Mardi 17 avril 2018
- Présidence de M. Charles Revet, président d'âge -
La réunion est ouverte à 17 h 35.
Réunion constitutive
M. Charles Revet, président. - Il me revient de présider la réunion constitutive de notre commission d'enquête. Je vous rappelle que la Conférence des Présidents a pris acte, lors de sa réunion du 4 avril, de la demande de création en application de l'article 6 bis du Règlement du Sénat d'une commission d'enquête sur les mutations de la haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la République.
Cette demande a été formulée par Pierre-Yves Collombat et ses collègues du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste et je pense que nous pouvons les remercier de nous offrir cette occasion de travailler de manière approfondie sur une question importante.
Je vous propose de procéder dès à présent à l'élection du président de cette commission d'enquête. Quels sont les candidats ?
M. Vincent Delahaye. - Je suis candidat.
M. Charles Revet, président. - En l'absence d'autre candidature il me paraît inutile de procéder à un vote et si vous en êtes d'accord je proclame M. Vincent Delahaye président.
La commission d'enquête procède à la désignation de son président, M. Vincent Delahaye.
- Présidence de M. Vincent Delahaye, président -
M. Vincent Delahaye, président. - Je tiens à vous remercier et à remercier particulier Charles Revet qui a bien voulu présider le début de nos travaux. Nous allons procéder à la désignation de notre Bureau en commençant par notre rapporteur.
Lorsqu'une commission d'enquête résulte de l'usage de son droit de tirage par un groupe, les fonctions de président et de rapporteur sont partagées entre la majorité et l'opposition. Il m'apparaît donc que M. Pierre-Yves Collombat, qui est à l'origine de la création de notre commission d'enquête, est tout indiqué pour devenir notre rapporteur.
S'il n'y a pas d'opposition je le déclare élu.
La commission procède à la désignation de son rapporteur, M. Pierre-Yves Collombat.
M. Vincent Delahaye, président. - Il convient maintenant de procéder à la désignation de nos vice-présidents. Tous les groupes doivent être représentés au sein du Bureau et les groupes les plus importants en nombre peuvent avoir deux membres.
Le groupe Les Républicains doit donc avoir deux vice-présidents et nous avons reçu les candidatures de Pierre Cuypers et de Christine Lavarde. De même, le groupe socialiste et républicain a proposé les candidatures de André Vallini et Sophie Taillé-Polian. Le groupe La République En Marche dispose d'un poste de vice-président qui ne peut être attribué qu'à Robert Navarro, seul représentant de son groupe. Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen se trouve dans la même situation et le poste de vice-président ne peut être attribué qu'à Josiane Costes. Enfin, pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires le poste de vice-président revient à Emmanuel Capus.
La commission procède à la désignation des autres membres de son bureau : M. Pierre Cuypers, Mme Christine Lavarde, M. André Vallini, Mme Sophie Taillé-Polian, M. Robert Navarro, Mme Josiane Costes et M. Emmanuel Capus.
M. Vincent Delahaye, président. - Je vous rappelle tout d'abord nous sommes tenus à un délai impératif de six mois pour rendre nos travaux. La prise d'effet de la création de la commission d'enquête étant fixée au mercredi 11 avril, elle prendra fin le 11 octobre. Il est cependant préférable que nous rendions nos travaux avant le début de la session ordinaire en octobre.
Nous disposons de pouvoirs de contrôle renforcés, tel que celui d'auditionner toute personne dont nous souhaiterions recueillir le témoignage ou d'obtenir la communication de tout document que nous jugerions utile.
Les auditions sont en général publiques, sauf si nous en décidons autrement. En revanche, tous les travaux non publics de la commission d'enquête, autres que les auditions publiques et la composition du bureau de la commission, sont soumis à la règle du secret pour une durée maximale de trente ans. J'appelle donc chacun d'entre nous à la plus grande discrétion sur ceux de nos travaux qui ne seront pas rendus publics.
Le non-respect du secret est puni des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal soit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. En outre, l'article 100 du Règlement du Sénat prévoit que « tout membre d'une commission d'enquête qui ne respectera pas les dispositions du paragraphe IV de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête pourra être exclu de la commission par décision du Sénat prise sans débat sur le rapport de la commission après avoir entendu l'intéressé » et que cette exclusion « entraînera pour le sénateur qui est l'objet d'une telle décision l'incapacité de faire partie, pour la durée de son mandat, de toute commission d'enquête ».
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Ainsi que vous l'a indiqué M. le président, nous disposons de six mois pour conduire nos travaux avec pour date butoir le 11 octobre. C'est d'autant plus court qu'il serait souhaitable que nous puissions les présenter en septembre, ce qui implique de procéder à nos auditions avant la fin de la session extraordinaire de juillet et la suspension des travaux en séance publique.
