- Mardi 16 janvier 2018
- Mercredi 17 janvier 2018
- Projet de loi ratifiant les ordonnances relatives à la profession de physicien médical et à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé - Examen du rapport et du texte de la commission, en nouvelle lecture
- Nomination de rapporteurs
- Rôle des centres hospitaliers universitaires dans l'enseignement supérieur et la recherche médicale - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
Mardi 16 janvier 2018
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Audition de Mme Anne Courrèges, candidate à son renouvellement à la direction générale de l'Agence de la biomédecine
M. Alain Milon, président. - Nous recevons cet après-midi, à la demande du Gouvernement, Mme Anne Courrèges, dont la reconduction est proposée pour la direction générale de l'Agence de la biomédecine.
Cette procédure est prévue par l'article L. 1451-1 du code de la santé publique pour la nomination aux fonctions de président ou de directeur des agences sanitaires. Je vous rappelle que ce type d'audition n'est suivi d'aucun vote.
Mme Courrèges arrive au terme d'un premier mandat de trois ans. Nous l'avions reçue avant sa nomination mais également en mars 2016 pour faire un point sur la situation des prélèvements d'organes en vue de greffe et, plus globalement, sur la couverture des besoins en matière de transplantation. Nous avions évoqué la problématique du consentement au don mais aussi les questions éthiques soulevées par les prélèvements sur des patients décédés, dans le cadre de la législation sur la fin de vie.
Je propose, Madame la directrice générale, que vous nous présentiez un rapide bilan de vos trois années de mandat à l'Agence de la biomédecine puis les principaux enjeux que vous identifiez pour les trois années à venir.
Les membres de la commission vous poseront ensuite leurs questions.
Mme Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine. - Je suis très heureuse d'être devant vous aujourd'hui. Les relations entre l'Agence de la biomédecine et le Parlement sont étroites et, j'ose croire, empreintes de confiance. J'en veux pour preuve que notre conseil d'orientation, qui est notre instance éthique et qui connaît de tous les actes importants de l'Agence, compte huit parlementaires. Nous nous efforçons autant que possible de vous apporter notre éclairage quand c'est nécessaire. De ce fait, nous nous verrons sans doute beaucoup dans les mois qui viennent compte tenu du chantier qui va tous collectivement nous occuper.
Cette procédure d'audition est bienvenue et la phase des questions sera l'occasion pour moi d'entendre vos préoccupations et vos attentes à l'égard de l'Agence de la biomédecine pour les années à venir.
Cette audition intervient dans le cadre d'une procédure de renouvellement d'un premier mandat de trois années qui furent parfois exigeantes, parfois lourdes mais toujours passionnantes et dont j'ose croire qu'elles auront pu être utiles au service des patients.
Je vous présenterai rapidement l'Agence de la biomédecine, dresserai un bilan des trois années écoulées et tracerai quelques perspectives avant de répondre à vos questions.
L'Agence de la biomédecine a été créée par la loi de bioéthique de 2004 pour prendre la suite de l'Établissement français des greffes, lui-même créé par la loi de bioéthique de 1994 pour prendre en charge l'activité de prélèvements et de greffes d'organes et de tissus. À cette occasion lui ont été adjointes les activités exercées par le registre France Greffe de moelle, l'association créée par le professeur Jean Dausset, prix Nobel de médecine, mais également certaines missions exercées par des commissions ministérielles.
L'Agence de la biomédecine a aujourd'hui quatre grands champs de compétences : le prélèvement et la greffe d'organes et de tissus, le prélèvement et la greffe de cellules souches hématopoïétiques - la moelle osseuse -, l'assistance médicale à la procréation, l'embryologie et la génétique humaine, dont la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines
Dans ces différents champs de compétences, l'Agence de la biomédecine, comme toute agence sanitaire, exerce des missions d'encadrement, d'évaluation, d'accompagnement. Mais deux types de missions la particularisent dans le paysage administratif.
D'une part, elle a des missions opérationnelles. Dans le cas de la greffe d'organes, mission la plus connue de l'Agence, c'est elle qui tient la liste nationale d'attente, le registre national des refus et qui assure la régulation et la répartition des greffons sur l'ensemble du territoire, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Autant vous dire que ce sont là des contraintes opérationnelles lourdes.
D'autre part, elle a une mission légale de promotion nationale des dons d'organes, de tissus, de moelle osseuse et de gamètes. D'où les spots qui sont diffusés à la radio ou à la télévision. C'est une mission extrêmement importante : le don éthique à la française - anonyme, gratuit et librement consenti - suppose l'adhésion et la confiance du grand public pour que cette activité puisse se développer.
Les missions de l'Agence de la biomédecine ont en commun d'avoir une forte technicité juridique, éthique, médicale et scientifique mais aussi une grande sensibilité puisqu'on touche à la vie, à la mort et à l'intime.
Dans l'exercice de ses missions, l'Agence est soucieuse de porter un certain nombre de valeurs : l'humanisme et l'altruisme, puisque ses activités font appel à la solidarité entre les hommes dans ce qu'elle a parfois de plus ultime, mais aussi la transparence, l'éthique et l'équité, à la fois parce que cela correspond à des convictions profondes de ses agents mais aussi parce que nous y voyons un gage d'efficacité et de confiance.
L'Agence, ce sont 260 femmes et hommes répartis sur l'ensemble du territoire, au siège à Saint-Denis mais également dans les quatre services territoriaux appelés services de régulation et d'appui. Ce sont surtout énormément d'experts qui nous apportent leur appui, des acteurs associatifs, des acteurs institutionnels. Nous avons des relations avec les pouvoirs publics, avec le Parlement mais aussi les médias parce qu'ils ont une lourde responsabilité compte tenu de la nature de nos activités.
Notre budget est de 75 millions d'euros mais c'est un budget en trompe-l'oeil puisque 45 % de ce budget correspond en réalité à l'activité du registre France Greffe de moelle, activité d'intermédiation : les entrées correspondent aux sorties, nous ne faisons que de la caisse. C'est donc le solde qu'il convient d'apprécier. Depuis le 1er janvier 2018, il y a une nouveauté : jusqu'à présent, ce solde était versé pour un tiers par l'État et pour deux tiers par l'assurance maladie ; dorénavant, nous sommes entièrement financés par l'assurance maladie.
Si je dresse le bilan des trois années qui se sont écoulées, je dirai que l'Agence a été globalement au rendez-vous de ses missions. Je le dis avec beaucoup de modestie : d'abord, cette action, qui s'inscrit dans la durée, doit donc beaucoup à mes prédécesseurs ; ensuite, cette action est extrêmement collective et repose beaucoup sur l'Agence mais aussi sur ses partenaires ; enfin, nous sommes bien conscients qu'il y a encore beaucoup à faire.
Je n'évoquerai pas tous les sujets que nous avons traités au cours de ces trois années ; je me concentrerai sur trois grands chantiers qui nous ont particulièrement mobilisés.
Le premier, c'est la poursuite de la conduite des plans ministériels stratégiques qui s'imposaient à nous : le deuxième plan greffe et le plan d'action procréation embryologie et génétique humaine qui arrivaient à terme à la fin de l'année 2016.
Globalement, les objectifs stratégiques qui avaient été fixés dans ces plans ont été atteints, voire, dans un certain nombre de cas, dépassés avec des résultats extrêmement encourageants et le maintien d'un niveau élevé d'éthique, d'équité et de sécurité. Il nous faut toutefois poursuivre dans cette voie car les besoins et la demande restent importants, progressant même parfois plus vite que l'activité.
Pour prendre l'exemple de l'activité de prélèvement et de greffe d'organes, à la fin de 2016, près de 5 900 greffes ont été réalisées en France, soit une progression de 17 % sur cinq ans, grâce à la générosité des donneurs et à la mobilisation des acteurs notamment hospitaliers et associatifs.
Cela a nécessité un travail important sur l'organisation, sur la formation des professionnels, sur la communication vers le grand public et les professionnels. Cela a nécessité aussi un travail de diversification des sources de greffons puisqu'en France l'activité de greffe d'organe reposait essentiellement sur les donneurs en état de mort encéphalique. De fait, sur cette période, nous avons beaucoup développé, à la suite de l'impulsion donnée par la loi de bioéthique de 2011, l'activité de greffe à partir de donneur vivant qui a quasiment doublé sur cinq ans mais aussi le prélèvement sur donneur décédé de la catégorie Maastricht III, c'est-à-dire une personne pour laquelle une décision d'arrêt de soins a été prise en réanimation en application de la loi sur la fin de vie.
Ce programme nous a beaucoup occupés, ainsi que le Parlement. Une impulsion décisive a été donnée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en février 2013. Il a été lancé décembre 2014 et nous avions présenté en mars 2016 ses premiers résultats, extrêmement encourageants, devant le Sénat. Cette activité repose aujourd'hui sur près de 20 centres hospitaliers avec des équipes qui ont été sélectionnées pour leur expérience, leur mobilisation et leur adhésion collective. Elle soulève des défis médicaux, techniques mais aussi éthiques parce qu'il faut garantir une étanchéité totale entre les opérations de fin de vie et les opérations de prélèvement. Nous sommes extrêmement vigilants et rigoureux sur ce point.
En 2017, plus de 240 greffes ont été réalisées dans ce cadre - greffe de rein, de foie, de poumon. D'un point de vue qualitatif, ces greffes sont un succès avec des reprises de greffon remarquables. Ce programme se déroule dans la sérénité avec l'adhésion des professionnels et un dialogue facilité avec les familles, notamment parce qu'elles ont pu se projeter sur le décès à venir de leurs proches.
Il y a aussi des enjeux qualitatifs. Ainsi, grâce un financement de la direction générale de l'offre de soins, nous avons développé Cristal image qui est un outil de télétransmission d'images pour aider à la décision des équipes de greffes. On gagne ainsi en temps, en efficacité et en confort professionnel pour les équipes.
S'agissant de l'activité moelle osseuse et souches hématopoïétiques, l'objectif qui nous avait été assigné de 240 000 donneurs inscrits sur le registre de France Greffe de moelle a été atteint dès juin 2015 avec plusieurs mois d'avance. En réalité, à la fin de 2016, on comptait plus de 260 000 donneurs inscrits avec un rajeunissement notable. En revanche, nous avons encore un travail de diversification à faire : en gros, il nous faut plus d'hommes d'origines plus diverses.
L'assistance médicale à la procréation s'est beaucoup structurée au cours de cette période avec un travail très important sur l'évaluation des centres d'AMP et sur la promotion du don de gamètes. Nous enregistrons un retard en matière de don d'ovocytes par rapport aux besoins. L'activité de donneuse d'ovocytes a progressé de 40 % en cinq ans mais les besoins sont encore très loin d'être satisfaits.
Nous avons aussi été occupés à la mise en oeuvre des dispositions votées dans la loi de bioéthique de 2011 mais dont les textes d'application ont été pris à la fin de 2015, concernant l'ouverture de la possibilité pour les personnes n'ayant jamais procréé de donner leurs gamètes.
Le deuxième chantier qui nous a beaucoup occupés est un chantier législatif, à savoir la loi de modernisation de notre système de santé. Il a impacté notre gouvernance puisque nous avons accueilli dans notre conseil d'administration des représentants des associations, ce qui est une excellente nouvelle. Cela me permet d'insister sur l'importance et les enjeux de la démocratie sanitaire.
