Mardi 20 mars 2018
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 14 heures.
« Pour un nouveau modèle de financement de l'audiovisuel public : trois étapes pour aboutir à la création de « France Médias » en 2020 » - Présentation du rapport d'information de MM. Jean-Pierre Leleux et André Gattolin
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - J'ai souhaité que nous nous réunissions dans la perspective de la réforme de l'audiovisuel public annoncée par le Président de la République. Le Sénat ne part pas de rien, nous travaillons depuis longtemps sur ce sujet, dans la continuité et l'exigence. À la différence de l'Assemblée nationale, nous avons déjà proposé des pistes de réforme et en avons une vision assez claire.
J'ai souvent fait référence au rapport de nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin. J'avais souhaité que nous travaillions avec la commission des finances - qui dispose d'un pouvoir d'investigation - sur cette réforme, et notamment sur la réforme de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) annoncée par le précédent Président de la République à la suite d'un colloque au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Cette réforme de la CAP a sans cesse été repoussée, mais nos analyses restent d'actualité.
Comme nous devons tous disposer du même niveau d'information, j'ai souhaité que les auteurs du rapport vous le présentent. André Gattolin est de nouveau membre de notre commission de la culture après avoir été membre de la commission des finances. Selon des acteurs majeurs du secteur, le Sénat est la seule institution disposant d'une vision cohérente sur la réforme de l'audiovisuel public - qu'ils soient d'accord ou non avec ses propositions. Certaines préconisations ont été reprises ici et là. Ce rapport constitue une base utile.
M. André Gattolin. - Il y a un peu plus de deux ans, nous avions présenté ce rapport lors d'une réunion commune des commissions de la culture et des finances. J'étais alors rapporteur spécial du budget de la culture à la commission des finances. Nous avions réalisé une analyse non seulement culturelle, mais aussi profondément économique et technologique de la télévision française et du financement de l'audiovisuel public. Nous vous présenterons la situation ainsi que nos recommandations.
Le secteur de l'audiovisuel a été profondément bouleversé par les évolutions technologiques, par l'arrivée d'acteurs transnationaux et par la révolution des usages et des pratiques qui n'a fait que s'accélérer ces trois dernières années.
Dans les années 1970, on ne comptait que trois chaînes de télévision, toutes publiques - TF1, Antenne 2, FR3 et des radios publiques. Quelques radios privées disposaient de dérogations comme RMC, RTL et Europe 1 et émettaient depuis l'étranger, sous convention. Dans les années 1980, on assiste à une explosion de la FM et des télévisions privées, à la suite de la réforme de 1982.
Depuis 2000, l'offre a été démultipliée avec le développement du câble, du satellite et de l'ADSL. Aujourd'hui, 27 chaînes sont accessibles sur la télévision numérique terrestre (TNT), gratuites, disponibles sur la quasi-totalité du territoire, et de très nombreuses radios sont disponibles sur Internet.
Dernière mutation, « la délinéarisation » permet de réécouter des programmes de télévision ou de radio. L'émergence des plateformes créées par des acteurs internationaux - Netflix, Amazon... - permet d'accéder à des programmes, payants, en tout lieu et à tout moment. Cette forte délinéarisation constitue un péril très sérieux pour les médias traditionnels - le secteur public mais aussi les chaînes privées historiques comme TF1 ou M6.
L'organisation de l'audiovisuel public est devenue archaïque. L'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) a été créé en 1964, avant que son monopole de diffusion ne soit remis en cause par loi du 7 août 1974. Il n'existait pas de chaînes privées. L'ORTF a été fragmentée en différentes sociétés. Actuellement, le secteur de l'audiovisuel public rassemble moins de 30 % des audiences radio, et encore moins pour la télévision. L'émiettement résultant des lois de 1974, de 1982 et de 1986 - qui ont accru la concurrence - est devenu une faiblesse. Le service public est en difficulté.
Lors de l'adoption de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, ouvrant l'audiovisuel au marché, Internet n'existait pas. Désormais, le secteur de l'audiovisuel traditionnel est « hyper régulé » alors que les plateformes étrangères ne sont soumises à quasiment aucune règle. La directive européenne « Service des médias audiovisuels » (SMA) que la future loi devra intégrer est un début de tentative de régulation sur des acteurs transnationaux passant par des canaux différents, avec d'importants enjeux dans la distribution des chaînes. Même le monopole de diffusion par ondes hertziennes ou la TNT est battu en brèche. La répartition de la valeur va évoluer, avec une concurrence entre éditeurs et distributeurs.
La réglementation de la production audiovisuelle impose aux chaînes des contraintes importantes pour la création mais limite leurs droits sur ces programmes pour l'exploitation et la rediffusion, alors qu'ils sont de plus en plus consommés de manière délinéarisée : les droits des chaînes finançant un programme sont perdus au bout de 36 mois. Une remise à plat de la réglementation est nécessaire.
M. Jean-Pierre Leleux. - Le modèle de l'audiovisuel public est bouleversé par la révolution numérique. L'adaptation à cette révolution n'est pas au rendez-vous. Le financement de l'audiovisuel public repose principalement sur la CAP - ou «redevance » - dont le produit s'élève à 3,7 milliards d'euros. Son assiette repose sur la seule possession d'un téléviseur « familial dans le salon ». Le produit de la redevance baissera en raison des autres moyens disponibles pour regarder la télévision, comme les smartphones ou les tablettes. Cette première source de financement est fragile.
Deuxième source, la recette tirée de la publicité est en baisse en raison de la fuite des contrats publicitaires vers les grandes plateformes numériques. Elle ne rapporte que 350 millions d'euros à France Télévisions et 40 millions d'euros à Radio France, soit entre 12 et 15 % de leur financement global.
La taxe sur les opérateurs de communications électroniques (TOCE) créée en 2009 pour compenser la suppression de la publicité au-delà de 20 heures a été adoptée pour financer France Télévisions. Mais elle a été progressivement détournée de son objet par le ministère des finances qui récupère une grande partie de cette taxe. Sur les plus de 200 millions d'euros de recettes, seuls 85 millions reviennent à France Télévisions - sachant que Bercy peut toujours en récupérer davantage lors du débat budgétaire...
Il ne faut pas aborder ce sujet uniquement par le volet financement, mais aussi via la gouvernance et la législation afin de libérer l'audiovisuel public. Les entreprises de l'audiovisuel public sont difficiles à réformer. La multiplicité des tutelles - ministère de la culture, Bercy, CSA, Parlement... - favorise l'éparpillement. Les dirigeants de ces entreprises sont réticents à faire des économies pour préserver le climat social. D'année en année, l'étau se resserre. Il n'est pas simple de faire bouger les choses.
Alors que l'audiovisuel a été regroupé en Grande-Bretagne avec la BBC, en Espagne avec la RTVE, en Belgique avec la RTBF, en Suisse avec la SSR, l'éclatement du paysage français en six sociétés ou plutôt quatre plus deux - France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, Institut national de l'audiovisuel (INA), sachant qu'Arte et TV5 Monde ont des partenariats avec des pays étrangers - rend difficiles les mutualisations tant dans la production de contenus que des structures. Faute de volonté forte pour restructurer les services, chaque société développe de nouveaux projets sans remettre en question les missions existantes et les coûts augmentent chaque année.
M. André Gattolin. - Nous proposons une réforme systémique portant à la fois sur la gouvernance, les contenus, les structures et le financement. Il faut repenser la gouvernance pour renforcer l'indépendance et permettre des choix stratégiques. Les entreprises de l'audiovisuel public doivent être bien gérées et ne remplir strictement et uniquement que leur rôle. Elles doivent être regroupées afin de favoriser des mutualisations au travers soit d'une holding - regroupant France Télévisions, Radio France, l'INA, France Médias Monde et Arte France, car Arte Allemagne est aussi sous tutelle des chaînes publiques allemandes ARD et ZDF - soit d'une présidence commune à France Télévisions et à Radio France.
