Jeudi 7 juin 2018

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Audition du Conseil Français des Associations pour les Droits de l'Enfant (COFRADE)

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Bonjour à tous, bonjour mes chers collègues,

Dans le cadre de nos travaux concernant le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, qui ne sera plus étudié mi-juillet, mais bien début juillet, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Inès Révolat, chargée de plaidoyer du Conseil Français des Associations pour les Droits de l'Enfant (COFRADE), et Arthur Melon, responsable du pôle plaidoyer de l'association ACPE (Agir contre la prostitution des enfants). Nous avons conscience des fortes attentes des associations sur ce projet de loi. Notre objectif est donc de pouvoir améliorer le texte au cours de son examen au Sénat afin d'aboutir aux solutions qui soient les plus protectrices envers les jeunes victimes.

Nous souhaiterions que vous nous présentiez les propositions du COFRADE pour améliorer la protection des mineurs en matière d'infraction sexuelle. Quelle est la position du COFRADE sur le projet de loi adopté à l'Assemblée nationale ? Quels sont, selon vous, les principaux axes d'amélioration ?

En outre, la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection d'un mineur victime d'infraction sexuelle, adoptée par le Sénat le 27 mars 2018 à l'initiative de la Commission des lois, est-elle de nature à satisfaire vos préoccupations ?

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je vous suggère de présenter rapidement le COFRADE et l'association ACPE que vous représentez ce matin.

Mme Inès Révolat, chargée de plaidoyer du COFRADE. - Merci, madame la présidente. Le COFRADE est venu aujourd'hui avec l'ACPE, l'une de ses associations membres, qui s'occupe des cas de prostitution de mineurs et, d'une manière générale, des violences sexuelles commises sur mineurs.

Le COFRADE représente une cinquantaine d'associations traitant de divers sujets de protection des droits de l'enfant. Ayant pour vocation principale de faire appliquer la Convention internationale des droits de l'enfant en France, nous travaillons en relation avec le Comité aux droits de l'enfant de l'ONU, auquel nous remettons régulièrement des rapports sur l'état d'application de ces droits en France. Nos travaux couvrent divers champs, tels que la maltraitance des enfants ou l'éducation à la citoyenneté.

Je laisse mon collègue vous présenter l'ACPE. Nous pourrons ensuite répondre à vos questions sur le projet de loi.

M. Arthur Melon, responsable du pôle plaidoyer de l'association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE). - Bonjour. L'APCE ne s'intéresse pas uniquement à la prostitution des mineurs, malgré son intitulé. Elle s'intéresse également à tous les types de violences sexuelles faites aux enfants.

L'ACPE a été une association pionnière dans la dénonciation de l'exploitation sexuelle des enfants, par exemple à travers le tourisme sexuel impliquant des enfants. À cette époque, il y a trente ans, ce sujet était largement méconnu.

Les missions de l'association n'ont jamais été des missions de terrain. Nous menons plutôt des actions de plaidoyer, de sensibilisation et de communication. Nous engageons aussi des actions en justice en nous constituant partie civile, ce qui a nourri notre réflexion sur ce dossier. Depuis 2010-2012, l'ACPE se concentre davantage sur la question de la prostitution des mineurs en France, sur laquelle il reste un travail considérable à effectuer. Nous souhaiterions vous soumettre aujourd'hui des propositions relatives à cette problématique.

Nous aimerions tout d'abord vous exposer les raisons pour lesquelles, selon nous, le projet de loi présenté par Marlène Schiappa et la proposition de loi présentée par Marie Mercier soulèvent des difficultés et ne répondent pas tout à fait aux problématiques qui se posent aujourd'hui. Nous aborderons ensuite les solutions que nous avons envisagées et vous expliquerons également quelles autres dispositions nous suggérons au Sénat.

Pourquoi estimons-nous que ces deux textes posent problème ? Comme de très nombreuses associations, nous attendions l'instauration d'un âge de consentement, qu'il soit fixé à quinze ans ou à treize ans. Nous aurions en effet souhaité qu'en dessous d'un certain âge, il n'y ait aucun débat sur le fait de savoir si le mineur en question était consentant pour l'acte sexuel avec une personne majeure. Or la formulation des deux textes laisse une marge d'appréciation au juge.

En premier lieu, cette formulation porte encore et toujours l'attention sur le comportement de la victime. La victime sera donc obligée de se justifier, alors que cela devrait incomber à l'auteur des faits. Nous estimons qu'un enfant de dix ou douze ans n'a pas à expliquer la raison pour laquelle un acte sexuel a eu lieu avec une personne majeure.

En second lieu, des disparités de traitement des dossiers risquent d'exister selon les tribunaux et selon les juges. Pour nous en convaincre, il suffit de se demander quelles auraient été les décisions de justice à Meaux et à Pontoise si l'un de ces deux textes avait été adopté : cela n'aurait rien changé ! Ainsi, nous étions partie civile dans l'affaire de Pontoise, aux côtés de cette jeune fille de onze ans victime d'un rapport sexuel, selon nous, contraint, avec un homme de vingt-huit ans. De nombreux débats ont eu lieu afin de déterminer si la victime était consentante. Si les textes de Madame Schiappa et de Madame Mercier avaient alors été en vigueur, les mêmes débats se seraient posés : la jeune fille a-t-elle suffisamment de discernement pour consentir à de tels actes ?

Cette problématique du discernement de la jeune fille est mineure se posera également lorsqu'elle sera majeure. En effet, bien souvent, les faits sont jugés très longtemps après les actes commis, raison pour laquelle le délai de prescription a été repoussé. Lorsqu'une femme de trente-cinq ans accuse un homme de viol ou d'agression sexuelle devant le tribunal, si les faits remontent à vingt-cinq ans, comment savoir si la jeune fille avait le discernement nécessaire à cette époque pour consentir à de tels actes ? Cela nous paraît impossible à prouver. Aussi souhaitons-nous l'instauration d'un âge du consentement pour éviter tout débat.

Nous identifions un autre risque, qui concerne la correctionnalisation : si nous ne suspectons pas le Gouvernement de vouloir rétrograder à tout prix des crimes en délits, nous estimons toutefois qu'il existe un risque de correctionnalisation malgré la bonne volonté du texte. Alors même que l'atteinte sexuelle n'est aujourd'hui punie que de cinq ans d'emprisonnement, nous constatons de nombreux cas « d'auto-correctionnalisation ». En effet, il s'avère souvent difficile de prouver la contrainte dans le cas d'un viol. Dans d'autres cas, le débat se focalise sur le comportement de la victime, sur son attitude potentiellement séductrice, créant la suspicion et rendant ainsi plus difficile de porter l'affaire devant la cour d'assises pour juger les faits comme un viol et non seulement comme une atteinte sexuelle.

Aujourd'hui, la peine encourue pour une atteinte sexuelle est de cinq ans et de vingt ans en cas de viol avec circonstances aggravantes. Or des avocats et des victimes préfèrent correctionnaliser, parce qu'ils estiment qu'ils prennent moins de risques qu'aux assises et que la procédure sera plus rapide. Que décideront-ils lorsqu'ils apprendront que l'atteinte sexuelle sera punie de dix ans en cas de pénétration ? Nous craignons qu'il y ait encore davantage de correctionnalisation, étant donné que l'écart sera moins significatif entre l'issue en cour d'assises et l'issue au tribunal correctionnel. Spontanément, de nombreuses victimes renonceront à porter des affaires devant les cours d'assises, ce que nous regrettons.

Mme Inès Révolat. - Nous ne voulons pas de cette correctionnalisation pour différentes raisons. Il est très important d'être reconnu comme victime, et nous le constatons notamment pour des victimes d'atteinte sexuelle. Pour rappel, l'atteinte sexuelle punit un rapport sexuel entre une personne majeure et un mineur de moins de quinze ans, sans reconnaître pour autant que le mineur n'était pas consentant. Cette absence de reconnaissance du non-consentement peut avoir de graves dommages sur la reconstruction psychologique d'une victime. Toute sa vie, elle s'entendra dire qu'elle a consenti, à onze ans, à avoir un rapport sexuel avec un homme de vingt-huit ans, pour reprendre le cas de l'affaire de Pontoise. Cette parenthèse me permet de souligner l'importance de poser les mots de viol et d'agression sexuelle sur de tels actes, en dehors des peines plus graves encourues dans ces cas-là.

