôt de plainte est tenu de transmettre la plainte au parquet. Dans le cas contraire, il ne peut pas le faire.
La CIF émet un avis in rem, c'est-à-dire sur les faits constitués présentés par l'administration. Si l'administration fait état, dans son projet de dépôt de plainte, de fraude à la TVA ou à l'impôt sur les sociétés, l'avis ne porte que sur ce sujet, même si la commission peut, dans certains cas, considérer que l'administration aurait pu étendre son contrôle à d'autres impôts le cas échéant.
L'avis porte donc sur ces faits et sur les personnes mises en cause, ce qui ne départit pas le procureur d'élargir le champ des poursuites à d'autres personnes que celles mises en cause par l'administration fiscale.
Par ailleurs, le procureur est libre de ne pas donner suite aux poursuites, de provoquer une information judiciaire ou de saisir un juge d'instruction. Il retrouve, une fois la plainte déposée, une marge d'appréciation totale, ce qui a conduit le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016, à considérer que la procédure n'était pas dans ces conditions de nature à remettre en cause l'indépendance de l'autorité judiciaire.
En revanche, la CIF n'a pas à être saisie de délits non fiscaux qui peuvent avoir un lien connexe, comme les délits d'escroquerie. L'administration peut porter plainte sur un autre terrain.
De la même façon, le délit de blanchiment de fraude fiscale n'entre pas en tant que tel dans le champ de compétences du dépôt de plainte par l'administration après avis de la CIF. Une jurisprudence extensive de la Cour de cassation de 2008 considère que ceci constitue un délit distinct et autonome de la fraude fiscale. Dans ce cas de figure, le procureur peut poursuivre sans avoir à requérir préalablement une plainte de l'administration fiscale.
Il existe également un délit de faux par production de pièces fausses ou inexactes. En application du second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale, les agents de l'administration fiscale sont tenus d'en informer le ministère public.
Pour tous ces délits qui ne sont pas des délits fiscaux à proprement parler, l'autorité judiciaire a une pleine liberté d'appréciation. L'administration peut de son côté porter plainte ou se porter partie civile.
La CIF est saisie d'environ 1 000 dossiers par an. Le rapport de M. Bascher a démontré que les contrôles effectués par l'administration sur les entreprises et les personnes physiques, soit un million au total, constituent essentiellement des contrôles sur pièces. Environ 50 000 font l'objet de vérifications. 15 000 d'entre eux excèdent un certain seuil et sont susceptibles d'être examinés dans ce cadre. 4 000 dossiers excèdent le seuil indicatif de 100 000 euros. L'administration décide de ne saisir la CIF que pour 1 000 d'entre eux. Pour ce qui est des 3 000 autres, l'administration transige dans 7 % des cas, considérant que les autres dossiers ne méritent pas une suite pénale et que la seule sanction administrative pécuniaire suffit. D'autres considérations liées au risque juridique interviennent en cas de risque de décharge de l'imposition en cause devant le juge de l'impôt.
Nous recevons donc 1 000 dossiers par an. Nous les examinons assez rapidement. Dans les cas de droit commun, nous laissons un mois aux contribuables mis en cause pour faire valoir leurs observations.
Dans la moitié des cas, avec ou sans le concours d'avocats fiscalistes spécialisés, ceux-ci produisent des observations examinées par la CIF sur la base d'un document établi par un rapporteur au sein d'un vivier d'une quarantaine de personnes, soit magistrats, soit fonctionnaires. Ce sont actuellement essentiellement des fonctionnaires de la DGFiP, qui font preuve de beaucoup d'indépendance. Ces rapports tendent à établir la matérialité des faits, leur intentionnalité. Ils prennent en compte les observations des contribuables et proposent un avis favorable ou défavorable.
C'est sur cette base que la CIF, qui compte 28 membres, soit quatre sections de sept membres, délibère collégialement.
La CIF, sur la base d'un ensemble de critères, de circonstances atténuantes ou aggravantes, qui tiennent aussi aux personnes, décide ou non de donner un avis favorable à l'engagement de poursuites. Cet avis favorable est donné dans 90 % à 95 % des cas, ce dont il ne faudrait pas inférer abusivement qu'elle ne sert à rien et constitue une simple chambre d'enregistrement, car ce rôle de filtre joue précisément du début jusqu'à la fin. D'une certaine façon, l'administration fiscale intériorise la jurisprudence de la CIF dans les projets de plaintes qu'elle nous envoie, même si celle-ci n'est pas écrite.
Certains dossiers nous paraissent mériter une suite pénale. Dans ce cas de figure, le doute subsiste peu. Le juge lui-même n'en a pas beaucoup : dans plus de 90 % des cas, il suit la proposition de l'administration, après avis conforme de la CIF. L'ensemble du dispositif repose sur le principe du tri. Celui-ci est absolument indispensable. L'organisation juridique est fondée sur la partition entre d'une part des sanctions administratives pécuniaires qui peuvent atteindre 40 % des droits dus en cas de manquement délibéré, et jusqu'à 80 % en cas de manoeuvres ou d'abus de droit, voire 100 % en cas d'opposition à un contrôle fiscal, et d'autre part des sanctions pénales.
Au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du principe constitutionnel selon lequel la sanction doit toujours être proportionnelle à la gravité des fautes, ce tri est normal, et il faut réserver la sanction pénale à sa fonction réelle d'exemplarité.
C'est dans l'exemplarité de cette sanction que l'action publique, qui est garante des intérêts de la société, trouve sa justification. Elle revêt un caractère très difficile pour les personnes qui la subissent, et possède un aspect parfois infamant et destructeur. Il ne faut jamais avoir une conception technocratique de ce que représente le renvoi d'un contribuable devant un tribunal correctionnel.
C'est ainsi que fonctionne la CIF. Elle le fait dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel - qu'elle respectait avant même qu'elle soit établie par le juge constitutionnel. Nous avons globalement le sentiment que ce système est juridiquement sécurisé et joue son rôle de tri et de garant de la protection des contribuables, qui peuvent faire falloir leurs observations, même s'il n'y a pas d'oralité.
La CIF est un organe extrêmement original dans l'administration française. C'est à la fois un pont avec l'administration, mais aussi avec le pénal, puisque c'est son intervention qui déclenche ou non l'intervention du juge pénal.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Selon moi, la CIF n'est pas le vrai « verrou de Bercy ». La question réside plutôt dans ce qui se passe avant.
La CIF constitue plutôt une protection du contribuable contre un éventuel arbitraire de l'administration, qui peut juger que le dossier n'est pas suffisamment établi, que l'âge du contribuable conduit à ne pas poursuivre, etc.
En 2017, on a compté 47 900 contrôles externes. 14 228 constituent des dossiers répressifs au-delà de 7 500 euros de droit éludés et plus de 30 % de droits rappelés. Parmi ces dossiers, 4 785 dossiers ont des droits supérieurs à 100 000 euros.
Ces chiffres nous ont été communiqués par l'administration fiscale. Au final, environ un millier de dossiers sont transmis à la CIF.
L'administration centrale fait ensuite un premier tri et est amenée à écarter une quarantaine de dossiers, considérant qu'il n'y a pas lieu de poursuivre : quand des personnes ont été condamnées pénalement pour d'autres faits bien plus graves et que la poursuite pour fraude fiscale n'est pas indispensable.
Le vrai problème est de savoir ce qui se passe pour les 3 000 à 4 000 dossiers, qui représentent un enjeu de 100 000 euros de droits éludés mais ne sont pas soumis à la CIF. C'est sur ce point que les éléments donnés dans le rapport de notre collègue Jérôme Bascher et celui de l'Assemblée nationale nécessiteraient d'être encore détaillés.
Connaissez-vous l'origine des dossiers que l'on vous transmet ? Émanent-ils d'une direction particulière ? Vous intéressez-vous à cette question ou est-elle pour vous secondaire ?
Par ailleurs, votre qualité vous autorise-t-elle à émettre une appréciation personnelle sur les préconisations du rapport de nos collègues députés, qui proposent notamment de revoir les critères ? Pensez-vous possible d'inscrire dans la loi des critères objectifs de seuils ou de type d'infractions ?
Pouvez-vous enfin nous expliquer quels sont les critères qui vous amènent à renoncer aux poursuites ?
M. Marc El Nouchi. - Les dossiers nous sont transmis par le service du contrôle fiscal de la DGFiP, qui les fait remonter des pôles régionaux, parfois avec difficulté : il faut en effet mobiliser l'ensemble de ces pôles pour qu'ils puissent constater les infractions et mener les contrôles afin que l'administration centrale sélectionne les dossiers.
Nous ne connaissons que l'origine géographique des contribuables en cause, le dépôt de plainte prenant la forme d'une transmission au parquet. Le fait de connaître l'origine du dossier apparaît in fine sans incidence sur la suite à donner à ces dossiers, notamment pénale.
Les propositions de la mission d'information commune de l'Assemblée nationale peuvent laisser à penser que l'administration retiendrait des dossiers pour des motifs étrangers à ses missions, procédant d'un certain arbitraire ou de considérations politiques ou autres. Je n'y crois absolument pas !
L'administration s'inscrit dans le cadre de l'ordonnancement juridique. Elle a la possibilité d'infliger aux délinquants des sanctions administratives pécuniaires très fortes et, au-delà, de façon complémentaire, dans le but d'une répression effective de la fraude fiscale, d'engager éventuellement des poursuites pénales.
L'administration agit sur la base de critères déjà définis. La circulaire de décembre 2014, qui a suivi la loi du 6 décembre 2013 poussant à la coopération entre l'administration et l'autorité judiciaire, comporte déjà ces critères, liés à la fois au quantum de droits éludés d'un certain montant, avec l'idée qu'il faut conserver à la sanction pénale un caractère d'exemplarité. Banaliser la répression pénale, c'est en quelque sorte la « démonétiser ».
Le second critère porte sur la nature des agissements : la soustraction frauduleuse à l'impôt s'est-elle faite en recourant à des logiciels permissifs de caisse, à la création fictive d'établissements stables, à la création artificielle de sociétés dans des paradis fiscaux ? L'équation humaine liée à la personne du contribuable peut aussi jouer son rôle...
Un expert-comptable, un notaire, un avocat, un pharmacien, quelqu'un qui détient a fortiori des fonctions électives ou qui vient de la haute administration a une obligation d'exemplarité en matière fiscale. C'est donc une circonstance aggravante. Les professions réglementées sont également astreintes à l'exemplarité fiscale.
Parfois, certaines personnes âgées ont pu faire l'objet de manipulations familiales en matière de plus-values, d'héritage ou de transmission. Certains jeunes démarrent également dans la vie avec un passif terrible, ayant été eux aussi des hommes de paille. Cependant, l'absence de comptabilité, l'existence d'agissements fautifs et de réitération de faits n'entraîne aucune bienveillance.
Ces critères généraux sont maintenant constitutionnels. Je pense qu'il faut les inscrire dans la loi, avec le souci d'une certaine plasticité. En effet, si la loi est trop rigide, cela peut poser un problème constitutionnel par rapport à l'exercice par le Gouvernement de la liberté de définition de la politique pénale, qui est de son ressort. Par ailleurs, le fait de trop brider la marge d'appréciation de l'administration pourrait être défavorable à la répression de la fraude fiscale.
Vous avez évoqué le montant de 100 000 euros : je n'en ai jamais parlé, car il est purement indicatif. On poursuit bien évidemment les infractions au-delà d'un certain montant, mais on poursuit parfois en deçà en raison de la personnalité du contribuable en cause et des circonstances.
De la même manière, on peut faire preuve de bienveillance, même au-delà des 100 000 euros, pour un chef de PME qui procède accidentellement à de la rétention de TVA pendant six mois pour payer ses salariés, alors que ni lui ni son épouse, qui s'avère être sa collaboratrice, ne s'octroient de salaire et que la société est économiquement en péril.
C'est l'ensemble de ces appréciations qui donne un sens à l'examen individualisé par la CIF, qui tient compte des dossiers et permet, par son caractère centralisé, d'assurer une égalité de traitement entre les contribuables fautifs.
De ce point de vue, les propositions de la mission de l'Assemblée nationale tendent à transférer ce filtre à la coopération entre l'administration fiscale et les parquets au plan régional. Autrement dit, les 4 000 dossiers seraient étudiés par l'administration et les parquets lors de réunions trimestrielles, ceux-ci décidant vraisemblablement en méconnaissance des garanties qu'apporte actuellement la CIF aux contribuables.
Il faut, dans ce domaine, assurer une bonne coopération entre les administrations et l'autorité judiciaire, mais dans le respect de leurs compétences respectives.
Dans ce dispositif, que ferait un parquet local si la DGFiP lui disait qu'elle n'est pas favorable aux poursuites ? Actuellement, le juge pénal prend en moyenne trois ans pour juger les 1 000 plaintes. Certains dossiers très importants attendent d'être jugés depuis cinq ou six ans, et pourraient être atteints un jour par la prescription, ce qui serait dramatique et discréditerait l'autorité judiciaire face aux contribuables, qui sont en droit d'attendre une sanction pénale efficiente et rapide en la matière. Dans quelles conditions de moyens opérationnels ce type d'opérations pourrait-il avoir lieu ?