Nos compétences ont par ailleurs été complétées puisque nous a été transférée par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sa compétence en matière de biovigilance, organes, tissus, cellules et lait maternel à usage thérapeutique. Cette évolution est extrêmement importante pour l'Agence en termes d'enjeux de qualité et de sécurité dans des contextes parfois de crise sanitaire et d'urgence : je pense par exemple aux virus Zika et à la crise qu'ont connue les départements français d'Amérique. Ce dossier nous a beaucoup mobilisés dans un contexte d'incertitude scientifique, ce qui nous a conduits à participer au financement d'études.
La loi de modernisation de notre système de santé, ce sont aussi les dispositions sur le renforcement du consentement présumé et l'évolution des dispositions sur les modalités de l'expression du refus du prélèvement d'organes et de tissus. Cette question a suscité beaucoup de débats parfois vifs mais légitimes et utiles. Le dispositif est entré en vigueur le 1er janvier 2017 et les premiers résultats sont très encourageants. Je vous renvoie à la communication faite par le député Jean-Louis Touraine, chargé d'une mission flash sur cette question, le 20 décembre dernier devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.
Le troisième chantier qui nous a beaucoup mobilisés, comme tous les opérateurs, c'est la recherche d'efficacité et le travail sur l'organisation de l'Agence par la renégociation du bail, par la dématérialisation, par la modernisation des achats, un travail sur notre organisation territoriale, la mise en place d'un secrétariat unique des comités de donneurs vivants qui accompagne le développement de l'activité de prélèvement sur les donneurs vivants d'organes, mais aussi la prise en compte de la réforme territoriale et de la nouvelle carte des régions de façon à s'assurer que chaque agence régionale de santé ait un interlocuteur unique au niveau de l'Agence de la biomédecine.
J'en viens maintenant aux perspectives qui sont de deux ordres.
La première, c'est la poursuite des plans stratégiques. Au cours de l'année 2017, différents plans stratégiques ont été adoptés pour poursuivre le travail qui avait été mené ces dernières années. Les résultats sont encourageants mais les besoins augmentent parfois plus vite que l'activité. De ce fait, nous avons l'ardente obligation de toujours faire davantage et de toujours faire mieux. En mars 2017 ont été rendus publics trois plans : le troisième plan greffe, un plan cellules souches hématopoïétiques pour la première fois individualisé et un nouveau plan d'action procréation, embryologie et génétique humaine.
Ce sont des plans ministériels. J'y insiste, d'abord parce qu'ils traduisent le maintien de la confiance des pouvoirs publics et la priorité donnée à nos activités ; ensuite, dans un contexte contraint, c'est un outil de légitimation important de nos activités ; enfin, c'est un outil de mobilisation collective de l'Agence mais aussi de l'ensemble de ses partenaires.
Les objectifs qui nous ont été fixés sont extrêmement ambitieux. Quelques chiffres pour en témoigner : d'ici à 2021, les objectifs sont de 7 800 greffes annuelles, contre 5 900 à la fin de 2016, de 310 000 donneurs inscrits sur le registre France Greffe de moelle, contre 260 000 à la fin de 2016, l'autosuffisance en don de gamètes alors que nous sommes en pénurie notamment pour le don d'ovocytes et en tension pour le don de spermatozoïdes.
Ces objectifs sont également ambitieux sur le plan qualitatif, avec un travail sur les inégalités régionales et sur la recherche d'équité. C'est tout le sens du projet en cours depuis le 2 janvier dernier de mise en place d'un score coeur, un score national de répartition des greffons cardiaques qui permette un meilleur appariement entre les donneurs et les receveurs et qui permette également de mieux traiter les urgences.
Dans le contrat d'objectifs et de performance que l'Agence a signé avec sa tutelle en 2017, on retrouve ces objectifs métiers mais aussi des objectifs plus propres à l'Agence et plus transversaux : la promotion de la recherche - l'innovation est dans l'ADN de l'Agence de la biomédecine -, la formation des professionnels de santé, levier important de changement, la recherche d'efficience ou encore le travail à faire sur la démocratie sanitaire.
Dernier point : le schéma directeur des systèmes d'information. Toute l'activité de l'Agence de la biomédecine est sous-tendue par ces systèmes d'information, tout particulièrement son activité opérationnelle. Pour assurer par exemple la répartition des greffons 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, il faut un système d'information extrêmement performant. Un certain nombre de défis nous attendent, auxquels nous devrons réfléchir dans les mois à venir : je pense par exemple aux défis du big data, sujet sur lequel nous devrons nous positionner.
Ces orientations stratégiques nous ont été fixées par le Gouvernement pour la période 2017-2021. Un autre chantier va nous occuper beaucoup, comme vous - et vous serez même en première ligne - : c'est bien évidemment le réexamen de la loi de bioéthique, moment extrêmement important de notre vie démocratique, compliqué, délicat, lourd, mobilisateur, soulevant des questions difficiles. Le dispositif a été pensé pour essayer de tenir compte de l'évolution de la société, des connaissances, des sciences. A été diffusé récemment le rapport d'information au Parlement de l'Agence de la biomédecine sur l'état des sciences et des connaissances. Ces sujets supposent une méthodologie particulière car ces lois font société. C'est pourquoi elles sont précédées par des états généraux de la bioéthique dont le pilotage, cette fois-ci, a été confié au Comité consultatif national d'éthique, et par un rapport d'évaluation de la loi, confié à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
L'Agence de la biomédecine, agence créée par la loi de bioéthique dont l'essentiel de l'activité est régi par les lois de bioéthique, ne peut pas se désintéresser de ce chantier, avec un rôle et un positionnement propres : il ne lui revient pas de prendre parti dans les débats de société ; notre rôle est de vous apporter, à vous comme au Gouvernement, un éclairage, notre oeil expert, nos retours d'expérience, les éléments qui participeront à la réflexion collective autour du réexamen de cette loi qui est extrêmement attendue.
Je conclurai sur un point important : je veux vous dire ma motivation pour poursuivre le travail que j'ai engagé au sein de l'Agence de la biomédecine. Lorsque j'étais venue il y a trois ans pour ma première audition, je ne vous cache pas que cette motivation était quelque peu théorique compte tenu de ce que je connaissais de l'Agence. Avoir été confrontée à ces missions, à ces exigences, avoir eu la chance de rencontrer des personnes passionnantes au sein de l'Agence, parmi nos partenaires, qui sont de grande qualité, n'a fait que renforcer ma motivation compte tenu des défis qui nous attendent. J'espère tout simplement pouvoir continuer à être utile dans ce rôle.
M. Alain Milon, président. - Si l'on révise la loi de bioéthique, ce n'est pas grâce au ministre de l'époque, Xavier Bertrand, qui était opposé au principe de la révision périodique, tout comme votre prédécesseur, mais c'est bien grâce au rapporteur et au Sénat.
Mme Catherine Deroche. - Pour faire partie du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, je sais le travail qui y est fait et combien les sujets abordés le sont sérieusement, avec les contraintes et les objectifs d'efficience que vous indiquez.
En région sont lancés les états généraux de la bioéthique. Nous sommes très sollicités, nous autres parlementaires - en tout cas, je le suis en particulier -, par des associations, par des professionnels de santé, sur la façon dont les choses vont se dérouler. En région Pays de la Loire, c'est le responsable du département d'éthique au CHU de Nantes qui pilote les débats. Sur les nombreux sujets qui vont être évoqués, comment l'Agence va-t-elle se positionner au côté du Comité consultatif national d'éthique ? À quel moment ? Vous avez parlé du don de gamètes mais l'on voit ressurgir la question de l'anonymat du donneur, qui est un vrai sujet, et l'on parle beaucoup de la PMA et de la GPA, sans parler du don d'organes.
Mme Patricia Schillinger. - Quelles relations entretenez-vous au niveau européen ou international ? Des améliorations sont-elles possibles ?
M. Bernard Jomier. - Ma première question porte sur le don d'organes et les greffes : estimez-vous que la législation actuelle est satisfaisante et permette un équilibre entre les besoins et les donneurs, ainsi que dans l'organisation de la filière ?
Ma seconde question rejoint celle de Mme Deroche : vous avez parlé à juste titre de la nécessaire adhésion et confiance du public ; dans les débats qui s'annoncent cette année, elles sont fondamentales. Vous avez aussi exposé les valeurs de votre agence : humanisme, équité, transparence, altruisme. Votre agence a un rôle particulier à jouer dans ce débat, même si j'ai bien noté votre souci de ne pas prendre parti au-delà de vos missions, souci que je respecte. Mais si l'on veut que ce débat soit fructueux et permette une bonne appropriation de ces problématiques par le grand public, au-delà des parlementaires et des associations très militantes et très concernées, une agence comme la vôtre a un rôle singulier à jouer. J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur la façon dont vous concevez votre rôle en la matière.
Mme Anne Courrèges. - L'Agence de la biomédecine va produire un certain nombre de documents dans la perspective des États généraux de la bioéthique. D'abord, le rapport d'information sur l'état des sciences et des connaissances sera actualisé, tout comme le document sur l'encadrement national des activités de biomédecine. On apprend de ce qui se fait à l'étranger. Ainsi le protocole Maastricht III, très performant, s'est nourri d'expériences antérieures et ce sont maintenant les autres pays qui s'en inspirent.
Nous travaillons également à des éléments d'application de la précédente loi pour ce qui entre dans les compétences de l'Agence : en effet, ses activités sont bien le coeur historique de la loi de bioéthique mais ne l'épuisent pas, ainsi des questions relatives à l'intelligence artificielle. Ces éléments d'application nourriront les travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, des États généraux de la bioéthique et le rapport du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). Ils contiendront enfin des pistes de réflexion sur plusieurs sujets.
Nous serons évidemment amenés à contribuer à la réflexion parlementaire, notamment à travers les auditions. Nous travaillons étroitement avec le Gouvernement et le CCNE ; ce dernier, dans le cadre du pilotage des États généraux, peut être amené à solliciter notre expertise. Je participerai enfin au Forum européen de bioéthique qui se tiendra début février à Strasbourg, ainsi qu'à d'autres manifestations.
Vous m'avez interrogé sur les pistes d'évolution en matière de bioéthique. Prenons l'exemple du don d'organes qui a beaucoup mobilisé l'Agence ces derniers mois. Je rejoins entièrement les propos de Jean-Louis Touraine devant l'Assemblée nationale : dans ce domaine, nous avions besoin d'établir la confiance et de construire dans la durée. La législation doit par conséquent être stabilisée.
La question qui préoccupe l'Agence, d'ordre technique, est l'activité de donneurs vivants que le législateur, en 2011, a souhaité développer. Un quasi-doublement des dons a été obtenu en cinq ans mais la croissance a connu ces deux dernières années un certain ralentissement, voire un tassement. C'est pourquoi nous cherchons à identifier les freins et les leviers dans cette activité qui présente une forte marge de progression. La solution réside peut-être dans des mesures de simplification de la procédure de dons. Les exigences éthiques, depuis la loi de 2011 qui encadre ce type de dons, ont été pleinement intégrées et nous disposons du recul nécessaire pour faire un bilan.