Par conséquent, nous avons imaginé plusieurs propositions. La première concerne l'âge du consentement. À l'origine, nous avions envisagé une présomption irréfragable de contrainte pour les mineurs de moins de treize ans, doublée d'une présomption simple pour les mineurs entre treize et quinze ans. Or cette proposition s'est vu opposer une possible inconstitutionnalité. Après examen, nous pensons que cela risque effectivement d'être le cas pour les présomptions irréfragables. En revanche, des solutions existent pour les présomptions simples.

L'avis de la mission pluridisciplinaire, mandatée par le Premier ministre pour réfléchir à un âge du consentement, propose de créer deux nouvelles infractions : une infraction de viol sur mineur de quinze ans et une infraction d'agression sexuelle sur mineur de quinze ans. Ces deux infractions seraient autonomes par rapport aux infractions de viol et d'agression sexuelle telles qu'elles existent actuellement. La mission proposait en outre de compléter ainsi ce nouvel article : « Lorsque l'auteur connaissait ou ne pouvait ignorer l'âge de la victime ». Par conséquent, l'avis de la mission a tenté au maximum de couvrir l'élément intentionnel, en précisant la connaissance de l'âge de la victime pour qu'il soit clairement possible de ne pas accuser cette présomption d'être irréfragable.

Selon l'avis du Conseil d'État, il y a un risque d'inconstitutionnalité de telles dispositions. Toutefois, ce point de vue n'est pas partagé par les juristes avec lesquels nous avons évoqué ces questions. Nous nous sommes également penchés sur la législation en vigueur dans d'autres pays européens. Les opposants à l'instauration d'un âge du consentement affirment que cela reviendrait à créer une présomption de culpabilité pour les auteurs. Madame Schiappa a d'ailleurs repris cet argument pour ne pas inclure cette disposition dans le texte de son projet de loi. Cependant, un certain nombre de pays européens ont pu instaurer un âge du consentement sans que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) y trouve à redire. À cet égard, le Haut-Conseil à l'Égalité (HCE) prend l'exemple de l'Angleterre où le seuil d'âge n'a pas été jugé contraire au respect des droits de la défense.

Le deuxième argument avancé pendant la discussion en séance publique concerne l'application immédiate de certaines dispositions du texte aux procès en cours, dès sa promulgation. Or concrètement, si le texte actuel du projet de loi était appliqué en l'état, il ne changerait rien à l'appréciation juridique du consentement des mineurs. Nous maintenons donc notre demande concernant l'instauration d'un véritable âge du consentement, quitte à ce que son application ne soit pas immédiate.

S'agissant d'un âge du consentement fixé à treize ans, nous y avons longuement réfléchi et préconisions à l'origine une législation par paliers qui prévoie des sanctions très dures pour les actes commis sur les moins de treize ans et des sanctions plus souples pour ceux concernant les treize-quinze ans. Ces mesures nous paraissaient les plus adaptées au développement de l'enfant. Toutefois, l'aspect le plus important à nos yeux est de créer la notion d'âge du consentement, quel que soit l'âge retenu in fine.

L'article traitant de la contrainte morale dispose : « la contrainte morale peut résulter de la différence d'âge entre un auteur majeur et une victime mineure et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime ». Nous proposons de remplacer la conjonction « et » par « ou », car actuellement, les conditions sont cumulatives. Or nous estimons que la différence d'âge peut suffire à elle seule à caractériser une contrainte, tout comme la relation d'autorité entre un majeur et un mineur.

Une autre de nos propositions porte sur la définition de la contrainte physique ou morale. Nous estimons que la contrainte physique ou morale peut également résulter d'une vulnérabilité de la personne due à l'âge, à une maladie, à une infirmité ou à une déficience physique ou psychique. Ces éléments constituent actuellement une circonstance aggravante du viol ou de l'agression sexuelle. Nous avons repris la même formulation pour qu'ils deviennent une caractéristique de la contrainte morale. Vous remarquerez que nous incluons l'élément de vulnérabilité due à l'âge, qui s'appliquerait dans notre schéma aux quinze-dix-huit ans au cas par cas, sans aucune présomption. Il permettrait au juge de s'appuyer sur cet article pour constater qu'un mineur est trop vulnérable pour consentir à ces actes. En outre, il nous semblait important d'inclure l'infirmité et la déficience physique ou psychique. Si ce point ne constitue pas le coeur de notre travail, nous savons que les personnes en situation de handicap sont plus fréquemment victimes d'agression sexuelle ou de viol que les personnes dites valides. Il nous semble également bénéfique d'ajouter cette condition dans l'article afin qu'un mineur en situation de handicap puisse voir les faits caractérisés plus facilement.

Nous souhaiterions ajouter un autre élément à la contrainte morale ; il nous semble d'ailleurs aberrant qu'il ne soit pas mentionné dans le projet de loi. Il s'agit de l'inceste. Pour rappel, les deux tiers des agressions sexuelles et des viols commis sur les moins de quinze ans le sont dans le cadre intrafamilial. Deux tiers des cas qui nous occupent relèvent donc de l'inceste. Cependant, ce mot reste absent du projet de loi. Nous ne comprenons pas pourquoi. Actuellement, l'inceste est une surqualification, ce qui signifie qu'une victime d'un viol dont l'auteur serait un membre de sa famille devrait d'abord prouver qu'il y a eu violence, menace, contrainte ou surprise, au même titre que n'importe quelle victime. Ensuite, si les faits étaient reconnus, la surqualification d'inceste serait appliquée, ce qui entraînerait une peine plus grave. Les faits subis seraient alors qualifiés de viol incestueux.

Nous demandons que le fait que l'auteur soit un membre de la famille suffise en soi à caractériser la contrainte, uniquement pour les victimes mineures. Nous souhaitons qu'il soit automatiquement considéré qu'un mineur ne peut pas consentir à avoir un rapport sexuel avec un membre majeur de sa famille. Nous proposons donc la formulation suivante : « La contrainte morale résulte également du caractère incestueux de l'acte sexuel lorsqu'il est commis sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une soeur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce », selon les termes du code pénal définissant l'inceste.

Mme Dominique Vérien. - Je suis étonnée que l'inceste ne figure pas dans le texte de loi.

Mme Inès Révolat. - En effet, dans le code pénal, l'inceste ne relève que d'une surqualification mais n'est pas une infraction en tant que telle. Cette mesure a été adoptée pour que les victimes d'inceste soient reconnues comme les victimes d'un crime spécifique. Il est particulièrement important pour les victimes d'inceste que l'on reconnaisse qu'il s'agit d'un crime qui détruit une famille et qui diffère d'un viol ou d'une agression sexuelle au sens plus large. Cet article reste par conséquent symbolique et ne fait pas en sorte que la contrainte ou le non-consentement soient reconnus plus facilement pour les victimes d'inceste. Il faut attendre que le viol ou l'agression sexuelle aient pu être prouvés pour les qualifier d'incestueux dans un second temps. Avec l'article que nous proposons, le juge pourrait se baser sur le fait que l'auteur est un membre de la famille pour affirmer qu'il n'y avait pas de consentement. La différence est que la notion de contrainte interviendrait ainsi en amont.

Enfin, nous souhaiterions faire apparaître un dernier élément dans ce texte, à savoir la prostitution des mineurs.

