Mardi 17 avril 2018
- Présidence de M. Bernard Cazeau, président -
La réunion est ouverte à 16 heures.
Audition de M. Laurent Nuñez, directeur général de la sécurité intérieure au ministère de l'intérieur (ne sera pas publié)
Cette audition s'est déroulée à huis clos. Le compte rendu ne sera pas publié.
La réunion est close à 17h05.
Mercredi 18 avril 2018
- Présidence de M. Bernard Cazeau, président -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Audition du Dr Serge Hefez, psychiatre
M. Bernard Cazeau, président. - Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de M. Serge Hefez. M. Hefez est psychiatre et a notamment travaillé à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris avec des mineurs radicalisés. C'est précisément pour votre expertise en la matière que notre commission d'enquête a souhaité vous entendre.
Quel est le profil des individus qui s'engagent dans le djihadisme ? Qu'est-ce qui les pousse à devenir djihadistes ? Les mineurs présentent-ils des spécificités ? Avez-vous perçu une évolution chez ceux qui sont revenus du théâtre d'opérations irako-syrien ? Comment jugez-vous le suivi mis en place pour ces jeunes, qui est double, assuré à la fois par l'ASE et par la PJJ ? Quelle appréciation portez-vous sur la politique de déradicalisation ? Peut-elle porter ses fruits ? Y consacre-t-on suffisamment de moyens ? Quel est votre avis sur le plan de prévention récemment annoncé par le Gouvernement ? De manière générale, quel regard portez-vous sur la menace terroriste, intérieure en particulier, et son évolution ?
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteure, Sylvie Goy-Chavent, à vous poser des questions.
Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.
Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».
Conformément à la procédure en vigueur, M. Serge Hefez prête serment.
M. Serge Hefez. - L'expérience que je vais partager est celle de psychiatre à l'hôpital, notamment psychiatre pour enfants et adolescents.
À la demande de la préfecture de Paris, nous accueillons depuis plusieurs années des mineurs ou de jeunes majeurs radicalisés qui ont été signalés soit par le numéro vert, soit par les commissariats. En général, ces patients ne sont pas fichés S. Certains de ces jeunes s'apprêtaient à partir en Syrie - quelques-uns ont été arrêtés à la frontière. D'autres ont des connexions avec des recruteurs.
Notre travail de prise en charge s'inscrit davantage en prévention par rapport à un niveau élevé de radicalisation avec des projets de départ et des actes sur le sol français.
Dans un article qui va bientôt paraître, nous faisons un premier constat de ces deux premières années - 2015 à 2017 -, portant sur 34 sujets. Les jeunes filles sont surreprésentées par rapport à la population générale djihadiste. En effet, au sein de cette dernière, on trouve entre 25 et 30 % de filles, 20 % de mineurs et 30 % de convertis. La population que nous avons suivie est ainsi à la fois plus jeune - puisque nous travaillons sur des mineurs et des jeunes adultes - et plus féminisée. Au suivi de ces 34 jeunes s'ajoute celui de leurs familles et entourages. Parmi ces patients, 20 % sont dans des situations n'ayant pas de rapport avec la radicalisation, 50 % sont en situation de vulnérabilité par rapport à la radicalisation et 30 % sont dans une situation de radicalisation avérée.
Le signalement se fait par le numéro vert, souvent par les parents ou l'entourage, lorsqu'ils constatent un changement d'attitude : port du voile, connexion avec des personnes paraissant suspectes, etc. Notre travail est double : il s'agit à la fois d'évaluer la situation et de faire de la prévention.
En outre, depuis peu, nous recevons des jeunes revenants des zones de conflit, à la demande du juge des enfants du tribunal de Bobigny. Nous suivons actuellement un jeune dont les parents et les frère et soeur sont décédés sur place ; une fratrie de 3 enfants ; une fratrie de 4 enfants. Les parents sont ou bien morts ou bien incarcérés dès leur retour en France.
Y a-t-il chez les jeunes radicalisés une pathologie psychiatrique expliquant leur démarche ? C'est très complexe à dégager. Environ 20 % des cas sont des cas de pathologie à proprement parler et peuvent être à l'origine d'une affiliation à un leader charismatique qui les a happés. Dans 80 % des cas, nous sommes dans une zone grise dans laquelle se trouvent beaucoup de jeunes pendant cette période de fragilité qu'est l'adolescence : de nombreux adolescents se laissent mourir de faim, d'autres restent chez eux et refusent de sortir. Toutefois, beaucoup, une fois cette période passée, reprennent une vie normale.
Beaucoup de ces patients sont dans une quête, dans la mélancolie adolescente, avec des problèmes d'abandon ou de maltraitance psychologique, parfois des antécédents d'abus sexuels. À cela peut s'ajouter, pour de jeunes Français d'origine maghrébine, un questionnement sur leur trajectoire et celle de leur famille, leur positionnement subjectif dans cette dernière. Tout cela peut redoubler les motivations des jeunes à se venger. Ce que l'on constate, c'est que, souvent, ces jeunes se radicalisent dans un processus de revanche, de rédemption ou de rachat.
