Jeudi 18 janvier 2018
- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président -
La réunion est ouverte à 10 h 15.
Audition de M. Olivier Le Gall, président de l'Office français de l'intégrité scientifique (OFIS), et de M. Michel Cosnard, président du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres)
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Nous avons le plaisir d'accueillir Olivier Le Gall, président de l'Office français de l'intégrité scientifique (OFIS), et Michel Cosnard, président du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), qui vont nous expliquer l'organisation de la surveillance et du suivi de l'intégrité scientifique, un sujet majeur qui recoupe non seulement la préoccupation générale de l'Office parlementaire mais qui est, précisément, l'un des sujets sur lesquels l'Office a été sollicité par deux commissions de l'Assemblée nationale, la Commission des affaires européennes puis la Commission des affaires économiques, à travers leur saisine concernant les expertises relatives au glyphosate.
L'intégrité repose d'abord sur une notion de confiance dans une société qui est culturellement une société du doute, où la remise en question des positions établies dans l'ordre intellectuel est une sorte de devoir national porté par tous, en particulier par le système médiatique. D'une immense richesse, d'une immense diversité, ce système organise parfois sa compétition interne dans la surenchère des jugements péremptoires sur des sujets peu connus.
C'est la raison pour laquelle le besoin d'intégrité scientifique, qui s'est exprimé dès les années 1990, s'est institutionnalisé. Pour rappel, la deuxième Conférence mondiale sur l'intégrité de la recherche à Singapour en 2010 en a défini les principes et les recommandations. L'Europe a établi un code européen pour l'intégrité de la recherche l'année suivante. En France, une charte nationale de déontologie des métiers de la recherche a été adoptée en janvier 2015. Dès janvier 2016, Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, a demandé à Pierre Corvol, Professeur émérite au collège de France, de dresser un bilan de la mise en oeuvre de cette charte. Ce rapport a été rendu. Il a été présenté par son auteur à l'Office en novembre 2016.
Le professeur Corvol avait formulé 16 propositions. Tant il est vrai qu'il faut être organisé, la dernière de ces propositions aboutissait à la création d'une structure transversale, indépendante, destinée à gérer les questions d'intégrité scientifique. Cette demande a été suivie en mars 2017, dans un délai raisonnable, voire court, de l'annonce de la création de l'Office français de l'intégrité scientifique (OFIS).
Nous sommes curieux de comprendre les modalités de fonctionnement, l'organisation, le dispositif mis en place. Vous allez donc nous présenter le fonctionnement de l'OFIS, ses missions, c'est-à-dire la prospective et la veille, ses moyens à cet effet, la manière dont vous assurerez l'observation du respect de la charte précitée, l'animation des référents intégrité dans les différents établissements scientifiques.
Nous aborderons aussi la question de son indépendance, puisque l'OFIS est intégré au Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, dont il constitue un service. J'imagine qu'il existe, évidemment, un respect mutuel entre les deux institutions et je pense que vous allez nous en préciser les modalités. Enfin, en droit comparé, vous nous direz si nous nous rapprochons de ce qui existe ailleurs ou si nous mettons en place une réponse différente.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - C'est un plaisir pour moi de participer à cette importante audition. L'intégrité scientifique est un sujet qui m'est cher et dans lequel je me suis trouvé impliqué à de nombreuses reprises dans le cadre de discussions scientifiques à l'occasion de tables rondes, de colloques. Lorsque j'étais directeur de l'Institut Poincaré, nous avons accueilli, à de multiples reprises, un groupe informel sur le sujet. Il comprenait des personnalités telles que Claude Huriet, Pierre Corvol, Claudie Haigneré, Axel Kahn et bien d'autres, très intéressés à la façon de comprendre comment institutionnaliser les questions d'intégrité scientifique, les connexions avec les questions éthiques, les discussions de quelques affaires qui ont émaillé, malheureusement, l'actualité scientifique ces dernières années, des questions de plagiat, d'expériences truquées, des questions liées à la perte de la confiance dans certains secteurs de la société par rapport aux sciences, avec une question de fond sur la stratégie à adopter.
Parfois, quand on cherche à minimiser les problèmes d'intégrité scientifique, par crainte d'un risque de déficit d'image et d'efficacité pour la science, c'est le contraire qui se produit. Et quand le scandale éclate, le fait que les mesures appropriées n'aient pas été prises à temps a un impact encore plus néfaste, négatif sur la réputation.
Certaines des discussions qui ont eu lieu entre membres de ce groupe ont été influentes pour la suite des opérations, en particulier le travail de Pierre Corvol sur la façon dont on pouvait organiser l'intégrité scientifique.
À titre personnel, et bien sûr au titre de l'Office parlementaire, ce sujet nous importe beaucoup. Parmi les députés, notre collègue Anne Genetet, qui a une formation de médecin, a été particulièrement désireuse de s'impliquer et de suivre ces sujets en tant que référente informelle. Je sais qu'elle y mettra une très grande énergie. Et Singapour, où elle réside, est un nom familier pour tous ceux qui s'intéressent à ce sujet puisque la Déclaration de Singapour sur l'intégrité en recherche, publiée en 2010, est l'un des textes qui font référence en la matière.
J'ajouterais que l'Office n'est pas la seule institution à l'interface entre le politique et le scientifique à s'intéresser à cette question. Notre homologue britannique du POST (Parliamentary Office of Science and Technology) a produit, en janvier 2017, une note de quatre pages sur le thème Integrity in Research (n° 544).
Nos invités pourront revenir sur ces sujets, apporter leurs points de vue et nous permettre de comprendre comment, à titre institutionnel, la France répond à ces enjeux qui sont encore plus importants maintenant que la science a évolué dans des directions qui offrent de nouvelles perspectives, pleines de puissance et de dangers potentiels. On pense aux nouvelles avancées dans les biotechnologies, dans l'algorithmique. D'une façon générale, à un moment où le développement technologique est considérable, l'intégrité scientifique est de plus en plus importante.
Je remercie à mon tour Olivier Le Gall, ainsi que Michel Cosnard, que j'ai côtoyé dans d'autres rôles dans les années passées. Je le salue pour son implication scientifique dans la vie publique, au service de la progression des organisations.
M. Olivier Le Gall, président de l'OFIS. - Quelques mots pour me présenter : je suis directeur de recherche à l'Inra (Institut national pour la recherche agronomique), dont j'ai été directeur général délégué aux affaires scientifiques de 2013 à 2016. Auparavant, je m'occupais de la santé des plantes et de l'environnement à l'Inra. Mes recherches portent spécialement sur la biologie végétale et les interactions entre les plantes et les virus.
Monsieur le Président, vous avez dit que nous étions dans une société du doute. C'est aussi le propre de la démarche scientifique de douter, d'avoir du sens critique et d'avoir codifié la manière dont on doute et dont on exerce son sens critique. Le propre de l'intégrité n'est pas de se définir comme une absence de manquement à l'intégrité mais comme une chose positive. De quelle manière exerce-t-on le doute et comment alimenter la connaissance pour répondre aux questions que l'on se pose ? Tel est notre sujet.
La société se transforme plus vite que jamais. Par rapport aux grands défis climatiques et démographiques, le besoin de connaissances est une évidence. La Déclaration de Singapour de 2010 rappelle que la valeur et les bénéfices de la recherche pour la société sont dépendants, de manière vitale, de l'intégrité en recherche. Cela nous rappelle l'importance de la confiance, l'importance de fiabiliser les pratiques, les processus d'élaboration et de partage de la connaissance pour assurer la confiance au sein des communautés scientifiques, entre les communautés scientifiques de différentes obédiences disciplinaires et, plus généralement, entre la science et la société, ce qui est essentiel.
À l'heure des technologies de l'information et de la communication, on observe à la fois une exposition - et parfois un partage dans le cadre des sciences citoyennes - des pratiques scientifiques entre science et société, ainsi que des opportunités pour faire évoluer les outils, les pratiques scientifiques avec, notamment, une évolution des pratiques et des contraintes qui conduisent, le cas échéant, à des manquements à l'intégrité.
