- Jeudi 12 avril 2018
- Présentation, par MM. les rapporteurs Rémy Pointereau et Martial Bourquin, des conclusions du groupe de travail sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs
- Table ronde réunissant des auteurs de travaux parlementaires et des chercheurs, dans le cadre des travaux de la délégation sur le statut des élus locaux
Jeudi 12 avril 2018
- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président de la délégation aux collectivités territoriales, et de Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises -Présentation, par MM. les rapporteurs Rémy Pointereau et Martial Bourquin, des conclusions du groupe de travail sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs
M. Jean-Marie Bockel, président de la délégation aux collectivités territoriales. - Bienvenue à tous.
Madame la présidente, chère Élisabeth, je suis toujours très heureux que nous puissions travailler ensemble, comme nous en avons désormais l'habitude.
Je tiens tout d'abord à saluer le travail conjoint qui a été mené avec succès par les deux rapporteurs de cette proposition de loi, en réunissant différentes entités de notre assemblée. Leur démarche a su éviter les susceptibilités et les incompréhensions. Au-delà de leurs engagements politiques mutuels, les membres de la délégation aux collectivités territoriales et ceux de la délégation aux entreprises ont eu à coeur de collaborer ensemble. Pour rappel, ce travail s'inscrit dans la continuité du diagnostic effectué en 2016 par le groupe de travail sur la simplification du droit de l'urbanisme, piloté par Marc Daunis et François Calvet. Leur rapport préconisait déjà de répondre à la dévitalisation des centres-villes et des centres-bourgs.
Je précise que le président Gérard Larcher, nous a constamment soutenus dans cette démarche ; il souhaite que le Sénat porte une action résolue sur ce sujet.
J'estime par ailleurs que la méthode choisie confère une légitimité particulière à notre travail. En effet, il a été mené de manière transpartisane en associant à travers ses dix-huit membres toutes les commissions permanentes concernées. Cette démarche collective a permis d'organiser des tables rondes, des déplacements et des rencontres avec des membres de l'exécutif. Tous les acteurs du secteur ont de plus été sollicités et entendus. Ce travail au long court a également consisté en une consultation des acteurs nationaux qui a reçu plus de 4 000 réponses.
Pour en venir au fond du sujet, il paraît évident que la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs représente une priorité pour les élus locaux. En effet, 75 % d'entre eux ont mis en exergue cette difficulté. Nous sommes donc attendus sur cette question.
Le Gouvernement, de son côté, travaille sur le plan Mézard. Si ce dernier s'avère nécessaire, rien ne nous empêche de l'enrichir. En effet, ce plan dit « Action coeur de ville » n'aborde pas toutes les composantes de la question de la revitalisation. En outre, le projet de loi ELAN ne comporte qu'un seul article sur ce sujet. Ce constat montre à la fois la difficulté et la pertinence de nos travaux.
Nos deux délégations souhaitent par conséquent apporter des réponses concrètes à des situations souvent préoccupantes, voire dramatiques. Notre démarche témoigne par ailleurs du rôle que peut jouer le Sénat, en tant que défenseur des territoires, en portant un projet complémentaire de celui du gouvernement.
Ce « pacte national » que nous souhaitons construire n'oppose pas les territoires. Au contraire, il les concerne tous, qu'il s'agisse des métropoles, des périphéries ou des territoires ruraux. La PPL vise à mettre en place une batterie de mesures, des actions structurelles et des instruments juridiques adaptés. Il s'agit notamment de redonner de la marge de manoeuvre aux élus locaux. Nous souhaitons affirmer qu'il n'existe pas de fatalité pour les collectivités territoriales.
Enfin, étant donné que ce texte concerne aussi le monde de l'entreprise, je passe la parole à Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises. - Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, comme vous le savez, la réunion d'aujourd'hui marque l'aboutissement d'un long travail, qui s'est déroulé sur plusieurs mois. La désertification des centres-villes nous est apparue comme un enjeu commun à nos deux délégations. Il s'agit évidemment d'un défi pour les collectivités territoriales. Mais il ne pourra pas être relevé sans les entreprises. En effet, les flux de consommation et de production structurent largement l'organisation spatiale de nos territoires.
Il nous semblait donc important que nos deux délégations s'attèlent ensemble à ce projet, de manière à identifier des solutions afin de revitaliser les centres-bourgs et les centres-villes. Nous avons eu l'accord de nos collègues issus des commissions permanentes. Je voudrais évidemment remercier les deux rapporteurs pour ce travail approfondi, ainsi que celles et ceux qui ont participé aux travaux, notamment à l'occasion des nombreuses auditions.
Les membres de la délégation aux entreprises portent la conviction que les entreprises font vivre les territoires. Par conséquent, elles constituent un vecteur de revitalisation important. Les rapporteurs ont pris le temps d'entendre l'ensemble des acteurs de la vie économique. Ainsi, les petits commerces, les enseignes de centre-ville, les grandes enseignes, les centres commerciaux, les acteurs du e-commerce et les chambres consulaires ont tous été auditionnés. J'ai pu assister moi-même à quelques-unes de ces onze tables rondes que vous avez organisées. Ces réunions ont été complétées par des déplacements dans les territoires et des rencontres avec les ministres concernés. Vous avez également écouté de nombreux experts et des institutions nationales.
Les rapporteurs nous présentent aujourd'hui une proposition de loi qui facilitera le développement économique des entreprises, en particulier des plus petites d'entre elles, dans les centres-villes. Ce texte que nous allons découvrir comprend notamment des dispositions de nature à encourager la transmission des entreprises en centre-ville de façon à porter un coup d'arrêt à la dévitalisation de ces centres. Ces propositions convergent avec l'initiative récente de deux de nos collègues, Michel Vaspart et Claude Nougein. Ils ont en effet déposé une proposition de loi visant justement à moderniser la transmission d'entreprise. Cette PPL a d'ailleurs été cosignée par de nombreux collègues.
Densifier le tissu économique des centres-villes constitue un élément clé du pacte national que les rapporteurs nous détailleront. Je leur laisse maintenant la parole en les remerciant par avance.
M. Martial Bourquin, co-rapporteur de la proposition de loi. - Madame, monsieur les présidents, mes chers collègues, au terme de près de neuf mois de travail, nous sommes heureux, avec Rémy Pointereau et l'ensemble des collègues qui y ont participé activement, de vous présenter la proposition de loi qui devrait être examinée en juin prochain au Sénat.
Jean-Marie Bockel et Élisabeth Lamure viennent d'évoquer la méthode que nous avons adoptée. Sans y revenir plus en détail, je tiens néanmoins à souligner que ce travail a été rendu possible par l'engagement du président et de la présidente sur ce sujet et le soutien qu'ils nous ont prodigué. Ces neuf mois de travaux ont abouti à une proposition de loi qui comprend une trentaine d'articles. Durant cette période, nous avons beaucoup reçu, beaucoup appris, beaucoup écouté et beaucoup entendu. Cette démarche constitue l'essence de notre projet.
Comme vous l'avez dit en introduction, l'ensemble des territoires a exprimé des attentes extrêmement profondes à l'égard de notre travail. Des élus de toutes tendances, qui voient se dégrader leurs centres-villes et leurs centres-bourgs, se sentent démunis. Les attentes émanent non seulement des élus locaux, mais aussi des entrepreneurs que sont les artisans et les commerçants. Leurs organisations représentatives ont ainsi été auditionnées.
Ces attentes se sont d'ailleurs confirmées lorsque nous avons annoncé la date du 19 avril pour la présentation de notre PPL à la presse. Les associations d'élus, les chambres de commerce et les associations professionnelles nous ont fait part de leur volonté d'y participer. Ils manifestent une certaine impatience pour prendre connaissance des mesures structurelles que nous proposerons.
Nous sommes en passe d'initier un ensemble de mesures fortes qui démontrera à quel point le Sénat se positionne comme un défenseur des territoires et à quel point il se montre attentif aux entreprises qui créent du développement sur les territoires. Le rôle du Sénat s'avère fondamental à cet égard puisqu'il représente les collectivités locales et territoriales. Il dispose en outre d'une grande liberté qui lui permet d'avancer des propositions inédites.
Quelle est la philosophie du travail que nous vous présentons aujourd'hui ? Depuis des décennies, seules des politiques correctives ont été mises en place concernant la dévitalisation des centres-villes et des centres-bourgs. Or les mêmes problèmes reviennent et se posent avec acuité. Nous sommes convaincus que la dévitalisation est le résultat d'un ensemble de causes. Nous ne pourrons donc la faire cesser qu'à l'aide d'un ensemble cohérent de mesures extrêmement fortes. Aucune solution ne prendra la mesure du problème si elle ne s'avère pas structurelle. Cette conviction nous distingue du plan « Action coeur de ville », que nous considérons comme un premier pas louable. Mais il convient d'agir plus profondément sur un ensemble de causes structurelles afin de modifier les flux de dévitalisation.
Par ailleurs, nous n'opposons pas le centre à la périphérie. Certains collègues parmi nous ont souhaité réaffirmer l'existence de la périphérie. Nous en avons conscience. Toutefois, il s'avère indispensable de permettre à nos centres-villes et à nos centres-bourgs de se développer en profitant des opportunités actuelles, dont celles du e-commerce. Ce dernier ne doit pas seulement profiter aux GAFA, mais aussi à nos artisans et à nos commerçants. Nous proposons donc de rééquilibrer cette situation et de mettre en place des régularisations nécessaires afin d'éviter les dévitalisations.
Nous avons également voulu identifier des instruments qui se trouvent davantage entre les mains des élus. Nous pensons en effet que le centralisme qui perdure à l'heure actuelle représente un vrai problème. Les collectivités locales et territoriales, ainsi que les élus et le Parlement, doivent prendre toute leur place dans ce processus. Nous faisons confiance à l'intelligence territoriale et nous proposerons de nouveaux outils aux élus dans ce sens.