Il y a une extrême hétérogénéité des parcours et des profils. Certains sont des jeunes de banlieues, d'autres non. Certains viennent de familles aisées, et d'autres pas. Au final, il n'y a pas de profil type. Mais ce que l'on constate de manière unifiée, c'est qu'une fois qu'ils ont mis le pied dans l'engrenage de l'endoctrinement et de la radicalisation, les recruteurs sont très habiles. Ils perçoivent les motivations différentes en fonction des profils et savent adapter à chacun une trajectoire de radicalisation. Ils ont ainsi un sens de la psychologie extrêmement fin : à certains, ils vont promettre la rencontre du prince charmant, à d'autres la possibilité d'une action humanitaire et devenir les nouveaux « mère Theresa », à d'autres encore la rédemption ou encore la richesse ou la gloire. En outre, une fois que les jeunes sont dans ce mécanisme de radicalisation, on constate un « abrasement » : tous deviennent alors pareils. Une partie d'eux-mêmes semble fonctionner de manière quasi-automatique, ils tiennent un discours robotisé, avec des prêt-à-penser, comme s'ils ânonnaient des mantras. Plutôt que les convictions religieuses, ce qui joue un rôle, c'est la rupture qui leur est promise, l'accès à une rédemption, une transformation psychique et de leur cadre de vie.
Mon unité est une unité thérapeutique familiale. Les familles sont ainsi mobilisées. Nous cherchons à déterminer les points d'emprise dans leur histoire familiale, les passés de rupture et d'abandon. Ces dysfonctionnements ne sont pas toujours évidents. Dasch apparaît alors pour ces jeunes comme le négatif de cette appropriation familiale pathogène qu'ils avaient vécue.
Avec trois ans de recul, je dirai que notre bilan n'est pas trop mauvais. Nous faisons un travail pluridisciplinaire, à la fois psychiatrique, familial, social, de réinsertion, nous travaillons avec des imams et des repentis. Lorsque l'on conjugue ces travaux à différents niveaux s'adressant aux différentes strates de radicalisation, cela ne fonctionne pas trop mal. Nous avons quelques jeunes qui sont totalement sortis de la radicalisation. Toutefois, cela ne veut pas dire que ces jeunes ne sont plus en souffrance et donc qu'il ne faut plus s'en occuper. Mais le mirage de Daesh a été dissipé. L'une des raisons de ce bilan plutôt encourageant est que les jeunes que nous suivons sont au départ plus fragiles que d'autres radicalisés par conviction, et donc plus accessibles à cette démarche de prévention de la radicalisation.
Par exemple, nous suivons depuis trois ans un jeune qui a aujourd'hui 18 ans. Quand nous l'avons rencontré pour la première fois, il avait 14 ans. Il vient d'une famille « française de souche », plutôt aisée et bourgeoise qui a connu une séparation très passionnelle et houleuse, où l'enfant a été pris à partie par ses parents. En outre, il a subi un viol et des attouchements sexuels et n'a pas été protégé par ses parents. Il est devenu abuseur à son tour. Il s'est converti, s'est affilié à un recruteur et était prêt à commettre un acte sur le territoire pour obtenir une rédemption. Nous avons fait hospitaliser ce jeune pendant 6 mois. À sa sortie de l'hôpital, nous l'avons placé dans un séjour de rupture à l' où il a fait de l'humanitaire. Il est aujourd'hui confié à une structure d'accueil.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Vos propos sont à la fois inquiétants, mais aussi rassurants car le bilan est plutôt positif. Comment prendre en charge sur le long terme ces enfants et leurs familles ? L'État a-t-il un plan défini ?
M. Serge Hefez. - La psychiatrie adolescente s'est beaucoup mobilisée autour de ces questions. Plusieurs rencontres et réunions, également avec les syndicats des psychiatres et des psychologues ont eu lieu pour homogénéiser les réponses. En outre, le Comité interministériel pour la prévention de la délinquance et de la radicalisation a mobilisé l'ensemble des préfets afin de trouver dans chaque région un référent en pédopsychiatrie. Il s'agit souvent de Maisons des adolescents, de services de pédopsychiatrie hospitaliers ou de centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP). Des formations ont eu lieu.
Je n'ai pas le sentiment qu'il aurait été opportun de créer un système spécifiquement dédié à cette prise en charge. Pour ces 34 jeunes, nous avons adapté notre savoir-faire au cas par cas. En aucun cas le pédopsychiatre ou psychologue ne peut intervenir seul. Nous travaillons en lien avec l'aide sociale à l'enfance (ASE), la Protection Judiciaire de la jeunesse, le secteur associatif, comme SOS Habitat et soins. Il faut que le travail soit pluridisciplinaire. Le recours au médicament, comme pour la prise en charge de tout adolescent, reste exceptionnel.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Quelles mesures pouvez-vous préconiser pour éviter la propagation de cette idéologie mortifère ? Vous avez évoqué une forme de dérive sectaire. Nous avons également retrouvé cette expression lorsque nous avons auditionné Manuel Valls. Cette frange de l'islam lié au salafisme s'apparente à une secte. Il s'agit d'une dérive sectaire à combattre.
