Jeudi 9 novembre 2017
- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente -
La réunion est ouverte à 09 h 00.
Échanges de vues sur le programme de travail de la Délégation aux entreprises
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Nous nous réunissons aujourd'hui pour échanger sur le programme de travail de la délégation aux entreprises pour les trois prochaines années. Vous avez tous reçu le bilan de l'action menée par la délégation depuis fin 2014. Je ne reviendrai pas dessus, même si nous aurons bien entendu à assurer le suivi des travaux que nous avons entrepris, que nous évoquerons au fil du temps. Je veux simplement vous rappeler que le coeur de la mission que le Bureau du Sénat a confiée à la délégation est d'abord d'identifier, sur le terrain, quels sont les besoins des entreprises et les obstacles à leur développement et, ensuite, de proposer des mesures pour y remédier et les traduire dans le cadre législatif et pour simplifier le cadre normatif de l'activité économique.
Notre démarche repose donc sur des contacts réguliers et directs avec les chefs d'entreprise : c'est la raison pour laquelle nous nous déplaçons dans les départements. Nous avons déjà pu nous rendre dans une quinzaine de départements à l'initiative des membres de la délégation depuis début 2015. Il me semble nécessaire de poursuivre, pour entendre les chefs d'entreprise, là où ils sont, et « sentir la température » : la parole des entrepreneurs est généralement assez directe et, donc, pour nous, très instructive ! Notre collègue Anne-Catherine Loisier se propose d'ailleurs de nous accueillir le 15 décembre en Côte d'Or pour y rencontrer des entreprises, notamment dans le secteur du nucléaire civil et la filière bois. Une invitation à participer à ce déplacement vous parviendra prochainement.
Nous rapportons toujours de nos déplacements des informations importantes qui orientent nos travaux à Paris, c'est pourquoi je reste attachée à cette méthode de travail : c'est ce qui nous conduit à élaborer des rapports d'information, à faire réaliser des études -soit pour comparer la situation française avec celle de nos voisins, soit pour mesurer l'impact de telle ou telle disposition législative en vigueur ou à venir- ou encore à intervenir dans l'examen des projets de loi concernant les entreprises, en complément des commissions qui en sont saisies. La délégation est en effet compétente pour examiner les dispositions des projets et propositions de loi comportant des normes applicables aux entreprises. Les amendements que nous pouvons examiner en délégation ne sont jamais déposés au nom de la délégation, mais sont proposés à la cosignature de ses membres.
Cette année s'annonce particulièrement riche pour les entreprises au plan législatif. Dès le printemps, trois textes sont annoncés :
1. Le premier est un projet de loi sur le « droit à l'erreur » pour les entreprises - c'est-à-dire la possibilité de ne pas être sanctionnées pour une mauvaise déclaration tant qu'elles sont de bonne foi. Ce texte devrait aussi comporter des points de simplification administrative. La présentation de ce texte en conseil des ministres, prévue le 25 juillet dernier, a finalement été reportée. Le Conseil national d'évaluation des normes, consulté sur le projet, avait dénoncé les trop nombreux renvois à des ordonnances. Nous n'avons pas, à ce jour, d'éléments de calendrier précis au sujet de ce texte, mais il faut nous y préparer dans le cadre de nos travaux préalables.
2. Le second projet de réforme, annoncé par le Gouvernement pour avril 2018, porte sur l'assurance chômage, la formation professionnelle et l'apprentissage. Notre délégation a déjà travaillé sur ce dernier thème : plusieurs de ses membres ont cosigné la proposition de loi que Michel Forissier et moi-même avions déposée en février 2016 pour développer l'apprentissage comme voie de réussite. Nous veillerons donc à ce que nos propositions, que nous avions tentées d'insérer dans le projet de loi « travail », soient enfin retenues.
3. Enfin, le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, a annoncé un projet de loi sur les entreprises, pour le printemps. J'en ai déjà touché un mot le 27 septembre durant la dernière réunion de la délégation avant le renouvellement. Ceux d'entre vous qui faisaient déjà partie de la délégation sont donc sensibilisés. Le Gouvernement a lancé une concertation pour préparer ce texte, autour de six groupes de travail copilotés par un parlementaire et un entrepreneur :
- création, croissance, transmission et rebond ;
- numérisation et innovation ;
- conquête de l'international ;
- financement des entreprises ;
- simplification ;
- partage de la valeur et engagement sociétal des entreprises.
