Mardi 25 juillet 2017
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Audition de M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État chargé du numérique
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, nous accueillons M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État chargé du numérique, rattaché au Premier ministre, rattachement qui a, du reste, son importance. Monsieur le ministre, nous partageons la compétence en matière de numérique avec la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, compétente pour le développement du réseau et des infrastructures afférentes, tandis que notre commission s'attache aux novations scientifiques et techniques, ainsi qu'aux nouveaux usages culturels et à la structuration progressive de l'économie numérique. Notre commission est d'ailleurs aguerrie dans ce domaine, puisque la mutation des usages a commencé à travers la culture, et plus particulièrement, dans le secteur musical. Au cours de cette audition, nous évoquerons l'évolution numérique de notre société, des médias et de la presse, ainsi que de l'industrie du livre au sujet de laquelle nos auditions ont été saluées par certains comme avant-gardistes. En effet, le Sénat fut l'initiateur de l'harmonisation des taux de la TVA sur le livre numérique avec celui applicable au livre papier, évolution qu'il a poursuivi avec la presse. Afin de suivre au mieux l'ensemble de ces questions, un groupe d'études « société numérique, nouveaux usages, nouveaux médias », rattaché à notre commission et présidé par notre collègue Loïc Hervé, qui siège également à la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), rassemble des membres issus de l'ensemble des commissions du Sénat. Nous sommes impatients de vous entendre exposer votre feuille de route dont les conséquences sur notre société, que ce soit sur le monde du travail, l'accès à la connaissance et les échanges à travers le monde, ainsi que, de façon plus générale, l'évolution socio-économique et politique, sont considérables.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État chargé du numérique. - Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation et de l'intérêt que vous portez à mes travaux. Le Gouvernement a rappelé, notamment lors de la récente Conférence nationale des territoires, que le dialogue avec le Parlement était essentiel. Je suis un parlementaire élu, qui n'a certes pas encore siégé, d'une circonscription populaire de Paris. Je partage avec vous l'idée que la connaissance et la proximité avec nos concitoyens, ainsi que la conscience au quotidien de leurs usages, sont tout aussi importants que les communications des lobbys et les analyses des experts. Les usages du numérique au quotidien sont au coeur du projet que j'ai d'abord porté auprès du candidat Emmanuel Macron pendant la campagne, avant d'en avoir la charge au Gouvernement.
La commission de la culture, de l'éducation et de la communication est la première commission parlementaire devant laquelle je vais exposer l'intégralité de ma lettre de mission. Je suis très heureux que cette présentation ait lieu au Sénat et je vous en remercie à nouveau.
La transition numérique avive de nombreux enjeux relatifs à la transformation de la société et des territoires. Elle suscite également de réelles opportunités pour rapprocher les citoyens et pour améliorer leurs relations avec les élus. Malheureusement, elle génère, dans le même temps, des inquiétudes et accroît les inégalités existantes, lorsqu'elle n'en suscite pas de nouvelles que nous n'avions pas forcément envisagées lors des grands déploiements et de la transformation numérique du service public. En effet, cette dernière a généré ses propres externalités négatives. Il nous faut donc analyser collectivement ces opportunités, voire les provoquer, afin d'en tirer toutes les conséquences dans les différents secteurs d'activités comme celui de la culture qui a connu une révolution dans l'accès et la découverte.
J'ai pu, au gré de mes seize années d'expérience dans ce secteur, mesurer les transformations induites par le numérique. Si les familles populaires et les classes moyennes sont en grande partie connectées, il reste encore une marge de progression.
Ma feuille de route comporte cinq piliers. Le premier pilier, que je qualifierai de numérique économique, vise à accélérer la croissance et l'innovation. Le deuxième, consacré au numérique public, consiste à réinventer la puissance publique. Le troisième, - le numérique inclusif - entend faire du numérique une chance pour tous. Le quatrième répond aux enjeux de la confiance, de souveraineté et de sécurité. Le cinquième, enfin, concerne la diffusion du numérique sur l'ensemble du territoire.
Le premier pilier, économique dans son approche, vise à l'accélérer la croissance et l'innovation avec le numérique. La France dispose d'atouts pour s'imposer, au cours des cinq prochaines années, comme un pays d'innovation. Il faut que la France devienne la nation des start-ups et un écosystème de référence en Europe, qu'elle attire les talents et crée des emplois grâce au numérique et à l'innovation. Il s'agit également de faire de la France le plus grand innovateur des TPE-PME de l'économie traditionnelle, alors qu'elle n'occupe aujourd'hui que le seizième rang mondial.
