Jeudi 9 novembre 2017
- Présidence de M. Roland Courteau, président d'âge -
La réunion est ouverte à 8 h 40.
Constitution du bureau
M. Roland Courteau, sénateur, président. - Je souhaite la bienvenue dans les locaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) au Sénat à nos collègues députés qui, dans leur très grande majorité, n'ont pas eu l'occasion d'y venir depuis leur élection à l'Assemblée nationale et leur désignation à l'Office. Je souhaite également la bienvenue à ceux de nos collègues sénateurs qui sont nouveaux parmi nous. Je salue le travail accompli par nos anciens collègues qui nous ont quittés à l'issue des dernières élections sénatoriales.
Je sais qu'aucun d'entre nous, qu'il soit membre nouveau ou expérimenté, n'est là par hasard et que nous sommes tous passionnés par les sujets d'intérêt majeur traités par l'Office. Je sais aussi, d'expérience, que c'est un plaisir de travailler ensemble au sein de l'un des rares organes parlementaires bicaméral permanent.
L'ordre du jour appelle la nomination du bureau de l'office. La loi du 8 juillet 1983 prévoit que l'Office « élit son président et son vice-président, qui ne peuvent appartenir à la même assemblée ». Conformément à l'article 2 de notre Règlement intérieur, le bureau de notre Office comprend huit membres : le président, le premier vice-président, ainsi que six vice-présidents. Le même règlement intérieur prévoit que trois sièges de vice-présidents sont occupés par des députés, les trois autres par des sénateurs.
Je rappelle également les dispositions de l'article 4 de ce même règlement : « La délégation élit d'abord le président, puis le premier vice-président, puis chacun des vice-présidents, au scrutin uninominal. En cas de pluralité de candidatures, il est procédé à un vote à bulletins secrets. Aux deux premiers tours de scrutin, la majorité absolue des suffrages est nécessaire pour être élu. Au troisième tour, la majorité simple suffit. À égalité de suffrages, le candidat le plus âgé est proclamé élu. »
Nous allons d'abord procéder à l'élection du président. Je rappelle que, compte tenu de la tradition établie à l'Office depuis sa création, la présidence est exercée alternativement par un membre de l'une ou l'autre assemblée, à chaque renouvellement partiel du Sénat, donc pour une période de trois ans. Le président que nous allons élire aujourd'hui sera membre du Sénat. La situation est particulière cette année, puisque que nous avons eu successivement des élections législatives en juin, puis des élections sénatoriales en septembre. M. Cédric Villani est devenu président de l'Office le 13 juillet dernier, à la suite de M. Jean-Yves Le Déaut, qui l'était redevenu le 4 novembre 2014, par alternance avec M. Bruno Sido. Dès son élection, M. Villani a annoncé qu'il se conformerait à ce principe coutumier d'alternance de la présidence de l'Opecst entre les deux chambres. Je salue sa volonté de s'inscrire dans les usages du Parlement, ainsi que l'activité considérable qu'il a déployée au cours des derniers mois, même si la fin de la session puis les élections sénatoriales ne nous ont pas permis de nous réunir souvent. C'est grâce à son dynamisme que nous avons dès à présent un programme de réunions et d'auditions bien rempli d'ici la fin de l'année.
Je salue aussi l'action de M. Bruno Sido qui s'est personnellement beaucoup investi comme rapporteur et a grandement contribué au rayonnement de l'Office en tant que président ou que premier vice-président.
J'invite ceux de nos collègues qui désirent faire acte de candidature à se faire connaître dès maintenant.
Mme Catherine Procaccia, sénatrice. - Au nom du groupe Les Républicains, je présente la candidature de M. Gérard Longuet.
M. Roland Courteau, sénateur, président. - Y a-t-il d'autres candidatures ? Je n'en vois pas.
M. Gérard Longuet est élu président.
M. Roland Courteau, sénateur. - Je le félicite et lui cède la place.
- Présidence de M. Gérard Longuet, président -
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Merci. Mes premiers mots seront des remerciements pour tous ceux qui ont bien voulu soutenir la candidature que Catherine Procaccia a présentée. Cette nomination est une lourde responsabilité qui m'oblige, en premier lieu à respecter vos engagements personnels. Faire partie de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques est une démarche individuelle, sans doute animée par le désir de servir notre pays, les institutions de la République, en particulier le Parlement, sur un terrain chaque jour plus sensible, celui de la connaissance, de la compréhension, de l'évaluation du fait scientifique et technologique dans la vie quotidienne.