Les dirigeants de l'audiovisuel public doivent être nommés par les conseils d'administration des entreprises selon le droit commun plutôt que d'émaner du CSA, organisme de régulation, de contrôle voire de sanction. Il est difficile à la fois de nommer et de contrôler.
La tutelle de l'État doit être allégée pour préserver l'indépendance. Les conseils d'administration comptent quatre - pour Radio France - ou cinq - pour France Télévisions et France Médias Monde - représentants de l'État, tenant souvent des discours contradictoires. L'Agence des participations de l'État (APE) pourrait se substituer aux ministères de la culture et des finances dans les conseils d'administration. L'État aurait deux représentants et le conseil d'administration serait davantage ouvert à des personnes disposant de compétences spécialisées, afin de prendre de vraies décisions. Réduisons la représentation de l'État, sans toucher à la représentation syndicale.
Ayons des contenus véritablement distincts de ceux des médias privés. Tous les ans, le CSA publie une étude sur la réalisation des contrats d'objectifs et de moyens des grandes sociétés publiques, notamment France Télévisions. Celle du 27 octobre dernier sur France Télévisions dénonçait le manque de différenciation des programmes entre chaînes publiques et entre France Télévisions et l'offre privée. Cette distinction doit exister. Sur France 2 et France 3, il y a chaque jour neuf heures d'émissions de jeux - et un seul concept français, « Des chiffres et des lettres ». Est-ce la vocation du service public de diffuser neuf heures de jeux quotidiens ?
Jean-Pierre Leleux propose d'interdire la diffusion de films et séries américaines sur France Télévisions, comme le fait la BBC. Je pense qu'elle devrait au moins être régulée. La télévision publique finance de nombreux programmes patrimoniaux - documentaires, séries, films de télévision - et de cinéma. Pourquoi recourir autant en prime time à des émissions d'origine anglo-saxonne ?
La publicité pourrait être supprimée sur le service public, sachant que son produit décroît. De plus en plus, la publicité s'intéresse aux données personnelles. Ce n'est pas le rôle du service public, qui doit conserver l'anonymat des données. Réservons la publicité traditionnelle aux chaînes privées et trouvons d'autres formes de financement, comme les ressources liées aux droits.
Une plus grande exigence doit caractériser la programmation afin de renforcer l'attractivité des créations audiovisuelles. Les précédentes lois prévoyaient de favoriser la diffusion et l'accessibilité de la culture. Ces émissions sont de plus en plus rares. France Télévisions diffuse douze pastilles sur les livres et France 5 possède une seule émission littéraire, « La grande librairie ».
Il faut aussi attirer des publics jeunes, qui ne regardent plus la télévision publique, ni les chaînes traditionnelles. De nouveaux comportements médias apparaissent en Suisse et au Danemark, la redevance est contestée. Au Danemark, les moins de 35 ans ne regardent plus la télévision classique. Le service public doit être réactif et proposer des contenus et des programmes sous différentes formes, tout en abreuvant tous les publics de contenus, plutôt que de réserver la télévision aux plus de 60 ans.
M. Jean-Pierre Leleux. - Il faudrait mutualiser les structures. Nous pourrions optimiser les services de l'audiovisuel public en rapprochant des fonctions support - ressources humaines, finances, communication, informatique - ou les gérer ensemble pour plus d'efficacité.
Certains services « contenus » - information, sport, culture - pourraient être fusionnés pour donner naissance à des services communs. Un regroupement des réseaux locaux doit être expérimenté, non pas pour faire des économies - elles en seraient une conséquence - mais pour plus de synergies au profit d'un objectif commun. L'ensemble des contenus doit être accessible sur une même plateforme commune à France Télévisions, Radio France, l'INA, Arte France, TV5 Monde... Nous n'avons pas les moyens de nous disséminer face à des plateformes plus puissantes techniquement et financièrement.
Le financement de l'audiovisuel public est fragile. La CAP doit être réformée « à l'allemande », et s'appliquer à l'ensemble des foyers : chaque citoyen a accès au contenu de l'audiovisuel public, et pas seulement sur un téléviseur. En moyenne, selon une étude récente, une famille détient sept écrans.
La suppression de la publicité dans l'audiovisuel public ne fait pas l'objet d'un débat ; André Gattolin et moi sommes en désaccord. Nous souhaitons une publicité raisonnée. À titre personnel, je suis favorable à la suppression totale de la publicité sur l'audiovisuel public, même si cela provoquera à court terme un manque à gagner. Il faut le prévoir suffisamment tôt.
De même, nous avons débattu de l'opportunité de supprimer ou non les séries américaines. Bien sûr, certaines d'entre elles sont de très bonne qualité. Mais il faut pouvoir reconnaître immédiatement le service public lorsqu'on allume son téléviseur ou sa tablette. Donnons une couleur particulière de service public à nos chaînes, sinon elles mourront. Cette différenciation se fera bien sûr par la qualité des contenus - même si des chaînes privées ont également des contenus culturels - mais la suppression de la publicité est aussi un marqueur, de même que celle des séries américaines. Cela favorisera la promotion et le financement de la création française et européenne et rendra attractif l'audiovisuel public.
Les Suisses ont voté, à plus de 70 %, pour le maintien de la redevance audiovisuelle. Je n'ose imaginer le résultat si la France avait organisé une telle consultation la semaine dernière, alors que la redevance suisse est trois fois plus élevée... Les Français doivent se réapproprier le service public. N'augmentons pas le tarif de la redevance car on ne peut prélever davantage, mais un élargissement équitable de l'assiette maintiendrait les financements, voire compenserait l'absence de publicité.
Mme Laure Darcos. - J'ai récemment rencontré un responsable de France Télévisions, qui m'a parlé d'un programme, ouvert depuis début février et destiné aux jeunes de 18 à 35 ans : « France.tv/slash ». Or, personne n'est au courant de ce nouveau programme, qui est pourtant intéressant - je suis allée regarder !
Il est vrai, comme le disaient nos rapporteurs, que les jeunes générations ne regardent plus la télévision. Cet état de fait a plusieurs conséquences. Il faut réfléchir à un éventuel élargissement de la redevance, mais il faut aussi que les chaînes utilisent mieux les outils dont elles disposent.
La question centrale est de trouver les vecteurs à même de toucher les jeunes et de les informer de l'existence de programmes adaptés. Aujourd'hui, il existe vraiment deux mondes audiovisuels, qu'il est nécessaire de faire cohabiter.
Mme Samia Ghali. - Ce n'est pas le rôle du service public audiovisuel de rivaliser avec les autres chaînes - je pense par exemple à celles qui diffusent des émissions de téléréalité... En revanche, il a évidemment une mission éducative, en particulier pour l'apprentissage des langues : s'il existait des émissions ou des dessins animés ludiques, mais aussi éducatifs, les parents y orienteraient eux-mêmes leurs enfants. Il me semble que cet aspect manque aujourd'hui, alors qu'il participe d'une autre façon de regarder la télévision.
Enfin, n'oublions pas que les jeunes enfants ne regardent plus du tout la télévision, mais sont en permanence sur des tablettes !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Les seniors aussi utilisent beaucoup les tablettes et regardent des émissions en replay. Le raisonnement que nous tenons en parlant des jeunes peut donc être tout aussi pertinent pour les personnes âgées. Les évolutions en cours doivent nous permettre d'améliorer l'offre pour toutes les générations.
M. Michel Savin. - France Télévisions est aujourd'hui confrontée à un problème : sa capacité à répondre à des appels d'offres pour retransmettre de grands événements sportifs. Si nous décidons de supprimer entièrement la publicité pour l'audiovisuel public, il est clair qu'un problème de ressources se posera. Or, le risque est déjà grand que France Télévisions ne puisse plus retransmettre qu'une part limitée des événements sportifs - la question va d'ailleurs se poser très vite pour les Jeux olympiques de 2024. C'est aussi une question d'attractivité pour l'audiovisuel public.