M. Arthur Melon. - J'aimerais tout d'abord apporter quelques indications de contexte sur la prostitution des mineurs. En effet, ce sujet rarement abordé reste malheureusement méconnu par les institutions et les élus. Aujourd'hui, il ne s'agit pas d'une question marginale. Au contraire, ce sujet inquiète les acteurs de la protection de l'enfance et les forces de police de manière croissante. Nous ne disposons pas de chiffres officiels sur le nombre de victimes. Toutefois, des calculs réalisés notamment par notre association il y a cinq ou six ans estiment qu'il existe entre 5 000 et 8 000 victimes mineures de prostitution en France, de nationalité française ou étrangère. Les statistiques éparses de la police indiquent que les victimes mineures sont essentiellement de nationalité française.

En outre, cette situation concerne tous les milieux sociaux. A l'ACPE, nous recevons des familles pour les aider, les orienter et les écouter. Je peux vous assurer que tous les milieux sociaux sont touchés, y compris les plus favorisés. Cette problématique reste difficile à évoquer, alors qu'il s'agit d'un véritable sujet de société qui sera amené à poser de plus en plus de questions dans les années à venir.

Du point de vue législatif, il existe depuis 2002 une interdiction de la prostitution des mineurs dans le cadre de la loi relative à l'autorité parentale1(*). En outre, la loi du 13 avril 20162(*) prévoit la pénalisation des clients et des proxénètes. Il manque toutefois des éléments pour accroître la protection des mineurs dans ce domaine. Notre premier souhait en la matière serait que le législateur adopte une définition de la prostitution qui n'existe pas actuellement. En effet, la seule définition est de nature jurisprudentielle. Elle émane de la Cour de cassation et date de 1996. Or le visage et les modes opératoires de la prostitution ont fortement changé depuis lors. La définition de 1996 retient trois critères pour déterminer si une personne se livre à la prostitution : le fait de vouloir satisfaire les désirs sexuels d'autrui, la présence d'une contrepartie (matérielle, financière ou en nature) et un contact physique. Ce dernier critère paraît logique. Cependant, il y a vingt ans, Internet était nettement moins développé qu'aujourd'hui. Nous constatons désormais que de nombreuses mineures adoptent des conduites prostitutionnelles en passant d'abord par Internet.

Par exemple, des jeunes filles prennent des photos érotiques ou réalisent des vidéos érotiques dans lesquelles elles se masturbent devant la caméra ou devant leur téléphone en échange d'une contrepartie : cadeaux, argent ou même rechargement téléphonique. En l'état actuel de la définition jurisprudentielle proposée par la Cour de cassation, cette pratique ne peut être considérée comme de la prostitution, puisqu'elle n'implique pas de contact physique. Nous estimons pour notre part qu'il s'agit d'une marchandisation du corps à des fins sexuelles. En outre, les jeunes filles qui adoptent ce type de conduite peuvent rapidement tomber dans la prostitution stricto sensu.

Par conséquent, pour répondre à ce problème et faire en sorte que toutes les catégories de conduite prostitutionnelle puissent être considérées comme telles par la loi, nous aimerions adopter dans la législation une définition large et précise de la prostitution. Nous proposons donc la définition suivante : « La prostitution doit être entendue comme tout acte de nature sexuelle réalisé à titre personnel et exclusif sur sa personne ou sur celle d'autrui moyennant rémunération financière, matérielle ou en nature, ou en contrepartie de tout autre avantage, afin de satisfaire les désirs sexuels d'autrui. »

Par cette formulation, nous avons tenu à remplacer le mot « besoin », introduit par la Cour de cassation, par celui de « désir ». Nous souhaitons par ce biais supprimer tout sous-entendu lié à de prétendues pulsions sexuelles masculines. En outre, nous précisons que les actes sexuels sont réalisés « sur sa personne ou celle d'autrui », ce qui permettrait d'inclure les jeunes filles qui effectuent des actes érotiques ou sexuels sur elles-mêmes via Internet. Enfin, la formulation « à titre personnel et exclusif » vise à exclure la pornographie de cette définition.

Une définition commune de la prostitution nous semble constituer un prérequis. Nous devons parvenir à y englober tous les phénomènes prostitutionnels qui existent actuellement.

Nous nous interrogeons sur la situation des personnes majeures qui ont des rapports sexuels avec des mineurs dans le cadre prostitutionnel. Aujourd'hui, le recours à la prostitution de mineurs est puni par une peine d'emprisonnement de trois à sept ans selon que le mineur a plus ou moins de quinze ans. Puisque nous réfléchissons de façon générale à l'âge en dessous duquel un mineur ne peut consentir à une relation sexuelle avec une personne majeure, il semblerait nécessaire que les mineurs qui ont de tels rapports dans un cadre prostitutionnel soient pris en compte dans cette législation. En effet, nous ne pouvons pas déclarer d'un côté qu'une personne majeure ayant une relation sexuelle avec une jeune fille de douze ans est coupable de viol et d'un autre côté qu'il ne s'agit que d'un délit de recours à la prostitution si la jeune fille s'y livre. Par conséquent, nous souhaitons que les adaptations législatives qui seront adoptées dans le cadre de cette loi incluent les mineurs qui se livrent à la prostitution. Quel que soit l'âge retenu, il conviendrait de supprimer le délit de recours à la prostitution pour les mineurs qui sont concernés par cette tranche d'âge.

Enfin, comme nous l'avons dit précédemment, Internet représente aujourd'hui un élément incontournable dans le système prostitutionnel, notamment pour les mineurs. Ainsi, le Mouvement du Nid estime que 60 % des contacts entre les clients et les personnes prostituées se font par Internet. Aujourd'hui, les mineurs se prostituent essentiellement en postant des annonces sur Internet ou en se faisant recruter sur les réseaux sociaux. Ces sites Internet génèrent des millions d'euros de chiffre d'affaires chaque année grâce à un système d'annonces publiables moyennant rémunération. De tels sites font office d'intermédiaire entre des personnes qui se livrent à la prostitution et des clients. Selon nous, ils sont coupables à deux égards de proxénétisme. En effet, ils tirent d'une part des revenus de la prostitution d'autrui et ils font d'autre part office d'intermédiaire. Deux plaintes sont d'ailleurs instruites actuellement à l'encontre d'un site bien connu. Nul ne peut toutefois présager de l'issue de ces instructions, car il reste extrêmement difficile d'établir la culpabilité de tels sites Internet, même si le code pénal prévoit la possibilité d'inculper des personnes morales pour proxénétisme. Nous aimerions trouver une meilleure solution pour adopter de nouvelles dispositions législatives qui pourraient faciliter le travail de la justice et aider plus systématiquement à condamner ces sites.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Je vous remercie pour cette présentation. Je suis sûre que nous aurons des débats intéressants.

Vous souhaitez instaurer un âge du consentement. À ce jour, la délégation aux droits des femmes n'a pas arrêté de position commune.

En effet, nous souhaitons instaurer un âge du consentement. La proposition de loi de Marie Mercier repose, selon ses auteurs, sur l'argument essentiel d'avoir inversé la charge de la preuve. Malgré tout, je vous rejoins. En effet, les notions « d'écart d'âge significatif » ou « de capacité de discernement » laisseront une trop grande marge d'appréciation aux magistrats et ne garantissent pas une application cohérente sur tout le territoire. Le débat est donc ouvert. Vous avez bien fait de rappeler que les viols et les atteintes sexuelles sur les mineurs surviennent en général dans le milieu familial. Vos propositions concernant la définition et la caractérisation de l'inceste me semblent donc intéressantes, de même que vos propositions sur la prostitution, en raison des nouvelles pratiques et des nouveaux médias qui la rendent très différente de ce nous imaginions il y a une dizaine d'années.

Mme Maryvonne Blondin. - Merci beaucoup pour votre présentation et pour votre engagement. Vous avez réalisé une analyse fine de ce projet de loi, ce que je tiens à souligner. De nombreux débats ont été soulevés lors de son examen à l'Assemblée nationale. J'aimerais savoir si, dans votre analyse, vous avez pu déterminer les raisons qui amènent les enfants à se livrer à la prostitution. Subissent-ils une pression de la famille ou une forme de harcèlement à l'école ?