M. Serge Hefez. - On retrouve dans le mécanisme employé par Daech le même que celui employé dans les sectes. Ce qui est recherché est une rupture, un isolement. Cette rupture repose sur une démarche en plusieurs étapes. La première consiste, par une théorie du complot, à considérer l'environnement comme dangereux. En cinq clics sur internet, je peux vous montrer comment passer du danger de l'huile de palme dans le Nutella à Daech. Le but est de développer un sentiment de terreur envers le monde entier et sa famille. Mais, à la différence d'autres sectes, Daech se réfère à des données géopolitiques très complexes. Aussi, il y a une couche de discours autour de ce qui se passe sur ces théâtres d'opération et de la lutte qui y est menée. Beaucoup de jeunes souhaitaient partir pour s'engager contre Bachar al-Assad, instaurer une terre promise sécurisée, notamment pour les enfants syriens.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Ceux qui ne sont pas partis, que j'appelle les frustrés, ont une haine de notre société...
M. Serge Hefez. - Depuis la disparition de Daech, il n'y a plus cette attraction géographique. Les recruteurs incitent désormais à combattre directement en France. Ce ne sont pas les mêmes profils. D'une part, il y a beaucoup moins de personnes recrutées, d'autre part, ce sont des jeunes ayant plus de problèmes psychiatriques. Ils ont une appétence pour la paranoïa, le délire. On les recrute ainsi autour de leur folie et non de leur engagement. Pour moi, ces personnes sont beaucoup plus dangereuses car on peut les retourner et les faire passer à l'acte très rapidement. Il est beaucoup plus difficile de travailler sur ces personnes.
En ce qui concerne les mineurs de retour de Syrie et d'Irak, ceux que j'ai pu rencontrer ne sont pas endoctrinés. En revanche, ils ont vécu l'horreur ; souvent, ils n'ont pas compris ce qui leur est arrivé. Par ailleurs, leurs parents - lorsqu'ils sont encore vivants - ont été menottés sous leurs yeux et séparés d'eux, dès leur descente de l'avion. Ce sont ainsi des polytraumatisés, demandant à retrouver une vie normale.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Les replonger dans un contexte familial hostile ne risque-t-il pas d'en faire des « bombes à retardement » ?
M. Serge Hefez. - Les juges des enfants sont très vigilants. Ils nous demandent un travail d'expertise. Il y a actuellement un seul jeune qui est en train d'être remis à sa famille. Il s'agit de celui ayant perdu ses parents et ses frère et soeur. Les grands-parents n'ont pas vu venir la radicalisation, y étaient très opposés. En outre, ils avaient une relation avec l'enfant avant son départ. Nous travaillons ensemble, avec cette famille, afin de permettre à l'enfant de comprendre ce qui lui est arrivé, faire en sorte qu'il ne fasse pas de parents des martyrs, mais tout en lui permettant de faire le deuil de ces derniers, de les aimer en tant que parents. Les autres mineurs sont en famille d'accueil. Les enfants vont rendre visite à leurs parents en prison. Nous travaillons également pour éviter les conflits de loyauté.
M. Alain Fouché. - Il s'agit de jeunes délaissés, happés via internet. Nous sommes confrontés, dans les départements, au problème des mineurs isolés. Nous devons les garder jusqu'à leur majorité. Dans mon département, cela coûte 7 à 8 millions d'euros par an. Y a-t-il des risques que ces jeunes se fassent embrigader ?
En outre, avez-vous une idée du pourcentage de ceux qui, étant partis dans cette voie, avaient fait l'objet de maltraitance familiale ?
M. Serge Hefez. - La maltraitance est aussi psychologique. Il y a une hétérogénéité des parcours. Beaucoup de jeunes viennent de familles certes traversées par des problématiques de conflits, mais qui ont fait ce qu'elles pouvaient pour élever leurs enfants. Au final, pour ce type de risque, nous ne sommes pas forcément en présence de problèmes visibles : alcoolisme, drogues, maltraitance, etc.
Pour l'instant, les seuls mineurs isolés dont j'ai la charge sont les mineurs revenants. Ils ont tout ce qu'il faut pour les écouter, les soigner et prévenir les dangers.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Au début de l'audition, vous nous avez indiqué que ces jeunes venaient de tout milieu, souvent de familles avec un secret parfois lourd à porter pour l'adolescent, où des choses se sont mal passées. À mon avis, dans notre système éducatif et social, la prise en charge des familles où il y a des failles n'est pas assez forte. Or, cela conduit à des vraies déviances. D'autres adolescents plongent dans la drogue, la prostitution. À mon avis, cela remet en cause notre approche familiale.
M. Serge Hefez. - Ce qu'il faut remettre en cause, ce sont les moyens alloués. Aujourd'hui, le délai d'attente en pédopsychiatrie est de 6 mois pour des enfants qui vont très mal. Nous n'avons rien de mieux à leur proposer. Notre consultation « radicalité » fonctionne bien, car nous avons des moyens. Ce n'est pas le savoir-faire qui manque, ce sont les moyens.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - On sait que, dans certains milieux, il est difficile de parler, de faire appel à un psychologue. À mon avis, sur ces problématiques, il y a un travail à écrire et à financer.
