Mardi 13 février 2018

- Présidence de M. François Pillet, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Projet de loi organique relatif à l'organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie - Examen des amendements sur le texte de la commission

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Article 2

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n°  5 est rédactionnel.

L'amendement n° 5 est adopté.

Article 5

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n°  6 est également rédactionnel.

L'amendement n°  6 est adopté.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Article 3

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n°  1 est intéressant : il vise à s'assurer que les électeurs des îles Loyauté soient informés de leur possibilité de voter dans un bureau de vote « délocalisé » à Nouméa.

Néanmoins, une telle disposition ne relève pas de la loi organique. Nous espérons obtenir des assurances du Gouvernement sur ce point.

La commission demande le retrait de l'amendement n°  1 et, à défaut, y sera défavorable.

Article 3 bis

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n°  2 poursuit le même objectif que l'amendement précédent, cette fois pour le vote par procuration.

La commission demande le retrait de l'amendement n°  2 et, à défaut, y sera défavorable.

Articles additionnels après l'article 5 bis

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n°  3, relatif au remboursement des dépenses de campagne, me paraît tout à fait convenable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n°  3.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Avec l'amendement n°  4, le Gouvernement a tenu compte des observations que nous avions faites la semaine dernière sur les modalités de répartition du temps d'antenne pendant la campagne référendaire. Nous ne pouvions laisser cette décision relever d'un simple accord entre les présidents de groupe politique au Congrès de Nouvelle-Calédonie, sans que des garanties suffisantes soient apportées. La nouvelle rédaction permet d'éviter qu'un parti ou un groupement ne se voie accorder un temps d'antenne manifestement hors de proportion avec sa représentativité.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n°  4.

Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Sort de l'amendement

Article 2
Inscription d'office sur la liste électorale spéciale à la consultation

M. BAS

5

Adopté

Article 5
Adaptation du droit électoral à la nature du scrutin -
Informations transmises aux commissions administratives

M. BAS

6

Adopté

La commission adopte les avis suivants :

Auteur

Avis de la commission

Article 3
Bureaux de vote « délocalisés »

M. REQUIER

1

Demande de retrait

Article 3 bis
Encadrement du vote par procuration

M. REQUIER

2

Demande de retrait

Articles additionnels après l'article 5 bis

Le Gouvernement

3

Favorable

Le Gouvernement

4

Favorable

La réunion est close à 9 h 15.

Mercredi 14 février 2018

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Mission d'information sur la nature des peines, leur efficacité et leur mise en oeuvre - Nomination des membres

MM. Jacques Bigot et François-Noël Buffet sont nommés membres de la mission d'information sur la nature des peines, leur efficacité et leur mise en oeuvre.

Groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol - Désignation de candidats

M. Philippe Bas, président. - La commission doit proposer des candidats qui soient à la fois membres de la commission des lois et de la commission des affaires européennes.

La commission désigne Mme Sophie Joissains et M. Jacques Bigot comme candidats pour siéger au sein du groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol.

Nomination d'un rapporteur

M. François Bonhomme est nommé rapporteur sur la proposition de loi (n° 260, 2017-2018), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes.

Proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Josiane Costes, rapporteure. - Notre pays peut s'enorgueillir de pouvoir compter sur une fonction publique de grande qualité. Nos agents publics assurent avec probité et désintéressement les missions qui leur incombent, quels que soient la catégorie, le corps et le cadre d'emplois auxquels ils appartiennent.

La mobilité des fonctionnaires, particulièrement celle des hauts fonctionnaires, doit être encouragée, tant au sein des administrations publiques que vers le secteur privé. Elle leur permet en effet d'acquérir de nouvelles expériences et compétences qui contribuent à leur épanouissement professionnel, et elle favorise le décloisonnement, l'efficacité et l'efficience des administrations publiques. La mobilité est aussi un outil de valorisation des carrières et des compétences, au moment où la fonction publique souffre d'un manque d'attractivité.

Mais il importe, dans le même temps, de veiller à prévenir et à faire cesser les situations de conflits d'intérêts qui peuvent parfois survenir, voire entraîner des faits constitutifs d'infractions pénales. Ce risque peut se manifester tant dans l'exercice par un agent de ses fonctions au sein du secteur public - par exemple, lors de l'attribution d'un marché public à une entreprise au sein de laquelle il détiendrait des intérêts - qu'en cas de « pantouflage », c'est-à-dire lorsqu'un fonctionnaire souhaite quitter temporairement ou définitivement ses fonctions publiques pour le secteur privé.

L'équilibre entre cette double nécessité - favoriser la mobilité des fonctionnaires et éviter les situations de conflits d'intérêts - est difficile à établir. Au cours des auditions, j'ai pu constater, avec surprise, que la question de la mobilité des hauts fonctionnaires vers le secteur privé était un phénomène réel mais difficilement quantifiable.

D'une part, la direction générale de l'administration et de la fonction publique - la DGAFP - ne dispose pas de données agrégées sur cette question. Chaque corps, chaque administration, recueille, ou non, des données sur la mobilité de ses membres mais il n'y a pas de données générales.

D'autre part, il n'existe aucune définition légale de la haute fonction publique. Selon mes interlocuteurs, selon la définition que chacun retient, leur nombre varie entre 12 000 et 34 000 personnes, exception faite des maîtres de conférences. Si on ajoute cette dernière catégorie, leur nombre serait porté à 100 000.

M. Pierre-Yves Collombat. - Ce n'est pas le problème !

Mme Josiane Costes, rapporteure. - Il est très difficile d'apprécier un phénomène quand on ne sait pas quel périmètre il recouvre et quand il n'existe aucune donnée agrégée.

L'étude de 2015 intitulée « Que sont nos énarques devenus ? », réalisée par l'École nationale d'administration (ENA) et l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) sur le devenir des anciens élèves de l'ENA, concluait que 78 % d'entre eux n'avaient jamais exercé de responsabilité en entreprise au cours de leur carrière ; 22 % avaient momentanément travaillé dans une entreprise publique ou privée, mais poursuivaient ensuite leur carrière au sein de l'administration d'État. 8 % de l'ensemble des énarques avaient durablement quitté l'administration d'État.