M. Olivier Paccaud. - Et de démocratisation !
M. Laurent Lafon. - Je m'interroge sur la notion d'identité, qu'il est difficile de définir et d'imposer, surtout face à l'extrême concurrence du paysage audiovisuel. Il est évident qu'elle doit être différente pour un média public, mais aller plus loin dans la définition n'est pas évident, sauf pour une télévision - disons - élitiste comme Arte, dont tout le monde reconnaît par ailleurs les qualités. L'identité de l'audiovisuel public doit-elle reposer uniquement sur certains créneaux horaires, par exemple ceux destinés à l'information ? Comment réussir à définir cette identité, sans pour autant créer une chaîne élitiste et peu regardée ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - Ce rapport est particulièrement intéressant ; nous devons maintenant trouver des solutions aux problèmes soulevés ! Or, à la suite des auditions que nous avons déjà menées, j'ai parfois l'impression d'être en tongs devant l'Everest...
En ce qui concerne l'audience et la différenciation, il ne faut pas se payer de mots ! Il faut utiliser les outils pertinents, par exemple le marketing, car les jeunes sont déjà très loin de la télévision et s'intéressent à d'autres choses. En outre, il ne faut pas être réfractaire a priori au business.
Je suis musicien, je joue de la batterie et je suis tombé, par hasard, à la télévision, sur un documentaire qui portait sur Ginger Baker. Ce documentaire, qui passait tard, était d'une très grande modernité et aurait forcément intéressé des jeunes, mais comment leur amener de tels contenus culturels ? L'audiovisuel public, qui doit évidemment nous tirer vers le haut, doit être en capacité de répondre à cette question.
La suppression de la publicité peut constituer une réponse en termes de différenciation, mais l'offre globale doit s'inscrire dans une approche précisément évaluée et ciblée. Il faut aussi être conscient que se fixer des objectifs d'audience peut être contradictoire.
Enfin, il ne faut pas oublier le rôle central du monde enseignant, qui est un véritable prescripteur de contenus, y compris pour l'audiovisuel.
Mme Sonia de la Provôté. - En effet, le rapprochement avec l'éducation nationale est indispensable. Les enseignants puisent déjà beaucoup d'éléments dans les contenus audiovisuels et les utilisent comme outils pédagogiques. Dans le même temps, cela permet aux jeunes de mieux connaître l'audiovisuel public.
On a souvent l'impression que l'information est traitée de la même manière sur l'audiovisuel public que sur les autres chaînes. Or, le secteur public ne doit pas céder au sensationnel ; au contraire, il doit donner au spectateur le contexte nécessaire et le protéger des fake news.
Je voudrais aussi rappeler l'intérêt des télévisions locales, qui peuvent beaucoup apporter si elles permettent de fournir une information globale et cohérente sur un territoire.
Enfin, les différentes applications mobiles et les plateformes de podcasts de l'audiovisuel public ont encore des progrès à faire en termes d'intuitivité et d'accessibilité dans le temps.
Mme Dominique Vérien. - Comme on le voit en Grande-Bretagne avec la BBC, il est très important d'offrir très tôt aux enfants une télévision de qualité, afin de les habituer pour plus tard, y compris si les supports changent.
En ce qui concerne la méthode, je crois que nous devons nous fixer un nombre restreint d'objectifs - je pense d'abord à l'information et à la culture. À partir de là, nous pourrons avancer sur la définition des chaînes et leur organisation.
M. Stéphane Piednoir. - Le rapport que vous aviez publié en 2015 évoquait la suppression de la publicité pour les émissions destinées à la jeunesse.
M. André Gattolin. - C'est effectif depuis le 1er janvier 2018 !
M. Stéphane Piednoir. - Cet exemple, comme celui de la suppression de la publicité aux heures de grande écoute, montre que la perception de certaines propositions évolue avec le temps.
Je rejoins ce qu'indiquait tout à l'heure Laurent Lafon : un marqueur est sûrement nécessaire pour l'audiovisuel public, mais sans aller jusqu'à une télévision monochrome avec un seul type d'émissions ! On le sait, le nom même d'Arte peut faire fuir le public... La télévision doit s'adresser à tout le monde, y compris dans le secteur public.
Les rapporteurs ont évoqué la question du regroupement de l'audiovisuel public, mais je ne crois pas qu'ils aient soulevé la question de la suppression de certaines chaînes. À mon avis, nous devons aussi nous interroger sur le nombre de ces chaînes.
M. Pierre Laurent. - Nous ne pouvons pas nous dispenser d'une réflexion globale sur le paysage audiovisuel dans son ensemble. Le périmètre actuel du service public, qui découle de différentes évolutions depuis la privatisation de TF1, n'est pas une donnée intangible ou alors, il ne cessera de se réduire ! En outre, on ne peut pas demander à l'audiovisuel public, dont les moyens diminuent, de faire face seul aux problèmes qui ont été soulevés et qui sont gigantesques. Surtout si on s'interdit d'aller chercher des ressources supplémentaires !
Je note aussi qu'il n'y a pas de groupe public dans le secteur du numérique ou de la téléphonie. Ils ont été privatisés ! Une réflexion plus globale sur l'état du paysage audiovisuel et ses acteurs sera donc un éclairage indispensable au processus qui commence. Au-delà de la notion de périmètre, elle permettrait par exemple, de réfléchir en termes de logique de service public. La question de la retransmission des épreuves sportives illustre cela : si l'on ne réfléchit qu'en termes de ressources, il est clair que l'audiovisuel public en sera exclu. Il faut donc élargir le spectre de nos réflexions.
Par ailleurs, je m'inquiète de la méthode qui va être utilisée pour le débat à venir. Lors du débat organisé en séance plénière le 20 février dernier, j'ai interrogé la ministre de la culture à ce sujet et elle m'a répondu que des « préconisations » seraient présentées fin mars... Or, si l'on regarde ce qui a pu se pratiquer sur d'autres sujets, nous avons certes eu le droit de débattre, mais uniquement sur les préconisations du Gouvernement ! Il me semble au contraire qu'une grande période de débat public - pas un mois ou deux - est nécessaire et que ce débat, dont les modalités doivent être innovantes, ne doit pas porter que sur un seul scénario, une seule hypothèse... Je suis persuadé que le public dans son ensemble serait très intéressé par un tel débat.
M. Jean-Pierre Leleux. - Toutes ces remarques sont très intéressantes et posent une question fondamentale : dans le paysage audiovisuel actuel, un service public est-il indispensable ? Certains estiment que non, mais ce n'est pas notre position : devant la pléthore de chaînes et de canaux de diffusion et le développement des fake news, un service public est nécessaire pour défendre l'intérêt général et la qualité des débats. À partir de cette réponse, il est cependant nécessaire d'avancer et de redéfinir les missions du service public.
En ce qui concerne les modalités du débat, je crois qu'il doit être public et large. En Grande-Bretagne, un tel débat a lieu tous les dix ans, il permet d'élaborer une charte royale et de définir les objectifs et les moyens de la BBC.
Je ne suis pas certain qu'il existe une contradiction entre audience et qualité, cette dernière restant en tout état de cause la clé. Les modèles changent : pour reprendre l'exemple du documentaire sur Ginger Baker cité par Jean-Raymond Hugonet, tout dépend maintenant du buzz sur les réseaux sociaux ! Une émission qui passe à 23 heures sur Arte peut tout à fait faire le buzz le lendemain et être beaucoup vue en replay. Les plateformes peuvent donc créer un intérêt nouveau.
Au sujet des retransmissions sportives, qui ont fait l'objet d'une surenchère en termes de coûts, je crois que l'audiovisuel public doit sortir de ce qui est concurrentiel. Ce n'est pas sa mission. Pour autant, il faut s'assurer que les grandes compétitions sont diffusées sur des chaînes gratuites de la TNT.