Il me paraît important que la délégation se prépare, en amont, à l'examen de ce texte qui est au coeur de sa mission. Elle pourra s'appuyer sur les travaux qu'elle a déjà menés, notamment en matière de simplification et de transmission des entreprises. Nous ne pouvons pas creuser tous les sujets, d'autant que le secrétariat de la délégation est limité.
Certains sujets ressortent très clairement de l'une ou l'autre des commissions permanentes, comme le financement des entreprises qui intéressera sûrement la commission des finances. Je suggère donc de retenir les sujets les plus transversaux : le sujet « numérisation et innovation » qui représente un enjeu d'avenir important, surtout pour les PME, et le sujet « création, croissance, transmission et rebond » qui correspond bien à la mission de notre délégation qui est de favoriser l'esprit d'entreprise. Le sujet de la transmission ayant déjà été traité par notre délégation, je suggère d'approfondir les autres aspects du dossier : la création, la croissance et la fin d'une entreprise. Concernant l'exportation, sujet qui avait été mis sur la table lors de notre dernière réunion, Richard Yung, qui participe aux binômes des groupes de travail évoqués, nous apportera des éléments au fil de ses travaux.
Je reste très attentive à toutes les suggestions que vous voudrez bien faire sur notre programme de travail qui sera d'abord dicté par l'actualité législative mais qui va se déployer sur les trois prochaines années.
M. Olivier Cadic. - La une du Figaro d'aujourd'hui soutient vos propos. Elle porte sur le commerce extérieur. La France est en panne de compétitivité. Pour vendre à l'étranger, encore faut-il que nos produits soient compétitifs : il faut donc évaluer nos principes de fonctionnement. Il faudrait également évoquer le « rebond ». Une entreprise peut mourir mais le sujet est totalement tabou. Il faut rendre plus facile leur disparition, sans nécessairement passer par le dépôt de bilan. C'est un sujet qui n'a jamais été vraiment abordé et auquel la délégation doit réfléchir.
Nomination de rapporteurs
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Vos propos me permettent d'évoquer les rapporteurs que nous pourrions nommer, l'un relatif au cycle de vie de l'entreprise (création, croissance, dissolution, rebond) ; M. Olivier Cadic est le bon candidat pour avoir connu toutes ces thématiques durant sa vie d'entrepreneur. Pour travailler à la numérisation et l'innovation dans les PME, je propose Pascale Gruny qui elle aussi connaît bien les entreprises et notamment les plus petites d'entre elles. Il n'y a pas d'objection ? Je vous remercie.
M. Olivier Cadic et Mme Pascale Gruny sont respectivement chargés d'élaborer un rapport sur le cycle de vie de l'entreprise et sur la numérisation et l'innovation dans les PME.
Communication de Mme Élisabeth Lamure sur les principales dispositions du PLFSS intéressant les entreprises
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je souhaite présenter les dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale qui concernent les entreprises.
J'attire notamment votre attention sur trois réformes qui me paraissent substantielles du point de vue des entreprises : la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en baisse de charges pérenne, la mise en place d'une année blanche de cotisations pour les créateurs d'entreprise ainsi que la suppression du très décrié Régime social des indépendants (RSI).
Nous l'avons beaucoup entendu sur le terrain : le CICE était critiqué pour sa complexité et regardé comme une véritable usine à gaz. De nombreuses entreprises nous ont dit qu'il aurait été plus efficace, à leurs yeux, de baisser leurs charges plutôt que de créer un crédit d'impôt, lequel entraîne un décalage temporel et oblige certaines d'entre elles à demander un préfinancement que les banques facturent à un coût élevé -beaucoup ont recours à la Banque publique d'investissement (BPI). L'article 8 du PLFSS prévoit précisément la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi et son remplacement par une exonération renforcée des cotisations sociales : nous ne pouvons que saluer cette simplification. À partir de 2019, les cotisations sociales d'assurance maladie seront réduites de 6 points pour l'ensemble des salariés relevant du régime général de sécurité sociale et du régime des salariés agricoles. Contrairement au dispositif actuel, cet allègement bénéficiera à tous les employeurs dans des conditions identiques, qu'ils soient ou non assujettis à l'impôt sur les sociétés, donc sur une base plus large. Je me souviens que c'était une revendication des coopératives que nous avions rencontrées de bénéficier du CICE : elles pourront à l'avenir bénéficier de la baisse de charges correspondante. Cet allégement sera applicable sur les salaires dans la limite de 2,5 SMIC, exactement comme pour le CICE. En revanche, il faut déplorer que l'article 42 du projet de loi de finances pour 2018 propose de ramener de 7 à 6 % le taux du CICE : avant de bénéficier de charges allégées en 2019, les entreprises risquent d'abord d'être déçues l'an prochain en constatant simplement la diminution du crédit d'impôt dont elles bénéficient.