Selon cette étude, la mobilité dans le secteur privé varie fortement selon le corps d'origine du haut fonctionnaire. Ainsi, 75,5 % des énarques issus du corps des inspecteurs généraux des finances avaient rejoint une entreprise publique ou privée au cours de leur carrière et 34 % d'entre eux avaient passé plus de la moitié de leur carrière hors de l'administration.

Précisons que, pour certaines administrations, comme la direction générale du trésor, les passages dans le secteur privé sont fondamentaux pour maîtriser les problématiques diverses liées à la vie des entreprises.

Mais si une mobilité de nos fonctionnaires dans le secteur privé est un outil de valorisation des compétences et des carrières, elle doit nécessairement s'articuler avec le respect des principes déontologiques pour prévenir et sanctionner tout conflit d'intérêts dans l'exercice de leurs missions au sein du secteur public.

La France s'est dotée depuis longtemps de règles destinées à prévenir et à sanctionner les conflits d'intérêts dans le secteur public. La commission de déontologie de la fonction publique constitue, aujourd'hui, le pivot de cette prévention. Ses prérogatives ont été progressivement renforcées depuis 2007 et, surtout, par l'article 8 de la loi « Déontologie des fonctionnaires » du 20 avril 2016.

Initialement, cette commission était chargée de l'examen des demandes de cumul d'activités ou des demandes de mise en disponibilité pour travailler dans le secteur privé, autrement dit le « pantouflage ». Elle émettait dans ces deux cas un avis de compatibilité, avec ou sans réserves, ou un avis d'incompatibilité sur ces projets professionnels. Seul ce dernier avis liait l'administration.

Aujourd'hui, la commission est chargée d'apprécier la compatibilité de toute activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise ou un organisme privé ou de toute activité libérale, avec les fonctions exercées au cours des trois années précédant le début de cette activité par tout fonctionnaire qui cesserait, définitivement ou temporairement, ses fonctions. Depuis la réforme de 2016, la saisine de la commission est obligatoire : d'abord, par l'agent public lui-même ; à défaut, par l'autorité administrative dont il relève ; à titre subsidiaire, par le président de la commission qui dispose d'un délai de trois mois à compter de l'embauche du fonctionnaire ou de la création de l'entreprise ou de l'organisme privé.

Le contrôle de la commission comporte deux dimensions. D'une part, un aspect pénal : elle s'assure qu'un départ vers le secteur privé ne conduit pas le fonctionnaire à commettre le délit de prise illégale d'intérêts prévu à l'article 432-13 du code pénal. D'autre part, un aspect déontologique : elle veille à ce que l'activité du fonctionnaire dans le secteur privé ne porte pas atteinte à la dignité des fonctions précédemment exercées ou ne risque pas de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l'impartialité ou la neutralité du service.

Malgré le renforcement de ses prérogatives, la commission de déontologie de la fonction publique continue de faire l'objet de nombreuses critiques : absence de suivi et de portée réelle de ses avis, risques de collusion entre ses membres et les agents soumis à ses avis, etc.

La récente mission d'information de la commission des lois de l'Assemblée nationale qualifie d'inabouti le renforcement de ses compétences. Elle regrette l'absence de publication de ses avis, qui priverait ces derniers de tout effet. L'obligation de saisine n'est pas encore totalement respectée par les agents et leur administration. Les moyens dont elle dispose ne lui permettent pas d'assumer ses prérogatives de façon toujours satisfaisante, ce qui peut contribuer à affaiblir l'autorité de ses avis. Enfin, l'articulation entre ses compétences et celles de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) fait aussi l'objet de nombreuses critiques. La première est chargée de veiller au respect des principes déontologiques de la fonction publique en cas de mobilité d'un agent public vers le secteur privé, tandis que la seconde doit s'assurer que l'exercice d'une fonction publique ne conduit pas à un enrichissement personnel. Si les missions sont en principe distinctes, elles peuvent s'exercer à l'égard des mêmes personnes à différents moments de leur vie professionnelle.

Ces avancées, notables, n'ont pas permis d'atteindre de façon satisfaisante cet équilibre entre mobilité et prévention des conflits d'intérêts. C'est ce qui explique les initiatives que nous avons prises, notamment lors des débats sur les lois « Déontologie des fonctionnaires » et « Sapin 2 » en 2016, et « Confiance dans la vie politique » en 2017. C'est ce qui explique aussi le dépôt par le président Jean-Claude Requier et plusieurs de nos collègues de la proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires, qui sera examinée en séance publique le 22 février prochain. Cette proposition de loi, qui complète la loi « Déontologie des fonctionnaires » de 2016, me paraît essentielle pour aborder certaines questions qui n'ont pas encore trouvé de réponses satisfaisantes.

Elle tend à renforcer les compétences de la commission de déontologie de la fonction publique, par diverses mesures. L'article 1er conditionne la recevabilité de la demande d'un fonctionnaire souhaitant quitter définitivement la fonction publique pour exercer une activité dans le secteur privé, d'une part, au respect de son engagement d'une durée minimale de services effectifs dans la fonction publique, d'autre part, à sa démission de la fonction publique préalablement à l'examen de sa demande par la commission.

L'article 2 tend à rendre obligatoire la saisine de la commission pour les demandes de mobilité des fonctionnaires soumis à déclaration auprès de la HATVP, et automatique l'ouverture d'une procédure disciplinaire en cas de non-respect de l'avis d'incompatibilité ou de compatibilité avec réserve émis par la commission.

L'article 3 prévoit de confier la présidence de la commission, non plus au conseiller d'État qui en est membre comme c'est le cas aujourd'hui, mais, alternativement tous les trois ans, à celui-ci, au conseiller maître à la Cour des comptes et au magistrat de l'ordre judiciaire qui en sont également membres.