Bien entendu, le chantier s'annonce vaste et nous ne pourrons pas tout traiter. Nous avons par conséquent retenu des pistes que nous jugeons prioritaires. Nous avons opéré cette sélection de manière réaliste afin notamment de dégager des ressources au profit des collectivités locales.
Ce travail s'est déroulé main dans la main avec les commissions. Chacune d'entre elles a ainsi délégué deux de ses membres au sein du groupe. Nous avons également rencontré tous les présidents de commissions.
Je vous propose d'écouter maintenant le détail de nos propositions.
M. Rémy Pointereau, co-rapporteur de la proposition de loi. - Martial Bourquin vient de rappeler les objectifs que nous nous sommes fixés. Nous avons souhaité avec cette PPL remettre les élus locaux au coeur de l'action pour qu'ils puissent déployer des stratégies territoriales responsables de développement de leurs centres-villes. Nous nous trouvons en effet devant un enjeu de société qui doit représenter une cause nationale pour le Sénat. La principale question que nous devons nous poser est de savoir quelle ville nous désirons pour l'avenir. Souhaitons-nous des villes à l'américaine ou à l'européenne ? Nous avons défini nos actions en fonction de ce questionnement.
L'un des piliers de notre PPL a consisté à définir un périmètre du centre-ville. Nous avons ainsi créé une opération de sauvegarde économique et de redynamisation, que nous désignons par l'acronyme OSER. Elle sera accessible aux élus qui délimiteront eux-mêmes le périmètre de leur centre-ville en difficulté avec une gamme de mesures structurelles associées. Contrairement aux ORT (opérations de revitalisation de territoire) prévues dans le cadre du projet de loi ELAN, ces initiatives visent à régler la problématique du commerce de manière globale sur le territoire.
Aujourd'hui, nous savons que le e-commerce augmentera de façon exponentielle dans les années à venir. En outre, la problématique de la périphérie se pose, à travers les centres commerciaux suburbains. Les ORT excluent en réalité certains territoires. Elles concernent des villes de 15 000 ou 20 000 habitants, voire plus. Les petites villes ne pourront pas y prétendre. Pour cette raison, nous avons tenu à parler de centres-villes et de centres-bourgs. L'opération OSER sera donc ouverte à tous les territoires, indépendamment d'une liste établie au sein d'un quelconque cabinet ministériel. Nous percevons en effet les ORT comme une méthode de recentralisation. Ce dispositif concerne 220 villes désignées pour cinq ans. Or nous estimons qu'environ 600 villes se trouvent aujourd'hui en difficulté. Ces chiffres indiquent que les ORT mettront au total plus de 15 ans à revitaliser les centres-villes qui en ont besoin. En outre, les villes qui veulent démarrer de véritables opérations de revitalisation se heurtent à un problème de déficit en ingénierie. De nombreuses villes parmi les 220 qui mettront en place des ORT seront contraintes par ce déficit. Mais sans ingénierie de projet, la contractualisation avec l'État sera bloquée, comme le rappelait récemment le président de l'ADCF.
Le deuxième pilier de notre proposition consiste donc à créer une agence des centres-villes et des centres-bourgs, qui aura précisément pour mission d'aider les collectivités et intercommunalités à disposer de capacités d'ingénierie et d'assistance à maîtrise d'ouvrage. Ce guichet unique pourra d'ailleurs être en lien avec l'agence de cohésion territoriale prévue par le ministre de la Cohésion des territoires.
En parallèle, afin de renforcer le pouvoir des élus et de leur donner la possibilité d'orienter le commerce sur le long terme à travers des stratégies territoriales responsables, nous proposerons de rendre obligatoire le document d'aménagement artisanal et commercial (DAAC). Ce document sera en outre prescriptif dans les SCOT pour aider à développer des zones commerciales. Il s'agira par conséquent d'un document de base.
Nous souhaitons de plus que les périmètres OSER soient protégés de la fuite des équipements des services publics. Nous avons prévu que les autorités responsables de ces services informent en amont les élus de leurs projets de transfert. Les élus pourront d'une part s'y opposer et d'autre part récupérer les locaux de façon prioritaire par un droit de préemption.
Cependant, si nous ne révisons pas le système de régulation des implantations des grandes surfaces, notre mission risque fortement d'échouer. Les actuels CDAC accordent 90 % des implantations sans considération de l'impact sur le tissu commercial local. Aujourd'hui, le document ne comprend que l'étude d'impact environnemental. En conséquence, depuis plus d'une décennie, les surfaces commerciales croissent plus vite que la consommation, y compris dans certains territoires où la population baisse et où le pouvoir d'achat n'augmente pas. Plusieurs pays voisins se montrent plus rigoureux sur les implantations de grandes surfaces en périphérie. Il nous semble que la France a procédé avec la LME en 2008 à une surtransposition de la directive « Services » qui a détérioré notre dispositif de régulation.
Nous proposons donc un certain nombre de mesures sur ce point, comme la rénovation de la composition de la CDAC en y intégrant notamment des représentants du tissu économique local, tels que les chambres consulaires et les communes limitrophes.
Ensuite, nous souhaitons mettre en place l'obligation d'une étude d'impact économique et financier des projets, en particulier sur les emplois créés et détruits ainsi que sur les conséquences en termes de transports et de coûts induits pour la collectivité.
En outre, nous demanderons la réécriture des critères d'autorisation de telle façon que le juge administratif ne puisse plus considérer que l'autorisation est le principe tandis que le refus demeure une exception. Le demandeur devra prouver que son projet ne nuit ni au tissu commercial ni au développement économique du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et des communes de l'EPCI. Ces critères tiendront également compte de l'incitation à reprendre des friches commerciales, des locaux vacants ou à s'implanter prioritairement en centre-ville.
Notre objectif vise à procéder à l'abaissement du seuil d'autorisation des implantations à 400 mètres carrés au lieu de 1 000 mètres carrés, à l'exception des périmètres OSER. Pour rappel, la ville de Paris a déjà ramené ce seuil à 400 mètres carrés.
Enfin, nous souhaitons une refonte du dispositif de contrôle du respect des autorisations d'exploitation commerciale, qui s'avère aujourd'hui inefficace.
À l'inverse, nous voulons faciliter certaines implantations de commerces en centre-ville en les exonérant d'autorisations commerciales, tout en maintenant certaines garanties. L'exonération générale prévue dans le projet de loi ELAN conduirait à laisser les maires sans capacité d'action face à des projets qu'ils pourraient juger dangereux. Nous ne sommes pas favorables à ce type de dispositif. Nous envisageons plutôt d'exonérer de CDAC certains types de projets, tels que les magasins de producteurs, les projets implantés sur d'anciennes friches commerciales ou des projets mixtes d'habitat et de commerces.
Il convient évidemment de prévoir des financements correspondants à ces mesures. En effet, les collectivités ont besoin de moyens pérennes pour mener ces opérations. Il nous semble que la dépendance des collectivités à la manne de l'État par le biais de l'« Action coeur de ville » équivaut à une forme de recentralisation. En conséquence, nous préférons dégager des ressources durables en développant deux éléments de fiscalité écologique. Leurs ressources seront fléchées vers les collectivités signataires des conventions OSER. Le premier de ces éléments consiste en une contribution pour lutter contre l'artificialisation des terres consommées par les parkings, les surfaces commerciales et les entrepôts de stockage liés au e-commerce. Le second élément prendra la forme d'une taxe sur les livraisons des GAFA afin de combattre les externalités négatives de la multiplication des livraisons sur l'environnement. Nous avons d'ailleurs rencontré le Ministre de l'Environnement Nicolas Hulot, qui s'est montré vivement intéressé par cette proposition.
La mise en oeuvre de ces mesures structurelles exigera du temps. Or la situation est urgente. Nous sommes donc favorables à un dispositif de stabilisation des implantations commerciales. Nous proposons de donner la liberté et la responsabilité aux élus de mettre en place des moratoires locaux dans les zones en difficulté, tout en neutralisant les effets de concurrence entre les collectivités. Le préfet pourrait en outre étendre le moratoire décidé par une collectivité s'il estime que des projets d'implantation commerciale mettraient en péril des opérations de sauvegarde économiques de redynamisation.
Voilà la première salve d'articles que nous proposons.
M. Martial Bourquin, co-rapporteur de la proposition de loi. - Nos centres-villes retrouveront leur vitalité à condition que des entreprises et des résidents s'y installent. En conséquence, il convient de réduire les coûts en centre-ville. Nous savons tous qu'y investir coûte bien plus cher que dans la périphérie. Il convient donc de réfléchir à des manières de réduire la fiscalité en centre-ville.
Les défauts principaux de la fiscalité du commerce relèvent de deux ordres. En premier lieu, elle est basée sur le foncier, qui s'avère plus onéreux en centre-ville qu'en périphérie. Cette situation défavorise de plus les commerces physiques par rapport au e-commerce. En second lieu, cette fiscalité ne tient pas compte de la situation spécifique des centres-villes, qui supportent des charges de centralité. Ces dernières alourdissent ainsi les coûts des implantations en centre-ville.
Nous proposons donc d'ouvrir la possibilité de moduler la TASCOM dans les périmètres OSER, par exemple en l'augmentant en périphérie et en la diminuant en centre-ville. Les élus choisiront eux-mêmes le modèle le plus adapté à leur territoire. À nouveau, nous voulons donner des outils aux élus et non centraliser les décisions.
Dans cette même optique de réduction des coûts, nous suggérons également de mettre en place des zones franches urbaines de centre-ville. En effet, les zones franches que nous avons mises en place à l'extérieur ou en périphérie des villes ont vidé les centres-villes des professions libérales et de certains commerces. Nous souhaitons désormais inverser cette tendance. Ce dispositif se traduirait par une exonération locale puis partielle sur les bénéfices pour les entreprises de moins de vingt salariés. Nous avons fixé ce seuil de vingt salariés afin d'éviter les effets d'aubaine.