Au-delà, la réforme sera-t-elle favorable aux entreprises ? Cela dépendra de la structure salariale de chaque entreprise. Le transfert de charges sera plus favorable aux secteurs à bas salaires : là où le CICE permettait d'obtenir une baisse équivalente à 7 points de la masse salariale sur l'ensemble des salaires allant jusqu'à 2,5 SMIC, le Gouvernement a choisi d'exonérer jusqu'à 10 points de charges les salaires au niveau du SMIC et de baisser de 6 points (au lieu de 7 actuellement) les cotisations des salaires entre 1,6 et 2,5 SMIC. Une TPE économisera ainsi 517 euros par an sur chaque salarié au SMIC. Mais les entreprises seront perdantes sur leurs employés plus qualifiés, ce qui est particulièrement préjudiciable pour celles les plus exposées à la concurrence internationale, notamment dans l'industrie, qui emploient des personnels très qualifiés.
Le coût de ces allègements de charges est estimé à 24,8 milliards d'euros (Mds€) par an. Parallèlement, la suppression du CICE et du crédit d'impôt de taxe sur les salaires (CITS) assure une économie de 24,4 Mds€ à l'État. Cependant, par un effet mécanique, l'impôt sur les sociétés (IS) devrait rapporter 5 Mds€ supplémentaires : en effet, les charges sociales acquittées par les entreprises sont déductibles de l'assiette de l'IS ; la baisse de charges augmentera donc mécaniquement l'assiette imposable à l'IS. Pour compenser cet « effet d'IS », le Gouvernement met en avant la réduction progressive du taux de l'IS à 25 % d'ici 2022. Il nous faudra être vigilant sur l'effectivité de cette baisse d'impôt pour que la transformation du CICE en baisse de charges ne soit pas un marché de dupe pour les entreprises.
La deuxième disposition d'envergure est l'instauration d'une année blanche de cotisations accordée à tous les créateurs et repreneurs d'entreprises, sous condition de ressources : c'est-à-dire qu'à compter du 1er janvier 2019, les créateurs et repreneurs d'entreprises seront exonérés de l'ensemble des cotisations de sécurité sociale au titre de leur première année d'activité. Cette exonération prendra la forme d'un élargissement de l'aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d'entreprise (ACCRE) : elle concernera 350 000 entrepreneurs supplémentaires. L'exonération intégrale concernera les entrepreneurs ayant un revenu annuel net inférieur à 30 000 euros ; elle sera ensuite dégressive jusqu'à 40 000 euros. À titre d'exemple, un travailleur indépendant ayant un revenu net de 30 000 euros la première année suivant la création de son entreprise économisera 9 500 euros. Les micro-entrepreneurs bénéficieront d'un dispositif spécifique consistant en une exonération dégressive durant leurs trois premières années d'activité. Ce nouveau dispositif proposé par l'article 9 du PLFSS constitue une avancée importante, qui répond au sentiment de perplexité que les créateurs d'entreprise ont déjà partagé avec nous, devant les lourdes charges qu'ils avaient à acquitter, quel que soit le revenu dégagé de leur première année d'activité.