Une typologie sommaire des méconduites commence par les falsifications de données, les plagiats. Pour expliciter la distinction, dans le premier cas, je raconte n'importe quoi, le contraire de la réalité, dans le second cas, je raconte des choses que d'autres ont déjà raconté sans les citer de manière propre.
Au-delà de ces manquements à l'intégrité, toute une zone grise existe autour des notions d'honnêteté, de fiabilité, de respect et de traçabilité, autant de valeurs positives associées à l'intégrité et dans lesquelles on trouve des zones d'ombre : référencements biaisés des études, « saucissonnage » des publications pour en augmenter le nombre, conflits d'intérêts, signatures abusives, archivage déficient, méthodes non reproductibles... Certaines études montrent que de trop nombreux articles scientifiques sont réalisés avec des méthodes que d'autres chercheurs ne peuvent pas reproduire, alors que c'est l'un des fondements de la confiance entre chercheurs. Citons encore les mauvaises statistiques utilisées, l'échantillonnage biaisé ou l'embellissement des données. Il y a tout un continuum entre la volonté légitime de montrer les meilleurs résultats et celle de montrer systématiquement l'embellissement.
Au risque de me répéter, l'intégrité ne se réduit pas à une absence de manquement à l'intégrité, sinon le raisonnement devient circulaire. Comme je l'ai dit, nous allons essayer de parler de l'intégrité scientifique de manière positive.
Historiquement, un premier Office a été créé aux États-Unis en 1992 (Office of Research Integrity), le réseau européen des référents à l'intégrité scientifique (ENRiO) a été mis en place en 2007, enfin, la Déclaration de Singapour de 2010 a constitué un acte fondateur au niveau mondial.
Au niveau européen, le code de conduite de 2011 entre la Fondation européenne de la science (Open Science Foundation) et toutes les académies européennes a été mis à jour en 2017 (European Code of Conduct for Research Integrity). Par ailleurs, des consortiums européens, le plus souvent pilotés par l'Europe du Nord, travaillent de manière concrète sur l'intégrité et la manière de la mettre en oeuvre dans les laboratoires. La France doit arriver à s'intégrer dans ces consortiums. C'est un objectif.
En France, le rapport de Jean-Pierre Alix, rendu public en 2010, intitulé « Renforcer l'intégrité de la recherche en France. Proposition de prévention et de traitement de la fraude scientifique », avait deux défauts majeurs : d'une part, il n'a pas été suivi d'énormément d'effets, d'autre part, il parlait peu du monde universitaire. Or les universités ont un rôle d'opérateur de recherche et un rôle dans l'enseignement supérieur. En 2012, un avis du Comité d'éthique du CNRS (Comets) a indiqué au CNRS qu'il devrait se doter d'un référent intégrité. À la suite du rapport Alix, une charte nationale de déontologie des métiers de la recherche a été signée en 2015 par huit établissements. Les principes s'articulent autour du respect des dispositifs législatifs et réglementaires, la fiabilité du travail de recherche, la communication, la responsabilité dans le travail collectif, l'impartialité et l'indépendance dans l'évaluation et l'expertise, les travaux collaboratifs et le cumul d'activités, la formation à l'intégrité intégrée aux cursus.
Un an plus tard, Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, demande à Pierre Corvol de rendre un rapport sur la manière dont cette charte s'est mise en place (« Bilan et propositions de mise en oeuvre de la charte nationale d'intégrité scientifique », juin 2016). Ce rapport fait le distingo entre éthique et intégrité - deux piliers de l'excellence dans les pratiques de recherche -, dresse une typologie des méconduites, liste bien les responsabilités respectives du chercheur, du collectif de recherche, de l'établissement, le cas échéant des tribunaux et, enfin, présente une analyse par grands domaines pour retomber finalement sur 16 recommandations, dont la dernière est la création d'un Office français de l'intégrité scientifique, une structure légère en charge du suivi de ces affaires. La mise en place de l'OFIS a été engagée entre mars et octobre 2017.
En 2017, les événements se sont accélérés. La charte nationale de 2015 compte aujourd'hui 16 signataires et le réseau des référents intégrité s'est beaucoup étendu en raison de l'implication des universités. Les cinq référents au moment de la signature de la charte nationale sont devenus, aujourd'hui, une cinquantaine. Le vade-mecum de Pierre Corvol, rendu en juin 2016, fait d'ailleurs le point sur le métier de référent à l'intégrité scientifique. Suite à ce rapport, Thierry Mandon a envoyé, en mars 2017, une lettre-circulaire relative à la politique d'intégrité à tous les responsables d'établissement d'enseignement supérieur pour qu'ils mettent en place ces recommandations. Les questions d'intégrité ont été inscrites dans tous les référentiels d'évaluation du Hcéres sur les unités de recherche, les établissements. Ces demandes proviennent assez directement du rapport Corvol. L'arrêté de 2016 relatif à la formation doctorale a inscrit la formation à l'intégrité dans les cursus. Aujourd'hui, quelques écoles doctorales commencent à exiger une petite formation incluant des questions d'intégrité pour habiliter un chercheur à diriger des recherches, un diplôme universitaire délivré en milieu de carrière autour de 40-45 ans.
L'OFIS n'est pas complètement finalisé à ce jour. Dans ses principes, il se veut une ressource pour les chercheurs, les équipes, les établissements, les institutions, tout en respectant les prérogatives et les responsabilités de chacun. L'OFIS n'est ni un tribunal, ni même un tribunal d'appel. Il ne va pas faire des enquêtes à la place des responsables d'établissement, notamment pour tout ce qui concerne, si besoin, une partie disciplinaire. En revanche, nous sommes à la disposition des responsables d'établissement pour répondre à des questions particulières susceptibles d'enrichir la jurisprudence et la mutualisation des connaissances.
L'OFIS a trois grandes missions : c'est une plateforme de réflexion et de prospective, c'est également un observatoire de la mise en place de la charte ; enfin, il a un rôle d'animation nationale. Sur la notion d'indépendance, l'OFIS travaille à égale distance des établissements et des collectifs. À ce titre, il a été arbitré par Thierry Mandon en 2017 que l'OFIS serait un département du Hcéres, qui est l'une des 26 autorités administratives indépendantes issues de la loi du 20 janvier 2017. L'intérêt du Hcéres est double : il est indépendant des ministères et des établissements et son positionnement par rapport à l'évaluation de la recherche est assez unique au monde. La pratique du Hcéres consiste à faire de l'évaluation-conseil et non de l'évaluation-sanction. C'est un bon positionnement, privilégiant l'anticipation. Tous les cinq ans, une unité de recherche a rendez-vous avec un comité d'évaluation, qui étudie le bilan et la manière dont l'unité se projette dans l'avenir. Concernant les pratiques de recherche et les pratiques vertueuses, c'est le moment, pour un directeur d'unité ou un collectif de recherche, de se poser toutes ces questions. J'ai piloté, personnellement, des évaluations dans mon département de recherche à l'Inra en 2015. C'est un moment privilégié.
Cette interaction avec les établissements et les collectifs nous permet d'être en lien avec la conférence des 16 signataires de la charte. Nous allons essayer de réunir leurs 16 présidents, ce qui n'est pas simple. Pour autant, le contact est très facile. Pas plus tard qu'hier, lors de la réunion de la commission Recherche de la Conférence des présidents d'université (CPU), nous avons évoqué l'intégrité et la manière de la mettre en oeuvre dans les établissements. Nous sommes également en interaction avec le réseau des référents intégrité scientifique des établissements d'enseignement supérieur et de recherche.
S'agissant de son organisation, l'OFIS est doté d'un Conseil de l'intégrité scientifique (CIS) composé de 12 membres. Actuellement, nous sommes 9. Lors de la première réunion du CIS en décembre 2017, j'avais souhaité que le Conseil réfléchisse aux compétences des trois derniers membres. L'équipe de direction, de petite taille, est en cours de constitution. Le directeur sera recruté dans les prochaines semaines, un premier appel à candidature en novembre n'ayant pu déboucher. La troisième composante est le réseau des référents intégrité scientifique.
Parmi nos pistes de travail, je rappelle que l'intégrité ne se réduit pas à une absence de manquement. Nos missions s'articulent autour de la plateforme de réflexion, de l'observatoire de la charte et de l'animation nationale.
