Mercredi 7 mars 2018

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les Outre-mer - Examen des amendements au texte de la commission

M. Alain Milon, président. - Notre ordre du jour appelle l'examen des amendements sur le texte adopté par la commission sur la proposition de loi, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions agricoles en France et dans les outre-mer. Ce texte sera examiné en séance publique cet après-midi à partir de 18h30.

Deux amendements ont été déposés, un amendement du Gouvernement à l'article 1er et un amendement de notre collègue Jean-Jacques Panunzi, sur lesquels notre commission doit donner un avis.

Avant de donner la parole à notre rapporteur, Dominique Watrin, je voudrais vous indiquer que j'ai été informé hier soir tard de l'intention du Gouvernement de demander au Sénat de se prononcer, en application de l'article 44 alinéa 3 de la Constitution, par un vote unique sur l'ensemble du texte modifié par l'amendement qu'il présente, afin d'éviter une adoption définitive.

Je m'exprimerai en séance sur le sujet mais je trouve le procédé profondément désagréable. Vous aurez l'occasion de prendre la parole après notre rapporteur et ce soir en séance.

Article 1er

M. Dominique Watrin, rapporteur. - Je partage les propos de M. le président. Je m'exprimerai en séance, bien évidemment. Cette procédure, qui remet en cause le minimum de pouvoirs qui restait au Parlement, est certes constitutionnelle, mais elle a rarement été utilisée par le Gouvernement. Depuis 1959, il n'y a eu recours que six fois sur des propositions de loi. La dernière fois, c'était en 1993.

L'amendement n° 3 du Gouvernement, enregistré ce matin à 9h23, remplace l'année 2018 par l'année 2020 : je ne puis qu'y être défavorable. Le report de date est en totale contradiction avec l'esprit de la proposition de loi qui se voulait une réponse à une urgence sociale que nous connaissons tous. L'objet de l'amendement remet en cause la raison même de notre texte puisqu'il estime que la question du niveau minimum de pension sera l'un des enjeux importants du débat sur la mise en oeuvre du système universel de retraite. En renvoyant à la future réforme des retraites la détermination du niveau minimum de pension pour les non-salariés agricoles, cet amendement revient sur la mesure phare de la proposition de loi, qui était de le porter de 75 à 85 % du Smic. Le Gouvernement oppose donc une fin de non-recevoir à notre proposition alors que le niveau des pensions agricoles est des plus faibles. C'est inacceptable.

M. Alain Milon, président. - Le recours à l'article 44 alinéa 3 de la Constitution implique que le Gouvernement demande au Sénat de voter le texte avec son amendement. Si nous votons contre, nous repoussons le texte qui repartira en navette à l'Assemblée nationale où il sera enterré jusqu'au bon vouloir du Gouvernement. Si nous le votons, le texte ne sera pas conforme à celui de l'Assemblée nationale et il y retournera également pour y être oublié.

Mme Laurence Rossignol. - Dans tous les cas, le Gouvernement gagne.

M. Michel Forissier. - J'étais convaincu par ce texte, même si certains détails pouvaient être discutés. Alors que la réforme constitutionnelle est en cours, ce signal est plus que maladroit. Le Gouvernement entend-il brider l'initiative parlementaire et la démocratie ? Je suis scandalisé. Deux solutions s'offrent à nous : nous abstenir ou refuser de débattre de ce texte. La politique de la chaise vide peut avoir du bon. En démocratie, le dialogue et l'initiative parlementaire sont primordiales, surtout dans un régime semi-présidentiel. Si le pouvoir veut un régime présidentiel, qu'il le dise !

Mme Nadine Grelet-Certenais. - Alors que nous étions quasi-unanimes sur ce texte qui envoyait un message très fort aux agriculteurs, le revirement du Gouvernement nous interloque. La procédure utilisée est assez insupportable. Qu'entend dire le Gouvernement aux agriculteurs, alors que leur situation se dégrade ? Pouvons-nous refuser de voter ?

M. Alain Milon, président. - Dans ce cas, le texte ne sera pas adopté.

Mme Élisabeth Doineau. - Tout comme mes collègues, je suis interloquée par cette décision. La semaine dernière, je vous disais que ce texte était une mise à l'épreuve du Gouvernement. Aujourd'hui, il nous somme de choisir entre la peste et le choléra.

Si nous nous abstenons, le Sénat passera une nouvelle fois pour un empêcheur de tourner en rond. Pourquoi ne pas organiser une conférence de presse avec M. Watrin pour exposer la situation ? Le Sénat doit clamer haut et fort que les droits du Parlement sont bafoués.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Une réaction du Sénat est indispensable. Cette méthode est démocratiquement dangereuse. La semaine dernière, nos hommes politiques se pressaient au Salon de l'agriculture et écrasaient une larme sur les conditions désastreuses des agriculteurs. Il n'aura pas fallu huit jours au Gouvernement pour revenir sur ses déclarations. Le Sénat a tout intérêt à démontrer qu'il prend en compte, au-delà des clivages politiques, l'intérêt général.

Mais je crois que le problème est bien plus important : après le recours régulier aux ordonnances, nous apprenons que le Gouvernement entend limiter le droit d'amendement des parlementaires.

Alors que la crise politique frappe l'Europe en son entier, la révision de notre Constitution doit passer par la voie référendaire pour que le peuple s'exprime une bonne fois pour toutes. On nous dit que les Français veulent moins de parlementaires et limiter les mandats dans le temps : cela reste à prouver.

Nous ne pouvons accepter ce recul rampant du pouvoir parlementaire : nous nous devons de réagir !

Mme Laurence Cohen. - Marquons ce jour d'une pierre blanche : je vois sur tous les bancs de la commission se dégager un consensus. L'amendement du Gouvernement n'arrive pas dans un ciel serein : le rôle du Parlement est profondément remis en cause et il sera bientôt godillot. Ses initiatives sont vouées à ne pas prospérer. Le Sénat se doit de régir avec fermeté.

Notre travail de fond n'est en rien considéré par le Gouvernement. Protestons de façon solennelle.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Deux questions se posent : sommes-nous prêts aujourd'hui à verser 85 % du Smic à tous les salariés au titre du minimum vieillesse ? L'amendement du Gouvernement rappelle que la réforme du système des retraites va bientôt intervenir. En tant que rapporteur général, je me dois d'attirer l'attention sur l'importance du coût supplémentaire que cela représenterait.

La deuxième question tient à la méthode employée pour faire plier le Parlement, qui est révoltante. Nous devons réagir car nous ne pouvons pas être traités de la sorte. La ministre a le droit de nous mettre en garde, mais pas de cette façon.

Je demande au président de prendre contact avec la ministre pour lui dire qu'elle fait fausse route. Pour sortir de ce piège, nous devons prendre à témoin l'opinion publique.

M. Alain Milon, président. - Je rappelle que nous voyons Mme Buzyn à 16h45.

M. Philippe Mouiller. - Le Gouvernement ne veut pas de ce texte et, pour ne pas assumer son rejet, il a recours à une astuce constitutionnelle pour nous forcer à adopter une autre version : soit le Sénat refuse, et il sera dit que c'est de sa faute, soit il adopte l'amendement et il renvoie à une date ultérieure le débat.

Je ne vois donc pas d'autre solution que de voter la proposition de loi et d'alerter l'opinion publique pour dénoncer cette astuce du Gouvernement. Au-delà de ce débat sur la retraite, nous devrons bien un jour nous pencher sur le problème beaucoup plus global du revenu des agriculteurs.

Mme Laurence Rossignol. - Certes, le Gouvernement n'est pas satisfait par ce texte, mais c'est la vie d'une démocratie parlementaire. La souveraineté appartient au Parlement, pas au Gouvernement.

L'enjeu de la révision constitutionnelle va bien au-delà des trois mandats successifs et je suis désolée de constater que la position du Sénat est réduite à ce seul aspect. Nous valons mieux que cela. La réforme du Gouvernement est une véritable machine antiparlementaire, notamment avec la réduction du droit d'amendement. Faisons savoir que nous défendons le parlementarisme et pas seulement les sénateurs.

Lorsque Mme Buzyn viendra devant notre commission ce soir, pourquoi ne pas faire une déclaration solennelle en début d'audition puis quitter la salle ?

M. Bernard Jomier. - Sur le plan de la procédure parlementaire, nous avons perdu, et il est logique que le Gouvernement ne veuille pas de cette proposition de loi, comme l'a rappelé notre rapporteur général. Mais le Gouvernement envoie des signaux négatifs au monde agricole, sans même parler de la révision constitutionnelle.

Cette confrontation dépasse le cadre de notre commission : le Bureau du Sénat ou les présidents de groupe se doivent de réagir. Une réaction politique au plus haut niveau s'impose. Essayons aussi de faire en sorte que le Sénat ne soit pas systématiquement ringardisé comme c'est le cas aujourd'hui.

Enfin, nous savons bien que l'arbitrage vient de plus haut : la ministre n'est pas seule fautive.

M. Jean-Noël Cardoux. - Je ne pensais pas que l'on arriverait aussi vite à l'illustration du débat d'hier soir. Nous sommes au coeur de la réforme constitutionnelle. Je constate un étrange parallèle avec la loi sur l'eau et l'assainissement qui a été adoptée à l'unanimité par le Sénat et qui est en train d'être détricotée par l'Assemblée nationale, suite à la pression du Gouvernement. J'incite mes collègues à lire la tribune de notre confrère Brisson, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, qui a parfaitement synthétisé le problème. Au-delà de ses discours consensuels, le Gouvernement veut passer en force lorsqu'un texte ne lui convient pas. Nous devons informer rapidement le président du Sénat de la situation. Ensuite, une tribune signée par tous les membres de la commission serait du meilleur effet.

M. Dominique Watrin, rapporteur. - Je me félicite du consensus qui se dégage au sein de notre commission. Les mots sont à la mesure de l'attaque qui est portée à la démocratie. J'ai entendu « recul de la démocratie », « procédure insupportable », « choisir entre la peste ou le choléra », « remise en cause fondamentale du Parlement »...

Maintenant, que faire ? Une protestation s'impose. Ce serait d'autant plus justifié que l'article 44 alinéa 3 a été très rarement utilisé depuis 1959, et c'était lorsque le Gouvernement constatait une obstruction parlementaire. Or, ici, le recours à cette procédure est annoncé avant même que le débat ait commencé.

Nous allons auditionner Mme la ministre à 16h45 : nous pourrons l'interpeller. Et dès avant, il serait bon de demander au président du Sénat de définir la meilleure riposte politique.

M. Alain Milon, président. - Je vais effectivement contacter le président du Sénat dès que nous aurons statué sur les amendements.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.

Intitulé de la proposition de loi

M. Dominique Watrin, rapporteur. - Comme l'amendement n° 1 le souligne, l'expression France continentale qui apparaît dans le titre ne regroupe pas l'intégralité de la métropole, notamment la Corse. Il serait plus judicieux de parler de France métropolitaine. Mais, comme le titre d'un texte législatif est dépourvu de portée normative, je suis défavorable à cet amendement tout en en reconnaissant sa pertinence.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°1.

- Présidence de M. Gérard Dériot, vice-président -

Situation dans les Ehpad - Communication

M. Gérard Dériot, président. - Le 30 janvier dernier, personnels et directeurs d'Ehpad étaient en grève pour dénoncer leurs conditions de travail et, plus généralement, leurs difficultés à exercer correctement les missions de prise en charge des personnes âgées qui leur sont confiées.

La réforme de la tarification des établissements, sur laquelle notre commission avait déjà alerté, a été pointée du doigt mais elle n'est pas seule en cause. Le diagnostic est connu : les personnes accueillies dans ces établissements sont globalement plus âgées qu'avant et leur autonomie plus limitée, tandis que les moyens consacrés à l'autonomie ont certes progressé mais sans que cela se traduise toujours de façon concrète en effectifs sur le terrain.

Nos concitoyens souhaitent une socialisation accrue du financement de ce risque alors que les reste à charge sont élevés, voire inaccessibles pour certaines familles. C'est pourquoi le président a demandé à notre collègue Bernard Bonne, rapporteur pour le secteur médico-social, de travailler sur la situation des Ehpad et de nous rendre ses conclusions.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Vous avez bien voulu me confier, en tant que rapporteur du médico-social, une mission dont vous avez estimé à juste titre que l'actualité - brûlante - commandait la réalisation. En effet, le 30 janvier dernier, les personnels travaillant en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) se sont rassemblés à la faveur d'une mobilisation unique dans leur histoire pour dénoncer unanimement les conditions dans lesquelles ils s'acquittaient de leurs tâches.

À la racine de cette exaspération, nous retrouvons un phénomène auquel l'exposition médiatique récente a donné une certaine notoriété, alors qu'il travaille le secteur de la prise en charge des personnes âgées depuis maintenant deux ans : la réforme de la tarification des Ehpad. L'enjeu, sous ses aspects techniques, est de grande importance.

Permettez-moi de décrire le budget d'un Ehpad. Trois sections tarifaires, trois financeurs distincts. La première section - environ 30 % du total - qui finance les interventions médicales requises par les résidents les plus dépendants, est abondée par l'agence régionale de santé sur des crédits de l'assurance-maladie. C'est par elle que la réforme de la tarification a commencé, en prévoyant dans la loi portant adaptation de la société au vieillissement un forfait global de soins fondé sur le Gir moyen pondéré soins (GMPS). Pour la quasi-totalité des établissements, le passage des anciennes dotations issues des reconductions historiques à ce nouveau forfait-soins se traduit par une hausse de leurs moyens.

C'est la deuxième section - environ 20 % du total - financée par le conseil départemental et spécifiquement consacrée au soutien de la personne dépendante dans l'accomplissement des actes de la vie quotidienne, cristallise les contestations. Là aussi, les pouvoirs publics ont proposé que soit substitué aux dotations historiques, calculées sur la base de l'Apa versée à l'établissement, un forfait global à la dépendance qui, contrairement au forfait global de soins, intègre dans son calcul un coefficient variable selon les territoires : le point Gir départemental. Outre le problème important que soulève l'institutionnalisation d'une couverture de la dépendance différenciée selon les départements, le nouveau forfait global à la dépendance pose une difficulté que n'avait pas soulevée le forfait global aux soins : selon le niveau du point Gir départemental, le passage des dotations historiques au forfait entraîne pour de nombreux établissements, publics pour la plupart, une baisse significative de leur budget dépendance. La redéfinition du forfait dépendance ayant été conçue à budget départemental constant, les autres établissements, privés non lucratifs et privés commerciaux, ont par conséquent vu le leur augmenter.

Il est dès lors devenu commun d'accabler cette réforme tarifaire de tous les maux et d'en faire la principale responsable du mal-être qui sévit dans les établissements, frappant autant les résidents que les personnels. Je souhaite apporter plusieurs tempéraments importants à ce postulat, qui s'est exagérément répandu et qui a profité d'un effet d'optique opportun pour se présenter à l'opinion comme l'alpha et l'oméga de la crise du secteur.

Afin d'éviter tout malentendu, j'affirme que le principe - mais uniquement le principe - de la réforme tarifaire est sain et vertueux. Il ne s'agit en effet ni plus ni moins que de rationaliser autour de critères objectivables les dotations d'argent public attribuées aux établissements d'accueil de personnes âgées, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. La réforme pèche dans ses modalités et son calendrier d'application.

Un premier diagnostic nous paraît devoir être posé. Nous avons voté deux PLFSS qui accompagnent une réforme en profondeur de la contractualisation des établissements et services médico-sociaux, autrement dit leur passage progressif au régime du contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM). Attentifs au rythme de cette réforme, nous l'avons toujours accueillie favorablement, en ce qu'elle ouvre aux établissements signataires de nouvelles marges de manoeuvre de gestion budgétaire, leur permettant notamment de fondre certains éléments des différentes sections tarifaires entre eux et de conserver le bénéfice des éventuels excédents d'exploitation. En toute logique, il aurait paru souhaitable d'attendre que l'ensemble des Ehpad soient armés de ce nouvel outil contractuel, et munis de la souplesse de gestion qu'il confère, avant de réformer les modalités de leur tarification.