La dernière grande réforme proposée par le PLFSS de 2018 qui a un impact majeur pour les entreprises est l'intégration du Régime social des indépendants (RSI) au régime général. Le RSI compte aujourd'hui 6,6 millions de cotisants. La réforme que propose le Gouvernement à l'article 11 du PLFSS vise à recomposer le paysage des organismes de sécurité sociale, pour mieux l'adapter aux évolutions de parcours professionnels, le passage du salariat au statut de travailleur indépendant étant de plus en plus fréquent. Compte tenu de l'ampleur de la transformation, une phase transitoire de deux ans est prévue (entre 2018 et 2019), pendant laquelle les différentes missions du RSI seront progressivement reprises en gestion par les caisses du régime général. Dès 2019, les salariés qui changent d'activité et prennent le statut de travailleurs indépendants pourront continuer à être gérés par leur caisse primaire d'assurance maladie d'origine. Au 1er janvier 2020, l'ensemble des travailleurs indépendants relèveront directement du régime général. Ils bénéficieront, pour l'essentiel, des mêmes prestations que les salariés. Certaines des prestations qui leur sont spécifiques ont par ailleurs vocation à être rapprochées du régime général. En revanche, les travailleurs indépendants conserveront leurs propres règles et taux en matière de cotisations, justifiées par la spécificité de leur situation.
Il est certain que le RSI souffrait de dysfonctionnements notoires, spécifiquement pour le recouvrement des cotisations. Les travailleurs indépendants nous en avaient souvent fait part. Fallait-il supprimer le RSI pour cela ? Cette suppression du RSI ne règle pas tous les problèmes, notamment en matière de systèmes d'information. Elle engendre aussi des risques et pourrait faire émerger de nouvelles difficultés. La commission des affaires sociales, dont certains ici sont membres, a pris hier le parti d'accompagner cette évolution en sécurisant au mieux son déroulement, de manière à répondre aux inquiétudes des travailleurs indépendants : elle a ainsi prévu qu'au sein du régime général, un accueil et un accompagnement leur soient dédiés pour répondre à leurs spécificités. En outre, pour renforcer le pilotage politique de la réforme pendant la période transitoire, le comité de surveillance prévu par le texte sera directement placé auprès des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget. Nous devons en tout cas éviter que cette intégration ne se révèle être un nouveau fiasco.
Vous pourrez exprimer en séance dès lundi votre vigilance sur ces articles 8, 9 et 11 du PLFSS qui intéressent de près les entreprises.
Mme Catherine Fournier. - Merci, madame la Présidente. Je voulais revenir sur l'exonération des charges pour les créateurs. Pour une entreprise tout juste créée, et notamment la première année, l'exonération des charges n'aura pas un impact important. Un créateur aura peut-être intérêt à débuter son activité plutôt comme auto-entrepreneur.
M. Olivier Cadic. - Si un créateur d'entreprise bénéficie d'une exonération de cotisations la première année, cela plaide pour faciliter la fermeture d'entreprise afin de permettre d'en recréer une chaque année.
Questions diverses
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - En questions diverses, je voudrais attirer l'attention des nouveaux membres de la délégation sur une de ses initiatives récentes. Avant l'été et avec l'appui du réseau des CCI, nous avons proposé aux sénateurs intéressés de s'immerger quelques jours dans une entreprise, renouant avec une pratique qui existait du temps du président Poncelet, abandonnée depuis. Le Sénat a signé une convention avec CCI-France à cet effet en juin 2017. Plusieurs sénateurs nous ont indiqué dans quel type d'entreprise ou de secteur et dans quels départements, ils souhaiteraient effectuer cette immersion et CCI France, par son réseau, a mis en relation les sénateurs intéressés et les entreprises, qui se proposent d'ailleurs en nombre pour accueillir un sénateur. Les trois premières expériences ont donné lieu à de très bons retours. Évidemment, ces immersions ne sont pas réservées aux membres de notre délégation mais ouvertes à tout sénateur.
M. Guillaume Arnell. - Quelle est la marche à suivre si on souhaite y participer ?
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Un courrier a été envoyé avant l'été à tous les sénateurs qui n'étaient pas renouvelables, et un second le sera à tous les sénateurs nouvellement élus. Il faut faire connaître à la délégation le secteur d'entreprise et la région dans lesquels vous souhaitez vivre cette immersion en entreprise. L'entreprise doit être située en dehors de votre circonscription d'élection.
M. Emmanuel Capus. - J'ai eu l'occasion d'échanger avec le président de la CCI du Maine-et-Loire cette semaine, et il m'a fait part de sa satisfaction de participer à cette opération.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Nous avons tout intérêt à développer les échanges entre entreprises et parlementaires. Nous avions d'ailleurs réalisé en 2015 un sondage pour savoir, parmi l'ensemble des sénateurs, lesquels avaient été chef d'entreprise ou avaient travaillé dans une entreprise. Le résultat était vraiment intéressant. Les deux-tiers des sénateurs ayant répondu au sondage avaient travaillé au cours de leur vie professionnelle dans une entreprise, et même un sur cinq était créateur ou chef d'entreprise.