Autre domaine d'évolution possible, le don croisé, variante du don de personne vivante. Cette procédure peut être appliquée lorsqu'une impasse immunologique rend incompatible le couple donneur-receveur. Dans ce cas, on peut identifier un autre couple présentant la même incompatibilité mais où le donneur est compatible avec le receveur du premier couple et inversement. La loi de 2011 limitait le don croisé à deux paires et imposait la simultanéité des deux greffes. Faut-il réexaminer la procédure, autoriser plus de deux paires, comme cela se fait dans certains pays ? La simultanéité doit-elle être maintenue ? Vous, parlementaires, aurez à trancher ces questions. Pour le moment, le programme de dons croisés évolue en deçà des attentes. Nous tentons de mettre en place des échanges, notamment avec les Suisses, pour augmenter le vivier de paires disponibles.
Autre sujet évoqué dans vos questions, l'Europe. L'Union européenne réglemente l'activité en matière d'organes, de tissus et de cellules, surtout sous l'angle de la sécurité et de la qualité du produit. L'Agence de la biomédecine apporte son éclairage au Gouvernement dans le cadre de l'élaboration des directives mais aussi de leur transposition au niveau national.
Le Conseil de l'Europe joue un rôle presque aussi important que l'Union européenne, en tant que lieu de la discussion sur les sujets éthiques - notamment dans le cadre des contentieux potentiels portés devant la Cour européenne des droits de l'homme mais aussi plus en amont : ainsi de la convention d'Oviedo qui pose les grands principes en matière de don d'organes - notamment la gratuité et l'anonymat - ou de la lutte contre les trafics qui réclame un travail au niveau européen.
Enfin, nous sommes engagés dans des partenariats de pays à pays. C'est notamment le cas avec l'Alliance du Sud qui regroupe l'Italie et l'Espagne, ou encore avec la Suisse.
L'Agence de la biomédecine, je le rappelle, est tout à fait unique : c'est la seule agence en Europe et, me semble-t-il, dans le monde qui regroupe l'ensemble des champs de compétence relevant de ce domaine. Dans d'autres pays, des agences peuvent s'occuper du don d'organes mais pas de l'assistance médicale à la procréation. Dans d'autres, cette dernière n'est pas régulée par une instance publique. Les législations européennes sont donc très variables. Il est important de définir un socle de valeurs partagées en matière de don d'organes, en l'absence duquel les citoyens sont tentés de faire leur marché dans les différents systèmes légaux.
M. Michel Amiel. - La loi Claeys-Leonetti relative à la fin de vie de 2016 a-t-elle changé les choses en matière de prélèvement d'organes ? L'intelligence artificielle utilisée dans le don d'organes - en particulier les algorithmes mis à contribution dans le parcours de dons - a-t-elle fait l'objet d'une réflexion éthique ?
Mme Michelle Meunier. - Quelles sont les perspectives en matière de big data pour les trois prochaines années ?
M. Daniel Chasseing. - Dans le cadre de la procréation médicalement assistée (PMA), des milliers de femmes se rendent en Espagne et en Belgique pour réaliser deux opérations : l'autoconservation d'ovocytes et l'examen cellulaire de l'embryon avant son implantation in utero. Peut-on autoriser ces opérations en France sans faire évoluer la loi ? Je rappelle qu'elles sont impossibles chez nous mais remboursées par notre Sécurité sociale...
Mme Pascale Gruny. - Quelle rôle joue l'Agence de la biomédecine dans la protection des données - qui fait désormais l'objet d'une directive européenne - notamment dans le cadre des tests génétiques ?
Mme Anne Courrèges. - La loi Leonetti-Claeys a eu peu d'impact sur l'activité de notre agence. Le seul domaine potentiellement concerné est Maastricht III mais ce protocole prévoit une étanchéité totale entre les opérations de fin de vie et les opérations de prélèvement. L'Agence de la biomédecine n'intervient donc pas dans la phase de la fin de vie. En revanche, sur le terrain, Maastricht III oblige tous les acteurs - notamment ceux de la fin de vie et du prélèvement - à se réunir sous l'égide de la gouvernance. C'est l'occasion de se poser des questions sur les décisions de limitation ou d'arrêt des thérapeutiques actives (LAT) et d'engager une réflexion bénéfique pour les équipes qui y participent.
Notre agence a été auditionnée par la mission Villani, précisément sur la question des algorithmes de répartition des greffons. Ces algorithmes ne sont qu'une aide à la décision. Chaque score en matière de greffe résulte d'une recherche d'équilibre entre l'équité, l'efficacité et la faisabilité. Dans le cas d'un greffon de coeur, le délai d'ischémie est de quatre heures, ce qui implique une véritable course contre la montre. Cela impose une attention particulière à la logistique : il est très dommageable de perdre un greffon de coeur parce que l'on a trop recherché le receveur le plus approprié. La discussion est conduite au sein de groupes de travail, puis soumise à l'expertise du comité médical et scientifique de l'Agence, le regard éthique étant porté par le Conseil d'orientation.
Vaste sujet que les big data. Il faut commencer par comprendre ce que recouvre l'expression. Dans quelle mesure convient-il de s'y engager ? Pouvons-nous y aller seuls ou, au contraire, partager la réflexion avec les autres agences et le ministère ? Cette question nous préoccupe beaucoup, y compris dans son articulation avec la protection des données. Nous venons d'établir un schéma directeur de protection des systèmes d'information qui comporte un volet relatif à cette protection.
Au moment du don, les données sont anonymisées puisqu'aucun lien ne doit pouvoir être fait entre le donneur et le receveur - reste que nous les détenons. C'est pourquoi la sécurité informatique est un enjeu majeur à nos yeux, surtout eu égard aux tentatives d'intrusion informatique dans divers organismes qui ont donné une actualité brûlante au sujet.
L'Agence de la biomédecine n'est pas responsable de la sécurité des données liées aux tests génétiques. Un problème doit néanmoins être soulevé. En France, ces tests sont très encadrés : ils doivent être conduits dans une perspective médicale et doivent faire l'objet d'une prescription et d'un accompagnement. Or des sites accessibles sur notre territoire mais implantés à l'étranger permettent de les réaliser dans un cadre beaucoup moins strict - un article que j'ai consulté ce matin parle même de « génétique récréative ». Cela implique l'envoi de données génétiques à l'étranger, conservées dans des conditions et avec des droits d'accès que nous ignorons totalement. C'est une préoccupation importante.
M. René-Paul Savary. - Vous avez mentionné un objectif de 7 900 greffes. Combien en faudrait-il pour assurer l'adéquation entre l'offre et la demande de greffons ?
Mme Anne Courrèges. - Avec 7 900 greffes, nous serions en mesure de répondre aux besoins. Le problème est que les indications de greffe augmentent constamment avec le vieillissement de la population et les progrès réalisés dans l'exécution des greffes. En 2017, nous avons passé la barre des 6 000. Il convient de continuer à travailler aux alternatives à la greffe et surtout de prendre le virage de la prévention, seul moyen de contenir l'augmentation des besoins.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - En décembre dernier, l'Agence a eu à connaître d'une affaire liée à la limite d'âge en matière de PMA. Quels sont ses souhaits sur cette question ? Quel est le fondement de la limite suggérée de 60 ans ?
Mme Anne Courrèges. - L'Agence de la biomédecine se contente d'appliquer la loi ; or le législateur n'a pas souhaité de limite chiffrée, se contentant de préciser que les couples doivent être en âge de procréer ; il renvoie ainsi aux équipes médicales dans le cas d'une prise en charge nationale, à l'Agence dans celui d'une prise en charge à l'étranger, d'apprécier la limite. Le consensus médical évalue cette limite de 43 à 45 ans pour la femme - ce qui correspond à la limite de prise en charge par la Sécurité sociale - et à 60 ans pour l'homme. Le Conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, qui est une instance indépendante de celle-ci, a récemment rendu un avis préconisant la fixation d'une limite par les textes. Mais, en dernière instance, la décision appartient aux parlementaires. Faut-il fixer l'âge de procréer dans la loi ou laisser les professionnels décider, voire estimer qu'il n'y a pas d'âge limite ?
M. Michel Forissier. - J'ai eu à connaître, en tant que maire, de l'activité de deux chercheurs produisant des cellules souches et nouant dans ce cadre des partenariats dans le monde entier. Au Japon, il est possible de les utiliser mais pas de les produire, pour des raisons culturelles. Or il semble que chaque partenariat de production pose un problème législatif. Quelle est votre position sur le sujet ?
Mme Anne Courrèges. - L'Agence de la biomédecine s'occupe de deux types de cellules souches : les hématopoïétiques d'abord, qui se trouvent dans la moelle osseuse. Dans ce domaine, il est indispensable de s'appuyer sur la solidarité internationale - à travers l'interconnexion de 73 registres dans le monde - car au sein des fratries, la probabilité de trouver un donneur compatible est de un sur un million. Les cellules embryonnaires humaines, ensuite, sont utilisées dans le cadre de la recherche scientifique. Seuls treize essais cliniques utilisant ces cellules sont conduits dans le monde, dont un en France, destiné au traitement des insuffisances cardiaques et dirigé par le professeur Menasché.
M. Alain Milon, président. - Je vous remercie pour votre intervention et vos réponses.
La réunion est close à 15 h 55.
Mercredi 17 janvier 2018
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 10 heures 14.
Projet de loi ratifiant les ordonnances relatives à la profession de physicien médical et à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé - Examen du rapport et du texte de la commission, en nouvelle lecture
M. Alain Milon, président. - Avant de donner la parole à notre rapporteur, je commence par vous présenter à tous mes meilleurs voeux pour la nouvelle année.
Mme Corinne Imbert, rapporteur - Nous avons examiné, le 11 octobre dernier, trois projets de loi procédant à la transposition de quatre ordonnances dans le domaine de la santé, qui ont été prises sur le fondement de la loi du 26 janvier 2016. Après la réunion d'une commission mixte paritaire le 5 décembre dernier, seul reste en discussion le projet de loi relatif à la profession de physicien médical et à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé.
Notre désaccord porte sur une seule des nombreuses dispositions de ce texte ; il est cependant majeur. Notre commission, suivant l'avis quasi unanime des professionnels de santé, a supprimé en première lecture les dispositions relatives à la procédure d'accès partiel ; l'Assemblée nationale les a rétablies en nouvelle lecture.
L'accès partiel constitue un assouplissement très substantiel des procédures d'accès aux professions de santé pour les ressortissants des différents États membres de l'Union européenne. Il s'agit d'autoriser un professionnel de santé formé dans un État membre à exercer certaines des activités entrant dans le champ de compétence d'une profession de santé de son État d'accueil, dès lors que sa profession d'origine ne trouve pas d'équivalent dans ce pays d'accueil. Le juge européen autorise ainsi un masseur-balnéothérapeute formé en Allemagne à exercer partiellement la profession de kinésithérapeute en Grèce.
Je ne reviens pas sur les raisons qui m'ont poussée à préconiser cette solution, qui sont toujours d'actualité. Il me semble en effet que nous sommes assez largement d'accord sur l'impréparation qui a présidé à la mise en place d'une évolution pourtant fondamentale pour notre système de santé, ainsi que sur les risques que ce dispositif présente pour l'organisation, la qualité et la sécurité des soins dispensés aux patients. Ce sont du reste les raisons qui justifient l'opposition unanime et constante des acteurs concernés au premier chef par cette réforme, les professionnels de santé.