Or, le Gouvernement mène ces deux réformes de front, en parallèle, sans voir tout le profit qu'il pourrait tirer, pour la bonne mise en oeuvre de la seconde, de la pleine application de la première.

Par ailleurs, la réforme tarifaire des Ehpad, négligeant de s'attaquer à la structure même de leur financement, voit nécessairement une partie de ses effets neutralisés. Il est urgent de mettre fin à cette aberration budgétaire et gestionnaire du cofinancement des structures médico-sociales. Elle n'est que le reflet d'une incapacité historique à qualifier l'autorité compétente en matière de prise en charge de la dépendance. La situation actuelle dénoncée par les personnels et par les familles de résidents n'est autre que le résultat de cette indécision, laquelle ne peut désormais plus être maintenue.

Pour clore ce chapitre de la réforme tarifaire, la troisième section de financement des Ehpad, n'a fait pour l'heure l'objet d'aucune réforme alors qu'elle est le siège des dérives les plus dangereuses : la section hébergement - 50 % du total. Elle finance les prestations d'accueil hôtelier et ménager et reste théoriquement à la charge du résident. Elle concentre l'essentiel de ce qu'il est courant d'appeler le « reste à charge ». Celui-ci affiche des niveaux particulièrement élevés, malgré les efforts des conseils départementaux pour contrôler les tarifs journaliers pratiqués par les établissements et maintenir un niveau élevé de places habilitées à l'aide sociale, par ailleurs mis à mal par les effets de la réforme tarifaire.

Parmi les raisons de ce reste à charge important, il y en a une immédiatement identifiable et difficilement justifiable : la récupération sur la succession des résidents des sommes versées par le département au titre de l'aide sociale à l'hébergement. Attachés à la transmission de leur patrimoine, les résidents préfèrent s'acquitter de tarifs journaliers de haut niveau plutôt que de grever l'héritage de leurs descendants du montant d'une aide sociale. Or cette récupération sur succession ne représente que 30 à 60 millions d'euros sur l'ensemble du territoire, recette suffisamment négligeable, à mon sens, pour qu'il soit apporté une modification substantielle au dispositif actuel. Je propose que soit relevé de façon significative le seuil de récupération de ces sommes.

Les difficultés rencontrées par les Ehpad ne se résument cependant pas à la réforme tarifaire. Cette dernière a permis l'expression d'un mal-être plus profond, plus lointain, qui reflète une crise structurelle du modèle de ressources humaines de ces établissements. Animé par un personnel administratif composé de cadres de santé, un Ehpad comprend un personnel soignant qui tourne autour de trois pivots - le médecin coordonnateur, l'infirmier et l'aide-soignant - ainsi qu'un personnel technique de service hospitalier.

Il me semble qu'outre le sujet prégnant du contour de leurs missions et du rythme de leur travail, un problème trop longtemps occulté réside dans l'indicateur statistique qui définit les besoins en personnel soignant de chaque établissement : le Pathos moyen pondéré (PMP), principale composante du GMPS que j'évoquais plus haut. C'est le PMP qui détermine le forfait global de soins, lequel servira pour sa majeure partie à couvrir les dépenses de personnel. Si le PMP ne reflète pas fidèlement et pertinemment les besoins réels en soins requis par les résidents, la dotation de soins qui en découle ne suffira pas à assurer les dépenses en personnel soignant nécessaires. Or c'est un constat auquel ma mission m'a conduit : sans vouloir être trop technique, le PMP présente des biais importants, susceptibles d'imparfaitement traduire les profils thérapeutiques des résidents en ETP correspondants. Voilà donc par quoi toute refonte du modèle des ressources humaines doit commencer : la définition d'un nouveau paramètre de dotation budgétaire, plus rigoureux et centré sur les profils de soins.

Venons-en maintenant aux missions proprement dites du personnel, et à celles inexplicablement réduites du médecin coordonnateur. Relégué à des tâches essentiellement administratives, ses attributions se limitent à l'organisation générale du programme de soins délivrés par l'établissement, et ne prévoient d'acte de prescription individuelle que dans les cas d'extrême urgence. Médecin institutionnel et strictement collectif, le statut du médecin coordonnateur a été soigneusement distingué de celui du médecin traitant du résident qui, bien qu'extérieur à l'établissement, reste seul titulaire du pouvoir de prescription. Parce qu'historiquement la maison de retraite se voulait prolongement, et non substitution au domicile, la rupture du lien individuel unissant le patient au médecin de famille au profit d'un médecin d'établissement participait sans doute de l'impression fâcheuse d'une mise en institution de nos aînés.

Force est pourtant de constater que l'incapacité prescriptrice du médecin coordonnateur, souvent spécialisé en gérontologie, connaisseur intime des dossiers individuels des résidents pour avoir donné un avis à leur admission, fait figure de bizarrerie. Outre la simple logique qu'il y aurait à habiliter à prescrire un médecin présent sur place, même à temps partiel, je suis persuadé que cela permettrait de limiter les doublons dommageables entre dépenses couvertes par le forfait global de soins et dépenses de soins de ville auxquelles les consultations de médecins extérieurs donnent inévitablement lieu.

Pour ce qui est du personnel infirmier et des aides-soignants, sur lesquels repose l'essentiel de l'accompagnement quotidien des résidents, un mal-être profond, exprimé le 30 janvier dernier, s'est emparé d'eux du fait d'un alourdissement et d'une intensification de leurs tâches. La plupart des acteurs associatifs que nous avons auditionnés, le président Alain Milon et moi-même, nous ont fait part de leur désir de voir respectées les promesses faites il y a plus de dix ans par le plan de solidarité grand âge (PSGA) d'un ratio « 1 personnel pour 1 résident ». Même si nous nous associons à ce souhait, il ne nous paraît pas réaliste de nous y cantonner en l'état actuel de nos finances publiques ; c'est pourquoi l'essentiel des propositions que je formule en la matière se situent à périmètre financier - et donc à dépenses de personnel - constants. Parmi elles, l'affirmation de dispositifs expérimentaux, qui sont insuffisamment encouragés. Je pense notamment à l'astreinte infirmière de nuit, qui permet de mutualiser certains coûts et surtout d'éviter les hospitalisations d'urgence inutiles, mais aussi à l'extension indispensable au médecin coordonnateur des actes de télémédecine inscrit à la nomenclature générale des actes prescrits. Il me paraît par ailleurs indispensable d'ouvrir aux gestionnaires d'établissements la possibilité d'assouplir, toujours avec l'accord des personnels concernés, certains modes d'organisation du travail. Dans certains cas, l'épuisement ressenti et la possible maltraitance qui peut en découler viennent de plages horaires paradoxalement soit trop réduites, soit trop saccadées et entrecoupées de temps de repos trop courts. Lorsqu'elles rencontrent le souhait des personnels concernés, et uniquement à cette condition, les possibilités d'aménagement du temps de travail doivent pouvoir être pleinement mobilisées par les directeurs, ce qui n'est actuellement pas le cas en raison des rigidités variables selon qu'ils gèrent des établissements publics - où les conditions sont encadrées par décret - ou privés - où elles figurent au sein de différentes conventions collectives.

Une fois posés ces constats et formulées ces propositions de court terme, il m'était impossible de ne pas engager une réflexion plus stratégique sur les impérities manifestes que présente l'offre d'hébergement des personnes âgées dépendantes. Le ressenti exprimé n'est pas que de surface mais va chercher ses racines dans les inadéquations profondes d'un modèle, que je n'ai fait qu'esquisser au début de mon intervention.

Première inadéquation : la dérive sanitaire d'établissements d'hébergement qui sont initialement censés camper un « lieu de vie » et non un « lieu de soins ». Certes, l'entrée de plus en plus tardive en établissement des résidents d'Ehpad a mécaniquement entraîné une augmentation de leur niveau de dépendance et donc un impératif de l'équipement médical de leur nouveau lieu de résidence. Mais je déplore que l'élévation nécessaire du degré de médicalisation de l'hébergement pour certains cas de dépendance importante ait servi d'étalon pour toute l'offre de prise en charge des personnes âgées. Depuis 2014, ce sont des centaines de millions d'euros qui sont explicitement consacrés par chaque PLFSS à la « médicalisation des Ehpad », sans qu'aucun crédit ne soit formellement consacré au développement des solutions intermédiaires d'habitat. Plus grave encore, l'augmentation du forfait global de soins qu'a permise l'intégration du GMPS à son calcul ne s'est nullement traduite par une réduction à due concurrence des dépenses de soins de ville auxquelles les résidents continuent d'avoir recours. L'augmentation du plafond du forfait global de soins ne s'est nullement traduite par une diminution des dépenses de soins individuelles prescrites par ailleurs. D'où la question que je pose aujourd'hui d'une « surmédicalisation » de certains établissements, qui ne remplissent plus leur mission première d'accompagnement de la dépendance, à laquelle s'est substituée une simple mission de veille sanitaire, au demeurant assurée par des personnels légitimement peu motivés par cette perspective.

La loi ASV a créé les résidences-autonomie, comme élément d'une offre d'hébergement intermédiaire entre les anciens foyers-logements, ouverts à des personnes autonomes mais ne désirant plus vivre seules, et l'Ehpad, théoriquement réservé aux cas de dépendance les plus aigus. L'idée était très bonne, et offrait par ailleurs plusieurs opportunités de repenser le financement du grand âge. Quel dommage qu'elle soit aussi négligée par les administrations chargées de flécher les crédits médico-sociaux et qui, de ces deux qualificatifs, semblent parfois oublier le second !

Cette nécessité de repenser le financement du grand âge, certains d'entre vous y ont récemment fait appel en rappelant les débats engagés à propos du fameux « cinquième risque ». Il est urgent de rouvrir ce dossier, sans quoi les réformes paramétriques les mieux intentionnées du monde ne connaîtront pas pleinement d'effet.

La réflexion que je propose d'engager sur la réforme du financement de la dépendance afin d'assurer sa pérennité reposerait sur trois grands principes : premièrement, la clarification des compétences des différents acteurs publics. De toute évidence, le cofinancement des structures d'hébergement pour personnes âgées est un vecteur de complexité qui entrave la gouvernance et complique l'implantation de ces établissements. C'est pourquoi je propose une clarification des compétences autour de la répartition tarification-planification de l'offre : la première reviendrait à l'échelon national, afin de garantir l'homogénéité de la couverture financière de la perte d'autonomie prise au sens large (soins et dépendance) sur le territoire, tandis que la seconde relèverait du conseil départemental, mieux à même d'identifier les besoins à l'échelon local et d'apporter son soutien aux personnes dans le cadre de l'aide à l'hébergement.

En deuxième lieu, je proposerai de mettre fin à la forfaitisation de la dotation dépendance versée aux établissements : le financement des établissements par le versement de dotations forfaitaires calculées à partir des besoins constatés présente le risque réel d'une sélection à l'entrée des résidents les moins dépendants (donc, budgétairement parlant, les moins « rentables » pour l'établissement) et désincite la structure d'accueil à développer le niveau d'autonomie global. L'idée d'un financement par forfait, initialement voulue pour faciliter le pilotage budgétaire des structures, ne semble pas toujours rejoindre l'intérêt personnel de la personne prise en charge. Je préconise donc que le financement de la dépendance repose davantage sur la solvabilisation de la personne accueillie, conformément au modèle de la résidence autonomie, qui peut à la fois bénéficier du forfait global pour les dépenses de soins et qui pour le reste de ses dépenses s'appuie sur les contributions des résidents, soutenus par le versement individuel et non plus forfaitaire de l'APA.

Enfin, je suggère une mobilisation accrue du patrimoine immobilier des résidents : il me semble en effet important que la personne âgée accueillie en établissement puisse mobiliser les ressources tirées non seulement de ses revenus mobiliers, mais aussi de son patrimoine immobilier, qui reste le plus souvent immobilisé et insuffisamment rentabilisé. Plusieurs dispositifs pourraient alors être envisagés : outre la suppression des avantages fiscaux liés à la détention par une personne âgée résidente en Ehpad d'un bien immobilier non occupé, le Gouvernement pourrait développer des mécanismes incitatifs à la signature de viagers ou, et surtout, de baux locatifs préférentiels.

Parvenu au terme de cette mission, je suis plus que jamais persuadé que les enjeux soulevés par la situation des Ehpad vont bien au-delà des aspects actuellement retenus par l'exposition médiatique des mobilisations de personnels. Les chantiers auxquels la ministre des solidarités et de la santé ne peut désormais plus se soustraire sont déterminants et touchent à l'un des plus grands défis qu'il nous faut relever : la prise en charge, dans la dignité, de nos aînés.

M. René-Paul Savary. - Je tire un coup de chapeau au rapporteur, qui, avec son expérience à la tête d'un département, a su traduire la réalité du terrain, ce que les administrations sont parfois en peine de faire. Lors de la loi ASV, j'avais prévenu le gouvernement que le changement de paradigme budgétaire, avec l'instauration de l'état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRP) et le CPOM posait bien des difficultés.

Reculer la mise en oeuvre de la réforme tarifaire me paraît a priori de bon sens, mais si l'on recule encore la réforme dans le temps, le gouvernement ne mettra plus les moyens prévus. Je ne mets pas en cause la réforme mais ses modalités d'application, et je salue les propositions intelligentes du rapporteur.

Les recours sur successions dissuadent les personnes âgées qui ont une petite ferme agricole de demander une aide sociale, car elles craignent pour leur maigre patrimoine. Il est légitime cependant de maintenir ce recours lorsque, en dépit de très petites retraites, les personnes ont un patrimoine important - des mesures de viager, alors, sont intéressantes, comme toute solution pour gager les biens sans les vendre.

Que le médecin coordonnateur soigne, voilà qui me semble d'un redoutable bon sens, d'une grande évidence...

M. Jean-Noël Cardoux. - Mais allez l'expliquer aux médecins traitants.

M. René-Paul Savary. - Alors que la désertification se poursuit, c'est une bonne solution, compréhensible. Mme Cohen, avec qui j'avais mené une mission sur les urgences, sera d'accord avec moi : l'intervention du médecin coordonnateur évitera des hospitalisations gériatriques d'urgence : trop souvent, les personnes âgées finissent leur vie aux urgences. Merci, par conséquent, de ces vraies propositions. Enfin, la proposition, décoiffante, de coupler dépendance et soins pour les personnes en hébergement, me convient.

Mme Annie Delmont-Koropoulis. - C'est un travail exceptionnel et très clair. Je suis médecin coordonnateur dans des établissements sociaux pour jeunes handicapés : qu'il soit le médecin traitant évite la sur-médicalisation et n'empêche pas qu'il fasse rapidement appel aux spécialistes en cas de besoin.

Le CPOM manque de flexibilité parce qu'il s'étend sur cinq ans, alors que les personnes entrent en Ehpad en moyenne à 85 ans, et y restent en moyenne deux ans et demi : une durée de trois ans serait donc mieux mieux adaptée.

Chez moi la multiplication des équipes mobiles a permis de maintenir chez elles les personnes âgées dépendantes le plus longtemps possible. Cette prise en charge à domicile pourrait se faire en lien avec l'Ehpad proche. Les 50 millions d'euros pour les établissements en difficulté s'ajoutent, nous dit-on aux 100 millions existants mais dont 72 millions sont destinés à accompagner la réforme de la tarification : 28 millions seulement étaient prévus pour les Ehpad en difficulté.

Mme Florence Lassarade. - Le médecin coordonnateur est le plus compétent pour s'occuper des personnes âgées en établissement. Généralement, la personne âgée en maison de retraite est la dernière patiente de la journée, voire de la semaine, dans le cahier de rendez-vous du généraliste... Tant mieux, donc, si le coordonnateur intervient !