M. Serge Hefez. - Les maisons des adolescents sont des endroits très intéressants. Elles sont présentes sur tout le territoire. Mais il n'y en a pas assez.
Mme Martine Berthet. - Les enfants revenant des théâtres d'opération irako-syriens ne risquent-ils pas de développer un ressentiment vis-à-vis de l'État français qui leur a enlevé leurs parents, aujourd'hui détenus ?
M. Serge Hefez. - Je vous mentirais si je vous disais qu'il n'y avait aucun danger. Il s'agit d'un danger potentiel, mais tout est mis en place pour les écouter, les prendre en charge et recueillir leurs paroles.
Mme Martine Berthet. - Un accompagnement dans la durée est-il prévu ?
M. Serge Hefez. - Nous préconisons une prise en charge au moins jusqu'à leur majorité. Si le travail est bien fait, il n'y aura pas de risque de basculement lorsque le jeune aura 18-19 ans. De toute façon, il n'y a rien d'autre à faire que d'organiser cette prise en charge.
M. André Reichardt. - Je m'intéresse au moment du basculement de la radicalisation au passage à l'acte. Y a-t-il une explication rationnelle de ce passage ? Comment peut-on se radicaliser et utiliser cette radicalisation pour passer l'acte ? Quel est le levier du passage à l'acte ? Je me place sur le plan de la morale qui fait que je ne fasse pas telle action.
En ce qui concerne l'évolution de la menace terroriste, on constate une diminution du nombre de personnes qui reviennent. Elles sont judiciarisées et se retrouvent en univers carcéral. Or, la psychiatrie n'intervient alors plus, sauf à la fin de la peine.
En outre, il y a la menace endogène. Les services de renseignement surveillent les plus dangereux d'entre eux. Quel peut être le rôle de la psychiatrie vis-à-vis de ces deux catégories ?
M. Serge Hefez. - La psychiatrie a peu de valeur prédictive. Chez des personnes présentant des pathologies avérées, rien ne permet de déterminer si elles vont passer à l'acte, et à quel moment. À titre d'exemple, sur la population schizophrène, 90 à 95 % des personnes ne sont pas dangereuses, ne passeront pas à l'acte, mais souffriront d'attaques du monde extérieur. En revanche, on aura un cas, à un moment donné, où la personne malade prendra un couteau et égorgera deux infirmières, comme cela s'est passé il y a quelques années.
Qu'est ce qui fait qu'à un moment, on va passer à l'acte ? On peut parfois comprendre rétroactivement. En matière d'endoctrinement, à chaque étape, on franchit un seuil. Il y a 7 étapes en tout. La première étape consiste à créer un lien de confiance avec la personne en lui faisant miroiter le fait que le recruteur est celui qui la connaît le mieux. Ensuite, on lui fait croire que l'univers est contre elle, que son entourage - ses professeurs - est contre elle, puis que ses parents le sont également. Au final, on arrive à la création d'une unité groupale. Cette étape est décisive. La pensée groupale qui émerge est alors partagée par l'ensemble des membres du groupe et se substitue à leurs pensées individuelles. Et cette pensée groupale peut aller vers un passage à l'acte d'un individu. C'est ce qui s'est passé dans le cas de la tentative d'attentat par trois femmes devant Notre-Dame de Paris. Elles avaient 17, 25 et 36 ans. Elles ont été convaincues par celle de 17 ans par internet, qui s'est fait passer pour un prince charmant. Grâce à ces liens virtuels, elles ont créé une sororité très forte, sans jamais se rencontrer. Il ne s'agissait pas de trois psychopathes au départ, mais de trois femmes un peu perdues. L'une était un peu plus dominante que les autres et était elle-même sous la domination de Rachid Kassim. Ce qui a fait basculer vers le passage à l'acte, c'est cette appartenance.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Tous les jeunes perdus ne se retrouvent pas à projeter des attentats. Il y a une trame religieuse ou un travers religieux.
M. Serge Hefez. - Les connaissances religieuses sont très faibles. Ce qui les attire, c'est l'idée de rédemption ou de transformation.
M. Bernard Cazeau, président. - Peut-on prévenir le passage à l'acte ?
M. Serge Hefez. - On ne le peut pas. Beaucoup de ces jeunes se révèlent au final d'une profonde innocence, candeur, dans leurs approches. C'est sur cela que se fonde le mécanisme d'endoctrinement.
En ce qui concerne le « loup solitaire », il y a en psychiatrie traditionnellement une distinction, dans le passage à l'acte, entre le « loup solitaire », qui trouve en son for intérieur les ressorts de son action et de sa motivation, et des personnes radicalisées du fait de l'influence d'une tierce personne. Aujourd'hui, on a des jeunes qui se trouvent à cheval entre ces deux catégories, qui se sont radicalisés, mais en très peu de temps. Ils sont ainsi déjà des « loups solitaires » en devenir et il suffit de quelques suggestions pour les faire passer à l'acte.
- Présidence de M. Bernard Cazeau, président -
Audition de Mme Hélène Sallon, Journaliste au Monde
M. Bernard Cazeau, président. - Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de Mme Hélène Sallon, journaliste au quotidien Le Monde.