L'Office, créé en 1983, est une institution récente à l'échelle de la République. Ses règles de conduite sont inscrites dans les textes, mais l'Office a vocation à tenir compte de son utilité au service de la vie parlementaire et plus généralement publique, dans un pays qui a toujours considéré l'articulation entre la science et la politique comme une préoccupation principale.
Je remercie M. Cédric Villani, député, surtout mondialement connu pour ses qualités scientifiques, d'avoir accepté la tradition me conduisant à lui succéder à la présidence de l'Office. C'est un immense honneur, pour moi qui ne suis pas du tout mathématicien et assez peu scientifique. Il a eu la très grande élégance d'accepter qu'un autodidacte lui succède.
Avec l'expérience parlementaire qu'hélas, j'accumule, je dois dire que les réunions de constitution sont en général les plus vivantes ; ensuite, le travail quotidien dilue les engagements. Chacun se mobilisera sur les sujets qui le préoccupent.
M. Cédric Villani a souhaité que l'on réfléchisse à la place institutionnelle de l'Office afin de le consolider. Comme l'a souligné Roland Courteau, l'Opecst est l'un des rares organismes bicaméraux, avec la Délégation parlementaire au renseignement, de création plus récente, qui m'a été familière lorsque j'étais ministre de la défense.
Je souhaite rendre hommage à deux prédécesseurs : M. Bruno Sido, sénateur de la Haute-Marne - département voisin de la Meuse -, ami proche, avec lequel nous avons des projets en commun dans la filière électronucléaire ; M. Jean-Yves Le Déaut, lorrain, parlementaire très engagé dans le lien entre la vie publique, parlementaire et la vie scientifique. Je l'ai beaucoup côtoyé au conseil régional de Lorraine lorsque j'en étais président. Nous avons été complices sur de très nombreux sujets, tant il est vrai que la science peut rassembler des personnes que leurs convictions éloignent, grâce à l'unité de la connaissance scientifique. Si les interprétations peuvent être différentes, dès que nous définissons qu'un mètre mesure cent centimètres, nous pouvons nous accorder. Espérons que la science, qui parfois divise notre société, rapproche des personnes dont les convictions ou les expressions sont très différentes. Je reconnais que l'expression laisse parfois la place à l'humeur, y compris chez moi... C'est le privilège de l'ancienneté parlementaire - élu quatre fois député, j'ai siégé vingt ans à l'Assemblée nationale, j'exerce mon troisième mandat de sénateur ; j'incarne le contraire de la mode mais je l'assume sereinement. On peut travailler ensemble en respectant les personnes et leur honnêteté intellectuelle.
Nous devons maintenant procéder à l'élection du premier vice-président. Qui est candidat ?
M. Cédric Villani, député. - Je présente ma candidature.
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Je remercie une nouvelle fois l'attitude très élégante de M. Villani à l'égard de l'Office. Si ses règles traditionnelles peuvent paraître désuètes, leur sagesse, en réalité, permet de fonctionner dans la durée. Y a-t-il d'autres candidats ? Je n'en vois pas.
M. Cédric Villani est élu premier vice-président.
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - C'est un plébiscite qui ne nous surprend pas.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président. - Merci, chers collègues, de votre confiance. Ce sera un plaisir de poursuivre l'action entamée à vos côtés.
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Procédons maintenant à la désignation des autres vice-présidents, trois députés et trois sénateurs. Commençons par les députés.
M. Patrick Hetzel, député. - Je suis candidat.
Mme Huguette Tiegna, députée. - Je le suis également.
M. Didier Baichère, député. - Moi aussi.
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Quelles sont les candidatures sénatoriales ?
Mme Angèle Préville, sénatrice. - Je présente la candidature de M. Roland Courteau au nom du groupe socialiste.
Mme Catherine Procaccia, sénatrice. - Je suis candidate pour le groupe Les Républicains.