M. André Gattolin. - Comme le disait Pierre Laurent, on ne peut pas isoler l'audiovisuel public de son écosystème et de ses évolutions. D'ailleurs, la future loi aura aussi pour objet de transposer la directive SMA, qui évoque la question des nouveaux opérateurs.
En ce qui concerne la méthode, j'ai eu des réunions récentes à l'Élysée et à Matignon, je crois avoir convaincu mes interlocuteurs qu'il fallait se donner du temps pour traiter de sujets aussi compliqués. Le service public n'est pas seul en danger, les grandes chaînes historiques privées, gratuites ou non, le sont aussi. Prenons l'exemple de Canal + : il n'est plus acceptable pour le public de payer son abonnement 400 euros par an, alors que les différentes plateformes demandent autour de 120 euros, soit - je le mentionne au passage - le niveau de la redevance... Nous nous dirigeons donc vers des offres payantes, fragmentées, à des prix faibles et dont la rentabilité s'évalue au niveau mondial.
Finalement, ce sont deux ressources qui disparaissent : la publicité, du fait du développement de l'utilisation des données personnelles, et l'abonnement, qui va en diminuant - phénomène que connaît également la presse.
En ce qui concerne l'identité du service public, plusieurs éléments peuvent être cités, mais il y en a un qui est fondamental : la bienveillance. Il ne s'agit évidemment pas de « servir la soupe » aux personnes interviewées, mais simplement de ne pas faire preuve d'agressivité, comme on le constate trop souvent en France. Il y a plusieurs années, j'avais participé à une étude sur la différence d'image entre les chaînes : les émissions de TF1 pouvaient être vues comme une estrade, avec des plateaux hauts et une grande munificence ; la 5 s'apparentait à un amphithéâtre, avec des discussions très animées ; pour le service public, c'était la table basse - pensez à « Apostrophes » ou à « Bouillon de culture »... Cette image se construit aussi dans la manière de réaliser l'émission. Or, aujourd'hui, beaucoup de concepts sont repris de l'étranger et sont susceptibles d'être vendus à des chaînes différentes et celles de l'audiovisuel public manquent de continuité entre les émissions - pour créer une identité, il faut de la continuité.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Il est vrai que la réforme dont nous débattons doit s'appréhender dans le cadre des mutations de l'ensemble du paysage audiovisuel : le numérique bouleverse tout si rapidement.
Par ailleurs, nos travaux doivent aussi porter sur l'audiovisuel extérieur, en incluant TV5 Monde, chaîne francophone, sur la gouvernance et la régulation - mode de nomination, rôles de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et du CSA... - et sur les modalités de financement, dont il faut clairement évaluer les conséquences.
En tout état de cause, nous devons partir d'une question simple : pourquoi l'audiovisuel public est-il nécessaire ? C'est en redéfinissant ses missions que nous pourrons avancer dans le débat.
La réunion est close à 15 h 10.
Mercredi 21 mars 2018
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 11 h 15.
Audition de MM. Érik Orsenna et Noël Corbin, auteurs du rapport « Voyage au pays des bibliothèques, Lire aujourd'hui, Lire demain... »
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour procéder à l'audition de Messieurs Érik Orsenna et Noël Corbin, inspecteur général des affaires culturelles.
Messieurs, la ministre de la culture vous a, par une lettre du 31 juillet 2017, fixé une mission des plus ambitieuse : le rôle « d'ambassadeurs de bonne volonté » sur les bibliothèques et les médiathèques. Dans ce cadre, il vous était demandé l'établissement d'un rapport, réalisé après un large échange avec toutes les parties concernées, au premier rang desquelles les collectivités locales. La ministre a annoncé que les conclusions en seront présentées lors d'un grand débat national qui devrait se tenir au printemps 2018.
Votre rapport « Voyage au pays des bibliothèques, lire aujourd'hui, lire demain » a été remis au Président de la République le 20 février dernier. Il présente de nombreuses pistes de réflexion, sur un sujet que notre commission n'a jamais hésité à aborder de front, en particulier notre rapporteure, Mme Françoise Laborde, et notre collègue Sylvie Robert, que vous mentionnez d'ailleurs dès l'ouverture de votre rapport.
M. Érik Orsenna. - L'une de mes premières démarches, lorsque l'on nous a confié ce rapport a été de savoir ce qu'est un rapport. Cette citation de Montaigne m'est apparue la plus pertinente pour guider nos travaux : « la naïveté et la vérité vraie en quelque période que ce soit, trouvent son opportunité et sa mise ». La mise renvoie certes au casino, mais surtout à une dimension financière, qui ne doit pas être occultée dans le sujet qui nous intéresse.
La naïveté est importante. Nous ne savions pas ce que nous allions découvrir. C'est d'ailleurs la logique de tout bon voyage. Si vous partez dans l'optique de vérifier quelque chose, plutôt que de découvrir, autant rester chez soi. Nous ne connaissions ainsi pas l'état de la lecture en France. La France, contrairement aux idées reçues, et que notre pays se plait à véhiculer, n'est pas un pays de grands lecteurs. Nous sommes déjà conscients, grâce à diverses études, de la dégradation du niveau de lecture scolaire. Aujourd'hui, un élève sur cinq, en sixième, ne partage pas la langue commune. 2,5 millions de personnes en France sont en situation d'illettrisme - c'est-à-dire ont appris la langue française, mais ne sont pas en capacité de s'en servir. Ces personnes, pour leur grande majorité, ne sont pas des enfants d'immigrés. Dans 71 % des cas, leurs parents parlaient le français. Nous avons une conviction : la lecture est la porte d'accès vers d'autres accès. C'est ce que je dis aux élèves lorsque je me rends dans leurs classes. S'ils ne sont pas bons en français, ils ne seront pas bons dans les autres matières. Ils ne seront pas bons en mathématiques, car ils ne comprendront pas les consignes. Et, même dans la vie courante, comme pour draguer par exemple, le français est essentiel. Je leur dis d'ailleurs souvent que ce n'est pas grâce à mon physique, mais plutôt à mes mots que j'ai réussi à séduire les femmes. De même, la maîtrise de la parole est une arme puissante face à un élu local qui refuse de répondre à leurs attentes en termes de locaux récréatifs. D'ailleurs, je gagne systématiquement les compétitions d'injures que j'engage avec les jeunes.
Tous les politiques soulignent l'importance de la lecture. Bon nombre ont dit en faire leur « grande cause nationale ». Aujourd'hui, ce que je veux, ce sont des résultats.
Le premier constat que nous avons fait, est la grande richesse et diversité des lieux. Nous disposons en France de 16 500 points de présence culturelle sur le territoire, soit à peine 500 de moins que les bureaux de poste. D'ailleurs, on pourrait envisager de mutualiser les présences.
Notre rapport s'est inspiré des travaux de votre collègue Sylvie Robert, que je salue, et de Jean Gattégno, ancien directeur du livre, lequel s'est battu en faveur de la lecture publique. J'avais d'ailleurs eu le privilège de travailler avec lui à l'époque où j'étais conseiller culturel de François Mitterrand.
Ces 16 500 points de présence culturelle, de tailles très diverses maillent l'ensemble du territoire. Mis bout à bout, ces points représentent cent fois la superficie du musée du Louvre, allant de très grands médiathèques, jusqu'à de petits locaux.
Nous avons par ailleurs constaté que la moitié des 27 millions de personnes qui se rendent chaque année dans une bibliothèque ne demandent pas de livres. Cela pose une question à la fois polémique et intéressante : les bibliothèques doivent-elles être dédiées aux livres, ou doivent-elles accueillir d'autres choses : jeux vidéo, cours de langue, appui au numérique.... ? Nous avons la conviction qu'il ne faut pas faire de distinction entre le domaine culturel et le domaine social, car les frontières sont trop poreuses. Les bibliothèques permettent un double maillage, à la fois territorial et sectoriel.