Dans le cadre de sa mission de réflexion, la première réunion du CIS a proposé d'étudier les processus de « mise sous pression » des chercheurs du type « publier ou périr » (publish or perish) dans un contexte d'open science, avec de nouvelles façons de publier, de partager les données, de nouvelles pratiques grâce aux NTIC. Ce sera une réflexion du CIS lui-même qui compte, parmi ses membres, de jeunes chercheurs issus du monde du Big Data ou des sciences citoyennes, ainsi qu'un journaliste.
Pour ce qui concerne l'observatoire de la charte, le CIS a des missions de représentation internationale et d'harmonisation des processus entre les différents établissements. Les unités mixtes de recherche sont une spécificité française. En cas de manquement, cela appelle la responsabilité du gestionnaire de l'unité, lequel n'est pas toujours l'employeur. Ils doivent pouvoir se parler. C'est un premier chantier du réseau des référents intégrité.
Concernant l'animation nationale, l'OFIS entretient des liens privilégiés avec le réseau des référents intégrité. Les futurs colloques et séminaires seront a priori organisés ou parrainés par l'OFIS.
La communication est très importante. J'aimerais qu'on parle des questions d'intégrité dans les laboratoires et je souhaite une présence de l'OFIS sur les réseaux sociaux, notamment Twitter, et un site web. Le Hcéres héberge actuellement une page web avec un certain nombre de documents, dont la charte.
M. Michel Cosnard, président du Hcéres. - Je suis le président du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres). Ma première fonction est celle de professeur à l'École polytechnique de l'université Nice-Sofia Antipolis. Au préalable, j'ai présidé, pendant huit ans, l'Institut national de recherche en informatique et automatique (Inria), j'ai dirigé les centres Inria de Sophia-Antipolis et de Lorraine, j'ai créé le Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications (LORIA). J'ai également été professeur à l'École normale supérieure de Lyon, où j'ai créé le département Informatique.
Le Hcéres est la seule autorité administrative indépendante dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche. À ce titre, nous répondons devant le Parlement. C'est vous qui êtes les garants de cette indépendance et de son bon fonctionnement.
La mission du Haut Conseil est l'évaluation des universités françaises, des organismes de recherche, de l'ensemble des écoles publiques ou privées bénéficiant de fonds publics et de leurs regroupements, les COMUE (Communautés d'universités et d'établissements), universités fusionnées ou associations selon la loi de 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, l'ensemble des formations répondant au dispositif LMD, licences françaises, technologiques ou professionnelles, masters et doctorats, et l'ensemble des unités de recherche.
Au total, il y a lieu de conduire environ 10 000 évaluations tous les cinq ans, puisque l'ensemble de ces entités a contractualisé avec l'État à travers un contrat quinquennal. L'État est représenté par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, mais aussi par le ministère en charge de l'agriculture pour l'enseignement supérieur agricole, le ministère de la défense pour l'École polytechnique, par exemple, le ministère de la culture pour les écoles d'architecture ou d'art. Cette généralisation de l'évaluation s'inscrit dans le cadre de « l'universitarisation » des formations professionnelles, en particulier dans le secteur de la santé.
Le Hcéres est organisé en quatre départements d'évaluation : coordinations territoriales (DECT), établissements (DEE), recherche (DER) et formations (DEF). Il s'agit de réaliser des évaluations par les pairs. Le Hcéres n'évalue pas directement, il met en place des dispositifs d'évaluation. Une évaluation est toujours conduite par un comité d'experts indépendants choisis pour la qualité de leurs compétences. Ce comité va porter un jugement sur la qualité des travaux et des organisations dans les domaines précités. Ce type d'évaluation par les pairs est classique et on le retrouve dans l'ensemble des pays.
Concernant la formation, la France va accueillir, en 2018, la Conférence ministérielle de Bologne. Notre pays a adhéré au Processus de Bologne, qui met en place le LMD. Il permet de faciliter la mobilité des étudiants en Europe, au sens très large puisque le Processus de Bologne inclut 48 pays, de Porto à Vladivostok. La Russie en est membre mais aussi l'Ukraine, le Kazakhstan, la Turquie, etc.
Le rôle des agences d'évaluation est capital dans la garantie de ce processus. Ce sont les crédits ECTS (European Credit Transfer and Accumulation System) qui permettent de valider le cursus suivi dans une autre université européenne. Pour que la confiance s'organise, que l'université de départ reconnaisse le cours suivi à l'étranger, la garantie de qualité est indispensable. Elle est apportée par les agences d'évaluation ou d'accréditation (Accreditation Agencies). Au cours des dix dernières années s'est structuré un réseau européen des agences d'évaluation (European Association for Quality Assurance in Higher Education - ENQA) qui regroupe l'ensemble des agences d'évaluation des pays du Processus de Bologne. L'université A enverra un étudiant à l'université B, à condition qu'elle soit accréditée par une agence faisant partie de ce réseau.
Le processus d'adhésion à ce réseau fait lui-même l'objet d'une évaluation. Le Hcéres est évalué par ses agences soeurs au niveau européen. En 2016, nous avons ainsi subi cette évaluation et notre adhésion a été renouvelée. Le Hcéres est inscrit au registre EQAR (European Quality Assurance Register for Higher Education). Ce registre européen des agences Qualité reconnues en Europe a été créé par les ministres européens en charge du Processus de Bologne.
Concernant les formations LMD, le Hcéres met en place des comités d'évaluation. Sur la base d'un rapport d'auto-évaluation, ce comité d'experts va porter un avis sur la qualité d'une formation et de son évolution, que ce soit sur telle licence ou tel ensemble de formations dans un domaine (médecine, droit, philosophie, archéologie, santé, etc.). Le Hcéres n'a lui-même aucun pouvoir d'inspection et de contrôle. Nous ne visitons un site qu'à son invitation. Pour les contrôles classiques, il existe un corps d'inspection ad hoc, l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR).
Le Hcéres a peu de compétences dans le domaine budgétaire ou financier. Ces questions sont du ressort de la Cour des comptes, qui audite périodiquement les établissements sous cet angle. Nous nous envoyons respectivement nos rapports.
Le Hcéres propose une évaluation de conseil qui permet la progression de la formation, de la recherche ou de l'établissement. En général, elle se termine sur les points forts, les points d'attention et les recommandations qui sont très importantes. Par courtoisie, nous préférons parler de « points d'attention » plutôt que de « points faibles ». Il est vrai que l'évaluation par les pairs est un processus symétrique. Une année, vous êtes expert évaluateur, l'année suivante, c'est vous qui allez être évalué. Même si les critiques sont effectivement formulées, une courtoisie réciproque s'impose.
La loi nous oblige à une absence de conflits d'intérêts, à des jugements éthiques et déontologiques. L'évaluation se doit d'être intègre et totalement transparente. Cette transparence se joue à deux niveaux. Afin de garantir l'équité, nous publions, chaque année, des référentiels d'évaluation. Les établissements, les formations ou les unités de recherche sont tous évalués selon les mêmes critères d'évaluation. Deuxièmement, les rapports d'évaluation sont rendus publics, dans leur intégralité pour les formations et les établissements, dans une version résumée pour les unités de recherche afin de protéger leur propriété intellectuelle, le cas échéant. Très souvent, des étudiants ou parents d'étudiants consultent notre site internet pour connaître le positionnement d'un master ou d'une licence.
Nous avons également été impliqués dans le suivi de la réforme du doctorat. Nous le serons certainement dans le suivi de la réforme de la licence en cours.
La loi de 2013 a intégré au sein du Hcéres l'Observatoire des sciences et techniques (OST). À l'origine, il constituait un Groupement d'intérêt Public (GIP) fondé par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, les universités françaises et les grands organismes de recherche. Consacré aux mesures bibliométriques, sa vocation était de recenser toutes les publications et les citations des chercheurs français dans les grandes revues internationales (Web of Science). L'OST effectue ces études statistiques chaque année. Dans les prochaines semaines, il va publier un rapport sur la position des publications de la France dans le monde sur la période 2000-2015. Je suis tout disposé à venir vous le présenter, avec Frédérique Sachwald, directrice de l'OST. Ce rapport indiquera les grandes évolutions dans le domaine des publications, la percée de la Chine, le positionnement de l'Inde, un certain affaissement du Japon, la croissance de l'Italie... et un zoom sur les mathématiques, une discipline où la France est particulièrement bien placée.
