- Mardi 27 mars 2018
- Audition de MM. Gérard Clérissi, directeur des ressources et compétences de la police nationale, Thomas Fourgeot, chef du bureau des gradés et gardiens de la paix et de Mme Noémie Angel, sous-directrice de la prévention, de l'accompagnement et du soutien
- Audition du général de corps d'armée Hervé Renaud, directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale, et du colonel Charles Bourillon, adjoint au sous-directeur de la politique des ressources humaines
- Mercredi 28 mars 2018
Mardi 27 mars 2018
- Présidence de M. Michel Boutant, président -
La réunion est ouverte à 14 h 20.
Audition de MM. Gérard Clérissi, directeur des ressources et compétences de la police nationale, Thomas Fourgeot, chef du bureau des gradés et gardiens de la paix et de Mme Noémie Angel, sous-directrice de la prévention, de l'accompagnement et du soutien
M. Michel Boutant, président. - Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de M. Gérard Clérissi, directeur des ressources et compétences de la police nationale, M. Thomas Fourgeot, chef du bureau des gradés et gardiens de la paix et Mme Noémie Angel, sous-directrice de la prévention, de l'accompagnement et du soutien.
Nous avions déjà entendu M. Clérissi et Mme Angel qui accompagnaient le Directeur général de la police nationale, M. Éric Morvan, lors de son audition. Toutefois, nous souhaitions approfondir certains points évoqués à cette occasion ou soulevés lors d'autres auditions ou déplacements, concernant en particulier la carrière des agents, leur formation ou la protection fonctionnelle.
Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Gérard Clérissi, Thomas Fourgeot et Mme Noémie Angel prêtent serment.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Notre commission d'enquête a été mise en place après la série de suicides intervenus parmi les forces de l'ordre, notamment au sein de la police nationale, ainsi qu'à la suite de l'expression d'un malaise ou d'une colère des policiers en dehors des champs d'expression syndicale et institutionnelle. D'aucuns invoquent comme causes de ce malaise le management, l'ambiance, les conditions matérielles - immobilier, véhicules, équipement -, mais aussi la procédure pénale.
Des actions avaient été menées lorsque M. Cazeneuve était ministre de l'intérieur. Depuis lors, la police met-elle en place tous les moyens pour prévenir les risques psychosociaux ? Dispose-t-on de moyens suffisants ? Les consignes de management portent-elles suffisamment attention au personnel subordonné ?
Vous disposez, au sein de la police nationale, d'un médiateur, institution intéressante et totalement autonome. 35 % de ses avis ne sont toutefois pas suivis par la direction générale de la police nationale, un taux bien plus important que dans d'autres administrations, où il est exceptionnel que les avis du médiateur ne soient pas suivis.
Le médiateur constate une réduction des interventions dans les procédures de mutation ou d'avancement. Mais nous avons entendu, de la part des policiers de base, l'expression d'un vrai malaise : les promotions, les avancements et les affectations seraient rarement décidés objectivement. Certes, en tant que parlementaires, nous sommes parfois sollicités pour aider une personne ayant réussi l'examen de brigadier quatre ans auparavant, mais qui, non syndiquée ou non membre du bon syndicat, n'a toujours pas été nommée au poste correspondant. Cela donne l'impression - ce n'est peut-être qu'un ressenti et non une réalité - que la cogestion aboutit à un système inéquitable en termes de promotion et d'avancement. Comment améliorer la situation ?
Comment résoudre les problèmes de ressources humaines de gestion des ressources humaines dans la région parisienne ? Elle connaît un très fort décalage entre les effectifs théoriques et réels, et les unités de sécurité publique y sont constituées de nombreux jeunes. Les encadrants, souvent aussi très jeunes, veulent revenir le plus rapidement possible dans leur région d'origine. Les cohortes sortant des écoles vont être affectées prioritairement là-bas, ce qui renforcera les effectifs, mais n'améliorera pas le niveau qualitatif d'expérience des agents. Comment améliorer les choses, sans renforcer encore le régime d'indemnités pour rendre les postes difficiles plus attractifs financièrement ?
Qu'avez-vous fait pour améliorer l'accès au logement ? Les gendarmes ne rencontrent pas cette difficulté, car ils sont logés. Les policiers doivent souvent se débrouiller seuls ; certains dorment dans leur véhicule, d'autres vivent en colocation à huit dans un appartement. En province, cela fait longtemps qu'on aurait essayé de trouver des solutions : les élus auraient réuni tout le monde autour de la table. Mais cela ne se passe pas ainsi dans la couronne parisienne. Comment fidéliser les agents ou les faire revenir pour avoir quelques agents plus expérimentés ?
Dans son rapport annuel de 2015, le médiateur recensait environ 12 000 gardiens de la paix ayant réussi l'examen professionnel de qualification au grade de brigadier qui n'ont pas été nommés à ce grade. Ces situations alimentent le malaise. La Direction des ressources humaines et des compétences (DRCPN) s'est-elle saisie du problème, et avec quel résultat ?
Le Parlement a tenu à aligner les peines d'outrage envers les personnes dépositaires de l'autorité publique sur celles à l'égard des magistrats, afin qu'elles soient davantage respectées. Longtemps employeur de policiers municipaux, je les ai toujours soutenus dans les procédures ; parfois la commune payait l'avocat et aidait à faire les démarches pour le dépôt de plainte et pour obtenir un certificat médical en cas de rébellion. Les policiers nationaux n'ont pas ce soutien, alors même que cet outrage est non seulement un préjudice envers un agent, mais aussi une faute contre la République. Je suis surpris que le ministère public ne s'en saisisse pas. Une protection fonctionnelle effective serait la moindre des choses. Existe-t-elle, et comment l'améliorer ?
Nous avons eu du mal à croire qu'il existe un stock de 20 millions d'heures supplémentaires non payées. Nous confirmez-vous ce chiffre ? Comment résorber ces heures ?
M. Gérard Clérissi, directeur des ressources et compétences de la police nationale. - L'année 2017 a été particulièrement dramatique avec 51 suicides, et 13 ont déjà eu lieu en 2018. La DRCPN et toute la police sont mobilisées ; un nouveau plan de prévention du suicide, achevé, sera présenté le 12 avril lors d'un Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) extraordinaire par le ministre de l'intérieur.
Le médiateur est une composante de la DRCPN. Si 35 % des avis, une forte minorité, ne sont pas suivis d'effets, deux tiers des avis le sont. Le médiateur émet un avis, mais parfois la DRCPN ne partage pas son analyse juridique ou son analyse de la situation. Nous assumons cette position, même si nous nous engageons à réduire ce taux.
Je récuse le terme de cogestion. Les syndicats de police sont des partenaires sociaux importants : le taux de participation aux élections professionnelles atteint 85 %, l'un des plus élevés de l'administration. On ne peut pas faire sans eux, mais je préfère le terme de concertation.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Les commissions paritaires ne sont-elles pas décisionnelles ?
M. Gérard Clérissi. - Non, elles émettent des avis.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Sont-ils plus suivis que ceux du médiateur ?
M. Gérard Clérissi. - Oui, naturellement. Il y a deux types de commissions administratives paritaires (CAP), l'une concernant la mutation et l'autre l'avancement.
Le principal mouvement de mutation, dit « général », est organisé en juin pour des affectations au 1er septembre, sur des postes polyvalents ouverts à la vacance par les directions de l'emploi dans les services ou les circonscriptions déficitaires en effectifs. Le candidat dépose au maximum cinq souhaits d'affectation géographique. Les candidats sont classés selon leur choix et selon un barème de points en fonction de l'ancienneté d'exercice dans le corps et le service, de la situation familiale et de l'exercice dans un secteur urbain difficile. L'administration classe les demandes de mutation grâce à ce barème rendu public. Ce travail préparatoire ne se substitue pas à l'examen individuel de la situation des agents par la CAP. L'administration conserve son pouvoir d'appréciation.
Le mouvement « profilé » concerne certains postes qui exigent des compétences spécifiques - officiers de police judiciaire (OPJ), formateurs aux techniques d'intervention, Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), Service central du renseignement territorial (SCRT)... Les candidats répondant aux conditions statutaires sont sélectionnés par la Direction de l'emploi en fonction de leurs compétences techniques après un entretien. Chaque année, deux ou trois mouvements profilés sont organisés par le bureau des gradés et gardiens de la paix (BGGP) de la DRCPN.
D'autres appels à candidature sont spécifiques pour des postes à Mayotte, dans des centres de rétention administrative, ou pour des mutations ponctuelles dans l'intérêt du service ou dérogatoires pour des raisons familiales ou médicales. L'administration procède au mouvement après avis des CAP, sauf cas d'urgence où la mutation peut intervenir sous réserve de l'examen ultérieur de la CAP.
La DRCPN pilote les campagnes d'avancement aux grades de brigadier, brigadier-chef et major, au travers de plusieurs circulaires. Il existe aussi des CAP pour les officiers et les commissaires. La DRCPN coordonne les travaux préparatoires pour proposer une promotion aux fonctionnaires les plus méritants. Les modalités pour un avancement de grade sont fixées par le décret du 23 décembre 2004 portant statut particulier du corps d'encadrement et d'application de la police nationale.
Parmi les agents promouvables au grade supérieur, la Direction de l'emploi établit le classement de ceux qui sont proposés à l'avancement selon plusieurs critères rappelés dans la circulaire de la DRCPN : la notation sur les trois dernières années, l'appréciation sur la manière de servir, l'ancienneté dans le grade, les avis des chefs de service, la capacité d'encadrement, les difficultés ou responsabilités particulières des emplois occupés.
La CAP émet un avis qui est souvent suivi par l'administration.
Quel que soit le ministère, il est très difficile de fidéliser des agents dans la région parisienne. Dans la police nationale, un concours spécifique à l'Île-de-France prévoit que les agents le réussissant sont affectés pour huit ans en région parisienne. Les lauréats du concours national sont affectés pour cinq ans dans la région parisienne. C'est une fidélisation imposée....
La liste des secteurs et unités d'encadrement prioritaire (SUEP) prévoit un dispositif d'avancement accéléré, qui rend ces postes plus attractifs. Nous cherchons à étendre cette mesure, qui a cependant un effet budgétaire, et nous négocions actuellement pour obtenir gain de cause.
Nous réfléchissons pour que les règles de gestion imposent un maintien en poste des OPJ en Île-de-France - par exemple deux ans minimum - avant d'envisager une mutation en province, afin de résorber le déficit.
S'agissant des conditions de logement en région parisienne, le ministère de l'intérieur a 15 500 logements en stock, dont 15 000 en Île-de-France, un nombre important pour fidéliser les jeunes agents.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Sont-ils occupés ou vacants ?
Mme Noémie Angel, sous-directrice de la prévention, de l'accompagnement et du soutien. - Ils sont occupés, à quelques exceptions près. Dans les années 1960, nous avons réservé des logements dans certaines zones attractives à l'époque... Nous avons des réservations de logements en droit de suite auprès des bailleurs sociaux, et donc un stock de 15 537 logements en Île-de-France.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Selon les policiers, c'est une offre très insuffisante depuis des années.