S'agissant du deuxième pilier, qui vise à redéfinir la puissance publique avec le numérique, nous avons annoncé notre souhait de créer un État-plateforme. Il s'agit de mettre en oeuvre les conditions de l'innovation publique et de l'inclusion de nouveaux acteurs que peuvent être les collectivités territoriales, les administrations ainsi que les acteurs privés. Il importe que l'infrastructure numérique de l'État allie performance et humanité pour optimiser son organisation, tout en améliorant la valeur fournie aux usagers, sans jamais exclure.
Une telle exigence me conduit au troisième pilier que constitue le numérique inclusif et qui repose sur les deux éléments-clés : l'accès et l'usage. D'une part, l'accès, sur lequel nous travaillons avec Jacques Mézard et Julien Denormandie, implique la couverture numérique du territoire au sujet de laquelle deux annonces ont été faites, ici-même, par le Président de la République : l'extension du haut et très-haut débit pour tous les Français en 2020, avant que ne soit généralisée la couverture en très-haut débit en 2022. L'étape de 2020 est essentielle, puisque nous ne pouvons attendre qu'il y ait la fibre optique sur l'ensemble du territoire pour que tous les Français reçoivent un débit convenable. Ce sujet nous occupera cet été avec mon collègue Jacques Mézard. Nous avons déjà rencontré les opérateurs nationaux et locaux, ainsi que les représentants des collectivités territoriales afin de trouver des solutions de concert avec l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Des pistes, notamment en matière de répartition des financements entre la puissance publique et les opérateurs, se dégagent d'ores et déjà. Ceux d'entre vous qui rencontrent régulièrement leurs administrés en milieu rural ne peuvent que se faire l'écho de l'urgence la plus absolue. Loin de n'être que l'expression d'une simple impatience, il s'agit, à mon sens, d'une exigence numérique légitime, alors que l'e-commerce se généralise, que les services publics n'ont jamais été aussi accessibles numériquement et les familles n'ont jamais été autant connectées, certains territoires demeurent privés d'un accès numérique de qualité. Une telle situation est inacceptable !
Les usages représentent la partie invisible du numérique, qui n'a pas été prise en compte lors du précédent quinquennat. Pour 20 à 30 % des Français, l'utilisation même du numérique - quand bien même l'accès leur serait assuré - s'avère compliquée et ce, pour plusieurs raisons : très grand âge, maladie, handicap ou encore maîtrise insuffisante de la langue. Ainsi, le rendez-vous numérique obligatoire dans les mairies, évolution positive pour la grande majorité de nos concitoyens, à l'exception de ceux pour lesquels cette obligation s'est avéré une quasi-punition. Il importe de trouver des solutions pour ces personnes. L'inclusion numérique dans les usages comme la médiation numérique feront l'objet d'un profond travail du Gouvernement, en collaboration avec les collectivités territoriales. Il nous faut être capables, au moment de la mise en oeuvre de la transformation numérique de l'État et du lancement de nouveaux services publics numériques, d'améliorer cette situation. Ma circonscription, où la non-maîtrise de la langue et le handicap sont deux sujets récurrents, ne compte plus que deux lieux de médiation numérique qui ne parviennent pas à traiter l'intégralité des demandes des usagers. Le Président de la République et le Premier ministre sont pleinement conscients d'une telle situation. Il est manifeste que ce sujet implique l'engagement de tous et sera à l'origine d'une dépense nouvelle qui ne figure ni dans les budgets habituels des ministères ni dans ceux des établissements ou des collectivités territoriales.
La confiance dans l'espace numérique représente le quatrième pilier de ma feuille de route et renvoie à l'ensemble des questions de souveraineté numérique, aux droits et libertés fondamentales dans l'espace numérique et à la cybersécurité qu'il va nous falloir appréhender dans sa globalité : avec le ministère des armées pour le volet défense, comme avec les autres ministères chargés de la sécurité civile. La France, grâce à une haute protection des sites sensibles de l'État et de nos grandes entreprises, a plutôt été protégée lors des attaques récemment survenues. En revanche, un tel constat ne vaut guère pour les entreprises moyennes et encore moins, voire pas du tout, pour nos concitoyens ! Il faut développer la culture de la cybersécurité, afin que les Français, à tous les âges, aient conscience de l'usage de leurs données et de la sensibilité des outils qu'ils utilisent.