L'OST est lui-même doté d'un Conseil d'orientation scientifique (COS) chargé de piloter ses grandes orientations, notamment la définition et le suivi du programme de travail.
Lorsque j'ai été contacté par Thierry Mandon pour la création de l'OFIS, la question qui s'est posée était soit de créer une nouvelle autorité indépendante soit de trouver une autorité administrative indépendante existante capable de l'héberger. L'idée de créer une autorité indépendante supplémentaire n'était pas très opportune dans le calendrier de l'époque puisque, à l'initiative du Sénat, une loi sur les autorités administratives indépendantes était en préparation, dont l'objectif était d'en préciser les missions, le fonctionnement et, in fine, d'en réduire le nombre. On peut aussi penser que, pour l'instant, le volume d'activité ne justifiait pas la création d'une nouvelle structure.
Le Hcéres est gouverné par un collège (nous n'avons pas la personnalité morale, donc pas de conseil d'administration). C'est une autorité administrative indépendante qui emploie une centaine de personnes. L'agent comptable qui gère nos finances est celui du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, lequel est l'employeur de tous les personnels du Haut conseil. Ceci allège beaucoup notre administration. La garantie de la qualité financière et budgétaire du Hcéres est attestée par le Contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) du ministère.
Le collège du Haut conseil est composé de 30 membres, nommés par décret du Président de la République pour une durée de quatre ans. Ce collège comprend notamment un sénateur et une députée. Il représente l'ensemble des parties prenantes. Ces personnes sont nommées principalement sur proposition des universités, des organismes de recherche, des instances d'évaluation des universités et des organismes. On y trouve également deux étudiants, trois membres issus d'une instance d'évaluation européenne (britannique, belge, espagnole) et trois membres issus de l'industrie.
Au moment de la création de l'OFIS, le Hcéres avait-il une légitimité pour créer un nouveau département concernant l'intégrité scientifique ? Il est clair que la mission première du Hcéres n'est pas l'intégrité scientifique mais l'évaluation de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cependant, cette évaluation prend en compte les questions d'éthique et d'intégrité scientifique. D'ailleurs, sur les recommandations du premier rapport de Pierre Corvol, nous avons porté un accent particulier, il y a deux ans, sur les cas les plus médiatiques. L'intégrité scientifique dans l'enseignement supérieur et la recherche est une question capitale. C'est là que se forment les futurs cadres de la nation, en particulier les futurs chercheurs. Dès la licence, il est indispensable d'exposer ce sujet aux étudiants d'une manière positive, c'est-à-dire déjà en leur faisant adopter un comportement intellectuellement honnête vis-à-vis de leurs propres études.
La question du plagiat dans les études de licence ou master est très importante. En tant que professeur d'informatique, j'ai participé au développement du web. Avec le numérique, le « copier-coller » a un coût nul. Internet donne accès à des masses considérables de données. On connaît le sort réservé à la propriété intellectuelle ou industrielle dans la musique ou le cinéma. Pour des jeunes qui ont toujours connu Internet, la notion de propriété est un peu différente de la nôtre. Quand j'étais étudiant, il fallait photocopier le livre ! Cette éducation pourrait être abordée dans une culture du numérique dès les premières années à l'école.
Dans les sciences humaines et sociales en particulier, l'utilisation des travaux d'autrui devient centrale dans les études, jusqu'au doctorat. Nous avons inclus l'intégrité scientifique comme un critère d'évaluation pour savoir si, dans le cadre d'une formation, licence et maîtrise, ont été mis en place des dispositifs de formation - un enseignement à l'intégrité scientifique - et des dispositifs de contrôle - comment est contrôlé le comportement intègre des étudiants ? Ces critères s'appliquent aussi dans le cadre de l'évaluation des laboratoires de recherche, en particulier s'agissant du lien entre les doctorants et leurs encadrants, relation qui peut parfois conduire à des dérives. Nous plaçons ce critère au même niveau que le respect de la parité dans les laboratoires.
Pour toutes ces raisons, l'intégrité scientifique nous paraît relever de l'évaluation de l'enseignement supérieur et de la recherche. En juin 2016, le collège du Hcéres a ainsi voté à l'unanimité en faveur de la création d'un nouveau département.
La question de l'indépendance est complexe. En tant qu'autorité administrative indépendante, le Hcéres essaie de la garantir vis-à-vis des organismes évalués, des tutelles et de la société en général. Tout expert du Hcéres doit faire lui-même une déclaration d'intérêts lorsqu'il fait une évaluation. Parfois, nous récusons des experts pour des conflits d'intérêts. Tous les directeurs du Hcéres et les membres du Haut conseil font une déclaration de patrimoine à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Il y aura également un contrôle au terme des quatre années de mandat.
Quelle indépendance l'OFIS a-t-il vis-à-vis du Hcéres ? Pour superviser l'intégrité scientifique dans les critères d'évaluation, le collège du Hcéres a voté à l'unanimité en faveur de la création d'un Conseil à l'intégrité scientifique, présidé par Olivier Le Gall. Son rôle est de m'alerter si une quelconque dérive pouvait avoir lieu en ce qui concerne l'indépendance de l'OFIS vis-à-vis du Haut conseil.
Le Hcéres dispose d'un budget annuel de l'ordre de 18 millions d'euros, qui permet de conduire environ 2 000 missions d'évaluation par an. Cette évaluation est gratuite pour les établissements et les laboratoires de recherche. Les scientifiques du Haut conseil sont tous des professeurs, chercheurs ou maîtres de conférence, en activité ou émérites, à temps partiel. Le Hcéres dispose aussi d'une centaine d'employés, administratifs et techniciens, chargés de la logistique ou de l'informatique.
Le fonctionnement de l'OFIS s'inscrit dans le cadre de ce budget. L'OFIS s'appuiera sur toute la structure du Hcéres, ses services juridiques, de communication, informatique, etc. L'OFIS est une structure légère qui comptera, à terme, environ cinq personnes. Dans un premier temps, nous envisageons de recruter un directeur du département de l'OFIS. Ce professeur ou ce directeur de recherche à temps partiel s'appuiera sur un ou deux conseillers scientifiques et deux chargés de projet pour la logistique et l'organisation.
En conclusion, la création du département de l'OFIS a été bien accueillie par le Hcéres. Les départements d'évaluation sont très intéressés par le support de l'OFIS sur cette question de la prise en compte de l'intégrité scientifique dans l'évaluation.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Merci pour ces commentaires. J'ai bien noté la proposition de Michel Cosnard de présenter le rapport de l'OST sur la position de la France dans les publications scientifiques, un thème important, d'autant plus que l'OPECST a prévu de travailler sur le thème général de la publication scientifique dans ses liens entre science et économie. La transition numérique a permis de grands progrès, mais elle a aussi posé un grand nombre de problèmes économiques, qui ne sont toujours pas résolus et sur lesquels des opinions très diverses s'expriment au niveau international.
J'ai noté le commentaire sur la spécialisation française en mathématiques. Ce sujet m'interpelle naturellement, d'autant que je suis actuellement chargé d'une mission sur l'enseignement en mathématiques qui, lui, n'a pas de quoi pavoiser en France et appelle des réformes urgentes et vitales.
J'ai apprécié l'insistance sur les nouvelles pratiques et les nouveaux enjeux, les nouvelles difficultés qui se posent aussi dans le thème de l'intégrité. La soumission électronique engendre de nouveaux défis. Les communautés scientifiques sont devenues beaucoup plus larges. Le rythme devient effréné. Ces dernières années, on a vu surgir des affaires d'intégrité scientifique impensables auparavant. J'évoquerai notamment cette étonnante affaire de chaîne d'experts et de faux referees qui a amené au retrait d'un grand nombre d'articles scientifiques publiés par l'éditeur Springer. Un auteur soumettait un article tout en donnant une liste de referees potentiels qui étaient, en réalité, la même personne sous de fausses identités. Certains éditeurs scientifiques respectés n'y ont vu que du feu, ayant envoyé, faute de temps, le papier pour expertise à un expert qui n'était autre que l'auteur lui-même. Ce genre de chose, qui constitue une goutte d'eau dans l'océan des publications mondiales, peut ternir, de façon grave, la réputation du secteur et du processus de publication dans son ensemble.