Nous préconisons par ailleurs d'augmenter l'offre de locaux adaptés à un prix abordable en centre-ville. Nous pensons notamment réduire les taux de TVA à 10 % sur les logements neufs et les réhabilitations complètes. Aujourd'hui, la vacance et la paupérisation en centre-ville atteignent les mêmes niveaux que dans certains quartiers. Nous voulons réduire le poids des normes en instituant une possibilité de dérogation aux normes les plus contraignantes et les plus coûteuses dans les périmètres en difficulté. La mise en place de ces normes occasionne en effet des coûts élevés.
Nous redynamiserons de surcroît les centres-villes en facilitant la remise sur le marché des logements situés au-dessus des commerces. A cet effet, nous remettrons en cause les baux dits « tout immeuble » qui stérilisent ces surfaces.
Il conviendra également de contribuer à la modernisation des commerces de proximité en aidant les exploitants à se former au numérique et à s'équiper en conséquence via un crédit d'impôt. En outre, nous garantirons les bailleurs commerciaux contre les risques d'impayés pour les inciter à louer leurs biens plutôt que de les laisser vides. Nous intégrerons aussi l'initiative prise par nos collègues Claude Nougein et Michel Vaspart au nom de la Délégation aux Entreprises visant à faciliter la reprise d'entreprise par de nouveaux commerçants et artisans.
Enfin, nous proposons d'instaurer un nouveau contrat qui soit plus souple que le bail commercial. Ce nouveau bail permettra à des exploitants de s'installer dans des centres fragilisés en limitant les risques.
À l'heure où Amazon vient d'établir un entrepôt gigantesque en région parisienne sans même passer en CDAC, nous prônons une égalité de traitements entre tous les types de commerces. Notre PPL souhaite à la fois rétablir la justice et renforcer les pouvoirs des élus, tout en les responsabilisant.
Concernant l'articulation de nos travaux avec le projet de loi ELAN, nous avons plaidé auprès du président du Sénat et des membres de nos groupes pour que notre PPL soit inscrite à l'ordre du jour et examinée avant le texte du gouvernement.
Le projet de loi ELAN constitue un premier pas sur la question de la revitalisation des centres-villes. Il permet de poser le problème. Nous trouvons toutefois que les mesures qu'il envisage restent trop correctives et pas suffisamment structurelles. Nous sommes aujourd'hui en passe d'aboutir à un véritable pacte national de revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs. Le plan gouvernemental s'y adjoindra. Nous pourrons nous servir de ce débat fondamental pour donner de la consistance à ce phénomène.
Le Sénat dispose donc d'un vrai projet. Il pourra ainsi peser dans les débats.
Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises. - Je remercie nos deux rapporteurs pour leur exposé et pour le travail de fond qu'ils ont fourni. Vous aurez sûrement des questions sur ce projet ambitieux et audacieux.
Mme Sonia de la Provôté. - J'ai eu l'occasion d'intervenir sur ce sujet dans le cadre de diverses tables rondes. Je souhaite tout d'abord me joindre aux félicitations de nos Présidents sur votre travail enrichissant et constructif. La PPL que vous avez présentée reprend de nombreux éléments abordés durant les tables rondes. Vous avez réussi à en réaliser une synthèse alors que les territoires consultés différaient nettement par leur taille et par leurs intérêts.
Je m'interroge au sujet des zones d'activités dans lesquelles des commerces s'installent. Nous savons qu'il est plus facile de remplir une zone d'activités avec des commerces qu'avec des entreprises. Le seuil de 400 m² n'est pas un écueil. Certains mini centres-bourgs se reconstituent ainsi dans des zones d'activités. Nous devons l'anticiper. Le commerce peut en effet jouer un rôle de cheval de Troie dans les zones d'activités et mener à une concurrence entre les périphéries très proches des centres-bourgs.
Par ailleurs, la typologie des commerces n'est pas encore reconnue dans la loi. Certains avocats ont souligné cette fragilité. Il faudrait donc se doter de cette possibilité, en prenant en compte l'évaluation de son impact dans la CDAC. Nous devons instituer un outil juridique de référence pour les élus.
La loi LCAP a en outre prévu des périmètres de sauvegarde. La question des centres-bourgs et des centres-villes patrimoniaux se posait notamment. Il nous est encore difficile de traduire une modernisation dans ce type de situation.
Enfin, la question des copropriétés reste pleine et entière. Nous devons la faire évoluer en traitant à part la législation qui leur est relative.
Mme Michelle Gréaume. - J'aimerais formuler une question. Même si je n'ai pas suivi le coeur des débats, j'estime que vous avez présenté un excellent rapport. J'ai entendu le chiffre de 222 villes retenues dans le dispositif ELAN. Pourriez-vous nous indiquer quels sont les critères choisis ?
Par ailleurs, certains centres-bourgs se dévitalisent alors que des grandes surfaces sont créées à proximité. Avez-vous tenu compte de cette situation ?
M. Antoine Lefèvre. - Je remercie à mon tour nos deux rapporteurs. La réduction des coûts en centre-ville constitue une vraie question. Le foncier est certainement l'un des éléments de réponse. Lorsque nous nous trouvons en périmètre classé ou sauvegardé, toutes les procédures s'avèrent encore plus complexes. Nous devons par exemple nous demander de quelle manière revitaliser une artère commerçante quand le bâti n'est pas adapté aux normes d'accessibilité. Ces restrictions impactent les initiatives, même quand les investisseurs sont prêts à les financer.
J'aimerais également revenir sur la proposition de réintégrer les chambres consulaires dans les CDAC notamment. Si l'intention me paraît louable, je rappelle que leurs moyens ont été coupés et qu'elles ont été régionalisées. Elles ne disposent plus de l'ingénierie nécessaire ni de la capacité de transmettre les informations venant du territoire. Cette baisse du financement des chambres consulaires a d'ailleurs laissé certains élus locaux démunis face aux velléités de la grande distribution.
En revanche, les exonérations fiscales et les zones franches urbaines me semblent offrir des pistes pragmatiques à développer, tout en évitant de déséquilibrer les territoires.
Nous devons en outre nous interroger sur ce que nos concitoyens attendent des centres-villes aujourd'hui. Nous avons évoqué les services à la personne et le service public. Les modes de consommation ont évolué. Il nous revient d'intégrer le fait que le e-commerce fasse partie du mode de vie actuel. Ce constat me rend sceptique sur certaines de vos propositions. En effet, l'acte d'achat a changé. Les habitants ne vont plus faire leurs courses. Il ne s'agit pas seulement des jeunes générations. Cette évolution inéluctable doit être prise en considération de manière à réaffecter au mieux les cellules vacantes.
M. Joël Labbé. - Je voudrais souligner pour commencer la satisfaction qui est la mienne d'avoir participé à ce travail. Je salue le travail collectif de Rémy Pointereau et Martial Bourquin, qui incarnent un duo solide, ainsi que la richesse des échanges lors des auditions.
Comment, avec une telle richesse et de telles réflexions, sommes-nous parvenus à de telles dérives ces cinquante dernières années ? La mission a réfléchi sur le fond du sujet pour concevoir des solutions. En effet, le e-commerce est entré dans la vie de chacun de façon irrémédiable. Comment lui accorder une place adéquate et le réguler ? Toutefois, le nouveau monde ne se limite pas au e-commerce. Il englobe également les magasins de producteurs. Ces derniers s'installent trop souvent en périphérie de ville pour des raisons financières. Ils devraient selon moi exister dans les centres, où les habitants font leurs courses à pied.
Concernant la fiscalité, je soutiens l'idée de se doter des moyens de mettre en oeuvre notre politique, notamment en y intégrant un élément écologique. Il s'agit d'un enjeu de futur durable qui dépasse les intérêts politiciens.
J'ignore si l'ouverture des commerces le dimanche a été abordée lors des auditions. Je souhaitais intervenir sur la question des douze dimanches, qui permettent aux commerces de périphérie de fonctionner alors que les commerces de centre-ville réalisent une grande partie de leur chiffre d'affaires ce jour-là. Il me semblerait pertinent d'inclure cette problématique dans nos réflexions.
M. Philippe Dallier. - Je voulais revenir à mon tour sur les aspects de fiscalité, et notamment sur la notion de zone franche. Pour rappel, la création de telles zones est soumise à l'autorisation de Bruxelles. Je garde en mémoire des négociations tendues lorsque nous avons voulu en augmenter le nombre dans les années 1990. Par conséquent, pourriez-vous nous préciser si de nouvelles négociations seront à envisager à l'échelon européen ?
S'agissant de la modulation de la fiscalité sur les entreprises, je me souviens que les entreprises souhaitaient supprimer la modulation de taux lorsque la taxe professionnelle a été abrogée. Or la CFE autorise à l'heure actuelle de telles modulations en fonction de l'accord entre les élus locaux. Dans ce cas, qui doit trancher ? Les différents interlocuteurs auront parfois des intérêts divergents. L'entente entre les élus s'avère donc cruciale à cet égard. Il convient que les élus parviennent à s'entendre et à raisonner collectivement.
Nous le constatons par exemple dans le Val-d'Oise, où un centre commercial rivalisera prochainement avec ceux de Seine-Saint-Denis. Une meilleure concertation entre les élus aurait permis d'éviter cette forme d'opposition et de concurrence entre les territoires.
Enfin, j'aimerais obtenir davantage de précisions sur la fiscalité nouvelle que vous envisagez et notamment sur les sommes qui pourront être dégagées. Je crains que nous ne soyons à nouveau accusés de matraquage fiscal.
Mme Martine Berthet. - Pour ma part, j'ai réellement apprécié ces réunions du groupe de travail. J'y ai appris beaucoup, notamment sur l'impact du e-commerce.
J'aimerais vous faire part de plusieurs interrogations. Tout d'abord, je me demande comment et par qui seront déterminées les zones franches dans les centres-villes. Ensuite, les consommateurs préfèrent souvent se rendre dans les grandes surfaces en raison des parkings ; nous connaissons tous l'importance des parkings dans les centres-villes et les centres-bourgs. Votre rapport aborde-t-il ce point ?