Je ne défends pas absolument la CIF : je considère simplement que le dispositif actuel a sa vertu et son efficacité.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Environ 1 000 dossiers par an sont soumis à la CIF. En revanche, le nombre des décisions de justice diminue. On recensait 1 101 décisions en 2006, contre 770 décisions en 2016. On est par ailleurs passé de 697 condamnations définitives à 430.
Même les peines d'amende sont passées de 250 à 131 entre 2006 et 2016, alors que le nombre des dossiers transmis à la CIF et celui des dossiers auxquels la CIF donne un avis favorable est constant. Le nombre des décisions de justice a quasiment diminué de moitié, et le nombre d'amendes aussi.
Il y a donc un problème d'allongement des délais ou de non-lieu. Peut-être la justice estime-t-elle en ce moment avoir d'autres priorités que de traiter la fraude fiscale ?
Mme Nathalie Goulet. - Nous sommes ici un certain nombre à émettre quelques doutes. Vous nous avez communiqué des éléments extrêmement importants concernant les délais, le tri, l'opportunité des poursuites. Nous ne sommes de toute façon pas là pour nous convaincre les uns les autres.
Un classement sans suite de l'enquête pénale pour fraude fiscale n'a aucune autorité de la chose jugée vis-à-vis du juge administratif - juge de l'impôt - alors même que le procureur de la République, saisi suite à un avis favorable de la CIF, a déterminé qu'il n'y avait pas de délit de fraude fiscale.
Ne pensez-vous pas que la loi devrait évoluer pour permettre de donner une autorité à l'extinction des poursuites pénales afin que le juge de l'impôt ne rende pas de décisions contradictoires en édictant des pénalités pour mauvaise foi ou manoeuvres frauduleuses ?
M. Marc Laménie. - Avez-vous une idée du manque à gagner pour l'État que représentent les dossiers que vous examinez ?
Par ailleurs, le premier impôt, c'est la TVA, mais il en existe d'autres. Quels sont ceux sur lesquels vous recensez le plus de fraudes ?
Enfin, le budget de la sécurité sociale, également très important, fait souvent l'objet de fraudes. Intervenez-vous dans ce domaine ?
M. Jérôme Bascher. - Vous avez dit être moins bienveillant en cas de récidive. Seriez-vous favorable à l'inscription de ce critère ?
Par ailleurs, pensez-vous que les peines de prison pour fraude fiscale soient encore utiles lorsqu'un ancien ministre du budget condamné pour fraude fiscale ne va pas en prison ? Ne faut-il pas plutôt « frapper au portefeuille » ?
Enfin, on regrette souvent que la justice ne puisse pas s'autosaisir des faits de fraude fiscale. Verriez-vous d'un bon oeil que la justice puisse saisir la CIF pour savoir s'il y a lieu ou non de poursuivre ?
M. Éric Bocquet. - Vous avez dit que tous les dossiers n'avaient pas vocation à finir au pénal. On peut l'entendre. Pouvez-vous toutefois nous dire quel est le dossier type avec circonstances aggravantes qui serait sans aucun doute transmis au pénal ?
En second lieu, comment expliquer la relative stabilité du nombre de contrôles ? Est-ce dû à votre capacité de traitement ou à celle de la DGFiP, ou bien s'agit-il d'un objectif ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Avez-vous une idée de l'impact de la mise en place du prélèvement à la source et de la transformation du régime social des indépendants (RSI) sur la fraude ?
M. Thierry Carcenac. - La CIF travaille sur des contrôles aboutis. Les contrôles en cours pourraient-ils présenter un intérêt en matière de poursuites ?
Deuxièmement, on a évoqué le critère de 100 000 euros de droits. Pour 2016, on est en moyenne à 286 000 euros. S'agissant de l'ISF, huit personnes, l'an dernier, ont été soumises à ce traitement. Les droits sont de 125 000 euros. Les particuliers, cela représente 25 % de vos dossiers. S'agissant des 3 000 ou 4 000 dossiers restants, a-t-on une idée du pourcentage qui concerne le secteur des entreprises ?
Enfin, on parle beaucoup du plaider-coupable. Pensez-vous que cela puisse avoir un effet d'accélération dans le traitement des dossiers ?
M. Michel Canevet. - Quel est le délai moyen de décision de la CIF une fois le dossier transmis par la DGFiP ?
Par ailleurs, la difficulté venant de Bercy, ne conviendrait-il pas que la CIF puisse se saisir de l'ensemble de ces dossiers ? Avez-vous la capacité de traiter un tel volume ?
M. Vincent Éblé, président. - Monsieur le président, vous avez la parole.
M. Marc El Nouchi. - Certaines de mes réponses vont sans doute vous décevoir, quelques questions ne ressortant pas de la compétence du président de la CIF.
La première question est une question juridique, qui met en cause le principe de l'indépendance des procédures pénale, administrative et judiciaire. De la même façon que le juge pénal statue souverainement, le juge administratif lui-même n'est pas lié par l'engagement d'une procédure visant à sanctionner une fraude fiscale. Ceci repose sur le principe constitutionnel de l'indépendance des procédures, qui n'est pas facile à remettre en cause.
Le juge constitutionnel a posé un principe dans sa décision du 24 juin 2016 en indiquant que lorsqu'un contribuable a été déchargé de l'imposition, il ne peut plus y avoir de sanction pénale à son encontre. Ceci signifie qu'il faut fixer des limites au cumul des sanctions administratives et pénales. C'est aussi une façon de plafonner le montant global de l'imposition infligée à un contribuable.
Je ne peux qu'en rester à ce constat. Ce sont des principes qui participent de l'indépendance de chaque juridiction et de leur mode de fonctionnement. On a, en France, une séparation duale assez importante entre le juge judiciaire et le juge administratif, qui tient à l'histoire de notre pays. Le Royaume-Uni n'a pas la même tradition. Pour être sincère, je ne vois pas beaucoup de perspectives pour remettre ce dispositif en cause.
Par ailleurs, le manque à gagner en matière de revenus soustraits à l'imposition est considérable : il s'agit de dizaines de milliards d'euros. Cet enjeu est à la mesure de ce qu'il faut faire pour mener le combat qui convient, en articulant les compétences des uns et des autres de façon intelligente, et en renonçant aux querelles de chapelle.
Ces sommes sont distraites au financement de l'économie et à la redistribution sociale, mais je n'ai pas d'autres chiffres à vous donner que ceux qui figurent dans la presse.
Quant aux montants soustraits aux Urssaf, ils ne figurent absolument pas dans le champ de compétences de la CIF, aux termes de l'article L.228 du livre des procédures fiscales. Notre champ de compétences concerne les contributions directes, l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés, les taxes sur le chiffre d'affaires, etc., mais pas l'ensemble des ressources d'ordre social.
Le sénateur Jérôme Bascher m'a par ailleurs demandé s'il faut inscrire le critère de récidive parmi les critères de la loi. En termes juridiques, on ne parle pas de « récidive » mais de « réitération » des infractions. Cela fait partie des circonstances aggravantes lors de l'examen de nos dossiers. Déterminer les cas de réitération serait quelque peu difficile à définir dans la loi. Cela fait partie des circonstances aggravantes dont l'appréciation doit être laissée à l'administration, de la même façon qu'il peut exister des circonstances atténuantes au profit des contribuables.
Pour ce qui est de l'utilité des peines de prison, il existe beaucoup de condamnations - 524 l'année dernière -, assez peu de peines de prison ferme - 70 environ -, pas mal de peines de prison avec sursis et un certain nombre de peines d'emprisonnement de l'ordre d'un an maximum.
La loi permet de sanctionner financièrement à un niveau bien plus élevé : l'article 1 741 prévoit 500 000 euros, cinq ans d'emprisonnement et, en cas de circonstances aggravantes 2 millions d'euros et sept ans d'emprisonnement. Le juge pénal a donc la faculté d'utiliser toutes les ressources de la loi.
Je crois qu'une peine de prison ferme, même s'il y est recouru assez modestement, revêt une valeur d'exemplarité. Je ne pense pas qu'il convienne de revenir sur la possibilité de l'infliger.
Quant à la saisine directe de la CIF par le procureur, elle pourrait se faire dans un cas très différent de celui que vous imaginez. S'il n'y avait plus de « verrou de Bercy », le procureur de la République et le parquet auraient alors à traiter directement ces 4 000 dossiers susceptibles de faire l'objet de poursuites pénales. Ils pourraient solliciter l'avis de la CIF pour un examen individuel de la situation des contribuables avant l'engagement de poursuites pénales. C'est un cas de figure dans lequel je ne m'inscris naturellement pas.
Il en existe un second, lorsque le procureur découvre, à la faveur de l'enquête sur un délit de droit commun, un élément sous-jacent de fraude fiscale. Serait-il possible de poursuivre sans demander à l'administration de déposer une plainte préalable ? Ceci n'empêche pas que la coopération serait absolument nécessaire, le parquet ne pouvant absolument pas travailler sans l'administration. La CIF n'a pas vocation à exister en tant que telle : elle doit être utile dans sa double fonction de garantie des contribuables et de filtre.
Le sénateur Éric Bocquet a demandé de définir le dossier type. Il existe des dossiers absolument accablants sur lesquels la CIF n'a pas l'ombre d'un doute. Elle prend le temps de la réflexion, examine le dossier de l'administration et le document établi par le rapporteur, lit les observations du tribunal, qui la confortent dans sa conviction : quand un contribuable fraude de façon massive, en utilisant des procédés extrêmement déloyaux en matière de rétention de la TVA ou de fraude à l'impôt sur les sociétés, il crée des distorsions de concurrence, cette pratique lui permettant d'offrir des prix absolument déloyaux.
Un dossier type est un dossier dans lequel il existe une réitération des faits, où le contribuable a déjà fait opposition à un contrôle fiscal ou a créé des sociétés pour les seuls besoins d'une activité en franchise d'impôt.
En ce qui concerne la stabilité des chiffres, je l'ai dit, nous instruisons les dossiers que nous recevons. Certes, la CIF est relativement occupée. Nous sommes tous pratiquement bénévoles - et pour la plupart fonctionnaires en activité. Deux séances par semaine dans chaque section, soit huit séances par mois, cela représente beaucoup de travail, mais ce n'est pas le critère qui, selon moi, détermine la transmission.
Les critères sont basés sur la nature des dossiers eux-mêmes. Ce sont des questions qu'il faut poser en amont à l'administration. La CIF n'est pas un « second verrou », comme j'ai pu l'entendre par ailleurs.
Quant au prélèvement à la source, il peut y avoir des comportements anticipatoires en la matière, mais ils ne peuvent être pour le moment analysés sur le terrain de la fraude fiscale. Il faudrait avoir davantage de recul. Nous n'avons aucun dossier à ce sujet.
Le nombre de dossiers se répartit globalement à 70 % entre les entreprises et 30 % pour les personnes physiques. Parmi elles figurent des dirigeants sociaux à qui l'on reproche, en tant qu'acteur social de l'entreprise, d'effectuer une captation des revenus sociaux de l'entreprise ou d'utiliser les comptes de l'entreprise à des fins personnelles.
S'agissant du plaider-coupable, il convient de poser la question au ministère de la justice et à l'administration fiscale. Peut-être est-ce un moyen d'accélérer les procédures qui peut être utile, mais c'est un dossier en gestation, et je n'ai aucun recul pour apprécier son efficacité.
Concernant les moyens, la CIF travaille rapidement dans la mesure où nous recevons les dossiers, les transmettons aux contribuables en cause, qui ont un mois pour répondre et faire valoir leurs observations. Il n'existe pas de débat contradictoire. Nous recevons souvent des mémoires très consistants. Dès qu'on obtient une réponse, on inscrit l'affaire à l'ordre du jour. Cela peut donc aller très vite. Parfois, c'est encore plus rapide lorsqu'on a des dossiers de police fiscale.
En effet, la CIF n'intervient pas toujours au terme d'un contrôle avéré. La procédure de police fiscale, prévue par l'article L. 228 du livre des procédures fiscales, constitue un cas dérogatoire dans lequel l'administration a une présomption caractérisée de fraude fiscale aggravée en cas de création de sociétés dans des paradis fiscaux, d'interposition, d'organisation d'insolvabilité, etc. Des présomptions caractérisées et un risque de dépérissement des preuves sont nécessaires pour agir. Il faut rapidement engager les moyens de la police judiciaire fiscale, au sein de la Brigade nationale de répression de la délinquance financière (BNRDF) pour donner les moyens à ces services d'identifier les contribuables et l'objet de la soustraction à l'impôt.
Dans ce cas, le contribuable n'est pas informé. Dès que l'on réceptionne le dossier, il est inscrit à l'ordre du jour sans que l'on ait besoin des observations des intéressés.
Quant à la capacité de la CIF à traiter 4 000 dossiers, elle n'en a absolument pas la possibilité actuellement. Est-ce vraiment sa vocation ? Je rejoins les réflexions de Jérôme Bascher : la CIF a été créée pour être un organisme de tri, d'examen individualisé des dossiers qui méritent la sanction pénale. Si on va au-delà, on en fait un organisme d'investigation. Sa nature change alors complètement. Elle n'a pas vocation à être une autorité administrative indépendante. C'est une hypothèse que je n'envisage pas. Il faut qu'elle reste dans ce dispositif très souple qui la relie à la fois à l'administration et au juge pénal.