Mme Sallon travaille au sein du service international du journal à la rubrique Moyen-Orient. Elle a couvert, entre mi-octobre 2016 et mi-juillet 2017, la bataille de Mossoul, en Irak, et a passé plus de quatre mois sur le terrain à suivre l'offensive des forces irakiennes contre le groupe djihadiste et à enquêter sur son règne à Mossoul. Elle a d'ailleurs publié, cette année, L'État islamique de Mossoul - Histoire d'une entreprise totalitaire.
Dans cet ouvrage, vous vous êtes plus particulièrement intéressée à la véritable nature du califat que Daech prétendait imposer et qui, selon vous, était un projet unique par son ampleur et ses objectifs. Vous avez recueilli de nombreux témoignages, en particulier auprès des habitants de Mossoul. Plus largement, vous suivez l'actualité en Irak. Aussi avez-vous des informations et des analyses à nous apporter sur la façon dont les djihadistes capturés, y compris des ressortissants français, sont jugés sur place. Comment percevez-vous la politique des autorités irakiennes en la matière ? Quel est l'état de la justice en Irak ? Plus généralement, quelle est votre analyse de la menace que représente aujourd'hui l'État islamique, à la fois sur la zone syro-irakienne et à l'intérieur de nos frontières ?
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteure, Sylvie Goy-Chavent, à vous poser des questions.
Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.
Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Hélène Sallon prête serment.
Mme Hélène Sallon, journaliste au quotidien Le Monde. - L'exemple de Mossoul est intéressant pour comprendre la montée en puissance de Daech et la reprise de la vie après la libération de la ville.
Mossoul était la plus grande ville détenue par Daech. La chute de Mossoul ne s'est pas faite en quatre jours de bataille militaire - en juin 2014 -, mais par un grignotage progressif. Toutefois, on a eu l'impression d'une chute brutale car plus beaucoup de journalistes étaient sur place et nos yeux étaient tournés vers la Syrie.
Daech est une organisation issue d'Al-Qaida. En Irak, beaucoup de membres de Daech sont d'anciens officiers baasistes et proviennent d'une partie de la population marginalisée. Les sunnites ont en effet perdu le pouvoir à la suite de la chute de Saddam Hussein.
Sur cette fracture, des groupes ont réussi à s'implanter. Mossoul était un lieu important du financement de Daech. On estime qu'au sommet de sa puissance, Mossoul rapportait 8 millions de dollars par mois à Daech. Après le retrait américain en 2011, on a constaté une déliquescence de l'État irakien et une contestation des autorités locales et fédérales par la population en raison d'une corruption importante et d'une politique discriminatoire envers la population sunnite. Par exemple, on constatait des arrestations arbitraires. La situation sécuritaire était également préoccupante : les communautés étaient mises dos à dos et ne coopéraient plus avec les autorités. Ce contexte explique la chute très rapide de Mossoul.
Initialement, la population a accueilli favorablement Daech. En effet, en juin 2014, on ne savait pas ce qu'était l'État islamique. Il y avait d'ailleurs un certain dénigrement de cette organisation. Pour rappel, Barack Obama, interrogé sur le groupe djihadiste en Irak et en Syrie, avait minimisé le danger en faisant cette comparaison : « Si une équipe de jeunes met le maillot des Lakers, ça ne fait pas d'eux Kobe Bryant pour autant ». La population a accueilli Daech pour se débarrasser des autorités. Or, dans la période actuelle, on pourrait revenir à la situation d'avant la prise de Mossoul par Daech.
En outre, la Syrie connaît actuellement sa vraie première déstabilisation. Le régime syrien sur place a reconquis son territoire, mais on peut se demander quel est l'état de ces territoires. En outre, on est loin d'une réconciliation nationale. Le régime n'est en effet pas en phase de réconciliation avec les populations de ces territoires d'opposition. En outre, le pouvoir syrien n'a pas de prise sur les territoires. Des groupes profitent de cette situation. On est ainsi dans un régime de chefs de guerre. Le régime a perdu beaucoup d'hommes et n'a pas les moyens de stabiliser les zones.
M. Bernard Cazeau, président. - Comment la population a-t-elle été traitée par Daech à Mossoul ?
Mme Hélène Sallon. - Daech dispose de combattants intelligents. Quand il a lancé son offensive, il s'est appuyé sur des tribus marginalisées et sur la forte fracture existante entre les citadins et les villageois. Il a ainsi fait croire qu'il remettrait au pouvoir les autorités civiles. Depuis 2004, la ville était confrontée à une négligence de la part de l'État ; les services municipaux manquaient d'investissement. La population était opposée au pouvoir fédéral et local. La population a beaucoup pâti du manque des services et des barrages militaires. L'ancien Premier ministre avait une politique excessivement confessionnelle. Les forces militaires étaient en très grande majorité chiites. Elles ont mené la vie dure à la population sunnite du fait du « printemps arabe » qui a touché l'Irak fin 2012. Avec les barrages militaires, un trajet prenant normalement 20 minutes nécessitait une à deux heures.