Des communes ont lancé des projets d'habitat partagé, mais le montage financier est très difficile : il serait pourtant intéressant de développer ce volet. Et la formation du personnel hospitalier, très peu qualifié pour s'occuper des personnes âgées, devrait être accentuée.

M. Michel Amiel. - Ce rapport est très clair, sur un sujet compliqué ! J'adhère pleinement à la proposition relative au médecin coordonnateur. On connaît les dérives, qui ont un coût important et qui sont au préjudice des patients...

L'infirmière de nuit d'astreinte ne prendra jamais de responsabilité médicale : le système risque de perdre en efficacité sans médecin d'astreinte, joignable 24 heures sur 24 ; faute de prévoir cela, la médicalisation des établissements sera un échec.

Les conventions tripartites du passé ont laissé place aux CPOM et aux EPRD, et les dotations budgétaires intègrent maintenant le Pathos moyen pondéré : mais celui-ci, fixé à l'arrivée de la personne, n'est pas révisé ensuite, alors que l'entrée en établissement tient précisément à l'existence de polypathologies et que l'état de la personne se dégradera rapidement - on sait qu'elle vivra en moyenne deux ans et demi dans l'établissement. Il y a là un préjudice pour la tarification. L'EPRD est intéressant comptablement, mais il traduit le passage d'une logique de la demande à une logique de l'offre... En outre, un directeur d'établissement m'a montré les dossiers à remplir : c'est effrayant. Où est la simplification ?

Le recours sur succession ne doit pas conduire à pénaliser les petits patrimoines : ce sont souvent les plus pauvres qui veulent absolument léguer quelque chose à leurs héritiers.

Mme Michelle Meunier. - Je salue ce travail rondement mené, grâce à une expertise manifeste du rapporteur sur la question. Toutes les problématiques sont mentionnées. Il faut effectivement insister sur la qualité et le nombre des professionnels du quotidien, qui ont une place centrale. La formation des aides-soignants est un problème, car ce métier n'est pas valorisé, peu attrayant, si bien que face à la pénurie, les établissements font appel à des vacataires qui n'ont pas les qualifications pour travailler auprès des personnes très âgées. Le référentiel existe mais il est bloqué par le Gouvernement. En raison des coûts qu'engendrerait le passage d'agents de la catégorie C à la catégorie B. Cela devrait bien sûr s'accompagner de moyens supplémentaires.

Mme Frédérique Puissat. - Je salue la clarté du rapport, d'autant que les auditions auxquelles j'ai assisté n'étaient pas vraiment limpides...

Le rapport distingue de façon bienvenue les mesures de court terme et celles de moyen terme. Au titre des mesures de court terme, on pourrait aussi porter de 72 ans aujourd'hui à 75 ans la limite d'âge des médecins coordonnateurs. Cela éviterait des carences dans certains établissements. Un alignement des calendriers des multiples financeurs serait également souhaitable, car les collectivités peuvent parfois être réduites à faire l'avance des fonds, sur les dotations des ARS notamment...

Pour le personnel, le temps partagé, séquencé ou partiel me semble une bonne idée, à condition qu'il soit concerté car les intéressés perçoivent des salaires d'environ 900 euros par mois. Il s'agit souvent de femmes seules avec des enfants...et le temps saccadé, séquencé ne peut donc se concevoir qu'assorti d'un revenu décent. Cela fait partie des enjeux de la renégociation du temps de travail. Quant aux droits sur succession, l'aide sociale, précisément, est un droit mais elle emporte aussi des devoirs. C'est la double peine : le reste à charge est conséquent pour la famille, qui subit aussi le recours sur succession. Dans mon département, nous avons d'ailleurs essayé de mettre ce principe de réciprocité entre bénéficiaires et collectivité en oeuvre pour le RSA, ce qui a fait monter au créneau un certain nombre de personnes. Mais le principe vaut pour la dépendance mais également pour les autres aides sociales dispensées par les départements.

M. Dominique Watrin. - Les auditions des syndicats de personnel ont été utiles, et cette mission a été très bien menée. Nous avons beaucoup appris, au lendemain d'une mobilisation sans précédent des personnels des Ehpad. Hélas, ils ont reçu une fin de non-recevoir lorsque leurs représentants syndicaux ont demandé à être reçus par la ministre. Des réponses sont pourtant urgentes, et très attendues.

Les difficultés des établissements sont-elles liées ou non à la réforme ? Le principe d'une égalité de traitement des établissements est vertueux. Mais si le groupe CRC n'a pas voté la réforme (il a été le seul dans ce cas), c'est que cette nouvelle ambition est prévue... à enveloppe fermée ! Chaque fois que l'on habille Paul, plus exactement Korian, groupe d'Ehpad privés où le prix de journée est de 130 euros, on déshabille Pierre, en supprimant des postes dans les Ehpad publics où le prix de journée est de 80 euros. Il faut suspendre l'application de la réforme pour repenser ses modalités de mise en oeuvre.

Le plan de solidarité grand âge visait un taux d'encadrement équivalent à celui en vigueur pour le handicap : un encadrant pour un résident. Nous en sommes encore loin, et loin aussi des standards européens. Dans les hôpitaux, les Ehpad, les directeurs disent qu'ils sont obligés de faire des choix : la maltraitance n'est pas volontaire mais institutionnelle, lorsqu'il est impossible par exemple de donner une douche régulièrement à chaque patient. La situation est inacceptable. Il est également indispensable de monter en qualification : la toilette est faite par des personnes qui ne sont pas formées aux bons gestes envers les personnes très âgées.

Il y a consensus syndical sur la nécessité de monter le plus vite possible à 0,8 encadrant, et dans un délai raisonnable à 1. Il est par ailleurs du ressort de la solidarité nationale, et plus spécifiquement de la sécurité sociale, de financer la dépendance. Nous étudierons les 24 propositions, nous approuvons certaines d'entre elles, d'autres sont plus inquiétantes, je songe à la proposition n° 12 sur les conditions de travail ou la n° 9 sur la délégation de compétence et le recours au financement fiscal.

Mme Patricia Schillinger. - Le manque de personnel est criant, il faut soutenir et renforcer la formation, et embaucher des personnes plus mûres, non des très jeunes.

Mme Brigitte Micouleau. - Les établissements embauchent qui se présente ! Ils n'ont pas l'embarras du choix !

Mme Patricia Schillinger. - Il y a aussi l'âge d'admission en Ehpad qui est peut-être à revoir. Certains handicapés, qui ont moins de soixante ans, ne peuvent plus être pris en charge par leurs parents vieillissants et ne trouvent pas de place dans les maisons de retraite. Le sujet a-t-il été évoqué durant les auditions ?

M. Daniel Chasseing. - La loi ASV a apporté quelques crédits à l'aide à domicile, via la reconnaissance des aidants et les résidences-autonomie. Les personnes néanmoins veulent rester chez elles, et les hébergements temporaires, les accueils de jour, les résidences-autonomie ont donc une audience limitée. Les résidents qui arrivent dans les Ehpad sont déjà très dépendants. Un mot du médecin coordonnateur : il appelle le médecin traitant pour discuter du patient, les choses se passent bien le plus souvent ! Et s'il y a trop de prescriptions, il faut une éducation globale sur le sujet. Pourquoi ne pas décider de fixer une limite à cinq médicaments par jour et par patient ?

Une infirmière de nuit d'astreinte pour plusieurs établissements, cela n'a aucun intérêt, sauf celui de consommer des crédits. Une présence de 14 ou 16 heures par jour, en revanche, oui, cela a du sens, pour préparer le coucher comme le lever.

Un mot sur le PMP et le GMPS : la loi ASV n'a rien fait pour les Ehpad, mais elle a apporté une formule mathématique extraordinairement complexe. Il faut revenir sur ce point car les directeurs et leurs interlocuteurs dans les ARS passent un temps infini à ces calculs.

J'ai rencontré les syndicats, les directeurs d'établissement, dans mon département : le problème le plus crucial est le manque de bras. Mon Ehpad compte 86 lits, avec un GMP à 730, et seulement 0,56 encadrant par pensionnaire. Passer à 0,7 coûterait 1,2 milliard d'euros, c'est une grosse somme, mais il faut le faire. Le lever, la toilette, les repas, les changes : le personnel est lancé dans une course perpétuelle. Les aides-soignants souhaitent être mieux encadrés par les infirmiers. Il faut arrêter d'embaucher d'autres professionnels et se concentrer sur ces deux catégories. Le plan Bas de 2006 visait 1 pour 1. Parvenir à 0,7 serait déjà un progrès formidable.

M. Michel Forissier. - Je salue cet excellent travail de croisement et de transversalité des problématiques. Les Ehpad sont un monde à part dans le médico-social. Aujourd'hui, l'absentéisme est très important en raison du vieillissement du personnel, qui ne peut plus manipuler les personnes grabataires. Sur l'âge minimum des patients, 60 ans, je m'interroge moi aussi : où placer les personnes victimes d'AVC à 55 ans ? C'est l'état de dépendance, non l'âge, qui devrait primer.

Il y a manifestement un gros problème d'organisation des ressources humaines. Dans les établissements publics, celui qui décide du recrutement n'est pas, en dernier ressort, celui qui travaillera avec le nouveau venu. Or, si le président du conseil départemental et le directeur ne s'entendent pas, c'est très ennuyeux pour le fonctionnement de la structure.

Enfin, M. Watrin a parlé de maltraitance : mais c'est terminé, aujourd'hui on parle, dans l'agglomération lyonnaise, de bientraitance !

M. Gérard Dériot, président. - Vous êtes en avance...

M. Michel Forissier. - Oui, mais cela coûte cher et il faut rédiger des rapports à tout propos, si bien que les professionnels passent un temps infini à gratter du papier au lieu d'être sur le terrain. Si nous parvenions à un rapport de 1 à 2 entre les encadrants et les patients, je serais déjà content ! Heureusement qu'il y a les stagiaires, les contrats de professionnalisation, l'apprentissage. Ces postes attirent des jeunes non qualifiés, mais qui peuvent être formés ! Les obligations de gestion sont aujourd'hui inadéquates par rapport aux dotations accordées. À périmètre constant, sans priorité affichée dans le budget de l'État, on n'y arrivera pas...

Mme Brigitte Micouleau. - Je suis réservée sur le rôle que vous voulez donner au médecin coordonnateur : une personne peut accepter un hébergement en Ehpad à la condition de conserver son médecin généraliste.

Les grandes difficultés du personnel soignant se répercutent sur les résidents. Contrairement à ce que l'on observe à l'étranger, il n'existe pas en France de norme minimum d'encadrement. Il y a 55 professionnels pour 100 résidents, quand il en faudrait 80.

- Présidence de M. Alain Milon, président -

Mme Viviane Malet. - Nous avons testé dans ma commune une solution intermédiaire d'habitat, la résidence pour personnes âgées à caractère social. La sécurité sociale a versé une aide pour l'achat d'une plateforme de services. Maîtresse de maison, animatrices, accompagnatrices de contrats en alternance, en tout 35 personnes sont présentes nuit et jour. Il s'agit de retarder la dépendance, et c'est un modèle nouveau à La Réunion, de nombreuses municipalités sont venues visiter la résidence. Le bailleur a construit sur la ligne budgétaire unique (LBU), et les personnes paient un loyer (modique) grâce à l'allocation logement.

Mme Laurence Rossignol. - Merci au rapporteur Bonne. Il n'y a rien de plus complexe que le financement du médico-social, et je félicite ceux de nos collègues qui le comprennent ! Chaque réforme s'accompagne d'une nouvelle usine à gaz, et les résultats sont rarement ceux que l'on attendait. C'est une charge redoutable pour les ARS, les départements, les établissements : le temps passé à étudier et monter les financements croisés, c'est autant de moins consacré aux résidents. Pourquoi ne parvient-on pas à simplifier cela ? Le mystère reste entier pour moi... pour nos concitoyens, les Ehpad sont synonymes de nombre de places insuffisant, prix de journée trop élevé, maltraitance. La réalité est pourtant différente, les places existent... mais surtout dans le privé, où elles sont coûteuses. Il y a trois catégories d'établissements, publics, privés non lucratifs, privés lucratifs, et dans ces derniers le taux de rentabilité est très élevé, c'est un placement en or ! Forcément, pour y arriver, on comprime les coûts, à commencer par les frais de personnel. Absence d'investissements publics, établissements confiés au secteur privé : ce sont de mauvaises orientations.

Mme Laurence Cohen. - Pourquoi n'avez-vous pas débloqué de l'argent quand vous étiez secrétaire d'État aux personnes âgées ?

Mme Laurence Rossignol. - Parce qu'il n'y en avait pas ! Quant aux fonctions du médecin coordonnateur, j'ai buté sur le corporatisme, qui a bloqué toute nouvelle discussion. Certaines propositions du rapporteur conduisent à réduire les dépenses d'assurance maladie, mais ces sommes ne reviendront pas au secteur médico-social ! Bien entendu, les choses ne sont pas si simples, en raison des différences locales concernant la démographie médicale. Mais il faut effectivement ouvrir au médecin coordonnateur la possibilité de prescrire.

Enfin, sur la reprise sur succession, on ne saurait en attendre des fortunes. M. Daudigny signale ainsi que dans l'Aisne, 25 % des résidents perçoivent l'aide à l'hébergement ; bien peu d'entre eux ont un patrimoine que l'on peut récupérer...

Il n'y aura aucune solution sans financements massifs nouveaux, pas de financement des Ehpad sans créer le cinquième risque. Celui-ci suppose des cotisations nouvelles, si bien qu'aucun gouvernement n'a voulu s'y atteler.

Je ne crois pas qu'il y ait de maltraitance de la part du personnel, pourtant épuisé, à bout. En revanche, la maltraitance quotidienne, c'est ce que l'on donne à manger aux résidents. Comment s'étonner ensuite de la sous-nutrition, de la dénutrition ?

M. Alain Milon, président. - L'idée du cinquième risque a été abordée sous la mandature de M. Sarkozy. Mais quand j'ai proposé à la secrétaire d'État, Mme Delaunay, de retravailler sur la question, je n'ai pas été très bien accueilli.

M. Jean-Marie Morisset. - Chaque Ehpad a une histoire, et il n'est pas facile de gérer ce type d'établissements, lorsque l'on attend les accords de la tutelle et les fonds au milieu de l'année seulement...

L'hébergement représente la moitié du budget. Les départements ne parviennent plus à tout financer, les établissements ont donc pour instruction d'augmenter de 0,3 % le prix de journée, et les directeurs doivent établir leurs budgets sur cette base. Les statuts professionnels sont divers, des agents de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique territoriale cohabitent dans une même équipe, sans cohérence des primes et rémunérations...

À l'époque des contrats de plan État-région, les charges d'investissement étaient couvertes à 80 %, elles ne pesaient pas sur le prix de journée. Il en va différemment aujourd'hui, faute de financements publics disponibles. Les maires ont tous voulu leur maison de retraite à 50 lits, sans soins, mais à présent il faudrait 70 places...

Le médecin coordonnateur devrait prioritairement s'attacher à établir un lien avec l'hôpital voisin. Il faut une bonne harmonie entre les deux. Mais bien sûr, si l'hôpital se situe à 50 kilomètres, cela pose problème.

M. Yves Daudigny. - Un rapport de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie comme les travaux du Sénat ont plaidé pour le cinquième risque. Je m'y suis beaucoup engagé... Mais le débat de ce matin le montre, nous n'avons toujours pas de réponse face à l'allongement de la vie. Le cinquième risque était ambitieux : il s'agissait d'un droit universel à une aide en cas de perte d'autonomie, pour toute personne et quelle qu'en soit la cause. Mais cette idée a buté sur la crise de 2008 et aucun des gouvernements successifs n'a réussi à la développer.