M. Michel Amiel, sénateur. - Et moi, pour le groupe La République en marche.
M. Pierre Médevielle, sénateur. - Je suis candidat pour le groupe Union centriste.
M. Patrick Hetzel, Mme Huguette Tiegna, M. Didier Baichère sont élus vice-présidents.
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Le nombre de sénateurs candidats étant supérieur au nombre de postes à pourvoir, nous procédons à un vote à bulletins secrets.
Le scrutin est ouvert. Puis les scrutateurs procèdent au dépouillement.
Mme Huguette Tiegna, députée. - Voici les résultats du premier tour pour l'élection des vice-présidents sénateurs :
Nombre de bulletins : 33
Suffrages exprimés :
M. Michel Amiel : 13
M. Roland Courteau : 21
M. Jean-Pierre Médevielle : 27
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Nous avons donc trois vice-présidents sénateurs élus au premier tour à la majorité absolue des suffrages.
M. Jean-Pierre Médevielle, Mme Catherine Procaccia et M. Roland Courteau sont élus vice-présidents sénateurs.
Validation du programme de travail
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Nous en venons à la validation du sujet et des dates des auditions et réunions prévues jusqu'à la fin de l'année. Ce calendrier est issu d'une coopération entre M. Cédric Villani, président de l'Office jusqu'à aujourd'hui, et l'équipe administrative, tant du Sénat que de l'Assemblée nationale, que je remercie.
Je vous rappelle que Mme Huguette Tiegna, vice-présidente, a assisté ces deux derniers jours à la réunion annuelle de l'European Parliamentary Technology Assesment (EPTA), en Suisse, sur le thème de la mobilité durable et des véhicules du futur. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Mme Huguette Tiegna, députée. - Étaient présents tous les membres de l'EPTA ainsi que les membres associés comme les États-Unis et le Japon. Nous a été présentée la vision de la mobilité future par différents pays. Chaque pays européen s'y intéresse différemment, selon ses moyens et la politique de son gouvernement. Dans un contexte de réchauffement climatique, les pays européens sont unanimes pour trouver des moyens écologiques à long terme. Dans le domaine de l'utilisation et de la production des véhicules électriques, les pays les plus avancés sont respectivement la Norvège et, au-delà de l'Europe, les États-Unis - avec Tesla qui développe les batteries les plus performantes.
La France doit respecter son Plan Climat et nous avons voté la fin de la consommation des énergies fossiles à l'horizon 2040. Nous devons trouver des énergies et des moyens de déplacement propres, et améliorer le mix énergétique pour sortir progressivement du nucléaire. L'hydrogène fait partie des solutions alternatives pour la motorisation des véhicules. Mais nous avons encore beaucoup d'efforts à faire, pour éviter d'utiliser un procédé de fabrication de l'hydrogène émettant lui-même du dioxyde de carbone. À l'Opecst d'examiner quelles sont les solutions les plus propres pour conseiller le Gouvernement, notamment pour atteindre l'objectif de la suppression des ventes de voitures à essence ou diesel en France en 2040.
Cette rencontre, avec de nombreux scientifiques, était très conviviale. Les États-Unis, le Royaume-Uni et la Suisse, parmi beaucoup d'autres, seront heureux de travailler avec nous.
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Merci de votre disponibilité.
Mme Huguette Tiegna, députée. - L'EPTA mettra en ligne un compte rendu sur son site, et vous trouverez sur celui de l'Office au titre de l'Assemblée nationale une synthèse et des photos de cette rencontre.
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Merci de cet éclairage international, facteur d'ouverture des esprits et d'apaisement des passions.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président. - Je partage tout à fait cet avis !