M. Olivier Cadic. - Ne faudrait-il pas réadresser un tel questionnaire en raison du renouvellement sénatorial pour mieux connaître le profil des sénateurs ? Il nous est souvent reproché de ne pas connaître les entreprises ; or, tout le monde était surpris de ces statistiques.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - En effet !
Je voulais vous signaler par ailleurs que le Gouvernement avait publié fin octobre son évaluation du coût du prélèvement de l'impôt à la source pour les entreprises. Beaucoup d'entreprises nous avaient fait part de leurs inquiétudes, surtout les TPE. Donc nous avons fait réaliser une étude en juin dernier par le cabinet fiscaliste Taj pour évaluer ce coût. J'ai réagi, par le biais d'une tribune, parue dans Les Échos le 30 octobre dernier, à l'évaluation fournie par le Ministre des Comptes publics, qui est beaucoup plus optimiste que celle du cabinet Taj. Il est nécessaire de débattre avec le Gouvernement de l'impact d'une telle réforme : c'est une avancée importante à mettre au crédit de notre délégation.
Mme Catherine Fournier. - Je voudrais évoquer un sujet dont j'ai été saisie par la chambre de commerce de mon territoire qui s'inquiète de la baisse du financement des chambres de commerce prévue dans le projet de loi de finances pour 2018.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Effectivement. C'est une nouvelle baisse à la suite d'une autre très importante. Lors de la discussion budgétaire, il appartiendra à chacun d'interpeller le ou les ministres, voire de déposer des amendements.
M. Michel Canevet. - En effet, la baisse de 150 millions d'euros qui est demandée est assez préoccupante pour les chambres de commerce mais c'est surtout la question de leur avenir qui est posée par cette nouvelle baisse. Les CCI ont besoin de visibilité sur les cinq ans à venir. Les restructurations territoriales ont déjà engendré une diminution du nombre de chambres territoriales. Il est nécessaire de fixer un cap dès à présent. Veut-on réduire leurs moyens d'agir ? S'agit-il, au contraire, de leur permettre de continuer à gérer des infrastructures aéroportuaires et portuaires ou d'en faire des spécialistes de la formation de haut niveau ? Est-ce que la question du regroupement avec les chambres de métiers est d'actualité, sachant que 40 % des chambres de commerce et d'industrie sont aussi des chambres de métiers et de l'artisanat. Quel sera l'avenir des chambres d'agriculture ? Donc il y a toutes sortes de questions autour de l'accompagnement des entreprises mais aussi du rôle des chefs d'entreprises. Imaginons bien que, si demain on réduit significativement les moyens des chambres, on ne trouvera plus de chefs d'entreprise pour s'investir dans la représentation des entreprises dans les discussions nationales ou territoriales. C'est l'ensemble de la représentativité économique qui est mise en cause.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - C'est un vrai sujet. Les chambres de commerce que nous avons rencontrées souffrent de cette instabilité permanente. J'ai récemment rencontré CCI France, qui estime que cette nouvelle baisse de 150 millions doit être la dernière et doit être lissée sur l'ensemble du quinquennat. Il faut sauver ce qu'il est encore possible de sauver. Sans parler de fusion, on peut évoquer un rapprochement progressif entre les chambres. Je crois que les choses avancent malgré quelques réticences de la part des chambres de métier. Nous pourrions comprendre la mutualisation entre les chambres consulaires. Dans les discussions, il faut voir comment essayer de lever les réticences, pour pérenniser leur avenir.
M. Michel Forissier. - Je confirme cette situation. J'ai effectué des auditions dans le cadre de l'examen des crédits 2018 de la mission « Travail et emploi » à la commission des Affaires sociales du Sénat. En complément de ce qui a été évoqué, je souhaite souligner que la formation de 80 000 apprentis par an est assurée par les CCI. Elles expriment des craintes au sujet de la réforme annoncée de l'apprentissage et de la collecte de la taxe d'apprentissage. Je pense que cette réforme retiendra des éléments du travail que nous avons mené à la délégation sur le sujet. Un difficile équilibre est à trouver entre l'échelon régional et les entreprises. Cette réforme impose une concertation avec les branches professionnelles, mais cela nécessite au préalable leur restructuration car certaines sont des coquilles vides. Le texte préparé par le Gouvernement sera compliqué parce qu'il devrait porter, si j'ai bien compris, sur tout ce qui touche à la formation professionnelle sans avoir vraiment défini la place des différents types de formation : initiale, continue et apprentissage. Nous disposerons d'éléments définitifs au mois de mars. Le gouvernement prévoit d'inscrire cette réforme à l'agenda parlementaire d'ici juin 2018.