Mme Noémie Angel. - Pour donner un ordre de grandeur en flux, la préfecture de police, qui dispose de l'essentiel du budget, a donné satisfaction à 1 509 agents sur 2 506 demandes en 2017. Certes, il en manque 1 000, mais c'est un effort constant.
M. François Grosdidier, rapporteur. - C'est énorme : 1 000 demandes, soit 40 % d'entre elles, ne sont pas satisfaites.
M. Gérard Clérissi. - Il faut prendre aussi en compte la contrainte budgétaire.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Nous sommes là pour exprimer les besoins.
Mme Noémie Angel - C'est à la fois une question de besoins et de disponibilités foncières - rares à Paris. Nous aurons prochainement de nouvelles opportunités avec le Grand Paris. Nous sommes aussi en concurrence avec d'autres importants demandeurs de logements, comme la Mairie de Paris.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Avez-vous un projet pour résorber le déficit et loger tout le monde ou en partie, et à quelle échéance ? Si, dans dix ans, le parc disponible n'est accru que de 10 %, le problème ne sera pas réglé, d'autant que vos effectifs augmentent.
M. Michel Boutant, président. - Les 15 000 logements sont-ils pour Paris intra-muros et la petite couronne ?
Mme Noémie Angel. - Il s'agit du ressort territorial de la préfecture de police de Paris, soit Paris, la petite couronne et la grande couronne pour la réservation de logements. La totalité de la grande couronne est couverte par la préfecture de police, mais l'essentiel de la politique de réservation de logements porte sur la petite couronne et Paris - objets de la majorité des demandes. Sur la grande couronne et les départements adjacents, comme le Loiret, le ministère a mis en place une politique de prêt à taux zéro. Lorsqu'un policier reste plus longtemps en poste, il a une stratégie différente d'un jeune affecté et souhaite acheter son logement. Récemment, la ceinture du prêt à taux zéro a été élargie pour répondre à cette demande.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Je comprends qu'un policier en Seine-Saint-Denis ne souhaite pas habiter dans la commune où il travaille...
Mme Noémie Angel. - Effectivement, non.
M. Michel Boutant, président. - Combien y a-t-il de fonctionnaires de police sur ce territoire où vous avez 15 000 logements à disposition ?
M. Gérard Clérissi. - Environ 24 000.
M. Michel Boutant, président. - Les logements sont-ils destinés à tous les fonctionnaires, ceux sur le terrain et ceux en administration centrale ?
M. Michel Boutant, président. - Les agents de terrain, de la BAC, ou qui travaillent dans des conditions difficiles ne sont-ils pas prioritaires ? Certains logements sont-ils occupés pendant toute une carrière, voire au-delà ? Certains retraités de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) occupent toujours des logements qui leur avaient été attribués. Dressez-vous le même constat ?
Mme Noémie Angel. - La politique est ministérielle. Les commissions d'attribution du logement interviennent avant l'avis du bailleur. Dans la convention de réservation, nous proposons des candidats au bailleur. Nous sélectionnons en priorité selon les situations opérationnelle et sociale.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Selon quels critères ? Pouvez-vous nous les détailler ?
Mme Noémie Angel. - Il n'y a pas d'instruction selon des critères. La préfecture de police loge en priorité - à hauteur d'environ 80 % du budget - les policiers.
M. François Grosdidier, rapporteur. - J'insiste : vous n'avez pas de document écrit mentionnant les critères objectifs d'attribution de logement ?
Mme Noémie Angel. - Nous signons des conventions et non un règlement formalisé des critères, car l'administration centrale n'a pas les mêmes priorités que la préfecture de police. Le budget est alloué pour deux tiers à la préfecture de police, pour un tiers à l'administration centrale. Chacune des administrations dispose de ses propres critères.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Pour plus de transparence, il faudrait définir une batterie de critères objectifs pour justifier l'attribution d'un logement à une personne selon sa situation familiale ou professionnelle. Pour l'instant, ils ne sont pas formalisés ?
Mme Noémie Angel. - Ces critères existent, mais ils ne sont effectivement pas formalisés. Nous les avons présentés aux syndicats. Ils font l'objet d'une commission spécifique au sein de la Commission nationale d'action sociale (CNAS) consacrée au logement.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Les syndicats sont-ils représentés dans les commissions d'attribution ?
Mme Noémie Angel. - Non, formellement, la commission d'attribution est celle du bailleur social. En tant que réservataires, nous avons notre propre commission d'attribution en amont, qui propose de deux à trois noms pour chaque logement.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Nous savons qu'en général, la commission d'attribution du bailleur suit le choix qui lui est proposé. L'État dit qui il veut installer. Le choix se fait en amont de la commission d'attribution...
Mme Noémie Angel. - C'est globalement le cas, mais il existe des exceptions. Ce n'est pas exactement le même cadre juridique que pour les 5 % du contingent préfectoral. Nous réservons des logements et proposons deux ou trois noms. Le bailleur peut refuser si la première personne est en fragilité financière.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Cela arrive-t-il souvent dans la police ?
Mme Noémie Angel. - Oui, par exemple en raison de la situation du conjoint, ou en cas de jugement de divorce non arrêté. Le bailleur fixe des critères que nous répercutons en amont, comme le fait que le loyer n'excède pas 33 % des revenus du ménage. Mais le bailleur peut apprécier différemment les fiches de paie. Parfois, les marges d'interprétation sont importantes. Et nous sommes un petit réservataire...
M. François Grosdidier, rapporteur. - Oui, vous n'avez pas assez de logements !
Mme Noémie Angel. - Le ministère de l'intérieur est l'un des plus gros réservataires...
M. François Grosdidier, rapporteur. - Chaque année, on nous dit que la situation s'améliore par rapport à l'année précédente, ce qui donne l'impression que tout va bien. Vous attribuez 1 500 logements, mais quid du reste ? Si 1 000 personnes n'en ont pas, cela peut susciter des drames. C'est insatisfaisant. Avez-vous prévu un plan d'action pour améliorer la situation ou considérez-vous finalement que ce n'est pas si mal ?
M. Gérard Clérissi. - Ce sujet est bien pris en compte, mais il faudrait obtenir des moyens exceptionnels. Dans le cadre de plans d'investissement, notre budget a augmenté par rapport à l'année dernière, mais, selon le budget quinquennal, nous devons réaliser des économies. Dans cinq ans, notre budget sera réduit de 56 millions d'euros par rapport à aujourd'hui. Nous pouvons préparer un plan d'action et le mettre en oeuvre...
M. François Grosdidier, rapporteur. - J'ai du mal à comprendre. Non seulement vous ne prévoyez pas d'amélioration de la situation, mais ce sera le contraire ?
M. Gérard Clérissi. - Nos crédits sont en cours de stabilisation.
M. François Grosdidier, rapporteur. - À quel titre les logements vous sont-ils réservés ? Sur mon territoire, les réservataires de l'État sont affectés dans des logements sociaux selon certains critères. Comment faites-vous ? Appliquez-vous un texte réglementaire ?
Mme Noémie Angel. - Oui, sur les droits de réservation, c'est un texte qui est en cours de modification dans un projet de loi. Nous réservons un droit de suite pour quinze à vingt ans. Chaque année, nous réservons de plus en plus de logements, même si certaines demandes ne sont toujours pas satisfaites.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Prévoyez-vous des opérations nouvelles pour augmenter le parc de logements ?
Mme Noémie Angel. - En 2017 ont été alloués 15,6 millions d'euros au titre des autorisations d'engagement et 11,7 millions d'euros au titre des crédits de paiement. Les chiffres sont stabilisés, mais on aboutit à une augmentation du parc.
Auparavant, les conventions étaient très longues et manquaient de souplesse. À la fin des années 1970 et 1980, nous avions fait beaucoup de réservations en Seine-Saint-Denis, alors que les policiers n'en veulent pas.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Il est difficile de loger dans la cité où l'on sévit...
Mme Noémie Angel. - Ces logements n'étaient pas dans des cités. Même des logements dans la petite couronne dans des communes sans problème ne trouvent parfois pas preneur...
M. François Grosdidier, rapporteur. - Vous avez des logements vacants dans la petite couronne ?
Mme Noémie Angel. - Oui, dans certains sites comme Les Lilas ou la bordure de Romainville, en Seine-Saint-Denis, en cours de gentrification, appréciés des jeunes Parisiens qui s'y installent. Parfois seule une personne vient visiter l'appartement, y compris dans des programmes neufs dans le 20e arrondissement de Paris, paradoxalement. Je vous parle de mon expérience pratique de gestion des dossiers.
M. François Grosdidier, rapporteur. - L'année prochaine, le parc va-t-il augmenter ?
Mme Noémie Angel. - En 2018, 13,4 millions d'euros en crédits de paiement nous sont alloués. Fin mars, je n'ai pas encore de visibilité sur l'ensemble des projets qui me seront présentés par les bailleurs. Nous démarchons les bailleurs pour connaître les projets existants et savoir où réserver les logements.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Avec vos crédits, de combien de logements pourrez-vous disposer ?
Mme Noémie Angel. - En flux, il s'agit de centaines de logements.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Pourriez-vous être plus précise ?
Mme Noémie Angel. - Je vous communiquerai le chiffre précis pour 2017, mais je ne l'ai pas pour 2018.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Il n'y a pas de programmation pluriannuelle ?
Mme Noémie Angel. - La programmation est budgétaire. Le coût des programmes peut être extrêmement variable. On peut nous proposer une réservation de logements sur deux logements dans le 17e arrondissement puis de 15 ou 20 logements...
M. Alain Cazabonne. - Arrêtons ce dialogue de sourds. Nous n'accusons pas votre gestion. Vos moyens sont-ils suffisants pour loger les 1 000 agents restants ? Si demain, nous devons demander des augmentations de crédit, il nous faut des arguments.
M. Gérard Clérissi. - Nous n'avons pas les moyens d'avoir 1 000 logements de plus.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Quels sont le rythme de création de logements et le budget nécessaires pour résorber en cinq ans ce déficit de logements, qui rend plus douloureuses les affectations en région parisienne ?
M. Jordi Ginesta. - Vous connaissez le prix des loyers sur la Côte d'Azur. Les communes aident les agents au maximum, mais tout ne peut pas reposer uniquement sur la bonne volonté des maires. Y a-t-il des spécificités selon les régions ou le financement est-il uniforme ?
M. Jean Sol. - Quelles sont votre conception et la place du management dans votre politique de ressources humaines ? Quels sont les thèmes privilégiés dans la formation initiale et continue ? Quel est le taux de mobilité et de promotion professionnelle à l'échelle nationale ?
M. François Grosdidier, rapporteur. - Nous avons longuement débattu sur le logement et espérons avoir des réponses écrites.
M. Michel Boutant, président. - Il sera indispensable que vous nous donniez des précisions sur les attributions de logement, la fréquence des vacances, la durée d'occupation des logements par un même fonctionnaire. Certaines situations ne sont-elles pas bloquées durant des décennies, alors que ce logement devrait être une aide au démarrage pour de jeunes policiers de province espérant repartir, et auxquels il faut accorder certains avantages matériels les mettant à l'abri - dans tous les sens du terme ?