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - S'agissant de notre calendrier prévisionnel, que je vous soumets, jeudi 16 novembre au matin, nous aurons une audition publique à l'Assemblée nationale sur Admission Post-Bac, étendue aux algorithmes publics en général. C'est un sujet extrêmement sensible, sur lequel le Gouvernement a proposé des initiatives intéressantes.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président. - Au-delà du cas particulier de l'algorithme APB, interrogeons-nous aussi sur l'acceptabilité et l'utilisation des algorithmes dans les politiques publiques, comme le soulignait le récent rapport de l'Opecst sur l'intelligence artificielle. APB est un exemple remarquable d'algorithme fonctionnant parfaitement, mais avec un système de décision politique, collective et démocratique qui, lui, ne fonctionne pas - pour diverses raisons. L'algorithme a été pris comme bouc émissaire car il était mal compris et contourné, et sera abandonné au profit d'une solution probablement moins bonne techniquement mais mieux acceptée. Il s'agit de parvenir à expliquer et faire accepter les algorithmes et organiser de façon plus transparente - ce qui a manqué à APB - leur utilisation.
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Jeudi 23 novembre au matin, nous recevrons la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des déchets et matières radioactives (CNE2), dans la mouvance de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). La CNE2 nous présentera son état annuel d'avancement des recherches et des études répondant aux orientations du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), sur lequel l'Office est lui-même tenu de donner périodiquement son avis, ce qu'il a d'ailleurs fait au printemps dernier. Le PNGMDR est l'une des raisons de mon engagement et de ma passion sur ce sujet.
Mardi 28 novembre au matin, nous échangerons avec une délégation d'une dizaine de parlementaires russes - membres de la Douma ou du Conseil de la Fédération - sur le thème de l'énergie nucléaire et de la transition énergétique. La Russie a une position singulière mais intéressante sur ces sujets. Cette visite s'inscrit dans une tradition de visites biennales. Nous nous réunirons à l'Assemblée nationale, avant de poursuivre par un déjeuner au Sénat.
Jeudi 30 novembre au matin, notre ancien président
Bruno Sido nous donnera communication de sa mission en Russie au printemps
dernier, faite avec M. Jean-Yves
Le Déaut et Mme Anne-Yvonne Le
Dain. Cette mission, à l'invitation du Conseil de la
Fédération, avait pour thème le changement climatique et
les politiques mises en oeuvre par la Russie pour le limiter. Nous entendrons
ensuite l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur
l'état de la sûreté nucléaire et de la
radioprotection en France. Vous avez reçu leur rapport annuel 2016 - un
document considérable !
À 18h30, nous sommes invités au Collège de France pour la remise du Grand prix de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui depuis deux ans est devenu le Grand prix Opecst-Inserm pour l'innovation. Cette année, il sera remis à un biologiste et neurophysiologiste de renom, M. Marc Peschanski.
Jeudi 7 décembre au matin, nous aurons un échange de vues avec M. Rémy Quirion, scientifique en chef du Québec et conseiller auprès des politiques. Ensuite, M. Cédric Villani nous présentera son rapport d'étape sur la mission que lui a confiée le Gouvernement sur l'intelligence artificielle.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président. - Cette mission s'inscrit dans la lignée du rapport de M. Claude de Ganay et de Mme Dominique Gillot visant à proposer une stratégie politique sur l'intelligence artificielle, tant à la France qu'à l'Union européenne, qui est en train de définir sa future politique sur le sujet. On m'a assuré que ce rapport serait bien pris en compte.
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Jeudi 14 décembre au matin, nous conduirons une audition publique en commun avec la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale sur les compteurs dits communiquants. Notre Office avait déjà organisé en février dernier une audition publique sur le seul compteur électrique Linky. Nous élargirons notre réflexion, notamment aux compteurs de gaz Gazpar. Il y a une opposition au compteur Linky tant sociologique, avec la peur de Big Brother, que parascientifique assez discutable. C'est passionnant que l'Opecst se soit saisi du sujet. « Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd la raison... » J'ai des compteurs électriques tant à Bar-le-Duc qu'à Paris, je recherche des compteurs intelligents pour faciliter le dialogue avec les prestataires de service de l'énergie... Nos concitoyens, sollicités par de multiples marchands de peurs, s'y perdent et ces compteurs sont un objet d'inquiétude. Nous élargirons également la réflexion, au-delà de l'impact sur la santé, aux aspects économiques et de protection des données et de la vie privée.