Même si des taxes sont prévues sur les parkings, j'imagine que nous pourrions envisager des exceptions pour les centres-villes et les centres-bourgs afin d'inciter les habitants à venir y consommer.
M. Jean-Marc Gabouty. - En réalité, il existe autant de situations que de communes. Nous ne devons pas oublier que la situation actuelle découle en grande partie de la responsabilité des élus. J'estime pour ma part que la tonalité générale de la PPL, en dépit de ses nombreuses qualités, reste plus défensive qu'offensive.
La première question que j'aimerais poser par rapport aux dispositifs que vous envisagez concerne leurs éventuels effets pervers. Ainsi, une CDAC de 400 mètres carrés ne revêt pas la même importance selon le type de commerces. La limite en surface doit selon moi être assortie d'une analyse sectorielle.
Quant aux communes voisines, elles sont en général nombreuses. Il convient de prêter attention aux effets pervers selon les dotations qui peuvent entraîner une forme de rivalité.
En outre, je ne suis pas partisan des zones franches. En tant que chef d'entreprise, je perçois clairement l'ouverture qu'elles permettent aux effets d'aubaine. Pour la même raison, je m'oppose à la modulation de la fiscalité. Par exemple, lorsque la distribution française s'approvisionne à l'étranger, elle réalise ses marges dans des sociétés tampons situées à l'étranger. Ce système l'aide à créer de la valeur ajoutée à un endroit qui s'avère plus intéressant d'un point de vue fiscal.
Bien entendu, cette PPL comporte de nombreux aspects positifs. Notamment, il me semble pertinent d'aider les communes à disposer d'une gestion prévisionnelle en matière de maîtrise foncière et immobilière.
En bref, le véritable enjeu consiste à insuffler une dynamique afin d'organiser une augmentation du flux de fréquentation du centre-ville. En effet, l'organisation du stationnement doit s'améliorer dans ce cadre. Il faudra en outre donner des outils au service de l'initiative des municipalités. Nous devons les accompagner dans un dynamisme plutôt que les assister dans un immobilisme.
Mme Patricia Morhet-Richaud. - Je m'associe tout d'abord aux remerciements pour l'excellent travail qui a été réalisé.
Concernant la problématique du foncier, l'Établissement public foncier (EPF) aide fréquemment les municipalités à acquérir des terrains pour la construction de logements, entre autres. Nous pourrions nous interroger sur le périmètre de ce dispositif et le faire évoluer dans le cadre de cette réflexion sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs.
M. Jean-Marie Bockel, président de la délégation aux collectivités territoriales. - J'aimerais formuler à mon tour un dernier commentaire. Je remarque que nous sommes partagés entre le sentiment que les mesures proposées peuvent comporter des effets pervers et des difficultés de mise en oeuvre et la nécessité de frapper fort afin d'enrayer un déclin irrémédiable.
Il est vrai que nous avons parfois manqué de discernement dans le passé. Pour cette raison, j'espère que cette PPL prospérera. Selon moi, vous avez eu raison d'ouvrir la totalité du panel des possibilités. Nous soutiendrons activement vos propositions.
Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises. - J'invite les deux rapporteurs à répondre à vos remarques.
M. Martial Bourquin, co-rapporteur de la proposition de loi. - Tout d'abord, sachez que nous considérons vos interventions comme des contributions.
En effet, les élus portent une part de responsabilité dans la situation actuelle. Les grandes surfaces ont permis de faire entrer des revenus et de bonifier la périphérie de nos villes. Une culture de la périphérie s'est ainsi mise en place. De plus, les centres commerciaux représentaient à une époque tant une spécialité française qu'une forme d'excellence. Ils ne disparaîtront pas de notre paysage. Toutefois, il nous semble indispensable de ne pas aggraver la dévitalisation qui est en cours.
Au niveau européen, nous pourrons nous appuyer sur un avis de la Cour de Justice européenne qui a jugé que les élus devaient défendre leurs centres-villes. Nous reconnaissons en outre que les zones franches entraînent parfois de terribles effets d'aubaine. Nous pourrons donc envisager la création de zones franches d'un autre type.
Par ailleurs, il me semble important de rappeler que nous ne recréerons pas les centres-villes d'hier. Il n'est pas évident de savoir exactement quels centres-villes nous voulons pour l'avenir. Il s'agit principalement de redéployer des commerces, mais aussi de l'artisanat, de la culture, des loisirs ou des espaces publics. Les maires pourront ainsi mettre en place des périmètres OSER grâce aux aides publiques. Cette volonté de redynamiser tout en créant les centres-villes du 21e siècle doit orienter notre fiscalité et notre politique d'urbanisme.
Sur la question du e-commerce, nous souhaitons que tous les commerçants puissent développer leur propre plateforme de vente en ligne. Les périmètres OSER et l'accès au très haut débit permettront à des managers de centres-villes d'aider les commerçants locaux à vendre leurs produits de cette manière.
Concernant les parkings en centre-ville, j'ai fait le choix dans ma municipalité d'installer de larges trottoirs et de conserver des stationnements afin de garder les 400 artisans et commerçants qui travaillent en centre-ville. Il s'agit d'un combat quotidien.
Enfin, la taxe sur les livraisons des GAFA devrait permettre de dégager 600 millions d'euros par an. Il sera donc possible de récupérer une partie de nos investissements dans les centres-bourgs.
M. Rémy Pointereau, co-rapporteur de la proposition de loi. - En effet, la perspective d'une nouvelle fiscalité engendre toujours des craintes. Il était important pour nous de proposer un projet qui soit en mesure de s'autofinancer. Je serai satisfait si les GAFA paient des taxes en France et si les grandes surfaces comprennent qu'elles doivent cesser de développer une concurrence à outrance. En parallèle, nous tenterons de soulager la pression fiscale en centre-ville. Cette démarche me semble plus simple à expliquer qu'une augmentation des impôts locaux vis-à-vis de la population.
Par ailleurs, nous souhaitons qu'une concertation avec ABF ait lieu en amont du périmètre OSER afin d'identifier les obstacles éventuels dans les centres patrimoniaux. Nous pourrions imaginer de développer des échanges ou des opérations de remembrement urbain comme il en existe en milieu rural. Nous espérons que notre texte facilitera les procédures en matière de restructuration des centres-villes, qu'il s'agisse de la propriété foncière des parkings ou des friches commerciales.
De surcroît, nous proposons de compenser le manque de moyens des chambres consulaires en leur redonnant de la fiscalité. Elles pourront ainsi offrir à nouveau de l'ingénierie. En outre, nous développerons l'animation et la formation des commerçants sur l'accueil et sur le numérique. Nous pensons en effet qu'il est possible de combiner numérique et proximité.
Les ouvertures du dimanche s'appliquent pour leur part de manière généralisée. Nous n'avons pas abordé spécifiquement cette question puisqu'un autre texte l'avait prévu. Mais il convient d'y réfléchir, tout comme sur les horaires d'ouverture des magasins en fin de journée en centre-ville. Ces éléments influent sur la compétitivité des commerces.
Un autre point de préoccupation concerne les commerces de rond-point, qui fragilisent eux aussi les commerces des centres-villes et des petits villages. Nous devons nous attacher à résoudre ces problèmes par le biais de dispositifs contraignants.
Enfin, nous favorisons en effet les EPF afin qu'ils s'associent à la prise en charge du foncier.
M. Jean-Marc Gabouty. - De nombreuses solutions de régulation commerciale existent déjà. Il convient que les élus les mettent en oeuvre.
M. Rémy Pointereau, co-rapporteur de la proposition de loi. - Les élus portent une part de responsabilité, comme nous l'avons souligné. Toutefois, les consommateurs influent également sur la situation lorsqu'ils recourent au e-commerce et à la grande distribution. Ces facteurs entraînent une perte de service public en centre-ville. Nous devons revoir les CDAC à cet effet.
M. Michel Vaspart. - À l'heure actuelle, l'installation des grandes surfaces s'intensifie.
M. Martial Bourquin, co-rapporteur de la proposition de loi. - Il importe d'analyser en amont l'impact économique de ces dernières, au-delà du seul impact environnemental.
Mme Annick Billon. - Certaines intercommunalités installent leur siège à l'extérieur des centres-villes ou des centres-bourgs et participent ainsi à leur dévitalisation. J'estime que nous devons conserver les services publics en centre-ville malgré la pression foncière, notamment sur littoral. Il nous incombe d'éviter les dérives auxquelles nous avons assisté ces dernières années, en misant par exemple sur l'artisanat, qui contribue à faire vivre les centres. Les décisions que nous prenons maintenant auront un impact crucial sur l'avenir.
M. Martial Bourquin, co-rapporteur de la proposition de loi. - En outre, nous ne devons pas sous-estimer une tendance actuelle dans les agences d'urbanisme qui travaillent sur les grandes agglomérations. Les urbanistes évoquent désormais des coeurs d'agglomération situés notamment autour des gares TGV. Nous en venons à un problème culturel. Est-il pertinent d'installer des entreprises et des services à ces endroits ?
M. Rémy Pointereau, co-rapporteur de la proposition de loi. - Il me semble qu'il faut avant tout redonner aux habitants la possibilité de vivre en centre-ville. Avant, il arrivait fréquemment que des commerçants habitent au-dessus de leur magasin. Aujourd'hui, il est rare qu'ils logent sur place. Notre programme incite justement à créer des logements différenciés. Un travail conséquent doit être réalisé dans les appartements situés au-dessus des commerces. Nous envisageons, par exemple, des diminutions de charges, pour essayer de repeupler les centres-villes.
Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises. - Pouvez-vous nous rappeler la date de dépôt de la PPL ?
M. Rémy Pointereau, co-rapporteur de la proposition de loi. - La présentation aura lieu le 19 avril à 14 heures en salle Médicis.
Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises. - Nous vous transmettrons bien entendu la PPL si vous souhaitez la cosigner. Elle sera inscrite à l'ordre du jour avant le projet de loi ELAN, à savoir courant juin.
Je remercie une dernière fois les deux rapporteurs de cette proposition de loi pour leur travail et leurs propositions. Soyez assurés de notre soutien.
N.B. : Les délégations autorisent la publication des travaux préparatoires du groupe de travail.
- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -
Table ronde réunissant des auteurs de travaux parlementaires et des chercheurs, dans le cadre des travaux de la délégation sur le statut des élus locaux
M. Jean-Marie Bockel, président. - Le Président du Sénat, dans la perspective des conférences du territoire qui se succèdent à l'initiative du Président de la République et du Premier ministre, a souhaité que nous menions un travail sur le statut de l'élu local, partant du sentiment, ressenti lors des élections municipales de 2014, qu'il existait une véritable crise des vocations. Les retours de terrain en attestent. Les raisons ne tiennent pas qu'aux conditions d'exercice du mandat d'élu local ; elles sont multiples. In fine, il en ressort un très fort sentiment d'abandon, voire de découragement des élus locaux.
Nous avons fait le choix de travailler sur la question des conditions d'exercice, qui nous a semblé préférable au vocable de « statut ». Le bureau de la délégation comprend des élus de toute sensibilité politique. Nous nous sommes partagés le travail en quatre sous-thématiques, avec à chaque fois deux rapporteurs de sensibilité politique différente. Les auditions se succèdent à un rythme élevé. Les associations d'élus locaux, qui sont fréquemment présentes, reconnaissent l'intérêt de ce travail, durant lequel nous abordons des sujets tels que la crise des vocations ou la convergence des critiques.
Pour objectiver notre travail, nous avons lancé un questionnaire long et détaillé sur Internet, en passant par les principales associations d'élus locaux, à commencer par l'AMF. Nous avons reçu 17 500 réponses sur au moins certains aspects du questionnaire, et plus de 7 000 réponses complètes. 4 500 maires ont répondu. Ces chiffres sont considérables. Les répondants proviennent de toutes les régions de France, même si la participation de l'Outre-mer reste limitée et que seuls 10 % des répondants sont en Ile-de-France. Les répondants proviennent davantage des petites communes que des grandes.
Les résultats de ce questionnaire ne font pas ressortir qu'une seule explication. Différents éléments sont évoqués, comme la compatibilité de la fonction d'élu avec la vie professionnelle ou la vie personnelle, le risque pénal, la reconnaissance, le regard des citoyens ou la question de l'après-mandat. Le questionnaire laisse entendre qu'environ la moitié des élus qui ont répondu ne compte pas se représenter. Il s'agit d'une proportion considérable.
La réunion d'aujourd'hui nous permettra d'écouter différents sachants, aussi bien parlementaires qu'universitaires.
M. Philippe Gosselin, député de la Manche. - J'ai eu l'occasion, en 2013, de me pencher sur la question du statut des élus locaux avec le député-maire d'Argenteuil, qui est une ville de plus de 100 000 habitants. Pour ma part, j'étais maire d'une petite commune de 700 habitants. Nous avions pu croiser nos regards.
Le renouvellement de 2014 a fait apparaître des difficultés de recrutement, surtout dans les villes rurales, mais pas tellement dans les villes importantes, où la compétition politique est très marquée.
Aujourd'hui, nous partageons tous le constat d'une lassitude des élus, qui s'explique par différentes raisons, par exemple le poids des responsabilités ou la complexification des relations avec les administrés et les administrations. S'ajoute à cela, pour certains, une forme de désintérêt ou d'éloignement par rapport aux intercommunalités, qui prennent de plus en plus de place dans la vie des élus.
J'ai été élu conseiller municipal en 1989, puis maire en 1995. Entre 1995 et ces dernières années, j'ai noté une nette progression du temps que je consacre à des réunions de commissions ou de sous-commissions de l'intercommunalité. Le couple communes-intercommunalités est désormais inséparable. Il explique sans doute pour une part la désaffection de certains élus.
Je suis favorable à un véritable statut de l'élu. L'idée n'est pas de fonctionnariser les élus locaux. Pour autant, nous aurions tort de penser que le statut de l'élu local résoudra toutes les questions. Il doit s'agir d'une réponse à un certain nombre de questionnements sur le plan matériel (organisation, indemnisation) à l'entrée, mais également à la sortie du mandat. Il convient de réfléchir à la manière de permettre à un élu qui sort du dispositif de procéder à une validation des acquis de l'expérience.
M. Éric Kerrouche. - En tant qu'universitaire, j'ai mené plusieurs enquêtes sur les élus locaux européens (conseillers municipaux, maires, conseillers départementaux). Elles ont notamment porté sur la question du statut. Ces enquêtes ont été complétées d'un travail collaboratif, mené avec Élodie Lavignotte il y a quelques années, sur les élus locaux en Europe. A présent, nous préparons un nouvel ouvrage qui portera sur la professionnalisation des élus locaux. Parallèlement, mes anciennes fonctions d'adjoint au maire, de président d'intercommunalité et de conseiller régional me permettent d'avoir une vision duale sur ces sujets.
Nous sommes entrés dans une perspective particulière pour ce qui concerne l'ensemble de la population des élus. Tout le monde n'a pas vocation à être élu local. Il existe des critères locaux, formels et informels, de présélection. Ils tiennent notamment à la notoriété d'une personne, à son implantation locale et à sa place au sein d'une collectivité. Tout le monde n'a pas la même chance d'être repéré. Il apparaît de manière très nette que la sélection a des conséquences sur la population des élus locaux. Tout le monde n'a pas la même possibilité, ni la même chance d'être élu. Certaines qualités professionnelles ou personnelles sont plus propices à la reconnaissance. La sociologie des élus locaux en France est particulière, comme l'est la sociologie des élus dans toutes les démocraties représentatives.
Ce constat sous-entend que si des mesures juridiques sont prises, elles devront également être correctives : aujourd'hui, une partie de la population n'est pas en situation d'être élue. Les élus locaux sont généralement surqualifiés. Ils appartiennent davantage au secteur public qu'au secteur privé. Certaines professions sont surreprésentées. Il en résulte que des pans de la population sont oubliés (personnes issues de la diversité, jeunes, ouvriers). Cette distribution tout à fait particulière mériterait probablement des correctifs importants.
Au-delà de ces caractéristiques générales, la tendance à la dualisation des fonctions politiques est de plus en plus forte dans l'ensemble des démocraties occidentales, dont la nôtre. La séparation est de plus en plus prégnante entre les exécutifs et le reste. Les conseillers municipaux, singulièrement dans le cadre de l'intercommunalité, n'ont plus du tout le même rôle que par le passé ; ils ne sont pas forcément dans une logique de professionnalisation. En revanche, le poids des exécutifs locaux (adjoint, vice-président, maire, président d'intercommunalité) est de plus en plus important. Ces personnes ont une propension plus grande à entrer dans une logique de professionnalisation, entendue comme le fait d'avoir une activité élective qui devient concurrentielle d'une profession, voire qui se substitue à elle.
La spirale d'absorption vers la professionnalisation est également de plus en plus importante en raison de la technicisation des mandats. Au-delà d'un métier et d'un comportement général, être dans un exécutif impose une technicisation importante et un apprentissage substantiel. L'implication dans le mandat est de plus en plus forte. Tout ceci explique que nous nous inscrivions dans une logique de substitution à la profession. C'est cette difficulté qu'il convient de traiter.
Il existe deux façons de le faire : soit nous poursuivons la logique actuelle d'amateurisme républicain, soit la fonction d'élu est considérée comme une profession le temps de l'exercice du mandat. Certains pays (Allemagne, Espagne, Pays-Bas) ont franchi le pas. Autant certaines personnes peuvent concilier leur mandat et leur profession pendant un temps donné, autant c'est impossible pour d'autres, d'où les logiques supplétives. Le cumul des mandats était une logique supplétive, étant entendu que le cumul horizontal reste permis, ce qui pose certaines difficultés. Si nous souhaitons sortir de ces logiques supplétives, alors il convient de prendre des mesures particulières. C'est précisément l'objet de notre discussion.
M. Jean-Pierre Sueur. - J'ai été secrétaire d'État aux collectivités locales pendant deux ans et demi. J'y ai préparé la première loi, du 3 février 1992, sur le statut de l'élu. Cette loi est parue quelques jours avant la loi sur l'administration territoriale de la République qui a été créé les intercommunalités. La loi de février 1992 a codifié les indemnités ; elle a également instauré des congés et une retraite (par capitalisation plutôt que par répartition) pour les élus. Nous avions aussi instauré un droit à la formation pour les élus locaux. Ces quatre acquis avaient été bien perçus par les intéressés. Depuis 25 ans, j'entends toujours dire que nous avons besoin d'un vrai statut de l'élu local. Pourtant, la compilation de tout ce qui a été adopté entre 1992 et 2018 constitue déjà un corpus très important. Il est évidemment possible d'améliorer les choses, mais l'on ne peut pas dire qu'il n'existe pas, aujourd'hui, de statut de l'élu.
Lorsque Jean-Pierre Bel était président du Sénat, nous avions organisé des assises de la démocratie locale, avec des réunions dans les 101 départements et une grande réunion à Paris. Tout le monde se demandait si cette grand-messe servirait à quelque chose. Jean-Pierre Bel a chargé deux personnes, dont je faisais partie, de formuler deux propositions de loi. C'est ce que nous avons fait.
La première loi a porté sur les normes applicables aux collectivités locales. Les normes sont un sujet important pour les élus. Je crois donc que nous avons été utiles en créant un conseil censé donne un avis sur l'ensemble des projets de loi, de décret, d'arrêté et de circulaire qui ont un impact sur les normes applicables aux collectivités locales. Par exemple, lorsque la fédération française de basket décide de changer la taille des panneaux d'affichage du résultat, elle instaure une dépense obligatoire pour plusieurs centaines de communes. Ce conseil national fonctionne bien, même s'il est toujours convoqué très tard par le gouvernement. Nous avions également préparé une loi organique, qui n'est pas arrivée à son terme, afin que l'avis de ce conseil soit annexé aux projets de loi, de la même manière que le sont les études d'impact.