Pour l'heure, on réduit le nombre de postes dans les établissements publics, on en crée dans les établissements privés. Pourrait-on avoir des explications sur ce point ?

Mme Nadine Grelet-Certenais. - Ces établissements de soins sont d'abord des établissements de vie. Il convient d'avoir une vision plus large des besoins des personnes. Le personnel d'animation et d'accompagnement peut modifier la vie quotidienne, comme une animatrice l'a fait dans un établissement que je connais : les habitants de la commune ont découvert ces résidents, qui sont enfin sortis dans les rues... Bien sûr, le personnel soignant était moins disponible pour les soins, mais la qualité de vie y a gagné. Il en va de même pour la prévention.

Mme Corinne Imbert. - Merci pour cet excellent rapport. Certes, la mission du médecin coordonnateur doit être revue, mais je suis quelque peu en désaccord avec la huitième proposition qui prévoit de « proscrire le cas de cumul de fonctions de médecin coordinateur et de médecin traitant d'un résident ». En zone rurale, il est parfois difficile de recruter un médecin coordonnateur dans un établissement. En outre, lorsqu'il est en activité, il peut avoir quelques patients dans l'établissement. Comment lui interdire de prescrire ?

M. Gérard Dériot. - Vous avez tout à fait raison !

Mme Corinne Imbert. - Merci d'avoir rappelé que les projets de loi de financement de la sécurité sociale ne consacraient aucun crédit au développement des solutions intermédiaires d'habitat. Je regrette qu'on oublie toujours l'accueil familial regroupé.

Mme Laurence Rossignol. - Ce n'est pas exact !

Mme Corinne Imbert. - L'accueil familial existe depuis longtemps mais il n'est pas encouragé. L'accueil familial regroupé est une solution intermédiaire entre le domicile et l'établissement. Il serait bon de l'évoquer dans ce rapport.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Ce sujet a intéressé tout le monde. La mission a duré moins d'un mois : les auditions ont donc été limitées. Nous nous étions fixé comme objectif de proposer des solutions à court et moyen terme, mais nous savions que cela ne règlerait en rien le problème de fond de la prise en charge des personnes âgées. La principale question tient au financement : nous devrons donc reparler du cinquième risque.

J'ai proposé quelques mesures et je suis d'accord avec la plupart des solutions que vous avez préconisées. En ce qui concerne les recours sur succession, les personnes âgées ont du mal à en accepter l'idée. Je propose de modifier le seuil de recouvrement sur succession en le faisant passer de 46 000 euros aujourd'hui à 300 000 euros.

Vous m'avez interrogé sur les établissements à but lucratif qui bénéficient de dotations et des modifications des tarifications. Pour ce qui concerne les soins, tous les établissements ont perçu un surplus de dotations. En revanche, les départements ont été obligés de calculer un point Gir à moyen constant. Ils ont donc pris l'ensemble des dépenses et ils les ont réparties au niveau des établissements, quel que soit leur statut, d'où l'augmentation des dotations versées aux structures privées à but lucratif.

Je propose de simplifier la double tarification, qui impose une entente obligatoire entre les présidents de département et l'ARS. Il me semblerait préférable de confier l'ensemble des dépenses de soin et de dépendance à l'ARS tandis que le contrôle du prix de l'hébergement et de l'aide sociale serait du ressort du département.

Pour les Ehpad, qui sont de plus en plus médicalisés et reçoivent des personnes de plus en plus dépendantes, il serait logique que les dotations soient globalisées.

J'ai été à une époque médecin salarié d'établissement. Ensuite, ce ne fut plus possible et à chaque fois que je me déplaçais, je remplissais une feuille de soins et mes soins de ville étaient facturés. Puis le médecin coordonnateur a été créé, mais sans droit de prescrire, alors qu'il connaît les patients, ce qui est vraiment paradoxal.

Aujourd'hui, les médecins traitant effectuent leurs consultations en Ehpad en fin de journée, quand ils en ont le temps. Le personnel attend leur venue, sans savoir à quelle heure elle interviendra. Ce n'est pas sain. Les médecins de famille ont quasiment disparu aujourd'hui : souvent ils sont regroupés et ils disposent de fichiers communs de patients. Il faut donc permettre au médecin coordonnateur de prescrire également. Les médecins traitants ne s'en offusqueront pas, loin de là. Je vois dans cette réforme une source d'économie considérable et beaucoup plus de sérénité pour le personnel.

Le métier d'aide-soignant mérite d'être mieux reconnu et revalorisé. Mais c'est aujourd'hui impossible à moyen constant, sauf à le prévoir dans le temps.

Il faut éviter autant se faire que peut l'hospitalisation des personnes âgées. Mieux vaut faire intervenir des personnels d'astreinte dans les établissements que de déplacer les personnes.

Encourageons l'habitat partagé et les résidences-autonomie, d'autant qu'aucune autorisation des ARS n'est nécessaire.

Lorsque j'étais responsable des affaires sociales de mon département, il avait été question de supprimer les résidences-autonomie...

Mme Laurence Rossignol. - Les foyers logement aussi !

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Tout à fait. Aujourd'hui, tel n'est heureusement plus le cas : on cherche à éviter la médicalisation, même si les crédits fléchés des ARS n'y incitent pas.

L'infirmière de nuit n'est certes pas la solution idéale et n'évitera pas le recours au médecin. Mais elle permettra de tranquilliser les personnels non compétents pendant la nuit. Je rappelle que tous les services d'urgence reposent sur les Samu entre minuit et huit heures du matin. Cela coûterait une fortune de faire appel aux Samu dans les Ehpad.

Il faut ouvrir aux médecins qui n'ont plus envie d'exercer en libéral le rôle de médecin coordonnateur... mais avec une limite d'âge.

L'accueil dans les Ehpad de personnes handicapées dès l'âge de 50 ou 55 ans ferait faire des économies, car le département règle les journées de ces personnes.

M. Alain Milon, président. - Vous avez obtenu les réponses à toutes vos questions. Je vais mettre aux voix la publication de ce rapport.

Mme Laurence Rossignol. - Nous n'approuvons pas forcément l'intégralité du rapport mais nous souhaitons qu'il soit publié.

La publication du rapport d'information est autorisée.

M. Alain Milon, président. - À l'avenir, il nous faudra travailler sur le financement de la dépendance.

Communications diverses

M. Alain Milon, président. - Suite à vos réactions sur l'amendement du Gouvernement sur la proposition de loi relative à la revalorisation des retraites agricoles, j'ai procédé à diverses consultations. Certains présidents de groupe y étant hostiles, la réunion qui avait été envisagée entre eux et le président du Sénat n'aura pas lieu.

Mieux vaut donc voter ce texte amendé et attendre de voir la position qu'adoptera l'Assemblée nationale.

J'ai bien compris - et je partage - la colère de chacun car le Gouvernement ne montre pas de grande considération pour le Parlement. Le débat de ce soir aura lieu et il ne sera pas facile. N'oubliez pas non plus que les ministres doivent faire preuve de solidarité gouvernementale.

M. Michel Amiel. - Les parlementaires aussi !

M. Alain Milon, président. - Je ne suis pas d'accord ! Les ministres sont nommés par le président de la République et par le Premier ministre alors que les parlementaires sont élus. Ils n'ont de compte à rendre qu'à leurs électeurs. Mon groupe votera ou s'abstiendra sur ce texte, mais il ne votera pas contre.

Mme Laurence Cohen. - Merci pour ces consultations mais, en définitive, il ne se passera rien.

La réunion est close à 11h55.

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 45.

Situation dans les Ehpad - Audition de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

M. Alain Milon, président. - Nous accueillons cet après-midi Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, sur la situation dans les établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (Ehpad).

La commission des affaires sociales s'est réunie ce matin pour entendre les conclusions de son rapporteur médico-social Bernard Bonne après sa mission sur les Ehpad, et elle les a adoptées.

Madame la ministre, nous avons souhaité recueillir votre analyse et votre réaction à nos conclusions sur les difficultés rencontrées dans les Ehpad, mises au jour par la mobilisation des personnels du 30 janvier dernier et qui s'expliquent, selon nous, par des problèmes structurels.

La réforme de la tari?cation des établissements, sur laquelle notre commission avait déjà sonné l'alerte, a été pointée du doigt, mais elle n'est pas seule en cause. Le diagnostic est connu : les personnes accueillies dans ces établissements sont globalement plus âgées qu'avant et leur autonomie plus limitée, tandis que les moyens consacrés à l'autonomie ont certes progressé, mais sans que cela se traduise toujours de façon très concrète en effectifs sur le terrain.

Nos concitoyens souhaitent une socialisation accrue du financement de ce risque alors que le reste à charge est élevé, voire inaccessible pour certaines familles.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. - Vous avez souhaité m'entendre après la présentation du rapport de M. Bernard Bonne. Je souhaite tout d'abord vous faire part de ma vision du sujet, en particulier de la tarification, qui est une préoccupation permanente depuis mon arrivée au ministère.

La réforme de la tarification a été votée dans la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement en 2015, ses décrets d'application ont été publiés en décembre 2016, elle a donc été mise en oeuvre début 2017, avec l'objectif d'améliorer les conditions de gestion des établissements.

Elle contient plusieurs volets, tels que la tarification « à la recette » dans un cadre pluriannuel en fonction des besoins plutôt que des discussions annuelles ; la signature, par les établissements, de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens ainsi qu'une progression sensible des tarifs des soins en fonction d'une estimation des besoins par établissement, pour laquelle le Gouvernement avait dégagé environ 100 millions d'euros par an depuis 2014. Enfin, et c'est sur ce point que le bât blesse, il était prévu de faire converger les tarifs « dépendance » autour d'une moyenne départementale.

Cette mesure n'avait pas fait l'objet d'une étude d'impact préalable et les conditions effectives de sa mise en oeuvre ont permis d'en mesurer les conséquences réelles. Si nous avons pu disposer rapidement d'une première estimation macroéconomique, ses effets sur les établissements eux-mêmes avaient été mal appréhendés.

Dès mon arrivée au ministère, j'ai indiqué que j'étais prête à engager des enveloppes financières pour accompagner la réforme, mais je souhaitais mieux comprendre ses répercussions au cas par cas. J'ai ainsi nommé un médiateur, Pierre Ricordeau, inspecteur général des affaires sociales, qui a déjà rencontré les acteurs nationaux et a prévu une série de déplacements en régions jusqu'à la fin mars.

Les premiers retours indiquent que les impacts sont plus importants lorsqu'on les analyse au niveau des établissements que lorsqu'on les étudie par grandes masses ou par catégories. Même si très peu d'établissements perdent des recettes à la fois au titre des soins et de la dépendance, le nombre de ceux qui en perdent au seul titre de la dépendance est significatif, autour de 20 à 25 %, avec des niveaux de perte variables.

Les améliorations obtenues au titre de la convergence sur les soins sont parfois inférieures aux pertes liées à la convergence sur la dépendance. Ces différences sont dues à un dispositif de convergence « dépendance » vers une moyenne départementale, laquelle varie beaucoup entre départements. Une telle situation n'a pas pu être anticipée et préparée en amont.

Le secteur fondait beaucoup d'espoir sur la convergence « soins », mais ne s'attendait pas à ce que ses effets soient pour partie entamés par ceux de la convergence « dépendance ». Je peux donc comprendre les réactions, par exemple, de la Fédération hospitalière française (FHF).

J'ai pour objectif d'améliorer les conditions de prise en charge. Au vu des constats faits par le médiateur, nous devons nous donner le temps de mesurer la situation établissement par établissement pour définir un mécanisme qui ne remette pas en cause les fondements - que je crois toujours vertueux - de cette réforme, mais en neutralise les effets négatifs, par exemple en compensant sur un ou deux ans les pertes des Ehpad en difficulté. Le médiateur a commencé à y travailler. Monsieur Bonne, vous proposez un mécanisme différent, mais avec le même objectif. Nous devons en parler avec les départements, qui partagent notre constat.

Les retours du terrain, comme votre rapport, indiquent qu'il nous faut travailler à nouveau sur certains sujets, qu'ils soient directement liés à la réforme, comme l'hétérogénéité de la valeur du point départemental que vous évoquez, ou qu'ils en soient plus éloignés, comme l'organisation des soins ou le rôle du médecin coordonnateur.

Vous connaissez mon attachement à la prévention, il nous faut mieux la prendre en compte, y compris dans notre système tarifaire. On parle également beaucoup de l'habilitation à l'aide sociale, qui concerne à la fois l'accessibilité des Ehpad et leur équilibre économique. Enfin, d'autres questions sont essentielles, comme la qualité de vie au travail et la bientraitance.

La situation des Ehpad ne saurait être envisagée sous le seul angle tarifaire, mais elle doit s'inscrire dans la question plus vaste de la politique envers les personnes âgées. Nous devons ainsi réfléchir à l'Ehpad de demain. Dans cette optique, je présenterai fin mars une stratégie globale d'accompagnement de la longévité. J'ai commencé à rencontrer les parties concernées.

M. Bernard Bonne. - J'ai mené une mission courte - elle a duré un mois - qui a débouché sur des propositions à court et à moyen terme, sans occulter une réflexion plus profonde sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes à domicile ou en établissement. Mon rapport comprend quelques propositions fortes. Nous considérons qu'il serait intéressant de réorienter la réforme tarifaire avec une séquence différente. Nous proposons de figer la dotation autonomie à son niveau de 2016 et de concentrer nos efforts sur la diffusion des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM). Nous pourrions ensuite revenir à la réforme tarifaire en diligentant une enquête sur son impact réel. En matière de dépendance, certains cas ont choqué au vu des budgets contraints des départements, en particulier lorsque l'on a été amené à mieux doter des établissements à but lucratif au détriment des établissements associatifs ou publics.

Une autre proposition est de permettre au médecin coordonnateur de prescrire. En effet, le médecin traitant n'a plus la même perception des personnes âgées qu'auparavant, tant on change aujourd'hui facilement de médecin. Devoir faire appel au médecin traitant est très coûteux. Quand un médecin coordonnateur est régulièrement présent dans l'établissement, on peut ainsi faire des économies considérables en pharmacie et en transport, deux des postes des dépenses de ville les plus importants.

Nous proposons d'autoriser les établissements à pratiquer des prix de journée différenciés en fonction des revenus, afin de limiter le reste à charge des plus modestes.

Les aides-soignants en Ehpad pourraient bénéficier d'une habilitation spéciale qui leur permettrait de pratiquer des actes infirmiers, comme l'aide à la prise de médicaments. Ils n'en ont pas le droit aujourd'hui.

Nous proposons aussi de limiter le recours au travail discontinu, et d'instaurer plus de souplesse dans l'aménagement des temps de travail y compris entre personnels relevant de différentes conventions. De même, nous souhaitons, dans le prolongement des dispositifs « parcours emplois compétences », qui prennent la suite des contrats dits aidés, que les directeurs d'établissements soient incités à recruter des stagiaires déjà formés.

Nous souhaitons l'interruption de l'incitation financière au passage au tarif global qui n'apporte aucune économie d'échelle en matière de dépenses en soins de ville.

Nous proposons également de relancer l'expérimentation du développement de pharmacies internes aux Ehpad, avec un dispositif de protection des officines en milieu rural, semi-rural ainsi que dans les secteurs en difficulté, qu'une telle mesure pourrait menacer.

Pourquoi ne pas développer le recours au patrimoine privé en mettant fin aux incitations fiscales à la conservation de la pleine propriété de logements inoccupés au profit d'une incitation fiscale au viager ?

Ces propositions sont des mesures fortes pour le court terme. Elles ne permettront peut-être pas les embauches nécessaires pour atteindre 0,8 encadrant par résident, niveau que chacun souhaite, mais elles introduiront de la souplesse.