Mardi 19 décembre en fin d'après-midi, nous échangerons, à son siège social, avec les responsables du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), selon une tradition bien établie de l'Opecst. Nous avons déjà été invités le 26 octobre dernier à Saclay, pour une visite très intéressante du Laboratoire d'intégration de Systèmes et des Technologies (LIST), complétée par la visite à Bruyères-le-Châtel du Très Grand Centre de Calcul (TGCC). Je suis passionné par les capacités d'analyse, d'étude et de recherche du CEA, qui donnent envie de l'inviter toutes les semaines !
Jeudi 21 décembre, nous entendrons l'Agence de la biomédecine, audition qui revêt un intérêt particulier car la loi prévoit que notre Office doive donner, sans doute en 2018, son avis sur le projet de loi révisant la loi bioéthique, après avoir réalisé une évaluation de la dite loi en vigueur. Maintenons-nous cette réunion, qui a lieu lors de la dernière semaine de la session parlementaire, alors qu'il n'y aura plus de séance publique au Sénat ?
M. Julien Aubert, député. - C'est un beau cadeau de Noël !
M. Jérôme Bignon, sénateur. - Je serai présent.
Mme Angèle Préville, sénatrice. - Moi de même.
Mme Catherine Procaccia, sénatrice. - Je serai également présente, même si nous serons probablement peu nombreux...
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Nous maintenons donc cette date.
Mme Catherine Procaccia, sénatrice. - Pourrions-nous en profiter pour inviter à cette réunion les membres des commissions des affaires sociales ?
M. Cédric Villani, député, premier vice-président. - J'insiste sur le caractère stratégique de nos relations avec l'Agence de la biomédecine, car il s'agit d'un acteur important de la révision de la loi bioéthique de 2011, sujet majeur.
M. Jean-François Eliaou, député. - Nous pourrions aussi, lors de cette réunion, débattre des algorithmes de décision d'attribution des greffons rénaux, deuxième illustration de l'utilisation des algorithmes dans le domaine des politiques publiques...
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - C'est une raison supplémentaire pour maintenir cette réunion.
Notre calendrier prévisionnel jusqu'à la fin de l'année est ainsi décidé.
Examen des suites à donner à la saisine sur le glyphosate
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Nous examinons les suites à donner à notre saisine sur le dossier du glyphosate par la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Pour des raisons de procédure, cela nous arrange que cette dernière commission, qui est permanente au sens de la Constitution, nous ait saisis - cela dissipera toute ambiguïté sur une saisine par la commission des affaires européennes, qui n'est pas une commission permanente
Le débat sur le glyphosate est au coeur de l'actualité, mais la rédaction de la saisine me gêne. Le président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, rejoint par les commissions des affaires sociales, de l'aménagement du territoire et du développement durable et des affaires culturelles de la même assemblée, a pris l'initiative de la création d'une mission commune d'information sur les produits phytopharmaceutiques, fin octobre. Elle sera présidée par Mme Élisabeth Toutut-Picard et MM. Didier Martin et Gérard Menuel en seront co-rapporteurs. « En complément de cette mission d'information qui s'attachera à l'étude des moyens et modalités nécessaires pour acquérir une meilleure connaissance des enjeux économiques, environnementaux et sanitaires liés aux produits phytopharmaceutiques », M. Roland Lescure s'associe au courrier de saisine du 5 octobre dernier de la présidente de la Commission des affaires européennes, Mme Sabine Thillaye. La commission des affaires économiques souhaite saisir notre Office d'une mission portant sur « l'indépendance et l'objectivité des agences européennes chargées d'évaluer la dangerosité des substances mises sur le marché. » Je m'interroge sur la forme de la saisine : si nous sommes statutairement compétents pour travailler sur l'éthique des chercheurs et la méthodologie, nous interroger sur l'indépendance et l'objectivité des agences européennes - et donc sur leur manque présupposé d'indépendance et d'objectivité - me gêne... Comment rédiger une réponse favorable à cette demande sans faire de procès d'intention dès l'ouverture de la réflexion ?
M. Cédric Villani, député, premier vice-président. - Il y a la forme et le fond. Sur la forme, en complément de la suspicion qui pèse à tort ou à raison sur le glyphosate, se pose la question de l'évaluation du travail des agences qui ont mené les études, c'est-à-dire de l'identification d'éventuels défauts structurels ou d'erreurs de « casting » des experts. Faut-il rénover ces organismes ? La question de fond, c'est la confiance publique dans les institutions.