Daech a fait retirer tous les barrages, a réparé les routes, a embelli la ville, a rétabli les services municipaux. Certes, la population devait payer une taxe, mais elle était d'accord car elle avait des services en retour. La Constitution de la ville a été distribuée le 13 juin. Celle-ci prévoyait une interdiction de toute expression politique. Des règles vestimentaires pour les femmes et les hommes ont été instaurées, une interdiction des jeux, de fumer et de boire a été mise en place. Les femmes n'avaient le droit de sortir qu'en cas de nécessité. Les châtiments étaient rétablis. Toutefois, dans un premier temps, ces règles n'ont pas été appliquées. Ainsi la réglementation relative aux femmes a-t-elle été appliquée à partir de mi-juillet, et l'interdiction de fumer un peu plus tard. En septembre 2014, trois mois après la prise de Mossoul, la totalité du corpus a été appliqué. Daech est devenu beaucoup plus paranoïaque. Du fait des frappes de la coalition, la ville a été fermée dès août : plus personne ne pouvait y rentrer, ni en sortir sans autorisation spéciale. Daech était un État très bureaucratique. Sur les 2 millions de personnes, 500 000 habitants sont partis. 1,5 million de personnes étaient ainsi prises au piège dans la ville. Les personnes qui sont restées ont voulu garder leurs maisons et leurs biens. Celles qui sont parties sont les élites qui étaient déjà menacées par Al-Qaida ; les policiers et l'armée, car ils avaient un fort lien à l'État ; des habitants qui avaient les moyens de partir - les professeurs notamment.
Pour ceux qui restaient, les règles étaient strictes : interdiction des pantalons trop courts, obligation d'aller à la mosquée, diffusion de propagande dans les rues. La pression a augmenté à partir de septembre 2014 car Daech sait que la coalition rencontre des succès et qu'elle a réussi à infiltrer son mouvement. Ainsi le gouverneur de Mossoul, lié à Daech, a-t-il été tué par une frappe ciblée en novembre. Daech mène alors une traque aux informateurs. On constate une surveillance de plus en plus forte et les interdictions s'amplifient au fur et à mesure des frappes. En 2016, Daech mène des raids et des fouilles chez les gens.
Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - L'idéologie salafiste domine-t-elle en Irak et en Syrie ? Vous nous avez dit que Daech s'était appuyé sur l'action sociale. Une situation identique en France est-elle possible ? En outre, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les Frères musulmans dans cette zone ?
Mme Hélène Sallon. - En ce qui concerne l'idéologie en Irak et Syrie, Saddam Hussein a favorisé la montée du salafisme en Irak pour contrer la prise d'influence des Frères musulmans, fondés en 1928 en Égypte, et aussi en réaction à l'Iran après la révolution islamique et la guerre Iran-Irak de 1980-1988 - je rappelle que les salafistes et les Frères musulmans sont des mouvements concurrents au sein de l'islam politique. Au départ, les Frères musulmans prônaient une réforme de l'islam et la lutte contre l'occupant britannique. Les Frères musulmans ont gagné du terrain dans les années 1950 en Irak. Ce mouvement a toujours utilisé l'action sociale pour prendre pied. À Mossoul, les élites étaient de plus en plus affiliées aux Frères musulmans. Il y a une volonté de ce groupe de participer aux élections.
La campagne de la foi de Saddam Hussein, qui a consisté à réintroduire l'islam dans l'espace public et à favoriser la formation des imams en Arabie saoudite, a donné lieu à une wahhabisation de la société, qui a également touché l'armée. En outre, la migration de villageois vers la ville a conduit au développement de quartiers de populations salafisées. Certaines zones sont ainsi salafisées depuis 15 à 20 ans. Si Mossoul est traditionnellement une ville conservatrice - toutes les filles sont voilées et il y a beaucoup de distance entre les hommes et les femmes -, il ne s'agissait pas toujours de salafisme.
Ce que Daech a apporté était inconnu à Mossoul : ainsi l'application de châtiments très rigoristes n'était pas dans la mentalité des habitants. Il faut se souvenir que Mossoul est le deuxième plus grand pôle universitaire. La mentalité de Daech n'était pas celle de la population.
Falloujah est vu depuis 2004 comme une ville salafiste. Or, il ne faut pas oublier que, dans les années 1980 et 1990, c'était la ville des soufistes. On voit actuellement une résurgence du soufisme. Falloujah peut être un terrain pour Daech. En effet, si une partie de la population a fait un rejet total de la religion - absence de fréquentation de la mosquée - en raison du carcan religieux qui lui était auparavant imposée, d'autres sont toujours salafistes et proches du djihad. Ces derniers ont accueilli Daech qui correspondait à leurs valeurs. Or, on retrouve aujourd'hui dans certaines de ces mosquées des discours complotistes. La situation est inquiétante. En outre, aucun travail de médiation entre les communautés n'est actuellement fait. Il en est de même sur les manuels scolaires extrémistes, présentant une vision très conservatrice de la société et du rôle de la femme.
Les attentats qui frappent l'Afghanistan visent les bases où sont présents des Iraniens. Il y a également une fracture sectaire.
En ce qui concerne la France, j'ai moi-même eu l'occasion d'approfondir mon travail. Toutefois, Daech est présent de manière dématérialisée. On ne recrute plus forcément dans les mosquées ou les organisations. Il y a moins de groupes formalisés : ce sont désormais des petites cellules qui iront ensuite rejoindre les théâtres d'opération ou mèneront des attaques.