L'article 4 tend à étendre le contrôle de la commission à la compatibilité des fonctions exercées par les fonctionnaires réintégrés dans la fonction publique après une mobilité dans le secteur privé. L'article 5 vise à étendre son contrôle au recrutement et au départ des secrétaires généraux et directeurs généraux des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes ou de toute autre personne participant à l'activité de contrôle de l'autorité. L'article 6 tend à limiter la durée d'un détachement des fonctionnaires à cinq ans, mettant ainsi fin à la distinction entre détachements de courte durée et ceux de longue durée. Il semblerait toutefois que l'intention des auteurs était de viser la mise en disponibilité, et non le détachement.

Enfin, l'article 7 prévoit d'instaurer une peine complémentaire obligatoire d'interdiction d'exercice d'une fonction publique pour les fonctionnaires condamnés aux mêmes infractions que celles donnant lieu au prononcé d'une peine d'inéligibilité.

Plusieurs de ces articles soulèvent des questions juridiques ou pratiques majeures. J'y reviendrai en vous présentant mes amendements. Il y a néanmoins deux sujets qui mériteraient un débat au sein de notre commission.

D'abord, celui du remboursement de la pantoufle : en effet, il serait légitime que les fonctionnaires ne respectant pas leur engagement d'une durée minimale de service au sein de l'État doivent, s'ils quittent définitivement la fonction publique, rembourser leur pantoufle. Mais il y a une difficulté : la durée de l'engagement minimal au service de l'État est variable selon le corps d'origine et le calcul de la pantoufle également (prise en compte ou non des années de scolarité). Toutefois, une disposition générale serait peut-être nécessaire.

Se pose ensuite la question d'une durée maximale d'une mise à disponibilité dans le secteur privé. Aujourd'hui, cette durée varie selon les cas : elle est de deux ans, non renouvelable, pour la création ou la reprise d'une entreprise, et de trois ans, renouvelables dans la limite de dix ans, pour un motif de « convenances personnelles ». Faut-il prévoir une durée de cinq ans dans la loi ?

M. Philippe Bas, président. - Je veux saluer le travail très objectif mené par Josiane Costes pour ce rapport.

M. Alain Marc. - Je salue la qualité du rapport. Les élèves qui choisissent de travailler dans le secteur privé à la sortie de l'ENA doivent-ils rembourser les frais de formation engagés par l'État ? Un préfet doit attendre un délai de trois ans avant de se porter candidat à une élection dans le département où il a exercé ses fonctions. J'estime que la durée de cette inéligibilité devrait être portée à dix ans.

M. Pierre-Yves Collombat. - L'ouvrage Les intouchables d'État, récemment paru, commence par une citation de l'inoubliable livre Révolution d'Emmanuel Macron : « Les hauts fonctionnaires se sont constitués en caste. [...] Il n'est plus acceptable qu'ils continuent à jouir de protections hors du temps ». Je constate qu'ils ont encore de beaux jours devant eux !

Vous souhaitez encourager la mobilité des fonctionnaires, mais tout dépend de la conception que vous vous faites de l'État. Pour défendre l'intérêt général, ce n'est pas utile ; en revanche, si le but est de favoriser le fonctionnement des affaires, alors il faut le faire. Si les intérêts de BNP Paribas se confondent avec ceux de la France, alors oui, il faut le faire.

Le problème ne vient pas du pantouflage, mais des allers-retours entre secteur public et secteur privé. Je ne mets pas en cause la moralité personnelle des hauts fonctionnaires. Et le déport ne règle rien. Si je prends l'exemple de la nomination de M. Villeroy de Galhau à la tête de la Banque de France, ce qui est à craindre, ce n'est pas qu'il favorise la banque dans laquelle il a auparavant travaillé, mais que les intérêts du système bancaire se confondent avec ceux de notre pays. La Banque de France, lorsqu'elle était dirigée par M. Christian Noyer, était à la manoeuvre pour saboter la réforme de la régulation bancaire.

Le problème n'est pas seulement moral, il est beaucoup plus fondamental.

Si l'on s'en tient à l'aspect purement déontologique, vous n'allez pas très loin. J'aurais pu voter la proposition de loi initiale, qui comprenait quelques éléments intéressants, mais avec vos amendements, que va-t-il rester ? Les articles disparaissent les uns après les autres...

Je ne comprends pas ; ou alors je comprends trop bien !

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je vous remercie pour la qualité de votre rapport sur un sujet important au regard de la défiance actuelle de nos concitoyens envers ceux qui exercent une activité publique.

Je veux souligner deux points : d'une part, la loi « Déontologie des fonctionnaires » du 20 avril 2016 n'a pas encore fait l'objet d'une évaluation ; d'autre part, le groupe RDSE a présenté cette proposition de loi avant la remise du rapport de la mission de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur la déontologie des fonctionnaires et l'encadrement des conflits d'intérêts. Dans un esprit de respect des travaux engagés par chacune des chambres, il eût été préférable d'attendre.

Cette proposition de loi n'arrive-t-elle pas trop tard au vu de la loi de 2016 et trop tôt au vu du rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale, puisqu'il n'a pas encore donné lieu à une initiative parlementaire ?

M. Jacques Bigot. - La proposition de loi présente l'intérêt de susciter en séance publique un débat sur la haute fonction publique et la prévention des conflits d'intérêts. Néanmoins, je ne suis pas sûr que ce texte complète utilement celui de 2016 et qu'il soit nécessaire d'adopter une nouvelle loi. Nous jugerons, au cours de la discussion des amendements, de l'utilité et de la portée de chaque article.

Mme Catherine Di Folco. - Quelle est la finalité de l'article 6 qui fixe à cinq ans la durée maximale d'un détachement d'un fonctionnaire ?

Mme Maryse Carrère. - Au nom du groupe RDSE, je veux rappeler la philosophie générale de la proposition de loi. Il s'agit de renforcer la loi du 20 avril 2016, qui s'applique à tous les fonctionnaires. L'étude « Que sont nos énarques devenus ? » a montré que les énarques étaient les plus mobiles. Un rapport de la DGAFP indique que la part les fonctionnaires de catégorie A+ en situation de disponibilité était de 7,9 %, contre 2,7 % des fonctionnaires des catégories A, 2 % des fonctionnaires des catégories B et 2,9 % des fonctionnaires des catégories C.