Un mot peut être gênant dans la saisine, mais la discussion politique a déjà lieu et cela peut être perçu par ces institutions comme une forme de violence excessive. Notre devoir est d'instruire ce dossier avec objectivité, sans travailler dans un temps trop long - ce serait hors sujet - ni trop à chaud. Nous devons réagir à la fois rapidement et de manière réfléchie. Nous ne partons pas de rien : l'Opecst a déjà travaillé sur des sujets connexes.
Sur le fond, nous disposons d'un pouvoir d'inspection à l'échelle nationale, mais il est vrai que nous n'avons pas mandat pour auditer des institutions européennes. Celles-ci accepteront peut-être de participer à nos travaux afin de démontrer leur fiabilité, mais le risque de blocage n'est pas exclu.
M. Pierre Médevielle, sénateur. - Le glyphosate est un de ces sujets scientifiques qui deviennent trop tôt politiques. J'anime un groupe de travail sur le sujet pour la commission des affaires européennes du Sénat, J'ai déjeuné récemment avec M. Genet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'Anses. Il était désolé que la qualité de l'analyse de l'Anses soit remise en cause. Elle a pourtant agi avec prudence. Il me disait ainsi - ce n'est pas confidentiel - que le glyphosate avait été selon lui surclassé au regard de sa dangerosité, notamment s'agissant du risque cancérogène. Sur ce sujet, notre devoir est d'éclairer nos collègues afin qu'ils puissent se prononcer en toute sérénité.
M. Jean-François Eliaou, député. - « Dangereux » sur quoi et pour qui ? Pour l'environnement ? À cause du ruissellement ? Dangereux pour la santé de la population, pour celle de l'utilisateur ? Le mot « dangereux », tout seul, ne veut pas dire grand-chose car, vous l'avez dit, monsieur le président, il y a des marchands de peur.
Ensuite, s'agit-il d'évaluer la méthodologie des instances en cause, ou devons-nous également nous pencher sur le fond ? Nous publierions alors un quatrième ou cinquième rapport sur l'évaluation de la dangerosité du produit. Serait-ce utile ?
Enfin, se pose la question de la position que nous adopterions vis-à-vis des instances européennes. Le débat entre les positions française et européenne est complexe pour nos agriculteurs ; il ne faudrait pas que nous y ajoutions des difficultés d'interprétation selon la position que nous adopterions.
M. Pierre Ouzoulias, sénateur. - Nous sommes face à une problématique proche de celle que M. Villani évoquait au sujet des algorithmes. Un avis a été rendu, et nous devons donner aux citoyens la possibilité de mesurer dans quelles conditions il l'a été et quel crédit on peut lui accorder.
La polémique actuelle se nourrit du fait qu'un rapport confidentiel est discuté par des scientifiques selon des méthodologies non explicitées, autour de pièces qui ne sont pas communiquées. Il ne s'agit donc pas pour nous de rendre un avis sur le produit, mais d'évaluer les moyens déontologiques selon lesquels une institution doit donner aux citoyens des éléments pour qu'ils se forgent leur propre jugement.
C'est parfaitement conforme à la mission plus générale que M. Villani nous proposait sur l'appropriation par le citoyen des problèmes scientifiques.
M. Didier Baichère, député. - La saisine a été examinée lors de nos réunions hebdomadaires informelles du début de l'automne à l'Assemblée nationale : nous devons expliquer les méthodologies qui ont conduit à ces évaluations. C'est tout à fait dans notre rôle, car il ne s'agit pas de rendre un avis sur le produit.
M. Julien Aubert, député. - Celui qui saisit pose la question, celui qui est saisi choisit la réponse. A contrario, une saisine, c'est aussi l'occasion d'évoquer des questions que l'on ne nous pose pas.
Comme citoyen, je m'interroge. Pourquoi les avis divergent-ils entre agences sur le même produit ? De la part de ces instituts tous expérimentés, on attendrait plutôt une convergence scientifique. Il serait bon de parvenir à expliquer cela.
Ensuite, le langage du scientifique diffère de celui du politique et de celui du journaliste. Les scientifiques débattent en experts, un mot sort dans le débat public, ici « cancérogène », qui n'est pas compris par le citoyen comme il l'est par le scientifique.