M. Jérôme Durain. - Je souhaite évoquer un autre point d'actualité. La question de l'optimisation fiscale sature nos médias. Cela ne me paraît pas anodin. Certes, la question concerne surtout les grands groupes. La majorité de ceux qui travaillent correctement dans ce pays n'ont pas les moyens d'optimiser. Nous sommes bien placés, nous élus, pour savoir à quel point, dès que la confiance est rompue, il est difficile de la renouer. C'est un sujet complexe à la limite de nos compétences mais il risque de s'installer durablement dans le débat public.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je souhaite rappeler qu'il faut bien faire la différence entre optimisation fiscale et évasion fiscale. L'évasion fiscale, à l'inverse de l'optimisation, est illégale. Les médias entretiennent une vraie confusion, ce qui est regrettable et risque de polluer les discussions économiques.
M. Olivier Cadic. - En plus de l'optimisation fiscale, il y a aussi l'optimisation sociale. Des entreprises sont en fait plus puissantes que les États. Le politique et l'administration sont face à des interlocuteurs plus puissants qu'eux. Il ne faut pas voir uniquement l'aspect fiscal mais aussi appréhender plus largement cette évolution du monde.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - L'intérêt prioritaire de notre délégation porte davantage sur les PME que sur les grandes entreprises, dont les préoccupations sont mieux connues.
M. Michel Canevet. - Un autre sujet pour les entreprises est la question de l'inadéquation entre l'offre et la demande d'emploi. À l'occasion de nos déplacements, on a pu se rendre compte que les chefs d'entreprise n'arrivent pas à embaucher des profils adéquats alors qu'il y a beaucoup de chômeurs. Pôle emploi est à tel point décrié que certains préfèrent recourir au Bon Coin. Il se développe tout un ensemble de démarches privées pour pallier ces difficultés. Pôle emploi est-il donc aujourd'hui le système le plus efficient et le plus adapté aux attentes des chefs d'entreprises ?
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - C'est devenu une vraie préoccupation que nous avons de plus en plus entendue au fur et à mesure des déplacements de la délégation. Il y a quelques années, les secteurs en tension étaient l'hôtellerie et la restauration. Aujourd'hui, la problématique est plus large et concerne notamment la chimie ou l'industrie mécanique, et même des départements non enclavés. Des entreprises de mécanique en Savoie, offrant un salaire d'au moins 2 000 euros, dans un environnement magnifique, proche de la Suisse, dans un cadre de vie excellent, n'arrivent pas à attirer des salariés. C'est un vrai sujet auquel la délégation devrait s'intéresser : l'offre et la demande ne se rencontrent plus. Sans mettre en défaut Pôle emploi, il faut reconnaître que le système fonctionne mal.
M. Michel Vaspart. - C'est un sujet qu'on a déjà abordé sous la mandature précédente et qui mériterait une commission d'enquête ou une mission d'information.
Mme Nicole Bonnefoy. - C'est la première fois que je participe aux travaux de la délégation. Je siège au Sénat depuis 2008 et ai travaillé sur une mission concernant Pôle emploi au moment où la situation était dramatique, aussi bien pour les salariés de Pôle emploi, qui n'avaient pas les moyens de remplir leurs missions, que pour les demandeurs d'emploi. Face à un afflux énorme, Pôle emploi n'avait pas les moyens de tout gérer. Il y a eu des progrès depuis. Ainsi, Pôle emploi dispose d'outils formidables de recrutement que les entreprises ne connaissent pas nécessairement. J'avais passé un entretien de simulation sur des métiers et j'ai vu que Pôle emploi a des possibilités, des outils et un vrai savoir-faire. Il y a des progrès à réaliser, certainement, mais c'est un service public de proximité qui, je crois, peut être tout à fait efficace pour les entreprises. Mais il y a certains métiers, comme chaudronnier, qui ne sont malheureusement plus attractifs pour les jeunes, d'autant que certains préfèrent exercer des métiers plus faciles et plus rémunérateurs.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Bien sûr, Pôle emploi a des défauts, mais il y a surtout une perte de confiance des entreprises et des demandeurs d'emplois dans le système. Il y a des millions de chômeurs et plus de 500 000 offres qui ne sont régulièrement pas pourvues. On ne peut pas se satisfaire de cette situation.