Il me paraît plus intéressant de souligner que l'argumentation développée par la rapporteure de l'Assemblée nationale à l'appui de la ratification de cette mesure, lors de la réunion de notre commission mixte paritaire, ne portait que sur le respect des obligations communautaires de la France, et non sur l'intérêt intrinsèque de la procédure d'accès partiel pour l'avenir de notre système de santé. Cette position me paraît révélatrice des conditions de transposition de ce dispositif, qui a fait l'économie d'une véritable concertation de fond avec les professionnels de santé, et n'a pas même exploré la possibilité d'une transposition alternative plus respectueuse du fonctionnement de notre système de santé - telle que celle retenue par l'Allemagne.
Du reste, la parution dès le 2 novembre 2017 du décret encadrant la mise en oeuvre de l'accès partiel, avant même la réunion de la commission mixte paritaire, témoigne assez de ce que le Gouvernement n'avait aucunement l'intention de s'embarrasser d'un véritable débat de fond sur ce texte - qui avait, il est vrai, été élaboré par le Gouvernement précédent. En tout état de cause, ces dispositions réglementaires ne permettent en rien de répondre aux inquiétudes que nous avons formulées en première lecture, s'agissant notamment des compétences d'encadrement et de contrôle dévolues aux ordres.
Pour l'ensemble de ces raisons, je ne peux que réitérer les observations que j'ai déjà formulées devant vous et vous inviter à ne pas sacrifier, contre l'avis de tous les acteurs de la santé, la cohérence de notre système de santé et la qualité des soins à des considérations essentiellement juridiques. Je vous propose donc d'adopter un amendement visant à exclure les dispositions mettant en place l'accès partiel à l'exercice d'une profession médicale ou paramédicale en France du champ de la ratification de l'ordonnance que nous examinons aujourd'hui.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Votre position ne me surprend pas, puisque c'est celle que vous aviez défendue en première lecture. Vous avez mentionné une solution alternative adoptée par l'Allemagne, mais il me semble que ce pays n'a tout simplement pas transposé la directive. Par ailleurs, votre souci de prendre en compte l'avis des professionnels de santé est louable, la réalité est que le texte présenté par le Gouvernement sera adopté par l'Assemblée nationale. Pour modifier ce dispositif qui semble déraisonnable, il faut sans doute agir directement au niveau européen.
M. Jean Sol. - Je déplore, comme vous, que l'avis des professionnels de santé n'ait pas été pris en considération et que l'impact de ce dispositif sur la qualité des soins n'ait pas été mesuré. De plus, sa généralisation à d'autres professions n'est pas souhaitable. La vigilance s'impose donc.
M. Yves Daudigny. - J'avais indiqué en première lecture que nous n'étions pas d'accord avec la rapporteure. Nous maintenons cette position. D'abord, ce dispositif ne concerne pas toutes les professions de santé. Par ailleurs, nous ne sommes pas moins sensibles que vous à la qualité des soins, nous estimons cependant que les textes d'application la garantiront, au besoin en autorisant des dérogations.
Mme Florence Lassarade. - Je propose de nouveau que nous nous penchions sur la formation des praticiens de santé que nous accueillons.
M. Jean-Louis Tourenne. - Toujours les mêmes arguments ! Certains sont si excessifs qu'ils en deviennent dérisoires. Vous faites état de l'opposition de l'ensemble de la profession ; que je sache, celle-ci n'a jamais empêché le législateur de prendre les décisions qu'il estimait opportunes. Et ce n'est pas la première fois que la profession se mobilise : ainsi, si nous l'avions écoutée, nous n'aurions jamais adopté le tiers payant. Votre vocabulaire, je crois, a dépassé votre pensée. Soutenez-vous vraiment qu'autoriser un masseur-balnéothérapeute à exercer en France détruirait la cohérence de notre système de santé ? L'ordonnance comporte d'ailleurs des garanties quant à la vérification des connaissances et des compétences des praticiens concernés, voire à la mise en place de formations complémentaires. Bref, cette querelle n'a pas lieu d'être et elle est indigne de notre assemblée.
Mme Laurence Cohen. - Nous nous abstiendrons. Mais les arguments de la rapporteure donnent matière à réflexion.
M. Michel Amiel. - Si j'apprécie souvent la sagesse et l'humanité de M. Tourenne, sur ce sujet je ne suis pas d'accord avec lui. Professionnel de santé, je ne voudrais pas que ma position soit imputée à une forme de corporatisme. Sur le plan médical, ce dispositif ouvre une brèche et nous verrons bientôt des praticiens élargir indûment leur champ de compétence. Au niveau juridique, le fait que l'Allemagne n'ait pas transposé doit nous inciter à réfléchir. Je m'abstiendrai.
M. Daniel Chasseing. - Je suis d'accord avec la rapporteure. En France, il existe une forte sélection pour l'accès à la profession de kinésithérapeute. Il serait anormal que des praticiens moins formés puissent venir l'exercer sur notre territoire. Qui peut le moins ne peut pas le plus !
Mme Corinne Imbert, rapporteur. - Si la France avait, comme l'Allemagne, décidé de ne pas transposer, étant donné le poids de ces deux pays dans l'Union européenne, cela aurait ouvert la voie à un débat qui aurait pu déboucher sur d'autres solutions, je pense par exemple à un programme ambitieux d'harmonisation des formations. Actuellement, tous les diplômes étrangers ne sont pas reconnus. Si la France est contrainte, d'un point de vue juridique, à prendre position, les professions sont unanimes dans leur opposition à ce dispositif ; nous devons en tenir compte et nous montrer vigilants.
Je déplore, en particulier, qu'aucun réel contrôle de l'activité partielle ne soit prévu. L'harmonisation européenne des formations serait bien évidemment bienvenue, mais elle demande du temps. Enfin, l'aspect linguistique n'est pas à négliger. Nous ne disposons actuellement d'aucun outil national standardisé pour mesurer l'aisance en français, à la fois pour les échanges courants et dans le vocabulaire spécialisé.
Nous ne pouvons pas nous contenter d'une argumentation de nature juridique. Il y a eu des cas où la France a tardé pendant des années à transposer, sans être sanctionnée. Nous pouvons donc faire preuve d'un peu de courage !
M. Alain Milon, président. - Nous passons à l'examen de votre amendement n° COM-1.
Mme Corinne Imbert, rapporteur. - Il rétablit les dispositions introduites par notre assemblée en première lecture.
L'amendement n° COM-1 est adopté. L'article 2 et le projet de loi sont adoptés dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Nomination de rapporteurs
La commission nomme M. Bernard Jomier en qualité de rapporteur sur la proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques et M. Yves Daudigny en qualité de rapporteur sur la proposition de loi relative à la réforme de la caisse des Français de l'étranger.
Rôle des centres hospitaliers universitaires dans l'enseignement supérieur et la recherche médicale - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
M. Alain Milon, président. - Nous recevons à présent les magistrats de la Cour des comptes venus nous présenter le premier volet d'une enquête réalisée à la demande de notre commission et portant sur le rôle des centres hospitaliers universitaires (CHU) dans le système de santé. Je remercie de leur présence M. Patrick Lefas, président de chambre maintenu, M. Noël Diricq, contre-rapporteur, M. Michel Clément, conseiller maître, Mme Laure Fau, conseillère référendaire, ainsi que les magistrats qui les accompagnent : MM. Frédéric Gaston, Jean-Christophe Bras, Mme Florence Gérard-Chalet, rapporteurs extérieurs, et le professeur Patrick Netter, conseiller-expert.
Les CHU ont été institués en 1958, il y aura bientôt soixante ans. Au nombre de 30, ils occupent une place considérable en termes d'activité et de financement dans le système hospitalier. Les CHU ont une mission spécifique en matière de formation des médecins et de développement de la recherche, sans pour autant en détenir le monopole puisque d'autres établissements participent aussi à ces activités de formation et de recherche. Les CHU exercent également des missions de soins, mais elles ne se limitent pas à des soins de haut niveau, supposant un degré élevé d'excellence ou de spécialisation. Les CHU font aussi office d'hôpitaux de proximité dans les métropoles et leurs bassins de population. Il s'agit là d'ailleurs d'une situation assez originale par rapport à celle d'autres pays européens.
Dans un contexte marqué par les difficultés et les tensions que connaît globalement le système hospitalier, y compris les CHU, il me paraissait nécessaire de nous interroger sur le rôle des CHU dans notre organisation sanitaire, sur la manière dont ils répondent aux objectifs qui leur ont été assignés en matière de recherche, de formation et bien entendu de soins. S'agissant de cette mission de soins, il y a également lieu d'examiner l'articulation entre les CHU et les autres établissements de santé en se demandant si, au niveau territorial, la gradation est véritablement optimale du point de vue de l'accès à des soins de qualité et de la bonne utilisation des financements publics.
Nous ne pourrons pas obtenir les réponses à l'ensemble de ces questions aujourd'hui. Lorsque nous avons discuté sur-le-champ de cette enquête avec le Premier président de la Cour, M. Didier Migaud, nous avons convenu que, compte tenu de l'ampleur du sujet, celle-ci pourrait faire l'objet de deux volets : un premier consacré aux missions de formation et de recherche, un second consacré à la politique de soins et permettant de dresser une conclusion générale. C'est le premier volet de l'enquête qui va nous être présenté ce matin. Le second le sera en fin d'année.
M. Patrick Lefas, président de chambre maintenu à la Cour des comptes. - Je suis heureux de vous présenter aujourd'hui le premier volet de l'enquête sur le rôle des CHU dans le système de santé. L'ampleur du sujet imposait en effet de le diviser en deux parties. Cette première enquête a été conduite par une formation inter-chambres associant des représentants de la troisième chambre, compétente pour l'enseignement supérieur et la recherche, et de la sixième, qui s'occupe des questions de santé et, depuis le 1er janvier, du secteur médico-social. Nous ne traitons pas, dans cette première partie, de la formation continue, mais uniquement de la formation initiale, qui répond à une logique organisationnelle différente.
Parmi le millier d'établissements publics de santé, 30 établissements répondent aux critères de l'ordonnance du 30 décembre 1958, à savoir qu'ils sont liés par convention avec une ou plusieurs unités de formation et de recherche médicale au sein d'une université. La très grande majorité d'entre eux ont signé leur convention initiale entre 1965 et 1975.
Des disparités importantes existent cependant parmi les CHU. L'AP-HP fait figure d'exception avec plus de 7,3 milliards d'euros de produits, mais elle est composée de 12 groupements hospitaliers qui fonctionnent chacun avec une des 7 facultés de médecine franciliennes et dont le budget et la taille sont souvent proches de ceux des CHU de province. Loin derrière, 5 CHU ont un budget supérieur à un milliard d'euros, compris entre 1,1 et 1,7 milliard d'euros. Les 8 CHU les plus petits ont des budgets de moins de 500 millions d'euros. Depuis plusieurs années, le résultat consolidé des CHU est négatif et la baisse de leur capacité d'autofinancement a un impact négatif sur le niveau de leurs investissements. Leur activité de proximité, de recours et de référence représente près de 38 % des séjours de l'hospitalisation publique. À ce titre, ils prennent en charge 25,5 % des passages aux urgences, 40 % des séjours les plus graves et 30 % des séjours des patients de moins de 5 ans et de plus de 80 ans du secteur public. Plus de 68 % de leur financement est assuré par les produits issus de l'activité de soins et les personnels hospitalo-universitaires représentent 7,5 % des ETP rémunérés par les CHU.