Le sujet a été pris au sérieux. Des sondages sur les pratiques ont permis de mesurer l'ampleur du phénomène, si l'on élargit le périmètre à la zone grise qu'évoquait Olivier Le Gall, à savoir : des données un peu trop sélectionnées, l'auto-plagiat, le manque de rigueur sur l'un des aspects du processus... Au final, certaines enquêtes ont révélé qu'un tiers des personnes interrogées déclaraient s'être livrées à des pratiques qui, même si elles n'étaient pas complètement immorales, n'étaient pas complètement convenables du point de vue de l'intégrité scientifique.
La distinction a été faite entre éthique et intégrité scientifique. Notre ancien collègue sénateur Claude Huriet insistait régulièrement sur cette distinction. L'éthique, c'est quand on est face à deux choix moraux mais contradictoires, qui font appel à des convictions personnelles et constituent souvent un dilemme ; l'intégrité scientifique se situe, en revanche, dans le domaine de la morale, pour lequel on ne peut transiger. Si un chercheur effectue un plagiat, c'est un acte immoral qui doit être puni.
En même temps, il existe des liens forts entre les deux notions et une zone intermédiaire. Certaines questions ne sont pas clairement tranchées. Dans l'affaire Springer, quand un éditeur envoyait un article pour revue à un expert qu'il ne connaissait pas, s'agissait-il d'un problème d'éthique, au sens du manque de rigueur, ou d'un manque de morale ?
Dans une autre affaire, un chercheur chinois avait publié un article sous une identité allemande en espérant surmonter un biais supposé lié à son origine. Ce genre de pratique est-il acceptable dans un contexte d'anonymisation de certaines soumissions ?
Publier trop, à répétition, est-ce moralement ou éthiquement répréhensible, sachant que cela met en tension tout le système ?
Parfois, des affaires extrêmement médiatisées peuvent conduire à la perte de réputation d'une équipe de recherche. Ce fut le cas pour ce chercheur respecté du Riken Institute au Japon, qui s'est suicidé en 2014 suite à la publication d'un article dont les résultats s'appuyaient sur des pratiques non rigoureuses de l'un des membres de son équipe.
Il y a quelques années, un homme politique très respectable avait qualifié de « criminels » certains chercheurs, en particulier dans le domaine des mathématiques financières. Intégrité ou éthique ? Comment la société doit-elle s'emparer des résultats scientifiques ? Où est la chaîne de responsabilités ?
En dehors de ces grandes affaires, il y a le tout-venant, les habitudes du système. J'ai apprécié votre insistance, à l'un et l'autre, sur le fait que c'est un sujet qui doit s'enseigner, auquel il faut sensibiliser, dès le début, nos jeunes et nos chercheurs. Une petite « affaire » peut être la porte d'entrée d'un cas grave. Il convient d'être rigoureux dans l'ensemble.
Vous avez insisté sur le fait que l'OFIS n'est pas un tribunal. Il a un rôle d'animation, d'observatoire, de plateforme, de recommandations. Que faut-il faire quand un cas pose question ? Il y a quelque temps, une collègue en sciences humaines et sociales m'a saisi parce qu'elle estimait que sa thèse avait été plagiée, preuves à l'appui, par une autre thèse qui avait repris certains éléments de ses travaux. Une liste de concordances soulevait de forts soupçons. Nous avons contacté le président de l'université, et celui-ci a mis en place des experts. Mais le nom des experts n'est pas connu, les rapports non plus. De plus, il se dit que l'un des experts consultés était un proche de la directrice de thèse qui faisait l'objet de cette accusation de plagiat. Je n'ai donc aucune garantie sur l'objectivité de cette commission. J'ai le sentiment que mon appel n'a simplement pas été entendu. Que faire dans un tel cas ? Doit-on se tourner vers l'OFIS ? Faut-il aller au pénal, une procédure lourde, complexe et potentiellement dangereuse pour la suite de la carrière ?
M. Olivier Le Gall. - Je rappelle que le travail de l'OFIS est aussi un travail positif sur l'intégrité et non pas uniquement sur les manquements. Certains manquements sont très graves individuellement, d'autres sont dans la zone grise mais demeurent graves s'ils s'accumulent.
Alors, que faire quand un chercheur constate un manquement ? L'OFIS va veiller à ce que les adresses des référents intégrité scientifique soient rendues publiques, notamment sur les sites internet des universités.
Ensuite, nous allons veiller à ce que les universités et les établissements mettent en place des structures en toute transparence et, en même temps, avec un certain niveau de confidentialité dans le traitement. Les réputations ne doivent pas, en effet, être compromises tant qu'une affaire est en cours d'instruction.
Des structures dédiées au traitement des cas de manquement ou des allégations de manquement existent aujourd'hui. Elles existeront encore plus demain à travers le référent et souvent le conseil mis en place autour de lui. Des structures d'appel existent aussi. La victime doit pouvoir faire appel si la conclusion de son représentant légal, le président de l'université ou de l'établissement, n'est pas celle qu'elle attend. Nous partons du principe que la bonne volonté des présidents d'université est acquise. Dans le cas contraire, c'est un peu plus compliqué, nous n'avons pas encore eu à faire face à cette situation.
M. Michel Cosnard. - Il faut laisser le temps à l'OFIS de s'installer. L'exposer tout de suite à des situations telles que décrites par Cédric Villani serait préjudiciable à son démarrage dans de bonnes conditions. Ce sont des cas très difficiles en général. Lorsque la suspicion porte sur l'établissement, le président d'université, la structure, c'est l'intégrité scientifique de l'université elle-même qui est mise en doute. Je prendrais bien garde de ne pas traiter ces cas-là en premier. Il s'agit tout d'abord d'établir un code de bonne conduite des établissements dans les cas de manquement à l'intégrité scientifique.
Effectivement, par exemple, la constitution d'un comité d'experts, en partie extérieurs, sans conflits d'intérêts avec l'une ou l'autre des parties, est capitale. Cela constitue une bonne pratique que l'OFIS pourrait publier, après consultation des référents intégrité.
Un guide méthodologique publié par l'OFIS devra être opposable et permettre au plaignant de contester la procédure appliquée et de faire appel auprès du Conseil scientifique de l'université ou d'autres instances comme le Conseil national des universités (CNU), voire un tribunal.
Ce texte, s'il existe, peut devenir un critère d'évaluation pour le Hcéres. Lorsque l'université sera évaluée, on pourra lui demander comment elle traite l'intégrité scientifique et, le cas échéant, lui adresser une recommandation pour une meilleure pratique du traitement.
L'OFIS doit-il être capable de diligenter lui-même des poursuites ? Cela n'est pas inenvisageable. Ainsi, par exemple, aux États-Unis, l'Office of Research Integrity (ORI) est rattaché au ministère de la santé et s'intéresse essentiellement à des questions de financement de la recherche en biologie ou en recherche médicale à travers le National Institutes of Health (NIH). L'ORI a des compétences propres d'instruction et de poursuite devant les tribunaux pour de mauvais usages de financements fédéraux dans le cadre de la recherche scientifique. Il ne traite pas l'intégrité scientifique au sens des valeurs morales mais au sens de sa relation avec le financement.
Cette voie n'a pas été suivie dans les
réflexions préalables à la création de l'OFIS. En
France, nous restons dans un traitement moral. Les questions de malversations
financières
- des crédits de l'ANR ou du PIA, par
exemple - relèvent, pour l'instant, des tribunaux pénaux et
des contrôles a posteriori de la Cour des comptes.
Peut-être faudra-t-il envisager un jour une structure
particulière, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui.
Mme Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice. - Je suis médecin libéral, médecin médico-social, et mes études scientifiques m'ont amenée à m'intéresser de très près à la biochimie, à la génétique et à la recherche dans ces domaines. Vous comprendrez donc tout mon intérêt pour l'OFIS.