Les anciens élèves de l'ENA sont ceux qui ont le plus d'influence sur la politique de la nation. C'est la raison pour laquelle il semble nécessaire de leur appliquer des règles spécifiques, afin de s'assurer que leur mobilité ne met pas en danger l'intérêt général. Leurs allers-retours entre secteur public et secteur privé doivent être mieux contrôlés.

Cette proposition de loi s'intègre dans une réflexion plus globale sur l'avenir de la fonction publique, à la suite des mesures annoncées par le Premier ministre. Nous souhaitons réaffirmer les valeurs de la fonction publique et réfléchir aux moyens de restaurer l'attractivité de ses carrières.

Nous proposons des mesures destinées à ouvrir le débat en vue d'élaborer une position de compromis au sein du Sénat en prévision des futures discussions avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement. Le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur la déontologie des fonctionnaires et l'encadrement des conflits d'intérêts, rédigé par les députés Fabien Matras et Olivier Marleix, a été publié après le dépôt de notre proposition de loi.

Je salue la qualité du travail de notre rapporteure et sa volonté d'honorer au mieux son rôle dans la position quelque peu schizophrénique qui la conduit à rapporter le texte dont elle est l'un des auteurs.

Mme Josiane Costes, rapporteure. - Monsieur Marc, si un élève quitte l'ENA en cours de scolarité, c'est l'école qui procède au recouvrement des frais de scolarité. S'il pantoufle, c'est le corps ou l'administration dont il relève qui assure le recouvrement du remboursement de la pantoufle.

S'agissant des préfets, ils doivent effectivement respecter un délai de trois ans entre la cessation de leurs fonctions dans un département et leur présentation à une élection dans ce même territoire.

M. Alain Marc. - Si un préfet est nommé au début du mandat des futurs grands électeurs, il pourra se présenter à une élection au bout de six ans. Il faudrait, pour éviter tout conflit d'intérêts, que le délai soit porté à sept ans.

M. Philippe Bas, président. - Cela pourrait être jugé inconstitutionnel. Les préfets sont des citoyens français qui ne sont frappés que d'une inéligibilité relative. Le Conseil constitutionnel tient à préserver le droit de chaque citoyen à être candidat à une élection. Néanmoins, vous avez raison, il faut être attentif à éviter tout conflit d'intérêts. Une modification du seuil actuel est peut-être envisageable.

Mme Josiane Costes, rapporteure. - Monsieur Collombat, nous avons des conceptions philosophiques différentes sur le rôle de notre fonction publique.

Monsieur Mohamed Soilihi, aucune évaluation de la loi de 2016 n'a pour l'instant été conduite. Mais pourquoi attendre une proposition de loi de l'Assemblée nationale ? Le rapport des députés Fabien Matras et Olivier Marleix est public : il enrichira le débat du Sénat.

Madame Di Folco, il s'agit effectivement d'une erreur : l'article 6 vise en réalité les mises en disponibilité, et non les détachements.

Mme Brigitte Lherbier. - Prenons le cas d'un magistrat de tribunal administratif qui revient dans son corps d'origine après l'avoir temporairement quitté pour devenir conseiller municipal : n'y a-t-il pas conflit d'intérêts ?

M. Alain Richard. - La règle de déport s'applique.

M. Philippe Bas, président. - Si le tribunal doit connaître d'un contentieux intéressant la commune dans laquelle le magistrat a servi comme conseiller municipal, celui-ci ne pourra pas participer au jugement.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Josiane Costes, rapporteure. - L'amendement COM-4 vise à supprimer l'article 1er, qui soulève plusieurs interrogations. En premier lieu, la cessation définitive de fonctions visée mériterait d'être mieux définie. Car celle-ci concerne soit la mise en retraite, soit la démission, soit la révocation. Or, l'article 1er ne vise que la démission.

En deuxième lieu, il soulève une question d'articulation avec le droit existant. La présentation préalable de sa démission par un fonctionnaire serait contradictoire avec le premier alinéa du III de l'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983 selon lequel « le fonctionnaire cessant définitivement ou temporairement ses fonctions [...] saisit à titre préalable la commission afin d'apprécier la compatibilité de toute activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise privée ou un organisme de droit privé, ou de toute activité libérale, avec les fonctions exercées au cours des trois années précédant le début de cette activité ». En d'autres termes, l'administration ne peut prendre une décision avant que la commission de déontologie de la fonction publique ait été saisie et ait statué sur la demande de l'agent. Or l'article impose la démission avant la saisine de la commission ! Mieux vaudrait donner à la commission la possibilité de s'assurer de la démission effective de l'agent après qu'elle a rendu son avis.

L'amendement COM-4 est adopté.

Mme Nathalie Delattre. - Cet article visait à ouvrir le débat sur le manque de clarté des textes concernant les règles relatives au maintien prolongé des fonctionnaires hors de leurs fonctions dans l'administration. Celle-ci a-t-elle intérêt à ce que des agents souhaitant quitter la fonction publique se maintiennent hors de leurs fonctions durant plusieurs années par une combinaison de détachements et de mises en disponibilité ? Il arrive que certains fonctionnaires passent plus de la moitié de leur carrière hors de l'administration.

Par ailleurs, il faut évoquer le remboursement de la pantoufle. Nous regrettons la suppression de cet article.

M. Pierre-Yves Collombat. - J'aurais aimé que cet article fût maintenu. Le remboursement de la pantoufle peut sembler anecdotique mais, en réalité, il représente beaucoup plus ! Les choses sont parfaitement claires : vous ne souhaitez rien changer au système !