Depuis l'introduction en 2004 de la tarification à l'activité (T2A), les missions d'enseignement et de recherche qu'ils remplissent sont financées au sein des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac) par les recettes des missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation (Merri). En 2016, ces financements Merri s'élèvent à 3,5 milliards d'euros, dont la très grande majorité est versée aux CHU. Le modèle d'allocation de ces recettes est de plus en plus fondé sur des critères de performance, appuyés sur les scores produits par le système d'interrogation, de gestion et d'analyse des publications scientifiques (Sigaps) et le système d'information et de gestion de la recherche et des essais cliniques (Sigrec), qui sont des indicateurs d'activité de recherche, déterminés sur la base, respectivement, des publications scientifiques des établissements et des essais cliniques à promotion hospitalière dans lesquels sont impliqués les établissements.
En même temps que les CHU a été créé le statut des médecins hospitalo-universitaires par fusion des deux hiérarchies qui existaient alors, l'une universitaire - docteurs, assistants, agrégés et professeurs - et l'autre hospitalière - externes, internes, chefs de clinique, chefs de service. Le personnel hospitalo-universitaire est défini dès 1958 comme du personnel médical et scientifique exerçant à plein temps des fonctions universitaires et hospitalières. En 2015-2016, les ministères chargés de la santé et de l'enseignement supérieur dénombraient un total de 5 666 postes de personnels hospitalo-universitaires titulaires en médecine, dont 4 020 professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) et 1 646 maîtres de conférences des universités-praticiens hospitaliers (MCU-PH).
Notre enquête a été conduite, classiquement, à partir de questionnaires et d'entretiens avec l'ensemble des acteurs concernés. En outre, nous avons consulté des personnalités éminentes du milieu hospitalo-universitaires, comme les professeurs Alain Fischer, Olivier Lyon-Caen, Jacques Marescaux, Lionel Collet ou Jean-François Delfraissy. Au total, près de 200 personnes ont reçu les rapporteurs dans toute la phase d'instruction. Un échantillon de six sites a été retenu, au sein desquels la qualité de la coordination entre les différents partenaires - CHU, université, EPST - a été particulièrement étudiée : l'AP-HP, en lien avec les universités Pierre et Marie Curie et Paris-Sud, Bordeaux, Strasbourg, Angers et Saint-Étienne. Cet échantillon a permis d'examiner la situation de quatre des six instituts hospitalo-universitaires (IHU) : deux IHU rattachés à la Pitié-Salpêtrière, l'Institut du cerveau et de la moelle et l'Ican pour les maladies cardiaques, un rattaché à l'hôpital Necker, Imagine, pour les maladies génétiques, et le dernier, LiRYC, à Bordeaux, pour les maladies cardiaques. Les deux derniers n'étaient pas dans notre échantillon, mais n'en ont pas moins été analysés : Polmit pour les maladies infectieuses à l'AP-HM et Mix-Surg aux hôpitaux universitaires de Strasbourg, sur la chirurgie mini-invasive. Mais nous n'avons pas traité du modèle économique des IHU, car il venait de donner lieu à un rapport de l'Igas et de l'IGAENR. Enfin, des comparaisons internationales ont été réalisées avec plusieurs pays européens et avec les États-Unis. Elles font l'objet de l'annexe n° 4 du rapport, qui montre que le modèle des CHU a quelque peu vieilli.
Le rapport est organisé en trois chapitres. Le premier présente les constats de la situation actuelle, portant sur les trois missions des CHU. Le deuxième chapitre identifie les fragilités du système. Il porte principalement sur les défaillances de l'organisation et du financement de la recherche biomédicale, sur la nécessité de redéfinir la place des CHU dans le système de formation médicale et sur le statut des personnels hospitalo-universitaires, qui apparaît moins attractif pour les jeunes générations. Enfin, le troisième chapitre est plus prospectif. Il identifie les enjeux d'avenir pour les CHU en matière de formation et de recherche, présente les enseignements que l'on peut tirer des exemples étrangers et, dans sa dernière partie, dessine des évolutions possibles pour le système français.
Le premier chapitre dresse un état des lieux. Des trois missions de soins, de recherche et de formation, les soins concentrent l'attention et les moyens des CHU. Cette priorité a été renforcée par la généralisation de la T2A et les difficultés financières rencontrées par la majorité de ces établissements, sans que l'on puisse mesurer l'impact de ces évolutions sur les missions d'enseignement et de recherche.
La qualité de la coordination entre les CHU et leurs universités de rattachement apparaît contrastée selon les sites et dépend souvent de facteurs historiques et des relations personnelles entre les dirigeants. Les nouvelles responsabilités des présidents d'université, issues de la loi de 2007, ainsi que la part croissante des autres disciplines dans la recherche médicale, incitent à un renforcement des relations entre le président de l'université et les dirigeants du CHU, au-delà du lien traditionnel avec le doyen de la faculté de médecine.
Les dernières années ont vu l'émergence d'une nouvelle ambition des CHU en matière de recherche, avec une gouvernance plus intégrée et une organisation interne progressivement adaptée. Celle-ci a été marquée par le développement progressif des structures de soutien à la recherche financées par le ministère chargé de la santé : délégations à la recherche clinique et à l'innovation, centres d'investigation clinique et centres de ressources biologiques. Au cours des dernières années, l'activité de recherche des CHU s'est développée, accompagnée par la mise en oeuvre du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) et la définition de stratégies de recherche des établissements. Des instances de coordination ont été créées au niveau local, sous la forme de comités de la recherche en matière biomédicale et de santé publique, et interrégional, avec les groupements interrégionaux de recherche clinique et d'innovation, mais la qualité des relations avec les partenaires - université, Inserm, CNRS - est inégale et dépend souvent de facteurs locaux.
L'augmentation des publications des CHU n'a cependant pas permis de maintenir le rang de la France en matière de recherche biomédicale, dans un contexte de dynamique importante de pays émergents : notre pays se situe désormais au cinquième rang concernant la part mondiale des publications à fort impact en biologie fondamentale et au huitième rang en recherche médicale. Avec une part qui progresse peu pour la recherche médicale depuis 2011, la France a été récemment doublée par les Pays-Bas et la Chine. Au niveau national, l'activité de recherche des CHU est de plus en plus concurrencée par d'autres établissements de santé : certains CHU ont une activité comparable ou moindre que celle des centres de lutte contre le cancer les plus importants, ou que certains centres hospitaliers ou certaines cliniques privées. On constate une baisse régulière de la part des CHU dans les scores Sigaps, à l'exception de l'AP-HP, qui en représente à elle seule 31,1 %, et des Hospices civils de Lyon. L'activité de recherche des CHU implantés dans les métropoles les plus importantes - Lyon, Marseille, Lille, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Nantes - apparaît prédominante. C'est également le cas dans la réussite au PHRC : l'AP-HP obtient plus de 29 % des financements, tandis qu'un groupe de neuf CHU en obtient ensemble 33 %.
Concernant la formation des médecins, l'évolution des études, caractérisée par la généralisation de l'internat et le renforcement de la dimension pratique des apprentissages, confère aux CHU un rôle central. En 2016-2017, hors effectifs de la première année, 144 389 étudiants étaient inscrits en médecine et odontologie, tous niveaux confondus, soit 8,9 % du total des étudiants des universités. L'accès au cursus médical et le niveau de réussite aux examens nationaux, comme la répartition des personnels hospitalo-universitaires, restent toutefois marqués par de fortes inégalités. En 2013, pour une moyenne nationale de 19,7 places de numerus clausus pour 100 000 habitants, les chances d'accès aux études médicales étaient plus fortes en région Limousin - 31,1 places pour 100 000 habitants - qu'en Corse, où ce ratio était de 10,7, en Bretagne, où il était de 15,6, ou en région Centre, avec 18,5. Ces inégalités n'ont pas été supprimées par la hausse générale du numerus clausus entre 2004 et 2013. Le niveau d'encadrement par des enseignants en santé des étudiants entrés dans le cursus médical est hétérogène selon les sites.
En 2015-2016, un poste d'enseignant (titulaires et non-titulaires confondus) correspondait à moins de six étudiants à l'université Paris 5 Descartes, mais à plus de quinze à l'université Lille 2. Un taux d'encadrement défavorable ne permet pas de proposer aux étudiants l'accès à l'ensemble des enseignements de spécialité, ce qui pose la question de l'homogénéité des formations médicales sur le territoire national. Seules deux universités - Paris 5 Descartes et Paris 6 Pierre-et-Marie-Curie - disposent de PU-PH et de MCU-PH dans la quasi-totalité des disciplines. En revanche, de nombreuses universités en région, à Amiens, Caen, Rouen, Brest ou Nantes par exemple, ne disposent pas de postes hospitalo-universitaires titulaires, et notamment de MCU-PH, dans toutes les spécialités.
Ces disparités ne font pas l'objet d'actions correctrices fortes de la part des pouvoirs publics. Elles affectent les CHU tant en raison de leur rôle de référence dans la formation pratique des étudiants que de la proximité entre les activités de soins, de formation et de recherche. Ainsi, un niveau d'encadrement défavorable des étudiants réduit le temps disponible pour la recherche et diminue les capacités d'accompagnement des activités de soin des étudiants par les personnels hospitalo-universitaires.
La relation entre niveau d'encadrement et réussite aux épreuves classantes nationales (ECN) n'est cependant pas automatique. En 2015-2016, l'université de Nice a fait accéder 12,3 % de ses étudiants dans les 500 premiers aux ECN, soit le même taux que l'université Pierre-et-Marie-Curie, avec un ratio d'encadrement de 10,6 contre 7,5 pour Paris 6. Les étudiants des universités de Grenoble, Aix-Marseille, Montpellier et Nice obtiennent des niveaux de réussite supérieurs à ceux de certaines universités - Paris 7, Paris 12, Paris 13, notamment - qui bénéficient d'un niveau d'encadrement pourtant supérieur.
Dans un contexte d'augmentation de la demande de formation liée au relèvement du numerus clausus, ces déséquilibres conduisent à associer davantage d'acteurs non hospitalo-universitaires à l'exercice de la mission de formation.
Le deuxième chapitre identifie les fragilités du système. Le cloisonnement et l'érosion des concours alloués à la recherche, intrinsèquement liés à la nature des crédits qui lui sont affectés, la nécessité de partager la formation avec d'autres établissements du territoire et les signes perceptibles d'une perte d'attractivité du statut de PU-PH en sont les composantes principales.
L'organisation et le financement de la recherche sont trop cloisonnés. Au niveau national, la double tutelle du domaine hospitalo-universitaire, assurée par les ministères chargés respectivement de la santé et de l'enseignement supérieur et de la recherche, est marquée par un manque de coopération entre les administrations centrales concernées, même si la situation s'est récemment améliorée. Plusieurs éléments illustrent les difficultés de pilotage général de la recherche en santé : l'absence de vision consolidée de l'ensemble des moyens qui lui sont consacrés, la faiblesse du financement de la recherche translationnelle malgré les financements du programme d'investissements d'avenir (PIA), le caractère fragmenté et mal évalué du PHRC, enfin l'échec du plan de programmation de la recherche en santé, lancé sur l'initiative du Président de la République lors de la célébration du cinquantième anniversaire de l'Inserm.