Mme Noémie Angel. - Je vous rejoins. Nous avons fait un recensement. D'après un texte interministériel, ces logements peuvent être accessibles aux retraités, mais ils sont peu nombreux à en bénéficier. Nous nous interrogeons sur le turn-over. Le bailleur est censé nous informer si un changement de situation familiale est de nature à modifier l'affectation du logement. Nous réfléchissons aux moyens de durcir le dispositif. J'ai rencontré récemment des personnes au ministère des affaires étrangères, qui fait face aux mêmes interrogations pour faire tourner le parc de logements au bénéfice des jeunes ménages.
Nous réservons des logements dans la région parisienne et attribuons des prêts à taux zéro dans des régions sous tension comme les départements des Alpes-Maritimes et des Bouches-du-Rhône.
M. Jordi Ginesta. - Pas le Var ?
Mme Noémie Angel. - Le département du Var fait actuellement l'objet de discussions au sein de la CNAS, car les syndicats et les policiers nous ont fait part des tensions du marché immobilier. Nous nous interrogeons sur la possibilité d'ouvrir le prêt à taux zéro aux fonctionnaires concernés.
M. Gérard Clérissi. - L'École nationale supérieure de la police (ENSP) dispense une formation sur les risques psychosociaux. La DRCPN n'a plus la compétence de la formation depuis la création d'une nouvelle direction spécifique en janvier 2017. Ce module prend une place de plus en plus importante.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Le Service de soutien psychologique opérationnel (SSPO) dépend-il de votre direction ?
M. François Grosdidier, rapporteur. - Combien de psychologues faudrait-il avoir dans chaque région pour répondre aux besoins ?
M. Gérard Clérissi. - Le SSPO est un service nombreux, avec 82 psychologues, auxquels s'ajouteront 7 psychologues coordinateurs zonaux. Il est fortement monté en puissance.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Que contient votre plan de prévention des suicides ?
Mme Noémie Angel. - Le nouveau programme de mobilisation contre les suicides présente plusieurs axes de travail. Certains dispositifs intéressants concernant les conditions de travail ont été repris du précédent plan, mais en suivant une logique nouvelle pour une meilleure appropriation localement : partir du terrain et de l'intervention pour remonter vers des politiques plus générales de signalement, de prise en charge, voire d'hospitalisation.
Nous avons revu notre politique de prévention pour mieux coller aux facteurs de risque, et nous nous appuyons sur la triste analyse des suicides constatés sur la base de rapports environnementaux. Nous nous interrogeons alors sur les raisons du passage à l'acte, non pas en mettant en avant tel ou tel critère, car il s'agit d'une conjonction de facteurs, mais pour essayer d'agir sur chaque facteur, comme la fragilité économique, le harcèlement, l'addiction ou les souffrances collectives.
Premier axe du plan: mieux répondre à l'urgence. Le précédent plan se fondait principalement sur des remontées hiérarchiques. Or, c'est plutôt les collègues qui savent que tel agent va mal, et ceux-ci ne savent pas nécessairement à qui se confier sans risquer de désarmer ledit collègue ou de le stigmatiser, ce qui est une préoccupation récurrente.
Pour mieux repérer au sein des collectifs de travail les agents traversant une crise suicidaire, on a souhaité conforter le dispositif d'alerte. On réfléchit à un dispositif de signalement plus structuré, afin de mieux inclure l'ensemble des professionnels de santé et de rappeler la conduite à tenir en cas d'urgence. Si vous êtes informé qu'une personne va passer à l'acte dans l'heure qui vient, il faut non pas appeler le SSPO, mais être en mesure d'appeler rapidement un service d'urgence et un service de police pour géolocaliser le portable de la personne concernée. Il importe donc de rappeler des consignes simples, opérationnelles et pratiques concernant la prise en charge de la crise suicidaire.
Deuxième axe : améliorer la prise en charge des agents à court terme dans le cadre d'une nouvelle instruction.
Un dispositif intéressant existe d'ores et déjà pour les agents traversant des périodes de fragilité, notamment le retour après une période de maladie. Dans les semaines qui précèdent ou qui suivent un arrêt maladie, une proportion importante de personnes passe à l'acte. Il convient de s'assurer qu'un soutien et un suivi de ces personnes sont mis en place, avec un réarmement progressif.
Troisième axe important, qui ne figurait dans les précédents plans : « la postvention » en cas de tentative de suicide ou de suicide.
Les tentatives de suicide sont toujours un sujet tabou : lorsque l'on attente à ses jours, on ne souhaite pas que cela soit connu des collègues ou du chef de service. Pourtant, statistiquement, cette personne a malheureusement beaucoup plus de risques de passer à l'acte qu'un autre de ses collègues.
Dès lors, on a décidé de mettre en place des protocoles d'intervention pour garantir la confidentialité de la personne qui se signale ou signale son collègue, avec l'organisation d'un suivi plus structuré. On va expérimenter des conventionnements avec certaines structures psychiatriques, car, à un moment donné, il faut savoir passer le relais à un psychiatre.
La postvention vise à prévenir le risque de contagion, l'effet dit Werther que l'on a pu constater dans certains commissariats ; je pense à ce qui s'est passé à Bergerac. Le suicide d'une personne va faciliter le passage à l'acte d'autres personnes fragiles. Aussi, il faut parler du suicide, mais pas trop ; il faut en parler d'une certaine manière : il faut débriefer et suivre les collègues dans le temps parce que la situation peut entraîner des traumatismes ultérieurs. Nous souhaitons mieux accompagner les familles endeuillées.
Quatrième axe : la prévention secondaire, à savoir prévenir plus efficacement les situations de fragilité. On retrouve là certaines des interrogations concernant les risques psychosociaux, même si ceux-ci englobent une problématique plus large. Toutes les personnes confrontées à des risques psychosociaux ne passent pas à l'acte.
Le plan repose sur la culture partagée de la prévention, en renforçant les formations relatives aux risques psychosociaux, les formations à la confrontation à la mort, à la charge émotionnelle du métier parce qu'il existe une corrélation évidente entre le quotidien et les stress post-traumatiques. L'enjeu consiste à mieux évaluer les personnes fragiles, en ciblant les personnels les plus fragilisés.
Le 1er avril prochain devrait être créée une mission d'accompagnement des blessés en service, qui inclut les blessés psychiques. En effet, la corrélation entre une blessure psychique non traitée et un éventuel passage à l'acte n'est plus à démontrer, même si la cause du suicide est souvent multiple.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Les effets sont souvent à très long terme.
Mme Noémie Angel. - De même, la corrélation entre la dépression et le passage à l'acte est réelle. Des mesures sont prévues pour mieux accompagner les personnes qui souffrent de dépression lorsqu'elles reprennent leur service, avec l'effet que peut induire le réarmement. On a besoin de mieux sensibiliser les agents à cette question.
La question du harcèlement est également évoquée dans le plan : un numéro spécifique SIGNAL-DISCRI a été mis en place au sein de la police nationale. Celle des addictions est également prévue ; outre l'alcool, toutes les nouvelles drogues chez les jeunes peuvent entraîner un passage à l'acte.
Le plan contient également un volet relatif aux agents fragilisés socialement. À cet effet, on a renforcé l'action du service social, son information et le suivi des conjugopathies, c'est-à-dire les dépressions liées à la situation familiale.
Un autre axe du plan renvoie à la prévention primaire, c'est-à-dire aux conditions de travail, avec un volet important concernant la cohésion. On remarque dans la police comme ailleurs une montée de l'individualisme. Faire vivre le collectif est aussi un facteur de protection. Une instruction de la DGPN portera sur les moments de convivialité, avec un budget dédié à cette fin. On va également remettre la pratique du sport au centre de la vie au travail.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Disposez-vous de statistiques en la matière ? Je crois que deux heures de sport sont prévues, mais elles sont très rarement appliquées.
Mme Noémie Angel. - Tout à fait !
M. François Grosdidier, rapporteur. - Les forces de maintien de l'ordre respectent peut-être plus ces deux heures de sport, encore qu'elles soient très fortement sollicitées. Depuis dix ans, certains policiers n'ont pas du tout fait de sport dans le cadre professionnel.
Mme Noémie Angel. - Nous ne connaissons pas le taux exact, mais je vous confirme que ces deux heures ne sont pas appliquées.
M. François Grosdidier, rapporteur. - On n'a pas de chiffres sur cette question ?
Mme Noémie Angel. -Des chiffres nous ont été communiqués par la fédération sportive de la police nationale, qui gère les salles de sport. En revanche, on n'a pas d'idée précise sur le respect de ces deux heures de sport.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Dans la masse de toutes les statistiques qui existent, vous n'avez aucune information à ce sujet ?...
Mme Noémie Angel. - Non. Mais nous avons la conviction qu'il est nécessaire de remettre le sport au centre du plan, en tenant compte des contraintes techniques pour ce qui concerne les personnels travaillant de nuit ou encore la fermeture des salles. Nous avons essayé d'analyser les causes qui bloquent la pratique du sport. Nous engageons des actions en lien avec la fédération sportive nationale.
Par ailleurs, le dialogue managérial de proximité va être mis au coeur du plan visant à améliorer le quotidien au travail pour rappeler l'importance du débriefing, d'avoir des espaces d'échanges. Il convient de former les jeunes cadres à ce sujet. Cela nous conduit à développer de nouvelles approches et techniques du management ; je pense aux techniques d'optimisation du potentiel, issues de l'armée américaine, qui permettent de mieux prendre en charge les situations de stress. Quand on est confronté à la mort, on ne peut pas éviter tout traumatisme, mais on peut apprendre à mieux gérer son stress et la confrontation à la mort.
Le plan contient également un volet important sur le travail de nuit, à la fois le suivi statistique, ses incidences en termes de conditions de travail et la reconnaissance du statut de travailleur de nuit.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Vous parlez de reconnaissance financière ?
Mme Noémie Angel. - Non, au niveau de la réglementation, de la santé et de la sécurité. Le plan porte sur les conditions de travail conformément au droit européen.
M. François Grosdidier, rapporteur. - À propos du travail de nuit, les élus constatent souvent la faiblesse des effectifs de police nationale. Est-ce dû à l'organisation du service ? Les volontaires sont-ils les seuls à travailler la nuit ? Manque-t-on de volontaires ? Confirmez-vous que l'agent de nuit bénéficie d'une bonification de 97 centimes, d'après ce que l'on nous a dit ?
M. Gérard Clérissi. - Ce sont les services qui sont ainsi organisés : Police-Secours fonctionne bien sûr la nuit, de même que des brigades anti-criminalité.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Le travail de nuit est-il basé sur le volontariat ?
M. François Grosdidier, rapporteur. - Certains services souhaiteraient-ils avoir plus d'effectifs la nuit ?
M. Gérard Clérissi. - À ma connaissance, les services ne rencontrent pas de problème pour avoir des volontaires : travaillent la nuit les équipes qui ont été jugées nécessaires et utiles.
M. Michel Boutant, président. - D'après les personnes auditionnées, on compterait quelques 240 000 fonctionnaires de sécurité, mais, au quotidien, seuls 5 000 d'entre eux seraient sur le terrain. Selon un préfet de département, alors que 300 policiers sont présents dans deux circonscriptions, ce dernier rencontre des difficultés pour avoir deux équipes de six le week-end.