M. Jean Louis Masson. - Je suis favorable au remboursement de la pantoufle. Les écoles de fonctionnaires versent un salaire à leurs élèves. J'en ai bénéficié quand j'étais à Polytechnique. Il est normal de demander qu'en contrepartie, les bénéficiaires rendent un service à l'État et, s'ils ne le font pas, qu'ils remboursent leurs frais de scolarité.

M. Philippe Bas, président. - La règle du remboursement existe déjà, ce n'est pas l'objet de cet article. Il pose une règle inacceptable : le fonctionnaire devrait démissionner de la fonction publique avant d'être autorisé à exercer à titre définitif une fonction dans le secteur privé.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Si j'ai bien compris, Mme la rapporteure présente des amendements de suppression des articles de sa propre proposition de loi...

M. Philippe Bas, président. - Vous soulevez un point de méthode très intéressant. J'hésite toujours à confier à un membre du groupe auteur d'une proposition de loi le rapport sur ce texte. La fonction de rapporteur l'emporte nécessairement sur celle de signataire de la proposition de loi. Elle suppose de prendre du recul, et d'examiner le texte de la façon la plus impartiale et objective pour éclairer la commission des lois. C'est ce qu'a fait Mme Costes ; et les membres de son groupe, quelque peu déçus de la proposition de suppression de plusieurs dispositions, ont d'ailleurs rendu hommage à son objectivité.

Article 2

Mme Josiane Costes, rapporteure. - Mon amendement COM-5 et l'amendement COM-1 de M. François Patriat et des membres du groupe La République en Marche sont identiques : ils visent à supprimer l'article 2.

Les amendements identiques COM-5 et COM-1 sont adoptés.

Article 3

Mme Josiane Costes, rapporteure. - L'amendement COM-6 vise à supprimer l'article 3, qui prévoit une présidence tournante de la commission de déontologie de la fonction publique, aujourd'hui assurée de droit par le conseiller d'État qui en est membre, entre celui-ci, le conseiller maître à la Cour des comptes et le magistrat de l'ordre judiciaire. Or il importe de confier la présidence de la commission à une personne ayant une fine connaissance du fonctionnement de l'administration. En outre, la continuité dans l'exercice de cette fonction est souhaitable, étant rappelé que le président n'a pas voix prépondérante au sein de la commission.

M. Pierre-Yves Collombat. - Il s'agissait aussi avec cet article de limiter l'entre soi... La proposition était bien modeste à l'origine. Mais je constate que c'est encore trop !

M. Philippe Bas, président. - Vous appréciez tant la nature de la présidence de la HATVP que vous aimeriez étendre cette inamovibilité à tous les cas possibles, mais le travail des deux instances est de nature très différente.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je dis au contraire qu'une mobilité est nécessaire !

M. Philippe Bas, président. - Je vous avais mal compris.

Mme Maryse Carrère. - Cet article vise à introduire une alternance entre les trois principaux membres de la commission de déontologie afin de réduire l'emprise d'un corps plutôt que d'un autre sur la doctrine développée en matière de pantouflage. Le triptyque incarné par un membre du Conseil d'État, un membre de la Cour des comptes et un membre de l'autorité judiciaire s'impose dans de nombreuses instances administratives. Une réflexion pourrait être conduite sur l'opportunité d'ouvrir cette fonction à d'autres corps, comme les inspecteurs généraux de l'administration ou les administrateurs civils...

L'amendement COM-6 est adopté.

Article 4

Mme Josiane Costes, rapporteure. - L'amendement COM-7 est un amendement de précision et de clarification.

L'amendement COM-7 est adopté.

Article additionnel après l'article 4

Mme Josiane Costes, rapporteure. - L'amendement COM-8 tend à prévoir la publicité des avis rendus par la commission de déontologie de la fonction publique, dont les administrations regrettent la méconnaissance puisqu'elles n'en sont pas destinataires. Il reviendrait à la commission de fixer elle-même les modalités de publicité de ses avis.

L'amendement COM-8 est adopté.

Article 5

Mme Josiane Costes, rapporteure. - L'amendement COM-9 vise à restreindre le champ de compétence de la commission de déontologie de la fonction publique au recrutement des secrétaires généraux et des directeurs généraux des autorités administratives indépendantes (AAI) et des autorités publiques indépendantes (API), le départ de ces agents publics relevant déjà du champ de compétences actuel de la commission de déontologie de la fonction publique.

Il tend également à préciser que le contrôle de la commission porterait sur les fonctions effectivement exercées les trois années précédant ledit recrutement.

L'amendement COM-9 est adopté. Par conséquent, l'amendement COM-2 devient sans objet.

Article 6

Mme Josiane Costes, rapporteure. - L'amendement COM-10 vise à supprimer l'article 6, qui prévoit de plafonner à cinq ans la durée d'un détachement d'un fonctionnaire. Il semblerait que les auteurs souhaitaient en réalité encadrer la mise en disponibilité.

L'amendement COM-10 est adopté.

Article 7

Mme Josiane Costes, rapporteure. - L'amendement COM-11 tend à supprimer du champ de la peine complémentaire obligatoire d'exercice d'une fonction publique les délits détachables de l'exercice d'une fonction publique et qui font l'objet de sanctions pénales spécifiques.

L'amendement COM-11 est adopté.

Mme Josiane Costes, rapporteure. - Je veux revenir sur un amendement que j'avais déposé et que j'ai retiré avant la réunion de notre commission, relatif au rattachement de la commission de déontologie de la fonction publique à la HATVP. J'aimerais que l'on débatte de l'opportunité ou non d'un tel rattachement.

Mme Maryse Carrère. - Le groupe RDSE est prudent sur la question des missions de la HATVP. Il existe des raisons objectives plaidant en faveur d'un rapprochement entre les deux instances qui poursuivent des objectifs très proches. Nous pourrions être favorables à une fusion, si elle ne se fait pas a minima. Plusieurs points méritent une attention particulière : la nature du contrôle de déontologie doit être adaptée à la sensibilité des fonctions exercées ; une cartographie des risques pourrait être établie ; la HATVP doit bénéficier de tous les moyens d'information nécessaires pour se saisir rapidement des passages des hauts fonctionnaires vers le secteur privé ; et il faudrait sans doute créer un collège spécifique au sein de la HATVP.