Enfin, le cinquième pilier concerne la diffusion du numérique dans l'ensemble des secteurs d'activité : on parle ainsi de « numérique agriculture », ou encore de « numérique éducatif » ou de « numérique environnemental ». Cette diversité renvoie à la place de mon secrétariat d'État auprès du Premier ministre. Porter ces sujets et soutenir les autres ministères ; telle est la philosophie de mon secrétariat d'État auquel sont rattachés des experts numériques issus de diverses administrations. D'ailleurs, la totalité des lettres de mission ministérielle comprend un volet consacré à la transformation numérique. C'est pourquoi, si vos questions portent sur des actions relevant d'autres ministères, je ne pourrai que vous préciser les modalités du soutien de mon secrétariat d'État et vous renvoyer, le cas échéant, à d'autres déclarations, faites ou à venir, des ministres concernés.
M. Loïc Hervé. - Nous sommes très heureux, monsieur le ministre, de constater que le numérique, que ce soit à travers les questions de ses usages ou de son déploiement, soit pris en charge par le Gouvernement et évoqué dans les principales déclarations du Président de la République, à Versailles ou dans ces murs. Pour les élus locaux que nous sommes encore pour certains d'entre nous, atteindre les objectifs de 2020 et de 2022 va nécessiter de considérables efforts financiers et organisationnels. De même, le dialogue avec les opérateurs va devoir changer de nature. Pour avoir mené ce combat en faveur de la couverture mobile lors de l'examen de la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, je suis conscient que le secteur des télécoms est influent et puissant. Vous aurez donc besoin de l'appui des sénateurs pour mener votre mission, dont les enjeux sont divers et concernent la croissance économique, l'égalité, la culture et l'éducation, mais aussi la sécurité, dans les milieux ruraux autant qu'urbains. Vous n'avez pas directement abordé dans votre intervention liminaire l'ensemble des dérives du numérique et, en particulier, le piratage. Je pense notamment à Hadopi, sur l'avenir duquel nous avons, avec ma collègue Corinne Bouchoux, présenté un rapport. Nous n'avons pas obtenu de vrai positionnement du Gouvernement précédent et la Hadopi suscite de nombreuses interrogations, en matière de protection des droits des auteurs et de l'accompagnement à l'éducation numérique. D'ailleurs, notre commission s'occupe à la fois du numérique et des affaires éducatives. Nous avons participé à une table-ronde d'Emmaüs-Connect sur la situation des laissés-pour-compte du numérique. L'accès au numérique pour tous présente une dimension autant éducative que coercitive et implique la capacité de lutter contre un certain nombre de dérives. Avec ma collègue Sylvie Robert, nous représentons le Sénat à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) où sont abordés, chaque semaine, des sujets aux incidences réelles. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous livrer votre vision du devenir de cette institution dans ce contexte de réécriture de la loi du 6 janvier 1978, suite à l'entrée en vigueur du Règlement européen, qui interviendra au Parlement à l'automne ?
Mme Corinne Bouchoux. - La Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) va traiter également de la réutilisation des données publiques, qui constitue l'un des éléments très importants de la nouvelle économie que vous appelez de vos voeux. Or, le nombre de saisines de cette instance est passé de 6 500 en 2014 à 9 100 en 2017, et ce chiffre devrait être dépassé d'ici à la fin de l'année. Le peu d'argent qui restait a été employé à sécuriser le site Internet devenu obsolète. Comptez-vous obtenir auprès du Premier ministre que les délais de traitement des demandes, qui sont passés de trente-six à soixante-dix-huit jours et suscitent d'ores et déjà l'impatience légitime des usagers, ne s'allongent pas encore ? Alors que les demandes d'utilisation des données s'accroissent de manière sensible, comment comptez-vous aider la CADA pour qu'elle puisse assumer sa mission et favoriser l'émergence de l'Open data ?