En outre, j'aimerais connaître votre position concernant la convention de Lanzarote pour les droits et la protection des enfants émise par le Conseil de l'Europe et ratifiée par la France en 2010.

Mme Inès Révolat. - Comme je l'ai souligné au début de ma présentation, le COFRADE a vocation à se concentrer sur l'application de la Convention internationale des droits de l'enfant de l'ONU, qui constitue notre texte de référence. Nous avons connaissance de la convention de Lanzarote, qui prévoit d'ailleurs un âge de consentement. La France nous paraît donc manquer à ses engagements sur ce point.

Mme Maryvonne Blondin. - Cette convention a notamment permis de mettre en place des outils pour lutter contre les agressions et les viols des enfants.

M. Arthur Melon. - Pour répondre à votre question sur les raisons qui poussent des mineurs à se livrer à la prostitution, il existe des idées reçues selon lesquelles il s'agirait d'une question de survie ou d'un attrait pour l'argent facile - terme auquel nous préférons celui d'argent rapide, car ce que vivent ces jeunes filles n'a rien de facile. Certes, le discours des mineurs qui se prostituent fait état de questions vénales et pécuniaires de manière récurrente. Comme certains le disent : « Je gagne beaucoup d'argent », « J'ai de belles affaires », « Je gagne un SMIC en un week-end, toi tu gagnes un SMIC en un mois. » Mais nous savons que ce discours cache des problématiques psychologiques autrement plus graves et plus profondément enfouies. Aucune étude ne détermine précisément le profil de ces mineurs, puisque la France n'a jamais travaillé sérieusement sur le sujet. Toutefois, des retours d'expérience existent grâce à des chercheurs qui ont publié des rapports sur ce sujet. Nous relevons ainsi un point commun entre la plupart des victimes : il s'agit de personnes vulnérables, qui manquent d'estime d'elles-mêmes, qui éprouvent un fort besoin d'affection et d'amour. En outre, à l'adolescence, l'intégration dans un groupe prime sur le respect de soi, sur ses propres désirs et ses propres limites. À cette période, la pression du groupe peut prendre l'ascendant sur les prédispositions personnelles. Il arrive fréquemment que ces jeunes filles aient vécu des expériences amoureuses dégradantes ou décevantes, quand elles n'ont pas subi de violences sexuelles. En outre, elles font preuve d'une grande immaturité affective et sexuelle.

Ensuite, la bascule dans la prostitution peut survenir de diverses manières. Il arrive que, à la suite d'une fugue par exemple, ces jeunes filles soient hébergées ou nourries par des personnes qui leur procurent une impression de sécurité, alors qu'elles finissent par les livrer à la prostitution. Il peut s'agir également de lover boys, c'est-à-dire de petits copains qui profitent de leur emprise et de la dépendance affective de la jeune fille pour la forcer à avoir des rapports sexuels avec des tiers, qu'ils soient amis ou clients. Ils utilisent des discours du type : « Si tu m'aimes vraiment et que tu veux prouver que tu m'aimes, couche avec la personne », « Si tu veux m'aider pour mes dettes ou si tu veux qu'on puisse acheter du cannabis, il faut que tu couches avec cette personne. » Concernant le cannabis, l'addiction constitue évidemment un facteur d'emprise. Dans certains cas, les jeunes basculent dans la prostitution pour obtenir les substances dont ils ressentent le besoin. Dans d'autres cas, les substances les aident à endurer les souffrances et les douleurs ressenties dans le cadre de la prostitution.

Enfin, la bascule dans la prostitution peut survenir par une forme de banalisation ou par un effet d'entraînement et de mode. Par exemple, nous recensons des cas de jeunes filles qui font des fellations tarifées dans des établissements scolaires, aussi bien dans les banlieues que dans de grands établissements. Ces jeunes filles considèrent que « ça se fait ». Elles tiennent les propos suivants : « Tout le monde le fait, donc si je ne le fais pas, de quoi j'ai l'air ? », « Une fellation n'est pas vraiment un rapport sexuel, d'ailleurs je garde ma virginité », « C'est pas vraiment différent que de faire un bisou » ou encore « C'est pas de la prostitution puisque je suis pas dans la rue. »

Nous constatons donc plusieurs facteurs de banalisation. De plus, la culture pornographique et consumériste détériore les repères que les mineurs peuvent avoir en la matière. Enfin, la fragilité, la vulnérabilité et le phénomène d'emprise reviennent de manière persistante.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Je souhaite partager avec vous plusieurs remarques. Je suis personnellement consternée par l'évolution que prend le projet de loi. À l'origine, il rencontrait les objectifs des associations de protection de l'enfance ainsi que des associations féministes. Pourtant, nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation où nul n'en semble satisfait. Au Sénat, nous nous demandons par conséquent s'il existe une possibilité de trouver une issue favorable à cette impasse.

Mon analyse est la suivante. Nous avons voulu poser un interdit sur les relations sexuelles entre personnes majeures et personnes mineures. Je laisse d'ailleurs de côté la question du seuil d'âge, même si je suis désormais d'avis de le fixer à treize ans, puisque cette option semble consensuelle. Le HCE s'est prononcé en ce sens. J'estime cependant que nous nous sommes trompés sur les plans technique et juridique en cherchant à étendre le viol à la relation sexuelle entre une personne majeure et une personne mineure. L'objectif consiste en réalité à la criminaliser. Comme le viol répond à ses propres caractéristiques et à ses propres conditions, et que nous envisagions une présomption de contrainte, nous nous sommes heurtés au fait qu'il n'existe pas de présomption en droit pénal, a fortiori de présomption irréfragable.

Par ailleurs, nous ne parvenons pas à résoudre la question de l'inconstitutionnalité. Or seul le Conseil constitutionnel est habilité à se prononcer sur ce point. Pourtant, de nombreuses spéculations circulent, notamment dans les médias, et affirment que la ministre a dû effectuer certains choix par crainte que son texte ne soit déclaré inconstitutionnel. Nous devons donc sortir de cette problématique.

Notre ambition est qu'une relation sexuelle entre une personne majeure et une personne mineure soit soumise à un interdit et passe du niveau de délit à celui de crime. Une telle relation sexuelle doit être traitée comme le viol, c''est-à-dire en tant que viol et autant que le viol. Par conséquent, nous travaillons collectivement sur l'idée d'une disposition plus simple et respectueuse des principes généraux du droit pénal, qui consisterait à considérer qu'une relation sexuelle entre une personne majeure et un mineur de moins de treize ans est un crime puni d'une peine de réclusion criminelle. De cette manière, nous ne nous raccrochons pas à la définition pénale du viol. Certes, une telle relation sexuelle constitue un viol, notamment d'un point de vue moral, mais elle serait traitée différemment d'un point de vue pénal. L'essentiel à mes yeux consiste à dire qu'il s'agit d'un crime. Nous oeuvrons en ce sens.

En outre, je partage votre avis sur la question de la prostitution des mineurs. La Brigade de protection des mineurs (BPM) estime ainsi que vingt-cinq affaires de prostitution de mineurs ont été traitées en 2014, contre quatre-vingt-dix en 2017. Cette augmentation est considérable. Ces mineures revendiquent la liberté de faire ce qu'elles veulent de leur corps. Forte de mon expérience sur la loi de pénalisation du client de la prostitution et de sortie du parcours, adoptée en 2016, je remarque de quelle manière ce discours sur la liberté de disposer de son corps a des effets dévastateurs lorsqu'il est appliqué à la prostitution et qu'il est réutilisé par des mineurs. Or les services de police affirment qu'il se trouve toujours un proxénète derrière chacun de ces mineurs qui revendique sa liberté. Il n'existe pas de prostitution sans proxénète, y compris chez les mineurs. Je continue de penser que la loi de 2016 demeure sous-utilisée, puisque le Gouvernement se désengage de ce sujet. Une formation des services de police serait d'ailleurs indispensable afin de parvenir à appliquer l'ensemble des outils législatifs existants, aussi bien sur le volet lié au proxénétisme que sur la pénalisation du client.