Souvent, cela commence par une présence, et petit à petit, d'autres pratiques vont se développer au sein du point culturel. C'est la raison pour laquelle, il ne faut pas forcément se focaliser sur les bibliothèques, mais plutôt les voir comme des lieux de présence de services culturels. Par ce biais, cela permettra d'étendre leur légitimité sur leur territoire d'implantation.
Trois catégories de personnel très différentes interviennent dans ces lieux et c'est la coexistence de celles-ci qui permet aux bibliothèques de fonctionner. Il y a tout d'abord les 38 000 bibliothécaires que nous respectons et défendons. Le coeur du livre, c'est le bibliothécaire. Toutefois, il faut reconnaître qu'un certain nombre sont venus par amour pour la culture, mais aussi pour ne pas être en contact avec des étudiants ou élèves. Or, aujourd'hui, une part importante de leur travail consiste en l'accueil du public et la réalisation de tâches diverses qui ne sont pas liés directement aux livres. On continue à former de la même manière des personnes à un métier qui a évolué.
La deuxième catégorie de personnes est constituée par les emplois aidés, que nous préférons appeler les emplois aidants. Parmi eux se trouvent 4 000 moniteurs étudiants. Il en faudrait dix fois plus. A l'étranger, des bibliothèques universitaires, et même d'autres, sont gérés par des étudiants.
Enfin il ne faut pas oublier les 82 000 à 83 000 bénévoles. Sur ce point, il faut être conscient que sans emploi intermédiaire, il n'y aura plus non plus de bénévoles. Dans le cadre de ce rapport nous avons interrogé trois responsables de fédérations sportives qui partagent les mêmes angoisses. En effet, sans autre occupation, les jeunes vont soit dans une médiathèque, soit dans un club de sport.
Enfin, le dernier point de notre étude est de savoir qui est responsable des bibliothèques. Les collectivités territoriales ont fourni des efforts importants. Toutefois, une extension d'ouverture ne fonctionne qu'à deux conditions cumulatives. Il faut d'une par une implication très forte de l'équipe municipale. D'autre part, la participation de tous les personnels à ce projet est nécessaire. Beaucoup de municipalités nous ont interpellés, et nous les avons entendus, en nous disant qu'on leur demande de faire plus, alors qu'on leur a retiré des moyens financiers. Dès lors, il est important de se battre afin qu'une ligne budgétaire de l'État puisse soutenir ces projets. Nous avions dit qu'il faudrait au minimum cinq millions d'euros sur cette ligne budgétaire. Après la réaction du Sénat, nous avons appris que suite à un arbitrage en haut lieu, cette somme serait de huit millions d'euros. Cette somme n'est pas suffisante, mais c'est mieux que rien. En outre, je tiens à rappeler que les bibliothèques universitaires relèvent de la seule responsabilité de l'État. J'ai rencontré de nombreux élus ainsi que l'association des maires de France. Une des réticences à ouvrir les bibliothèques le dimanche est qu'elles soient préemptées par les étudiants. Or, si l'ambition est d'avoir une classe d'âge à l'université, il faut s'en donner les moyens. Sinon, ce sont les étudiants les plus faibles qui en pâtiront. Et les grandes villes ne font pas souvent mieux que certains territoires en matière d'ouverture élargie. La situation à Paris est moyenne. C'est la raison pour laquelle, nous avions recommandé, sur le modèle des distinctions « villages fleuris », d'afficher à l'entrée de chaque ville un label. Malheureusement, tout le monde est opposé à cette idée.
M. Noël Corbin. - Le Président de la République a rappelé, hier, sa volonté de mettre en oeuvre les recommandations du rapport. Le travail que nous avons mené nous a permis de prendre conscience de ce que sont les bibliothèques : un espace à la croisée de beaucoup d'énergie et de situation de pouvoir. Dans le cadre de la dotation de décentralisation, 88 millions d'euros ont été accordés afin d'accompagner des projets d'investissement. Grâce à un amendement du Sénat, en 2016, ces crédits peuvent également être utilisés pour des dépenses de fonctionnement, afin d'étendre les horaires d'ouverture des bibliothèques. De leurs côtés, les collectivités territoriales ont investi 1,75 milliard d'euros dans les bibliothèques. L'État doit ainsi être prudent dans la manière dont il leur demande d'agir.
Je tiens également à rappeler le rôle fondamental des professionnels des bibliothèques : sans eux, il serait impossible d'atteindre les objectifs de service public qu'elles recherchent. L'ensemble du champ associatif qui intervient dans les bibliothèques est également important : grâce à leurs actions de lutte contre l'exclusion, de promotion du handicap, la bibliothèque devient une maison des services publics. Nous en sommes convaincus : un travail coordonné entre les différents acteurs est nécessaire. Personne ne pourra rien faire seul.
En outre, aucune volonté concernant ces lieux ne peut être dictée depuis Paris. Il appartient aux élus et aux professionnels, ensemble, de définir les besoins et projets de leurs bibliothèques. Ainsi, à Draguignan, le maire s'est investi pour l'extension des heures d'ouverture : la bibliothèque est désormais ouverte le samedi matin, pendant le marché. Cette réflexion autour d'un aménagement des heures d'ouverture n'est pas sans rappeler le travail mené par les bureaux des temps existant dans plusieurs villes. L'État doit accompagner en aidant à établir la cartographie de ces lieux. Or, il existe aujourd'hui, des tensions importantes en termes d'investissement face à l'existence de zones blanches. Il s'agit non seulement de zones rurales, mais également de petites villes de 10 000 habitants qui ne possèdent pas cet espace culturel. Il faut que les crédits dédiés à l'extension des horaires d'ouverture de bibliothèques soient des crédits supplémentaires. Toutefois, l'utilisation des fonds débloqués implique la capacité pour les collectivités territoriales, soutenues par l'État, d'engager dès 2018 des travaux en la matière.
A Paris, le nombre d'étudiants a augmenté de 100 000 entre 2000 et 2017. Or, le nombre de places en bibliothèque le dimanche est resté constant - autour de 300 à 400. Un travail avec l'enseignement supérieur est nécessaire.
Le maillage territorial est fondamental. En zone rurale, le point lecture est essentiel. Il est souvent tenu par un bénévole et ne dispose pas de collections en propre, a des horaires d'ouverture réduits et un espace restreint. Aussi seuls, ces points lectures ne peuvent pas fonctionner. Dans ce cadre, les bibliothèques départementales ont un rôle à jouer, que ce soit en termes de formation ou d'ingénierie des espaces. Peut-être est-il nécessaire de passer par la loi pour renforcer leurs rôles. Aujourd'hui, 24 bibliothèques départementales sont connectées au réseau de prêt numérique. Cela permet à 2 700 bibliothèques en zone rurale d'avoir accès aux collections départementales.
L'intercommunalité a également un rôle important à jouer. Par exemple, il peut être plus simple de recruter un agent au niveau de l'intercommunalité et de le mettre à disposition dans quatre ou cinq bibliothèques différentes.
De même, la Poste dispose de 17 000 points de vente. Cette entreprise est en train de repenser son organisation. Des partenariats pourraient être envisagés, comme par exemple le port de livres à domicile pour des personnes âgées.
Les maisons de services publics sont des lieux de croisement des populations. Par exemple, en venant chercher un service, elles pourraient, dans la salle d'attente, trouver des livres à disposition.
Les bibliothèques jouent également un rôle important dans la lutte contre l'exclusion numérique. Mounir Mahjoubi va prochainement annoncer des actions en ce sens.
Plaine Commune a imaginé un système de kiosque, où les personnes peuvent avec leurs cartes de bibliothèque, emprunter des livres aux machines automatiques.
Le livre pourrait être livré ailleurs, par exemple dans des entreprises. Des personnes nous ont dit que sur leur territoire, le magasin GIFI était particulièrement fréquenté le dimanche matin.