M. Gilbert Bouchet. - Dans ma région, des entreprises de renom n'arrivent pas à recruter. Les entreprises n'ont plus confiance en Pôle emploi. Donc il faudrait peut-être se demander pourquoi.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Il faut élargir ce sujet car Pôle emploi n'est qu'un pan du service public de l'emploi. Je pense aussi aux missions locales qui s'adressent aux jeunes de 16 à 25 ans qui sont les plus éloignés de l'emploi, aux Plans locaux pluriannuels pour l'insertion et l'emploi (PLIE), qui s'adressent à un public adulte de plus de 25 ans éloigné de l'emploi. Avant de pouvoir entrer dans un parcours d'insertion, il y a des freins à lever. Je préside une importante mission locale dans les Alpes-Maritimes. La mission locale a une pertinence pour accompagner des profils de jeunes, dont Pôle emploi ne sait que faire, parce qu'on réalise un accompagnement sur mesure de ces jeunes-là pour les rendre employables. Donc la réflexion doit être beaucoup plus large et appréhender la transversalité entre toutes ces structures qui aujourd'hui forment le service public de l'emploi, y compris les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi qui incarnent les services de l'État sur la question de l'emploi.
Mme Anne Chain-Larché. - Je trouve qu'une mission d'information serait pertinente parce que c'est un leitmotiv qui remonte des territoires systématiquement. Je suis tout à fait d'accord pour que la réflexion soit élargie aux missions locales. En secteur rural, on rencontre de véritables difficultés à apporter des réponses à nos jeunes. Je voulais revenir sur la formation professionnelle, dont la compétence est maintenant régionale, mais avec une incohérence car les régions ont compétence sur les lycées professionnels mais pas sur les Centres de formation d'apprentis (CFA). Or l'artisanat est de nouveau valorisé, porteur, employeur, et offre un véritable avenir aux jeunes. Cette pierre manque vraiment à l'édifice de formation que pourrait porter les régions. Il est possible d'améliorer la situation comme je l'ai fait à la région Ile de France où je suis Vice-Présidente en charge de la ruralité.
Mme Martine Berthet. - Je voulais revenir sur les travailleurs saisonniers. En Savoie, ils ne veulent pas travailler en intersaison alors qu'il y a énormément d'offres qui sont diffusées, particulièrement par des restaurateurs. Près d'Albertville, une entreprise a travaillé avec un lycée professionnel local pour mettre en place une filière et former des jeunes à des métiers pour lesquels elle n'arrivait plus à recruter. Ce type de maillage pourrait être intéressant à développer et à adapter localement.
M. Michel Forissier. - La métropole de Lyon a récupéré la compétence de la formation, et se retrouve aujourd'hui à la croisée des chemins. On ne peut plus faire l'économie d'une réflexion sur une politique de l'emploi ayant un pilotage national avec un chef de file régional. D'ailleurs, Pôle emploi et les autres acteurs ont des périmètres régionaux différents, non concordants. Le système fonctionne mal et son financement est problématique mais on n'a pas le courage de le modifier. Il faut veiller à l'équilibre entre les régions qui ont des moyens et celles qui en ont moins. Il faut aussi rationaliser les formations.
Mme Nicole Bonnefoy. - Certes, il y a des offres d'emploi non satisfaites mais il serait simpliste de considérer que c'est la faute de Pôle emploi. Par ailleurs, je constate dans mon département que beaucoup de jeunes inscrits en formation en alternance ne trouvent pas d'entreprise pour les recevoir. Là aussi, il y a un vrai sujet, même si, je sais, ce n'est pas forcément facile pour ces entreprises d'accueillir ces jeunes en contrat d'apprentissage. Pour autant, elles disent qu'elles ont besoin de jeunes formés.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Ces exemples prouvent qu'une réforme est nécessaire. Les entreprises nous disent qu'elles sont prêtes à accueillir des apprentis et qu'elles en ont besoin pour maintenir leur savoir-faire. Elles regrettent une perte de savoir-faire et un déficit de relève. Des métiers vont se perdre.