Ensuite, les recettes Merri sont un modèle à réformer. En 1995, à la suite du rapport sur la réforme du financement des hôpitaux, le ministère de la santé a retenu un taux forfaitaire de 13 % pour les CHU, représentant la sous-productivité liée à l'exercice des missions d'enseignement et de recherche. Cela représente pour les CHU 1,74 milliard d'euros à la veille de la réforme de 2004. La mise en oeuvre de la T2A en 2004 dans le cadre de la réforme du financement des établissements de santé a imposé la création de recettes spécifiques pour couvrir ces surcoûts, les Merri.
Quatre réformes ont affecté le périmètre de ces recettes depuis 2011 : la publication d'un référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN), la nette revalorisation du financement lié aux activités de formation initiale, en particulier la rémunération des internes, la fusion de la part fixe et de la part modulable qui s'est achevée en 2016, enfin la sortie des Migac des produits de santé sous autorisation temporaire d'utilisation (ATU).
L'agrégat Merri est très hétérogène dans ses composantes, ce qui le rend peu lisible. Il est de plus en plus déterminé par des scores de publications, d'essais et d'enseignement, à hauteur de 1,573 milliard d'euros en 2016, soit 45 % de son montant total. Les deux tiers de ce montant sont calculés par les seuls scores Sigaps et Sigrec relatifs à la recherche.
Ce mode de financement présente de nombreux inconvénients. L'élargissement progressif du nombre de bénéficiaires des recettes Merri - 40 établissements en plus des 30 CHU - entraîne une dispersion des crédits et une érosion régulière du financement des CHU pour leur mission de recherche. Par ailleurs, les crédits Merri sont répartis à partir de critères d'activité alors qu'ils sont censés compenser des surcoûts, ce qui provoque de l'incompréhension chez les chercheurs. Les pouvoirs publics peinent à tirer toutes les conséquences de la jurisprudence française et européenne qui impose une égalité de traitement de l'ensemble des établissements de santé, quelle que soit leur nature juridique. Elle pose également la question du principe même d'indicateurs d'activité de recherche comme fondement d'une méthodologie pour estimer des surcoûts ou des pertes d'exploitation liées à la recherche.
En 2010, les pouvoirs publics ont créé un nouveau mode d'organisation de la recherche biomédicale, l'IHU, et de le financer par le PIA. Les six IHU créés représentent des outils très intéressants de dynamisation de la recherche biomédicale et de transfert pour l'amélioration des soins. Les ressources qui leur ont été affectées ont permis de moderniser les plates-formes technologiques et d'augmenter les moyens de recherche, notamment par le recrutement international. Cependant, la création de structures juridiques autonomes a induit une complexité de gouvernance et les difficultés ne sont pas encore levées. Plusieurs questions restent à traiter, sur le plan des relations entre les IHU et leurs membres fondateurs, sur le modèle économique et sur la pérennisation des emplois. En outre, le modèle de fondation n'a pas atteint ses objectifs d'équilibre économique.
Ces difficultés incitent désormais à la prudence quant aux modalités de création de nouveaux instituts. En tout état de cause, le modèle spécifique des IHU ne peut avoir qu'une portée limitée et ne peut pas être considéré comme le futur mode d'organisation de l'ensemble des CHU. En 2014, le lancement de l'appel à projets de recherche hospitalo-universitaire (RHU), financé également par le PIA, a traduit un réel effort de décloisonnement et a été accueilli très favorablement par l'ensemble des partenaires. C'est ce type d'appels à projets qu'il serait souhaitable de privilégier à l'avenir.
La place des CHU dans la formation médicale pratique reste prédominante, mais s'est réduite au cours des dernières années. Deux évolutions se sont conjuguées : la poussée de la démographie étudiante induite par le relèvement historique du numerus clausus, et la prise en compte renforcée de la diversité des modes d'exercice professionnel dans la conception des apprentissages. Le système de formation médicale initiale est ainsi appelé à former de plus en plus de médecins pour un exercice de moins en moins hospitalier. Ces évolutions, à la fois subies et inscrites dans les stratégies nationales de santé, ont eu pour effet de diffuser largement les lieux de stage en dehors des seuls établissements hospitalo-universitaires et d'associer davantage les praticiens de santé non hospitalo-universitaires à l'encadrement des étudiants.
Le statut des personnels hospitalo-universitaires suscite des interrogations. Depuis 1958, le choix de la carrière hospitalo-universitaire par les éléments les plus prometteurs de leur génération a contribué significativement à l'accroissement de la qualité des soins, à l'excellence de la recherche et à la diffusion de la formation. Cependant, les souplesses ouvertes par le statut ne suffisent plus à masquer les difficultés d'exercice professionnel de ces personnels, les plus jeunes hésitant désormais à s'engager dans cette carrière. Au niveau individuel, l'exercice à haut niveau des trois missions est aujourd'hui présenté comme illusoire, la réalité pratique étant souvent celle d'une bispécialisation, voire d'une monospécialisation. Certains hospitalo-universitaires publient peu, voire pas du tout, et sont de fait des cliniciens enseignants, quand d'autres ne font que de la recherche et quasiment plus de soins ni d'enseignement. Certains professeurs de médecine ont pu faire état de séquences successives au cours de leur carrière : d'abord chercheurs, puis plutôt enseignants et cliniciens.
Au-delà des trois missions inscrites dans la loi, deux catégories d'activité se sont ajoutées au fil du temps. Le management des services ou des pôles, ou des fonctions de représentation au sein de l'établissement ou de l'université, et des activités annexes comme l'expertise auprès d'institutions publiques ou la participation à des groupes de travail réunissant différents acteurs du champ de la santé.
Cette hétérogénéité des pratiques offre une souplesse qui est appréciée par les personnels hospitalo-universitaires. Elle met cependant les établissements hospitaliers dans l'incapacité de quantifier le temps médical affecté à chacune des missions, à établir leurs coûts analytiques et à rapprocher de ces coûts les recettes Merri. Or, la nécessité juridique de connaître les coûts de la recherche et de l'enseignement, notamment au regard du droit communautaire, implique une meilleure connaissance de la répartition effective du temps médical hospitalo-universitaire. Enfin l'exercice professionnel des personnels hospitalo-universitaires apparaît peu évalué alors que les textes en vigueur le prévoient et que tous les enseignants-chercheurs sont soumis à un processus d'évaluation.
Même si l'administration fait valoir que les recrutements se font normalement au regard du nombre de postes à pourvoir, de nombreuses personnalités consultées lors de l'enquête ont exprimé leur crainte d'une perte d'attractivité du statut des personnels hospitalo-universitaires, qui reste difficilement mesurable. Des difficultés de recrutement semblent apparaître dans certaines spécialités et certains établissements, notamment dans les plus petits CHU. Les candidats aux fonctions hospitalo-universitaires perçoivent une dégradation des conditions d'exercice dans les CHU, tenant aux difficultés hospitalières, aux tensions financières et sociales, à l'accès plus difficile aux équipements de pointe - ce qui est un paradoxe - aux postes vacants, à la lourdeur de la gestion, au poids croissant des tâches administratives dans un contexte de financement à l'activité et d'exigences accrues de performance. Attirer les plus hauts potentiels implique désormais d'adapter la pratique de la triple mission.
De façon générale, la répartition des personnels hospitalo-universitaires est très inégale, avec une forte différence entre la région parisienne et la province, ou entre les spécialités médicales. La nomination des PU-PH suit une logique de reproduction à l'identique et intègre peu de rééquilibrage ou de vision prospective sur l'évolution des spécialités, alors que la médecine connaît une accélération du progrès. De même, la fixation du numerus clausus n'est pas suffisamment fondée sur des analyses prospectives : elle prend plus en compte les capacités d'accueil des universités que les besoins des territoires.
Notre troisième chapitre est plus prospectif. Depuis soixante ans, le modèle des CHU a montré son efficacité, mais son organisation actuelle doit impérativement évoluer pour répondre aux nouveaux enjeux de la recherche et de la formation médicales.
La particularité du système français est de confier aux CHU des missions de soins de haut niveau mais aussi de proximité. Les comparaisons internationales montrent qu'à l'étranger les CHU sont moins nombreux et n'ont pas systématiquement une fonction de soins de proximité, comme c'est le cas en France. Le partage des missions avec les autres établissements de santé apparaît plus précisément défini, notamment pour la formation pratique. Ainsi aux États-Unis, on dénombre environ un hôpital universitaire pour douze hôpitaux d'apprentissage. De manière similaire, les hôpitaux universitaires allemands signent des conventions avec des hôpitaux d'apprentissage qui accueillent les étudiants au cours de l'année d'études réservée à la réalisation d'un stage pratique en établissement de santé. Leurs modes de gouvernance sont divers, pouvant aller, notamment dans le champ de la recherche, jusqu'à une gouvernance purement universitaire. Le financement de la compensation des surcoûts liés à l'exercice de ces missions est supporté en général par des crédits ministériels, alors qu'il est pris en charge par l'assurance maladie chez nous.
L'évolution du positionnement des CHU doit répondre à des logiques différentes, mais complémentaires, entre le domaine de la formation et celui de la recherche. En matière de recherche biomédicale, l'organisation des CHU doit évoluer afin de rester compétitive et visible sur le plan international. Elle doit faire face à trois enjeux majeurs : créer des pôles de recherche ayant une masse critique suffisante, s'ouvrir sur d'autres disciplines dont l'apport est essentiel dans les innovations médicales et améliorer la capacité d'inclusion de patients dans des essais cliniques.
En matière d'enseignement, même si les CHU disposent d'atouts importants, leur rôle prééminent dans la formation pratique s'est banalisé avec la diffusion des lieux de stage en dehors du cadre hospitalo-universitaire. Ce mouvement de diffusion en dehors du CHU est à la fois imposé par la poussée de la démographie étudiante et souhaitable pour permettre aux étudiants d'appréhender plus largement la diversité des modes d'exercice. Dans ce domaine, la Cour ne propose pas de remettre en cause la structuration actuelle des 30 CHU, dont l'existence est liée au conventionnement avec l'une des trente-quatre universités comprenant une faculté de médecine. Elle préconise, en revanche, de mieux associer les autres acteurs de la santé - médecins libéraux, centres hospitaliers, GHT - aux parcours de formation des étudiants dans un cadre piloté conjointement par l'université et le CHU.
Le rapport propose quatre orientations générales qui portent sur l'organisation et le financement de la recherche, le pilotage national des activités hospitalo-universitaires, la coordination locale des acteurs et la problématique spécifique des corps hospitalo-universitaires. Chaque orientation est déclinée en plusieurs recommandations, qui répondent aux constats de l'enquête.
La première orientation est de favoriser dans le domaine de la recherche l'émergence de 5 à 10 CHU disposant d'une visibilité internationale en leur confiant une responsabilité de tête de réseau et en concentrant les moyens de financement. Cette orientation ne doit pas conduire à réserver à ces CHU l'activité de recherche mais à en améliorer l'organisation entre les établissements. Pour ce faire, la Cour recommande d'accroître de manière significative la part des recettes Merri réservée au financement des appels à projets et des structures de recherche. Dans l'attente de cette réforme, il est nécessaire de modifier sans délai les modalités de répartition des recettes Merri en procédant à certains réglages.
La deuxième orientation est d'améliorer le pilotage national des activités hospitalo-universitaires. Sur le plan financier, il convient de consolider dans une annexe commune à la loi de finances et à la loi de financement de la sécurité sociale les crédits budgétaires, les dépenses fiscales et les emplois affectés à la recherche biomédicale et à la formation initiale des médecins. Sur le plan de la recherche, il faut rénover le PHRC en confiant la gestion des appels à projets à l'Agence nationale de la recherche (ANR) et intégrer un représentant des CHU au bureau exécutif de l'alliance Aviesan.