Par ailleurs, nous nous sommes rendus coupables d'un texte de loi s'intitulant « proposition de loi visant à faciliter l'exercice par les élus locaux de leur mandat ». Initialement, ce texte comportait 7 articles. À l'issue de la navette, il en comportait 19, preuve que le sujet a beaucoup intéressé les parlementaires. Ces 19 articles ont ajouté beaucoup d'éléments en termes d'indemnités, d'autorisation d'absence, de congés ou de droits sociaux.
Au final, on ne peut vraiment pas dire que le corpus n'est pas assez imposant, même s'il faut sans doute l'améliorer.
Dans les petites communes, les élus avaient souvent des scrupules à se voter l'indemnité à laquelle ils ont pourtant droit. Les finances de leurs communes sont tellement étroites qu'ils préféraient ne pas en parler. L'association des maires de France nous a donc expliqué qu'il serait plus simple pour les élus que le vote de cette indemnité devienne une obligation légale. Nous avons alors inscrit dans la loi que le vote de la perception par le maire de l'indemnité maximale à laquelle il a droit, qui n'est vraiment pas énorme, surtout au regard du nombre d'heures de travail, serait obligatoire dans les communes de moins de 3 500 habitants. Dès le lendemain, l'association des maires de France s'est félicitée de cette loi au travers d'un communiqué. En revanche, dans les semaines et les mois qui ont suivi, des maires ont déploré cette injonction, estimant qu'elle les obligeait à procéder à des dépenses inutiles dont ils ne voulaient pas et qui seraient mal vues. L'association des maires de France s'est alors retournée vers nous pour nous demander davantage de souplesse. Le parlement a donc voté une nouvelle loi visant à rendre le dispositif facultatif.
Cet exemple montre que le chemin sera long et escarpé. Nous avons fait pas mal de choses. Le travail n'est évidemment pas terminé, mais il ne faut pas méconnaître ce qui a déjà été fait. Par exemple, l'article 2 de la loi visant à faciliter l'exercice par les élus locaux de leurs mandats contient une charte des élus locaux.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci de ce rappel. En tant que sénatrices et sénateurs chevronnés en prise avec la réalité locale, nous restons humbles et modestes. Le moment venu, nous serons extrêmement pragmatiques dans nos propositions. Nous partirons évidemment de l'existant.
M. Philippe Gosselin, député de la Manche. - Nous pourrions commencer par regrouper dans le code général des collectivités territoriales tous les textes qui concernent les élus locaux. Cette agrégation nous permettrait de constater que nous ne partons vraiment pas de rien, même s'il y a des manques à combler. Il faut distinguer trois périodes : l'entrée dans le mandat, qui pose la question de l'égalité hommes-femmes et de l'accès de toutes les CSP, l'exercice du mandat et la sortie du mandat (VAE, indemnités de retour à l'emploi, bilan de compétences).
M. Jean-Marie Bockel, président. - C'est bien dans cet esprit et avec ce découpage que nous travaillons actuellement. Je me tourne maintenant vers les chercheurs qui nous font l'honneur de leur présence aujourd'hui. Nous vous écoutons.
Mme Élodie Lavignotte, chercheuse associée au CERA. - Je concentrerai mon propos sur la construction juridique et l'encadrement de la notion de statut de l'élu local, même si je conviens que nous pourrions plus avantageusement parler des conditions d'exercice des élus. L'encadrement juridique du statut d'élu local concerne à la fois l'entrée dans le mandat, l'exercice et la fin de mandat. Tous les textes qui sont parus depuis 1992 et la décentralisation conduisent à une professionnalisation de fait de la fonction d'élu local. Toutefois, pour des raisons qui sont à la fois historiques et sociologiques, cette professionnalisation n'est pas totalement assumée par ceux qui font les lois. En effet, l'exercice d'un mandat n'est ni métier, ni une profession. Le principe de gratuité demeure le fondement de la légitimité et de l'identité de l'élu local. Dès lors, la rémunération ne peut être conçue qu'en tant que mécanisme de compensation d'une perte. Tel est en tout cas ce qui ressort des discours.
Dans le même temps, la codification successive juridique vient consacrer l'idée d'une professionnalisation et d'un encadrement de plus en plus fort de l'exercice des mandats locaux, y compris dans l'optique d'une harmonisation avec le statut de parlementaire. En termes de recherche, cette construction juridique est intéressante Les débats sont un moment privilégié et un révélateur de la manière dont les élus parlent d'eux-mêmes.
Le débat sur la crise des vocations est récurrent chaque fois qu'il est question de codification juridique. En 2000, il était déjà question de crise des vocations. Pourtant, au final, 95 % des élus locaux s'étaient représentés. Il sera intéressant de voir ce qu'il en sera l'année prochaine.
Au-delà, ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est l'identité de l'élu, qu'il soit local ou non. Le sujet touche à la question de la reconnaissance et de la place de l'élu dans la société. L'élu s'affirme toujours comme un généraliste de l'action publique, mais dans le même temps, il est obligé de se techniciser et de monter en compétences, ce qui n'est pas nécessairement bien perçu par les citoyens. Dès lors, les élus se retrouvent parfois en situation de tension schizophrénique entre la réalité de l'exercice de leur mandat et la manière dont ils doivent affirmer leur identité vis-à-vis de l'extérieur. La crise des vocations traduit l'émergence de ce qui se joue au travers de la notion d'identité, voire d'identité professionnelle. Les élus qui exercent leur mandat à plein temps sont des professionnels de la politique. Certains pays l'assument, d'autres pas. Ainsi, le droit à rémunération, pourtant consacré par la charte européenne de l'autonomie locale, fait encore l'objet de réserves en France, ce qui n'est pas le cas en Allemagne ou en Espagne.
Chez nous, nombreux sont ceux qui considèrent par principe que les élus ne peuvent pas être des fonctionnaires. Et pourquoi pas ? En quoi serait-ce tabou au regard de la technicisation croissante et de la montée en compétences des élus sur leurs dossiers ? Ce n'est pas une question de niveau d'exercice du mandat. Ainsi, le maire d'une petite commune rurale est contraint de monter en compétences quasiment au même niveau que le maire d'une grande ville car il ne dispose ni des mêmes moyens, ni du même staff.
D'ailleurs, la crise des vocations touche particulièrement les maires, dont l'investissement en temps n'est pas reconnu à sa juste valeur. Il s'agit du coût caché de la démocratie, mais il n'est pas assumé comme tel. L'interrogation est légitime, mais elle est difficile à faire passer dans les représentations collectives de la démocratie. La professionnalisation est inéluctable. A ce jour, elle n'est pas totalement assumée. Le fait que nous soyons contraints d'interroger la notion de statut et sa pertinence est très révélateur de notre hésitation à construire une nouvelle identité professionnelle pour les élus. En la matière, il ne s'était quasiment rien passé entre 1982 et 1992. L'activité de codification a ensuite été très intense jusqu'en 1999. C'est de nouveau le cas actuellement. Le traitement du sujet n'est donc pas linéaire. En revanche, la rémunération a toujours été au coeur des dispositifs qui ont été mis en place pour encadrer le statut de l'élu local.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci pour ce propos extrêmement intéressant.
M. Patrick Le Lidec, chargé de recherche au CNRS et à Sciences Po. - Beaucoup de choses ont déjà été dites. Je me permettrai d'enfoncer le clou sur la tension qui existe entre la conception ancienne de l'exercice des mandats locaux, au coeur de laquelle est inscrit le principe de gratuité, et le refus du statut de quasi fonctionnaire. Cette dimension me semble tout à fait centrale. Tous les éléments qui ont été rappelés à propos de la loi du 3 février 1992 montrent bien que le processus de professionnalisation et l'adoption de dispositions statutaires couvrent toutes les dimensions d'un exercice professionnel de la fonction d'élu. Dans le même temps, nous restons au coeur de la professionnalisation déniée. De ce point de vue, il est nécessaire de sortir de l'ambiguïté de la loi de 1992, qui portait sur les conditions d'exercice des mandats locaux, et non sur le statut de l'élu. A l'époque, le ministre de l'Intérieur avait bien précisé qu'il n'était pas question de professionnaliser les élus locaux, et encore moins de les fonctionnariser.
La réalité actuelle est bien que l'exercice de la fonction d'élu s'est très fortement professionnalisé. Il faut donc accepter ce mouvement, malgré le contexte de crise économique, qui a abouti à désacraliser la fonction d'élu dans de nombreux pays européens.
Le développement de l'intercommunalité a été un moyen de professionnaliser les élus, alors que le statut antérieur était très « bricolé ». Les rémunérations des élus ont augmenté de manière très importante. Les lois de 2010 et 2014, qui ont complètement refondu la carte intercommunale, réduit très fortement le nombre de vice-présidences et imposé aux élus municipaux des partenaires qu'ils n'avaient pas choisis, pèsent très fortement sur le contexte dans lequel le débat est posé. Pour autant, même si en arrière-fond les discours désignent assez volontiers les élus à la vindicte populaire dans l'ensemble des pays occidentaux, il faut accepter d'en finir avec une conception anciennement notabiliaire. Cela suppose de revisiter le sujet des rémunérations, à la fois sous l'angle d'un plancher et d'un plafond. Dans un certain nombre de domaines, le cumul des mandats et les structures intercommunales se sont développées. Les parlementaires ou les préfets qui se retrouvent en situation de devoir refondre la carte des syndicats intercommunaux nous expliquent souvent que la question indemnitaire se trouve en arrière-plan des discussions.