Par ailleurs, votre nouvelle définition de la prostitution me paraît intéressante. Je me pose toutefois une question : dès lors qu'un interdit serait posé sur une relation sexuelle entre une personne majeure et une personne mineure, cette définition n'inclurait-elle pas systématiquement la même relation sous forme de prostitution ? Parallèlement, je me demande si le principe de la loi pénale la plus douce ne viendrait pas heurter cette définition. Il me semble qu'une expertise juridique doit être menée sur ce point.

Enfin, j'entends vos remarques sur l'inceste. Pour rappel, la loi du 14 mars 20163(*) a réintroduit l'inceste dans le code pénal, comme notion et non comme crime spécifique. Nous avions eu de longues discussions avec les services de la Chancellerie à l'époque, étant donné qu'il s'agit d'un sujet récurrent. J'avais alors été convaincue par l'argument selon lequel le code pénal permet de viser presque toutes les situations d'inceste, dès lors qu'elles impliquent un ascendant. Pour cette raison, je ne me montre pas totalement favorable à rouvrir la question de l'inceste. Il s'agit selon moi d'un puits sans fond de controverse judiciaire.

Je souhaitais par ailleurs vous poser une question. La définition du viol comporte un vide juridique. En effet, le viol se définit comme une pénétration par tout moyen, y compris avec des objets. En revanche, le cas d'une fellation pratiquée par une personne majeure sur un mineur ne relève pas du viol. Or il s'agit à mon sens d'un viol d'un point de vue moral. Toutefois, ces situations se retrouvent toujours classées comme des atteintes sexuelles. Quelle est la meilleure traduction juridique selon vous ?

Mme Inès Révolat. - Nous avons formulé une proposition concernant la définition du viol pour répondre à ces situations. Pour l'heure, cette définition précise que l'acte est « commis sur » la personne d'autrui. Nous avons proposé de changer cette formulation et de la remplacer par « imposé à autrui ». En effet, l'expression « commis sur » se concentre sur le fait qu'une personne pénètre l'autre. En revanche, le terme « imposé » implique clairement que l'acte a été subi par des formes de menace, de violence, de contrainte ou de surprise. Nous avons eu ce débat avec les députés, qui ont accepté notre proposition en commission des lois avant de l'amender en séance publique. La dernière version du texte est ainsi rédigée : « commis sur ou avec » la personne d'autrui. Même si cette formulation nous paraît moins efficace, elle rejoint un objectif similaire à notre proposition. Nous restons toutefois gênés par le fait que l'expression « commis avec » peut donner l'impression que la victime a consenti et participé aux actes. En outre, nous sommes favorables à l'idée de privilégier des formules simples et accessibles afin que les victimes puissent bien comprendre la loi.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Il suffit parfois de changer un mot pour ouvrir un espace qui peut être utilisé par la défense.

M. Arthur Melon. - En effet, notre but n'est pas tant d'étendre la question du viol aux relations entre personnes majeures et mineures, mais bien de criminaliser ces actes. Nous souhaitons donc veiller à ce que la loi soit claire sur le fait que le rapport sexuel a été subi et contraint. Il est crucial de notre point de vue de le faire de manière à soutenir les victimes dans leur processus de reconstruction psychologique. Pour l'heure, quand un auteur est jugé pour atteinte sexuelle, la loi induit que l'auteur est sanctionné parce que ces actes sont interdits et non parce qu'ils ont été imposés par la contrainte. Nous tenons donc à souligner que la victime doit systématiquement être reconnue comme n'ayant pas consenti. Concernant l'inceste, même si l'on peut aujourd'hui poursuivre des auteurs d'inceste pour agression ou pour viol, il importe que le mineur comprenne clairement que personne ne lui demandera s'il était contraint ou non. À nouveau, si la contrainte doit être prouvée, le comportement de la victime sera encore une fois mis en doute. Or la victime doit savoir que la société reconnaît systématiquement qu'elle n'a pas consenti. Cette reconnaissance lui permettra ensuite de prendre du recul.

Par ailleurs, vous avez affirmé que la loi du 13 avril 20164(*) n'était pas suffisamment appliquée. En réalité, cette loi n'a pas vraiment changé le corpus réglementaire et législatif pour les mineurs, qui existe depuis 2002. Le dispositif d'accompagnement et de parcours de sortie, notamment, ne concerne pas les mineurs en situation de prostitution, puisqu'ils sont placés sous la protection du juge des enfants. Ils restent donc dans le cadre de la protection de l'enfance. À ce sujet, de nombreux professionnels nous contactent afin de savoir s'il existe des structures ou des services à destination de ces victimes qui ne se reconnaissent pourtant ni comme victimes, ni comme prostituées et sont par conséquent très difficiles à accompagner. Il nous paraîtrait donc pertinent de réfléchir à des mesures spécifiques à mettre en oeuvre pour leur accompagnement.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Merci pour ces précisions. S'agissant de la définition du viol, j'estime que nous devons privilégier des formulations simples. Aujourd'hui, la proposition de loi de Marie Mercier, probablement incompréhensible pour le grand public, ne semble pas atteindre son objectif.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - J'apprécie comme toujours votre façon d'aborder les questions. J'ai pu m'inspirer de ce que vous avez écrit et porté. Au fil des débats, j'ai déposé une proposition de loi qui fixe un seuil de consentement à quinze ans. Je pense en effet que nous portons la responsabilité d'une protection des mineurs qui n'existe pas aujourd'hui, ou pas suffisamment. Je reste persuadée à titre personnel que le seuil de quinze ans constitue une bonne solution. Cependant, si nous parvenons à faire en sorte que le seuil de treize ans emporte le consensus, je m'en satisferai. L'essentiel, à mes yeux, consiste à fixer un âge de consentement. En effet, je constate lors de nos débats que les mineurs et l'enfance ne sont pas protégés.

Je m'interroge en outre sur plusieurs points. Si nous semblons d'accord pour considérer qu'un mineur ne peut pas avoir la maturité psychologique ou sexuelle pour appréhender le fait de suivre une personne majeure et les conséquences que ces actes auront, je me demande si nous devons nous limiter aux quatre critères de contrainte, surprise, violence ou menace. Ce positionnement traduit selon moi une forme de schizophrénie. En effet, la définition actuelle s'inscrit dans notre combat pour les droits des femmes. Mais est-il nécessaire de devoir prouver l'existence d'un de ces quatre critères dans le cas des enfants ? Cela sous-entend que nous reconnaissons qu'un enfant pourrait consentir à une relation. J'estime pour ma part, et il ne s'agit pas d'un jugement moral, qu'un enfant ne peut pas consentir à un acte sexuel. Selon moi, un enfant ne dispose pas de la capacité de discernement qui lui permette de consentir à cela. Si nous considérons que son consentement n'est pas possible, nous devons par conséquent éliminer les critères de contrainte, surprise, violence ou menace quand il s'agit d'enfants. J'identifie là une contradiction importante. Tant que nous restons enfermés sur ces postulats liés à la définition du viol, nous agissons comme si un enfant était un adulte. Or cela n'est pas le cas. L'idée que c'est la protection de l'enfant qui domine fait consensus entre nous.

En outre, concernant la prostitution des mineurs, j'ai récemment vu le reportage « Jeunesse à vendre » sur France 5, qui m'a paru glaçant. Il souligne le décalage inimaginable de ces jeunes filles, qui n'ont aucunement conscience du fait qu'elles se prostituent. Comme cela a déjà été remarqué, cette situation se rencontre dans tous les milieux sociaux. De plus, les parents se trouvent totalement démunis. Il me semble donc intéressant de réfléchir aux structures à mettre en place pour lutter contre ce fléau. Aujourd'hui, je suis inquiète, car je trouve que la secrétaire d'État ne paraît pas porter la loi que nous avons « arrachée » sur la prostitution.