Sur le plan de la formation, il faut veiller à la prise en compte des données prospectives pour améliorer la régulation démographique et territoriale des professions de santé, organiser les parcours de formation à partir des CHU vers les autres établissements de santé et la médecine de ville afin de définir des parcours de formation cohérents avec les parcours de soins, et renforcer l'évaluation des formations médicales en étendant les évaluations du Haut Conseil d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) à la formation pratique des étudiants et des internes.
La troisième orientation est d'améliorer la coordination stratégique des acteurs au niveau régional et local. La qualité de la coordination entre les CHU et les universités, ainsi qu'avec les organismes de recherche, apparaît contrastée selon les sites. Les nouvelles responsabilités des présidents d'université, ainsi que la part croissante des autres disciplines dans la recherche médicale, incitent à un renforcement des relations entre le président de l'université et les dirigeants du CHU, au-delà du lien traditionnel avec le doyen de la faculté de médecine. L'amélioration de la coordination stratégique entre le CHU et l'université passe par la mise en place d'une instance commune de concertation et par la synchronisation des calendriers de leurs contrats pluriannuels.
Parallèlement, la définition au niveau régional d'un cadre de coordination des actions menées dans le domaine de la recherche associant notamment les CHU, les universités, les organismes nationaux de recherche, l'agence régionale de santé (ARS) et les collectivités territoriales permettrait d'améliorer les grands choix stratégiques, notamment en matière d'investissement.
La quatrième orientation porte sur la gestion des corps hospitalo-universitaires. Des ajustements doivent être recherchés pour garantir l'adaptation du statut à la réalité d'aujourd'hui, avec une extension continue à des missions supplémentaires, alors même que l'exercice simultané à un haut niveau des trois premières - soins, enseignement, recherche -apparaît de plus en plus difficile.
La Cour recommande que les obligations de service des personnels hospitalo-universitaires soient définies et mises en oeuvre dans un cadre contractuel, afin de prendre en compte la diversité des missions. Sur cette base, une évaluation systématique de leurs activités, y compris managériales, doit être mise en place.
Ces constats, orientations et recommandations que la Cour est amenée à soumettre à votre commission devront être complétés par la deuxième phase des travaux consacrée au rôle des CHU dans l'organisation du système de soins.
Mme Catherine Deroche. - Merci pour ce rapport de qualité. Nous attendons le second volet avec impatience ! Avez-vous étudié la part des cofinancements privés dans les programmes de recherche ? L'idée d'un fort élargissement du numerus clausus est dans l'air ; mais avons-nous une capacité suffisante de formation ? Quelle est la marge de manoeuvre ? Dans les Pays de la Loire, nous commençons à mettre en place des maisons de santé pluridisciplinaires universitaires dont nous soutenons les programmes de recherche.
Mme Florence Lassarade. - Merci pour cet exposé très clair. À quel moment des études le classement des étudiants survient-il ? L'autonomie des universités a-t-elle modifié l'évolution des CHU ?
M. Michel Amiel. - Si l'on supprimait le numerus clausus, les CHU pourraient-ils absorber le flux ? Pourrait-on, conformément aux principes hippocratiques, permettre à de simples praticiens d'enseigner ?
M. Guillaume Arnell. - Merci pour ce rapport de qualité. Avez-vous porté une attention particulière au CHU de Pointe-à-Pitre et à celui de la Martinique ? Ils connaissent des difficultés récurrentes, notamment financières. Le premier se spécialise dans l'insuffisance rénale et les greffes, le second dans les maladies cardio-vasculaires. La gestion du personnel soulève des difficultés également. Après quelques années, quel regard portez-vous sur la relation entre CHU et facultés de médecine ?
Mme Élisabeth Doineau. - L'accès territorial ne doit pas concerner que les soins mais aussi la recherche. La mise en place de maisons et de pôles de santé nous donne l'occasion d'intéresser les professionnels de santé à la recherche de demain, notamment sur le sujet du vieillissement. Le numerus clausus a été fortement desserré depuis quelques années. C'est heureux, car les années où il était faible se refléteront dans la pyramide des âges de la profession pendant encore une dizaine d'années. Quelles sont les marges de manoeuvre pour l'augmenter encore, au vu des capacités de formation ? Les besoins des territoires sont importants et l'évolution des pratiques fait que, pour remplacer un médecin d'autrefois, il en faut deux ou trois d'aujourd'hui ! Le numerus clausus régional a-t-il été une bonne mesure ?
M. Patrick Lefas. - Le tableau qui figure en page 78 du rapport donne quelques chiffres sur la part du financement privé de la recherche. Les appels à la générosité publique procurent 6 millions d'euros par an à la lutte contre le cancer et 25 millions d'euros au Généthon. La collecte de fonds privés était le but des fondations, et le projet économique des IHU. Nous sommes loin de l'équilibre initialement visé : l'essentiel du financement est toujours public.
M. Michel Clément, conseiller maître. - Ce tableau est estimatif, car il n'existe pas actuellement de recensement de l'ensemble des financements consacrés à la recherche médicale et à l'enseignement médical, compte tenu du fait que le pilotage incombe à deux ministères différents.
Du fait des difficultés rencontrées pour établir ce tableau, nous avons recommandé la création d'un document - un jaune budgétaire, par exemple - rassemblant les différents financements consacrés à la recherche médicale et à l'enseignement, annexé soit à la loi de finances, soit à la loi de financement de la sécurité sociale.
M. Patrick Lefas. - Le fond de la problématique du numerus clausus ne peut pas être traité uniquement du point de vue des problématiques de l'enseignement supérieur et de la recherche, car elle est liée à l'évolution de l'ensemble du système de santé. Le graphique retraçant l'évolution du numerus clausus (p. 114 du rapport) révèle que les choix qui ont présidé à sa fixation ne sont pas empreints d'une forte dimension prospective. Puisqu'il faut dix ans pour former un médecin, les arbitrages ont été le plus souvent rendus en fonction des capacités disponibles des universités.
Nous relevons un problème d'encadrement - le nombre des personnels hospitalo-universitaires titulaires en médecine est resté stable alors que le numerus clausus a significativement augmenté -, avec des situations très inégalitaires d'un site à l'autre. Il est donc très important que les besoins soient appréhendés grâce à une connaissance fine du terrain et les ARS ont certainement un rôle à jouer dans ce domaine. Il faut prendre en compte les capacités de formation disponibles et intégrer la problématique des stages pratiques (articulation entre le CHU et la médecine de ville ou les centres hospitaliers). Notre marge de progression est très importante par rapport aux exemples américain ou allemand, où les hôpitaux d'apprentissage sont beaucoup plus nombreux que les hôpitaux de pointe en matière de recherche.
La conséquence logique est de se demander qui doit enseigner. À ce stade, nous ne voulons pas trancher la question de savoir s'il y a trop peu de postes de PU-PH ou de MCU-PH, tant que n'ont pas été abordées les problématiques d'organisation des soins. Quoi qu'il en soit, on ne peut que constater des faiblesses d'encadrement ; les fonctions de ces PU-PH étant très larges, ils n'exercent plus trois métiers, mais plutôt quatre ou cinq. Il convient de réfléchir aux conditions dans lesquelles cet enseignement pratique va pouvoir s'effectuer et, par conséquent, d'engager une réflexion de fond sur la manière d'optimiser cette formation dans l'intérêt des étudiants et de réduire ainsi les inégalités d'accès aux études de médecine.
Le cas d'Angers démontre l'intérêt d'intégrer un certain nombre de critères. Notre choix a été effectué en fonction d'une grille d'analyse permettant de prendre en compte des hôpitaux présentant une problématique d'environnement régional. Ce qui se fait dans le Grand Ouest est extrêmement intéressant de ce point de vue. Je précise que le tableau n° 9 concerne une sélection d'établissements, il n'est pas exhaustif.
Le CHU de Pointe-à-Pitre ne figure pas dans ce tableau, parce que les critères retenus pour constituer notre échantillon n'ont pas permis de le retenir. Ce CHU est le plus petit et rencontre des difficultés. Le sujet de la santé outre-mer a été traité dans un rapport public thématique rendu en juin 2014. Lorsque j'étais président de la troisième chambre de la Cour des comptes, j'ai été auditionné par la commission de la culture du Sénat sur la situation de l'université des Antilles et de la Guyane, notamment celle des facultés de médecine. Le présent rapport ne permet pas d'apporter une réponse aux questions posées, mais il est envisageable de se pencher sur la situation de ce CHU dans le cadre des contrôles organiques programmés par la Cour.
Pour revenir à la question de savoir qui doit enseigner, il faut considérer que, de plus en plus, l'enseignement pratique est dispensé en dehors des PU-PH et des MCU-PH. Cela implique des procédures de contrôle, la reconsidération de la problématique des parcours de formation, qui ne peut pas être laissée à la discrétion des ARS, mais doit être intégrée dans un réseau reliant la faculté de médecine, le CHU et les établissements situés dans son orbite. De ce point de vue, la structuration autour des GHT qui ont une fonction de formation devra être traitée. Nous devrions y être très attentifs lors de nos premiers contrôles des GHT.
M. Michel Clément. - Les universités ont connu des réformes successives : l'autonomie financière - sujet sur lequel, à la demande du Sénat, la Cour a produit en 2015 un rapport établissant un bilan plutôt positif - et les fameux regroupements, notamment par le biais des initiatives d'excellence. Au passage, notre préconisation tendant à favoriser l'émergence de 5 à 10 grands CHU s'inscrit dans la logique des initiatives d'excellence : il s'agit non pas d'isoler certains CHU en leur donnant tous les moyens, mais au contraire de favoriser cette émergence dès lors que ces CHU sont des têtes de réseau et font travailler d'autres hôpitaux autour d'eux.
La Cour préconise également de renforcer les relations entre les CHU et les universités, puisque les facultés de médecine jouissent encore d'une certaine autonomie au sein des universités. Le rapport indique bien que la recherche clinique ou la recherche translationnelle doivent s'inspirer des modes d'action et d'évaluation de la recherche fondamentale (appels à projets, évaluation des laboratoires) à l'image de ce que font aujourd'hui l'INSERM ou le CNRS. Ce rapprochement doit être favorisé et accéléré.
M. Patrick Lefas. - Une autre question portait sur le moment où intervient le classement. Les études de médecine sont très sélectives, dès la première année commune aux études de santé (PACES), mais le moment clé est le passage des ECN. Ce concours national est maintenant totalement numérisé, ce qui représente un grand succès du point de vue des progrès des systèmes d'information, tout en garantissant la confidentialité requise. Ce système contribue à établir une hiérarchie relativement stable entre les spécialités ; il est intrinsèquement lié au mode d'organisation des études médicales.
En ce qui concerne l'appropriation de la recherche par les territoires, elle est prise en compte par la recommandation n° 10 au sein de l'orientation n° 3 : « définir au niveau régional un cadre de coordination des actions menées dans le domaine de la recherche, associant notamment les CHU, les universités, les organismes nationaux de recherche, l'agence régionale de santé et les collectivités territoriales ». Cette problématique représente un enjeu très important : pour exister au niveau international, on ne peut pas créer partout des plates-formes lourdes et sophistiquées, qui ne peuvent être accueillies que dans un petit nombre d'établissements ; en revanche, l'essaimage, la coordination des actions, les problématiques d'essais cliniques nécessitent une logique de réseau, où le CHU joue un rôle d'animation par rapport aux autres établissements - même si cette logique est encore assez étrangère à la mentalité des établissements français.