Je crois qu'il est temps d'assumer pleinement une approche « à l'allemande » qui consiste à dire que la démocratie a un prix, sauf à considérer que seuls les plus riches sont en capacité d'exercer des mandats d'élus. Si ce n'est plus notre conception, alors nous devons aller vers la normalisation et sortir du bricolage républicain construit sous la IIIe République, confortée sous la IVe et amplifiée sous la Ve, et qui a consisté à multiplier un certain nombre de mandats et de fonctions, permettant de créer des statuts et des rémunérations de fait, mais très inégalitaires car déconnectant totalement le temps de travail de la rémunération. Certaines fonctions extrêmement chronophages sont peu rémunérées, quand d'autres fonctions sont bien payées pour très peu d'activité. Arrêtons cet entre-deux. Le monde a changé. Acceptons d'en tirer les conséquences pour ce qui concerne le statut des élus.
M. Philippe Gosselin, député de la Manche. - Je souscris totalement à votre propos. Nous ne sommes pas sortis de cette ambiguïté. Nous sommes toujours dans l'imaginaire républicain de 1789 et du conseil national de la résistance. Aujourd'hui, la notion de bénévolat a disparu. Nous nous trouvons à la croisée des chemins. La difficulté consistera à réussir ce passage sans laisser penser qu'une caste pourrait s'auto-protéger et s'auto-constituer un statut. D'ailleurs, le terme de statut est à bannir.
M. Rémy Le Saout, maître de conférences à l'Université de Nantes. - Il y aurait énormément à dire, mais beaucoup d'éléments ont déjà été apportés. Je serai donc très court. Je me contenterai de vous présenter ce que nous faisons.
Je suis responsable du programme de recherche « les élus et l'argent », qui bénéficie d'un financement de l'ANR. Ce programme mobilise 15 chercheurs français et 35 collègues européens. Il porte sur le sujet des rémunérations. Notre hypothèse centrale consiste à mettre en évidence l'hétérogénéité et l'inégalité des rémunérations associées aux mandats politiques, quel que soit le type de mandat. En France, seuls 10 % des élus (soit de 25 000 à 30 000 mandats) vivent de la politique. Il s'agit donc d'une exception.
La recherche a deux grands volets. Un premier volet travaille sur la production des réformes, avec une approche socio-historique en France, du début du XIXe siècle jusqu'à maintenant. L'entrée n'est pas juridique, mais sociologique. Le second volet porte sur la manière dont certains élus en viennent à vivre de leurs fonctions. Cela concerne principalement des positionnements intermédiaires (conseillers régionaux, maires, etc.). Dans ce cadre, nous nous intéressons à l'usage politique qui est fait de l'argent, entre discrédit ou arme de disqualification de l'adversaire.
Notre recherche est encore à l'état de chantier. Nous ne pouvons pas encore vous présenter de résultats. Nous nous apprêtons à adresser un questionnaire à un échantillon de parlementaires et d'élus locaux. Nous avons déjà réalisé beaucoup de recherche qualitative. Nous avons pu constater que les élus se préoccupaient davantage de la sortie que de l'entrée dans le mandat, ce qui en pousse certains à s'enfermer dans leur mandat. Par ailleurs, de nombreux élus ont le sentiment d'une inégalité flagrante entre les indemnités (de maire d'un côté, de conseillers régionaux ou départementaux d'un autre). Enfin, nous avons aussi relevé le très faible accompagnement des élus à leur sortie de mandat. Cette sortie n'est ni préparée, ni accompagnée.
Nous aurons davantage de données à vous présenter d'ici deux années. Il est donc très important que cette collaboration puisse se poursuivre. Elle est très importante pour nous.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Elle l'est également pour nous. Il nous est très précieux d'avoir face à nous des chercheurs qui ont le recul nécessaire.
M. Didier Demazière, chercheur au CNRS. - Par le passé, j'ai participé à une enquête sur le travail d'élu, ses conditions d'exercice, sa reconnaissance et sa rétribution. L'enquête à laquelle je participe en ce moment porte davantage sur les parcours des élus. La rémunération n'a pas de sens en tant que telle. Elle s'inscrit dans le cadre d'un parcours de vie professionnel. Dans certains cas, l'exercice d'un mandat peut se faire en parallèle d'une activité professionnelle. Dans d'autres cas, les élus exercent leur mandat à temps complet. La question des circulations entre ces différentes situations se pose. La question de l'entrée dans le mandat est moins brûlante, pour les élus, que la question de la sortie, qui se pose fortement.
Ces derniers mois, nous avons entendu un certain nombre de personnalités politiques nationales annoncer leur retrait de la vie politique. Ces personnalités ont retrouvé une position professionnelle non-politique assez facilement car elles avaient accumulé, durant leur carrière, des ressources extrêmement variées qui ont facilité leur reconversion. La question de la sortie est beaucoup plus prégnante pour les élus locaux ou les parlementaires, qui se retrouvent souvent seuls au moment de préparer leur sortie, d'identifier les compétences qu'ils ont accumulées et les lieux dans lesquels ils pourraient les faire valoir. Il s'agit de passer d'un monde à un autre. Cela se fait avec plus ou moins de réussite car la sortie est très peu organisée. Les élus se débrouillent seuls. Ce constat nous conduit à repenser différemment la question de la professionnalisation.
La professionnalisation, ce n'est pas seulement vivre de son mandat. Il s'agit d'abord d'être rémunéré pour exercer une activité. Dès lors, penser la rémunération des élus suppose d'expliciter leur travail. Or les mandats, donc les activités des élus, sont très hétérogènes. Le travail d'un élu n'est pas une réalité homogène. Aujourd'hui, le rapport entre ce travail et la rémunération est très opaque. Par ailleurs, la professionnalisation ne vise pas à faire des élus des professionnels de la politique pendant toute leur vie. Il s'agit de construire des conditions d'exercice pour une période donnée.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Cette précision est très importante.
M. Didier Demazière, chercheur au CNRS. - En ma qualité de sociologue du travail, j'ai mené des recherches dans beaucoup d'autres milieux professionnels. J'ai pu constater que même les personnes qui se considèrent comme des experts souhaitent parfois changer de métier. Il s'agit même d'une tendance très forte dans nos sociétés contemporaines. Professionnaliser, c'est être professionnel au moment de l'exercice d'une activité, mais cela ne signifie pas que la personne exercera cette activité toute sa vie.
Il faut donc tout à la fois penser les conditions de circulation entre les positions d'élus professionnalisés, reconnus et rémunérés pour effectuer leur travail et accompagner les phénomènes de circulation, de reconversion et d'entrée-sortie, qui sont de plus en plus importants et sont une version plus positive de la crise des vocations ou du malaise des élus.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous remercie de vos exposés. La parole est maintenant aux sénateurs.
M. François Bonhomme. - L'analyse des représentations que se font les élus de leur fonction est très intéressante. Un transfert s'est opéré, sur fond de technicisation, avec une tension dans la manière dont les élus considèrent leur fonction. La professionnalisation est évidente. Elle est liée au poids des responsabilités et au temps passé. Toutefois, elle est difficile à reconnaître car ce terme de « professionnalisation » renvoie au terme de « fonctionnarisation », qui recouvre l'idée que l'élu l'est à vie, ce qui est évidemment contradictoire avec le principe du suffrage universel. Peut-être serait-il préférable de parler de « technicisation », qui renvoie à l'idée de connaissance et d'expérience.
J'aimerais également revenir sur le coût caché de la démocratie. Il est très difficile d'expliquer aux administrés ce qu'est la fonction d'élu, surtout lorsque celle-ci s'éloigne de leur quotidien. Les administrés comprennent la fonction d'élu local ou municipal. En revanche, les fonctions territoriales ou départementales sont plus compliquées à expliquer. La proximité territoriale est donc un élément de pédagogie dans l'acceptation des élus et des fonctions qu'ils exercent.
Mme Michelle Gréaume. - Je reviendrai sur quelques informations que j'ai trouvées très importantes, notamment le manque de jeunes, de femmes et de salariés parmi les élus, même si l'obligation de parité a permis d'accroître la part des femmes. Il existe des textes sur le statut de l'élu. Certes, ils ont sans doute besoin de modifications, mais c'est également le cas du Code du Travail. S'il n'y a pas suffisamment d'élus ouvriers, c'est aussi parce qu'ils ne peuvent pas s'absenter de leur travail.
Par ailleurs, 35 000 communes ont moins de 10 000 habitants. Les cumuls peuvent être très nombreux dans les petites ou moyennes communes. Par exemple, un maire peut également être président de CCS, vice-président d'agglomération et vice-président de syndicat. Or il n'a pas suffisamment de personnel pour l'aider.
Il existe également une disparité importante en ce qui concerne l'indemnité de fin de mandat, qui n'est donnée qu'aux élus des collectivités de plus de 100 000 habitants. Le maire d'une commune moyenne ne la perçoit pas, alors même qu'il n'est pas certain de retrouver son emploi précédent. Les conseillers municipaux, qui font parfois beaucoup de bénévolat, ne perçoivent aucune indemnité dans les petites et moyennes communes. En revanche, une indemnité est versée au département et à la région.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Je voudrais d'abord remercier madame et messieurs les chercheurs pour avoir su mettre les mots et conceptualiser ce que nous savons et ressentons au travers de nos mandats. Évoquer l'entrée dans le mandat, l'exercice du mandat et la sortie du mandat est une bonne manière d'approcher le sujet. Je n'ai pas de question, mais je souhaite réagir à certains propos.
En tant que sénateurs, nous avons la chance d'être très protégés de la pression populaire. Nous ne devons des comptes qu'aux grands électeurs. Dès lors, nous pourrions avoir le courage de bousculer l'imaginaire collectif auquel il a souvent été fait référence, et qui est extrêmement prégnant dans la conception que nous avons de la démocratie. Il n'est pas forcément normal que des fonctions qui ne sont pas des mandats, par exemple la présidence de syndicat, soient bien rémunérées, alors même qu'elles sont beaucoup moins chronophages que certains mandats qui, eux, sont peu rémunérés.