Nous proposons enfin de clarifier les compétences tarifaires. Nous avons constaté les difficultés surgissant entre les agences régionales de santé (ARS) et les départements pour la fixation des tarifs « soins » et « dépendance ». La partition entre les deux n'est pas toujours très nette et la mise en place d'un acteur de tarification unique pourrait donner de la souplesse aux directeurs.

Mme Agnès Buzyn, ministre. - Vous proposez d'interrompre provisoirement la mise en oeuvre de la réforme tarifaire, nous avons préféré demander au médiateur d'avancer des pistes pour en neutraliser les effets négatifs, avec l'objectif qu'il n'y ait pas de perdants. Le modèle des Ehpad n'a pas été pensé pour un tel degré de perte d'autonomie et de maladie et il n'est pas adapté aujourd'hui à des résidents entrant en établissement à 87 ans pour une durée moyenne de moins de deux ans. J'ai mandaté les ARS pour qu'elles aident les Ehpad les plus en difficulté à se rapprocher les uns des autres et à favoriser la mutualisation des fonctions support. Certains petits établissements qui n'appartiennent pas à de grands groupes pourraient être plus efficaces.

Vous avez raison, il nous faut trouver des solutions d'adaptation. Les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens permettent cela, nous travaillons sur ce sujet avec la FHF et nous attendons les conclusions du médiateur.

S'agissant de l'efficience de l'organisation des soins, il est vrai que le médecin coordonnateur n'a pas le droit de prescrire. J'ai rencontré les gériatres, ainsi que les représentants des médecins coordonnateurs, et tous m'ont dit qu'un médecin coordonnateur ne pouvait pas être médecin traitant. Toutefois, ils soulignent que lorsque quarante médecins traitants se succèdent dans un Ehpad, cela entraîne une perte générale d'efficience de notre système de santé. Certes, les résidents peuvent conserver leur médecin, mais dans certains territoires, nous pourrions envisager que des médecins salariés volontaires travaillent à mi-temps en Ehpad et à mi-temps en libéral. Nous pouvons engager une réflexion sur la prescription par les médecins coordonnateurs. Cela suscitera des débats dans les territoires où les médecins ne manquent pas, mais il est urgent de faciliter cela dans les déserts médicaux. Il nous faut parvenir à rationaliser la pratique médicale dans les Ehpad.

Je développe du reste la télémédecine afin que les infirmières accèdent facilement à un avis médical, ce qui pourra éviter des hospitalisations inutiles aux urgences, en particulier la nuit. Un budget de 10 millions d'euros sera consacré au recrutement d'infirmières de nuit dans les Ehpad.

S'agissant des prix d'hébergement différenciés, ils existent déjà dans certains établissements, qui imposent un surloyer pour les résidents ne bénéficiant pas de l'aide sociale, mais occupant des places habilitées. Nous pourrions rendre cela plus lisible, après avoir réglé les questions juridiques relatives à l'égalité d'accès au service public que cette mesure soulève. Nous devons donc encore travailler sur le sujet.

En ce qui concerne l'habilitation des aides-soignantes à effectuer des actes infirmiers, il est vrai que le glissement des tâches a lieu. L'enjeu est de sécuriser les aides-soignants qui le pratiquent. La délégation de tâches entre professionnels de santé existe, elle se pratique facilement entre médecins et infirmières, nous devons y réfléchir, en prévoyant évidemment une formation ad hoc et sans tout autoriser.

En ce qui concerne la clarification des compétences tarifaires, il est vrai que la philosophie de la réforme est vertueuse, mais nous avons constaté les difficultés de sa mise en oeuvre. Beaucoup d'Ehpad ont eu du mal à codifier l'état de dépendance de leurs résidents et ont le sentiment d'être perdants. Nous devons les aider à mieux évaluer les niveaux de dépendance et de charge en soins. Toutefois, une convergence des deux tarifs en un seul ajouterait 2,5 milliards d'euros à l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). C'est impossible. En revanche, nous devons réfléchir à confier à un seul opérateur la responsabilité des tarifs.

Mme Brigitte Micouleau. - En plus des manques quantitatifs, les Ehpad rencontrent des problèmes qualitatifs. Peu de toilettes complètes, des repas expédiés, des échanges verbaux insuffisants, aucune empathie : la maltraitance est un fait. Tout cela est dû au manque de personnel dans les Ehpad, comment comptez-vous résoudre ce problème ?

Mme Laurence Cohen. - J'espère que votre écoute, cet après-midi, est plus conforme au respect du pluralisme que l'emploi du vote bloqué que vous défendez ce soir dans l'hémicycle.

Nous sommes à la veille du 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Les agents qui exercent dans ce secteur sont à 80 % des femmes, qui subissent une précarité massive, une insuffisance de qualification comme d'effectifs, qui les empêchent de répondre aux besoins de nos aînés résidents. Ceux-ci sont d'ailleurs des femmes à 90 %.

Comme la plupart des emplois dits féminins, ces postes sont peu valorisés et faiblement rémunérés, car on considère qu'ils reposent sur de supposées qualités naturelles et ne nécessitent pas de formation particulière.

Or on constate que la charge de travail est très lourde et emporte des conséquences dramatiques. Les accidents du travail sont ainsi deux fois plus nombreux dans cette branche que la moyenne nationale, l'absentéisme et les difficultés de recrutement y sont importants.

Quelles mesures envisagez-vous pour améliorer la formation, la rémunération et les perspectives de carrières de ces agents dans le cadre de leurs conventions collectives ? Quelles mesures allez-vous mettre en oeuvre pour assurer un meilleur encadrement ? Je rappelle que le taux d'encadrement est de 0,6 emploi par résident dans notre pays, alors qu'il est de 1,2 en Allemagne.

M. Jean-Marie Morisset. - Vous nous avez rassurés sur la réforme tarifaire et je vous en remercie. Toutefois, le mouvement récent des personnels des Ehpad n'était pas limité à ce point.

Vous annoncez la distribution de 100 millions d'euros, quelles en seront les modalités ? Si cette somme est confiée aux ARS, nous ne sommes pas près d'en bénéficier !

La réforme des Ehpad n'est pas seulement une affaire de financement : il s'agit d'héberger des résidents, qui supportent, avec ou sans l'aide sociale, 50 % du budget des établissements. Aujourd'hui, on déconventionne des Ehpad à l'aide à l'hébergement pour permettre la mise en place de deux tarifs. Dans les zones rurales, cela ne passe pas !

Le modèle des Ehpad doit changer, parce qu'ils accueillent de plus en plus de personnes handicapées vieillissantes qui recherchent un hébergement plus que des soins. On accorde donc des dérogations pour accueillir des personnes de cinquante ans. Cela pose des problèmes de financement, de gestion et de statut.

M. Daniel Chasseing. - Vous allez faire des propositions pour neutraliser les effets négatifs de la réforme, mais lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous aviez fait part de votre volonté d'adapter les soins en fonction des territoires.

Le problème des Ehpad remonte à plusieurs années et s'aggrave, parce que la dépendance à l'entrée augmente et que les aides-soignants ne parviennent pas à la gérer. La loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement n'a rien apporté. Les Ehpad de Corrèze ont un GIR moyen pondéré (GMP) supérieur à 700. Dans ma commune, l'établissement a un GMP de 730, avec 0,56 agent par pensionnaire, et tous les actes se font de manière précipitée. Sur 47 employés, cet établissement ne compte que 16 aides-soignants.

Il est nécessaire de passer à 0,7 encadrant par pensionnaire, en augmentant le nombre d'aides-soignants et d'infirmiers. Cette mesure a un coût, que j'estime à un milliard d'euros pour le recrutement de 40 000 employés, mais elle représenterait un progrès considérable.

Les infirmières de nuit sont inutiles, surtout si elles sont d'astreinte sur plusieurs établissements. En revanche il serait fort utile de garantir la présence d'une infirmière entre quatorze et seize heures par jour.

Le maintien à domicile me semble utopique, dans la mesure où 60 % des résidents des Ehpad souffrent de troubles cognitifs nécessitant la présence d'un aidant en permanence. En ce qui concerne les médecins traitants, il faut prendre en compte les territoires ruraux dans lesquels des médecins ont fait l'effort d'acquérir la capacité en gériatrie. En mettant en péril ce tissu, on fragiliserait beaucoup d'Ehpad.

Les pharmacies d'établissement, dans les deux Ehpad que je connais, font des efforts considérables et remplissent les piluliers de tous les patients. L'important, c'est de permettre aux personnes âgées dépendantes de mieux vivre, en augmentant le nombre d'aides-soignants et d'infirmières.

Par ailleurs, la formule mathématique utilisée actuellement dans le calcul du forfait soins n'est pas satisfaisante.

Enfin, je rejoins Bernard Bonne sur la répartition des rôles entre l'État et les départements sur les tarifs. À mon sens, le plus important est d'améliorer l'encadrement. La dépendance augmente, augmentons la présence auprès des pensionnaires !

Mme Agnès Buzyn, ministre. - Madame Micouleau, le problème est quantitatif et qualitatif, mais la dimension quantitative varie d'un département à l'autre. Nous devons mener une réflexion sur la répartition des places, car si dans certains départements les Ehpad sont saturés, dans d'autres, on peine à les remplir. Peut-être faut-il également diversifier l'offre, en mettant en place un nouveau modèle sur la base d'une plateforme de services et pas seulement d'un hébergement.

S'agissant de l'aspect qualitatif, les résidents sont de plus en plus âgés et les Ehpad, qui étaient des lieux de vie, deviennent des lieux de fin de vie, dont le public ne se différencie guère de celui de certains services de soins de longue durée en hôpital il y a vingt ans. Des efforts ont été faits. Ainsi, entre 2006 et 2017, la somme consacrée aux soins en Ehpad est passée de 5 à 10 milliards d'euros. Cet effort collectif est insuffisant, mais il est significatif.

Vous avez raison en ce qui concerne le personnel : le turn-over est fréquent, la charge de travail est lourde. Ces femmes peu qualifiées ont peu de perspectives. Si l'on veut recruter des aides-soignantes, il faut améliorer l'attractivité du métier et promouvoir la gestion des carrières, en ménageant une orientation, à terme, vers l'animation, la coordination ou l'encadrement.

Nous n'avons pas suffisamment de personnel. La moyenne est de 0,63 encadrant par résident, mais beaucoup de postes existants ne sont plus pourvus, ce qui amplifie l'absentéisme. Nous devons briser ce cercle vicieux. Je souhaite ainsi intégrer les professionnels de santé les moins qualifiés dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle préparée par Muriel Pénicaud. La proportion des aides-soignantes ou des infirmières augmente de 1 % par an en fonction du GMP. En dix ans, cela représente une augmentation de 11 % et l'effort se poursuit.

Monsieur Chasseing, vous affirmez que les infirmières de nuit sont inutiles, mais on nous rapporte que leur présence réduit les hospitalisations en urgence.

Les 100 millions d'euros seront attribués via l'augmentation des tarifs soins votée au sein de l'Ondam. Sur ce montant, 28 millions d'euros seront destinés à aider les établissements en difficulté. Cette année, j'y ai ajouté 50 millions d'euros dans le fonds d'intervention régional aux mains des ARS afin que celles-ci accompagnent les restructurations.

Sur le déconventionnement, le surloyer est possible, mais pose un problème juridique sur lequel nous travaillons avec les conseils départementaux, qui sont les plus compétents sur l'aide sociale.

Les difficultés très particulières que posent les personnes handicapées vieillissantes, présentant des troubles psychiques ou psychiatriques, justifient que nous travaillions immédiatement sur la tarification, mais elles requièrent également une réflexion sur le modèle d'un Ehpad plus diversifié, qui agisse comme une plateforme de services à la personne, à domicile ou en hospitalisation de jour. J'ai lancé cette réflexion en saisissant à ce sujet le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) et le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM).

Nous allons lancer une grande concertation sur l'accompagnement du vieillissement de la société, parce que nous avons intérêt à engager le plus tôt possible ce débat aux dimensions sociétales et financières très importantes.

M. Olivier Henno. - Dans le Nord, la réforme a favorisé les établissements à but lucratif, mais en y regardant de près, on constate que certains de ces écarts se justifiaient par des différences de coûts de fonctionnement.

La décision de mettre en place une double tarification a été prise au regard des tensions financières subies par les départements. Dans mon département, on a pris la décision de demander un peu plus aux familles qui en ont les moyens. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?

Par ailleurs, on sait que les difficultés financières des départements pèsent sur leur politique en matière d'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Qu'en pensez-vous ?

M. René-Paul Savary. - En matière d'hébergement, Bernard Bonne propose d'améliorer les incitations au viager. Comptez-vous y réfléchir ? Comme futur rapporteur de la réforme des retraites, je constate des proximités entre ce sujet et celui de la dépendance, en particulier s'agissant des petites retraites, qui ne sont pas seulement agricoles ! Comptez-vous mener une réforme systémique de la dépendance ou seulement une réforme paramétrique ?

M. Michel Amiel. - Sur le plan tarifaire, l'enfer est pavé de bonnes intentions. La réforme entendait améliorer la lisibilité et la clarté, elle a fait le contraire ! Je me suis rendu en Ehpad muni d'un document issu de vos services. Je peux vous dire qu'en comparaison, l'hématologie, c'est la bibliothèque rose ! Il faut simplifier !

Je crains que nous ne nous contentions de rustines et que les choses continuent à empirer. Une des pistes globales est le décloisonnement entre le sanitaire et le médico-social.

Deuxième point, la place des médecins et infirmières. Les médecins coordonnateurs, « dans la vraie vie », prescrivent alors qu'ils ne le devraient pas. Médicalisons davantage les Ehpad. Une infirmière de nuit doit avoir un contact - par exemple en télémédecine - avec un médecin. Elle ne peut pas refuser d'hospitaliser un patient.

On ne sait pas où mettre des personnes handicapées plus jeunes qui viennent en Ehpad. Nombre d'Ehpad acceptent des personnes « borderline »...

J'ai gardé mon combat personnel, la fin de vie dans les Ehpad, pour la fin : on s'affronte sur le sujet à coup de tribunes dans les médias. Dans les Ehpad, la fin de vie est dramatique car le personnel est rarement formé aux soins palliatifs. Faute de mieux, on hospitalise la personne âgée dans une structure d'urgence où elle mourra probablement dans des conditions épouvantables, sans parler du coût financier. Légaliser l'euthanasie dans ce cadre est extrêmement dangereux, du moins tant que la loi Claeys-Leonetti de février 2016, dont j'ai été le rapporteur avec Gérard Dériot, n'a pas été expertisée... Nous souhaiterions que cette loi soit appliquée, mieux connue, et évaluée.

M. Jean-Noël Cardoux. - Lors du débat sur le risque de la dépendance sous la houlette de Mme Marie-Anne Montchamp, alors ministre, deux écoles s'affrontaient sur le financement de la dépendance : celle de la solidarité nationale et celle du financement par une assurance privée. Avons-nous avancé sur ce dernier point ? Le président de la Fédération française des assurances nous indiquait que les assureurs sont prêts, et peuvent proposer des produits. Toute personne pourrait, en vue d'une éventuelle future dépendance, soit adhérer à un contrat d'assurance individuelle - peu cher s'il est souscrit à 25 ou 30 ans - soit accepter le recours systématique sur la succession ou sur le patrimoine. J'avais déjà émis cette idée.

Un débat éthique majeur s'ouvrira bientôt sur les soins palliatifs. Où en est le financement des unités de soins palliatifs ? Dans mon Ehpad du Loiret, nous avions une précieuse unité de cinq lits de soins palliatifs, qui permettait une fin de vie relativement apaisée. Nous manquons cruellement de telles unités, qui relèvent du domaine sanitaire. Avez-vous l'ambition d'accroître significativement les moyens des unités de soins palliatifs en Ehpad ?

Mme Michelle Meunier. - Évoquer les personnes âgées, ce n'est pas seulement parler d'Ehpad et de tarification, et je suis satisfaite de vous entendre. Je vous trouve injuste sur la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement (ASV) qui ne servirait pas à grand-chose. Elle procédait d'un nouveau regard sur les personnes âgées.