À la Cour des comptes, j'ai participé à des débats sur des sujets de comptabilité. Nos propos d'experts, lus par un profane bien ou mal intentionné, pouvaient emporter des conséquences dépassant de loin ce que nous avions imaginé, parce que nous n'avions pas intégré leurs conséquences médiatiques ou politiques. Le sens des mots peut changer entre le langage scientifique et le débat public. Quel rôle devons-nous jouer pour traduire cela ?
Enfin, le glyphosate est un symbole. Nous vivons dans une société où les marchands de peur agitent des hochets, qui finissent par cerner le citoyen. Linky émet des ondes, la viande rouge provoque le cancer, le tabac tue, etc. Ces risques paraissent équivalents, alors que ce n'est pas le cas. Nous devons profiter de ce sujet pour conduire les politiques à réfléchir à la manière dont nous abordons ces questions.
M. Bernard Jomier, sénateur. - Nous ne pouvons pas fuir cette saisine. Je suis toutefois gêné par ses termes : la commission des affaires européennes s'interroge sur la qualité du travail d'agences européennes. Notre rôle n'est pas de porter un jugement sur ce travail, aussi critiquable qu'il puisse être.
Le glyphosate pose une question de santé environnementale, qui concerne le lien entre un facteur - ici non naturel - dispersé dans l'environnement et la santé humaine. Il s'agit d'un des champs les plus complexes dans le domaine de la santé. Il a ainsi fallu vingt ans pour prouver la dangerosité du tabac, pas seulement à cause des méchants lobbies, mais parce que la preuve scientifique en était complexe.
Dans le cas qui nous occupe, il faut définir, par exemple, l'effet du groupe des perturbateurs endocriniens sur la santé humaine. Ce travail avance, mais il n'est pas terminé. Quant à isoler chaque substance pour identifier le lien de causalité, c'est encore plus compliqué.
Nous ne sommes pas un organisme scientifique, notre rôle est de mettre en lumière les enjeux scientifiques, sans les trancher, mais aussi les enjeux citoyens, c'est-à-dire l'appropriation collective de ces questions, dans un contexte où la culture scientifique n'est pas en hausse chez nos concitoyens comme chez leurs représentants ! On voit bien que dans la notion de balance bénéfices-risques, par exemple, les risques sont toujours mis en avant.
La question du glyphosate est emblématique de cela.
Mme Catherine Procaccia, sénatrice. - Concernant la saisine, la pratique habituelle de l'Opecst est de préparer un pré-rapport à la suite duquel les rapporteurs font évoluer les termes de la saisine pour la rendre plus conforme aux travaux qui nous semblent nécessaires.
Le Sénat a publié il y a cinq ans un rapport sur les pesticides, y compris le glyphosate, à l'issue d'une mission commune d'information présidée par notre collègue Mme Sophie Primas, aujourd'hui présidente de la commission des affaires économiques, dont la rapporteure était une sénatrice socialiste, Mme Nicole Bonnefoy.
M. Jérôme Bignon, sénateur. - Nous ne sommes pas interrogés sur le glyphosate, mais sur les « turpitudes » supposées des agences. On ne peut certes pas traiter de cela, ce n'est pas de notre ressort, mais la méthodologie et la déontologie nous permettent d'entrer dans le sujet. Ne soyons pas trop scientifiques, mais plutôt un peu juristes ! Nous ne commettrons pas d'erreur si nous restons dans le cadre de notre mission.
L'idéal serait peut-être de demander que nous soyons saisis à nouveau, dans des termes plus conformes à celle-ci. Si nous en sortions, en effet, nous nous discréditerions. En étant rigoureux, nous serons utiles.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président. - Cet échange démontre que nous devons nous saisir de cette question.
En effet, l'analyse scientifique est difficile, en particulier dans les sciences de la vie, et l'épidémiologie en situation est une discipline particulièrement délicate.
Plusieurs raisons peuvent expliquer que les agences obtiennent des résultats différents. Le mot « dangereux », par exemple, n'a pas toujours la même définition. Il existe en outre des différences de méthodologie entre le point de vue nord-américain, appuyé sur une étude du produit en situation et l'approche européenne, qui s'intéresse d'abord aux substances actives. Un produit peut contenir une substance dangereuse sans être dangereux en situation, et vice-versa.