En revanche, il serait bon que la CIF soit informée des 3 000 dossiers que l'administration ne lui soumet pas. Nous tenons des réunions où nous invitons l'administration à échanger avec nous. Nous allons également inviter le parquet afin de travailler en bonne synergie. Il serait normal d'avoir cette information.
J'ajoute - et je crois que c'est l'intention du Gouvernement - qu'il me paraîtrait normal que le Parlement en dispose aussi.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 heures.
Mercredi 13 juin 2018
- Présidence de M. Claude Raynal, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs - Examen des amendements de séance déposés sur les articles délégués au fond sur le texte de la commission des affaires économiques
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - Avis défavorable à l'amendement n° 24 rectifié qui rétablit la rédaction initiale de l'article 3, qui a été supprimé lors de l'examen en commission.
La directive TVA de 2006 est d'application stricte : elle autorise l'application des taux réduits de TVA à des travaux de rénovation, mais certainement pas à des travaux aboutissant à rendre l'immeuble comme neuf, ce que propose cet amendement dans le parc de logements privés. Elle autorise également l'application de ces taux réduits pour des programmes de logements prévus dans le cadre de la politique sociale, mais pas pour des programmes qui comportent seulement 10 % de logements sociaux et 25 % de logements intermédiaires.
Enfin, la dernière loi de finances a recentré, à juste titre selon notre commission, le dispositif Pinel sur les zones où le marché du logement est tendu. Il ne convient pas de revenir là-dessus. C'est une question de coût pour les finances publiques, mais aussi d'efficacité : le dispositif favorise les propriétaires qui investissent dans certaines zones, mais il ne crée pas la demande là où elle n'est pas suffisante.
M. Patrice Joly. - Je vous prie de m'excuser pour mon insistance, mais cet amendement est important. Il faut des dispositifs qui encouragent la réhabilitation des logements dans les centres-villes et les centres-bourgs. Donnons-nous les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de ces réhabilitations. Les auteurs de cette proposition de loi sont attentifs aux décisions de notre commission. Ils considèrent que les taux réduits de TVA sont un levier important pour mettre en oeuvre leur texte.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - Je maintiens mon avis défavorable. Ces taux réduits de TVA ne sont pas compatibles avec la directive.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cette mesure serait pour le moins novatrice. Les taux réduits de TVA étaient jusqu'alors décidés par le législateur au niveau national, pas par la commune.
M. Patrice Joly. - Il n'y a pas loin d' « OSER » à « audace ».
M. Philippe Dallier. - J'ai co-signé la proposition de loi. En loi de finances, nous avions touché à la TVA pour compenser le fait que le Gouvernement fera les poches des bailleurs sociaux. Le projet de loi ELAN nous donnera l'occasion de discuter du financement des logements sociaux. Mieux vaut reporter le débat à l'examen de ce texte, voire du prochain projet de loi de finances.
M. Pascal Savoldelli. - La prochaine réforme de la fiscalité locale risque de mobiliser la TVA au service des collectivités territoriales. Cela pose problème. Le sujet sera aussi traité dans la loi de finances. Ce projet de loi a été co-signé par des sénateurs de sensibilités politiques différentes. En matière fiscale, les dispositions ne sont pas assez bien préparées. Nous nous abstiendrons. D'autant que le texte concernera 220 collectivités seulement...
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - Il en concernera plus de 600. Philippe Dallier a raison ; une réflexion est en cours au niveau européen pour que les États puissent fixer leur taux réduit de TVA avec davantage de liberté. Dans le même temps, le ministre de l'économie a indiqué qu'il souhaitait revenir sur un certain nombre de taux de TVA réduits. Attendons.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 24 rectifié.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - Dans leur amendement n° 30, Rémy Pointereau et Martial Bourquin restaurent de manière partielle l'article 3, supprimé à notre initiative. Les premier et troisième alinéas reprennent des dispositions du taux réduit de TVA dans les logements privés, contraires au droit communautaire et déjà rejetées par notre commission. Le deuxième alinéa, plus acceptable, étend aux périmètres d'opérations de sauvegarde économique et de redynamisation (OSER) un taux réduit de TVA applicable pour les logements sociaux et intermédiaires dans les zones tendues sous certaines conditions. Enfin, le quatrième alinéa étend le dispositif Pinel aux périmètres OSER, ce qui est contraire à l'avis que nous avions rendu lors de l'examen du dernier projet de loi de finances. Avis défavorable qui pourrait devenir un avis de sagesse si les auteurs acceptaient de rectifier leur amendement en améliorant les premier et troisième alinéas et en retirant le quatrième.
M. Rémy Pointereau, co-auteur de la proposition de loi. - Cette réduction du taux de TVA est très attendue par les collectivités territoriales. Nous avions souhaité que le dispositif Pinel puisse s'appliquer quand l'opération se situe dans un périmètre OSER. Cette mesure est indispensable pour faciliter la rénovation des centres-villes. Je suis d'accord pour améliorer l'amendement en séance. Mais ce point est important.
M. Marc Laménie. - Il faut rendre les centres-bourgs et les centres-villes attractifs en les réhabilitant, c'est évident. Cependant, les taux réduits de TVA sont-ils conformes au droit européen ?
M. Bernard Delcros. - Il est essentiel de rétablir le dispositif Pinel dans les centres-villes si l'on veut attirer des investissements afin d'y rénover le patrimoine en mauvais état.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - Le préfet, après étude détaillée du contexte immobilier local, pourra plafonner le nombre de logements et les surfaces concernés par le dispositif Pinel. Il ne faut pas que des épargnants se retrouvent en difficulté sous prétexte de défiscalisation. Nous pourrons avoir le débat en séance.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 30.
Articles additionnels après l'article 4
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 13 rectifié augmente de 66 % à 75 % la réduction d'impôt sur le revenu au profit des particuliers mettant à disposition d'une association culturelle à titre gratuit un local dans un périmètre OSER. Il est intéressant de prévoir une animation culturelle dans ce genre de périmètre et la mesure n'entraîne pas de dépense considérable. Avis de sagesse.
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 13 rectifié.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - Avis défavorable à l'amendement n° 10 rectifié qui porte à 80 % l'abattement d'impôt sur le revenu appliqué aux micro-entrepreneurs au titre de la location saisonnière dans les périmètres OSER. Il pourrait favoriser un report des nuitées vers les locations souvent effectuées par l'intermédiaire d'internet, au détriment du secteur hôtelier, fragilisant ainsi un secteur pourvoyeur d'emplois. Il pourrait également favoriser le développement de la location temporaire pour des logements jusqu'alors loués à des habitants résidents, rompant ainsi un facteur de dynamisme pour le centre-ville ou le centre-bourg. Enfin, en l'état du texte et de la définition du périmètre OSER, cet amendement présente une difficulté constitutionnelle au regard du principe d'égalité devant l'impôt.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10 rectifié.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 8 rectifié institue un crédit d'impôt au titre des dépenses de rénovation d'un logement situé en périmètre OSER. Le dispositif serait proche du crédit d'impôt « transition énergétique » (CITE) et s'appliquerait à toute rénovation de logement en périmètre OSER. Le plafond de dépenses est identique, soit 8 000 € pour une personne seule et 16 000 € pour un couple, avec une majoration pour personnes à charge supérieure à celle du CITE. Le crédit prendrait en charge 15 % des dépenses engagées, contre 15 à 30 % pour le CITE en fonction du type de travaux.
L'impact financier n'est pas chiffré et il s'agirait donc d'une nouvelle dépense « de guichet », avec un effet d'aubaine probablement très important, car aucune condition particulière ne viendrait limiter son application. Le dispositif présente la même difficulté qu'avec les autres mesures fiscales du texte : pourquoi s'appliquerait-il dans une rue choisie par la commune, et pas dans la rue voisine ? Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8 rectifié.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 7 rectifié reprend le dispositif du crédit d'impôt sur les intérêts de prêts pour l'acquisition d'un logement, qui existait jusqu'en 2010, en l'appliquant dans un périmètre OSER.
Or la loi de finances pour 2011 a remplacé ce crédit d'impôt, pour plusieurs raisons : il présentait un fort effet d'aubaine, il favorisait des ménages qui n'en ont pas forcément besoin puisqu'il est d'autant plus élevé que le bien est onéreux, et il contribuait à la hausse des prix puisqu'il était ouvert à tous les acheteurs. On observerait probablement les mêmes effets avec le dispositif proposé, puisqu'il suit les mêmes modalités.
Ce crédit d'impôt a été remplacé, ainsi que d'autres dispositifs d'aide, par le prêt à taux zéro + (PTZ +). Il y aurait donc, en périmètre OSER, chevauchement de deux dispositifs, alors même qu'il ne s'agit pas nécessairement des endroits où il est le plus difficile de trouver un logement. Avis défavorable.
M. Gérard Longuet. - Je comprends votre position. Il n'en reste pas moins vrai que l'investissement de rénovation en centre urbain de type OSER est parfaitement non rentable. Le prix du mètre carré à rénover implique des investissements supérieurs à la valeur vénale. Nous aurons un débat difficile en séance. La commission donne le sentiment d'être à côté des réalités économiques et ne prévoit rien pour réduire la différence entre le coût des rénovations assurées par les propriétaires et la valeur vénale des logements. Cependant ces amendements ne règleront rien, que nous les votions ou pas. C'est décourageant, mais c'est la réalité.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7 rectifié.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 9 rectifié institue un crédit d'impôt pour les dépenses d'acquisition et de réhabilitation d'immeubles situés en périmètre OSER. Il bénéficierait aux organismes HLM, à condition qu'ils donnent le logement en location ou qu'ils le confient à un centre régional des oeuvres universitaires et scolaires. Le montant du crédit d'impôt serait de 40 %. Ce dispositif est proche de celui prévu dans les départements d'outre-mer par l'article 244 quater X, mais avec beaucoup moins de conditions et de contrôles.
Les organismes HLM, de même que d'autres organismes de logement social, sont déjà exonérés du paiement de l'impôt sur les sociétés pour les opérations réalisées au titre du service d'intérêt général. Ceci inclut notamment l'acquisition et l'amélioration de logements à loyers plafonnés, destinés à des personnes sous conditions de ressources.
Comme le présent amendement limite le montant du crédit d'impôt au montant de l'impôt dû, son effet serait forcément très limité et ne relèverait pas des missions d'intérêt général des organismes HLM. En tout état de cause, il ne s'accompagne d'aucune évaluation de l'impact réel qu'il aurait sur des déclenchements d'opérations. Avis défavorable.
M. Pascal Savoldelli. - J'ai la même opinion que le rapporteur. L'effet du levier fiscal pour que les bailleurs sociaux soient en situation d'acquérir des logements est d'une inefficacité flagrante. Le levier fiscal fait porter l'effort sur la nation, alors qu'il faudrait plutôt solliciter le secteur bancaire. Nous sommes d'accord sur l'objectif ; il reste à nous entendre sur les leviers à privilégier. Beaucoup de communes se heurtent à un refus de la part des banques, lorsqu'elles veulent relancer une activité. Le levier fiscal suffira-t-il ou ne faut-il pas engager davantage les banques dont je rappelle qu'elles pratiquent des prêts à taux zéro, voire négatifs ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - C'est un autre sujet. Des dispositifs spécifiques existent pour le démarrage d'entreprises, comme les prêts d'honneur à taux zéro. Ce type de dispositif n'est pas adéquat. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 9 rectifié.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 6 rectifié prévoit une exonération de la taxe de publicité foncière ou des droits d'enregistrement pour les acquisitions d'immeubles situés dans les périmètres OSER. Une exonération de ce type existe déjà dans le code général des impôts qui s'applique lorsque l'acquéreur s'engage à reconstruire l'immeuble, ou dans le cadre de zones à urbaniser par priorité ou de zones d'aménagement différé. L'exonération proposée par cet amendement serait beaucoup plus large puisqu'elle concernerait l'ensemble du périmètre des centres-villes OSER, soit au moins 4 % de la surface urbanisée et une proportion sans doute nettement plus élevée des immeubles.
Les droits de mutation sont un impôt dont on connaît les limites : ils ont sans doute un impact social car ils rendent coûteuse toute cession d'immeuble, et donc tout déménagement pour un propriétaire. Pour autant, leur réforme éventuelle ne peut être réalisée à l'occasion de cette proposition de loi, mais devrait intervenir à l'occasion d'un projet de loi de finances, dans le cadre de la réforme des finances locales annoncée par le Gouvernement.
Enfin, l'amendement entraînerait une perte de ressources pour les communes et les départements. Avis défavorable.
M. Claude Raynal, président. - Cette dernière phrase assèche le sujet.
M. Michel Canevet. - Les communes devraient pouvoir décider d'exonérer les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) dans les périmètres OSER.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - C'est ce que prévoit l'amendement, de manière automatique.
M. Michel Canevet. - Ce n'est pas au département de décider sur la part communale.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement supprime la perception des DMTO dans le périmètre OSER sans consultation de la commune, ni du département. D'où notre avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6 rectifié.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - Avis de sagesse aux amendements identiques 27 rectifié ter et 38 rectifié ter qui relèvent de 5 000 euros à 10 000 euros le plafond du crédit d'impôt au titre de l'équipement numérique. Il était proposé initialement un crédit d'impôt de 30 000 euros. Nous avions décidé de l'abaisser à 5 000 euros, ce qui permettait des acquisitions de 10 000 euros.