Mme Catherine Di Folco. - Ce sujet avait été évoqué par notre ancien collègue Alain Vasselle, rapporteur de la loi « Déontologie des fonctionnaires » de 2016. Nous avions voté un amendement prévoyant la fusion des deux instances.

M. Philippe Bas, président. - Effectivement, l'amendement avait été adopté en séance publique, à votre initiative, malgré un avis défavorable de la commission.

M. Jacques Bigot. - Mme la rapporteure a proposé de nombreuses suppressions d'articles qui, au final, vident ce texte de sa substance. Notre groupe ne voit pas très bien l'intérêt des quelques petits points restants. Nous nous abstiendrons en commission, et nous verrons si la discussion en séance publique fait évoluer notre position.

Mme Josiane Costes, rapporteure. - Certaines avancées ne sont pas négligeables : publication des avis de la commission de déontologie, extension de son contrôle au recrutement des secrétaires généraux et directeurs généraux des AAI et des API ainsi que vis-à-vis des fonctionnaires réintégrant le secteur public après un passage dans le secteur privé.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er
Subordination de la recevabilité d'une demande de fonctionnaire
souhaitant cesser définitivement ses fonctions
à sa démission préalable de la fonction publique avant son examen
par la commission de déontologie de la fonction publique

Mme COSTES, rapporteure

4

Suppression

Adopté

Article 2
Saisine obligatoire de la commission de déontologie de la fonction publique
pour les demandes de mobilité de fonctionnaires soumis à déclaration
auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

Mme COSTES, rapporteure

5

Suppression

Adopté

M. PATRIAT

1

Suppression

Adopté

Article 3
Présidence tournante de la commission de déontologie de la fonction publique

Mme COSTES, rapporteure

6

Suppression

Adopté

Article 4
Extension du contrôle de la commission de déontologie de la fonction publique

Mme COSTES, rapporteure

7

Précision et clarification

Adopté

Article additionnel après l'article 4

Mme COSTES, rapporteure

8

Publicité des avis de la commission de déontologie de la fonction publique

Adopté

Article 5
Extension du contrôle de la commission de déontologie de la fonction publique
au recrutement des secrétaires généraux et directeurs généraux
des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes

Mme COSTES, rapporteure

9

Compétence de la commission de déontologie de la fonction publique pour le recrutement des secrétaires généraux et directeurs généraux des AAI et API

Adopté

M. PATRIAT

2

Suppression

Satisfait ou sans objet

Article 6
Limitation à cinq ans de la durée maximale d'un détachement

Mme COSTES, rapporteure

10

Suppression

Adopté

Article 7
Institution d'une peine complémentaire obligatoire d'interdiction
d'exercer une fonction publique pour les fonctionnaires coupables de crimes ou de certains délits

Mme COSTES, rapporteure

11

Restriction des délits susceptibles de faire l'objet d'une peine complémentaire obligatoire d'interdiction d'exercer une fonction publique pour un fonctionnaire

Adopté

Proposition de loi sur le régime de l'exécution des peines des auteurs de violences conjugales - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. - Nous examinons la proposition de loi de Mme Françoise Laborde sur le régime de l'exécution des peines des auteurs de violences conjugales.

Selon l'auteure de ce texte, les aménagements de peine et les crédits de réduction de peine entraînent un sentiment d'impunité pour les auteurs de ces violences et une grande incompréhension chez les victimes et leurs proches. Comment la famille d'une victime peut-elle comprendre qu'un homme violent condamné à dix-huit mois de prison, pour non-assistance à personne en danger, soit finalement soumis à un placement sous surveillance électronique ? La proposition de loi crée en conséquence un régime dérogatoire en matière d'exécution des peines, applicable aux seuls auteurs de violences conjugales : ces derniers, lorsqu'ils seraient incarcérés, seraient exclus de certaines possibilités d'aménagement ou d'exécution des peines. C'est une nouvelle occasion de nous interroger sur l'efficacité et l'efficience de notre régime d'exécution des peines.

En réalité, cette proposition ne concerne pas véritablement les auteurs de violences conjugales. D'une part, le champ des infractions retenues recouvre des violences d'inégale gravité, puisqu'il exclut l'homicide mais inclut le harcèlement téléphonique ou le harcèlement moral au travail. D'autre part, certaines infractions pénales, notamment celles liées à la répression des violences faites en groupe - bande organisée, embuscade... - ne peuvent, par définition, être commises à l'encontre d'une victime par son conjoint.

L'article 1er exclut du bénéfice de certaines mesures les personnes condamnées et incarcérées pour certaines infractions commises à l'encontre de leur conjoint, leur concubin ou leur partenaire d'un pacte civil de solidarité (PACS). Celles-ci ne pourraient plus demander une suspension ou un fractionnement de la peine d'emprisonnement pour un motif grave d'ordre médical, familial, professionnel ou social. Pour rappel, la suspension permet de reporter l'exécution de la peine, quand le fractionnement autorise le condamné à exécuter sa peine sous forme de fractions d'une durée minimale de deux jours sur une période ne pouvant excéder quatre ans. Ces personnes ne pourraient pas non plus demander une mesure de semi-liberté leur permettant de quitter l'établissement pénitentiaire durant la journée, notamment pour travailler ou suivre une formation. Il leur serait également impossible de solliciter une mesure de placement à l'extérieur, qui astreint le condamné à effectuer des activités en dehors de l'établissement.

L'article 2 exclut aussi ces personnes du bénéfice des crédits de réduction de peine prévus par l'article 721-1-1 du code de procédure pénale. Depuis la loi du 9 mars 2004, chaque condamné se voit attribué automatiquement un crédit de réduction de peine, diminué en cas de mauvais comportement en détention. Le temps accordé en réductions de peine peut surtout être utilisé, à la libération du condamné, comme une assiette permettant d'imposer plusieurs mesures de suivi du condamné. En cas de non-respect de ces mesures, obligations ou interdictions, le juge de l'application des peines (JAP) peut retirer ces réductions de peine et ordonner la réincarcération de la personne.