Aujourd'hui, les scientifiques se demandent si certains effets nocifs observés sur le terrain sont dus au glyphosate lui-même, à une combinaison de substances ou à des variantes de glyphosate. Il nous revient d'expliquer comment des méthodologies différentes aboutissent à des résultats différents.
Il n'existe apparemment que trente-cinq études épidémiologiques sur le glyphosate ; c'est peu. Certains experts soutiennent d'ailleurs que la moitié des résultats publiés sont faux ou discutables, car leur précision statistique n'est pas suffisamment solide, dans un contexte où la statistique a longtemps été considérée comme un domaine mineur que chacun pouvait aisément s'approprier, ce qui n'est pas le cas.
Notre rôle est d'expliquer les méthodologies et leurs conséquences aux citoyens et aux politiques. Le Conseil scientifique de l'Union européenne l'a fait, d'ailleurs, en rendant compte des différences de résultats.
Il existe toutefois une autre possibilité : une éventuelle manipulation, une interférence de groupes de pression. C'est une question politique, mais aussi scientifique, dont nous sommes également saisis.
Des éléments récents ont mené à l'ouverture d'un procès en class action aux États-Unis. Les Monsanto Papers ont montré que cette entreprise payait des lobbyistes pour influencer les résultats des études. Le Parlement européen s'est penché sur la question, mais Monsanto n'a pas répondu à son invitation. On ne peut pas douter, pourtant, que ses pratiques n'étaient pas toutes reluisantes. L'agence européenne de sécurité des aliments, l'EFSA, mise en cause, s'est défendue en cherchant à montrer que, malgré les pressions, ses résultats sont dignes de foi.
En France, Le Monde a publié des articles ravageurs le mois dernier sur les échanges entre Monsanto et la Commission européenne, et sur les conditions de publication de certains articles qui appuyaient l'utilisation de certaines substances produites par cette entreprise. Le devoir du politique est de répondre à l'inquiétude des citoyens. S'il y a un problème dans nos institutions décisionnelles, il faut faire des propositions pour le résoudre, s'il n'y en a pas, il faut l'expliquer et restaurer la confiance.
Je suis d'accord pour ne pas répondre à la saisine dans les termes dans lesquels elle nous a été adressée ; faisons-la évoluer. Je recommande toutefois de commencer à travailler de manière informelle dès maintenant en nous accordant sur la méthodologie. Nos collègues députés Mme Anne Genetet et M. Philippe Bolo sont intéressés et piaffent d'impatience !
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Nous allons répondre à la commission des affaires économiques et à la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale en formant un groupe de travail avec quelques volontaires qui devront reformuler le sujet selon ce que nous sommes capables de traiter.
Nous leur dirons que nous sommes d'accord, mais que nous préparons la rédaction de notre saisine, en liaison avec elles, afin qu'elles l'agréent. De la sorte, nous les amènerons sur notre terrain à partir de notre expérience, en leur présentant une lettre de mission que nous aurons rédigé nous-mêmes. Nous devons pour cela aller vite, afin que cela n'apparaisse pas comme un enterrement. Vous connaissez le mot de Clemenceau : « si vous voulez faire quelque chose, faites-le, sinon créez une commission ! »
Allons vite ; je vous propose donc de désigner un député et un sénateur qui travailleront avec nous et les services de l'Office pour présenter la rédaction que nous souhaitons d'ici une quinzaine de jours.
M. Didier Baichère, député. - Nos collègues Mme Anne Genetet et M. Philippe Bolo n'ont pas pu être présents aujourd'hui, mais ils sont volontaires.
M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Soit, je crois en la Sainte Trinité, s'il y en a deux en un, cela ne me pose aucun problème ! Il faut alors désigner deux sénateurs. Je vois que M. Pierre Ouzoulias et M. Pierre Médevielle sont candidats, c'est une bonne chose, car leurs approches sont très différentes et ils enrichiront nos débats. Il en est donc ainsi décidé.
La réunion est close à 10 h 25.