M. Patrice Joly. - La semaine dernière, notre commission avait envisagé l'aspect matériel de l'article. Or il faut prévoir les prestations intellectuelles et les accompagnements dans la transition vers le numérique, ce qui explique l'augmentation des coûts et la remontée des seuils.
Mme Christine Lavarde. - Nous nous étions déjà étonnés du montant du crédit d'impôt par rapport à ce qu'il devait financer. On nous parle maintenant d'équipement informatique et de prestations intellectuelles d'accompagnement. Je reste étonnée qu'un tel montant de crédit d'impôt s'applique à des équipements dont les charges sont déjà en partie déductibles.
M. Philippe Dallier. - Les sites marchands n'ont pas tous la même envergure. Prévoir un forfait pouvant aller jusqu'à 10 000 euros pour créer une simple page web où figure ce que l'on vend dans une boutique serait excessif. Il faudrait préciser le dispositif.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - Dès le début, nous avions précisé qu'il ne s'agissait pas seulement du matériel informatique, mais de toutes les prestations d'ingénierie. Pour que le système soit efficace, l'ingénierie est portée de façon collective par l'ensemble des commerçants et le prix est mutualisé. Un investissement de 10 000 euros avec un crédit d'impôt de 5 000 euros serait de nature à répondre à la plupart des besoins.
M. Philippe Adnot. - J'ai beaucoup d'amitié pour Rémy Pointereau. Cependant, que faites-vous des artisans du village voisin de 200 habitants, où il n'y a même pas de centre-ville et qui sont en concurrence avec les autres ? C'est la faute à pas de chance... Arrêtons avec tout cela.
M. Rémy Pointereau. - Il ne s'agit pas uniquement d'acheter du matériel informatique. L'objectif, c'est de créer une plateforme de vente en ligne regroupant plusieurs commerçants, ce qui leur assurera une présence sur le marché du numérique sans aller, bien sûr, jusqu'à concurrencer Amazon.
M. Philippe Adnot. - Cela créera des distorsions de concurrence qui empireront la situation de ceux qui ne sont pas dans les centres-bourgs.
M. Martial Bourquin, co-auteur de la proposition de loi. - Cet amendement permettra aux artisans, y compris ceux du village voisin, d'avoir un showroom dans le centre-bourg, ce qui contribuera à relancer l'artisanat, en multipliant les possibilités d'embauche pour les artisans. On présentera leurs travaux et leurs savoir-faire dans des boutiques plus ou moins durables ou éphémères. C'est une pratique très intéressante, qui a déjà cours dans plusieurs villes.
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur les amendements identiques nos 27 rectifié ter et 38 rectifié ter.
Article additionnel après l'article 9
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 12 rectifié exonère de cotisation foncière les entreprises des micro-entrepreneurs installés dans un périmètre OSER pendant les deux ans suivant l'année de la création de leur entreprise, ce qui porterait à trois ans la durée totale de l'exonération.
Pour la collectivité concernée, ce nouveau cas d'exonération viendrait en corollaire de la décision d'engager une opération de sauvegarde économique et de redynamisation. Il permettrait d'accompagner le lancement de nouvelles activités dans ces territoires.
Toutefois, en l'état du texte et de la définition du périmètre OSER, cet amendement présente une difficulté constitutionnelle au regard du principe d'égalité devant l'impôt. Philippe Adnot vient d'en parler : deux micro-entrepreneurs pourraient se retrouver dans une situation différente devant la cotisation foncière des entreprises (CFE) selon qu'ils sont installés ou pas dans un périmètre OSER. La mise en oeuvre d'une telle opération résulte d'une démarche volontaire des collectivités, et non de l'application automatique de critères préalablement définis comme certains dispositifs de zonage. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 12 rectifié.
Article additionnel après l'article 12 (supprimé)
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 41 porte de une à cinq années la durée de l'exonération des cotisations patronales au titre des assurances sociales et des allocations familiales, pour une entreprise de moins de 50 salariés en zone de revitalisation rurale (ZRR). Il ne s'appliquerait que dans les intercommunalités dont la densité de population est inférieure à 20 habitants par kilomètre carré.
Ce dispositif, déjà présenté dans le cadre du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, ne peut être accepté parce qu'il n'a pas de rapport avec la présente proposition de loi.
Je fais toutefois observer que les charges patronales ont très fortement diminué au cours des dernières années, tout particulièrement avec la transformation du CICE en baisse des charges. Les exonérations zonées ne présentent donc plus un grand avantage comparatif en matière de charges sociales. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 41 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 28 rectifié restaure la taxe sur l'artificialisation des terres dans la rédaction d'origine. Demande de retrait au profit de l'amendement n° 33 qui constitue un moyen terme entre le texte voté par la commission des finances et le texte d'origine de la proposition de loi.
Il prévoit à nouveau, dans son I et son II, d'instaurer une taxe sur les locaux de commerce destinés au commerce électronique et propose, dans son III, de relever à 1 000 mètres carrés le seuil d'application de la taxe concernant les surfaces commerciales. Je rappelle qu'il était fixé à 400 mètres carrés par la proposition de loi et que nous l'avions rehaussé à 2 500 mètres carrés. Au-dessus de 1 000 mètres carrés, les projets sont soumis à une autorisation d'exploitation commerciale, de sorte que la taxe ne s'appliquerait pas aux petits supermarchés qui sont nécessaires dans tous les quartiers de la ville et qui causent certainement moins de tort aux commerces du centre-ville que les établissements plus vastes. Cette rédaction améliore le rendement de la taxe et nous pourrions l'accepter.
Enfin l'amendement coordonne la taxe sur l'artificialisation des terres avec la taxe dite « taxe sur les bureaux » (TSB) en Île-de-France, qui porte également, en réalité, sur les commerces, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement. La taxe sur l'artificialisation ne s'ajouterait donc pas à la TSB, ni à la surtaxe sur les surfaces de stationnement instaurée par la loi de finances pour 2015. Enfin, on conserverait le seuil de 500 mètres carrés pour la prise en compte des surfaces de stationnement. Avis de sagesse.
M. Patrice Joly. - L'amendement n° 33 est effectivement meilleur que le n° 28 rectifié.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 33 constitue la colonne vertébrale de la proposition de loi. Sans moyens, nos propositions n'auront pas d'efficacité. Cet amendement fait droit aux demandes principales des auteurs du texte.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 28 rectifié et s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 33.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 43 fixe un objectif « zéro artificialisation nette du territoire d'ici 2025 » dans le code de l'urbanisme. Un objectif de cette nature existe déjà et l'amendement, qui adopte une position très rigide, s'éloigne du cadre strict de la proposition de loi. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 43 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 47 fixe pour objectif à compter de 2022 de n'acheter que des produits n'ayant pas contribué à la déforestation importée. Il s'éloigne du cadre de la proposition de loi. Le Gouvernement travaille à l'élaboration d'une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée, qui devrait être présentée à l'été. Elle concernera surtout l'impact de certaines productions sur la déforestation à l'échelle mondiale. Nous examinerons bientôt le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 47 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 44 qui supprimait la taxe sur les livraisons liées au commerce électronique est satisfait, car notre commission a remplacé la taxe sur les livraisons par une taxation spécifique des entrepôts de stockage principalement affectés au commerce électronique. Demande de retrait ou avis défavorable.
M. Jean-François Rapin. - Cet article pose problème. Nous avons instauré une taxe sur les locaux de stockage. Or ces locaux sont pourvoyeurs d'emplois. Pourquoi ne pas supprimer l'article dans son intégralité ?
M. Philippe Dominati. - Cette suppression a déjà été proposée dans un amendement déposé lors de notre dernière réunion. Je n'ai pas été convaincu par la proposition médiane du rapporteur. Je suis favorable à la suppression intégrale de l'article.
M. Jean-François Rapin. - Claude Malhuret souhaitait supprimer l'article alors qu'il ne faisait pas encore mention de la taxe sur les bâtiments.
M. Jérôme Bascher. - Le dispositif va-t-il s'appliquer réellement aux entreprises visées ? Il risque de toucher des entreprises parfois fragiles. Dans le Nord et le Pas-de-Calais, La Redoute fermerait définitivement avec un tel dispositif, car l'entreprise est proche du point mort. De nombreux locaux de stockage concernent des PME.
M. Martial Bourquin. - Sont exonérées de la taxe « les livraisons des entreprises commerciales ou artisanales dont le chiffre d'affaires n'excède pas 50 millions d'euros. » Toutes les entreprises fragiles sont donc exemptées de la taxation.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - Nous aurons ce débat lors de l'examen de l'amendement n° 34 rectifié.
M. Marc Laménie. - L'amendement exonère La Poste, dont on connaît l'importance comme service public local. J'y suis donc favorable.
M. Arnaud Bazin. - Vous évoquez là l'amendement suivant, le n° 34 rectifié.
M. Philippe Adnot. - Examinons cet amendement avant de prendre position.
M. Claude Raynal, président. - Cela me semble approprié.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 34 rectifié rétablit la taxe sur les livraisons de biens commandés par voie électronique - déjà remplacée par une taxation spécifique - avec des modalités corrigées par rapport au dispositif supprimé par la commission des finances, afin de prendre en compte certaines de nos observations. Ses modalités ne conduisent plus à un montant très variable et parfois très élevé, au détriment des territoires périphériques. La taxe est proportionnelle à la valeur du bien avec trois échelles territoriales : un taux de 1 % lorsque la distance entre le dernier lieu de stockage et l'adresse de livraison finale est inférieure à 50 kilomètres, 1,5 % lorsque la distance est entre 50 et 80 kilomètres, 2 % lorsque la distance est supérieure à 80 kilomètres.
Subsistent néanmoins trois difficultés. La première tient à son calcul : comment garantir la capacité de l'administration fiscale à récupérer les informations concernant la distance parcourue pour la livraison du bien ? La deuxième en découle : cette information sera plus facilement récupérable auprès des acteurs français du e-commerce que des géants étrangers. Il ne faudrait pas que la taxe s'opère au détriment de nos entreprises qui cherchent depuis quelques années à surmonter leurs difficultés en développant des activités de commerce en ligne. La troisième est essentielle, car elle conditionne la validité du dispositif : le champ des exonérations a été complété par rapport au dispositif initial. L'exonération prévue pour les livraisons effectuées par La Poste ne respecte pas le principe d'égalité devant les charges publiques. J'appelle donc les auteurs de l'amendement à retirer cette exonération. Sous le bénéfice de ces observations, je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. Claude Nougein. - Cet amendement de bon sens rétablit la taxe sur les livraisons ; auparavant, les entrepôts étrangers étaient exonérés de taxe, les français étaient pénalisés. Par contre, je m'inquiète des différentes exonérations. On est loin du choc de simplification ! Sont exonérées de la taxe les livraisons non consommatrices d'énergie fossile ; il faudra recenser tous les véhicules de livraison ! Sont exonérées les entreprises commerciales et artisanales ayant un chiffre d'affaires inférieur à 50 millions d'euros ; cela suppose que chaque client donne son chiffre d'affaires ! Un bon impôt est un impôt simple !
M. Pascal Savoldelli. - Le chiffre d'affaires d'une entreprise n'est pas révélateur de sa solidité...
M. Philippe Dallier. - Bonne remarque !
M. Pascal Savoldelli. - Comment avez-vous défini le critère de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires ?
M. Philippe Dominati. - Je suis opposé à la création de cette taxe, qui aurait soi-disant une incidence économique faible. C'est le client, ou sinon l'entrepreneur et l'entreprise - créateurs d'emploi - qui paieront ! Les collectivités critiquent l'État lorsqu'il prend une taxe en rabotant, et elles font pareil ! Cela ne fait pas partie de ma philosophie politique.
Mme Nathalie Goulet. - La semaine dernière, notre commission s'était prononcée sur la taxation des kilomètres. Malgré les améliorations, cette mesure sort d'un contexte général alors que nous cherchons une taxation plus globale. J'y suis opposée.
M. Martial Bourquin. - Rémy Pointereau et moi-même avons retravaillé notre dispositif après la dernière réunion de la commission des finances. On ne peut pas laisser les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), non soumis à notre fiscalité, tailler des croupières à notre économie. On nous oppose le coût pour le consommateur, mais ayons la volonté politique de ne pas laisser faire cela ! Une fiscalité de 3 % sur le chiffre d'affaires des GAFA n'est pas encore pour demain : deux pays européens y sont encore opposés. Pendant dix ans, ils continueront à gagner des parts de marché en raison du différentiel de fiscalité. Rétablissons une concurrence saine grâce à la taxation des livraisons. Nous avons tenu compte de vos objections et travaillé sur une fiscalisation plus légère et plus efficace.
Nous avons choisi le chiffre de 50 millions d'euros pour ne pas toucher les PME et les PMI qui réalisent du stockage et sont parfois en difficulté, afin d'éviter qu'elles soient touchées lorsqu'elles font du commerce électronique. Cette nouvelle taxe ne doit pas se retourner contre elles.