Mme Françoise Laborde. - J'ai pu consulter, sur votre site, votre lettre de mission que vous venez de nous retracer. La Conférence nationale des territoires a déjà apporté quelques réponses à la demande légitime en faveur de la connectivité généralisée. Avec la fibre, il me semble difficile de respecter les échéances de 2020 et de 2022 qui ont été annoncées. Le satellite fournirait une technologie certainement plus rapide pour y parvenir et il me paraît intéressant de l'aborder. Par ailleurs, la question de l'éthique des technologies est vaste et peut inclure jusqu'à des actes de terrorisme et de cyberattaque de grande ampleur. Comment peut-on gérer une telle menace ? Je m'interroge enfin sur le devenir de notre administration puisque, si l'on va de plus en plus vers le numérique, le nombre des difficultés liées à la CNIL augmente. Vous avez insisté sur la transversalité avec les différents ministères : j'espère que vous serez précis conformément aux exigences mentionnées par votre lettre de mission. En effet, à en juger par l'ensemble des auditions ministérielles auxquelles nous avons procédé depuis le début de cette législature, chaque département ministériel entend faire oeuvre de transversalité. Or, il faut s'assurer que cette transversalité affichée ne conduise les ministères à se défausser les uns sur les autres, lorsqu'il leur faudra assumer leurs responsabilités.
M. Guy-Dominique Kennel. - Vous avez effectué récemment un déplacement en Estonie autour du thème de la dématérialisation administrative, mais vous auriez également pu vous rendre dans le département du Bas-Rhin, que j'ai eu l'honneur de présider, pour étudier l'aménagement numérique du territoire. En 2008, j'ai lancé le projet numérique « innovation pour l'autonomie », qui était destiné aux personnes âgées, qui se déclinait en trois axes : former à l'utilisation des réseaux ou de l'informatique, développer la domotique pour sécuriser le maintien à domicile - ce qui a conduit au développement, dans notre département, d'une centaine de produits commercialisés à cette fin - et numériser le suivi médico-social, via notamment l'introduction d'un dossier médical partagé ; démarche qui a notamment permis à la Sécurité sociale de réaliser de réelles économies. J'ajouterai une dernière illustration : l'infirmière, avant d'effectuer sa tournée matinale, est en mesure de prioriser ses visites en fonction de l'état de ses patients avec lesquels elle peut correspondre en ligne. Les départements du Bas et du Haut-Rhin, en partenariat avec la région Alsace, se sont lancés dans la mise en oeuvre du numérique qui passe par la fibre à domicile. Nous serons ainsi en mesure d'honorer l'échéance de 2020. Vous êtes donc le bienvenu en Alsace pour vous rendre compte de notre expérience dans ce secteur d'avenir !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Monsieur le ministre, le hasard du calendrier a fait que ce matin un groupe de travail issu de notre commission a présenté à la presse un rapport sur la culture et le handicap. Nous avons conclu qu'il fallait gagner en lisibilité et surtout en transversalité en matière de politiques publiques. Quelles sont les actions spécifiques de votre feuille de route, ou figurant dans votre lettre de mission, plus spécifiquement destinées à éviter que le numérique n'aggrave les situations d'isolement des personnes en situation de faiblesse ou de handicap déjà constatées ? Des actions spécifiques pourraient-elles, le cas échéant, se corréler avec les préconisations que nous avons exposées ce matin ? Dans l'hypothèse où cette question relèverait de votre compétence ministérielle, nous aurions souhaité obtenir des informations sur l'intelligence artificielle aux conséquences immenses sur l'innovation et sur l'organisation sociale. Des fonds ont d'ailleurs été mobilisés pour créer un consortium public-privé dans ce secteur.
M. Philippe Bonnecarrère. - Comment comptez-vous oeuvrer pour assurer la couverture aux échéances de 2020 et de 2022 ? Nous avons, comme parlementaires, été destinataires d'une lettre de l'opérateur SFR-Altice nous enjoignant de le laisser oeuvrer, en l'absence d'une action concrète de l'État. À ma grande surprise, notre collègue Michel Pélieu, président du Conseil départemental des Hautes-Pyrénées, a confirmé que d'autres opérateurs, comme Orange, auraient assuré par eux-mêmes la couverture, sans que son Conseil départemental n'ait eu à engager les fonds, de l'ordre 230 millions d'euros, estimés nécessaires. Inutile de vous dire que dans le Bas-Rhin, le Calvados, l'Aveyron ou le Tarn, ce genre d'affirmation nous laisse pantois ! Nous aimerions aussi comprendre le jeu des acteurs !
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Moi aussi !