On constate par ailleurs que les bibliothèques ne sont pas forcément connectées à l'ensemble des réseaux culturels. Des partenariats peuvent être imaginés avec les musées, en mettant par exemple à l'honneur des livres en lien avec l'exposition en cours, ou en invitant un conférencier à s'exprimer dans la bibliothèque. Il faut ainsi imaginer un croisement des publics et des pratiques.
De même, les opérateurs nationaux doivent être incités à passer des partenariats avec les bibliothèques.
J'ai été impressionné par l'engagement immédiat des professionnels. Toutefois, ils ont besoin d'être accompagnés. Aujourd'hui, ils sont insuffisamment formés à l'accueil du public, qui correspond pourtant à leur tâche principale. Lorsqu'ils sont nommés, ils ont à peine dix jours de formation dans la collectivité les accueillant. Or, il n'est pas simple de faire coexister dans un même lieu un sans-abri, un migrant, un chercheur, des étudiants, des jeunes enfants et des adolescents dragueurs.
Au-delà du livre, des partenariats peuvent être envisagés. Ainsi, à la bibliothèque des Capucins à Brest, un personnel de pôle emploi est présent deux à trois jours par semaine.
Nous devons renforcer les liens avec l'Éducation nationale. Les bibliothèques travaillent bien avec les enfants. Mais, nous devons également trouver le moyen de ramener les adolescents dans les bibliothèques, en collaborant mieux avec les centres de documentation et d'information des collèges. De même, la situation de la lecture est préoccupante dans les prisons alors même que cela participe à la réinsertion des détenus dans la société.
Les contrats « territoire lecture » sont des outils intéressants qu'il faut développer.
En conclusion, je retiens de cette mission trois leçons. Nous devons anticiper les évolutions technologiques et sociétales. Deuxièmement, le prêt numérique doit se développer en bibliothèque. Enfin, des progrès important doivent être faits en matière de prise en compte du handicap. L'édition adaptée a encore beaucoup de retard.
Mme Françoise Laborde. - Les bibliothèques doivent être ouvertes en fonction de la temporalité la plus adaptée au lieu dans lequel elles se trouvent. Cela entraîne des difficultés, parfois avec des personnels qui ne veulent pas changer leurs horaires. En ce qui concerne les contrats aidés, nous avons entendu un certain nombre de choses. Votre rapport rappelle de manière claire et écrite leur rôle. J'espère que vous serez entendus. Enfin, vous rappelez le rôle que joue les collectivités territoriales, ce qui pour nous, représentants des collectivités territoriales, est important.
Vous souhaitez inciter les villes à développer leurs bibliothèques par un système de labellisation similaire à celui existant pour les villes fleuries. Malheureusement, dans ce système, les villes investissent des sommes importantes pour décrocher cette labellisation, qui au final ne couvre que très partiellement les dépenses.
Il existe un foisonnement d'initiatives pour promouvoir ces lieux. Il faudrait avoir un site qui permettrait de regrouper l'ensemble de ces projets.
Enfin, l'enseignante que je suis constate que les élèves, jusqu'en classe de CM2, se rendent beaucoup dans les médiathèques, en raison de l'existence de partenariats. En revanche, peu de choses existent au niveau du collège et l'on constate une chute de la fréquentation des bibliothèques à partir dans ces classes d'âge. Existe-t-il des solutions ?
Mme Sylvie Robert. - Le rapport que j'ai rendu il y a deux ans sur les bibliothèques a connu ses premières traductions législatives. En outre, je me retrouve dans les propositions faites par MM. Orsenna et Corbin. Toutefois, nous devons poursuivre notre engagement afin que celles-ci soient traduites en actes.
Je suis heureuse de voir que le rapport ne s'est pas focalisé sur les questions d'ouverture et notamment l'ouverture le dimanche.
Vous prônez une vision girondine permettant de prendre en compte les particularités des bibliothèques, qui pour moi, ont une capacité d'adaptation très importante, mais surtout les spécificités territoriales. Dans certains endroits, cela n'a aucun sens d'ouvrir les bibliothèques le dimanche. Par contre, la première mission d'une bibliothèque est d'être ouverte. Il faut convaincre les collectivités territoriales de l'enjeu démocratique que représente l'ouverture des équipements publics, notamment culturels, à des horaires où les gens peuvent y aller. Cela pose la question de l'adaptation de leurs horaires au tempo de notre société, qui évolue beaucoup. Dès lors, le dialogue social avec les personnels est indispensable.
Enfin, les bibliothèques vont être amenées à évoluer. Dans de nombreux territoires, elles restent, avec le bureau de poste, le dernier service public. On peut mutualiser les services publics, afin que ces lieux de vie puissent devenir des endroits où des services de toute nature sont présents - sans toutefois dénaturer la mission première d'une bibliothèque qui reste le livre. Mais elle peut permettre d'ouvrir de nouveaux horizons.
M. Olivier Paccaud. - Comment les petites communes, à l'origine de nombreuses initiatives en faveur de la lecture, pourront-elles profiter de cette manne de huit millions d'euros ?
M. André Gattolin. - Je fais mienne la formule d'Érik Orsenna selon laquelle « la lecture est l'accès aux accès ». Les pouvoirs publics et l'éducation nationale ne peuvent à eux seuls endosser la responsabilité de cet accès à la lecture. Le marché de la littérature jeunesse connaît une diminution sans précédent et les jeunes sont de moins en moins initiés à la lecture par leurs parents. Comme votre rapport y invite, il me paraît essentiel d'élargir notre réflexion à la lecture.
Mme Maryvonne Blondin. - Merci pour votre reconnaissance de l'action et des travaux de notre commission. Le déblocage de huit millions d'euros doit irriguer le territoire national par l'intermédiaire des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) vers lesquelles les élus locaux doivent se tourner. Les bibliothèques relèvent des contrats de territoire et leurs personnels sont pleinement mobilisés pour en assurer la réussite. Cependant, aux 2,5 millions de Français illettrés, s'ajoutent 10 % de nos compatriotes, soit six millions de personnes, qui éprouvent des difficultés avec la lecture. Hormis l'action des associations et des bénévoles sur le terrain, je ne perçois pas de mesures concrètes des pouvoirs publics face à cette situation !
M. Pierre Laurent. - En conditionnant l'accès à la citoyenneté et à la chose publique, la lecture est un sujet politique majeur. La question des moyens demeure et huit millions d'euros représentent un financement somme toute modeste lorsqu'il s'agira de financer la diversité des projets qu'on peut attendre dans nos territoires. Enfin, la suppression des trois instances représentatives va tuer la politique culturelle, déjà sérieusement amoindrie, des comités d'entreprise. La lecture exige du temps et les rythmes de travail actuels ne favorisent guère la lecture au sein et en dehors des entreprises.
M. Laurent Lafon. - L'État a annoncé des moyens pour accompagner les collectivités dans l'allongement des horaires d'ouverture des bibliothèques. La somme de huit millions d'euros peut fort bien insuffler une dynamique qui risque de retomber, faute de financements et d'accompagnement complémentaires dans la durée. En outre, le personnel des bibliothèques éprouve une sorte de mal être aux origines complexes auquel il est indispensable de répondre.
Mme Colette Mélot. - J'ai participé, il y a dix ans, à la transformation d'une bibliothèque en médiathèque à Melun. Grâce aux bibliothécaires, les élus ont compris le lieu entre le social et le culturel. La France est en retard sur le prêt numérique en bibliothèque. Pourrait-elle se doter d'une bibliothèque nationale dématérialisée accessible à tous ?