M. Jérôme Bascher. - Je comprends parfaitement cette philosophie, mais vous continuez à proposer un dispositif trop compliqué. Nous ne sommes pas allés au bout de la réflexion, même si la copie est un peu retravaillée. L'objectif est en-deçà de nos attentes. Les grandes entreprises ne sont pas propriétaires de leurs sites, ce sont des sociétés foncières internationales. Attention à ce que nous ferons.
M. Philippe Adnot. - A-t-on mesuré la complexité du dispositif proposé, avec un premier taux de 1 %, qui change ensuite selon le nombre de kilomètres ? Cela sera répercuté sur le consommateur : plus il sera loin, plus il paiera. La facture est établie au moment de l'envoi. Ayons le courage de dire non.
M. Jacques Genest. - Même si j'approuve les objectifs de ses auteurs, cette disposition sera très difficile à appliquer techniquement. Ce serait comme donner de l'aspirine à un malade du cancer. Si l'on n'avait pas ouvert autant de supermarchés, les petits commerces n'auraient pas disparu, et si l'on n'avait pas libéralisé le prix de l'essence, les stations-services de nos villages n'auraient pas fermé ! Soyons cohérents et regardons les choses en face.
M. Jean-François Husson. - Il y a un problème de ligne politique et de faisabilité économique. Vous proposez un choc de complexité ! Je vois qu'un expert-comptable va s'exprimer... Honnêtement, c'est pire que le grand loto des chiffres ! Je ne comprends pas l'exonération prévue pour les moyens de transport non consommateurs d'énergie fossile. Certes, il faut faire attention au climat mais aussi au cycle de vie des véhicules. On risque de se retrouver en contradiction avec l'un des objectifs. Je ne comprends pas non plus l'exonération pour les livraisons dans un bureau ou un point de contact de La Poste ; certaines activités privées ont une amplitude d'ouverture dans les territoires bien plus grande et ne sont pas mentionnées.
M. Bernard Lalande. - La distribution par le e-commerce est certainement le commerce de demain pour les PME. Auparavant, des intermédiaires se partageaient la richesse. Désormais, importent le bien et le flux. Le producteur et le poste de livraison à proximité du consommateur se partagent la marge.
M. Gérard Longuet. - Et il y a de la marge !
M. Bernard Lalande. - Oui, mais elle n'est pas là où l'on voudrait qu'elle soit. Chaque pays doit mettre en oeuvre des modélisations fiscales. Certes, l'application du dispositif n'est pas simple, mais celui-ci a le mérite de poser la question : comment trouver une assiette fiscale qui puisse répartir la valeur ajoutée dans tous les pays ? Il faudrait taxer les mouvements. Je suis favorable à cet amendement. L'année dernière, notre commission était arrivée aux mêmes conclusions à la suite de la présentation du rapport sur la fiscalité de l'économie collaborative : il faut taxer le bien et le flux.
M. Claude Raynal, président. - Nous passons d'une société s'intéressant au bien et au mal à une société mercantile, de biens et de flux !
M. Gérard Longuet. - Je crains que l'amendement ne soit trop ambitieux, pour traiter un problème qui le dépasse. J'ai beaucoup de respect pour Martial Bourquin, un passionné de l'industrie en France - normal pour un Lorrain ! Quel est l'impact de la technologie ? Jacques Genest défend le monde rural avec conviction - je suis aussi issu du monde rural, même si par certains aspects je suis citadin. Le commerce numérique a sauvé le monde rural. Amazon a de multiples défauts, mais dans l'immense majorité des villes, bourgs et chefs-lieux de canton, voire des sous-préfectures, les librairies ont disparu. Le seul moyen pour lire est Amazon. Faut-il déplacer une voiture pour tenter sa chance dans la librairie de la sous-préfecture, alors que vous êtes certain d'obtenir votre livre par voie électronique - sans compter que le regroupement de nombreux produits sur une plateforme fait une énorme économie d'énergie. Le sujet est complexe, et la réponse n'embrasse pas la totalité du problème. Soyons prudents.
Ainsi, l'exemption des énergies non fossiles peut répondre à la demande de « bobos » parisiens livrés par des cyclistes à domicile, mais l'énergie humaine est très coûteuse et peu rentable - c'est pour cela que l'automobile a été inventée... Souvent il faut combiner l'énergie fossile du camion, l'électricité d'une camionnette et une terminaison finale tantôt musculaire tantôt électrique, fabriquée à partir d'énergie nucléaire décarbonée ou d'énergie fossile. Lorsque les éoliennes ne suffisent pas, on fait tourner les centrales à charbon ou les turbines à gaz... Nous risquons de susciter l'étonnement amusé de la part de l'opinion. Reportons la solution. Je ne voterai pas cet amendement.
M. Jean Pierre Vogel. - Je partage l'analyse de Bernard Lalande sur les GAFA mais je ne voterai pas un impôt nouveau à la charge du consommateur final. Un bon impôt est un impôt simple, compris de tout le monde et surtout contrôlable. Attention aux usines à gaz !
M. Jean Pierre Vogel. - Je ne sais pas si l'administration fiscale aura les moyens de contrôler le dispositif.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je partage votre avis sur les GAFA. La taxe prévue à l'amendement n° 34 rectifié est plus simple et plus acceptable que la version initiale, mais elle pose deux problèmes : il est sympathique d'exonérer La Poste, mais DHL ou UPS pourront faire n'importe quel recours, par exemple une question prioritaire de constitutionnalité, pour faire valoir l'égalité devant l'impôt. Ils gagneront à coup sûr !
Par ailleurs, je m'interroge sur la possibilité d'appliquer la taxe. Un forfait serait plus clair. Tenir compte du nombre de kilomètres pose le problème des market places. Un produit vendu par Amazon peut certes venir de sa plateforme d'Orléans, mais aussi, en cas de vente par un tiers, de n'importe où - Amazon ne le sait pas. Or le contrat de vente nécessite de répercuter les prix, donc de connaître le circuit réel. La réalité du groupage et de la chaîne logistique fait que le colis parcourt souvent bien plus de kilomètres que le trajet direct à vol d'oiseau. Il est extrêmement compliqué de calculer la distance réelle parcourue.
L'impôt recouvré doit être simple. Comme Philippe Dominati, je ne suis pas favorable à la création d'une nouvelle taxe, ou alors, il faudrait une flat tax forfaitaire pour financer les centres-bourgs. Je ne suis pas en désaccord sur le fond, mais sur l'application réelle du dispositif.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur le rapporteur, nous attendons votre synthèse de cette discussion foisonnante !
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - Je ne m'y hasarderai pas... La taxation du commerce électronique est extrêmement complexe. Nous n'allons pas épuiser le sujet dans cette proposition de loi, et aurons beaucoup de travail. Cette taxe serait très difficile à calculer, et risquerait de défavoriser les opérateurs français par rapport aux étrangers. L'exonération pour La Poste ne tiendra pas en face de la Constitution. Retrait ou avis défavorable à l'amendement 44, avis de sagesse sur l'amendement 34 rectifié. Ce n'est pas excessivement courageux, mais cela permettra peut-être, par un sous-amendement, de faire évoluer le texte. Faisons vivre le débat.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 44.
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 34 rectifié.
Article additionnel après l'article 27
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 45 propose un rapport sur la réforme de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), afin d'assujettir les plateformes de vente en ligne. Je demande le retrait de cet amendement, car une mission de l'inspection générale des finances, à l'initiative du Premier ministre, est en train de conclure ses travaux sur les distorsions de fiscalité entre commerce en ligne et commerce physique. Cela nourrira le débat. Retrait, à défaut avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 45.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 35 rétablit l'extension de la Tascom aux drives. C'est un amendement de coordination. Avis de sagesse.
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 35.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - Je propose de maintenir la suppression de l'article 29 que notre commission avait décidée. L'article 29 de la proposition de loi initiale visait à conditionner l'application du régime de transparence des sociétés d'investissement en immobilier cotées (SIIC) à la réalisation d'au moins 20 % des investissements annuels dans certains territoires - périmètre « OSER » et quartiers prioritaires de la politique de la ville en particulier.
Ce dispositif n'était pas adapté pour deux raisons essentielles : d'une part, il méconnaît la réalité de ces sociétés, qui se spécialisent souvent dans un type d'immobilier spécifique - hôtellerie, entrepôt, bureaux - de telle sorte qu'une société aurait des difficultés à investir pour son champ d'activité dans les territoires visés ; d'autre part, il ne vise qu'un support d'investissement en « pierre-papier », laissant de côté les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) ou les organismes de placement collectif immobilier (OPCI). Le dispositif proposé risquerait d'être contreproductif et d'entraîner un effet d'éviction des investissements au sein des catégories de « pierre-papier » et à destination d'autres pays. À l'échelle européenne, les capitaux, mobiles, risqueraient ainsi de se déplacer.
M. Patrice Joly. - Je serai cohérent avec l'amendement que j'ai déposé. Nous sommes là pour proposer des orientations politiques, même si nous mesurons les difficultés techniques. La revitalisation des centres bourgs et des centres villes est fondamentale, actionnons l'ensemble des leviers.
M. Rémy Pointereau. - Nous maintenons l'amendement pour favoriser la construction dans les centres villes. Le seuil de 20 % permet de faire en sorte que les SIIC puissent se concentrer sur les centres villes. Avis de sagesse ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis. - Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 29 et 36.
Contrôle budgétaire - Modernisation de la navigation aérienne - Communication de M. Vincent Capo-Canellas
M. Claude Raynal, président. - Nous en venons maintenant à la communication de notre collègue Vincent Capo-Canellas à la suite des travaux de contrôle budgétaire qu'il a conduits sur la modernisation de la navigation aérienne.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial. - Pour visiter nos villages, centres-villes et centres-bourgs, objets de la proposition de loi sénatoriale que nous venons d'examiner, il faut des aéronefs, des aéroports, des équipages et des aiguilleurs du ciel. C'est d'eux dont je vais vous parler à présent, la commission m'ayant confié, en tant que rapporteur spécial du budget annexe de l'aviation civile (BACEA), une mission de contrôle budgétaire portant sur les grands enjeux de la modernisation du contrôle aérien français.
Le contrôle aérien est au centre de beaucoup d'enjeux, comme le Ciel unique européen. Il fait en outre l'objet de nombreuses critiques : grèves à répétition, salaires des contrôleurs, coûts supposés, obsolescence des systèmes. Qui n'a pas entendu les messages de l'équipage informant les passagers que le décollage était retardé en raison des instructions du contrôle aérien, ou subi une annulation en raison d'une grève des contrôleurs aériens ? J'ai souhaité dresser un état des lieux précis de la situation, loin des idées reçues.
Ce contrôle budgétaire a commencé en février 2017 et j'ai pu voir la direction générale de l'aviation civile (DGAC) évoluer positivement depuis cette date, à la suite de mes interpellations, qui ont exercé une utile pression. Si la DGAC a modifié son plan de vol, en particulier sur la question sensible des équipements du contrôle aérien, c'est probablement parce que certains lièvres avaient été levés...
En France, c'est la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) qui est chargée du contrôle aérien. C'est une administration d'État, qui fait partie de la direction générale de l'aviation civile (DGAC). Elle gère l'ensemble des vols dans l'espace aérien français, qui est l'un des plus vastes, avec un million de kilomètres carrés, et le plus fréquenté d'Europe.
Les services de la navigation aérienne comprennent le contrôle au décollage et à l'atterrissage, exercé dans les 79 aérodromes français, le contrôle d'approche entre 600 mètres et 5 000 mètres, effectué dans les centres d'approche, et le contrôle en-route lorsque l'avion est en phase de croisière dans l'espace aérien supérieur.
Ce contrôle en-route, peu connu mais qui mobilise de nombreux contrôleurs aériens, est effectué dans les cinq centres en-route de la navigation aérienne (CRNA) d'Athis-Mons - le plus important car il gère la région parisienne -, de Reims - qui connaît des mouvements sociaux récurrents depuis l'année dernière - d'Aix-en-Provence, de Brest et de Bordeaux.
La DSNA est aujourd'hui sous forte pression car elle doit faire face tous les ans à une très forte augmentation du trafic - dont nous nous réjouissons - nettement plus importante que celle qui avait été anticipée. Elle a ainsi contrôlé plus de 3,1 millions de vols en 2017, un chiffre en hausse de 4 % par rapport à celui de 2016 et de 8,6 % par rapport à 2015.
Ce trafic est de plus en plus saisonnier. Alors que le trafic hivernal est relativement stable autour de 7 000 vols contrôlés par jour, il y a eu au cours de l'été 2017 174 journées à plus de 9 000 vols, dont 88 journées à plus de 10 000 vols et une journée à plus de 11 000 vols, ce qui constitue un record absolu en Europe. Il faut donc avoir des moyens techniques et des effectifs suffisants pour y faire face.
S'il est particulièrement net en France, ce phénomène touche également la plupart de nos voisins européens, dont les centres de contrôle aérien peinent eux aussi à suivre la cadence du trafic, ce qui se traduit par un déficit des capacités offertes aux compagnies aériennes et par une augmentation des retards. Malheureusement, ces tendances vont se poursuivre, voire s'amplifier cette année et dans les années à venir. Les inquiétudes sont très fortes pour cet été dans le monde aéronautique.