Enfin, je partage vos préoccupations sur le sujet de l'inceste.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Nous évoquions en effet la semaine dernière la question de la définition du non-consentement à partir d'un seuil d'âge avec Laurence Rossignol et la délégation.

Je suis d'accord avec ce que vous dites de l'application de la loi sur la prostitution. Aujourd'hui, je vous invite à vous renseigner auprès des préfectures pour savoir si la commission spécifique est installée. Ce n'est pas le cas en Vendée par exemple. J'ai d'ailleurs posé une question au Gouvernement sur ce sujet. Mais il n'existe actuellement pas de volonté au Gouvernement de mettre en place ces commissions départementales. Il s'agit pour moi d'un vrai sujet.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Je voudrais revenir sur la difficulté que nous rencontrons d'un point de vue juridique. Devons-nous parler de viol sur mineur, ou au contraire ne pas prononcer le mot viol, ce dernier ayant une définition bien précise ? Comment pouvons-nous sortir juridiquement du fait que nous souhaitons faire en sorte que les critères de contrainte, menace, violence et surprise n'entrent pas en ligne de compte ? Enfin, semble-t-il pertinent de prévoir un âge qui exclurait l'appréciation de ces critères ?

Mme Inès Révolat. - Si ces quatre critères sont supprimés à l'égard des jeunes mineurs, nous rejoindrons en effet un objectif partagé. Toutefois, cette définition équivaudrait à celle de l'atteinte sexuelle, qui n'est qu'un délit, et qui ne reconnaît pas que l'enfant n'est pas consentant. Or il me semble indispensable de trouver un moyen d'affirmer que l'enfant n'est pas consentant.

Certes, il s'agit d'un important travail de réforme du code pénal. Le débat s'est focalisé sur les questions de contrainte. Malheureusement, nous n'avons pas de solution à offrir.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - La notion « d'atteinte sexuelle avec pénétration » est une façon pour le Gouvernement de trancher ce dilemme. Pour moi, une telle définition équivaut à un viol. Mais il s'agit peut-être d'une façon de contourner la difficulté que nous rencontrons.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Nous nous trouvons là au coeur de notre difficulté. Je ne partage toutefois pas votre point de vue sur l'atteinte sexuelle. Cette dernière est fondée sur le postulat qu'un mineur de moins de quinze ans ne peut pas être consentant. En effet, l'atteinte sexuelle se qualifie par le simple constat d'une relation sexuelle entre une personne majeure et un mineur. Cela signifie que l'auteur n'a pas de possibilité de s'exonérer de sa responsabilité pénale en arguant du consentement du mineur. Le simple fait d'avoir eu une relation sexuelle avec un mineur suffit à qualifier l'atteinte sexuelle. Le postulat d'origine se trouve donc dans le non-consentement.

Toutefois, l'atteinte sexuelle ne distingue pas les actes avec ou sans pénétration. Lorsque nous avons voulu renforcer la sanction sur l'atteinte sexuelle avec pénétration, nous nous sommes référés au seul outil juridique disponible, à savoir le viol. Mais dès lors que nous utilisons l'article sur le viol, nous nous heurtons aux conditions du viol citées précédemment : contrainte, surprise, menace, violence. À partir de ce point, dans un cas jugé aux assises avec une qualification de viol, les avocats de la défense pourront arguer du consentement. Il n'est possible de le faire que si la qualification de viol est retenue avec l'utilisation du code pénal tel qu'il existe aujourd'hui. Toutefois, la défense ne peut évoquer le consentement dans le cas d'une qualification d'atteinte sexuelle en matière délictuelle.

En effet, comme le disait Laurence Cohen, le Gouvernement cherche à sortir de cette situation en créant une atteinte sexuelle avec pénétration, qui constitue une sous-catégorie de l'atteinte sexuelle et par conséquent reste de nature délictuelle. Or vos associations, ainsi qu'un certain nombre de parlementaires, demandent qu'une relation sexuelle avec pénétration entre une personne majeure et un mineur soit considérée comme un crime, à l'instar du viol, et non comme un délit de type atteinte sexuelle. Je parviens donc à la conclusion que la seule solution serait d'affirmer que l'atteinte sexuelle avec pénétration entre une personne majeure et un mineur de moins de treize ans est un crime.

Cependant, nous ne réussirons pas à inclure dans un même article les termes de « viol » et de « crime », sauf à dire : « est puni comme le viol ». Par ailleurs, je ne suis pas favorable à ce que la définition du viol soit modifiée. Selon moi, le droit pénal a en effet besoin de stabilité. Il s'est construit par le code et par la jurisprudence. Cette dernière fonctionne correctement.

Enfin, dès lors que nous choisirons la voie criminelle et que les cas seront portés devant la cour d'assises et non devant le tribunal correctionnel, les avocats de la défense pourront toujours faire valoir leurs arguments. Dans les médias, il est facile d'affirmer qu'aucune discussion ne peut avoir lieu sur le consentement d'un enfant de moins de quinze ans ou de treize ans. Néanmoins, les droits de la défense, qui doivent aussi être protégés, impliqueront la mobilisation de tout argument visant à atténuer la responsabilité de l'auteur. Il suffira de constater qu'il y a eu une pénétration pour appliquer la nouvelle définition et porter l'affaire en cour d'assises. Là encore, nul n'empêchera le parquet de déqualifier le viol en atteinte sexuelle pour le correctionnaliser, comme cela se produit déjà. Les principes du droit pénal et les droits de la défense doivent encadrer nos réflexions. La justice doit fonctionner selon ses principes.

M. Arthur Melon. - Je ne partage pas tout à fait votre analyse sur la différence entre l'atteinte sexuelle et le viol. En effet, si nous nous basons sur l'affaire de Pontoise, le point qui a choqué dans la qualification d'atteinte et non de viol ne porte pas tant sur la peine passée de vingt ans à cinq ans, mais sur le fait que la jeune fille ait été considérée comme consentante.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - J'aimerais citer en retour l'affaire de Meaux, dans laquelle la qualification de contrainte a abouti à un acquittement.

M. Arthur Melon. - En effet. J'aimerais simplement souligner la réelle différence d'analyse qui existe entre l'atteinte sexuelle et le viol. Certes, l'atteinte sexuelle interdit un rapport sexuel entre une personne majeure et un mineur de quinze ans, sans rien présumer du contexte dans lequel ce rapport a eu lieu, ou en présumant plus exactement qu'il a eu lieu dans le cadre d'une relation libre et consentie. Si cela n'avait pas été le cas, il se serait alors agi d'un viol. La différence d'appréciation qualitative est donc importante.

Mme Dominique Vérien. - La proposition de Laurence Rossignol consiste à dire qu'une relation sexuelle, consentie ou non, est un crime à partir du moment où la personne sur laquelle cet acte est commis est âgée de moins de treize ans. Cette proposition permet donc de criminaliser l'action sur les mineurs de moins de treize ans. Je suis favorable à cette solution. En effet, même si la qualification de viol n'est pas retenue, celle de crime aura selon moi une portée forte. L'essentiel est de punir la personne et d'interdire totalement les rapports sexuels entre des adultes et des mineurs de moins de treize ans. Dans ce cas, il n'est plus nécessaire de prouver les critères de contrainte, de violence, de menace ou de surprise. En dessous de treize ans, il s'agit indiscutablement d'un crime.

Mon autre question porte sur la prostitution. Vous parlez beaucoup des jeunes filles, alors que nous savons que les violences sexuelles sur les mineurs touchent 50 % de garçons. Par conséquent, je me demande si la prostitution des jeunes atteint une telle répartition. Travaillez-vous avec l'Éducation nationale sur le sujet ? Nous sentons qu'il existe un problème d'éducation fondamental sur la définition de l'atteinte au corps et sur les conséquences de la prostitution.