Nous souhaitons renouveler l'approche habituelle des problèmes que pose la migration des hauts fonctionnaires vers d'autres fonctions, notamment des postes de responsabilité dans le privé, mais les terrains d'atterrissage sont nombreux. Pour cela, nous devons cerner les contours du phénomène : de qui parle-t-on et dans quelles proportions s'effectuent ces migrations ? Bien évidemment, le fait qu'un ancien dirigeant de BNP Paribas devienne gouverneur de la Banque de France aura plus d'impact sur la vie politique de notre pays que la décision prise par un instituteur d'ouvrir une pizzeria. Les études qui ont abordé le sujet ont privilégié l'angle déontologique qui est très insuffisant. Dans la mesure où nous ne pourrons pas arriver frais émoulus de notre connaissance naïve aux auditions, il nous a semblé indispensable de commencer par des auditions de cadrage d'experts, d'universitaires et de chercheurs nous permettant dans un deuxième temps de procéder utilement à l'audition des responsables politiques et de la haute administration.
Nos auditions étant par principe publiques, sauf demande de huis clos par la personne auditionnée, nous pourrons les ouvrir au public et à la presse. Nous mènerons des auditions à huis-clos si on nous le demande.
Je vous indique que notre première journée d'audition sera le jeudi 17 mai.
M. Stéphane Piednoir. - Une partie des sénateurs Les Républicains sera retenue.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Le jeudi est avantageux, car il y a peu de réunions de commissions.
M. Vincent Delahaye, président. - Nous pourrions reporter cette réunion au mercredi après-midi ?
Mme Sophie Taillé-Polian. - Mais il y a la séance.
M. Charles Revet. - Ne pas assister à la première réunion de cette commission d'enquête serait pour le moins ennuyeux.
M. Vincent Delahaye, président. - D'autant que nous entendrons des personnes qui ont déjà travaillé sur le sujet, lors des premières auditions. Tentons le mercredi 16 mai, après-midi.
Mme Sophie Taillé-Polian. - Jérôme Bascher est rapporteur d'une proposition de loi sur le verrou de Bercy qui sera discutée le 16 mai.
M. Vincent Delahaye, président. - Choisissons plutôt le mardi 15 mai, en prévoyant une audition avant les questions d'actualité au Gouvernement, et une autre après. Et tenons-nous-en au jeudi pour le reste de nos réunions.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Nous pourrions aussi travailler l'après-midi du jeudi 17 mai, car nous devons avancer vite.
M. Pierre Cuypers. - Combien d'auditions envisagez-vous ?
M. Vincent Delahaye, président. - Nous envisageons une ou deux auditions de personnes qui ont une connaissance générale du sujet. Puis, nous auditionnerons des directeurs d'administration, des chefs de corps et des hauts fonctionnaires qui ont fait des allers-retours entre le public et le privé.
M. Jérôme Bascher. - N'oublions pas que la haute fonction publique n'est pas que d'État. Elle couvre aussi les administrations de la Sécurité sociale et la territoriale. C'est très important. Nous aurons bien sûr tendance à nous focaliser sur les grands corps emblématiques. Or, les administrations de Sécurité sociale offrent un vrai sujet.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Le sujet est énorme. Il faudrait deux ans pour le traiter. Les endroits où l'on pantoufle sont aussi très divers. Nous devrons faire des choix, en les signalant.
M. Vincent Delahaye, président. - Commençons par un état des lieux. Nous devrons décider ensemble pour cibler notre travail. Pour cela, chacun doit avoir une vision claire du phénomène et de son évolution dans le temps. Les migrations dans la haute fonction publique n'ont rien de nouveau. Elles ont commencé au XIXème siècle. Se sont-elles accélérées ? Dans quels endroits ? Dans quelles proportions ? Avec quelles incidences ?
M. Victorin Lurel. - Si l'on s'en tient aux mutations entendues au sens de migrations ou mobilités des hauts fonctionnaires, nous disposons déjà d'une étude de 2015, à l'initiative de l'École nationale d'administration (ENA), dont la proposition de loi de notre collègue Costes s'est inspirée pour montrer que le mouvement concernait surtout le corps de l'Inspection des finances.
Si l'on considère le problème sous l'angle des salaires, il faudra bien constater qu'aucun texte régissant la fonction publique n'est respecté. En créant des autorités administratives indépendantes (AAI), on développe un mouvement bilatéral avec le ministère du budget, grâce auquel on définit des rémunérations exorbitantes. On fait querelle aux sénateurs pour 6 000 euros, alors qu'une ministre touchait 205 000 euros dans ses fonctions antérieures à la tête de Business France. Richard Descoings touchait 537 000 euros lorsqu'il était directeur de Sciences Po. Sans parler de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France.
Au-delà des rémunérations, il y a le pouvoir d'influence. Comme rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale sur les participations financières de l'État, j'ai auditionné la présidente de la Française des Jeux. Nous lui avons demandé quel cabinet d'affaires était en charge de la question de la privatisation. L'endogamie et l'entre soi sont gênants. Certains appels d'offres ou appels à candidatures sont parfois curieux, même si nous ne voulons pas nous montrer soupçonneux. Il faudrait voir d'où viennent celles et ceux qui s'occupent des semi-privatisations des autorités administratives indépendantes ou des agences de l'État, et qui ont pu à ce point ne pas respecter les textes sur la fonction publique. Lorsqu'il y a mutation de fonction, un délai de 10 ans est exorbitant, mais 3 ans ce n'est pas assez. On a vu des hauts fonctionnaires, revenir au dernier jour de la dixième année pour repartir aussitôt. Le rapport de Jacques Mézard l'a bien montré. Si le Parlement ne se saisit pas de la question, les journalistes font le travail à notre place. Cette commission d'enquête est une occasion de changer la situation.