Mme Nadine Grelet-Certenais. - Pour favoriser la cohérence des parcours de formation entre CHU et autres lieux de stage, vous préconisez, pour permettre aux étudiants d'appréhender plus largement la diversité des modes d'exercice, de renforcer les stages, notamment en médecine générale. Ces stages ne devraient-ils pas être effectués dès les premières années de formation ? En effet, plusieurs étudiants m'ont indiqué qu'ils ne connaissaient, en fin d'études, que la pratique hospitalière. Prévoir plus tôt des stages en médecine générale devrait contribuer à une meilleure connaissance de ce métier et à une meilleure appréhension de la spécificité de la profession de médecin généraliste en milieu rural.
M. Yves Daudigny. - Concernant le lien entre vos travaux et la problématique des déserts médicaux, vous êtes au coeur du sujet lorsque vous écrivez qu'il faut « permettre aux étudiants d'appréhender plus largement la diversité des modes d'exercice ». Des stages sont prévus pendant les trois premières années, ensuite pendant l'internat. Je voudrais attirer votre attention sur les difficultés liées à la non-concordance des limites administratives et les zones d'influence des CHU. Certains territoires sont éloignés du CHU de leur circonscription administrative et les étudiants sont réticents à s'y rendre afin de suivre un stage pour des raisons de commodité évidentes ; en revanche, ces territoires sont parfois proches d'un CHU situé dans une autre circonscription administrative, mais ses étudiants ne peuvent pas y effectuer de stage parce que la loi l'interdirait. Avez-vous été sensibilisé à ce problème ? Faut-il qu'une modification législative intervienne ou suffirait-il de prendre une mesure réglementaire pour surmonter cet obstacle ?
M. Alain Milon, président. - Amiens et Reims...
M. Daniel Chasseing. - Le numerus clausus a été une très grosse erreur : nous avons vu arriver en France des médecins étrangers reçus avec une moyenne de 10, pendant que nos enfants étaient recalés avec parfois plus de 12 en PACES... D'après votre rapport, l'ancienne région Limousin paraît favorisée. Pourtant, nous sommes au bord de la catastrophe, parce que beaucoup de médecins, notamment en zone rurale, ont plus de 60 ans.
Pour moi, il faudrait un internat par faculté. Si le nombre d'étudiants pour 100 000 habitants est élevé à Limoges, beaucoup d'entre eux viennent d'autres régions et ne connaissent absolument pas le Limousin ; ils sont totalement hospitalo-centrés. Il faut absolument casser ce modèle et prévoir plus de places d'internes en médecine générale, les faire travailler dans les maisons de santé avec des maîtres de stage mieux considérés et revalorisés. Bref, il faudrait imaginer des stages équivalents à l'internat, avec un praticien maître de stage reconnu. Vous dites que « le mouvement de diffusion en dehors du CHU est à la fois imposé par la poussée de la démographie étudiante et souhaitable », mais pour l'instant il est très peu développé, en tout cas en Limousin.
Mme Nassimah Dindar. - Votre rapport est très intéressant quant au constat d'un modèle qui s'essouffle et sur les réformes à engager. Vous reconnaissez la fragilité du statut des personnels hospitaliers, l'hétérogénéité des pratiques universitaires et des missions dévolues aux médecins selon les régions ou les CHU. Nous sommes tous à peu près d'accord sur le bien-fondé du choix pragmatique d'un bon partenariat entre le public et le privé.
Sur la base de quel constat estimez-vous que le modèle nouveau des IHU ne doit pas être pérennisé ?
M. René-Paul Savary. - Il me semble également que vous n'associez pas assez le secteur privé, alors que des établissements hospitaliers privés sont très importants. Les GHT ont également négligé le privé. Je serais plutôt partisan d'un rapprochement, tant pour l'activité hospitalière que pour la formation, avec des centres d'enseignement très territorialisés, comme l'indiquait Mme Doineau.
En outre, vous préconisez l'émergence de 5 à 10 grands CHU, et de 6 IHU, c'est-à-dire même pas un par région... Politiquement, je ne vois pas comment les présidents des 13 régions pourraient l'accepter.
Mme Martine Berthet. - L'un des points d'amélioration que vous proposez peut paraître marginal, mais je le crois important : il s'agit de la capacité d'inclusion des patients dans les essais cliniques. Trop souvent, en France, des molécules innovantes ne peuvent pas être mises à disposition par manque de recul sur les essais cliniques, alors qu'elles le sont dans d'autres pays.
M. Patrick Lefas. - Une première série de questions a porté sur la problématique des études médicales. Monsieur le président, peut-être pourriez-vous, en fin d'année, passer commande d'un travail sur les études de santé envisagées globalement (médecine, odontologie, pharmacie et maïeutique) à la troisième chambre et à la sixième chambre ? Nous disposons désormais d'un recul suffisant sur la réforme du troisième cycle et sur les ECN pour le faire.
Nous avons envisagé les solutions alternatives aux ECN, même si ce n'était pas la cible de notre travail. L'adoption d'une logique régionale ne réglerait pas le problème. Les ECN permettent un classement, mais sans note à la clé. Il me semble stimulant, pour les étudiants, de savoir où ils se situent ; l'organisation des ECN permet des économies d'échelle ; enfin, le système est plus égalitaire. Toutefois, cette question pourrait faire l'objet d'un travail spécifique, si vous le demandiez.
En ce qui concerne l'articulation entre les territoires de santé et le découpage régional, il ne vous aura pas échappé que nous disposons de 30 CHU et de 2 CHR pour 13 régions. Certains CHU sont-ils condamnés ? Tout dépendra de la manière dont les GHT vont structurer demain le paysage hospitalier, en fonction des populations actuelles et de leurs flux. Évidemment, les GHT ne peuvent se fonder sur une problématique hospitalo-centrée : il faut intégrer la médecine de ville, les établissements privés à but non lucratif et les cliniques privées, qui sont souvent des établissements de pointe - sans parler des établissements de lutte contre le cancer, comme l'Institut Curie ou l'Institut Gustave Roussy. L'adoption de cette perspective globale relève de la responsabilité des ARS ; nous l'avions mis en évidence dans notre rapport thématique sur l'avenir de l'assurance maladie.
Cessons d'opposer médecine de ville et médecine hospitalière : elles s'entrecroisent, il est important que s'établisse une bonne articulation entre elles, car la médecine évolue très vite - c'est aussi un enjeu de formation continue. Il est logique que, dans sa formation pratique, le futur médecin passe un temps suffisant à l'hôpital pour connaître les techniques de pointe, mais on ne peut pas se limiter à cela. La solution trouvée paraît assez équilibrée, mais il faut la structurer en ayant à l'esprit que c'est la logique de parcours qui comptera demain, qu'il s'agisse des médecins ou des patients.
Concernant l'inclusion des patients dans les essais cliniques, le syndicat professionnel des entreprises du médicament -le Leem- a relevé une perte d'attractivité. Il faut noter que les contraintes sont de plus en plus fortes depuis une affaire célèbre à l'origine de difficultés sérieuses, mais la logique à l'oeuvre, en particulier dans les IHU, consiste à donner à un patient le maximum de chances d'accès à des thérapies innovantes. Il faut cependant pouvoir collecter toute l'information nécessaire sur les effets secondaires. Le plus souvent, sous la pression des associations de patients, mais aussi des laboratoires pharmaceutiques, on n'attend pas l'issue des essais et la pharmacovigilance n'évalue pas de manière suffisamment exhaustive l'ensemble des effets secondaires. Or cette démarche est absolument indispensable pour progresser, parce que chaque patient est un cas particulier. Cet enjeu dépasse le cadre de notre travail, mais il a été très présent dans notre réflexion.
La problématique des IHU est d'abord budgétaire. Le programme d'investissements d'avenir a des vertus, mais il est branché directement sur la dette publique : on pourrait dire que c'est de la dette publique affectée... Ces fonds doivent donc être distribués avec parcimonie et sélectivité et avoir un véritable effet de levier.
Pour nous, le modèle des IHU est intéressant, mais il n'a pas trouvé son point d'équilibre. Nous avons été très heureux de constater que le Gouvernement était revenu sur son arbitrage initial en passant de trois IHU à deux, et en augmentant corrélativement l'enveloppe de la RHU. Il nous semble que cette approche devrait avoir un effet d'entraînement plus fort. Quoi qu'il en soit, l'IHU n'est pas le modèle des CHU de demain.
M. Michel Clément. - Les IHU sont des structures dotées de la personnalité juridique, avec une autonomie budgétaire et de gouvernance. Ils sont assez différents les uns des autres, en fonction de la présence de lits hospitaliers en leur sein. Les relations avec les CHU ne sont pas toujours très bonnes, car la création d'un IHU entraîne des phénomènes de démutualisation budgétaire. Dans un certain nombre de cas, ils ont permis à des équipes ayant déjà pignon sur rue d'obtenir des moyens supplémentaires, mais ce modèle n'est pas généralisable à l'ensemble des CHU.
M. Patrick Lefas. - Pour préciser mon propos, la RHU regroupe les financements accordés dans le cadre d'appels à projets, conformément au modèle de la recherche au niveau mondial. L'écueil auquel se sont heurtés les PHRC et les crédits Merri est la mauvaise prise en compte des coûts de structure : nous formulons des recommandations précises pour faire évoluer l'enveloppe des crédits Merri pour intégrer cette dimension.
M. René-Paul Savary. - La recherche sur appel à projets est très satisfaisante intellectuellement, administrativement et financièrement, mais beaucoup de chercheurs nous disent que les découvertes interviennent aléatoirement dans le cadre d'un développement, sans rapport avec l'objectif de départ. Faut-il s'entêter à procéder à des appels à projets sur des programmes très ciblés ? Comment développer la recherche sans savoir au départ ce que l'on va trouver ? Si tel était le cas, il n'y aurait plus besoin de chercher !
M. Patrick Lefas. - Lors d'un contrôle, Serge Haroche, prix Nobel de physique, alors administrateur du Collège de France, me disait : « Le problème de la recherche, c'est qu'on n'a rien découvert de fondamental depuis cinquante ans. » Vous avez parfaitement raison, les découvertes se font au confluent des disciplines : de plus en plus, la médecine a besoin de compétences en informatique, en ingénierie, en biologie très poussée, etc. Il doit donc y avoir un continuum entre la recherche fondamentale, dans le cadre des unités mixtes de recherche (UMR), la recherche translationnelle, qui fait le lien entre la recherche clinique et la recherche fondamentale, et la recherche clinique elle-même.
Il est important que les laboratoires pharmaceutiques soient les seuls dépositaires de la force de recherche. Il faut que nous disposions d'une recherche publique très poussée. La Cour a toujours dit qu'il ne fallait pas lésiner sur les moyens et que l'objectif de 3 % du PIB consacrés à la recherche-développement impliquait des conséquences - pour le moment, nous sommes à un peu plus de 1 % seulement pour la recherche publique.
M. Alain Milon, président. - Je vous remercie.
La commission autorise la publication de l'enquête ainsi que le compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Alain Milon.
La réunion est levée à 12 heures.