M. Arthur Melon. - En effet, sur le premier point, il faut que la qualification de crime soit appliquée afin que la victime sache qu'elle a subi un préjudice. Aujourd'hui, l'atteinte ne reconnaît pas un préjudice. Le plus important nous semble être de reconnaître ce préjudice, pour résumer notre pensée globale.

Par ailleurs, en réponse à votre question sur la prostitution, nous ne disposons aujourd'hui d'aucun moyen de connaître la proportion de filles et de garçons qui se livrent à la prostitution. Nous comptons vraisemblablement une plus grande proportion de filles que de garçons. Néanmoins, nous avons observé qu'il s'agissait plus souvent de garçons dans le cas de victimes de nationalité étrangère, notamment dans un contexte de traite des êtres humains par le biais de certains réseaux. Ainsi, de jeunes garçons Roms se trouvent livrés à la prostitution autour de la Gare du Nord ou dans les bois. Il peut également s'agir de jeunes garçons éloignés du domicile familial en raison de leur orientation sexuelle. Pour des raisons de survie, ils sont parfois amenés à faire ce que nous appelons du « michetonnage », c'est-à-dire d'entrer dans une relation pseudo-romantique et sexuelle dans le but d'obtenir des faveurs matérielles. Ces deux types de victimes masculines sont celles que nous identifions le plus. Il serait intéressant en effet de mieux connaître la proportion entre les garçons et les filles dans le cadre de la prostitution des mineurs.

Enfin, concernant l'Éducation nationale, lorsque l'ACPE a réalisé ses premières actions concernant la prostitution des enfants en France, un numéro spécial du journal Mon Quotidien a été envoyé à des familles et à des enseignants. Aucune réaction n'a suivi. Nous avons constaté à ce moment-là qu'il existait un travail de grande ampleur à mener pour briser le tabou et le silence qui règnent en France sur ce sujet.

Nous avons ensuite réalisé un guide pédagogique avec une équipe d'enseignants. Ce travail nous a pris deux ans. Nous avions obtenu une subvention du Conseil général de l'Essonne quand Maud Olivier en était la présidente. Ce guide, présenté sur un site Internet, prévoyait de nombreuses ressources écrites ou vidéo, ainsi que des jeux, afin de sensibiliser de manière générale les enfants aux violences sexuelles et à la prostitution. Ces ressources étaient par ailleurs adaptées au niveau de maturité des enfants, de la maternelle au lycée. Étant donné que nous n'avons pas les moyens d'intervenir fréquemment dans des établissements, nous souhaitions mettre des outils à la disposition des enseignants pour qu'ils réalisent eux-mêmes ce travail. Après ces deux ans de préparation, nous avons voulu tester les ressources créées. Mais cela n'a pas été possible dans l'Essonne. Ce sujet est très difficile à aborder dans les établissements scolaires. À ce jour, personne n'a utilisé ces ressources alors qu'elles sont accessibles gratuitement.

Nous avions également présenté ce projet à Najat Vallaud-Belkacem lorsqu'elle était secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes. Quand elle est devenue ministre de l'Éducation nationale, cela s'est avéré plus difficile.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - J'aimerais poser une question. Quelle peine encourent les auteurs de comportements inappropriés de type exhibitionnisme vis-à-vis d'un mineur, sans qu'il n'y ait de contact physique ? Le caractère incestueux représente-t-il une circonstance aggravante dans ce cas ?

M. Arthur Melon. - Sauf erreur de ma part, il s'agit là d'un cas de corruption de mineurs. La corruption de mineurs n'est définie ni dans la loi ni dans le code pénal. Quelques jurisprudences permettent donc de l'interpréter, par exemple des cas de mineurs ayant été incités à se livrer à la masturbation. Je crois que ces actes peuvent être punis jusqu'à dix ans d'emprisonnement.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - L'exhibitionnisme d'une personne majeure envers un mineur n'est-il pas un cas d'atteinte sexuelle ?

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - L'exhibitionnisme relève de l'article 222-32 du code pénal. Il est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

M. Arthur Melon. - L'atteinte sexuelle nécessite un contact physique dans tous les cas.

Mme Marie-Pierre Monier. - Je m'interrogeais également sur la répartition entre filles et garçons dans la prostitution des mineurs. Vous nous avez répondu sur ce point. Par ailleurs, lorsque nous avions évoqué la lutte contre le système prostitutionnel, il me semble que nous avions considéré une forte proportion de mineurs étrangers qui étaient concernés par la prostitution. Disposez-vous de plus amples informations sur ce sujet ?

De plus, je ne comprends pas pourquoi la France ne parvient pas à fixer un âge de non-consentement alors que le Royaume-Uni, la Belgique et l'Espagne l'ont fait.

Enfin, le texte du projet de loi prévoit de faciliter la qualification des faits en viol en le définissant comme « un abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes. » J'aimerais donc savoir comment il est possible d'apprécier cette vulnérabilité d'un point de vue juridique.

Mme Inès Révolat. - En effet, les termes choisis dans le texte du projet de loi relèvent d'une nature subjective. Ils seront donc entièrement soumis à l'appréciation du juge. La vulnérabilité ou le discernement s'avèrent extrêmement difficiles à apprécier lorsque les faits sont jugés dix à quinze ans plus tard. Ce texte ne pose aucun interdit clair généralisable à tous les mineurs en-dessous d'un certain âge, ce qui nous pose une grande difficulté. Cet article de loi pourra permettre de caractériser les faits au cas par cas. Les magistrats et les avocats que nous avons eu l'occasion de rencontrer à ce sujet indiquent que le texte prévoit des questions qui se posent naturellement lors d'un procès. Ils n'ont pas besoin que le texte précise la notion de vulnérabilité pour s'interroger sur ce point. Le texte n'apporte rien en ce sens.

En outre, pour répondre à votre question sur l'incapacité de la France à fixer un âge de non-consentement, nous entendons de manière récurrente qu'il s'agit d'un problème de constitutionnalité. En effet, les présomptions irréfragables s'avéreraient probablement inconstitutionnelles. Toutefois, comme Laurence Rossignol l'a rappelé, il incombe au seul Conseil constitutionnel de se prononcer en la matière. Ce point a été évoqué à de nombreuses reprises lors des débats à l'Assemblée nationale. Les législations étrangères comportent toutefois des différences. Le Haut-Conseil à l'Égalité (HCE) a cité l'exemple de l'Angleterre dans son dernier avis. Dans ce pays, l'âge de treize ans a été fixé comme seuil de non-consentement. Une infraction de viol sur mineurs de moins de treize ans (child abuse) a été créée. Or un problème a été soulevé quelques années après autour de l'élément intentionnel, qui ne semblait pas assez caractérisé. Par conséquent, la mission pluridisciplinaire mandatée en France par le Premier ministre a ajouté cette mention afin de contourner ce problème : « lorsque l'auteur connaissait ou ne pouvait ignorer l'âge de la victime. »

En Angleterre, il a été demandé au législateur de repréciser la loi. Même si nos droits diffèrent d'un pays à l'autre, nous sommes tous soumis au respect de la présomption d'innocence. À l'origine, le texte britannique prévoyait que l'infraction était constituée « si l'homme pénètre intentionnellement le vagin, la bouche ou l'anus d'une autre personne avec son pénis et si l'autre personne a moins de treize ans. » L'infraction est punie de l'emprisonnement à vie. Ensuite, la Chambre des Lords a précisé que l'élément intentionnel résidait dans le fait que l'homme utilisait son pénis intentionnellement pour pénétrer l'orifice d'un enfant de moins de treize ans. De ce fait, les respects des droits à la défense sont assurés et le procès est équitable. Les Anglais ont réussi à contourner le problème. De la même manière, la mission pluridisciplinaire a essayé de préciser en quoi consistait l'élément intentionnel.