Je vous rejoins sur votre approche de la prévention, de la qualité de la prévention et de la qualité de vie au travail. Il y a un besoin de reconnaissance et de valorisation des métiers d'aide aux personnes âgées - comme des métiers de la petite enfance - par un meilleur déroulement de carrière, de la formation continue... Soyons attentifs à la formation initiale ; qu'en est-il du référentiel des aides-soignants, qui serait prêt mais pas encore publié ? Certes, des évolutions sont à souligner, comme le glissement des tâches. Même si 80 % des maltraitances surviennent dans le cadre familial, 20 % se passent dans les Ehpad. La famille ou le personnel déclarent des cas mais il y a peu de sanctions, alors que les ARS sont mandatées pour intervenir. Certes, il est difficile d'être juge et partie - les ARS sont également financeurs... Cette indépendance est plus compliquée.

M. Alain Koskas vous remettra un rapport sur la maltraitance financière, sujet important ; la formation du personnel doit être améliorée.

Mme Agnès Buzyn, ministre. - Monsieur Henno, vous avez souligné que la réforme était plutôt favorable au privé, mais qu'il ne fallait pas abandonner une philosophie adaptée. La mise en oeuvre est difficile. Je suis favorable à ce que les départements puissent moduler les tarifs. Actuellement, cela pose un problème juridique, mais nous explorons cette voie. Les départements souffrent d'avoir la charge d'une aide sociale excédant largement l'APA - ils ont aussi à gérer les mineurs non accompagnés, le revenu de solidarité active... Nul ne leur jette la pierre. Nous connaissons cette tension : comment mieux accompagner tous ceux qui en ont besoin ? Il faudrait instaurer une péréquation pour les dotations de solidarité - ce sujet sera abordé dans le cadre de la Conférence nationale des territoires.

Monsieur Savary, la piste des viagers est intéressante mais elle ne règlera pas toutes les difficultés. Allons-nous vers une réforme systémique ou paramétrique de la dépendance ? Je suis incapable de vous le dire. Nous ouvrons à peine ce chantier, que nous osons enfin affronter. Il est temps ! En 2050, plus de 5 millions de personnes auront plus de 85 ans. Autant s'y préparer trente ans à l'avance...

La réforme systémique coûterait 7 milliards d'euros, avec 2 milliards euros d'APA. Cela rejoint la question de l'assurance privée ou du recours sur succession.

Monsieur Cardoux, à ma connaissance il n'y a pas de réforme ni de proposition d'une voie assurancielle. Cela relèvera du prochain débat public. Si nous voulons aller vers plus d'assurance privée - ce n'est pas actuellement le cas - il faudrait que celle-ci soit souscrite très tôt et quasiment obligatoire pour être efficace. On ne sait pas quel sera le prix de la prise en charge trente ou quarante ans après...

Monsieur Amiel, j'espère que la mission du médiateur n'apportera pas de simples rustines. Cette réforme tarifaire a été mûrement débattue et réfléchie pendant trois ans avec les parties prenantes et les départements. Il me semblait difficile, dès mon arrivée, de jeter aux orties cette réforme, à peine mise en oeuvre, et qui semblait faire consensus. Certes, le diable est dans les détails : la mise en oeuvre est chaotique, prouvant la difficulté d'une telle réforme. Le modèle évoluera grâce aux propositions du HCAAM et du HCFEA. Je ne suis pas sûre que le modèle actuel des Ehpad durera ad vitam aeternam. Il faut d'une part éviter qu'il y ait des perdants, d'autre part rétablir les équilibres. Ce sont peut-être des rustines, mais elles serviront comme telles, en attendant de trouver une solution, qui sera complexe ; nous avons besoin de plusieurs mois de concertation pour avancer vers un modèle différent.

Le désarroi quotidien du personnel est en partie liée au fait que les personnes accueillies meurent en moyenne dans les deux ans. C'est très anxiogène et déprimant. Nous devons former le personnel et organiser la fin de vie en Ehpad. La loi Claeys-Leonetti répond aux besoins. Désormais, des équipes mobiles de soins palliatifs - en nombre insuffisant - interviennent en Ehpad et remplacent les unités de soins palliatifs. La loi prévoit que les médecins généralistes peuvent provoquer la sédation profonde et prolongée en Ehpad. La Haute Autorité de santé (HAS) a été saisie pour proposer des recommandations de bonnes pratiques et aider les généralistes à appliquer cette réforme, notamment dans la médecine de ville, à domicile ou en Ehpad. Il faut les accompagner. Comme vous, je ne pense pas qu'une loi supplémentaire résoudra la situation.

M. Gérard Dériot. - Très bien !

Mme Agnès Buzyn, ministre. - Je me suis mal fait comprendre sur la loi ASV : elle n'a pas réglé le problème de la tarification, mais a effectivement permis d'aborder différemment le sujet. Nous devons mieux prévenir la perte d'autonomie. Le Programme national de santé publique comportera un tel chapitre. Les personnes âgées doivent vieillir moins dépendantes ; nous devons agir maintenant pour dans vingt ans...

Une commission sur la qualité de vie au travail a été mise en place au sein du ministère. Il y a quinze jours, nous avons aussi installé une commission sur la bientraitance et la prévention de la maltraitance, présidée par Denis Piveteau, dont chacun connait l'engagement. J'attends ses propositions.

Il faut valoriser, au sein des territoires, ces métiers, très utiles, locaux, non délocalisables, et donner des perspectives de carrière.

La HAS, qui absorbe l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux (Anesm), mènera des enquêtes de satisfaction dans les Ehpad, à l'instar de ce qui a été réalisé dans les hôpitaux. Autorité indépendante, elle sera plus à même d'identifier ce que doit être la qualité dans un Ehpad. Actuellement, lors que la HAS ne certifie pas un établissement de santé, la sanction tombe. Cette reprise en main de la HAS sur le médico-social améliorera les indicateurs de qualité dans les Ehpad.

Mme Corinne Féret. - Dans certains départements, les capacités d'accueil sont trop nombreuses, dans d'autres, comme dans le Calvados, elles sont insuffisantes. Le Calvados a 93 Ehpad, mais 75 % sont privés. À Caen, ville de 100 000 habitants, le premier Ehpad public a été ouvert en 2015. Dans d'autres départements, la situation est toute autre. Comment pouvez-vous inciter véritablement les collectivités territoriales à ouvrir des établissements publics pour proposer des places aux plus modestes - le secteur public demande un tarif de 55 euros, contre parfois plus de 100 euros au privé à but lucratif ?

M. Jean Sol. - Je souligne l'activité et la charge de travail du personnel des Ehpad ayant manifesté un grand mal-être. Leur activité s'est amplifiée et a évolué au regard d'indicateurs comme l'espérance de vie, une précarité sociale inadmissible, des poly-pathologies... Ce mal-être est multifactoriel : il a trait aux effectifs, aux conditions de travail, aux moyens logistiques, à la médicalisation de plus en plus importante et à son impact sur la prise en charge, à la vétusté des locaux, à la non-adaptation de l'architecture à l'évolution des besoins, aux cycles de travail, à l'absentéisme pas toujours remplacé à bon escient, au manque d'attractivité des métiers...

Même si la réforme tarifaire s'impose, vous ne pourrez pas faire l'économie d'un travail sur le management dans les Ehpad, qui doit se moderniser et être adossé à des formations spécifiques, et à des affectations et mobilités choisies. Les organisations de travail doivent être revisitées, le temps de travail et les qualifications adaptés selon la charge de travail. L'absentéisme est très important : remplaçons les absents avant d'évoquer tout renfort d'effectifs. Je suis sceptique sur les 12 heures proposées par votre rapporteur.

Une dotation pour les moyens logistiques et des aides techniques préviendront les accidents de travail et les troubles musculo-squelettiques. Réfléchissons à une formation spécifique d'infirmière voire d'aide-soignante en gériatrie - à l'instar des infirmières de blocs opératoires ou en anesthésie - et valorisons le dispositif d'infirmier d'astreinte de nuit. Il fonctionne bien, je l'ai expérimenté dans les Pyrénées-Orientales. De nombreux Ehpad développent ce dispositif, géré par le centre hospitalier. Amplifions les partenariats public-privé et associatifs, et harmonisons les bonnes pratiques grâce à un référentiel.

Les Ehpad se substituent au manque de lits du système de soins longue durée. Avec la démographie actuelle, la situation ne va pas s'améliorer, il faut résoudre ce problème. Telles étaient mes propositions issues d'une expérience professionnelle de plusieurs années comme cadre de santé.

Mme Monique Lubin. - Vous avez déjà ouvert le débat sur le coût de la dépendance, qui sera élevé dans les prochaines années. Nous devrons prendre des décisions délicates. Les résidences-autonomie ne répondent pas aux problèmes des personnes âgées dépendantes. Nous n'avons pas encore trouvé de solutions, mais il faut créer des places supplémentaires. Pourrons-nous très rapidement adopter un plan de création de places, indispensable, pour les dix prochaines années, et si possible dans le secteur public ? Si l'on veut un maximum de places habilitées à l'aide sociale accessibles à l'ensemble des Français, maintenons un bon niveau d'aide sociale.

Mme Nadine Grelet-Certenais. - Vous avez mandaté les ARS pour qu'elles soutiennent les Ehpad les plus en difficulté. Dans mon département, un établissement présente un déficit de 500 000 euros, ce qui limite ses investissements. Le département demande à la commune sur laquelle il est implanté d'investir à la même hauteur que lui, soit 700 000 euros, alors que de cette commune ne sont originaires que 8 % des résidents... Comment faire en sorte que la participation ne revienne pas à une seule commune, sachant que l'établissement recrute bien au-delà de la communauté de communes ?

Les financements des établissements privés sont fondés sur un actionnariat prépondérant. Peut-on envisager de taxer ces actions ?

Certes, il faut améliorer la télémédecine et les aides techniques, mais cela ne doit pas se faire au détriment d'une présence de personnel pour la sécurité et la sérénité des résidents et des familles, y compris la nuit. Nous devons rendre ces établissements attractifs, afin qu'ils redeviennent des lieux de vie. J'ai ainsi rencontré une animatrice qui a redonné vie, une vision interne et externe à un établissement, et qui a modifié notre perception de la personne dépendante.

Mme Nassimah Dindar. - Le coût journalier moyen dans les Ehpad des DOM est plus élevé que la moyenne nationale. À La Réunion, il s'élève à presque 75 euros. Les Ehpad accueillent tous GIR et âge confondus, sachant que 95 % des personnes accueillies bénéficient de l'aide sociale. Leur patrimoine étant très restreint, les personnes âgées ne veulent pas aller dans ces établissements ; c'est pourquoi le département a voté le non-recours sur succession.

Quels sont vos objectifs sur la longévité et la dépendance des personnes vieillissantes ou des personnes porteuses de handicap ou de maladies mentales ? Créons des établissements totalement différenciés : le modèle actuel ne correspond plus à la demande. N'est-il pas possible d'instaurer deux types de modes d'accueil, avec des places spécifiques pour des personnes en perte d'autonomie ou atteintes de certaines maladies, avec un accompagnement plus important des ARS ?

Serait-il possible de créer un ratio de personnel minimum, comme c'est le cas pour l'accueil familial ou la petite enfance ? Actuellement, chacun fait comme il l'entend. Dans les DOM, le taux d'encadrement est de 0,7 ETP par résident, ce qui est supérieur à la moyenne nationale, mais le taux d'absentéisme est supérieur à la moyenne.

Le rapporteur a fait un très bon travail. Je vous le disais, le département a voté le non-recours aux successions. Toucher au patrimoine est très délicat. Les Français y sont attachés. Je ne crois pas au viager. On peut souscrire très tôt une assurance décès, pourquoi ne pas souscrire très tôt également une assurance dépendance ?

M. Philippe Mouiller. - Vous avez souligné la nécessité de réfléchir sur la mutualisation des fonctions support. C'est une bonne piste de travail mais attention à la complexité juridique des structures de coopération, notamment les groupements de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS). Certains métiers support ne sont pas liés à la santé, plusieurs statuts différents peuvent coexister au sein d'un même groupement, comme des agents de la fonction publique d'État ou territoriale, ce qui pose des difficultés de gestion. Dans de nombreux départements, les services d'administration générale n'ont pas l'habitude des contrôles de gestion, et les habitudes diffèrent selon les départements. Faisons simple et concentrons tous les moyens autour de l'accompagnement des personnes.

Par ailleurs, le personnel n'est pas forcément formé pour accueillir les personnes handicapées vieillissantes. Il faut des structures adossées aux Ehpad ou complémentaires.

Mme Agnès Buzyn, ministre. - Mme Féret, il faut évidemment augmenter le nombre de places en Ehpad pour faire face au vieillissement. Mais les collectivités locales ont une liberté d'administration : on ne peut pas les y obliger. Nous pouvons favoriser dans le secteur public des réflexions pour aménager des hôpitaux de proximité pouvant augmenter le nombre de places d'accueil pour des patients ayant des charges élevées. Faisons évoluer le modèle, notamment pour des personnes ayant des troubles psychiatriques ou cognitifs majeurs. Proposons à certains hôpitaux d'avoir des structures adossées spécialisées. Nous devons favoriser le décloisonnement entre le médical et le médico-social, notamment pour les personnes âgées très dépendantes.

Monsieur Sol, le ratio de personnes encadrantes n'est pas le seul indicateur à étudier. Depuis que je suis ministre, je visite quasiment un Ehpad par semaine. Certaines équipes de management très outillées, dynamiques, qui travaillent en projet, peuvent redonner vie à un établissement. C'est un vrai sujet. Lorsque j'ai évoqué cela, on m'a accusée d'agresser les managers, mais ceux-ci sont très hétérogènes. Cela dépend peut-être de la formation, mais a des conséquences réelles sur la qualité des Ehpad.

Vos remarques sur l'architecture me troublent : de nombreux Ehpad sont quasiment insalubres, tandis que d'autres, ultramodernes, ont de grands espaces ou de très longs couloirs...

Mme Laurence Cohen. - Très fatigants !

Mme Agnès Buzyn, ministre. - Ce n'est pas un mal de faire marcher les personnes âgées, mais c'est très fatigant pour le personnel, et parfois un non-sens. Adaptons l'Ehpad à la charge en soins des personnes. Ce sujet architectural n'est pas clos.

Plusieurs modèles de pharmacie interne existent. La préparation des piluliers prend un temps considérable aux infirmières.

M. Gérard Dériot. - Ils sont préparés dans les pharmacies !

Mme Agnès Buzyn, ministre. - Ce temps est déraisonnable pour les infirmières. Il faut déléguer et externaliser. Passer une heure le matin et une heure le soir à préparer ces piluliers dans un Ehpad qui compte seulement trois infirmières, c'est déraisonnable. Nous devons rationaliser.

M. Alain Milon, président. - Vous avez ouvert un nouveau débat !

Mme Agnès Buzyn, ministre. - Madame Lubin, nous avons interrogé le HCAAM et le HCFEA pour évaluer le nombre de places en fonction des modèles, pour nous projeter à échéance de dix ans. La réflexion sur un modèle très ouvert ou un éventuel modèle en deux temps - accueil des seniors en Ehpad et en structure plus médicalisée - fait également partie de la commande. Les rapports seront rendus en juillet.

Madame Grelet, il faut que ces lieux redeviennent des lieux de vie, en lien avec l'organisation et le management internes. Madame Dindar, des pôles d'accueil et de soins adaptés (PASA) sont déjà prévus pour les malades d'Alzheimer. Nous pourrions envisager un système similaire pour des personnes avec des handicaps psychiques.

Nous avons demandé à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) une réflexion sur les investissements pour créer des places, générales ou spécialisées. Cette structure est très bien positionnée pour animer la réflexion auprès des parties prenantes.