M. Érik Orsenna. - Qu'est-ce que la lecture ? Nullement une consommation, mais une co-création qui exige du temps, de la disponibilité et de la mobilisation. Les temps jusqu'à présent réservés à la lecture sont dévorés par multiplication des modes de consommation culturelle. Or, la lecture exige un effort plus grand que la consommation des séries. Le lecteur se crée en créant. La qualité d'individu et de citoyen diminue à mesure de la raréfaction du temps consacré à la lecture : telle est ma conviction la plus ferme, à la fois comme citoyen et être humain. L'accès à l'accès est un euphémisme. La lecture est une activité paradoxale : ce temps vis-à-vis de soi-même est essentiel en ce qu'il conduit à se replier pour s'ouvrir et s'agrandir. L'accroissement de la consommation de biens culturels implique une hausse de la passivité et la remise de son propre destin à des forces extérieures simples, dans un monde complexe. Être écrivain me permet de donner la parole à des gens qui sont dépourvus du droit de prendre la parole. Comme le disait Kafka, il faudrait que tout livre soit une hache à couper la glace !
Je suis parisien mais je me soigne. Je viens de rédiger un ouvrage sur la France, qui n'est nullement une suite de quatorze Singapour et dont le territoire est au moins à deux vitesses. Au gré de mes déplacements comme membre de la Commission Attali, j'ai découvert le rôle des départements qui m'était jusque-là inconnu. Les centres départementaux et les projets pour les agglomérations, comme à Toulouse où trente-six communes limitrophes se sont mises en réseaux en faveur de la lecture, contribuent à ce tissage essentiel que j'évoquais à titre liminaire.
Les huit millions d'euros ne représentent certes qu'une somme infime, mais ce n'est là qu'un commencement. Une fois que l'État sera dans l'engrenage, il ne pourra plus reculer et il vous incombera alors de le solliciter. C'est là une nécessité hautement politique. Quelle serait une société dont les membres ne liraient pas ? Point ne serait besoin d'avoir un dictateur ordonnant des autodafés, puisque nous aurions nous-même dédaigné les livres. Nous proposons d'avoir une plateforme imitable par les uns et les autres. Si vous n'aimez pas les lecteurs, vous aurez moins d'électeurs. Le coeur de la démocratie est en jeu.
En 1998, j'ai créé la société Cytale à l'origine de la première liseuse électronique commercialisée en France. Que n'ai-je alors entendu ? J'ai même été accusé de traitrise à la culture et d'ingratitude à l'égard du livre. Les éditeurs sont frileux face au numérique et certains écrivains ont même refusé que soient ainsi présentés leur livre dans les bibliothèques, par peur d'un moindre tirage. Quelle est donc cette vision économique ? De quel droit refuserait-on l'ouverture que permet le numérique et qui contribue à l'accroissement des possibles ?
M. Noël Corbin. - Le prêt numérique en bibliothèque a été lancé en 2014. Il repose sur une plateforme, qui rassemble des libraires, des éditeurs et des collectivités locales, et connaît un nombre exponentiel d'adhésions des bibliothèques. Ce dispositif va devoir être actualisé, afin de garantir des prêts d'une durée illimitée. Si 58% des éditeurs y consentent, cette extension n'est nullement généralisée. Pourtant, un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne de 2016 « Openbar bibliotheken » aligne le droit au prêt numérique et la rémunération des auteurs sur le régime du livre imprimé, mais il n'a pas encore fait l'objet des adaptations législatives nécessaires.
Par ailleurs, ces huit millions d'euros devront être consommés, sous peine d'être considérés comme superflus. Les projets doivent fleurir sur l'ensemble du territoire national et les DRAC sont mobilisées pour répondre aux sollicitations des collectivités territoriales dont certaines n'ont pas l'habitude de requérir les services de l'État. Cette mobilisation doit s'opérer dans les deux sens.
M. Érik Orsenna. - Les élus doivent réveiller les DRAC !
Mme Laure Darcos. - Si le prêt numérique reste le meilleur moyen d'assurer une plus grande accessibilité, le livre demeure un bien culturel. Avoir des ambassadeurs du livre tels que vous au sommet de l'État nous permettra sans doute d'obtenir gain de cause. Les bibliothèques sont un sanctuaire tant culturel que social. L'augmentation significative du nombre d'heures consacrées à l'apprentissage de la langue française, qu'a annoncée le Président de la République dans son tout récent discours sur la francophonie, requiert non seulement de nouveaux moyens, mais aussi la mobilisation des bénévoles du milieu associatif. Les bibliothèques auraient alors vocation, plutôt que l'école, à devenir le premier sanctuaire et la première source d'acculturation des jeunes migrants.
M. Érik Orsenna. - Certaines populations ont perdu les apprentissages de la lecture, tandis que d'autres personnes en sont empêchées physiquement, comme dans les hôpitaux ou les prisons. Cette situation est d'ailleurs emblématique des maux de notre pays. Ainsi, à Fleury-Mérogis, première prison d'Europe, les stages d'auxiliaires-bibliothécaires sont une réussite pédagogique, à ceci près qu'une fois les peines purgées, il est impossible aux détenus, qui ont suivi cette formation mais qui possèdent un casier judiciaire, d'obtenir un emploi, nécessairement public, dans cette filière. En outre, chaque quartier de la prison possède une médiathèque ou une bibliothèque. Or, faute de personnels de surveillance en nombre suffisant pour les accompagner, il est impossible aux détenus de s'y rendre. L'ouverture personnelle, que permet la lecture, doit aller de pair avec le tissage entre les populations et les lieux. Dans l'hôpital, la situation est analogue : seules les associations sont mobilisées pour permettre aux malades de lire. Sur l'illettrisme, j'aimerais savoir ce qui se passe. Interrogez le Ministre sur ce point et sa réponse me donnera, le cas échéant, matière pour une tribune.
M. Jacques Grosperrin. - Comment développer ou inciter les partenariats entre les librairies indépendantes et les bibliothèques, notamment dans les villes de taille moyenne où leur coopération est essentielle au développement économique ? Si certains locaux pouvaient être ouverts le dimanche pour les étudiants, quels seraient les personnels mobilisés ? Peut-on remplacer les bibliothécaires par des vacataires ou des bénévoles sans pour autant détériorer le service public ?
Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Le Conseil de Paris vient de voter, à l'unanimité, l'ouverture des bibliothèques le dimanche. Le diagnostic territorial, qui permet de reconnaître les spécificités locales, est nécessaire à la fixation d'horaires pertinents, tant il ne s'agit pas, pour reprendre vos termes, « d'ouvrir plus, mais mieux ». Cette démarche est essentielle tant en région qu'à Paris. Vous proposez le lancement d'un label décerné aux collectivités s'engageant en faveur de la lecture publique. Un tel satisfecit s'accompagnerait-il d'une aide financière destinée à la fois à sanctuariser cette action et à inciter les autres collectivités ?
M. Alain Schmitz. - Les salons, comme « histoire de lire » qui vient de se tenir à Versailles, contribuent à la vulgarisation de la culture. La ville de Versailles va allonger les horaires d'ouverture des bibliothèques, en mai et en juin prochains, lors de la préparation du baccalauréat et instaurer un monitorat, grâce au soutien de l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Or, la rémunération de ce monitorat implique des financements excédant, si une telle initiative venait à être dupliquée au niveau national, les huit millions d'euros alloués. Par ailleurs, le bibliothécaire incarne une sorte de « couteau suisse de la culture » car ses missions ont évolué : il lui faut être, tour à tour, accueil du public, responsable du catalogage, médiateur, comptable, informaticien, ou encore animateur. Toutes ces missions nouvelles plaidant en faveur de l'évolution de la formation de bibliothécaire et la revalorisation de son statut.
M. Pierre Ouzoulias. - Plus le numérique progresse dans nos sociétés, plus l'humain est essentiel. La bibliothèque est le lieu physique où se noue la relation entre la culture et les personnes, qu'il s'agisse des lecteurs et des bibliothécaires, ou encore des gens dont le métier est de manier la langue française.