Je comprends l'objectif de la proposition de loi. Il s'agit d'afficher de la fermeté vis-à-vis des auteurs de violences conjugales, pour lutter contre le sentiment d'impunité, car les chiffres sont aussi lourds qu'incompréhensibles. Néanmoins, ce texte pose d'importantes difficultés juridiques et pratiques. Il me semble même contre-productif sur de nombreux points.

D'abord, il ne concerne que les aménagements de peine des personnes incarcérées, et ne changerait rien au constat de non-exécution des petites peines d'emprisonnement. Le fait divers à l'origine de ce texte concerne un homme condamné à dix-huit mois de prison, qui n'avait jamais été incarcéré mais soumis à un bracelet électronique. Aucune disposition n'est proposée pour modifier la possibilité, pour le tribunal correctionnel, d'aménager ab initio, au stade du jugement, les peines d'emprisonnement prononcées. Dès le stade du jugement, le tribunal correctionnel peut en effet aménager une peine d'emprisonnement en un placement sous surveillance électronique ou une mesure de semi-liberté. La proposition ne modifie pas non plus la procédure d'examen systématique par le JAP, en vue d'un aménagement, des peines d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à deux ans des condamnés non incarcérés, en application des articles 474 et 723-15 du code de procédure pénale ; or c'est cette procédure qui est très critiquée. Enfin, elle ne supprime nullement la possibilité, pour le JAP ou le tribunal de l'application des peines, de prononcer une mesure de placement sous surveillance électronique, en application de l'article 723-7 du code de procédure pénale.

L'article 1er réduit les mesures d'aménagement pouvant être proposées aux condamnés déjà incarcérés : or, a fortiori dans un cas de violences conjugales, il est nécessaire d'éviter les sorties sèches et d'accompagner les libérations des condamnés incarcérés par des mesures probatoires.

Sans effet sur la possibilité d'un aménagement ab initio des condamnés non incarcérés, ce texte pourrait même inciter les juridictions à prononcer des peines plus faibles.

En ce qui concerne les crédits de réduction de peine, je comprends tout à fait l'objectif recherché et ne suis aucunement opposée à une réforme. Mais il serait incohérent et contraire au principe constitutionnel d'égalité devant la loi d'exclure les seuls auteurs de violences conjugales du bénéfice des crédits de réduction de peine. La semaine dernière, nous avons évoqué des violences d'une autre catégorie, mais tout aussi inadmissibles...

Cette proposition de loi pose donc un problème général d'atteinte au principe d'égalité. Pourquoi soumettre les seuls auteurs de violences conjugales au régime dérogatoire déjà prévu pour les condamnés pour terrorisme ? En effet, il s'agit ici d'appliquer aux auteurs de violences conjugales le régime dérogatoire créé par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale applicable aux personnes condamnées pour terrorisme. L'extension proposée semble délicate, s'agissant d'infractions réprimées, par exemple, d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, quand les infractions terroristes sont punies au minimum de sept ans d'emprisonnement, au maximum de la réclusion criminelle à perpétuité. Et, à la différence du terrorisme, les aménagements de peine présentent une réelle utilité pour les auteurs de violences conjugales, comme cela nous a été confirmé à plusieurs reprises lors des auditions : des suivis probatoires dédiés existent, qui permettent d'obliger les condamnés à suivre des traitements et à se soigner.

Je vous propose donc de rejeter cette proposition de loi. En conséquence, la discussion porterait en séance sur le texte initial de la proposition de loi.

Les problèmes soulevés par ce texte ont déjà été examinés par notre commission des lois, qui a déjà proposé plusieurs réformes d'envergure du régime d'exécution des peines. La proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la justice pénale a été adoptée en janvier 2017, et le rapport d'information « Cinq ans pour sauver la justice ! » a été publié, en avril avant que ne soit adoptée, au mois d'octobre dernier la proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice. Ces deux textes ont proposé des réformes globales qui répondent aux préoccupations de l'auteure.

Dans le cadre de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice, notre commission a adopté le principe de la suppression de l'obligation d'examen avant mise à exécution, par le JAP, de toutes les peines d'une durée inférieure ou égale à deux ans d'emprisonnement, ou un an en état de récidive légale. Cette mesure permettrait de répondre à la légitime incompréhension des victimes ou des proches de victimes lorsque n'est pas incarcérée une personne condamnée à une peine d'emprisonnement de dix-huit mois, par exemple.

Beaucoup doit encore être fait pour améliorer la protection des victimes de violences conjugales, notamment en généralisant les dispositifs « téléphone grand danger », et en prévoyant davantage de moyens pour les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation. Néanmoins, ce texte ne répond pas aux problèmes soulevés, et paraît même contre-productif.

M. Philippe Bas, président. - Ce sujet sensible doit être examiné avec soin, mais de telles dispositions semblent contre-productives. La mission d'information de MM. Bigot et Buffet nous éclairera certainement sur le sujet.

Quand on se penche sur un type particulier d'infractions, on en vient souvent à le considérer comme le pire qui soit et à perdre de vue la nécessité d'une approche générale du système des peines. Les réductions de peine n'ont pas pour seul objectif d'être agréables aux personnes condamnées ; elles doivent aussi permettre de préparer leur sortie de prison en aménageant un parcours - que nous devons bien nous garder d'idéaliser - les conduisant progressivement vers la réinsertion. Interdire ces réductions n'aurait aucun effet dissuasif et priverait l'administration pénitentiaire des instruments dont elle a besoin pour inciter le détenu à se préparer à la sortie de prison. Une peine, si longue soit-elle, prend fin un jour. Ne pas préparer la réinsertion du condamné serait dangereux pour la société, et serait un gâchis pour l'intéressé. Notre rapporteur a raison de considérer que notre commission des lois doit rejeter ce texte, qu'il serait bien difficile d'amender.