Mme Maryvonne Blondin. - Vous vous rappelez tous la question d'actualité que Catherine Morin Desailly a posée au sujet du débauchage du directeur général de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) par Google. Le directeur du numérique éducatif au ministère de l'Éducation nationale est passé à Amazon. On appelle cela des migrations. Ce phénomène pose surtout la question de la déontologie de la fonction publique. L'enjeu concerne la transmission des données.
M. André Vallini. - Le cas le plus frappant est celui du haut fonctionnaire le plus puissant de France, Bruno Bézard, directeur du Trésor passé à un fonds d'investissement chinois.
M. Victorin Lurel. - Avec l'approbation de la commission de déontologie.
M. Vincent Delahaye, président. - Cette commission joue un rôle important. Je suis d'accord avec Victorin Lurel. Nous devons définir rapidement le périmètre de notre commission d'enquête.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Il faudra aller au plus vite et au plus gros en repérant ceux dont la fonction risque d'influencer de façon substantielle le fonctionnement de nos institutions. Le rôle des cabinets d'avocats est gigantesque. La Cour des comptes a publié un rapport à ce sujet. Les hauts fonctionnaires vont travailler un temps dans un cabinet d'avocats, reviennent à la fonction publique et en profitent pour passer des marchés avec leurs ex-collègues...
À trop embrasser, on étreindra peu. Nous devons nous concentrer sur les cas les plus problématiques, même si le champ est plus large.
M. Jérôme Bascher. - Nous aurions dû préciser l'intitulé de cette commission d'enquête en indiquant qu'il s'agissait de la « fonction publique d'État ». Devons-nous nous concentrer sur les corps d'origine ou sur les fonctions occupées ? Certaines personnes nommées à l'Agence des participations de l'État (APE) n'étaient pas fonctionnaires.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Précisons effectivement « la haute fonction publique d'État ».
M. Victorin Lurel. - Dans la mesure où le titre précise que les conséquences du phénomène concernent le fonctionnement de nos institutions, nous ne pouvons pas nous cantonner aux mutations des hauts fonctionnaires. Ou bien alors, notre commission d'enquête consistera en un simple recensement déjà effectué, notamment dans la proposition de loi de notre collègue Costes. Comment est exercé le pouvoir et quelle est la part de la haute fonction publique dans la décision ? Voilà la question que nous devons poser.
Les textes et les échelles de rémunération de la fonction publique ne sont pas respectés. La haute fonction publique a un intérêt objectif à suggérer, voire susciter, la création d'agences d'État au sein desquelles ses représentants exerceront des responsabilités. C'est un dévoiement du fonctionnement des institutions de la République. Comment un ministre peut-il dans le secret d'un cabinet prendre un arrêté concernant une rémunération qui dépasse 180 000 euros, en négociant avec la personne qui occupera le poste ? Une ministre en exercice gagnait 52 000 euros par mois lorsqu'elle exerçait ses fonctions à la RATP !
Sans chercher de bouc émissaire, cette commission d'enquête fera la lumière sur le fonctionnement de nos institutions, servi pas le corps éclairé et l'élite de la haute fonction publique. Quant à la territoriale, elle ne représente que 2 % de la haute fonction publique. À nous de fixer le périmètre.
M. Jérôme Bascher. - Un haut fonctionnaire d'État peut aller exercer des fonctions dans les collectivités territoriales, les agences régionales de santé (ARS) ou bien à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).
M. Vincent Delahaye, président. - Je partage le point de vue de Victorin Lurel. Nous serons plus efficaces en nous intéressant aux postes de la fonction publique d'État qui concentrent les pouvoirs.
M. Pierre Cuypers. - Quelle suite donne-t-on à une commission d'enquête ?
M. Vincent Delahaye, président. - Une fois le rapport rendu, en cas de grosse anomalie, le Sénat saisit le procureur de la République et divulgue les informations dans la presse, puis il exerce un contrôle en séance publique.
M. André Vallini. - Le rôle d'une commission d'enquête est surtout de faire des propositions, y compris de nature législative.
Mme Maryvonne Blondin. - Sommes-nous nombreux à avoir déjà participé à des commissions d'enquête ?
M. André Vallini. - J'avais participé à celle sur l'affaire d'Outreau, lorsque j'étais député.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Nous étions jeunes... Même si cette commission d'enquête n'a pas d'aboutissement législatif, elle aura au moins le mérite de faire prendre conscience du problème, ce qui est le plus important. Pour l'instant, on réduit le phénomène à une question morale, sans voir qu'il en va en réalité du fonctionnement de nos institutions. Et si nous aboutissons à des propositions pour améliorer la situation, ce n'en sera que mieux.
La réunion est close à 18h15.