M. Gérard Clérissi. - On raisonne là par rapport à une présence H 24 : il faut six ou sept fonctionnaires pour avoir un fonctionnaire sur le terrain pendant vingt-quatre heures.
M. François Grosdidier, rapporteur. - On n'est pas dans ce ratio.
M. Michel Boutant, président. - Pas du tout ! Si l'on divise 240 000 par 6, il y aurait 40 000 policiers présents !
M. Gérard Clérissi. - Je ne sais pas d'où vient ce chiffre.
M. Michel Boutant, président. - Il nous a été communiqué lors des auditions.
M. François Grosdidier, rapporteur. - On aimerait connaître les effectifs de la police nationale la nuit. Dans ma circonscription de police, sur 230 000 habitants, il y a tout au plus trois équipages, alors que j'avais deux équipages de police municipale dans ma ville de 15 000 habitants. On n'arrive pas à comprendre ces ratios très faibles. Combien de policiers sont-ils présents chaque nuit ?
Vous dites que le service de nuit est organisé en fonction des besoins, mais rares sont les responsables de circonscriptions de police qui affirment disposer d'effectifs suffisants la nuit.
Ma question est précise : est-ce dû à l'organisation même de la police ? Quelles sont les causes de ce manque de policiers la nuit, surtout si l'on ne manque pas volontaires ? Faut-il prévoir plus de primes ? Nous aimerions avoir des réponses à ces questions.
M. Gérard Clérissi. - Notre réponse ne pourra concerner qu'une force de sécurité publique. Il sera compliqué d'agréger les données de toutes les forces de police.
M. Henri Leroy. - Un service s'occupe sûrement de l'organisation au niveau national, régional ou départemental. Les facteurs qui conduisent à avoir peu d'effectifs disponibles sont multiples : l'administration, la rédaction, les maladies, etc. Le ratio est, à mon avis, plus proche d'un pour dix ; il est différent pour les effectifs de police municipale qui ne sont pas astreints à l'administration ni à la rédaction.
On aimerait donc connaître tous les facteurs susceptibles d'avoir des conséquences sur les effectifs disponibles, car des contraintes s'imposent au commandement et à l'organisation du service.
Par ailleurs, le logement est un facteur déterminant ; il est l'un des critères essentiels qui influent sur le moral des policiers et même des gendarmes. La majorité des policiers ou nombre d'entre eux - il en est de même des gendarmes - refusent de venir dans les Alpes-Maritimes en raison du logement, à tel point que le département a investi 150 millions d'euros dans la construction de logements. Tenez-vous compte de cet état de fait ?
M. Michel Boutant, président. - Il nous reste peu de temps. Aussi, je vous saurais gré de bien vouloir nous apporter la réponse la plus synthétique et la plus authentique possible.
M. Gérard Clérissi. - Nice a bien été identifiée comme étant une circonscription très déficitaire en termes d'effectifs du fait du problème de logement. L'une des réponses, qui n'est pas la plus satisfaisante, est d'affecter les agents aux sorties d'école à Nice. On touche là de nouveau à la question des moyens disponibles pour mettre en place une politique du logement.
M. Henri Leroy. - Il y a aussi Cannes et Antibes !
M. Gérard Clérissi. - Bien sûr.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Je souhaiterais que vous nous répondiez à la question de la protection fonctionnelle lorsque les agents sont victimes d'outrages, de rébellions.
En outre, confirmez-vous le stock des 20 millions d'heures supplémentaires non payées ? Comment entendez-vous le résorber ?
Enfin, j'aimerais avoir une réponse écrite sur les critères précis de l'IRP. La politique du chiffre est dénoncée par la base, mais la hiérarchie nous explique qu'elle n'existe pas... Sauf à ce qu'il existe un problème de communication au sein de la police, qu'en est-il en réalité ?
M. Gérard Clérissi. - Je vous enverrai les circulaires de la DGPN relatives à l'IRP. Vous pourrez constater qu'il n'y est aucunement mentionné que la part concernant la performance est liée à des résultats chiffrés. Je démens totalement le lien entre la politique du chiffre et la rémunération des responsables de la police, qu'ils soient commissaires ou officiers.
M. Michel Boutant, président. - En d'autres termes, cela signifie qu'il n'y a aucune forme de reconnaissance en termes d'indemnités financières, de mutation ou d'avancement au regard des chiffres obtenus par les gardiens de la paix ?
M. Gérard Clérissi. - La part performance est calculée par rapport aux objectifs assignés aux cadres, qu'il s'agisse du management, de l'organisation du service, de réformes à conduire.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Ce n'est pas fonction du nombre d'interpellations, etc.
M. Gérard Clérissi. - Non.
Le stock d'heures supplémentaires s'élève en réalité à 21,8 millions. Après avoir diminué en 2014, il a augmenté à la suite de la pression qui a pesé sur les services de la police consécutivement aux attentats de 2015 et 2016.
Deux solutions s'offrent à nous pour le réguler : par le rachat d'heures supplémentaires ou en agissant sur une régulation des volumes.
Il ne s'agit pas de racheter le stock en une seule fois, puisqu'il faudrait disposer de 271 millions d'euros. Aussi, depuis plusieurs années, la DGPN a la volonté de mettre en place une politique de rachat progressif, en vue de le résorber à l'horizon de dix ou quinze ans. Mais cela suppose des enveloppes annuelles à hauteur de quelque 20 millions d'euros.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Une enveloppe est-elle prévue en 2018 ?
M. Gérard Clérissi. - Non. La discussion dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 n'est pas close, mais l'espoir d'obtenir une enveloppe de 18,7 millions d'euros est mince.
Concernant la régulation des volumes, nous avons prévu, dans le cadre de l'arrêté portant réforme du temps de travail, qui doit être finalisé dans les toutes prochaines semaines, diverses dispositions visant à faciliter la récupération d'heures supplémentaires de façon que les chefs de service puissent l'imposer à leurs agents.
M. Jean Sol. - Vous n'avez pas répondu à ma question concernant le taux de mobilité du fait d'une promotion professionnelle.
Pour compléter les deux précédentes questions, j'aimerais connaître le taux d'absentéisme.
M. Gérard Clérissi. - Qu'entendez-vous par « taux de mobilité », monsieur le sénateur ?
M. Jean Sol. - Les mutations, par exemple.
M. Gérard Clérissi. - Le volume des mutations oscille entre 6 000 et 7 000 pour le corps d'encadrement et d'application ; mais M. Fourgeot complétera mes propos.
Le taux d'absentéisme est, de mémoire, de 6 % ou 7 %, mais je vous confirmerai cette donnée.
M. Thomas Fourgeot, chef du bureau des gradés et gardiens de la paix. - Le taux de mobilité n'a jamais été aussi important pour les gradés et les gardiens de la paix, et les mutations augmentent en raison des besoins exprimés par les directions, en vue de renforcer les services de police : 6 900 mutations constatées en 2017. Chaque année, 3 000 mutations environ sont comptabilisées.
M. Michel Boutant, président. - Tous corps confondus ?
M. Thomas Fourgeot. - Cela vaut uniquement pour les gradés et gardiens de la paix, qui représentent 105 000 fonctionnaires.
Les mouvements profilés, qui répondent à des compétences particulières des fonctionnaires de police, se multiplient aussi ; je pense à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), au Service central du renseignement territorial (SCRT), aux formateurs de la police nationale.
Les perspectives de promotion sont également spectaculaires depuis 2017, notamment grâce au protocole signé le 11 avril 2016 par le ministère de l'intérieur avec certaines organisations syndicales représentatives. Pour l'année 2017, la commission administrative paritaire a validé 7 500 promotions de gradés et gardiens de la paix - des chiffres spectaculaires -, 5 400 promotions de brigadiers, 1 925 promotions de brigadiers-chefs et 952 promotions de majors. L'objectif est de réduire fortement en l'espace de cinq à six ans les viviers de promouvables.
Mme Samia Ghali. - Avez-vous mis en place le compte épargne temps ?
M. Gérard Clérissi. - Bien sûr.
Mme Samia Ghali. - Comment connaissez-vous les résultats chiffrés de chaque territoire ?
Vous dites que la politique du chiffre - le terme n'est peut-être pas le bon - n'existe pas. Soit les policiers que nous avons auditionnés ont menti, soit vous n'avez pas cette information. Mais nous devons comprendre ce qui se passe, car cette question est loin d'être anodine : elle est tout de même l'une des causes du mal-être des policiers.
Mme Brigitte Lherbier. - Le terme de politique du chiffre est peut-être mal employé. Mais on demande aux policiers de montrer qu'ils sont efficaces, et c'est peut-être cela qui les oppresse.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Ce sont des critères strictement quantitatifs qui ont été dénoncés et qui sont ici démentis.
M. Gérard Clérissi. - Je ne peux pas démentir ce qui se passe sur le terrain, car je ne suis pas dans les services opérationnels. Je ne sais pas quels objectifs sont assignés sur le terrain par les patrons de police à leurs collaborateurs ou à leurs cadres intermédiaires. En revanche, je suis catégorique sur le fait qu'il n'existe pas de lien entre une politique du chiffre et une prime au mérite, pour appeler les choses par leur nom.
Mme Brigitte Lherbier. - Ils n'ont pas de primes financières ?
M. Gérard Clérissi. - Dans le salaire, il y a une part liée au poste, à la difficulté qu'il présente, à son classement et à ses contraintes, et une part liée à la performance, au mérite individuel, mais celle-ci n'est pas indexée sur des résultats chiffrés en matière de productivité, pour parler simplement.
M. Michel Boutant, président. - Nous vous remercions de votre participation. Nous vous ferons parvenir une liste de questions supplémentaires ou complémentaires à celles que nous avons posées et nous vous remercions par avance de la suite bienveillante que vous voudrez bien y donner.
M. Gérard Clérissi. - Nous y répondrons le plus précisément et le plus rapidement possible.
Audition du général de corps d'armée Hervé Renaud, directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale, et du colonel Charles Bourillon, adjoint au sous-directeur de la politique des ressources humaines
M. Michel Boutant, président. -Notre commission d'enquête poursuit ses travaux par l'audition du général de corps d'armée Hervé Renaud, directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale, accompagné par le colonel Charles Bourillon, sous-directeur de la politique des ressources humaines adjoint.
Mon général, mon colonel, je souhaite d'abord, au nom de l'ensemble des membres de la commission d'enquête, vous faire part de notre grande tristesse et de notre soutien après l'attentat terroriste qui a causé la mort de quatre personnes, dont le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, qui sera élevé demain par le Président de la République au grade de commandeur de la Légion d'honneur pour avoir perdu la vie en manifestant un courage héroïque.
Après avoir entendu le général Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale, nous souhaitions approfondir certaines questions liées notamment à la gestion des ressources humaines au sein de la gendarmerie nationale. Il s'agit pour nous, à ce stade, d'aborder plus précisément et plus concrètement les aspects qui peuvent expliquer les difficultés rencontrées par certains personnels, mais aussi, en ce qui concerne singulièrement la gendarmerie nationale, les facteurs qui permettent à l'institution de résister malgré ces difficultés.
Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Hervé Renaud et Charles Bourillon prêtent serment.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Mon général, mon colonel, cela fait quelques semaines que nous auditionnons policiers et gendarmes, de la base au sommet, dans le cadre de la commission d'enquête que nous avons mise en place à la suite de la vague de suicides intervenus au sein de la police nationale et, dans une moindre mesure, de la gendarmerie nationale.
La gendarmerie nous semble beaucoup plus apte à tenir dans l'adversité par l'esprit de corps qui tient certainement à son statut militaire. La police semble davantage segmentée et cultive peut-être plus un esprit de caste que de corps.
Pour autant, cet esprit de corps vous paraît-il suffisant pour prévenir les risques psychosociaux ? On le sait, les causes du suicide sont multifactorielles, certaines provenant du cadre professionnel et d'autres du cadre personnel. C'est souvent la conjonction de ces facteurs qui pousse un individu au geste extrême.
Comment appréhendez-vous et prévenez-vous les risques psychosociaux ? Cet esprit de corps n'est-il pas parfois aussi un inconvénient ? Il n'est pas simple de vivre à côté de son chef quand on ne s'entend pas avec lui. Ce mode de vie ne commence-t-il pas à poser problème dans une société où l'individualisme est de plus en plus présent ? On peut s'interroger sur la pérennité de ce statut. D'ailleurs, des militaires souhaitent légitimement ne pas être considérés comme une catégorie à part.
La gendarmerie nationale ne dispose pas d'un médiateur interne comparable à celui de la police nationale. Des dispositifs indépendants de médiation existent-ils ? Serait-il nécessaire de les développer davantage ?
Ensuite, pouvez-vous nous faire un point sur la réforme des retraites des gendarmes ? Nous avons entendu des inquiétudes à ce sujet.
Par ailleurs, des réflexions sont-elles menées au sein de la gendarmerie nationale sur le casernement : amélioration de l'existant, changement de paradigme, solutions alternatives ? Quel est aujourd'hui l'état du parc immobilier ? Le parc tenu par les collectivités territoriales est mieux entretenu que celui du domaine de l'État. Nous avons besoin d'éléments quantifiés pour connaître la situation de manière exhaustive en vue de mesurer l'effort que la nation se doit de fournir pour revenir, en l'espace de quelques années, à une situation normale, voire simplement décente. Des représentants des associations professionnelles nationales de militaires (APNM) nous ont parlé de leur souhait d'avoir une meilleure distinction des lieux de vie et de travail. Comment pouvez-vous prendre en compte cet élément ?
Au demeurant, quelles mesures sont-elles mises en oeuvre par la gendarmerie nationale pour favoriser la qualité de la vie de famille ? Un « plan famille », comparable à celui qui a été présenté l'an dernier par la ministre des armées, est-il envisageable et nécessaire ?
Par ailleurs, certaines primes, telles que l'indemnité de fonction et de responsabilité (IFR) et la prime de résultats exceptionnels (PRE), posent de véritables questions en termes de cohérence ou de légitimité. Des évolutions de ces dispositifs sont-elles prévues ? Plus largement, peut-on parler de « politique du chiffre » au sein de la gendarmerie, une politique dénoncée à tort ou à raison dans la police ?
Enfin, quel regard portez-vous sur l'efficacité des dispositifs de prévention des risques psychosociaux, avec les psychologues en région et les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail au sein de la gendarmerie nationale ? Est-ce suffisant pour répondre aux besoins qui nous semblent croissants ? Des réflexions sur la formation au management, sur la détection des personnels à risque et sur les processus internes d'analyses des causes des suicides sont-elles menées ?
Général de corps d'armée Hervé Renaud. - Je vous remercie de vos propos introductifs qui abordent de nombreux sujets.
Voilà dix-huit mois, je commandais la zone ouest de Rennes ; je ne suis donc pas déconnecté de la réalité du terrain. Rester au contact des personnels est un impératif : je me suis récemment rendu à Gramat au Centre national d'instruction cynophile de la gendarmerie et j'ai passé trente-six heures au sein du groupement de gendarmerie départementale de l'Ariège à la fin de la semaine dernière.
L'an dernier, la gendarmerie a été nettement moins impactée par la vague de suicides, une quarantaine dans la police, contre dix-sept dans la gendarmerie. Toutefois, on note une évolution préoccupante durant les trois premiers mois de cette année, puisque nous déplorons à ce jour dix victimes, alors que notre dispositif de suivi et d'accompagnement n'a pas changé.
M. François Grosdidier, rapporteur. - La proportion est-elle différente entre la gendarmerie territoriale et la gendarmerie mobile ?
M. Hervé Renaud. - Les suicides ont surtout lieu dans la gendarmerie départementale, avec plusieurs types de profils.
Souvent, les gendarmes visés, qui ne sont pas novices, sont confrontés à des problématiques familiales qui les déstabilisent. La cellule familiale peut être un facteur aggravant. La question de la garde d'enfants, par exemple, est un élément de complexification pour ce métier hors norme, avec des horaires atypiques et des contraintes inhérentes. Je suis prudent, mais c'est l'un des facteurs.
L'autre grande famille très sensible est celle des gendarmes adjoints volontaires, les jeunes sous contrat. Face à l'immaturité de la jeunesse, on se trouve face à ce que j'appelle « des suicides réflexes ». Il y a deux ans, un jeune de Guingamp a utilisé son arme de service contre lui durant les quelques minutes où le sous-officier en patrouille avec lui s'était absenté, après avoir appris sur son téléphone portable que sa petite amie le quittait. Dans ce cas, on ne peut rien faire.
La vie en caserne, qui peut être perçue comme une contrainte, contribue aussi, à mon sens, à une forme d'autocontrôle. Quand un collègue ne va pas bien, il n'est pas livré à lui-même.
Le chef de proximité en particulier connaît bien son personnel. D'autres capteurs potentiels de situation de détresse existent, telle la chaîne de concertation qui arrive aujourd'hui à maturité. De même, le réseau des psychologues cliniciens s'est densifié dans les régions. Enfin, n'oublions pas le corps médical. Hormis l'acte réflexe, tous ces éléments sont de nature à nous alerter et nous conduisent à accompagner au mieux la personne.
Si l'on fait un comparatif avec la société française, nous sommes dans la moyenne, alors que l'arme omniprésente pourrait faciliter le passage à l'acte. Néanmoins, nous ne saurions nous satisfaire de ce bilan. Nous devons faire oeuvre de sensibilisation sur cette question. Il n'y a pas de fausse pudeur. On ne juge personne ; on essaie d'aider. Les enquêtes identifient les causes pour étoffer le dispositif de prévention, notamment en accroissant le nombre de psychologues cliniciens, qui sont des officiers commissionnés recrutés sur dossier. Mais rien n'est acquis : les chiffres du début de cette année sont préoccupants, même s'ils ne sont pas prédictifs : l'an dernier, ils étaient bas à pareille époque.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Nous en sommes à dix contre sept l'an dernier, en effet. Comment l'expliquez-vous ?
M. Hervé Renaud. - La plupart des cas reflètent des situations personnelles complexes : séparation difficile, épouse atteinte d'une maladie incurable et ayant demandé à être euthanasiée...
M. François Grosdidier, rapporteur. - Quid du logement ?
M. Hervé Renaud. - C'est un point essentiel.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Il affecte les familles, et donc les gendarmes.
M. Hervé Renaud. - Ce sujet est consubstantiel à notre système d'armes, car c'est ce qui permet d'affecter des gendarmes en tout point du territoire, notamment là où il n'y a pas d'autre représentant du service public, par exemple outre-mer. Un traitement suffit pour vivre, mais, pour que la famille puisse faire des projets, il faut un deuxième salaire. Or il est parfois compliqué de trouver un emploi au conjoint, tout comme il est plus ou moins difficile ou onéreux de scolariser les enfants.
Les élus locaux connaissent bien la question du locatif, et nous avons souvent avec eux un dialogue constructif, reposant sur une démarche gagnant-gagnant. Ils savent bien, en effet, que, s'ils proposent des logements décents - je ne dis pas luxueux -, les familles viendront, ce qui évitera le célibat géographique et aura pour résultat un meilleur investissement local des gendarmes, non seulement professionnel, mais aussi au sein du tissu associatif. Si la caserne est un taudis, le statut nous permet certes d'y envoyer nos hommes, mais ces derniers en partent dès qu'ils le peuvent ; c'est du perdant-perdant. Il est vrai que certains des principaux problèmes immobiliers se posent dans le domanial, comme à Melun, par exemple.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Pouvez-vous nous transmettre un état des lieux exhaustif ? Les plans annoncés ne suffiraient pas, même pour entretenir un tel niveau de patrimoine. Combien faudrait-il de crédits d'investissement et de fonctionnement ?
M. Hervé Renaud. - Entre 2010 et 2012, les crédits d'investissement furent quasi inexistants. Après quelques années de négligence, les coûts explosent, et il faut parfois carrément reconstruire, au lieu de réparer. Depuis deux ans, ces crédits sont de 70 millions d'euros par an. Cela nous permet de gérer quelques points noirs, comme à Quimper ou à Rennes, où j'ai tout de même dû menacer de dissoudre l'escadron de Mayenne. Pour une véritable remise à niveau, il faudrait entre 250 et 300 millions d'euros. En deçà de ce montant, notre système d'armes est fragilisé.
Colonel Charles Bourillon. - L'immobilier a de la mémoire. Quand on l'oublie, il se rappelle à nous ! Une des causes de la situation actuelle est que, lorsque la gendarmerie a été confiée en 2009 au ministère de l'intérieur, le socle de la loi de programmation militaire a été oublié dans la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. Ainsi, entre 300 et 600 millions d'euros ont disparu. C'est ce boulet que nous traînons toujours, et qui a conduit à la dissolution d'un escadron à Melun.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Cela a-t-il été dit ?
M. Charles Bourillon. - C'est dû à une erreur, je pense. Et elle sera difficile à rattraper...
M. Alain Cazabonne. - Venant de Bercy, ce n'est sûrement pas une erreur.
M. Michel Boutant, président. - Avait-elle échappé à notre rapporteur ?
M. Philippe Dominati. - Non...
M. Hervé Renaud. - Nous parons au plus pressé avec le plan d'urgence.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Mais le gros entretien n'est pas fait : on continue à creuser...
M. Hervé Renaud. - Oui. Les gendarmes acceptent beaucoup, y compris des conditions d'engagement extrêmes. Cette année, nous avons eu en moyenne 20 blessés par jour, surtout depuis que le nouveau jeu est devenu de coucher un gendarme sur le capot d'une voiture... Depuis 2004, nous avons eu 160 morts, soit l'équivalent d'une promotion de Saint-Cyr. Il faut au gendarme une base arrière, c'est-à-dire une famille et un logement, pour qu'il soit serein. Et j'ai plus que jamais besoin d'un personnel serein, car la pression va croissant.