Pourquoi Daech a-t-il autant capté la jeunesse ? La guerre en Syrie a eu une résonance importante en France. Au départ, beaucoup de jeunes disaient s'y rendre pour faire de l'humanitaire. En Jordanie, il y avait un discours anti-chiite très fort. J'ai ainsi interviewé le président de la chambre de commerce dont les deux fils ont rejoint Daech et il leur a d'abord envoyé de l'argent. Certains sont tombés dans la radicalisation, passant d'un groupe à l'autre. Enfin, la raison originelle n'est pas toujours la religion ou la violence. Al-Qaida était vu comme un groupe élitiste, rhétorique. Daech voulait des combattants, avait la volonté de transcender les groupes pour changer leur vie et le monde.
Parmi ces jeunes, certains ont été aiguillés par des imams leur proposant de faire de l'humanitaire, puis les ont dirigés vers des groupes armés. En outre, la Syrie était facile d'accès par rapport à d'autres théâtres d'opération. Beaucoup sont passés de rien à Daech car ils y ont vu une opportunité. Le passé religieux est parfois très bref.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Vous nous avez indiqué que plusieurs pays étaient déstabilisés et être pessimiste sur l'avenir de la Syrie. Bachar El-Assad est un des problèmes. Or, il est toujours là. Peut-être qu'à un moment, faudra-t-il discuter avec lui ? Cette discussion pourrait-elle être un facteur d'apaisement de la région ? Il nous faudra bien avoir des liens avec ces pays.
Mme Hélène Sallon. - Politiquement, il n'y a pas beaucoup d'options. La Russie est maîtresse du jeu. Si la Russie et l'Iran font le choix de maintenir Bachar al-Assad, il n'y a pas beaucoup d'autres interlocuteurs possibles. Il faudrait essayer d'amener la Russie et l'Iran à trouver une autre figure, pour le symbole. Le risque de Bachar El-Assad et de ce régime est sa mentalité selon laquelle il vit dans une citadelle assiégée. Il a fait bombarder et gazer une partie de sa population. Il ne peut être un héros de la réconciliation nationale. Assad vient de faire passer une loi donnant deux mois aux Syriens pour réaffirmer leur propriété sur leurs maisons et leurs terres, sous peine pour l'État de récupérer les biens non réclamés. Or, la grande majorité des Syriens vivent aujourd'hui en exil. Le but est que cette population ne revienne pas en Syrie. Les zones que le régime juge dangereuses sont des zones qui se sont soulevées en 2011 car la population avait été touchée par la sécheresse et n'avait pas profité du développement économique. Comment espérer dans ces conditions aller vers une stabilisation ? Dans ces conditions, aucun groupe insurgé ou combattant n'acceptera une solution de paix, que ce soit à Genève ou Astana.
Nous sommes dans des processus longs : en Égypte, les Frères musulmans sont arrivés au pouvoir car Moubarak et ses prédécesseurs avaient empêché toute opposition. Les Frères musulmans faisaient de l'action sociale. En clôturant l'espace politique, le gouvernement a créé une frustration et un rejet auprès de nombreux groupes, dont la jeunesse. Il s'agissait certes d'un pouvoir fort, mais qui n'était pas stable. Certes, il y a aujourd'hui un libéralisme économique en Égypte. Il faudrait encourager ce pays à un peu plus de libéralisation politique.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Beaucoup de chrétiens d'Orient ne souhaitent pas repartir. Quel est leur avenir ?
Mme Hélène Sallon. - À Mossoul, il y avait 35 000 chrétiens lorsque Daech est arrivé. Ils étaient déjà maltraités auparavant par les djihadistes et Al-Qaida. Tous sont désormais partis. On assiste au retour d'une dizaine de familles. La plupart ne veulent pas rentrer. Certes, des initiatives ont été prises par certains jeunes, comme le nettoyage des églises et de l'université. Mais les chrétiens d'Orient savent que leurs maisons ont été pillées ou bien par Daech, ou bien par leurs voisins. En outre, ce sont des personnes qui vivent en communauté et sont attachés aux rites. Tant qu'ils n'auront pas d'églises et de prêtres, ils ne reviendront pas. Deux prêtres sont retournés. Mais il n'y a pas beaucoup d'espoir. Si des efforts sont faits pour diffuser un sentiment de confiance et d'accueil, peut-être y aura-t-il à terme un retour.
Mme Martine Berthet. - Avez-vous la connaissance de la présence de Français sur place ?
Mme Hélène Sallon. - Nous savons qu'en Irak, il y a des femmes et des enfants français. Tous ont demandé leur retour. Djamila Boutoutaou vient d'être condamnée à la perpétuité. Les autorités françaises disent ne pas être au courant. On peut s'interroger sur les procès menés : ils durent 10-15 minutes, les accusés n'ont pas d'avocats ou ceux-ci sont nommés devant le tribunal et ont à peine 5 minutes pour lire le dossier, il n'y a pas d'individualisation des peines. Beaucoup de djihadistes, lors de l'avancement des forces de la coalition, sont partis en Syrie. On estime à environ 60 le nombre de Français en Syrie, dont des femmes et enfants. Des personnalités importantes de Daech y sont détenues. Il existe un flou juridique. La position française est de laisser juger ces personnes par des autorités qu'elle ne reconnait pas. Or, les Kurdes sont actuellement pris en étau avec l'offensive turque sur Afrin. Il n'est pas à exclure qu'à terme, les Kurdes s'allient au régime syrien.