Pour répondre à ce défi et éviter de se heurter à un « mur de capacités », les prestataires de services de la navigation aérienne européens doivent donc actionner les deux principaux leviers qui sont à leur disposition pour augmenter leur productivité : moderniser les systèmes de navigation aérienne, un matériel de dernière génération offrant par définition des capacités pour « faire passer le trafic » nettement plus importante qu'un matériel vieillissant ; améliorer les ressources humaines, ce qui recouvre à la fois le nombre de contrôleurs aériens, mais aussi et surtout tous les aspects de l'organisation de leur travail.
La France n'est pas seule, elle participe à l'édification du Ciel unique européen, construit depuis 2004 par l'Union européenne pour lutter contre la fragmentation de l'espace aérien européen. De nombreuses études, et en particulier des comparaisons avec les États-Unis, ont montré que le fait que chaque pays européen possède ses propres services de la navigation aérienne était extrêmement inefficace et engendrait des surcoûts considérables pour les passagers du transport aérien. C'est le souci des États européens de préserver leur souveraineté en matière aérienne qui explique historiquement cette situation.
Pour tenter d'y remédier, le Ciel unique européen vise à créer des règles communes en matière de sécurité, à améliorer la coordination opérationnelle entre les acteurs, à développer des solutions technologiques européennes dans le cadre du programme de recherche-développement SESAR (Single European Sky Air Traffic Management Research) et à réguler les prestataires de services de la navigation aérienne, afin d'exercer une pression pour plus de modernisation.
Il s'agit là d'une véritable révolution pour ces opérateurs placés en situation de monopole. Ils doivent désormais réaliser des objectifs qui leur sont fixés au niveau européen en matière de retards, de tarifs des redevances aériennes, de coûts unitaires et de performance environnementale. Cette surveillance nouvelle a permis de mettre en lumière les atouts et les insuffisances du contrôle aérien français, jusqu'ici difficiles à appréhender. La comparaison avec nos voisins est parfois cruelle.
Un bon point tout d'abord : la densité du trafic aérien qui survole l'espace français permet de réaliser des économies d'échelle, ce qui explique que la DSNA présente des coûts unitaires maîtrisés. Cette situation lui permet de proposer aux compagnies aériennes des tarifs de redevances de route compétitifs par rapport à ceux des autres grands pays européens.
La performance environnementale de la DSNA, mesurée par l'écart entre la route empruntée effectivement par un avion et la route la plus directe possible, est déjà moins satisfaisante, puisque celui-ci est supérieur de 20 % à la moyenne européenne.
Mais le gros point noir pour la DSNA est celui des retards : elle est à elle seule responsable de 33 % des retards dus au trafic aérien en Europe, alors qu'elle gère 20 % du trafic. Ces retards représentent une perte annuelle de 300 millions d'euros pour les compagnies aériennes, soit à peu près le quart de ce qu'elles lui versent sous forme de redevances. Cette situation s'aggrave chaque année et montre à quel point il devient urgent que les services français de navigation aérienne se modernisent.
Disposer de systèmes de navigation aérienne modernes permet aux contrôleurs aériens de faire passer beaucoup plus de trafic. Or, lorsque j'ai visité le centre de contrôle en-route d'Athis-Mons, qui supervise l'espace aérien de la région parisienne, j'ai été frappé par l'obsolescence d'un certain nombre de matériels et de logiciels.
Le plus visible et le plus incompréhensible de ces archaïsmes est sans conteste l'utilisation par les contrôleurs aériens de bandelettes de papier - les strips - qui leur donnent un certain nombre d'informations et sur lesquelles ils notent les instructions transmises aux pilotes des avions contrôlés. Cela fonctionne bien d'un point de vue opérationnel, mais nous place en retard par rapport à nos partenaires européens.
À l'heure du tout informatique et du tout électronique, une interface homme-machine aussi rudimentaire, également utilisée dans les centres en-route de Reims et d'Aix-en-Provence, surprend et laisse à penser que les contrôleurs aériens doivent disposer de matériels informatiques et électroniques beaucoup plus sophistiqués à leur propre domicile, tels que des simulateurs de vol !
Mais il ne s'agit là que de la partie émergée de l'iceberg. Car c'est tout le coeur du « bon vieux » système d'aide au contrôle aérien Cautra qui est désormais à bout de souffle. Cela explique du reste pourquoi les coûts de maintien en condition opérationnelle des systèmes de la DSNA ont explosé de 340 % en 15 ans et représentent désormais 136 millions d'euros par an.
Lors de la visite du centre de contrôle aérien en-route de Maastricht, géré par l'organisation internationale Eurocontrol, j'ai pris la mesure du gouffre qui sépare un centre moderne et performant de la grande majorité des salles de contrôle françaises. Pour ne reprendre que l'exemple frappant des strips, le centre aérien de Maastricht est passé à un environnement tout électronique - stripless - en 1992, il y a plus de vingt-cinq ans ! Et ses contrôleurs aériens possèdent bien d'autres outils de surveillance et d'aide au contrôle en avance d'un quart de siècle sur ceux de leurs collègues français, ce qui explique en partie le fait qu'ils soient deux fois plus productifs - il y a aussi des raisons tenant à l'organisation du temps de travail.
Du reste, comme j'ai pu le constater lors de mon déplacement à Bruxelles où nous avons rencontré de nombreux acteurs d'Eurocontrol et de la Commission européenne, cet important retard technologique ne passe pas inaperçu en Europe. La France, qui a longtemps fait montre d'un véritable leadership dans ce domaine, est tombée de son piédestal.
Cette situation inquiète de plus en plus les responsables européens, qui, s'ils saluent par ailleurs le rôle de la France dans différents programmes, dont SESAR, voient aujourd'hui celle-ci comme un « facteur bloquant » pour la modernisation technologique du Ciel unique européen.
Est-ce à dire pour autant que la DSNA est restée inactive pendant toutes ces années et n'a pas cherché à acquérir les nouveaux systèmes dont elle a besoin ? Bien au contraire, elle a elle-même conscience de l'enjeu et s'est lancée, parfois depuis longtemps, dans d'ambitieux programmes de modernisation technique destinés à modifier en profondeur le travail des contrôleurs aériens, tant dans les centres en-route que dans les centres d'approche et dans les tours de contrôle des aérodromes. A-t-elle réussi ? La réponse n'est pas nécessairement positive...
Cette multitude de programmes très coûteux, sur lesquels j'ai enquêté méticuleusement, peinent aujourd'hui à voir le jour et placent la DSNA dans une situation délicate tant vis-à-vis de ses propres contrôleurs aériens, qui peuvent faire des comparaisons, que des compagnies aériennes, qui ne veulent subir ni retard ni restriction de vols, ou de ses partenaires européens, de plus en plus impatients de les voir enfin menés à bien.
Sur les six grands programmes que la DSNA porte depuis parfois le début des années 2000, un seul a été mené à bien, alors que leur coût total est estimé à plus de 2,1 milliards d'euros, au rythme de 135 millions d'euros investis tous les ans environ.
L'un de ces programmes, en particulier, cristallise les attentes des contrôleurs aériens et révèle les carences de la DSNA dans la gestion financière et opérationnelle de ses projets de modernisation technologique.
Il s'agit du programme 4-Flight, système de contrôle aérien complet de nouvelle génération destiné à remplacer intégralement le vieux système Cautra en offrant aux contrôleurs aériens un environnement tout électronique et de nombreux nouveaux outils pour leur permettre de faire face à la hausse du trafic.
Le contrôle aérien doit gérer des flux et des aéronefs, et plus il dispose d'informations et d'assistance, plus il est en capacité de gérer la sécurité, les vols. À cet égard, l'environnement électronique est un atout.
Ce programme est conçu en partenariat avec Thalès Air Systems, dans le cadre d'un contrat-cadre signé en 2011. Alors que la mise en service de 4-Flight était prévue en 2015, elle a été repoussée une première fois à l'hiver 2018-2019.
Estimant que la version qui leur avait été livrée ne présentait pas suffisamment de garanties en termes de robustesse, d'assurance logicielle et de cybersécurité, les responsables de la DSNA ont annoncé un nouveau report du projet à l'hiver 2020-2021 et se sont lancés dans de nouvelles négociations avec Thalès. Celles-ci devraient bientôt se conclure, ainsi que je l'ai appris il y a quelques minutes, ce qui prouve que la pression parlementaire peut avoir quelques vertus... Mais elles ont été particulièrement difficiles, si bien que la DSNA envisage désormais une mise en service de 4-Flight à l'hiver 2022-2023.
À ce rythme, on peut craindre qu'il ne voie jamais le jour, rappelant des précédents funestes dans l'histoire des développements informatiques de l'administration française.
M. Philippe Dallier. - Louvois !
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial. - Inutile de vous dire que ces retards se sont accompagnés de surcoûts, le budget total du projet, encore annoncé à 500 millions en 2015, représentant désormais quelque 850 millions. Il n'est du reste pas impossible que la DSNA demande des crédits supplémentaires à l'occasion du prochain projet de loi de finances afin de pouvoir conclure son avenant avec Thalès... C'était en tout cas l'intention de la DSNA le mois dernier. Elle mène en ce moment des négociations tendues avec Bercy, dont nous verrons les résultats dans les semaines à venir.
Pour ma part, je considère que la DSNA doit impérativement mener à terme ce projet pour l'échéance 2022-2023 sans plus chercher d'échappatoires et prévoir des solutions transitoires pour améliorer au plus vite l'équipement de ses centres.
Il faut aussi tirer les leçons de cet échec et revoir en profondeur l'organisation de la direction de la technique et de l'innovation de la DSNA, trop peu réactive et repliée sur elle-même, alors que les innovations de rupture se multiplient dans le domaine aéronautique et qu'il faut développer des liens toujours plus étroits tant avec nos fleurons industriels qu'avec des start-up. La direction de la technique et de l'innovation (DTI), éloignée du centre de Toulouse, paraît trop souvent déconnectée de certaines réalités du contrôle aérien.
La DSNA doit également apprendre à gérer des projets en partenariat avec les industriels, en achetant aussi souvent que cela est possible des produits « sur étagère », beaucoup moins onéreux, plutôt qu'en développant des produits « cousus main », ce qui est son habitude, et en évitant de surspécifier les projets au point de sans cesse les complexifier, ce qui retarde leur mise en service. C'est un reproche récurrent adressé à la DSNA par les différents interlocuteurs que j'ai entendus.
S'unir à d'autres prestataires de la navigation aérienne pour peser face aux industriels est une autre manière intéressante de partager et d'amortir les coûts des programmes, ce qu'ont bien compris la plupart des homologues européens de la DSNA, qui sont parvenus à mettre en service un système analogue à 4-Flight depuis déjà deux ans au Royaume-Uni et en Allemagne.
Pour l'heure, la seule véritable collaboration de la DSNA avec un autre prestataire de la navigation étrangère, en l'occurrence l'ENAV italienne, n'est pas une franche réussite, puisque le programme Coflight qu'elles financent ensemble a débuté en 2002 et est loin d'être achevé.
J'en viens à présent au dernier point de mon rapport, à savoir les ressources humaines, l'autre levier que doit mobiliser la DSNA pour faire face à la hausse du trafic aérien et à son caractère de plus en plus saisonnier. Se pose en particulier la question de l'adaptation du temps de travail des aiguilleurs du ciel.
Les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA) sont des fonctionnaires de catégorie A. Ils sont environ 4 000 en France, dont 3 500 travaillent effectivement dans les centres de contrôle, les autres travaillant dans d'autres services de la DGAC.
Sélectionnés à l'issue des classes préparatoires aux grandes écoles, ils reçoivent une formation de trois ans à l'École nationale de l'aviation civile, l'ENAC, puis continuent à se former pendant deux ans dans leur centre de contrôle d'affectation avant d'être jugés aptes à contrôler des vols.
Si cette durée de formation est sans doute un peu longue par rapport à ce qui se pratique en Europe, il ne fait aucun doute que les contrôleurs français sont des gens passionnés qui disposent d'un bagage technique de haut niveau.
Sur la question toujours sensible de leur rémunération, il importe de mettre les choses en perspective. Si celle-ci peut paraître élevée pour des fonctionnaires de catégorie A, elle demeure raisonnable quand on la compare aux moyennes européennes. Le coût salarial par heure de travail d'un contrôleur aérien en France est en effet de 101 euros, alors qu'il est de 225 euros en Allemagne, 216 euros à Maastricht, 163 euros en Espagne ou 133 euros au Royaume-Uni.
Le véritable problème des contrôleurs aériens français par rapport à leurs homologues européens, en particulier ceux du nord de l'Europe, est leur productivité, qui est nettement plus faible. À Maastricht, ils sont payés deux fois plus cher, mais ils sont deux fois plus productifs !
Cette situation s'explique principalement par leur organisation du travail, qui est très rigide et ne s'adapte pas suffisamment aux caractéristiques du trafic.
Les contrôleurs aériens sont répartis en équipes et ces équipes travaillent un jour sur deux à l'occasion de longues vacations réparties sur des cycles de douze jours, ce qui fait six jours de travail sur douze.