Vous m'avez interrogé sur la médiation. Le premier niveau est le chef, notion qui a tout son sens dans la gendarmerie. En cas de problème, le gendarme peut se tourner vers son patron. Notre slogan, il y a peu, a été : « gendarmerie, force humaine » ; il correspond bien à la réalité. Nous formons les chefs à l'écoute, qui est essentielle, et nous les sélectionnons pour qu'ils sachent entraîner les hommes derrière eux. Si ce niveau ne suffit pas, nous avons développé une chaîne de concertation pour faire remonter les problèmes. Il s'agit non pas de cogestion, mais plutôt d'aide à la décision. Le troisième acteur est l'inspecteur général des armées issu de la gendarmerie. C'est notre deuxième général d'armée, il appartient au collège des inspecteurs de la défense, et son âge comme son statut le placent pour ainsi dire hors hiérarchie.
M. François Grosdidier, rapporteur. -Est-il dédié à la gendarmerie ou est-ce un gendarme versé au sein de l'Inspection générale des armées ?
M. Hervé Renaud. - C'est un gendarme qui appartient à l'Inspection générale des armées.
M. François Grosdidier, rapporteur. - S'occupe-t-il uniquement de la gendarmerie ?
M. Hervé Renaud. - Non, le ministre lui confie des missions variées. Il fait en quelque sorte figure de sage, pour trouver des solutions aux situations apparemment bloquées. Il reçoit une centaine de personnes par an en moyenne, et travaille en interaction avec moi-même et le directeur général. Il est important que le personnel se sente entendu et que sa parole soit prise en compte. Le directeur du personnel reçoit aussi beaucoup de militaires, qui viennent lui exposer leur situation : cette écoute fait partie du commandement moderne.
Mme Brigitte Lherbier. - Les conjoints et les familles ont-ils accès à cette écoute ? Y a-t-il des associations de femmes ou de familles de gendarmes avec lesquelles vous puissiez dialoguer ?
M. Hervé Renaud. - Les conjoints bénéficient de la même écoute que les militaires, et peuvent être reçus par le psychologue ou l'assistante sociale. Cela nous donne un éclairage complémentaire, et ils abordent souvent des problèmes que le militaire, par pudeur, n'aura pas évoqués. Nous bénéficions aussi d'un tissu associatif très dynamique d'aide aux familles, notamment dans le grand Ouest. Ainsi, j'ai été appelé samedi dernier par la vice-présidente de l'association, qui voulait me rendre compte des préparatifs de la cérémonie d'hommage qu'elle organisait le soir même. Ces associations ne sont donc pas en opposition avec nous ; elles ont au contraire une approche très constructive.
D'autres associations, notamment celles des retraités, ont signé une charte fixant des règles de bonne conduite et leur donnant accès à certaines données internes sur la vie de notre institution, ainsi qu'à la maison des associations à la direction générale. Elles sont des relais d'influence et nous font part des attentes : l'idée est de canaliser les bonnes volontés, ce qui réduit aussi la part de la rumeur.
Mme Brigitte Lherbier. - Merci. J'ignorais que cela allait si loin.
M. Hervé Renaud. - La question des retraites est l'une des préoccupations majeures exprimées par les militaires. Il serait bon que M. Delevoye reçoive les membres du Conseil supérieur de la fonction militaire. Nos métiers partagent certaines spécificités : quelle autre profession compte une vingtaine de blessés par jour et quinze morts par an ? Ce n'est pas un métier ordinaire que d'être gendarme : il faut tout donner. Et le déroulé de la carrière est spécial aussi. M. Delevoye a entendu différentes fédérations syndicales, et le Conseil supérieur de la fonction militaire a sollicité la ministre des armées pour qu'il le reçoive. Je sens que cette demande n'aboutit pas, et cela nourrit une inquiétude larvée sur le terrain, qui ne pourra que croître si rien n'est fait.
La moitié des militaires de carrière sont des gendarmes. Ceux-ci sont dans une logique de carrière longue : à la différence des contractuels qu'on trouve dans les autres armées, qui reviennent à la vie active avant trente ans, ce sont des pères et des mères de famille que je gère. Et, dans les cinq prochaines années, j'aurai à recruter près de 50 000 personnes : 7 000 contractuels par an pour des postes de gendarmes adjoints volontaires et 4 000 sous-officiers par an. Il faudra en effet remplacer le départ des fonctionnaires entrés en service au début des années 1980. Si une évolution devait se produire qui déstabiliserait le système de retraite, je pourrais être en plus confronté à une vague d'environ 15 000 départs irrationnels. Les écoles étant déjà pleines, il deviendrait difficile d'assurer la sécurité des Français.
M. Jordi Ginesta. - Ce métier attire toujours, malgré les difficultés et les dangers, peut-être parce qu'il comporte du prestige et fait appel au sens du devoir. Vous avez cité l'exemple d'un suicide sur un coup de téléphone : avec les portables, on ne sait pas où se trouve la personne lorsqu'on l'appelle. Tenez-vous compte des fragilités psychologiques à l'embauche ?
M. Hervé Renaud. - Oui. Notre recrutement reste sélectif, car, malgré - ou à cause de - la dégradation de la situation, les jeunes sont de plus en plus nombreux à vouloir servir leur pays, dans l'active ou comme réservistes. Après les attentats de Nice, j'ai reçu un afflux considérable de candidatures, dont celle de mon propre fils.
M. Jordi Ginesta. - Avec un père général...
M. Hervé Renaud. - Je ne l'ai aucunement poussé, pas plus que ses camarades d'ailleurs. Au recrutement, nous regardons évidemment les qualités intellectuelles.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Le niveau est maintenu, je crois.
M. Hervé Renaud. - Oui, même si nous sommes vigilants pour les gendarmes adjoints volontaires. Nous regardons ensuite les qualités physiques. Il ne s'agit pas tant de force que d'aptitude à prendre l'ascendant sur l'adversaire.
Enfin, nous examinons le profil psychologique. Tous les candidats passent devant un psychologue : si son avis est réservé, nous écartons quasi systématiquement le candidat. Ce filtre n'existait pas il y a trente ans, et nous voyons bien que, s'il avait été utilisé, nous n'aurions pas recruté les collègues qui présentent aujourd'hui des difficultés. Les neuf dixièmes des refus sont dus au profil psychologique.
M. Henri Leroy. - Il y a toujours eu une tradition : dans une famille où il y a un gendarme, un fils, une fille ou un neveu entre dans la gendarmerie.
M. Hervé Renaud. - Cela prouve que notre métier fait rêver, ce qui est rassurant pour notre société.
M. Alain Cazabonne. - Quel est le problème principal, en ce qui concerne les retraites ?
M. Hervé Renaud. - Les éléments qui structurent le caractère atypique de nos carrières doivent être pris en compte. Nous sommes soumis à des contraintes exorbitantes du droit commun. Par exemple, outre-mer, hormis à Saint-Pierre-et-Miquelon et en Polynésie, le tableau est inquiétant, et je n'envoie que des gendarmes non chargés de famille, en particulier à Mayotte. Vous voyez que nous sommes loin d'un séjour sous les cocotiers ! Un officier est spécialement chargé du dossier des retraites ; il est à votre disposition.
M. Michel Boutant, président. - Je vous remercie.
M. Hervé Renaud. - Merci pour votre soutien.
La réunion est close à 16 h 30.
Mercredi 28 mars 2018
- Présidence de M. Michel Boutant, président -
La réunion est ouverte à 16 h 10.
Audition de M. Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, de Mme Béatrice Bossard, sous-directrice de la justice pénale générale et de Mme Marie-Céline Lawrysz, chef du bureau de la police judiciaire
M. Michel Boutant, président. - Notre commission d'enquête poursuit ses travaux par l'audition de M. Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces, qui est accompagné par Mme Béatrice Bossard, sous-directrice de la justice pénale générale et par Mme Marie-Céline Lawrysz, chef du bureau de la police judiciaire.
Notre commission d'enquête a pu constater, au cours de ses travaux, que les difficultés que les forces de l'ordre rencontrent dans la mise en oeuvre de la procédure pénale, sous la direction du parquet, entrent pour une part non négligeable dans le malaise qu'elles expriment actuellement. Nous avons déjà entendu à ce sujet MM. Beaume et Natali, les auteurs du rapport consacré à la réforme de la procédure pénale au sein des chantiers de la justice.
Certaines des pistes qu'ils nous ont présentées nous ont paru intéressantes mais nous ne sommes pas sûrs qu'elles soient suffisantes pour engager le changement nécessaire. Les membres de la commission d'enquête souhaiteront donc vous interroger pour approfondir ce sujet.
Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Rémy Heitz, Mme Béatrice Bossard et Mme Marie-Céline Lawrysz prêtent serment.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Cette audition a lieu le jour de l'hommage au lieutenant-colonel Arnaud Beltrame et de la marche en hommage à Mireille Knoll. Notre commission d'enquête a été instituée à la suite des suicides qui ont frappé la police et la gendarmerie. L'expression de colère parmi les forces de l'ordre a surpris presque tout le monde. J'avoue pourtant que nous n'en avons pas été surpris, vu les difficultés auxquelles sont confrontés les gendarmes et les policiers dans l'exercice de leurs missions, avec des exigences de plus en plus lourdes, tant de la part des citoyens que de l'État, dans un contexte de menace terroriste élevé, avec des moyens qui ont été sans cesse réduits depuis des années. Nous avons pu mesurer sur le terrain l'étendue de ces difficultés. Nos forces de l'ordre doivent faire face à un risque d'agression physique élevé car certaines franges populations sont très violentes. Les agents ont le sentiment de ne pas être soutenus ni par le pouvoir politique, ni par leur hiérarchie, ni par la justice et les magistrats. Il n'est pas étonnant dès lors que beaucoup se posent la question de savoir si la prise de risque qu'implique leur métier en vaut la peine.
Cette situation soulève aussi la question du fonctionnement de toute la chaine pénale. Au moment où l'on demande aux policiers et aux gendarmes de renouer avec le contact avec la population, on constate qu'ils doivent passer les deux tiers de leur temps en actes de procédures. Il n'en va pas de même dans les autre pays. Libérer le temps des policiers devient impératif. Pour cela il importe de simplifier le code de procédure pénale. Le gouvernement a dévoilé les grands axes de la réforme de la Justice. Il est notamment prévu de « simplifier les régimes procéduraux et les seuils prévus dans le code de procédure pénale pour rendre les enquêtes plus efficaces ». Pourriez-vous nous détailler le contenu de cette proposition et ses conséquences directes pour les enquêteurs ? Comment comptez-vous alléger la charge procédurale qui pèse sur les agents ?
MM. Jacques Beaume et Frank Natali ont fait des propositions, dans le cadre des chantiers de la justice, qui étaient en retrait par rapport aux attentes des forces de l'ordre et qui n'ont, semble-t-il, pas toutes été reprises par le ministère. L'oralisation de certains actes ne serait pas possible sans porter atteintes aux droits de la défense. Qu'en pensez-vous ? Les agents passent une grande partie de leur temps à transcrire des actes de procédure. Cette transcription ne serait pourtant pas nécessaire si l'on utilisait la vidéo. Cette proposition n'a pas été reprise par le ministère. Il y avait là une immense attente des forces de l'ordre qui semble en passe d'être déçue.