L'arrêt du recours sur succession - même si j'y suis favorable à titre personnel - a couté 3 milliards d'euros aux départements, une somme considérable. Posons tous les sujets sur la table. Le Gouvernement doit énormément consulter sur ce sujet de société.

Monsieur Mouiller, vous avez raison sur les difficultés juridiques des structures administratives qui les empêchent de coopérer. J'ai donné mission aux ARS de réfléchir aux réorganisations des Ehpad, appuyées par l'Agence nationale d'aide à la performance (ANAP), qui équipera les ARS et les Ehpad en ingénierie pour rationaliser les coûts. Certains Ehpad contractualisent ou rentrent dans des groupements hospitaliers de territoire (GHT) et participent aux centrales d'achat, gèrent le linge et la cuisine. Cette source d'économies considérables permet de recruter du personnel soignant et non administratif. Toutes ces pistes sont ouvertes. Nous avons énormément de travail pour améliorer la situation de nos Ehpad.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Merci de toutes ces réponses. Ce problème des personnes âgées nous concerne tous directement, aujourd'hui et demain.

J'ai essayé de faire des propositions concrètes applicables immédiatement, notamment de décider, à titre expérimental, dans un département ou plusieurs, avec l'accord du département et une ARS, à un niveau seulement, de la dotation à la fois en dépendance et en médicalisation. Cela apporterait de la souplesse et serait source d'économies. Les dépenses de personnel qui contrôlent les établissements et calculent les groupes Pathos, extrêmement complexes, sont énormes.

Si le médecin coordonnateur peut prescrire, la plupart des médecins traitants ne viendront plus dans les établissements, et ce sera une source d'économies importantes.

Les ARS et les départements doivent laisser plus de souplesse aux solutions intermédiaires d'accueil. Les résidences autonomie sont une solution à développer.

Les personnes handicapées vieillissantes permettent aux établissements d'avoir des ressources complémentaires puisque les départements paient un prix de journée supplémentaire.

M. Alain Milon, président. - Durant plus de vingt ans, j'ai présidé le conseil d'administration d'un Ehpad qui se trouvait à côté d'un centre hospitalier spécialisé. Des personnes âgées avec des maladies psychiatriques arrivent dans des Ehpad, mais les personnels ne sont pas formés pour les accueillir.

Le Sénat est très impliqué dans tous ces sujets et fait des propositions intéressantes. Il est nécessaire que ce travail soit reconnu par le Gouvernement...

Mme Agnès Buzyn, ministre. - Bien sûr !

La réunion est close à 18 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Jeudi 8 mars 2018

- Présidence de M. René-Paul Savary, vice-président -

La réunion est ouverte à 10 h 35.

Audition de M. Jean-Claude Ameisen, président d'honneur du comité consultatif national d'éthique (CCNE)

M. René-Paul Savary, vice-président. - Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence du président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, qui a dû regagner son département pour assister à des obsèques.

Nous accueillons ce matin M. Jean-Claude Ameisen en ouverture de nos travaux sur la bioéthique. Nous ne sommes pas encore saisis d'un texte, qui devrait être présenté à l'automne ; les états généraux préalables à son élaboration sont en cours, sous l'égide du comité consultatif national d'éthique. Nous aurons bien sûr à entendre son actuel président en clôture des états généraux. Il s'agit de la première audition de la commission des affaires sociales, que notre président a voulue pédagogique afin que la commission acquière une connaissance plus fine du contenu de la loi de bioéthique, des enjeux posés par le principe de sa révision, du contexte « sociétal » ainsi que des principales questions sur lesquelles elle pourrait être amenée à devoir se prononcer. C'est en qualité de « grand témoin » que nous accueillons Jean-Claude Ameisen, que nous avons eu le plaisir de recevoir à plusieurs reprises sur ces mêmes sujets.

J'indique, en préambule, les questions que nous lui avons adressées pour la préparation de l'audition. Comment définir la notion de « bioéthique » et jusqu'où faut-il étendre son champ ? Le principe d'une révision périodique des règles de bioéthique est-il nécessaire ? Pourquoi ne pas fixer un cadre définitif ? Comment composer avec le contexte actuel, qui peut sembler paradoxal, à la fois de fortes attentes et d'une défiance accrue envers la science en général ? Peut-on définir un ordre de priorité d'importance dans les questions bioéthiques qui sont soulevées à l'occasion de la prochaine révision ? Quelles sont les questions les plus importantes qui vont devoir être tranchées ? Comment la France se situe-t-elle en Europe dans la façon d'aborder les questions de bioéthique, de prendre en compte les avancées de la science et en termes de « permissivité » ? Sur toutes ces questions, je vous cède la parole.

M. Jean-Claude Ameisen, président d'honneur du conseil consultatif national d'éthique. - J'interviendrai ici à titre personnel. La démarche éthique biomédicale s'inscrit dans la réalité du soin et dans le champ des différentes lois qui l'encadrent.

Depuis le code de Nuremberg, la notion de choix libre et informé est l'un des fondements de cette démarche. Elle s'est d'abord développée en matière de participation à la recherche, avant d'être étendue, par la loi du 4 mars 2002, au domaine des soins. Il ne s'agit pas simplement d'un consentement mais d'un choix véritable opéré en étant informé et accompagné. Ce processus est désormais validé par un document : le formulaire de consentement libre et informé. Or, de plus en plus, celui-ci tend à se substituer au processus dont il est censé témoigner. Le processus de choix libre et informé requiert un dialogue avec le patient et a pour corrélat le droit de savoir et de ne pas savoir. Certains infirmiers ont été formés à l'annonce de maladies graves, comme le cancer, alors qu'une annonce est une information qu'on reçoit et non le fruit d'un dialogue. Ce dialogue demande du temps mais le temps n'est pas pris en compte dans la tarification à l'activité. Lorsqu'un thérapeute prend du temps pour accompagner les patients, il fait perdre de l'argent à l'hôpital, puisque seul l'acte technique est rémunéré. Cela empêche l'inscription de la démarche éthique biomédicale dans la réalité la plus quotidienne. Dans ce contexte général, j'ai peur que les textes ne soient en définitive que des substituts incantatoires.

La France connaît un autre paradoxe : nous attachons beaucoup d'importance au diagnostic de la maladie, et non à l'information sur ce diagnostic et à la gravité de la maladie elle-même. Ainsi, pour l'étude des caractéristiques génétiques, qui relève du champ de la loi sur la bioéthique, a été institué un conseil génétique qui rend possible le choix libre et informé. Mais lorsqu'un même diagnostic est réalisé sans impliquer ce type de test, ce dialogue n'est pas prévu. Évitons ainsi que la loi restreigne l'appréciation de la gravité d'une maladie aux outils utilisés pour la dépister.

Les tests génétiques sont en train de modifier radicalement les pratiques, du fait de leur remplacement par un séquençage large du génome. Il est difficile de se préparer à un test dont on ne connaît pas la réponse ! Le diagnostic préimplantatoire a récemment connu des avancées techniques, comme le séquençage de l'ensemble du génome d'un foetus dès la 8ème semaine de grossesse. Les informations recueillies à cette occasion peuvent être non-interprétables, voire angoissantes, et entraîner une confusion entre ce qui est pathologique et ce qui est rare, qui interroge.

Si le champ de la loi relative à la bioéthique est très vaste - l'interruption médicale ou volontaire de grossesse, les recherches sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, l'assistance médicale à la procréation, les neurosciences et l'imagerie cérébrale, ou encore les greffes d'organes et de tissus -, celui du débat public sur la bioéthique est encore plus large. Les questions relatives à la fin de vie figurent ainsi parmi les thèmes des états généraux en cours.

En effet, le législateur a prévu que tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine ou de la santé, doit être précédé d'un débat public sous la forme d'états généraux. Je préfère le terme de « nouvel examen » de la loi, plus ouvert que celui de « révision ». Le législateur a eu raison de découpler le débat public du réexamen de la loi : moins l'issue du débat est attendue, plus la réflexion peut porter sur le fond des enjeux et motiver une oeuvre d'intelligence collective. Le délai de six mois prévu est, à cet égard, un délai trop court ! Deux ans se sont écoulés entre l'installation de la commission Sicad sur la fin de vie et la transmission de ses conclusions à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), la durée de ce débat lui conférant une certaine sérénité et une réelle ouverture. L'article 46 de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique avait prévu que ces états généraux réunissent des conférences de citoyens tirés au sort et issus de divers horizons. Ces conférences, auxquels de nombreux pays ont eu recours avant nous, permettent d'inventer des questionnements nouveaux et présentent d'indéniables vertus pédagogiques, en offrant la possibilité à des citoyens informés d'élaborer une réflexion collective originale et d'apporter une vision complémentaire.

On confond souvent le point de vue international et européen. Il est essentiel de comprendre les raisons qui amènent d'autres pays à poser les problèmes bioéthiques de manière différente. En Europe, les pratiques parfois divergentes des États sont considérées par les juridictions européennes comme compatibles avec les principes fondamentaux. Faute de ce socle commun de valeurs, les États non européens envisagent les réponses aux questions de bioéthique de manière encore plus diverse. Lors du débat qui s'annonce, il serait opportun de se forger une vision plurielle en examinant les pratiques des autres pays, qu'ils soient européens ou plus lointains, et en s'attachant à comprendre leurs approches.

La notion de bioéthique est elle-même spécifique. Son étymologie désigne l'éthique du vivant, ce qui souligne que son fondement doit demeurer le respect de la personne. Je préfère le terme d'« éthique biomédicale », en ce qu'il dépasse le champ de la médecine. Réfléchir sur le contenu de la loi de bioéthique implique, pour ne pas être déconnecté de la réalité, de prendre en compte des domaines extérieurs à son champ, comme l'équité devant l'accès aux innovations médicales, la sphère économique ou encore le handicap et le vieillissement. En effet, conduire un test sophistiqué sur un enfant en situation de handicap, sans que ne soit prévu un accompagnement ultérieur, est un geste discutable, sinon choquant.

Nous sommes un pays de réparation. Pour preuve, notre budget public de santé, qui est l'un des plus élevés du monde, y consacre près de 95 % de ses ressources, contre 5 % pour la prévention. Le préambule de notre constitution spécifie que la Nation garantit à chacun la protection de la santé. Or, la prévention en est le premier moyen. Se focaliser uniquement sur la réparation revient à ignorer que le but de cette réparation est de vivre dans le meilleur état de santé possible dans la durée. À l'instar de la tarification à l'activité, notre compréhension de la santé est immédiate, quasi-photographique, et évince toute notion de durée. Cet accent porté sur la réparation nous fait perdre de vue la prévention et des questions importantes qui n'entrent pas dans le champ de la médecine. Chaque année, plus de 40 000 personnes meurent prématurément des conséquences de la pollution de l'air extérieur. C'est pourquoi une loi relative à la bioéthique doit être pensée en complémentarité avec d'autres demandes pour lui éviter de devenir, comme le relevait déjà mon prédécesseur Didier Sicard, un « alibi éthique ».

L'éthique biomédicale est censée rechercher le meilleur moyen d'intégrer les nouvelles connaissances scientifiques dans les pratiques, dans le respect de chaque personne. Or, certains sujets, comme l'ouverture aux femmes seules ou en couple avec une autre femme de l'assistance médicale à la procréation ou les questions relatives à la fin de vie, démontrent que les évolutions sociétales, au-delà des seules avancées médicales, soulèvent également de nouvelles questions éthiques. Les états généraux vont aussi s'emparer de la question du big data, qui découle d'avancées fondamentales dans d'autres domaines que la biologie ou la médecine.

Cependant, comment hiérarchiser les questions bioéthiques ? Les droits fondamentaux des personnes fournissent un premier critère. La déclaration universelle de l'UNESCO sur la bioéthique et les droits de l'homme illustre ce lien qui me semble essentiel : l'importance des questions bioéthiques se mesure par leur incidence sur les droits fondamentaux. La « permissivité » me semble anecdotique puisque c'est à l'aune des droits fondamentaux qu'une autorisation, ou qu'une interdiction, doit être évaluée. Réussir à répondre au mieux aux aspirations des uns et des autres, sans que les droits fondamentaux d'une personne n'empiètent sur ceux d'une autre demeure, il est vrai, un exercice complexe.

La question de la fin de vie reflète un problème majeur : notre difficulté à ce qu'un droit soit accessible équitablement à chacun. Depuis 1999, l'accès aux soins palliatifs est garanti par la loi. Or, dix-neuf ans plus tard, la moitié de la population dont l'état requiert de tels soins en est privée. Ce n'est là qu'un exemple : que ce soit sur la scolarisation des enfants handicapés, l'emploi des personnes handicapées ou encore le droit au logement, le contenu des lois est excellent, mais reste déconnecté de la réalité des pratiques. Amartya Sen rappelait qu'un droit sans l'accès au droit est la négation du droit.

Derrière la faillite à soulager la douleur et la souffrance, il y a la faillite à écouter la personne. Or, écouter la douleur de la personne et y répondre est au fondement de toute vocation médicale et a longtemps résumé l'action des médecins. Nos collègues européens sont étonnés de constater que les soins palliatifs ne sont proposés qu'aux toutes dernières semaines de la vie. Pourtant, la loi de 1999 a précisé que les soins palliatifs étaient voués à toute personne en situation de douleur ou de souffrance. Un médecin généraliste n'est pas en mesure d'assurer des soins palliatifs à domicile, faute d'y être formé ou de pouvoir utiliser les produits nécessaires pour calmer la douleur, d'où le développement de services spécialisés. Dans les autres pays où ces soins existent, tout médecin est en mesure de les prodiguer. Cette situation reflète une culture sociétale et médicale. Notre pays ne valorise guère les soins palliatifs, alors que ces activités ne sont pas onéreuses, sauf en temps humain.

Un débat existe également sur l'accès au suicide médicalisé ou à l'euthanasie, qui ne doivent pas être une alternative aux soins palliatifs. D'ailleurs, dans les pays qui ont autorisé ces pratiques, seuls 1 à 2 % des patients y ont recours. Les orientations de notre débat national me paraissent trop tranchées : nous pensons que cela s'appliquera à tous alors qu'il s'agit d'écouter une souffrance individuelle et d'y répondre le mieux possible. La fin de vie est d'une singularité extrême. Quelle que soit la réponse apportée, la prise en compte de la détresse des personnes est importante. Nous avons tendance, en France, à confondre l'euthanasie avec l'assistance au suicide. Cependant, certains pays ont autorisé l'assistance au suicide, tandis que l'euthanasie est pénalisée, et vice-versa. Ainsi, dans les États américains, comme l'Oregon ou le Maryland, les personnes qui n'ont plus que six mois à vivre peuvent demander l'assistance à une possibilité de suicide. Dans l'Oregon, un tiers des personnes qui obtiennent l'autorisation de détenir une substance létale ne la demandent pas et la moitié des personnes qui en disposent ne l'utilise pas. L'angoisse de ne pas supporter la situation est à l'origine de la demande, et non le souhait de disparaître à un moment précis. La prise en compte de cette angoisse est essentielle. Dans tous les pays qui ont dépénalisé ces approches, l'accès aux soins palliatifs est parallèlement garanti. Dans notre pays où la majorité de nos concitoyens n'ont pas accès à ces soins, cette approche risquerait de devenir une alternative.

S'agissant de l'assistance médicale à la procréation, je pense, à titre personnel, qu'il faudrait l'ouvrir aux couples de femmes et aux femmes seules. En effet, notre société et la définition de la famille ont connu de réelles évolutions à la suite du mariage pour tous. Toutefois, cela pose une question de faisabilité car la France ne compte annuellement que 300 donneurs de sperme. Sachant qu'un donneur ne peut donner son sperme à plus de dix couples, le nombre de couples susceptibles de bénéficier d'un don ne peut dépasser 3 000 par an, soit le nombre de couples hétérosexuels actuellement concernés. Si la question des donneurs n'est pas pensée par la société, on risque, une fois encore, d'aboutir à une situation de droit virtuel.