Cette façon d'élaborer les tours de service conduit fréquemment à des sous-effectifs dans les salles de contrôle lorsque le trafic est très dense comme en été, ce qui présente des risques en termes de stress ou de fatigue, et à des sureffectifs lorsqu'il est beaucoup plus calme, comme en hiver. Le même constat s'applique aux différentes heures de la journée, qui ne se valent pas du tout en termes d'intensité.
La DSNA a commencé à s'attaquer à ce problème en mettant en place des expérimentations dans les centres volontaires, qui consistent à renforcer les effectifs l'été grâce à un rythme de travail de sept vacations par cycle de douze jours et à les réduire l'hiver. Il faut savoir que les négociations ont lieu centre par centre, celui d'Aix-en-Provence étant particulièrement rétif.
Les résultats sont spectaculaires, puisqu'on observe une réduction de 35 % des retards l'été dans les centres en-route qui les ont mises en place, et ce alors que le trafic augmente fortement.
Il faut donc pérenniser ces expérimentations et continuer à moderniser l'organisation du travail des contrôleurs aériens, qui est encore très loin d'être optimisée.
Dans cette perspective, le dialogue social à la DSNA et, plus largement, à la DGAC, gagnerait à être repensé. Organisé autour de coûteux protocoles triennaux (des primes pour plus de flexibilité), il semble avoir atteint ses limites et conduit à une variété de situations locales qui n'est pas satisfaisante.
La DSNA doit également proposer à ses contrôleurs aériens un projet véritablement mobilisateur. Cela implique naturellement de leur fournir le matériel dont ils ont besoin, mais également de leur redonner la fierté d'être les aiguilleurs du ciel de la deuxième puissance aéronautique mondiale. Eu égard à l'excellence de leur formation (l'ENAC a noué des partenariats dans le monde entier, dont le centre de Maastricht), il suffirait qu'ils soient de nouveau convaincus du dynamisme de leur administration pour que la culture de la performance soit partagée par la très grande majorité d'entre eux. Il existe là sans doute des marges de progrès.
Sur la question des effectifs, qui fait l'objet de revendications de la part des syndicats, que j'ai rencontrés, il ne faut pas se montrer fermé.
Pendant longtemps, la Commission européenne a demandé que les coûts soient maîtrisés et donc qu'on recrute moins de contrôleurs. Or le trafic augmentant, il faudrait sans doute desserrer l'étau et former quelques contrôleurs supplémentaires pour y faire face.
Or les effectifs des contrôleurs aériens ont diminué de 6,3 % depuis 2010 et ce mouvement de baisse se poursuivra jusqu'en 2020 en raison de nombreux départs à la retraite. Il peut donc être pertinent d'augmenter le nombre d'entrants à l'ENAC, sous réserve toutefois que cela ne se fasse pas au détriment des efforts de productivité.
Dernier enjeu que je me dois évoquer, et qui est étroitement corrélé aux points dont je viens de parler : les grèves des contrôleurs aériens.
Comme nous avons tous pu l'expérimenter, les grèves des contrôleurs aériens constituent la hantise des compagnies aériennes et de leurs passagers, car elles perturbent gravement le trafic aérien. Le fait que la France soit la championne d'Europe toutes catégories de ces mouvements nuit considérablement à l'image de nos services de navigation aérienne et de notre pays. De 2004 à 2016, la France a enregistré 254 jours de grève des contrôleurs aériens, contre 46 pour la Grèce, 37 pour l'Italie, 10 pour le Portugal et 4 pour l'Allemagne. La France a donc connu 5,5 fois plus de jours de grèves que le deuxième pays figurant sur cette liste peu valorisante. Plus grave encore, chaque jour de grève en France a un impact sur le trafic aérien européen beaucoup plus important que pour les autres pays européens, puisqu'il est évalué à 35 000 minutes par jour de grève contre 1 800 en Grèce, 4 300 en Italie et 4 100 au Portugal.
Si la densité du trafic dans l'espace aérien français doit être prise en compte, ce phénomène s'explique avant tout par la propension des contrôleurs aériens français à faire grève toute la journée, là où leurs homologues européens ne font grève que quelques heures, ce qui perturbe nettement moins le trafic.
On estime ainsi que de 2004 à 2016, 67 % des jours de grève des contrôleurs aériens en Europe se sont produits en France et qu'ils sont responsables de 96 % des retards dus à ces grèves. Et je ne parle même pas des 652 annulations de vol par jour de grève !
L'une des spécificités des grèves des contrôleurs aériens français est la fréquence des conflits sociaux qui ne portent pas sur des revendications spécifiques à la DGAC, mais constituent des manifestations de solidarité avec le reste de la fonction publique, voire avec les salariés du secteur privé.
Il existe aussi de nombreux mouvements sociaux au niveau local. Lors de l'été 2017, les grèves survenues au centre en-route d'Aix-en-Provence ont ainsi considérablement perturbé le trafic aérien au sud-est de la France. Au printemps 2018, ces grèves se sont renouvelées plusieurs week-ends de suite. Nous avons pu ainsi observer comment les compagnies contournaient l'espace aérien couvert par le centre d'Aix, ce qui induit du temps de vol et des coûts supplémentaires. Ce qui n'empêche pas la réduction du nombre des vols, même si la DSNA fait des efforts surhumains pour minimiser les effets du conflit.
La situation sociale dans ce centre restant très tendue, la DSNA craint que l'été 2018 n'occasionne de nouveau de nombreux retards, voire des annulations de vol. Ne soyez pas surpris si vous rencontrez des difficultés cet été en vous rendant sur la Côte d'Azur ou en Corse !
Si le droit de grève des ICNA, garanti par la Constitution, doit naturellement être protégé, il convient toutefois de réfléchir à des solutions concrètes pour améliorer une situation qui cause beaucoup de dommages au secteur du transport aérien comme à la réputation de la France.
Les aiguilleurs du ciel sont déjà soumis depuis 1985 à un service minimum, qui permet de réquisitionner une partie d'entre eux pour garantir au moins 50 % du trafic. Parfois, il arrive que les contrôleurs soient présents en plus grand nombre que ce qui était prévu, puisqu'ils n'ont pas l'obligation de se déclarer grévistes préalablement, sans qu'il soit possible de revenir sur le programme de vol. Ainsi, paradoxalement, alors qu'il n'y a que deux ou trois grévistes, ce programme peut avoir été réduit à beaucoup plus forte proportion.
La loi Diard oblige les autres salariés du secteur aérien à notifier à leur employeur leur intention de faire grève ou pas au moins 48 heures à l'avance. Je considère qu'il faudra que nous légiférions le moment venu pour que cette loi s'applique également aux contrôleurs aériens en l'adaptant aux caractéristiques du service minimum auquel ils sont déjà astreints. Ce sujet est difficile, mais il faut l'affronter, car il faut éviter que la DSNA soit incapable d'anticiper le nombre réel de grévistes et contrainte de demander aux compagnies de supprimer beaucoup plus de vols que ce qui est nécessaire.
Telles sont les observations, qui font suite à une quinzaine d'auditions et à cinq déplacements, dont je souhaitais vous faire part.
M. Philippe Dallier. - Merci à notre rapporteur spécial de cette présentation édifiante qui rassurera tous ceux qui sont angoissés en prenant l'avion... Que les strips continuent à être utilisés me paraît incroyable.
Puisqu'il existe depuis 1992 des systèmes complets permettant de gérer la navigation aérienne, pourquoi continuer à acheter des bouts de logiciels « sur étagère » ? A-t-il été envisagé l'achat complet d'un package de logiciels ? Ou bien est-ce si sensible en termes de souveraineté nationale que cela n'a pas été étudié ? Que l'on conserve la maîtrise technologique en France, je le comprends, mais pourquoi ne pas acheter des logiciels surtout s'ils ont déjà été développés en Europe ?
Autre question : qu'attendre d'un Ciel unique européen ? Supprimer un certain nombre de centres de contrôle avec des zones plus grandes ? Une plus grande interopérabilité des systèmes informatiques pour plus d'efficacité ? Une uniformisation des statuts des contrôleurs ? À entendre la seconde partie du rapport, on comprend que cela demanderait bien des efforts...
M. Jean-Claude Requier. - Air France est alliée à KLM, mais il existe des différences importantes en matière de contrôle aérien entre les centres français et celui de Maastricht. Ce retard technologique est-il dû à un problème financier ou bien à la volonté de laisser traîner les choses et de ne pas réformer suffisamment ?
Concernant le personnel, le rapporteur spécial est resté très prudent en appelant au dialogue social. Mais je m'étonne que quelques grévistes puissent bloquer 50 % du trafic aérien, ce qui est dommageable sur le plan économique. J'ai cru comprendre qu'il suggérait une obligation préalable de se déclarer gréviste comme à la SNCF : ce serait une bonne mesure si l'on veut que notre pays reste dans la course.
M. Philippe Dominati. - Le statut des contrôleurs aériens est-il une spécificité française ? Il semblerait que chez nos voisins européens les contrôleurs soient des salariés de droit privé. Les comparaisons de salaires tiennent-elles compte de l'âge de départ à la retraite ?
Comme mon collègue précédent, je note que 12 contrôleurs aériens en grève peuvent bloquer 500 000 passagers dans les aéroports parisiens. À cet égard, nous en arrivons à la « saison » des grèves, puisque chaque départ en vacances est l'occasion de porter une revendication particulière. Comment se déroulent les négociations avec la corporation ? Se dirige-t-on vers une remise à niveau rapide voire à une rupture qui nous serait imposée par les nécessités de l'harmonisation européenne ou est-il seulement question de calmer le jeu comme d'habitude ? Cela fait des décennies que tous les gouvernements se retrouvent otages des contrôleurs aériens.
M. Dominique de Legge. - Merci à notre rapporteur spécial de ces éléments peu réconfortants et peu rassurants.
Actuellement, je travaille sur la disponibilité des aéronefs sous l'angle notamment de la sécurité aérienne et de la lutte contre le terrorisme. Nous pouvons être inquiets de notre capacité à maintenir en permanence une alerte digne de ce nom. Quel lien entre la sécurité civile aérienne et cette action de protection du territoire ? À un moment donné, ce sont les mêmes logiques aériennes qui s'imposent. La situation assez alarmante qui vient d'être décrite obère-t-elle la coopération entre les aiguilleurs du ciel et celles et ceux qui surveillent l'espace aérien français ?
M. Sébastien Meurant. - Peut-on nous repréciser quels sont les effectifs des contrôleurs aériens ? J'ai entendu dire qu'ils étaient assez bien rémunérés. Quel est leur salaire médian annuel ? Et quid du système de clearance ?
M. Arnaud Bazin. - Je suis élu d'un des trois départements sur le territoire desquels se trouve la première plate-forme aéroportuaire européenne, Paris-Charles-de-Gaulle. Ses 70 millions de passagers annuels sont appelés à devenir 100 millions lorsque le terminal 4 sera construit dans quelques années, ce qui n'est pas sans inquiéter les riverains au sens large puisque les procédures d'approche ont des effets très importants sur nos populations.
Le retard technologique hallucinant que vous avez décrit a-t-il des effets sur les nuisances sonores causées aux populations ? Aujourd'hui, la procédure d'approche des avions obéit à une procédure de descente par paliers. Or les associations de défense des riverains revendiquent depuis longtemps une procédure de descente continue, qui semble entraîner moins de nuisances acoustiques. Cette procédure ne serait-elle pas plus facile à mettre en oeuvre avec un environnement technologique plus performant ? Le cas échéant, ce serait là l'illustration des conséquences, sur le quotidien des habitants, des défaillances graves dans le passage à un environnement numérique.
L'État a-t-il fait un audit de la chaîne de décisions qui a abouti à ce retard technologique, à savoir le choix d'un système propre à tout prix plutôt que l'achat de systèmes extérieurs ? Vingt-cinq ans de retard c'est incroyable !
Mme Christine Lavarde. - Je ne suis pas certaine que le rapporteur spécial se soit intéressé à toutes les spécificités de la DGAC, mais celle-ci fonctionne aujourd'hui comme un État dans l'État et utilise des outils informatiques propres sans que son statut d'opérateur d'importance vitale le justifie. Avez-vous pu poser des questions au sujet de l'intégration, qui semblerait naturelle, de la DGAC dans le réseau interministériel de l'État en termes d'informatique, d'hébergement, de messagerie, etc. ?
M. Michel Canévet. - Je m'interroge moi aussi sur le statut des personnels : leur maintien sous le statut de la fonction publique est-il une solution ? Comment cela se passe-t-il dans les autres pays européens ?
Comment la régulation s'effectue-t-elle dans les aéroports à la fois civils et militaires ?
Vous avez dit que nos contrôleurs aériens étaient deux fois moins productifs que ceux de Maastricht. Mais ils sont payés deux fois moins cher ! Cela signifie-t-il qu'ils devraient être plus payés qu'ils ne le sont actuellement pour être plus efficaces ?
M. Jean-Marc Gabouty. - Qu'y a-t-il de commun entre Louvois, le génial ordinateur Goupil, jadis utilisé par l'éducation nationale, le système informatique de la gare Montparnasse, implanté en 1988 et qui était en cours de changement lors de la grande panne récente, et le contrôle aérien ? Ce qu'il y a de commun, c'est un particularisme culturel : nous avons des structures administratives avec des fonctionnaires et des agents à statut particulier qui ont des qualités d'administration, mais dans des ensembles finis et stables. Il en va de même pour les grands serviteurs de l'État qui sont à leur tête et qui n'ont pas plus de capacités d'adaptation.