M. Bernard Cazeau, président. - Le procureur Molins a rencontré les magistrats irakiens et indique leur faire confiance, qu'il s'agit de magistrats de qualité. Or, sur France Info, les avocats de l'accusée française se plaignaient de ne pas avoir eu le temps d'entrer en contact avec leur cliente.
Mme Hélène Sallon. - Je ne remets pas en cause le travail des juges des verdicts qui jugent en fonction de critères définis. Ainsi, dès lors que les avocats peuvent prouver des tortures sur leurs clients, ces magistrats prononcent un non-lieu car il n'est pas possible de condamner quelqu'un sur la base de tels aveux. Le problème se situe en amont, au niveau des juges des enquêtes. Ils disposent d'environ 1 000 dollars par enquête. Or, les crimes se sont passés sur des zones très vastes, et pendant trois ans. Comment faire une enquête sérieuse dans ces conditions ? En outre, la torture est répandue. Les avocats doivent payer pour éviter que leurs clients ne soient torturés. Des arrestations arbitraires ont également lieu.
M. André Reichardt. - Vous nous dites que toutes les zones ne sont pas sécurisées en Irak. Or, j'avais l'impression que c'était le cas. Dans quelles zones Daech est-il encore présent aujourd'hui ? Les Kurdes sont présents en Irak. À terme, ils demanderont une autonomie pour le Kurdistan. Si rien n'est fait, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Quelles sont les chances d'une stabilisation du pays ?
Mme Hélène Sallon. - Deux zones sont encore aujourd'hui des bastions de l'État islamique. En période de défaite, ils s'étaient réfugiés dans le tora bora irakien, à la frontière irako-syrienne, qui est une zone de grottes et de crevasses où ils ont caché des armes et des véhicules. Les Monts Hamrin, au Sud du Kurdistan irakien, constituent une autre zone de présence des djihadistes. Il y a une influence kurde au sud de cette région. Toutefois, on a vu la résurgence d'un groupe qui se fait appeler les white flags. C'est une zone d'insurrection depuis 2003. Ils harcèlent les forces de sécurité, font des embuscades. Récemment, ils ont égorgé 27 policiers des forces locales de sécurité. Cette zone n'a jamais été totalement maîtrisée par les Irakiens.
En outre, les djihadistes reconstituent leurs financements. Ils ont investi de petites sommes dans des fermes piscicoles, dans les compagnies de taxi, les bureaux de change, les sociétés d'import-export. Ils ont réussi à entrer sur le marché des enchères des banques centrales. Leur micro-business leur permet de financer les combattants en cellule dormante et les familles des martyrs. Cela permet d'entretenir un mythe et la possibilité d'une résurgence, de plus en plus proche.
Dans la région des Monts Hamrin, les Peshmergas kurdes se sont retirés. Un accord est en cours pour une nouvelle coopération sécuritaire entre les Peshmergas et les autorités locales pour renouer les liens. La zone à cheval entre les zones d'influence kurde et arabe est également en danger.
Le Premier ministre Abadi a une position dure envers le Kurdistan. Des élections doivent avoir lieu prochainement en Irak et il n'est pas certain qu'il soit réélu. Plusieurs forces vont s'affronter. Cette élection est décisive pour l'avenir de l'Irak et notre présence sur place. Abadi souhaite faire de l'Irak un terrain neutre, ouvert à la France, aux États-Unis, à l'Iran... La milice et le camp chiites appellent au retrait américain et considèrent, de manière générale, que les Occidentaux sont des envahisseurs. Il y a ainsi un risque de faire perdurer une tendance au sectarisme et à la fermeture prônée par Maliki. Certes, on constate un mouvement de protestation de la population contre le sectarisme et la corruption. Cela forme une première base pour des réformes. On a vu des débuts de lutte contre la corruption. Il faut appuyer ces efforts, sans toutefois froisser l'Iran. En effet, le djihadisme se nourrit de toute fracture, notamment avec l'Iran et l'Arabie saoudite. L'Irak est un État failli depuis 15 ans. Il est nécessaire de faire un effort d'accompagnement et de consolidation de ce pays par les États voisins et la coalition.
La réunion est close à 17h05.
Jeudi 19 avril 2018
- Présidence de M. Bernard Cazeau, président -
La réunion est ouverte à 9h05.
Audition de Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la justice (ne sera pas publié)
Cette audition s'est déroulée à huis clos. Le compte rendu ne sera pas publié.
La réunion est close à 10h40.
La réunion est ouverte à 13h55.
Audition de M. Thomas Campeaux, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur (ne sera pas publié)
Cette audition s'est déroulée à huis clos. Le compte rendu ne sera pas publié.
La réunion est close à 15 heures.