L'ingénierie génétique, à travers notamment la méthode CRISPR Cas9, permet d'agir sur les gènes pour modifier rapidement l'ensemble d'une espèce, y compris animale. L'impact de l'usage de ces techniques implique une démarche internationale. Cette technique, aisée à mettre en oeuvre, n'est pas encore dénuée d'effets secondaires. Dans ce domaine, la Convention pour la protection des droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain en rapport avec les applications de la biologie et de la médecine, dite Convention d'Oviedo, signée en 1997, mais ratifiée le 13 décembre 2011 par la France, interdit les modifications germinales. Ce texte a été rédigé alors que la technique n'existait pas encore. Depuis deux ans, date du traitement élaboré par Alain Fisher pour les enfants immunodéprimés, le contenu de cette convention fait débat. Ne faut-il pas se repencher sur de telles conventions et leur application à intervalles réguliers ? La disponibilité de la technique amène à reprendre une réflexion estimée close il y a vingt ans. Toute réflexion à l'avenir sur une technologie devrait présumer de sa disponibilité, de sa facilité et de son absence d'effets secondaires, afin de ne pas l'occulter. Une telle lacune se retrouve en matière de recherche embryonnaire : contrairement à d'autres pays, le législateur français n'a pas prescrit de délai à cette activité. L'Agence de la biomédecine a, quant à elle, décidé d'un délai de quinze jours en s'appuyant sur les conclusions d'un avis du conseil consultatif national d'éthique. Rien n'interdit cependant dans la loi de cultiver un embryon surnuméraire en France après un tel délai. La Grande-Bretagne interdit une telle pratique après quinze jours, au motif qu'apparaissent, à l'issue de cette période, les premières cellules nerveuses. Le développement in vitro d'un embryon destiné à être implanté in utero, au-delà de 15 jours, est désormais techniquement possible, ce qui conduit à réinterroger notre position. Si une technique devient facile, elle devient aussi réversible. Si ce qui était tenté, dans le cadre des thérapies germinales, sur une génération ne s'avérait pas concluant, il serait alors possible de revenir en arrière. Or, notre réflexion n'a pas encore pris en compte cette réversibilité des techniques.

M. René-Paul Savary, vice-président. - Merci de votre réflexion profonde qui alimente notre réflexion de législateurs sur des sujets dépassant la loi de bioéthique et concernant l'évolution de la société. Il me faut, à mon tour, céder mon siège à ma collègue Élisabeth Doineau.

- Présidence de Mme Élisabeth Doineau, vice-présidente -

Mme Élisabeth Doineau, vice-présidente. - Je vous remercie de votre exposé, Monsieur le Président, qui nous a tous passionnés, et nous projette dans l'avenir.

Mme Michelle Meunier. - Merci pour votre présentation qui expose une grande diversité de thématiques. Depuis le 18 janvier dernier, des rencontres régionales sont organisées sur neuf thèmes dans le cadre des États généraux de la bioéthique, dont deux - la procréation médicalement assistée et la fin de vie - mobilisent l'essentiel des débats, au détriment des autres sujets. Je redoute ainsi que ce réexamen de la loi manque son objectif de préparer l'avenir, faute de prendre en compte les innovations que vous avez évoquées, comme les ciseaux moléculaires ou encore le big data. Ne ratons pas cette opportunité, comme législateurs, de prendre une réelle hauteur de vue sur ces sujets engageant l'avenir !

M. Jean-Claude Ameisen. - Je partage votre préoccupation. Plus le débat public et l'idée d'une modification de la loi sont couplés, moins le débat est serein, en faisant primer les revendications sociétales considérées comme les plus urgentes sur la réflexion prospective. Six mois, c'est court pour un véritable débat au terme duquel le législateur devra intervenir ! Il faudrait conférer aux deux thèmes que vous avez cités la place qui leur revient dans une réflexion plus globale. Les nouvelles techniques de séquençage complet du génome vont changer radicalement le métier de médecin. Veillons à ce que les médecins ne sentent pas dépossédés de leur profession, lorsqu'il leur faudra travailler en équipe pour intégrer toutes ces innovations. La médecine de précision, fondée sur des données statistiques, n'est pas centrée sur l'individu : le génome d'une tumeur en cancérologie est comparé avec celui des autres tumeurs présentant des aspects analogues pour définir le traitement et le génome de la personne est rapprochée de celui des patients aux caractères les plus proches afin d'en réduire les effets secondaires. Sans l'effort de réintroduire le dialogue avec la personne, celle-ci disparaît de cette médecine de précision, tout comme, d'ailleurs, le médecin. Repenser ces deux figures, dans un tel contexte, implique de réfléchir sur la formation des médecins. Les algorithmes, en particulier quand ils fonctionnent de manière quasi-discrétionnaire, peuvent être biaisés, à l'instar de ceux qui sont employés dans le milieu carcéral américain et présupposent un plus fort taux de récidives chez les prisonniers latino-américains et afro-américains. Les algorithmes susceptibles d'intervenir à l'avenir dans le secteur médical seront-ils ouverts et les chercheurs, les médecins ainsi que les patients pourront-ils en comprendre les mécanismes ? Demander à des machines d'élaborer un diagnostic médical, sans comprendre comment elles parviennent à leurs conclusions, sera nécessairement problématique. Comment pouvons-nous être aidés par ces machines et non devenir leur instrument ? Cette question illustre la nécessité d'ouvrir la réflexion sur la bioéthique à d'autres domaines.

En participant à une conférence de citoyens organisée en 2016 par le ministère de la santé, j'ai pu constater à la fois la fascination qu'exerçait sur eux la science et les difficultés qu'ils éprouvaient pour s'approprier ses innovations. De façon paradoxale, la société attend beaucoup de la science, tout en se méfiant d'elle. D'un point de vue épistémologique, il est d'abord nécessaire de comprendre la signification des avancées de l'intelligence artificielle, en pensant qu'elles sont probables, avant de pouvoir en évaluer les conséquences. Une telle démarche permet ainsi de prévenir les réactions sociales de panique ou d'enthousiasme qui condamnent toute réflexion. Si, comme le disait Ésope pour la langue, l'intelligence artificielle n'est ni bonne ni mauvaise en soi, comment pouvons-nous l'utiliser au mieux du respect de chaque personne et avec le moins d'inconvénients possibles ? Les performances des nouvelles technologies avivent la difficulté de la réflexion ; je crains, comme vous l'évoquiez, qu'un tel débat ne soit reporté et que l'engouement ou le rejet triomphe au détriment d'une véritable démarche d'appropriation.

Mme Annie Delmont-Koropoulis. - Les algorithmes ouverts sont très utiles dans les transplantations rénales. Les modifications génétiques germinales s'avèrent prometteuses pour traiter par exemple le syndrome de Li-Froméni qui est à l'origine de séries de cancer et de drames familiaux. Par ailleurs, vous êtes reconnu pour vos travaux sur l'apoptose, c'est-à-dire le processus par lequel les cellules s'autodétruisent. Avec les nouvelles technologies comme les NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives), l'idée est de supprimer les brèches par lesquelles nos cellules se détruisent jusqu'à la mort. Quel est votre avis sur cette mutation au plan éthique ? Enfin, que pensez-vous du transhumanisme ?

M. Jean-Claude Ameisen. - Ces nouvelles technologies fournissent des outils extrêmement puissants. Cependant, comment ferons-nous pour en devenir les bénéficiaires et non les instruments ? A de rares exceptions, les maladies héréditaires peuvent être prévenues par un diagnostic préimplantatoire, ce qui implique le recours à la fécondation in vitro. Mais la médecine traite-t-elle l'individu ou les générations ? Nos gènes sont en interaction avec notre environnement dont nous ne connaissons pas l'évolution dans les cinquante prochaines années ; toute intrusion dans le génome devenant alors une sorte de façonnage génétique. Engager les générations futures revient à jouer aux apprentis-sorciers ! La réversibilité permet de se consacrer à une seule génération et d'éviter les écueils de la démarche transgénérationnelle. Les termes d'eugénisme et d'euthanasie, qui sont chargés d'histoire, doivent faire l'objet d'une nouvelle réflexion. En effet, l'eugénisme caractérise actuellement le souhait des parents que leur enfant ne naisse pas avec une pathologie grave et l'euthanasie désigne désormais la demande d'une personne en fin de vie de ne plus souffrir. Précédemment, l'eugénisme renvoyait à la stérilisation forcée des personnes, dont la descendance était estimée nocive pour la société, et l'euthanasie était employée par les nazis pour assassiner les enfants handicapés ! Ne soyons pas les prisonniers de l'histoire des mots et réunissons les conditions d'un débat ouvert et serein.

Mme Nadine Grelet-Certenais. - Votre intervention n'a pas manqué de nous interpeller, tant les valeurs que vous évoquez nous sont communes. Le respect des droits fondamentaux et les notions d'éthique sont-elles intégrées systématiquement dans la formation des chercheurs et des médecins ? Ces valeurs d'écoute, de respect de la personne, d'accompagnement dans le temps ne conduisent-elles pas à s'interroger sur les conditions actuelles de l'enseignement scolaire qui suscitent le mal-être des enseignants ? Enfin, votre conception du débat public, qui devrait dépasser la confrontation d'idées préétablies pour élaborer une réflexion collective, m'a rappelé l'esprit de la démocratie participative qui permet aux citoyens de se rapprocher du débat public.

M. Michel Forissier. - Merci de vos éclairages sur les questions scientifiques pour les législateurs que nous sommes. Je m'interroge sur le bien-fondé des lois que nous examinons et notre volonté de normer l'ensemble de la vie sociale. Si l'inflation législative répond à une demande collective, à la fois abusive et de court terme, l'éthique renvoie, me semble-t-il, davantage à une histoire individuelle, où l'éducation est rectrice, une réflexion de plus long terme et incombe ainsi à tout un chacun. L'homme doit être au coeur de notre réflexion politique et le législateur ne saurait poser des interdits à la recherche dont j'ai pu rencontrer, comme maire, certains acteurs au rayonnement désormais international. Plutôt que de chercher à édicter des normes et des interdits, la société devrait promouvoir une logique de résultats. Quels sont, selon vous, les critères recevables pour fixer une limite et départager, comme législateur, les avis des experts souvent diamétralement opposés afin de faire prévaloir le bien commun ?

Mme Florence Lassarade. - Notre génération n'a pas été formée à la bioéthique. A partir de quel moment et dans quel cadre faut-il en parler aux plus jeunes ?

M. Jean-Claude Ameisen. - Il n'existe pas de spécialiste en tant que tel de l'éthique, mais des personnes qui s'impliquent dans la réflexion éthique. La formation est essentielle : le conseil consultatif national d'éthique organise des journées entières dans lesquelles les lycéens de classe de seconde vont travailler sur des sujets, les présenter et en débattre. Apprendre à s'approprier ces questions est capital. Lors de l'introduction des cours d'instruction civique à l'école après les attentats, le conseil consultatif national d'éthique avait suggéré au ministère de l'Éducation nationale d'organiser des cours où serait privilégiée l'appropriation par les élèves eux-mêmes des principes éthiques afin qu'ils développent un esprit critique. Or, une école qui n'inclut pas des enfants handicapés parce qu'ils sont différents exclut une partie de la société et ne forme pas les futurs citoyens à l'échange avec la diversité. Notre école privilégie également l'apprentissage des connaissances au détriment de la capacité de dialoguer et de conduire une réflexion autonome. D'ailleurs, le classement PISA nous rappelle l'intérêt des pratiques pédagogiques de nos voisins, qui sont plus attentives à la spécificité de chaque élève et parviennent à corriger les inégalités sociales. Que l'école devienne respectueuse de chacun, corrige les inégalités, donne accès au droit et apprenne à devenir citoyen !

La vocation de la médecine est théoriquement d'aider, de soulager, d'écouter, de guérir et d'accompagner. L'expertise ne suffit pas : un comité d'éthique doit être ouvert à des personnes d'autres horizons afin d'être légitime. Envisager les conséquences sur la personne des techniques nouvelles implique de dépasser la simple expertise en ouvrant la réflexion sur d'autres registres. Je trouve étonnant que cette démarche ait été cantonnée à la sphère biomédicale sans avoir été élargie à d'autres domaines aux implications majeures, comme l'économie. Quel contraste avec la réunion, au Danemark, des conférences de citoyens chaque fois qu'un choix important doit être effectué par le Parlement, quel qu'en soit le domaine ! C'est là une question culturelle autant que sociétale : jusqu'où pensons-nous que le temps d'écouter les autres est important ?

Une démocratie est nécessairement participative, puisqu'elle est l'invention collective et permanente d'un vivre ensemble. L'usage de cette expression de « démocratie participative » témoigne, par défaut, que nous n'avons guère la culture d'une démocratie vivante. Paul Ricoeur rappelait qu'on entre véritablement en éthique quand, à l'affirmation par soi de la liberté, s'ajoute la volonté que la liberté de l'autre soit. Cette conception inscrit la liberté dans la solidarité et fonde ainsi la démocratie participative où chacun travaille à la liberté de l'autre, de manière individuelle et collective.

La connaissance nous permet de réfléchir aux conduites les plus souhaitables. La recherche de connaissances nouvelles, à la condition qu'elles soient partagées, est essentielle : tout choix libre et informé implique une information étayée. Plutôt que d'interdire d'emblée des pratiques comme le clonage in vitro, mieux vaut obtenir le plus de connaissances possibles sur cette technique avant de réfléchir sur ses éventuelles applications et de décider en connaissance de cause. La recherche, dans son déroulement, ne doit pas enfreindre les droits fondamentaux. Si, dans un monde idéal, l'éthique pourrait être unanimement respectée, encore faudrait-il s'accorder sur la définition du bien au niveau tant individuel que collectif. Qu'il s'agisse de domaines précis, comme l'école ou la pratique médicale, des lois, résultant d'une réflexion collective, sont nécessaires, afin d'échapper à l'arbitraire. Comment légiférer en respectant au mieux les droits et la liberté de chacun ? Le grand piège est de croire que le vote de la loi permet son ancrage ipso facto dans la réalité alors que l'évocation, par les médecins, d'une loi donnée plutôt que de la pratique qui en découle, en révèle la déconnection de leurs propres activités. Rappelons que le premier des vaccins a été élaboré, à la fin du XVIIIème siècle, par Jenner, à l'issue d'un test pratiqué sur un garçon de ferme auquel il inocula la variole et qui survécut. Une telle pratique serait condamnée aujourd'hui. Ainsi, l'inscription dans la loi de ce que nous considérons essentiel implique la prise en compte de valeurs sociétales ; le progrès ne se résume pas à la somme des avancées techniques et scientifiques, mais à l'usage que nous en faisons, au bénéfice, ou au détriment, des personnes.

La formation en bioéthique peut débuter dès la maternelle et s'adapter tout au long du cycle de vie. Plus on commence tôt, plus cette démarche devient indissociable de l'apprentissage des savoirs et de la vie en commun. La connaissance et le questionnement éthiques doivent être appropriables par toute personne non-spécialiste. Lors des conférences de citoyens, les personnes tirées au sort se dépassent lorsqu'il s'agit de réfléchir et non de prescrire des solutions. La démocratie participative et vivante repose sur le respect accordé à cette démarche ; confier une question à la réflexion des citoyens n'est nullement la dévaloriser. C'est là une démarche de confiance importante qui participe à la réflexion commune.

Mme Élisabeth Doineau, vice-présidente. - Merci Monsieur le président pour votre intervention éclairante. Grâce à vous, nous sommes engagés sur le champ d'exploration des possibles, avec ces auditions qui s'ouvrent sur la bioéthique et grâce auxquelles nous allons réfléchir et inventer ensemble.

La réunion est close à 12 h 35.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.