M. Arthur Melon. - Concernant la prostitution des enfants étrangers, l'ACPE ne mène pas de mission d'accompagnement, de soin ou d'éducation. Nous nous concentrons sur nos missions de plaidoyer, d'alerte et de sensibilisation. Il se trouve en effet que la prostitution des mineurs est rarement évoquée. Elle est abordée le plus souvent sous l'angle de la traite des êtres humains. La plupart du temps, les politiques publiques qui s'y intéressent le font sous l'angle de la lutte contre les réseaux internationaux. Dans nos travaux, nous ciblons davantage la prostitution sociétale qui concerne l'ensemble des milieux sociaux et des mineurs de nationalité française. Il convient de bien préciser que la prostitution des mineurs étrangers, liée à la traite, ne représente qu'une partie de la prostitution des mineurs en France.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Je suis surprise par la réponse qui a été apportée concernant les personnes qui se livrent à la masturbation devant des enfants. Nous avons connaissance de cas qui ont commencé par de la masturbation et qui ont abouti à des viols. Il faut donc que nous protégions mieux les enfants. En outre, les sanctions prévues dans ce genre de cas me paraissent trop légères.

Par ailleurs, ayant travaillé dans une maternité, je peux témoigner de cas dans lesquels des bébés sont nés d'une union incestueuse. Je me demande s'il serait possible de demander une prise de sang afin de déterminer l'identité du père. Ces faits m'ont toujours choquée et je pense que nous devrions agir sur ce point. Un jour ou l'autre, l'inceste finit par être connu, même quand la famille le couvre. Il s'agit d'un réel problème.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - En effet, la question de l'inceste rejoint nos préoccupations. Aujourd'hui, nous n'arrivons pas suffisamment à protéger les enfants. Il reste un travail de grande ampleur à mener sur ces sujets. Dans un cas d'inceste entre personnes majeures, il s'avère difficile de le condamner. L'emprise de la famille détermine également l'inceste, ce qui complexifie nos moyens d'action. Si les faits ne sont pas dénoncés, je ne vois pas de quelle manière nous pourrions agir.

Mme Victoire Jasmin. - Au fil des auditions, je m'aperçois que des remises en question successives viennent à la fois ajouter des éléments à notre réflexion, mais aussi compliquer notre tâche. Concernant le viol, je suis d'avis que tout acte sexuel sur des mineurs de moins de treize ans serait un crime. En outre, il me semble évident que des circonstances aggravantes doivent être retenues lorsqu'un proche ayant autorité est impliqué, ou dans les cas incestueux.

Nous devons d'autre part nous interroger sur les causes de la prostitution, même si ce n'est pas exactement notre débat d'aujourd'hui. Nous avons parlé des réseaux de traite. Néanmoins, il nous faut aussi comprendre pourquoi certains parents se voient contraints de prostituer leurs enfants, par exemple.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - J'aimerais simplement préciser que la protection des enfants ne se joue pas uniquement dans le code pénal. La protection des enfants se fait d'abord sur la protection des enfants en danger. La notion d'enfant en danger est bien plus vaste que celle des infractions pénales. Il est possible de protéger un enfant, même si l'infraction qu'il a subie n'est pas identifiée.

M. Arthur Melon. - Pour en revenir à l'observation sur des faits d'exhibitionnisme qui entraînent ensuite d'autres actes plus graves, nous nous sommes constitués partie civile dans certaines affaires d'agression ou de viol qui avaient été précédés par des actes de moindre gravité. En l'état actuel, il ne s'agit pas de récidive, mais, au mieux, de réitération. Par conséquent, nous avions proposé de modifier le régime des récidives dans une étude que nous avons réalisée il y a deux ans. Cette évolution viserait à montrer que certaines infractions qui ne relèvent pas des mêmes qualifications puissent être considérées comme des récidives lorsqu'elles concernent les mêmes sujets.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - La récidive concerne des faits sanctionnés pénalement alors que la réitération définit des faits qui se sont reproduits.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Je suis étonnée que l'exhibitionnisme soit considéré comme de la corruption de mineurs et non comme une atteinte sexuelle.

M. Arthur Melon. - L'atteinte sexuelle nécessite un contact physique.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - L'exhibitionnisme peut selon moi marquer un enfant autant que des atteintes physiques.

M. Arthur Melon. - Vous avez évoqué tout à l'heure le besoin de formation. Nous rencontrons de nombreux professionnels, dont des éducateurs, qui affirment n'avoir jamais été formés sur ce sujet. Par conséquent, ils découvrent le problème de la prostitution des mineurs lorsqu'ils y sont confrontés, si toutefois ils veulent bien le voir. Il arrive aussi qu'ils ne le perçoivent pas, même en ayant toutes les preuves nécessaires sous les yeux. L'ACPE propose donc un nombre croissant de formations afin d'identifier les signes de repérage et d'appréhender l'organisation de ce phénomène.

Nous considérons en outre que la meilleure des préventions reste l'éducation à la sexualité et aux rapports affectifs. Depuis la loi de 2016, la question de l'exploitation sexuelle et de la prostitution est entrée dans les programmes. Toutefois, les rares séances d'éducation sexuelle que les jeunes reçoivent portent plutôt sur des aspects hygiénistes et génitaux, et pas suffisamment sur les aspects relationnels, le bien-être ou le respect du corps et d'autrui.

Mme Françoise Cartron. - Notre enjeu consiste en priorité à produire un texte qui soit lisible par l'opinion publique. Toutefois, il est vrai que la complexité de ces questions augmente à mesure que nous avançons dans nos réflexions. Or plus un texte est complexe, moins il est lisible. Par conséquent, nous devons favoriser des formulations simples. Je suis donc favorable à l'idée de considérer tout rapport sexuel entre un adulte et un mineur de moins de treize ans comme un crime. Tout le monde comprendra cela. Nous pourrons l'expliquer facilement. Si nous introduisons d'autres conditions telles que la contrainte ou la menace, nous impliquons qu'il peut exister une forme de consentement, ce qui me dérange considérablement.

Concernant l'accompagnement des services sociaux, il existe certainement un vrai besoin de formation et de sensibilisation. Dans ma vie professionnelle, j'ai été confrontée à un enfant d'école maternelle à qui sa mère faisait régulièrement des fellations. Il les dessinait, mais il n'en parlait pas. Il ne pouvait pas parler. La situation a été très compliquée. Je n'ai cessé d'alerter durant les trois ans qu'il a passés à l'école maternelle. Par conséquent, je peux affirmer qu'il reste un travail de formation considérable à réaliser, notamment pour sortir de certaines réticences à éloigner un enfant de sa mère dans ce genre de cas.

Mme Maryvonne Blondin. - Toutes nos discussions m'ont rappelé une rencontre avec la pédopsychiatre Catherine Bonnet, auteure notamment du livre L'enfance cassée. Elle y pose cette question : l'inceste et la pédophilie sont-ils insoutenables au point qu'il soit préférable de les nier ? Elle a été confrontée à la difficulté de signaler ce genre de faits. Sa carrière s'en est ressentie.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Une proposition de loi a été votée l'an dernier pour rappeler aux médecins qu'ils ne peuvent pas être poursuivis pour diffamation en cas de signalement. C'était en réalité déjà le cas, mais cela a été confirmé. Par ailleurs, le Conseil national de l'Ordre des médecins promeut désormais cette disposition. Catherine Bonnet, pour sa part, pousse la démarche plus loin en demandant une obligation de signalement et une sanction pour les médecins qui ne le font pas.

Mme Inès Révolat. - Pour conclure sur la prostitution, nous manquons en réalité de données pour pouvoir avancer. La loi de 2016 prévoyait notamment la remise d'un rapport gouvernemental deux ans plus tard. Nous l'attendons avec impatience.

M. Arthur Melon. - Il s'agit d'un rapport au Parlement, que vous avez vocation à consulter.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Je vous remercie toutes et tous d'avoir participé à cette audition ce matin. Merci à nos invités pour les éclairages qu'ils nous ont apportés.


* 1 Loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale.

* 2 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

* 3 Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant.

* 4 Loi n° 2016-144 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.