Dans les situations demandant de la souplesse et de l'adaptation, nous sommes un peu perdus, ces structures étant incapables d'avoir des projets de développement. Pour gérer le stable, ils savent faire, comme en témoignent les strips : ceux-ci ne m'affolent pas du tout en termes de sécurité, si on les compare à des écrans qui se brouillent. Notre pays est plombé par le retard culturel de tout un secteur qui sait gérer le quotidien, qui sait administrer, mais dont les qualités ne sont pas mises en valeur faute de pouvoir gérer le changement, le développement, l'adaptation.
Peut-on élargir au contrôle aérien ce qu'on a vécu dans l'éducation nationale, dans les armées ou à la SNCF ?
M. Didier Rambaud. - J'habite à 10 kilomètres de l'aéroport de Grenoble-Isère qui n'est, hélas, pas relié à Paris. Ce sont surtout des charters neige qui s'y posent (entre 350 000 et 400 000 passagers par an). Dispose-t-on d'un ratio entre le nombre de contrôleurs et le nombre de vols ? J'ai l'impression que les contrôleurs sont très inégalement répartis selon les zones.
M. Thierry Carcenac. - Le strip papier, c'est sûr. Est-ce efficace ? Je n'en suis pas certain. Mais j'ai cru comprendre que certains des cinq centres de contrôle en-route avaient connu des évolutions. Quel serait le coût d'une mise à niveau de l'ensemble des centres ?
M. Claude Raynal, président. - Je suis toujours inquiet quand on passe d'un système de contrôle humain à un système automatisé sur lequel l'humain n'a plus guère de prise. Qu'est-ce qui est prévu en matière de sécurité informatique des systèmes ?
Des centres de contrôle situés dans un pays donné seraient-ils capables de réguler certaines zones d'un territoire voisin en cas de panne de son système de contrôle, le temps que celui-ci soit réparé ?
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial. - Merci à vous tous de vos appréciations.
Je veux être rassurant sur le système actuel dit « des bandelettes » : même s'il peut paraître « rétro », il fonctionne et ne pose aucun problème de sécurité, en particulier, par définition, de problème de cybersécurité...
La DGAC a tendance à toujours rajouter des spécifications sur les futurs projets à mesure que grandissent les préoccupations liées à la cybersécurité. Cela oblige alors à décaler la mise en service des programmes. C'est du reste l'un des arguments mis en avant dans la négociation avec Thalès au sujet du programme 4-Flight. On ne peut pas nier que la sécurité reste la préoccupation majeure de la DGAC. Du coup, elle prend beaucoup de temps pour apporter la moindre modification. D'où les retards de ses programmes de modernisation.
Vous me direz que, ailleurs, ces questions ont été réglées. Il est vrai qu'à force de procéder à des implants sur des logiciels maison, le risque est de provoquer des difficultés...
Acheter des produits « sur étagère » plutôt que faire du « cousu main » ? Je me suis posé la question lorsque j'ai visité le centre de Maastricht. Il y a bien sûr des intérêts industriels important qui sont en jeu : opter pour des solutions étrangères peut entraîner certaines difficultés et implanter un système extérieur au système déjà en service n'est pas simple non plus.
La DGAC a lancé ses projets, elle continue sur sa lancée. Sans doute un autre choix aurait-il pu être fait plus tôt, mais au point où l'on en est, il faut sans doute aller jusqu'au bout. Soit le système avec Thalès fonctionnera, soit il ne fonctionnera pas. Auquel cas il faudra envisager une révolution complète. Thalès me paraît faire des efforts dans une relation commerciale compliquée. Ceci étant dit, il s'agit là d'une partie de ping-pong classique entre un industriel et une administration.
Les équipes de la direction générale de l'armement que nous avons rencontrées ont une autre façon de challenger les industriels, plus opérationnelle que celle de la DGAC. Celle-ci a passé trop de temps à développer un système mixte et quand elle demande à un industriel de développer un programme, elle s'en réserve certaines parts, ce qui implique moult échanges et une multiplicité des équipes.
En résumé, l'achat « sur étagère » est compliqué en raison des spécifications particulières liées au trafic, qui est complexe chez nous. Adopter un système complet de type Maastricht sans procéder à des ajustements n'était guère envisageable.
En outre, la DGAC n'est pas challengée. Elle a trois missions : le contrôle aérien, assuré par la DSNA, les activités de certification, assurées par la direction de la sécurité de l'aviation civile (DSAC), et la régulation du transport aérien, assurée par la direction du transport aérien (DTA). Le fait que ces différentes missions, assurées par des entités différentes chez la plupart de nos partenaires européens, relèvent toutes de la DGAC fait qu'elle se contrôle et se régule elle-même. À la séparation fonctionnelle qui existe en France, la Commission européenne préfère une séparation structurelle, à savoir un régulateur à part et un certificateur à part.
Entendez-moi bien : je ne dis pas que le système actuel ne répond pas aux exigences du droit européen, mais tout simplement que si les missions de régulation et de certification étaient complètement séparées du contrôle aérien, on aurait peut-être réussi à répondre à la question de la modernisation des systèmes de la navigation aérienne plus tôt et mieux. Le fait que notre commission des finances se soit intéressée au sujet a eu quelques vertus en créant une certaine pression. Mais nous arrivons un peu tard.
La grande ambition de départ du Ciel unique européen était de créer des centres de contrôle en-route européens. Finalement, à l'exception du centre de Maastricht, géré par l'organisation internationale Eurocontrol et qui couvre l'espace aérien supérieur des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg et du nord de l'Allemagne, ces centres européens n'ont pas vu le jour, les États estimant que cette activité relevait de leur souveraineté. Résultat : les États-Unis comptent 23 centres en-route, contre 63 en Europe, ce qui entraîne des surcoûts.
Au passage, j'indique que les contrôleurs de Maastricht sont des fonctionnaires européens, mieux payés que les nôtres et plus productifs. Cela s'explique en partie par l'organisation de leur temps de travail. De même, là-bas, les techniciens et les contrôleurs travaillent ensemble, ce qui crée de l'émulation. Enfin, être l'unique centre européen fait peser sur eux des obligations de productivité. Pour autant, ils ont connu des réductions d'effectifs, ce qui a eu des incidences sur la gestion du trafic.
En ce qui concerne l'organisation internationale Eurocontrol, je souhaitais rappeler, qu'outre la gestion du centre de Maastricht, elle fait un travail de distribution du trafic et a donc un rôle d'unification du ciel européen. Quand des restrictions sont nécessaires, cet organisme essaie de faire en sorte qu'elles soient réparties au niveau européen.
Pour répondre à la question du président, il est vrai qu'aujourd'hui, en cas de panne, on sait gérer le trafic d'un pays à l'autre, mais les capacités sont fortement limitées.
Le retard technologique procède-t-il d'une volonté, pour répondre à Jean-Claude Requier ? Évidemment non ! En raison de la crise du transport aérien survenue au début des années 2000, les budgets d'investissement ont été réduits pendant quelques années, ce qui a fait perdre du temps.
J'ajoute que certaines générations de contrôleurs ont été par le passé réticentes à abandonner le système des bandelettes, par peur d'être déstabilisées. Mais les mentalités évoluent et les contrôleurs aériens actuels sont maintenant particulièrement demandeurs.
Au total, le véritable problème tient au fait que le système n'est pas challengé.
S'agissant des grèves, on considère toujours que 50 % du personnel sera présent compte tenu des règles en matière de réquisition. Mais le résultat est celui que je l'ai décrit... C'est pourquoi je propose d'étendre les dispositions de la loi Diard aux contrôleurs.
Pour répondre à Philippe Dominati, les contrôleurs sont sous un statut de droit privé en Allemagne, en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni. Mais j'ai cité le contre-exemple du centre de Maastricht. La question est surtout celle de la productivité et de l'« agilité » des contrôleurs. À Maastricht, les horaires de travail des contrôleurs sont ajustables à l'heure près, tandis que chez nous le mode d'organisation est beaucoup plus lourd. Cette flexibilité est sans doute ce vers quoi il faut tendre en engageant un dialogue social. En gros, il faudrait mobiliser les équipes davantage pendant les vacances d'été et moins l'hiver. Faut-il payer davantage les contrôleurs pour améliorer la situation ? Je n'irai pas jusque-là. Leur niveau de rémunération est certes élevé, mais il n'est pas exceptionnel par rapport à leurs collègues européens.
Pour répondre à Dominique de Legge, nous avons exploré les liens avec la sphère militaire. Le militaire qui avait été désigné pour nous répondre ne nous a rien dit, ce qui était légitime. Pour des raisons militaires bien compréhensibles, il arrive que le trafic aérien soit limité dans certaines zones. Certains pays, l'Australie étant le dernier en date, ont mis en place un contrôle unifié, ce qui n'est pas envisagé à l'heure actuelle en France.
Sébastien Meurant m'a interrogé sur les effectifs des contrôleurs aériens : ils sont 4 000, dont 3 500 dans les centres de contrôle. Leurs temps de travail hebdomadaire est de 32 heures, soit 1 420 heures annuelles, moins que les fameuses 1 607 heures effectuées par les salariés de droit commun, mais cela s'explique pour des raisons de sécurité. La priorité demeure l'adaptation du temps de travail aux variations de trafic intrajournalières et à la saisonnalité. Cette adaptation a été mise en oeuvre dans certains centres, où elle fonctionne, mais les règles se discutent centre par centre malheureusement. Celui d'Aix-en-Provence bloque.
Sur les nuisances sonores, je peux répondre à Arnaud Bazin que plus la technologie est évoluée, mieux on sait suivre les avions. Aujourd'hui, c'est le contrôleur qui donne les instructions ; demain, il pourra réellement vérifier par voie électronique si son instruction a été bien comprise. La descente en continu bute-t-elle sur des contraintes technologiques ? Je l'ignore.
Sur la chaîne de décisions, mon rapport essaie de contribuer à l'audit. En reprenant les plans annuels de performance annexés aux projets de loi de finances, nous avons pu mesurer les capacités de contournement de l'administration ou sa faculté à noyer le poisson. On voit bien que les échéances ont été repoussées et les budgets augmentés. Certes, il existe des raisons, mais il s'agit bien in fine d'une gabegie. L'État aurait dû tirer la sonnette d'alarme plus tôt, ce que nous faisons nous-mêmes avec ce rapport. Cette administration compte en son sein des gens de très haut niveau, mais dans le domaine technologique, nous sommes à la traîne parmi les pays européens. La DGAC ne peut pas continuer à se contrôler elle-même.
Christine Lavarde m'a interrogé sur les systèmes de sécurité. Un travail interministériel est mené sur cette question et les ingénieurs de la DTI, au sein de la DGAC, sont très au fait de ce sujet. Ils veillent aussi à la robustesse de leurs systèmes de communications, comme les radars. Mais je ne suis pas entré dans le détail de cet aspect de sécurité puisque notre rapport s'attachait surtout aux questions budgétaires. C'est néanmoins souvent cet argument de cybersécurité qui est mis en avant pour expliquer l'absence d'avancées dans d'autres domaines.
Jean-Marc Gabouty a parlé de la nécessité pour cette administration de se moderniser. Elle n'est pas parvenue à opérer la rupture technologique nécessaire, tandis qu'une autre se profile à l'avenir avec la révolution numérique en cours. Entre-temps, il faut moderniser l'outil, et le but de ce rapport est précisément d'inviter la DTI à agir dans ce sens. Certains ingénieurs n'ont pas envie de s'installer à Toulouse, ce qui fait que certains recrutements sont plus liés à des considérations géographiques qu'à la volonté d'être à la pointe de la technologie.
Thierry Carcenac m'a interrogé sur les coûts. Je vous renvoie au rapport. J'ai cité tout à l'heure le chiffre de 2,1 milliards d'euros d'investissements. Tout n'a pas échoué, certains programmes fonctionnent bien, mais on n'est pas parvenu à moderniser le système Cautra.
Le système stripless (Erato) a été mis en place à Brest, puis à Bordeaux. La bascule du système de bandelettes vers un système électronique nécessite un temps de formation et implique pendant quelques semaines des restrictions de vol. À Brest, les contrôleurs ont vécu des moments difficiles. À Bordeaux, les choses se sont mieux passées. Au total, la bascule a occasionné un retard dans le trafic d'une durée équivalente à celle d'un jour de grève. La DGAC pourrait envisager une généralisation d'Erato. Normalement, les centres d'Athis-Mons, de Reims et d'Aix-en-Provence devaient basculer directement sur 4-Flight, mais il y a eu du retard. Peut-être cela nécessitera-t-il une rallonge budgétaire ; nous aurons la réponse dans le prochain projet de loi de finances.
Enfin, je veux rassurer Claude Raynal : l'humain ne va pas disparaître. Le contrôle aérien est basé sur le contrôle humain et sur le dialogue entre les aiguilleurs du ciel et les pilotes. La sécurité est et restera la préoccupation principale des services de la navigation aérienne.
La commission des finances donne acte de sa communication à M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 11 heures 40.