M. Philippe Bonnecarrère. - Et surtout connaître un minimum d'équité sur le territoire national. Ou alors, on se laisse gouverner par le hasard. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner votre vision des choses ?
Mme Sylvie Robert. - Mon collègue Loïc Hervé vous a posé la question du devenir de la CNIL. Comment l'envisagez-vous, au-delà de la transmission du règlement européen, à la fois dans son contenu et ses prérogatives, notamment en matière de sanctions ? Par ailleurs, j'évoquerai la question de l'optimisation fiscale qui est notamment celle de l'opérateur Google. Nous avons parlé à maintes reprises des GAFA lors de notre audition de Mme Françoise Nyssen. Où en est-on sur cette question ? Enfin, s'agissant des droits d'auteur et des droits voisins, quelle est votre ambition sur ces thématiques, pour nous, récurrentes ?
M. Jean-Léonce Dupont. - Je suis très fier d'être encore président du Conseil départemental du Calvados, qui a joué un rôle pionnier dans le domaine du numérique, et je rejoins les propos tenus par mon collègue du Bas-Rhin. En effet, nous avons pris un certain nombre d'initiatives, que ce soit dans le domaine de l'accompagnement scolaire, avec les systèmes d'études à la disposition de tous les collégiens, dans celui de l'information géographique accessible à toutes les collectivités, la numérisation totale des dossiers d'allocations personnalisées d'autonomie (APA), ou encore la modernisation interne de l'ensemble de l'administration qui tend, effectivement, à devenir une e-administration. Nous souhaitions prolonger ces initiatives en déployant un réseau d'initiative publique, avec la fibre optique, pour couvrir l'ensemble du territoire départemental, y compris le rural profond. Vous n'êtes pas sans connaître l'histoire de ces réseaux d'initiative publique. Il avait été décidé que les opérateurs historiques préempteraient les réseaux dans certaines zones, tandis qu'il faudrait attendre pour les autres zones. Aussi, ils ont logiquement choisi les zones les plus urbaines et ont laissé de côté les territoires ruraux et semi-ruraux. Dans le Calvados, qui compte 660 000 habitants, l'opérateur historique a préempté l'agglomération de Caen et la ville de Lisieux intramuros, soit le tiers de la population départementale. Nous avons donc, très tôt, pris l'initiative du déploiement d'un réseau d'initiative publique pour couvrir l'ensemble du département en trois phases successives ; la première se terminant à la mi-2018 et couvrant 80 % de l'ensemble des foyers. Aujourd'hui, le Calvados est le troisième département le plus connecté, après Paris et les Hauts-de-Seine ; ce qui s'avère très satisfaisant pour un département à dominante rurale. Notre réseau est déployé et le jeu des opérateurs consiste à ne pas y venir. Ils faisaient pourtant partie de l'appel à concurrence et ont même cherché, une fois le réseau déployé, à nous imposer des conditions techniques aberrantes, au prétexte fallacieux que celui-ci n'était pas opérationnel. Cette stratégie me semble consister avant tout à attendre l'échec de ce réseau construit sur fonds publics pour le reprendre à bas prix. J'attends vraiment de vous une action extrêmement forte ; c'est vous dire la confiance que j'ai en vous ! Dans le département du Calvados, outre l'agglomération caennaise, une première initiative avait été prise, via l'intercommunalité de Coeur-Côte-Fleurie de Deauville-Trouville, en faveur de la fibre totale et pour laquelle je vous demande d'assurer le basculement total du fil cuivre sur la fibre afin d'obliger l'ensemble des opérateurs à y venir. Cela entraînerait une accélération de l'accès dans le cadre d'un modèle économique viable. Les déclarations de certains acteurs, rappelées par notre collègue Philippe Bonnecarrère, relèvent avant tout d'un positionnement marketing qui fait fi de la réalité et des déclarations récentes du Président de la République. Monsieur le ministre, vous pourriez déjà très fortement accélérer le nombre de personnes connectables, si vous étiez en mesure d'inciter gentiment les acteurs opérationnels à venir sur les réseaux d'initiative publique existants !