M. François Pillet. - Je suis d'accord, et remercie notre rapporteur d'avoir su garder la raison dans ce climat très sensible, dont je déplore par ailleurs les excès qui, me semble-t-il, nuisent aux victimes et à notre droit. L'analyse technique que vous nous avez présentée a mis en lumière les insuffisances et même le caractère contre-productif de cette proposition de loi : si nous retirions aux juges leur pouvoir d'appréciation, la jurisprudence évoluerait vers des peines moins sévères, ce qui ne reflèterait plus du tout la volonté du législateur. Une décision se prend après un débat judiciaire, quoiqu'en pensent les médias, qui ne maîtrisent souvent pas la totalité des informations qui ont été prises en considération.

Le principe d'individualisation des peines a été reconnu par une décision du Conseil constitutionnel du 22 juillet 2005, et est considéré comme la concrétisation pénale de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Plus on lie la décision du juge, plus ce principe risque d'être bafoué. Puis, à modifier sans cesse l'échelle des peines, nous rendons notre code pénal incohérent. Enfin, la garde des sceaux a annoncé, je crois, une révision de l'échelle des peines.

Bref, votre analyse technique permet incontestablement de rejeter ce texte, sans interdire pour autant le débat en séance publique.

Mme Maryse Carrère. - Mme Laborde a fait de la lutte contre les violences conjugales une priorité, et vous connaissez tous la qualité de son travail sur ces questions. Ses échanges avec les associations de femmes victimes de violences conjugales l'ont portée à réfléchir à l'aménagement des peines, car la mise à l'abri des victimes est primordiale. La dépendance financière et affective des femmes victimes de violences conjugales n'est pas assez prise en compte dans l'exécution des peines de leurs bourreaux. Un bracelet électronique, par exemple, ne permet pas de mettre fin à l'emprise que ceux-ci exercent sur elles, ni de faire cesser les violences. Certes, il est difficile de trouver un moyen d'empêcher la récidive ; l'interdiction de réduction des peines est la seule solution trouvée. Les violences conjugales sont les seules infractions dans lesquelles la victime peut croiser son bourreau quelques jours après le prononcé de la peine... Le contexte est particulier, avec la discussion prochaine du projet de loi de Mme Schiappa et l'ouverture des cinq chantiers de réformes de la justice, dont le cinquième concerne justement l'efficacité des peines. Nous espérons que MM. Bigot et Buffet prendront nos préoccupations en compte dans leur mission. Je remercie enfin la rapporteure pour son objectivité, et pour sa sérénité lors des auditions, sur des sujets difficiles.

M. Jacques Bigot. - La loi doit permettre de trouver des solutions - forcément individuelles, notamment dans des affaires de couple, où l'enjeu est d'abord de faire en sorte que la victime porte plainte et se détache de son bourreau - même après la sanction pénale, c'est un problème. La nature, la mise en oeuvre et l'efficacité des peines sont bien sûr fondamentales, d'autant que la peine protège autant la victime que l'ordre public. La véritable difficulté est ensuite que l'auteur de l'infraction arrive à comprendre ce qu'il a fait, et se détache de la victime, à laquelle il est lié par une relation complexe. Il nous faut donc donner au juge la capacité et les moyens d'agir ainsi que d'interagir avec le juge aux affaires familiales en cas de divorce, de concubinage ou s'il y a, comme c'est souvent le cas, des enfants.

En somme, le législateur doit être modeste : ce n'est pas à la loi de régler ces problèmes. Celle-ci doit simplement donner au juge, à la victime et à l'auteur les moyens de trouver la sortie du cercle infernal des violences conjugales. Il est vrai que parler davantage de ces sujets aidera davantage de victimes à oser prendre la parole. Je me rappelle que le procureur de Strasbourg, en conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CISPD), demandait à l'agglomération de financer les « téléphones grand danger » dont nous munissions les victimes, arguant que la justice n'en avait pas les moyens. Ces dispositifs sont pourtant essentiels car ils évitent le renouvellement des violences, qui vont parfois jusqu'à l'assassinat.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je suis d'accord avec la rapporteure, et souhaite simplement ajouter qu'il existe certains recoins de notre République où le sujet des violences conjugales demeure tabou. Ce n'est pas en durcissant notre loi pénale, qui s'applique uniformément sur tout le territoire de la République, que nous parviendrons à y améliorer la situation et à délier les langues. À Mayotte, ce sujet doit encore être travaillé.

Mme Brigitte Lherbier, rapporteur. - Oui, la situation est catastrophique : en 2016, 123 femmes et 34 hommes ont été tués par leur conjoint ou leur conjointe. Inadmissible ! Il faut trouver une solution. Nous devons inciter les femmes à porter plus souvent plainte : entre 2012 et 2017, seule une victime sur cinq l'a fait. L'accueil et le suivi dans les commissariats doivent être améliorés : mieux épauler les victimes relève de la politique pénale. Quant aux sanctions, elles ont certes vocation à punir, mais elles doivent aussi être l'occasion d'échanger avec l'auteur des violences et d'analyser le cheminement qui l'a mené au passage à l'acte. Or un conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation gère en moyenne une centaine de dossiers : c'est beaucoup trop ! Nous sommes tous convaincus que l'automaticité des réductions de peine n'est pas une bonne chose et qu'il faut retravailler ce dispositif pour l'individualiser.

Des mesures ont déjà été prises pour épauler les femmes victimes de violences conjugales. Dans le cadre d'un divorce, il est possible d'organiser l'éviction de l'auteur des faits du domicile conjugal et de lui retirer l'autorité parentale. Bien sûr, toute mesure peut avoir des effets pervers. Par exemple, le juge doit avertir la victime de la sortie de prison de son bourreau. Souvent, celle-ci ne l'accepte pas - mais cette sortie est inévitable ! Je suis convaincue que nous trouverons des cheminements pour améliorer la situation.

M. Philippe Bas, président. - Ne fermons pas la porte à la réflexion.

À l'issue de ce débat, la proposition de loi n'est pas adoptée par la commission.

La réunion est close à 11 h 10.