Mme Nicole Bonnefoy. - En Charente, Hermès a travaillé avec les régions et les lycées et monté une formation spécialisée qui lui facilite les recrutements. Dans d'autres domaines, c'est beaucoup plus compliqué ou alors les entreprises ne jouent pas le jeu.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Hermès n'est pas un cas particulier : dans certains secteurs d'activités, les entreprises ont leurs propres écoles comme dans la chimie par exemple.
M. Sébastien Meurant. - Pour revenir sur l'alternance, quand un chef d'entreprise accueille un apprenti, c'est lui qui en est responsable, par exemple si l'apprenti ne vient pas travailler. Il rémunère l'apprenti pour un mi-temps. Si l'apprenti ne vient pas, cela peut désorganiser l'entreprise. En termes de coût, ce n'est pas forcement intéressant, c'est même un sacerdoce ! Lorsque les entreprises proposent une formation en alternance, elles répondent à un engagement citoyen de former des jeunes et espèrent pouvoir les embaucher : c'est financièrement peu intéressant en plus d'être extrêmement lourd à gérer, surtout pour les TPE/PME. Effectivement, il y a des tensions dans tous les métiers. Donc c'est un échec global. Ce qui est surprenant, c'est que, malgré le développement des réseaux sociaux, on recrute toujours dans l'entourage par bouche à oreille, par connaissances, par réseau car les entreprises fonctionnent en cluster. On crée donc des clusters qui sont dédiés à une activité où l'information est plus facilement diffusée. Sur les nouveaux métiers, de plus en plus d'entreprises forment, créent des écoles parce qu'elles ne trouvent pas les compétences requises. C'est évidemment lié aux lourdeurs de l'Éducation nationale. Tout ce qui est innovation, en rupture, n'est pas privilégié par cette dernière. Il faut de la souplesse, de l'autonomie au niveau des régions et faire en sorte que l'Éducation nationale soit vraiment ouverte sur le tissu entrepreneurial local, y compris sur les TPE. Depuis 17 ans que je suis dans le recrutement, je constate le délitement de notre tissu industriel. On peut s'inspirer de ce qui fonctionne, par exemple en Allemagne.
M. Jérôme Durain. - Je souscris à ce qui vient d'être dit. Nous avons effectué un déplacement en Allemagne pour une mission d'étude sur l'apprentissage pour le compte de la commission des Affaires sociales. C'est un sujet de répartition des compétences, un sujet culturel sur la place des activités techniques et industrielles dans l'orientation promue par l'Éducation nationale. Après être revenu de cette mission en Autriche et Allemagne sur l'apprentissage, j'ai eu une discussion avec mon enfant de 15 ans qui m'a dit ne pas vouloir finir plombier lorsque je lui ai parlé de l'apprentissage. Antoine Frérot, le PDG de Veolia, le dit autrement, affirmant que certains enfants sont trop brillants pour être en apprentissage.
Mme Anne Chain-Larché. - On est en train de fibrer tous les territoires. La fibre optique arrive partout, notamment en Île-de-France, mais au printemps dernier, il manquait 5 000 ouvriers spécialisés dans ces opérations. C'est pourtant une filière d'avenir pour désenclaver les territoires. Il y a donc un manque total de vision prospective et inventive.
M. Emmanuel Capus. - En tant que rapporteur pour la commission des Finances de la mission « Travail et emploi », il me semble que le coeur du problème, c'est l'inadaptation de la formation, les aides sociales, mais aussi le défaut de reconnaissance sociale et la question, pas encore évoquée, de la difficile mobilité entre les zones en tension et les autres en situation de sous-emploi. Dans ma région, certaines entreprises font venir des salariés du Nord. Mais globalement les salariés ne sont pas suffisamment mobiles.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Le sujet de l'apprentissage et de la formation est décisif. Pour avoir visité comme vous, des CFA, des maisons familiales rurales (MFR) et des écoles de production, j'ai vu des élèves heureux de se préparer à leur futur métier. La délégation devrait travailler en amont sur ces problématiques pour préparer cette réforme annoncée.
Notre prochaine réunion est fixée le jeudi 23 novembre au matin, pendant la semaine du Congrès des maires.
La réunion est close à 10 h 24.