Si vous le permettez, je ferai un parallèle avec les évaluations externes des établissements hospitaliers auxquelles j'ai déjà contribué. Elles sont supervisées par les agences régionales de santé. Dans certains cas, nous avons constaté un problème d'intégrité et de prise en charge de ce problème.
Quels sont les moyens de pression de l'OFIS ? Quelles peuvent être les conséquences ? Une réévaluation est-elle prévue ? En outre, si l'évaluation de l'intégrité est satisfaisante, décernez-vous un label ? Les résultats sont-ils rendus publics ?
Mme Anne Genetet, députée. - En matière de formation, la culture de l'intégrité commence, à mon avis, beaucoup plus tôt que la licence. Dans les écoles primaires, les enfants font des exposés pour lesquels on leur demande simplement de « copier-coller » des documents pour en faire de jolis posters. C'est donc très tôt que cette question se pose.
Je déplore d'ailleurs la disparition de l'épreuve de résumé scientifique en langue française dans les filières scientifiques. Cet excellent exercice apprenait à résumer et non pas à se contenter de copier un texte pouvant s'appliquer à la science. Cette idée pourrait être partagée avec le ministère de l'Éducation nationale. Cette épreuve était très pédagogique à la lumière de tout ce que l'on voit apparaître aujourd'hui.
Concernant vos interventions, j'ai compris que le Hcéres était un organisme évaluateur et que l'OFIS répondait à l'acronyme ROA : réflexion, observation, animation. Mais je n'ai pas bien compris, dans la chaîne procédurale, comment vous pouviez être saisi d'un problème. Cela me gêne. Existe-t-il, ou non, une structure qui peut être saisie d'un problème d'intégrité scientifique ?
Vous avez également beaucoup parlé de la recherche, mais vous faisiez surtout allusion à la recherche fondamentale. Qu'en est-il de la recherche appliquée, en entreprise, dans les départements de R&D ? Là aussi se pose un problème de respect des règles et d'un cadre commun.
Enfin, j'ai noté, dans toute la chaîne que vous décrivez, que dans beaucoup de situations, le dispositif en place dépend beaucoup des personnes. Or il semble risqué de compter uniquement sur la bonne volonté de chacun pour faire comprendre, voire inculquer cette culture. Comment remédier à cette situation ?
M. Olivier Le Gall. - En réponse aux les questions sur les processus : à qui peut s'adresser un chercheur ? À qui s'adresse-t-on quand on est mécontent de la décision et « personne-dépendant » de son président ? Je répondrai en premier lieu que, en tout état de cause, l'OFIS n'est pas la bonne adresse.
Depuis que mon nom a été rendu public pour cette fonction, un certain nombre de personnes se sont adressées à moi et je les ai renvoyées vers leur responsable d'université en m'assurant que celui-ci avait bien été informé. L'OFIS s'assure que les procédures sont bien en place dans les universités ou les établissements. Il n'est pas prévu de procéder à une labellisation, mais l'intégrité scientifique fera partie de l'évaluation qui sera établie par le Département d'évaluation des établissements (DEE) du Hcéres.
Aujourd'hui, avant d'établir un partenariat avec une nouvelle équipe, les établissements présents au niveau international lui demandent ses garanties en termes d'intégrité scientifique. Si l'équipe lui répond qu'elle ne fait pas de plagiat, cela ne suffira pas. Il faut un code de bonne conduite, des processus clairs quant au fonctionnement et aux modalités de contrôle de l'établissement en termes d'éthique et d'intégrité. Ce ne sera justement pas leur seule bonne volonté.
Nous essayons de faire en sorte que ces processus se mettent en place pour que le dispositif ne soit ni « personne-dépendant », ni même « établissement-dépendant ». Via les unités mixtes de recherche (UMR), les universités sont d'ailleurs souvent en contact avec des établissements autres comme le CNRS, l'INRIA, l'INSERM, etc. La question du traitement des manquements à l'intégrité ou des allégations de manquement à l'intégrité relève alors d'organismes différents et devient encore plus sensible.
Nous essayons de sortir des situations ambiguës qui, par moment, peuvent être perçues comme « personne-dépendantes ». En tout cas, c'est ce qu'évoque le cas de cette personne qui a saisi Cédric Villani, qui se perçoit comme « personne dépendante » et craint que son cas ne soit pas correctement traité en raison des personnes qui en seraient responsables.
Mme Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice. - Quel sont vos moyens de pression quand vous constatez des difficultés ?
M. Michel Cosnard. - Nous sommes dans le registre des bonnes pratiques, et nous pouvons aussi édicter des recommandations. Nos rapports sont publics. Si nous pointons le fait que l'intégrité scientifique est traitée de manière insuffisante et non réglementaire, et qu'une recommandation est formulée en ce sens, le président d'université doit répondre. C'est important. Parfois, les insuffisances peuvent cependant relever des tribunaux.
M. Olivier Le Gall. - Pour répondre à la question sur la recherche privée, notre champ d'action est plutôt concentré sur la recherche et l'enseignement supérieur publics. Pour autant, des liens se tissent par exemple entre les universités labellisées I-Site/IDEX, le monde économique et les acteurs environnants, y compris l'Éducation nationale pour parler d'éthique et d'intégrité dès le plus jeune âge. Parallèlement à la vulgarisation des questions scientifiques dans la société, et à la diffusion de la formation scientifique dans la presse et les médias, nous pensons que les bonnes pratiques vont diffuser parmi les chercheurs dans le privé, car ils sont souvent en relation avec des chercheurs publics.
M. Didier Baichère, député, vice-président de l'Office. - Il faut saluer la volonté de mettre en place un dispositif de formation et de prévention des étudiants à l'intégrité scientifique. Les programmes d'enseignement des sciences de la vie et de la terre au collège et au lycée devraient faire apparaître cette notion.
L'OFIS dispose-t-il de statistiques sur l'évolution dans le temps des manquements à l'intégrité, et sinon, comment allez-vous la mesurer ? Quelle est votre perception personnelle de ce sujet ? Ce problème est-il grandissant ou non ?
M. Olivier Le Gall. - La fonction d'observatoire fait partie des missions de l'OFIS. Nous allons donc essayer d'établir ce genre de statistiques. Il existe déjà une littérature scientifique sur le sujet. Le rapport de Pierre Corvol indique pour sa part que ces phénomènes restent marginaux. Globalement, j'ai le sentiment que l'intensité des manquements n'augmente pas. En revanche, ils sont plus visibles grâce aux NTIC. Une fois encore, nous n'allons pas nous focaliser sur les manquements, mais il faudra bien les traiter, ou s'assurer que les établissements les traitent.
M. Michel Cosnard. - Je souhaite ajouter deux points, avec une vue un peu différente. En premier lieu, je pense qu'il y a une certaine omerta sur cette question : on résout l'affaire entre nous. En cela je rejoins Cédric Villani : il faut communiquer, non pas forcément sur le nom des personnes, mais sur les types de cas et les réponses apportées. Le recensement me paraît donc capital. Cela prendra un certain temps, mais nous le mettrons en place.
Deuxièmement, je suis d'accord pour dire que les cas graves n'augmentent pas. De tout temps, il y a eu des cas graves. En revanche, dans la zone grise, il me semble qu'il y a une augmentation. C'est un sentiment personnel, sur lequel on ne dispose d'aucune statistique. Mais à mon sens, il est grand temps d'alerter et de prendre des dispositions.
Une question se pose sur l'auto-plagiat : on ne sait pas très bien ce que c'est. Le fait de réutiliser ses propres écrits sans les citer relève de ce qu'il est convenu d'appeler le « saucissonnage », phénomène perçu différemment selon les disciplines. Pour les professeurs de littérature, cela est inacceptable. Dans le domaine des sciences dures, on estime, au contraire, que cette pratique est assez normale dans la mesure où l'on reprend des développements pour les poursuivre. Cette zone grise existe et augmente avec les NTIC.
M. Olivier Le Gall. - Je suis assez d'accord, mais il y a une difficulté à quantifier. De fait, on ne dispose pas de données numériques précises.