Que pensez-vous aussi d'une extension des pouvoirs de police judiciaire des agents de police municipale ? Parmi les charges indues dénoncées par les policiers, il y a les actes de procédure liés à leur intervention lors de certaines interventions réalisées par la police municipale, par exemple en cas de constatation d'une infraction passible d'une contravention mais non d'une amende forfaitaire. Ainsi pour verbaliser des jeunes faisant du tapage nocturne, il faut demander aux policiers nationaux d'entendre les parents des enfants. C'est le type de procédure que les policiers municipaux pourraient réaliser. Les syndicats des policiers nationaux, auparavant très hostiles à cette réforme, conviennent aussi désormais qu'il serait possible d'augmenter les prérogatives des polices municipales dans le code la route : il conviendrait de formaliser dans la loi que tout agent qui met en oeuvre une prérogative de politique judiciaire le fait sous autorité du procureur et de l'officier de police judiciaire compétent. Cela se passe déjà comme cela dans la pratique. Cela déchargerait les policiers de charges indues, tout en revalorisant les missions des policiers municipaux qui ont parfois le sentiment de souffrir d'un manque de considération.
M. Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces. - Depuis ma prise de fonction en août dernier, nous avons beaucoup travaillé sur la simplification de la procédure pénale. La garde des Sceaux a lancé une vaste consultation, dont les chefs de file étaient MM. Jacques Beaume et Frank Natali. Nous avons fait une synthèse de ces travaux et rédigé un projet de loi de réforme de la Justice. Celui-ci est en cours d'examen par le Conseil d'État et sera transmis bientôt au Parlement. Le volet pénal représente la moitié de ce texte. Nous avons entendu les policiers, les gendarmes, les magistrats. Nous faisons le même constat que vous, celui d'un certain découragement des enquêteurs devant l'accumulation des contraintes et des formalités procédurales. Chacun doit pouvoir se concentrer sur son coeur de métier sans être accaparé par des tâches indues. Le mot « confiance » est revenu souvent. Les enquêteurs souhaitent améliorer la relation de confiance au sein de la chaine pénale afin que les relations deviennent plus fluides, moins complexes. Les parquets nous ont aussi fait état d'un manque d'attractivité car les permanences constituent une lourde contrainte. Nous avons lancé une réflexion à ce sujet.
Il nous était donc demandé d'améliorer les conditions de travail de chacun, ce qui n'était pas simple car le temps qui nous était imparti était limité. Beaucoup plaidaient pour une réécriture totale du code de procédure pénale, qui date de 1958, qui est devenu peu lisible et dont la structure est complexe. Les techniques d'enquête ont évolué pour suivre l'évolution de la délinquance. Notre réglementation a suivi, par accumulation de strates successives, et la norme s'est ajoutée à la norme.
Il était inconcevable dans un délai aussi court de réécrire le code de procédure pénale. Nous avons travaillé sur la base des propositions du rapport de MM. Beaume et Natali, dont nous avons repris les deux-tiers, ou des propositions des juridictions...
M. François Grosdidier, rapporteur. - Selon les gendarmes, vous n'auriez repris que 10% de leurs propositions !
M. Rémy Heitz. - On a repris beaucoup plus que cela. La concertation avec le ministère de l'Intérieur a été excellente. Nous avons travaillé main dans la main avec les policiers et les gendarmes. On a aussi constaté que beaucoup de mesures de simplification avaient déjà été prises mais qu'elles n'étaient pas encore appliquées, comme, par exemple, les mesures simplifiant la restitution procédurale des gardes à vue de la loi du 3 juin 2016.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Pourquoi ? Est-ce dû à un manque de formation ?
M. Rémy Heitz. - C'est plus largement dû à un problème général d'inflation des normes. Il faut du temps pour appliquer une nouvelle loi. Il faut aussi adapter les logiciels. On constate aussi des aspirations paradoxales : l'aspiration au changement cohabite avec un certain conservatisme car chacun est habitué à certaines procédures. Le projet de loi sur la réforme de la Justice constitue une boîte à outils qui comporte beaucoup de mesures pour simplifier le travail des magistrats et des enquêteurs à tous les stades de la procédure. Nous avons voulu harmoniser les régimes procéduraux et les seuils. Les seuils ne sont en effet pas les mêmes pour tous les actes d'enquête. La géolocalisation, par exemple, est possible pour les atteintes aux personnes quand la peine encourue est de trois ans, mais elle n'est possible, en cas d'atteinte aux biens, que si la peine encourue est de cinq ans. C'est compliqué pour les enquêteurs ! Nous avons un seuil unique de trois ans, alors que MM. Beaume et Natali proposaient cinq ans. Toute une série de possibilités seront ainsi offertes aux magistrats comme aux enquêteurs avec ce seuil unique. Il est vrai que cela accroit parfois les exigences : ainsi les interceptions téléphoniques qui étaient possibles si la peine encourue était de deux ans le seront désormais à partir de trois ans. Nous avons voulu en effet rédiger un texte équilibré qui renforce la protection des libertés. Toutefois, si l'interception est diligentée sur la ligne d'une personne victime d'appels malveillants, ce seuil ne joue pas.
Ce texte donne aux officiers de police judiciaire et aux agents de police judiciaire plus de liberté. Ils pourront ainsi adresser directement des réquisitions aux organismes publics, sans autorisation du parquet, si cela n'entraine pas de coûts trop importants des frais de justice. L'autorisation du parquet, qui était systématiquement accordée dans les faits, visait à contenir les frais de justice. Les enquêteurs n'auront plus à demander toute une série d'autorisations. L'excès de formalisme nuit aux garanties essentielles car cela détourne les policiers et les procureurs de l'enquête et du contrôle de l'enquête. Un enquêteur n'aura plus à demander une autorisation pour sortir de son ressort. Un avis au parquet suffira. De même, le médecin légiste pourra effectuer des prélèvements lors d'une autopsie sans la présence d'un officier de police judiciaire. Les agents de police judiciaire pourront réaliser des dépistages d'alcoolémie au bord de la route sans la présence d'un officier de police judiciaire. Une prise de sang la présence pourra être effectuée en présence d'une infirmière, la présence d'un médecin ne sera plus obligatoire. Je ne cite que quelques exemples. Ce texte n'est pas le grand-soir de la politique pénale mais comporte une série de mesures qui simplifieront la vie des enquêteurs, des magistrats et des parquets.
Toutefois la voie est étroite car le formalisme est souvent justifié par la protection des libertés fondamentales. Ainsi il est difficile de modifier le régime de la garde à vue car celui-ci est largement défini par des directives européennes, que nous n'avons pas surtransposées, contrairement à ce que l'on entend parfois. Ainsi la présence d'un avocat lors de la garde à vue est prévue par une directive européenne et nous ne pouvons revenir sur ce point. Ces limites expliquent un peu la frustration des policiers et des gendarmes qui auraient aimé que l'on aille plus loin.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Ils sont épuisés par la transcription systématique de nombreuses pages de procédure. Cela pose la question de l'oralisation des procédures.
M. Rémy Heitz. - Nous avons tenu compte des possibilités ouvertes par les nouvelles technologies. Il sera ainsi possible de déposer une plainte en ligne. Nous réfléchissons avec le ministère de l'Intérieur à un projet de procédure pénale numérique unique avec une dématérialisation dès l'origine des procédures permettant de transférer les actes entre tous les acteurs beaucoup plus facilement. L'oralisation est une fausse bonne idée. Les actes d'une procédure pénale sont destinés à circuler au gré de l'enquête entre les enquêteurs, le parquet, les magistrats. Comment exploiter des documents audiovisuels ?
M. François Grosdidier, rapporteur. - Mais ces documents se partagent facilement !
M. Rémy Heitz. - Un clic suffit pour les envoyer en effet, mais comment les magistrats ou les enquêteurs pourront-ils retrouver une phrase ou une donnée ? Actuellement avec les moteurs de recherche c'est très simple dans des documents numériques. À l'inverse, il est très difficile d'exploiter une procédure oralisée. Les policiers et les gendarmes l'ont reconnu, tout comme d'ailleurs M. Beaume ou M. Jacquet, procureur à Rennes, qui défendaient cette idée. Les actes d'une procédure sont en effet destinés à être lus, sous quelque format que ce soit. Le projet de procédure numérique prévoit une procédure avec des pièces jointes numérisées : ainsi une audition filmée pourra être transmise par un simple lien hypertexte. De même, certaines phases de procédure pourront sans doute être oralisées par la suite : ainsi, pour les notifications de droits en garde à vue, un renvoi dans le procès-verbal à la bande audiovisuelle semble suffisant. En revanche les documents de fond ne peuvent être exploités que par écrit.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Ne serait-il pas possible de décider de la transcription éventuelle à un stade ultérieure de l'enquête, en fonction de l'intérêt des éléments ? Les policiers considèrent que 80 % de ce qu'ils rédigent dans les procédures n'est pas lu, ou du moins suivi d'effet !
M. Rémy Heitz. - Ayant exercé en juridiction longtemps, je sais que ce n'est pas le cas. Même si certains procès-verbaux sont standardisés, le magistrat est obligé de lire les pièces du dossier attentivement s'il veut le comprendre.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Même si cela donne lieu à un classement sans suites ?
M. Rémy Heitz. - Oui. D'autres mesures de simplification concernent aussi les magistrats du siège ou du parquet. Le texte prévoit aussi une expérimentation d'un tribunal criminel départemental qui devrait permettre de juger les affaires en assises plus rapidement. L'idée est bien de rendre la procédure pénale plus fluide et plus efficace. Le pouvoir des enquêteurs pour l'exécution des mandats de recherche ou des ordres de comparution du parquet sera accru.
L'augmentation des pouvoirs des polices municipales est un sujet récurrent. Sur ce point, je souhaite que les procureurs soient bien associés à la répartition des compétences telle qu'elle s'effectue à travers les conventions locales. On pourra ainsi prévoir les missions que la police municipale pourra effectuer en matière de police judiciaire et fixer les limites de son intervention.
Aujourd'hui, la dépénalisation des infractions au stationnement va entraîner une moindre mobilisation des policiers municipaux qui dégagera une marge de progression. Il sera possible de leur conférer des prérogatives supplémentaires, à condition de veiller à ce que le niveau de recrutement et de formation soit harmonisé vers le haut. Il a déjà augmenté, et les policiers municipaux peuvent valablement intervenir sur certaines infractions.
Reste une question à traiter en lien avec la forfaitisation, de plus en plus répandue, et de l'utilisation qu'ils pourront faire de ces nouveaux outils. Il reste des progrès à accomplir.
Nous avons la volonté de réformer et de simplifier, dans le respect de nos engagements et des principes constitutionnels, afin d'envoyer un message positif aux forces de sécurité intérieure, car nous souffrons que des policiers et des gendarmes, dans une moindre mesure, fuient le travail de police judiciaire et tendent à préférer les filières administratives ou de maintien de l'ordre.
M. François Grosdidier, rapporteur. - La crise des vocations des officiers de police judiciaire touche la police, plus que la gendarmerie, sans même parler des OPJ qui rendent leurs habilitations à l'Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants (OCRTIS) !
M. Rémy Heitz. - Ce problème est très spécifique.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Certes, mais il faudrait sans doute enfin établir une doctrine entre le parquet et la police, qui survive au changement de magistrat.