M. Érik Orsenna. - Ainsi que les âges, car la bibliothèque est le seul endroit où les âges se rencontrent. Comme le rappelait Hassan II, que je ne porte pas dans mon coeur, l'ouverture d'hospices de vieillards en Afrique sonnera le glas de la civilisation africaine. Le cloisonnement des générations est une aberration et l'accueil de personnes âgées en bibliothèque, fût-ce pour y lire le journal, permet d'y remédier.
M. Pierre Ouzoulias. - Les lecteurs sont en effet des électeurs ; la lecture est le meilleur rempart contre les « fausses informations » sur lesquelles une proposition de loi va bientôt porter. Saisissons, mes chers collègues, cette occasion pour porter votre projet de connaissance destiné à forger l'esprit critique de nos concitoyens !
M. Érik Orsenna. - En tant que romancier et président du Moulin Aragon-Triolet, je rappellerai le roman est le « mentir vrai » comme le disait Aragon. C'est bien l'inverse de la « fake news » !
M. Max Brisson. - Les bibliothèques départementales de prêt, à l'origine des bibliobus et rouages des schémas départementaux de lecture publique, ont mis en réseau les points de culture dans nos départements. Comment explicitez-vous la proposition n° 5 de votre rapport selon laquelle il conviendrait de « garantir, si nécessaire par la loi, le fonctionnement des bibliothèques départementales » ?
M. Jean-Pierre Leleux. - Quelles mesures incitatives, notamment auprès des plus petits et des adolescents pourraient favoriser le goût des livres dans le giron familial ?
Mme Dominique Vérien. - Si le label que vous évoquiez avait été mis en place, ma commune de Saint-Sauveur-en-Puisaye aurait pu obtenir trois livres, grâce à la présence d'une bibliothécaire à temps plein, plutôt que d'être reconnue comme une commune fleurie. La DRAC, dans notre région Bourgogne-Franche-Comté, est aux abonnés absents et aucun financement n'est accordé aux associations qui promeuvent la lecture du français et luttent contre l'illettrisme en zone rural.
Mme Annick Billon. - Si les bibliothèques restent les seuls endroits où les gens se rencontrent, leur maillage n'induit-il pas à la fois l'éparpillement des moyens et le cloisonnement des lecteurs ? Comment réussir à donner le goût de lire aux plus jeunes qui sont massivement confrontés aux médias ?
Mme Catherine Morin-Desailly. - Quelles ont été vos relations avec les agences du livre, cofinancées par les régions et le ministère de la culture, et dont le périmètre a évolué suite à la dernière réforme territoriale ? Avez-vous pu évaluer la situation des centres de documentation et d'information (CDI) qui relèvent de l'Éducation nationale ? Enfin, la suppression de la réserve parlementaire s'est faite au détriment des bibliothèques, notamment en milieu rural. La dotation aux territoires ruraux, qui s'est vue réaffecter une petite partie de la réserve parlementaire, permet-elle de répondre aux besoins ?
M. Noël Corbin. - Les librairies favorisent l'accès à la culture et sont autant, dans les bourgs et les petites villes, de lieux de rencontre. Comment leur conférer un rôle plus important ? En favorisant, d'une part, l'accès à la commande publique des librairies. Cela pourrait passer notamment par une extension des procédures d'allotissement des marchés, comme cela se pratique dans plusieurs grandes villes, afin de permettre aux petites librairies de répondre à des appels d'offre d'ampleur plus limitée. En développant, d'autre part, la place des librairies dans le numérique : dans le cadre du prêt numérique en bibliothèque, seule une quarantaine de librairies met actuellement à disposition des bibliothèques des livres numériques. Enfin, en veillant à ce que l'action culturelle prenne davantage en compte les librairies, grâce à l'accroissement des relations croisées entre bibliothécaires et libraires, à l'occasion notamment de la co-organisation de signatures d'auteurs. Le partenariat entre librairies et bibliothèques participent de ce tissage que nous appelons de nos voeux.
L'ouverture dominicale des bibliothèques ne répond que partiellement aux besoins des étudiants qui ont parfois plus besoin de locaux que de livres. En outre, à l'école supérieure des arts décoratifs ou l'école nationale supérieure de création industrielle, les étudiants sont responsabilisés et tiennent la bibliothèque. La rémunération des étudiants, qui assurent depuis 2014 l'ouverture le dimanche des bibliothèques universitaires, pourrait être étendue à ceux qui sont chargés d'autres espaces mis à disposition le dimanche.
Quels sont les facteurs de fragilisation des bibliothèques départementales ? Certains départements considèrent que seule la mise à disposition des livres en faveur des collectivités qui en sont dépourvus leur échoit au titre de la décentralisation. Les missions des bibliothèques départementales devront être redéfinies à l'aune de leur récente évolution. La mise à disposition d'ouvrages est désormais devenue subsidiaire et le ministère de la culture évalue actuellement la pertinence d'une loi sur le fonctionnement de ces bibliothèques départementales.
Enfin, le goût de lire se contracte dès la crèche. L'oralité est essentielle et précède, chez les enfants, la lecture. L'association d'Alexandre Jardin agit en ce sens : un enfant qui n'entend pas lire n'ira pas vers le livre. Interviennent ici de nombreux acteurs, comme les personnels de crèches, les enseignants, ou encore les représentants du monde culturel. Françoise Nyssen et Jean-Michel Blanquer travaillent de concert sur cette question artistique et culturelle ; le temps dégagé le mercredi par la modification des rythmes scolaires pourrait être investi en bibliothèque. Le Forum des Acteurs et des Initiatives de Valorisation des Engagements (FAIVE) dépêche également dans les écoles des ambassadeurs du livre chargés d'inciter les écoliers à fréquenter les bibliothèques de leur établissement scolaire. En outre, lors de manifestations ponctuelles comme « Vis ma vie » à Rennes, les enfants peuvent aussi endosser les fonctions de bibliothécaire. Des partenariats pourraient enfin être développés avec les 1500 bibliothèques d'entreprise, dont certaines sont parfois laissées en déshérence.
M. Érik Orsenna. - La familiarité avec les lieux et la proximité sont essentielles à la fréquentation des bibliothèques. Élu à l'Académie française au fauteuil de Louis Pasteur, je me rends souvent dans le Jura où j'ai entendu prononcer cette phrase terrible : « Dites bien à vos amis de Paris, qu'ils n'arrêtent pas de nous éloigner ».
Cette évocation des relations entre la capitale et la province vaut également pour les rapports entre le centre et sa périphérie. Nous avons commencé notre tour de France par Rennes où le centre de prêt s'avérait une sorte de champ libre autour duquel gravitaient huit établissements autonomes. Nous guerroyons avec conviction contre le « pas pour moi » ; ce refus de ce qui est proposé et qui peut être émis par ceux et celles qui sont assignés à résidence sans posséder la maîtrise de la langue. Certains mineurs concernés sont alors deux fois exilés : une première fois en eux-mêmes et une seconde fois de leur pays.
A l'inverse, le coeur de la politique réside dans un « pourquoi pas ? » ; cette locution n'a d'ailleurs pas été choisie au hasard par l'explorateur Jean-Baptiste Charcot. Nous vous avons présenté notre rapport, que nous venons de remettre à la ministre, avec une profonde émotion. Notre mission est permanente et je suis prêt à revenir devant vous lors de l'examen de la loi sur les fausses informations. Notre relation avec la Représentation nationale est d'autant plus légitime que notre démarche, qui concernait initialement l'ouverture dominicale des bibliothèques, nous a conduits à brosser le portrait de notre pays. Notre voyage n'était donc pas seulement un périple dans nos bibliothèques, mais aussi dans nos différents pays !
Mme Catherine Morin-Desailly. - Nous continuerons également à être les ambassadeurs fervents de la lecture sur nos territoires respectifs. Notre commission, avec ses différents travaux, soutiendra sans relâche le développement du livre, dans un contexte où les collectivités territoriales doivent être épaulées.
La réunion est close à 13 heures.