En revanche, nous devons travailler sur les pressions qui sont exercées sur les chercheurs. Si l'on ne peut pas faire grand-chose à l'encontre d'une pression de réputation qui s'exerce dans un environnement international, on pourra au moins réduire le poids de cette injonction si elle est exercée par le système ou l'environnement proche : le « saucissonnage », l'exigence de toujours plus de publications s'avèrent néfastes in fine pour tout le monde, y compris pour le chercheur rapporteur expert sur les articles. S'il passe trop de temps à lire un article, pour finalement que soient publiés des articles que personne n'a le temps de lire, cela devient inutile. Nous devons travailler sur les nouvelles façons de publier : preprints, peer review de l'expertise rendue publique... Cela devrait permettre d'alléger la pression sur les chercheurs.
M. Didier Baichère, député, vice-président de l'Office. - Le sujet de la transparence et, donc, de la confiance dans nos institutions est très présent dans nos débats avec nos concitoyens. L'OPECST pourrait s'intéresser aux critères que vous retenez en la matière, à travers une présentation et une analyse de vos choix et leur évolution.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Pour reprendre les propos de Michel Cosnard, ces discussions autour des questions d'éthique et de morale dépendent de la discipline et du sous-domaine. Sur certains sujets, on considère comme tout à fait naturel et même quasi-obligatoire qu'un directeur de thèse cosigne un article avec son thésard. S'il ne le fait pas, c'est même parfois estimé comme un désaveu de sa part. Dans d'autres domaines, on fera le reproche amer au directeur de thèse d'avoir cosigné un article avec son élève.
M. Jean-Luc Fugit, député. - Quelle est votre appréciation de la pression sur les doctorants ? Par ailleurs, prenez-vous en considération la question de l'éthique dans l'expérimentation animale ? Certains établissements de recherche ont mis en place des comités d'éthique. Sont-ils évalués et par qui ? Le sont-ils par vous ? Ma troisième question porte sur la mission Culture scientifique et technique qui existe dans un certain nombre d'établissements de l'enseignement supérieur. L'OFIS a-t-il un lien avec elles ? Si oui, quelles pistes envisagez-vous, notamment avec les collèges et lycées, pour sensibiliser les jeunes publics via ces missions?
M. Jean-François Eliaou, député. - Je souhaite revenir sur trois points. En premier lieu, le Haut conseil est chargé de l'évaluation des structures, des parcours disciplinaires et universitaires. Est-il chargé de l'évaluation des personnes, comme on le voit parfois dans la presse ? Personnellement, je n'y vois pas d'inconvénient, à condition que l'évaluation soit la plus honnête possible et s'appuie sur la revue des pairs.
L'antienne du « publier ou périr », ce diktat souvent imposé par les comités éditoriaux de revues, va devenir un sujet important de l'OPECST. Effet de mode, effet de pays, effet de langue... Il est important d'évoquer ce point et de penser qu'il peut avoir des incidences, non pas délétères, mais conduisant à des biais pour le progrès scientifique. En effet, certaines publications, quoique très intéressantes, ne sont pas à la mode et donc ne sont pas retenues.
Enfin, vous avez évoqué des cas de problème d'intégrité scientifique relatifs à des étudiants sans que les responsables des équipes dans lesquels ils travaillent soient au courant ; j'ai vu ce type de cas dans ma propre unité de recherche.
Je ferais un certain nombre de propositions en la matière. Sur le dernier point : il faut accentuer l'effort sur la formation des étudiants à un stade précoce, voire la formation des élèves, et aussi la formation des cadres, c'est-à-dire les responsables de laboratoires, de structures qui ne s'attendent pas à ce genre de problème. Par expérience, lorsqu'on passe un contrat moral avec un doctorant, les principes de base sont l'entente, l'honnêteté, la confiance : des principes réciproques entre le maître et l'élève. On ne s'attend pas à être confronté à des problèmes d'intégrité ; il faut donc alerter aussi l'encadrement, ne serait-ce que pour le sécuriser.
Je propose aussi l'établissement d'un guide de bonnes pratiques. Dans le cadre de mes activités professionnelles médicales, mon laboratoire hospitalo-universitaire était régulièrement évalué sur la base d'un référentiel qui comportait une centaine de pages. Il nous permettait de faire notre auto-évaluation, à partir d'une liste de points dont nous aurions à répondre devant les évaluateurs. Avez-vous un projet de référentiel prenant en compte les bonnes pratiques en termes d'intégrité et d'éthique scientifique, voire médicale pour ce qui me concerne ?
M. Michel Cosnard. - Sur le suivi des doctorants, en réponse à M. Fugit, nous évaluons les écoles doctorales et la pratique de l'encadrement doctoral dans les unités de recherche, du point de vue des dispositifs et non pas au cas par cas. Au moment de l'évaluation, le comité d'experts fait des visites sur site, et il voit systématiquement des étudiants en entretien. Les comités d'évaluation d'écoles doctorales incluent toujours un représentant des étudiants. Nous y accordons une grande importance. Ce n'est pas le cas dans les unités de recherche, pour des raisons financières. Nous évaluons chaque année 500 à 600 unités de recherche, et donc rajouter un expert supplémentaire dans le dispositif est toujours financièrement un peu délicat.
Nous venons de terminer la vague C. Un cas est sorti à l'université Aix-Marseille. Il y avait des difficultés dans une unité de recherche. Il faut que la parole se libère. C'est difficile à cause de ce lien hiérarchique encadrant-encadré.
Concernant l'évaluation des personnes, le Hcéres n'a pas cette charge, et c'est normal. L'évaluation des personnes dépend des établissements qui les emploient, des universités, voire le CNU éventuellement et des organismes via les commissions. Pour l'instant, ce critère n'est pas très fort. Nous regardons les dispositifs d'évaluation des personnes dans le cadre des établissements.
Concernant l'évaluation des structures médicales, le Hcéres est rentré dans l'hôpital. Nous évaluons la recherche médicale, que ce soit les centres de lutte contre le cancer, les centres d'investigation clinique, les départements, etc. Nous le faisons sur les dispositifs dans une vision d'assurance qualité, et non pas dans une vision compétences avec une check-list... Cela relève plutôt de la pratique médicale.
Pour l'instant, dans les études médicales, nous évaluons les premier et deuxième cycles. Le Hcéres n'évalue pas le troisième cycle des études médicales : l'internat. Nous allons le mettre en place. Cette question est difficile. L'internat, c'est la pratique médicale. Cela se passe vraiment au sein du CHU, de l'hôpital, dans un encadrement, une relation de maître à élève où l'on apprend sa pratique médicale. L'élaboration d'un référentiel d'évaluation du troisième cycle des études médicale est un chantier sur lequel nous travaillons avec des professionnels du secteur.
M. Olivier Le Gall. - L'éthique en expérimentation animale ne fait pas partie des questions que traite l'OFIS. Ces questions sont regardées par le Comité consultatif national d'éthique et les comités d'éthique des établissements. De façon générale, les questions d'éthique et d'intégrité peuvent parfois s'interpénétrer, mais elles sont distinctes, et donc on les traite de façon distincte.
Concernant les missions Culture scientifique et technique, la formation des étudiants, des futurs cadres chercheurs, la réponse est oui, elles sont prises en compte par l'OFIS et par le Hcéres en complémentarité, à travers la politique déclarée et mise en place par les établissements, qui est évaluée au moment de l'évaluation quinquennale.
L'OFIS va favoriser cette prise en compte dans son dialogue avec l'établissement, en le mettant éventuellement en lien avec d'autres universités exemplaires, c'est notre mission d'animation. Mais la mise en place d'une politique d'intégrité scientifique relève de la responsabilité du chef d'établissement. C'est à lui de la décliner en fonction de son écosystème local : avec les écoles, les partenaires, en direction des futurs cadres, les partenaires de la recherche privée, etc.
Dans mes fonctions précédentes à l'Inra, j'avais été assez actif sur les dossiers IDEX/I-Site et les politiques de site. On voit bien la diversité des sites. Une même mission de recherche sur les systèmes alimentaires en agriculture et nutrition par exemple, était déclinée de façon très différente selon les sites.