M. Rémy Heitz. - Nous avons créé un groupe de travail à la Chancellerie pour réfléchir aux questions relatives aux livraisons surveillées et au statut des informateurs, qui n'est pas clair dans nos textes. Ce type d'affaires doit être mieux suivi par la justice.
Notre texte prévoit aussi une simplification de l'enquête sous pseudonyme, menée par des cyberpatrouilleurs sur internet, chargés de dévoiler des comportements infractionnistes, tels que de la pédopornographie ou du trafic de stupéfiants. Nous avons clarifié ce régime, ainsi que les techniques spéciales d'enquêtes : IMSI-catcher, captation de données informatiques, sonorisation et captation d'images. Ces trois techniques obéissent aujourd'hui toutes à des régimes différents, nous avons commencé à harmoniser les délais et les procédures.
Mme Brigitte Lherbier. - Je suis universitaire et je dirigeais il y a peu l'Institut d'études judiciaires, qui prépare aux concours de commissaire et de magistrat. J'ai constaté un curieux phénomène : nous avions devant nous des étudiants très désireux de passer ces concours pour travailler dans le judiciaire. Pourtant, quelques années après, quand nous les retrouvons, ils souhaitaient s'orienter vers des voies plus tranquilles. Les métiers du judiciaire sont lourds, disent-ils, et nous sommes ciblés, alors que d'autres secteurs plus calmes sont aussi avantageux en termes de carrière.
Comment expliquer un tel changement entre vingt-cinq et trente ans ? Ne peut-on pas envisager de valoriser dans le déroulement de carrière les métiers de terrain par rapport aux affectations plus tranquilles ? Cela aurait un effet incitatif envers des jeunes gens qui avaient la vocation du judiciaire.
S'agissant des plaintes en ligne, j'ai été adjointe à la sécurité de Tourcoing. Les citoyens venaient me voir pour me raconter ce qu'ils avaient enduré. Les plaintes en ligne sont nécessaires, mais qu'en est-il alors de la nécessaire dimension humaine ? Il est important également d'écouter les gens pour entendre ce qu'ils ont subi.
M. Alain Cazabonne. - Vous avez parlé de deux ans, trois ans ou cinq ans en matière de captation et de géolocalisation, de quoi s'agissait-il ?
M. Rémy Heitz. - La possibilité de recourir à ces techniques durant l'enquête dépend de la peine encourue.
M. Vincent Capo-Canellas. - Vous avez évoqué la possibilité d'utiliser la police municipale dans le temps libéré par les nouvelles dispositions de contrôle du stationnement. Les policiers municipaux peuvent observer le terrain et faire remonter des informations, ils ont parfois noué le contact sur le terrain et peuvent donc effectuer un peu de collecte de renseignement. Quelle perspective d'évolution de leurs missions envisagez-vous ? Il faut garder à l'esprit l'hétérogénéité qui règne au sein du corps des polices municipales.
M. Rémy Heitz. - S'agissant, d'abord, de la crise des vocations dans les métiers du judiciaire, nous en faisons également le constat que vous, madame la sénatrice, et nous la déplorons. Beaucoup de policiers et de gendarmes se détournent de la voie judiciaire. Les policiers ont accès à des fonctions très diverses et les unités de maintien de l'ordre recrutent beaucoup. Les magistrats disposent de moins d'options, mais ce mouvement se produit entre le parquet et le siège.
Il est difficile d'avancer une seule explication à ce phénomène, mais les conditions de travail jouent un rôle. Le travail judiciaire impose beaucoup d'obligations et d'astreintes, le travail se fait dans une course permanente contre le temps, avec des durées encadrées, des délais de flagrance, par exemple, etc. Nous allons préparer des adaptations sur ces différents points. Ces contraintes créent, à la longue, de la fatigue et du découragement.
D'autres facteurs entrent en jeu : la pression médiatique, la critique facile dans les médias, le niveau d'exigence des citoyens, des victimes comme des auteurs, qui demandent des actes. Nous recevons nous-mêmes des courriers qui nous donnent le sentiment que nous ne faisons jamais assez bien. Il en va de même dans les parquets.
Mme Brigitte Lherbier. - Peut-on envisager que ces éléments soient pris en compte dans l'évolution des carrières ?
M. Rémy Heitz. - J'aimerais qu'il en soit ainsi, mais, s'agissant des forces de sécurité intérieure, je ne suis pas habilité à vous répondre, car cela ne relève pas de ma compétence.
En ce qui concerne les magistrats, le sujet est sur la table, une mission a été confiée à l'inspection sur l'attractivité. Les magistrats sortant de l'école sont affectés au parquet ou au siège, et les incertitudes pesant sur le statut de magistrat du parquet jouent un rôle important. Les jeunes magistrats qui ont le choix préfèrent parfois être rejoindre rapidement le siège, qui, malgré une charge de travail importante, leur offre plus de confort en termes d'organisation et de possibilité de conciliation avec leur vie personnelle. Ces changements d'affectation des jeunes magistrats du parquet après quatre ou cinq ans nous posent une difficulté réelle. Comme président du tribunal de grande instance de Bobigny, j'ai ainsi accueilli chaque année une cohorte de jeunes parquetiers, ce qui est une source d'incompréhension avec la police et la gendarmerie, car ces magistrats ne maîtrisent pas toujours les codes nécessaires pour établir une relation de confiance avec la police. L'ENM et les chefs de juridiction doivent travailler à aplanir ce choc des cultures.
Mme Brigitte Lherbier. - Les jeunes commissaires de police se retrouvent également dans des positions très difficiles, il est curieux d'en parler plus pour les magistrats que pour les policiers !
M. François Grosdidier, rapporteur. - Ressentez-vous également que la question des officiers de police judiciaire se pose de manière plus aiguë dans la police que dans la gendarmerie ? Des parquetiers nous disent qu'ils regrettent d'être contraints, parfois, de mener des enquêtes à la place des officiers de police judiciaire et de gérer en direct les agents de police judiciaire, alors que les officiers sont accaparés par d'autres tâches.
M. Rémy Heitz. - Sur cette question, la différence entre police et gendarmerie est réelle. La pression est forte sur la police, parce que les problématiques urbaines sont sans doute plus prégnantes aujourd'hui. La fonction de police judiciaire est valorisée dans la gendarmerie, et attire les gendarmes, en raison, par exemple, des efforts menés en matière de police technique et scientifique, avec le développement du plateau de Cergy et la réussite de grandes enquêtes grâce à la persévérance des gendarmes et à la mobilisation de nouveaux moyens. Les unités de police sont également très performantes et très mobilisées.
M. François Grosdidier, rapporteur. - Je parlais plutôt des sûretés départementales.
M. Rémy Heitz. - Nous devons mener une réflexion afin de valoriser et de fidéliser les effectifs dans ces filières. Les grandes juridictions de la région parisienne, par exemple, souffrent d'un turn-over très élevé.
Pour éviter de devoir accorder des congés spéciaux ou des disponibilités aux jeunes magistrats, nous sommes conduits à faire droit à des demandes de mutation au bout de deux ans au lieu de trois, ce qui provoque une certaine instabilité qui nuit à l'instauration de la confiance.
Mme Béatrice Bossard, sous-directrice de la justice pénale générale. - Les magistrats du ministère public ont en effet parfois le sentiment de faire le travail des commissaires, cela apparaît dans les rapports qui remontent vers la direction. Nous avons tous été des magistrats du ministère public et nous l'avons nous-mêmes constaté.
Les réformes successives de la police nationale ont pu conduire à confier à la hiérarchie intermédiaire des missions de pilotage, de gouvernance, de gestion des ressources humaines, et les évolutions de carrière ont conduit des commandants fonctionnels expérimentés et très compétents vers le renseignement.
Dans les commissariats, des jeunes policiers sortant de l'école ont donc pu manquer d'un encadrement intermédiaire direct. De ce fait, leurs interlocuteurs privilégiés sont les substituts du procureur, grâce, en particulier, à la permanence téléphonique. Ces derniers sont donc mis sous pression et cela les conduit à une forme de découragement.
Nous avons échangé à ce sujet avec la Direction générale de la police nationale comme avec la Direction générale de la gendarmerie nationale et des efforts ont été faits avec, par exemple, le renforcement du rôle des directeurs départementaux adjoints de la sécurité publique. Ces mesures ont été très récemment mises en oeuvre, dans la police comme dans la gendarmerie. C'est un enjeu important.
M. Rémy Heitz. - S'agissant des plaintes en ligne, le maintien d'une relation humaine est nécessaire. En la matière, le système de pré-plainte fonctionne bien, il est suivi d'un renvoi vers le service qui accueillera le plaignant en lui fixant un rendez-vous afin d'éviter une longue attente. Nous apprenons en marchant, nous commençons à créer des brigades numériques, afin de nous adapter à ces nouveaux modes.
Grâce à ces techniques, des victimes qui ne portaient pas plainte pour certains faits de vol, par exemple, parce qu'elles n'en avaient pas vraiment le temps, pourront le faire depuis leur domicile, le soir. Cela permettra d'éclairer le chiffre noir de la délinquance méconnue.
Monsieur Capo-Canellas, s'agissant des polices municipales, il existe des marges de progrès, mais il faut mettre en place un échange au plan local entre le procureur, le directeur départemental de la sécurité publique et les polices municipales afin d'articuler les interventions des différents acteurs. Il est également nécessaire de réfléchir à leur champ de compétence. Nous avançons vers la subsidiarité dans une logique de coproduction de la sécurité.
De même, beaucoup de sociétés privées interviennent, pour des missions de surveillance en particulier. Nous devons veiller à articuler le rôle de chacun, en étant attentifs au niveau de formation et aux missions, car on ne peut pas déléguer à n'importe qui des actes attentatoires aux libertés.
M. Jean Sol. - En quoi ce projet de loi renforcera-t-il l'attractivité des métiers d'enquêteur ? Qu'est-ce qui changera concrètement en ce qui concerne les gardes à vue ? Ces textes permettront-ils à eux seuls de permettre aux forces de l'ordre de retrouver confiance ?
M. Rémy Heitz. - Concernant la garde à vue, les marges d'évolution sont très limitées, compte tenu de nos engagements conventionnels. Nous avons prévu d'accorder au procureur la possibilité de dispenser l'OPJ de présentation de la personne pour obtenir une prolongation de garde à vue, car cela introduit une coupure perturbante dans les investigations, notamment pour ce qui concerne des gardes à vue longues. Il ne s'agit pas d'une révolution, mais cette mesure répond à une demande, et sera incluse dans le projet de loi de programmation pour la justice.
Cela contribuera à renforcer l'attractivité des carrières judiciaires, mais d'autres avancées seront également nécessaires concernant le confort de vie, la pression subie, etc. La seule procédure pénale ne suffira pas à répondre à cette question, mais constituera un pan d'un plan global de renforcement de l'attractivité et d'amélioration de la relation de confiance entre enquêteurs et magistrats, laquelle doit être au coeur de l'enquête. Nous devons la retrouver au sein de toute la communauté judiciaire, y compris avec les avocats. Elle doit unir tous les acteurs de la chaîne pénale.
La réunion est close à 17 h 15.