Il a également été fait référence à certains élus nationaux qui, grâce aux ressources qu'ils avaient acquises, se sont très facilement réinsérés dans la société civile. Ils ont surtout utilisé leur carnet d'adresses, ce qu'un élu local n'est pas en mesure de faire.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Sans compter qu'il existe des freins en termes de trafic d'influence.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Vous avez raison. Au-delà, il est plus difficile de valoriser l'exercice d'un mandat local que l'exercice d'une fonction ministérielle. Il est beaucoup plus facile de sortir d'un mandat national que d'un mandat local.
M. Pascal Savoldelli. - Je suis totalement opposé à la technicisation. Nous n'avons pas besoin de compétences pour défendre l'intérêt général. Heureusement que des millions de femmes et d'hommes qui n'étaient pas des techniciens de la fonction publique territoriale ont exercé jusqu'à de très hautes responsabilités.
Je serais très curieux de connaître les grandes tendances d'évolution sociologique que vous avez observées par échelon ces dix dernières années.
Sur la question de l'identité et de la reconnaissance, nous n'avons pas forcément intérêt à partir d'un état des lieux réalisé auprès des seuls élus actuels. Plus largement, nous devrions interroger les citoyens. Cela nous permettra d'élargir le débat aux freins à la démocratisation de l'accès à une responsabilité publique.
L'exercice d'un mandat d'élu ne devrait-il pas être reconnu par la sphère économique à l'entrée, pendant le mandat et en sortie de mandat ? Il serait intéressant de discuter de la parité et des jeunes en amont, directement avec les intéressés. La parité est une excellente mesure, mais nous avons une véritable difficulté à la mettre en oeuvre. La question de la reconnaissance d'un mandat par la sphère économique, au-delà de la seule sphère publique, me semble devoir être posée.
Mme Josiane Costes. - Toutes les composantes de la société française ne sont pas représentées dans les fonctions d'élus. Il s'agit d'un véritable souci. Je pense notamment aux jeunes, aux femmes et aux milieux les plus fragiles, qui hésitent à s'engager. Il s'agit d'un point de fragilité de notre démocratie.
Faut-il parler de professionnalisation ou de technicisation ? Certes, le terme de technicisation renferme en lui l'éloignement des élus de leurs mandants. Néanmoins, il me semble préférable à la professionnalisation, qui implique un engagement plus long et durable. Or il faut que les mandats soient renouvelés de manière régulière.
Je suis sénatrice du Cantal. De nombreux maires âgés de petites communes ne se représenteront pas en 2020. Il s'agit d'une certitude, qui créera des problèmes très graves. Le maire d'une petite commune doit tout assumer. Il a de très lourdes responsabilités. Les jeunes ne peuvent pas s'engager car les indemnités sont très faibles au regard de la charge de travail. Nous devons trouver un autre mode de fonctionnement. La démocratie sera mise à mal dans nos campagnes et nos milieux ruraux.
Il existe des disparités importantes entre les indemnités d'un conseiller départemental et celles d'un maire de petite commune. Je suis conseillère départementale, et j'estime que les indemnités que je perçois sont très excessives par rapport à celles d'un maire de commune rurale, qui est corvéable à merci tous les jours de l'année. Ce sujet devra être revu.
M. Charles Guené. - Je me félicite de la convergence entre ce que disent les élus et ce que disent les universitaires et les chercheurs. C'est assez rare. J'ai également beaucoup apprécié l'expression d'amateurisme républicain, que je trouve très révélatrice.
Nous avons peut-être tort de vouloir isoler l'élu local de l'élu national, alors que des éléments nous rassemblent. Ainsi, la limitation dans le temps des mandats et le non-cumul s'appliquent à tout le monde.
L'absence de professionnalisation de la politique profite à une certaine technocratie, qui dirige la France.
La sortie de mandat est le point le plus délicat. Le système que nous mettons en place nous entraîne vers un vieillissement de la vie politique car l'entrée en fonction se fera de plus en plus tard, sauf à entrer dans la fonction par défaut.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Il s'agit d'un vrai sujet. La question de la qualité des personnes qui accèderont aux responsabilités locales pourra se poser. Dans l'ensemble, les élus actuels sont d'assez bonne qualité.
M. Charles Guené. - Enfin, nous n'avons que très peu évoqué la question de l'acceptabilité de la professionnalisation par l'opinion. La réticence de l'opinion tient au fait qu'elle considère la politique comme une planque. Elle estime que les élus sont trop rémunérés pour le travail qu'ils réalisent. C'est pourtant loin d'être le cas, mais nous n'expliquons pas suffisamment que la démocratie a un coût. Le Sénat coûte 5 euros par citoyen, l'Assemblée Nationale 7 et les ordures ménagères 100.
M. Michel Dagbert. - Cette table ronde est très intéressante. Nous avons pu voir que nous ne partons pas de rien, même si le moment auquel la question se pose est bien choisi. Nous sommes à la veille du renouvellement municipal de 2020, et nous sentons poindre dans l'opinion, notamment chez certains élus, une forme de ras-le-bol liée à l'inflation de textes et à la judiciarisation. De plus, l'appréciation du rôle d'élu s'est fortement dépréciée au fil des années.
Dans l'ensemble des mandats qui sont accessibles, les catégories socioprofessionnelles sont bien souvent les mêmes. La part des personnes issues du privé est plutôt inférieure à celle des personnes issues du public. Le premier frein, pour une personne qui a la force de l'engagement pour embrasser une responsabilité politique, ne tient pas forcément à l'argent, mais surtout au temps. Il faut consacrer du temps à ses mandats. De ce point de vue, nous ne sommes pas à armes égales. Une personne qui travaille dans le privé a plus de difficultés à se libérer.
Il nous faut sécuriser plutôt que professionnaliser. Je suis très circonspect face à cette notion de professionnalisation.
L'arrivée en nombre de femmes en politique peut faire changer le regard qu'a la société sur l'exercice d'un mandat électif. Les conjoints se rendent compte de ce qu'est l'engagement.
Je suis une sorte d'ovni car rien ne me prédestinait à devenir membre d'une assemblée nationale comme le Sénat. J'étais salarié dans le privé, je faisais les 3x8. Je suis devenu conseiller municipal en 1983, puis adjoint au maire en 1989, maire et conseiller général en 2002, vice-président de département en 2008, président de 2014 à 2017, puis sénateur. J'ai pu m'appuyer sur une épouse conciliante.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Chacun d'entre nous pourrait livrer un témoignage. Je suis élu à plein temps depuis bientôt 37 ans. J'ai vu les regards changer.
Avant que nous ne nous séparions, j'invite les chercheurs à réagir à toutes ces interventions.
M. Rémy Le Saout, maître de conférences à l'Université de Nantes. - Il faudrait que nous puissions nous rencontrer dans un autre cadre afin de discuter beaucoup plus largement et profondément. Nous avons beaucoup de choses à nous dire.
Le principe de technicisation est souvent évoqué, y compris par les élus. Pour autant, lorsque nous nous intéressons aux modalités de sortie des élus, ces derniers nous disent qu'ils n'ont pas grand-chose à vendre car ils sont des « généralistes de tout ». Cela concerne surtout les responsables d'exécutifs.
M. Didier Demazière, chercheur au CNRS. - Il est sans doute nécessaire de repenser à la fois les contraintes (personnelles, professionnelles, temporelles) de l'activité d'élu et ses apports. Il s'agit même d'une condition pour repenser les conditions d'exercice.
Par ailleurs, la question des mots (technicisation, professionnalisation, sécurisation) a une grande importance. Le prestige de toute profession fluctue au cours du temps. La fonction d'élu se trouve aujourd'hui dans le creux de la vague.
M. Patrick Le Lidec, chargé de recherche au CNRS et à Sciences Po. - Nous n'avons pas beaucoup employé le terme de contractualisation, qui est pourtant utilisé dans plusieurs pays européens. Un contrat est conclu pour la durée du mandat ou de la fonction. La professionnalisation est un processus inéluctable.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Existe-t-il, en Allemagne, un processus de formation des candidats, puis des nouveaux élus ?
M. Patrick Le Lidec, chargé de recherche au CNRS et à Sciences Po. - Il n'existe pas de processus de formation des candidats. En revanche, nous observons partout une élévation très forte du niveau de diplôme à l'entrée, ainsi qu'un resserrement des professions. Ainsi, les enseignants sont davantage présents dans la représentation élective, à tous les échelons, car ils peuvent se permettre de dégager du temps. Les professions libérales ont longtemps pu se le permettre également. Aujourd'hui, les collaborateurs d'élus ont un poids extrêmement important. Pour devenir élu, il faut être fonctionnaire territorial ou collaborateur d'élu. Les collaborateurs d'élus ont pris une place tout à fait essentielle dans la représentation politique. Il s'agit d'un véritable bouleversement par rapport à ce qu'étaient encore les élites politiques dans les années 70, lorsque la profession agricole était totalement dominante dans les communes rurales.
Mme Élodie Lavignotte, chercheuse associée au CERA. - Un travail me semble nécessaire sur les idées reçues et la notion d'acceptabilité de l'opinion. On pense beaucoup la notion de statut en fonction de ce que l'opinion pourrait penser. L'entrée dans le mandat pose un enjeu de pédagogie : qu'est-ce que la fonction d'élu ? Qu'en attend-on exactement ? Quels moyens nous donnons-nous afin que tout le monde puisse avoir envie de l'exercer ? S'agissant de l'exercice du mandat, il convient de remettre en question l'idée de fonctionnarisation. Plus de 20 % des agents publics sont contractuels, et cela ne gêne personne. Être agent public, ce n'est pas être fonctionnaire à vie. Enfin, en sortie de mandat, la notion de validation des acquis de l'expérience est très importante en vue de permettre à un élu de revenir facilement dans la vie active.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Nous avons beaucoup de questions à creuser. Merci beaucoup pour ces échanges passionnants.