Concernant le guide de bonnes pratiques, je dis que oui, c'est clairement vers cela que nous devons aller. Aujourd'hui, le Hcéres a déjà inclus les questions d'intégrité dans les référentiels d'évaluation des unités et des sites. Il y aura forcément un échange avec les départements concernés. Quelles ont été les réponses à ces questions ? Un laboratoire peut être surpris par cette nouvelle demande, quant aux évaluateurs, ils peuvent s'étonner de cette nouvelle évaluation en l'absence de référentiels. Ensuite, il est clair que nous devrons travailler sur les référentiels en feed-back. Ces référentiels seront différenciés suivant les cas.
De manière générale, l'OFIS entend organiser sa réflexion autour de grands thèmes comme « publier ou périr » et la pression qui est mise sur les doctorants. Parfois on leur demande de faire leur thèse en trois ans si possible avec 25 publications. Ces injonctions sont paradoxales. J'ai vu des comités de thèse imposer des pressions sur les doctorants pour qu'ils fabriquent des données pour le satisfaire, et encore plus à la réunion suivante. D'une manière générale, les comités de thèse doivent travailler sur la qualité de la thèse et non pas sur un traitement quantitatif de la valorisation.
Il y a des potentiels de bonnes pratiques dans les nouveaux modes de publication, les preprints, les publications partagées, la dissociation entre les processus d'évaluation d'un manuscrit, de publication et de stockage. Nous allons devoir les exploiter avec les gens qui travaillent dessus.
Par exemple, l'Archive ouverte HAL, dont le CNRS a la charge, est un outil extrêmement intéressant que l'on va regarder de très près. Il peut contribuer, à travers l'éditeur Episciences, par exemple, à de nouvelles pratiques de publications plus vertueuses en termes d'intégrité.
M. Michel Cosnard. - Les publications de rang A ont doublé en 15 ans. Cette question « publier ou périr » pourrait faire l'objet d'un focus lors de la présentation du rapport de l'OST sur la position de la France dans les publications scientifiques. Vous aurez les chiffres.
En France, je ne crois pas que la pression soit très forte. À mon avis, elle est beaucoup plus forte dans d'autres pays. La position du Hcéres n'est pas de dire qu'il faut publier moins, mais de publier mieux, dans de meilleures revues, dont l'impact est supérieur. On vous donnera la position de la France, le top 1 %, le top 10 % des publications. Si l'on n'est pas lu ou cité, il ne sert à rien de publier.
Pour des besoins de recensement, nous demandons toujours aux laboratoires l'intégralité de leur production au sens large : publications, brevets, logiciels, rapports de fouilles, etc. À présent, nous demandons d'indiquer les 20 % les plus importants de leur production, et pourquoi ce sont ces 20 %. Pourquoi tel livre est-il plus important que le reste de la production ? Cela oblige les chercheurs à avoir un recul sur leurs pratiques et sur leur production. C'est la voie où l'on s'engage : un jugement moins quantitatif, plus qualitatif, un auto-jugement.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Nous attendons ce focus.
M. Jean-François Eliaou, député. - C'est une spécificité de la carrière biomédicale, on demande de plus en plus de publications en nombre. D'autre part, on ne peut pas avoir une position franco-française sur ce sujet. Face à la concurrence internationale et à cette inflation générale, pousser nos chercheurs à publier de façon qualitative doit s'inscrire dans le cadre d'une action internationale. 90 % des publications ne sont pas lues actuellement, qu'elles soient d'origine française ou pas.
Mme Anne Genetet, députée. - Au-delà d'un guide de bonnes pratiques, un label pour estampiller le respect du guide de bonnes pratiques de l'OFIS est-il envisageable ? Et bien que l'OFIS n'ait pas une mission d'évaluation mais d'animation, avez-vous, dans vos missions, des capacités d'audition de différents acteurs ?
M. Olivier Le Gall. - Nous n'avons pas encore réfléchi en ce sens-là, y compris sur les critères qui pourraient conduire à un label. Si c'est nécessaire, on y viendra. Le rapport d'évaluation quinquennal dans lequel l'établissement déclare sa politique, une politique évaluée et commentée publiquement, cela revient presque à un label.
Il existe des labels sur des sujets connexes ; par exemple le label européen Human resources strategy for researchers (HRS4R) intègre des éléments relatifs à l'intégrité dans la politique de ressources humaines des établissements. L'Europe est la bonne échelle pour un label.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Merci à tous pour la qualité de vos interventions. En écoutant Michel Cosnard sur l'inflation de la publication, je ne pouvais m'empêcher de penser à toutes les problématiques que posent les revues auteur-payeur et le business qui s'est développé autour de ces nouveaux organes. Il a été tourné en ridicule, il y a quelque temps, par une petite équipe de chercheurs qui avait réussi à faire publier, dans l'une de ces revues payantes, un article constitué de la répétition, quelques centaines de fois, sur tous les airs et tous les tons, de la phrase clé « get me off your fucking mailing list » ! Excusez-moi pour le contenu peu scientifique de cet article paru dans cette revue !
J'attends avec impatience le rapport que nous présentera Michel Cosnard. Nous pourrons sans doute organiser une audition publique, tant ce sujet est devenu public.
En conclusion, je dirais que la création de l'OFIS est une avancée importante qu'il convient de saluer. J'espère qu'elle aura un impact.
Parmi les inquiétudes qui se sont élevées autour de la mise en place de l'OFIS, il y avait deux grands types d'interrogations. L'un sur l'indépendance de l'OFIS, en particulier dans le cadre de ce montage au sein du Hcéres : je dois dire qu'à titre personnel, je ne suis pas inquiet sur cette question-là.
L'autre interrogation a porté sur les moyens mis en oeuvre et la capacité d'action. Je dois dire que, là, je suis un peu plus inquiet. Je pense qu'une action importante dans la suite sera de prouver à l'État à quel point l'OFIS remplit un rôle important, à quel point cette évolution est nécessaire, et de trouver les moyens d'actions qui feront que les différents organismes auront à coeur de suivre vos recommandations.
Si le rôle du Hcéres est si important, c'est parce que les organismes savent bien qu'une mauvaise évaluation du Hcéres peut avoir des conséquences sérieuses, directement ou indirectement, sur le financement, la réputation et la qualité par là même. Il sera important que l'OFIS soit capable d'avoir une parole publique suffisamment forte et crainte pour que les organismes aient à coeur de suivre vos recommandations. Cette crainte, comme la décrivait Michel Cosnard, fait partie de la pratique naturelle de l'évaluation par les pairs. S'il n'y a pas cette crainte légitime, on peut redouter le scénario catastrophe dans lequel l'OFIS deviendrait juste une façon pour l'État de se donner bonne conscience sur le sujet.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - En effet, le risque est permanent de satisfaire à une doctrine internationale et de pouvoir afficher une bonne conscience, de conférence en conférence internationale, même à Singapour. Cédric Villani a raison de présenter ce risque.
La localisation de l'intelligence est un facteur de compétition des espaces politiques et nationaux. En Europe, notre intérêt est d'avoir les règles les plus communes possibles pour justement jouer la cohérence de l'espace européen, avec des règles suffisamment convaincantes pour que notre espace communautaire soit reconnu et attire les compétences.
Mon expérience lorraine m'a appris qu'il y a une volonté chez les responsables de métropoles qui hébergent de grandes universités et des centres de recherche plus modestes de vouloir les défendre par tous les arguments. L'intégrité est certainement un argument très porteur pour l'avenir, c'est-à-dire la capacité à trouver une harmonie entre l'obligation de publier, parce que ne pas publier serait inquiétant, et le fait de publier n'importe quoi. L'exemple de Cédric Villani était parfaitement réjouissant pour tous ceux qui ont de l'humour, et inquiétant pour tous les autres.
Vous êtes des pionniers. En matière d'évaluation universitaire, je vous relancerai sur les moyens matériels. Vous avez donné les chiffres : cinq ans pour évaluer 10 000 unités de production intellectuelle et de formation, c'est un formidable défi ! Quant à l'OFIS, j'ai le sentiment qu'il existe, mais les bras sont courts et les jambes petites pour l'instant. Il faut des bras musclés et une foulée sportive pour pouvoir aller sur l'ensemble du territoire.
La réunion est close à 12 h 20.