M. Jean-Pierre Leleux. - Lors du dernier Festival de Cannes durant lequel nous traitions avec notre présidente des problèmes de droits d'auteur liés à l'évolution numérique, une ancienne commissaire européenne a déclaré que le numérique avançait à grand pas, tandis que parlaient les politiques. Ses propos soulignaient alors le hiatus entre la vivacité du calendrier économique suivi par le secteur numérique et la lenteur effroyable des institutions et de la législation à en réguler le cours. Ce décalage va manifestement grandissant. Google vient d'être condamné à deux milliards d'euros d'amende par l'Europe, au terme d'une procédure longue de sept ans ! Entre ce qui avance dans la réalité et les pouvoirs publics qui essaient de suivre, la situation est irrattrapable. Face aux nouveaux acteurs du numérique, dont le mode de fonctionnement est anglo-saxon et les modèles de valeur ne sont pas les nôtres, la France dispose de réelles capacités et est en mesure de piloter des projets européens, forte de son influence. Mais comment pourrons-nous nous positionner, au niveau européen, de façon concurrentielle face aux opérateurs pour le moment américains et bientôt chinois ?
Mme Claudine Lepage. - Lors des dernières élections législatives, il était prévu que les Français puissent voter par Internet comme en 2012, au niveau national, et en 2003, au niveau local. Or, cela n'a pas été possible : d'une part, les tests sur la technologie utilisée n'ont pas été concluants et, d'autre part, un risque de piratage, forme de cybercriminalité, a été découvert. Ne pensez-vous pas que le vote par Internet permettrait d'augmenter la participation aux élections de nos compatriotes à l'étranger et en France ? Cette question concerne également le ministère de l'intérieur et celui des affaires étrangères, mais vous pourriez être moteur dans cette affaire.
Mme Dominique Gillot. - Je souhaiterais vous interroger sur la mise en oeuvre du décret d'application créant le Centre-relais téléphonique (CRT) conformément aux dispositions de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, qui va permettre aux personnes sourdes de disposer d'un meilleur accès téléphonique. Ce décret implique la réalisation d'un certain nombre d'actions concrètes, alors que les membres du Conseil national consultatif des personnes handicapées expriment leur impatience. La loi pour une République numérique prévoyait également la mise en accessibilité, pour les personnes handicapées, des services de communication au public pour tout type d'informations sous forme numérique. Sur ce point, qui nécessite de nombreuses mesures préalables, aucun décret n'a, pour le moment, été pris. En outre, lors des débats sur cette loi, nous étions parvenus à faire adopter l'exception « Text and Data Mining » (TDM), très attendue par la communauté universitaire et véritable sujet de souveraineté scientifique. Quel est ainsi le calendrier de parution du décret d'application de cette mesure ? Par ailleurs, je rejoins les propos de notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin sur l'accessibilité numérique des personnes en situation de handicap dans les domaines de la culture et de la citoyenneté. Enfin, quel est le devenir du rapport « France - intelligence artificielle : pour le développement des technologies d'intelligence artificielle », remis en mars dernier au Gouvernement qui préconisait, notamment, de dresser une cartographie des différents centres de recherche, afin de conforter les atouts de la France au niveau européen ?
Mme Maryvonne Blondin. - Je souhaite également vous interroger au sujet de la loi pour une République numérique et plus précisément sur son article 69, qui prévoyait la mise en place de stratégies de développement des usages et des services numériques. Alors que l'Agence du numérique devait établir un cadre et créer une plateforme numérique, où en sommes-nous aujourd'hui ?
Allez-vous continuer à soutenir et développer les Métropoles French Tech qui ont été mises en place ?
Si les zones de montagne ont été évoquées par mes collègues, je souhaite, en tant que sénatrice du Finistère, citer les îles où le numérique est également un sujet important. Alors que les collectivités locales investissent énormément, notamment dans mon département, certaines difficultés subsistent pour connecter l'ensemble des habitants de ces territoires isolés.
M. Jean-Claude Luche. - Dans un département comme l'Aveyron, dont j'étais président jusqu'il y a encore quelques semaines, les chefs d'entreprises subissent une double peine : leurs entreprises accèdent au très haut-débit entre trois et six ans après leurs concurrents et lorsqu'ils obtiennent cet accès, ils doivent le financer au travers de l'imposition locale.
Dans mon département, un syndicat mixte dédié à cette problématique a été créé. Il rassemble le Conseil départemental, le Conseil régional et des communautés de communes qui y reversent l'équivalent de 10 euros par habitant, tous les ans, pendant quinze ans. Cet effort est considérable compte tenu des moyens présents et à venir de nos collectivités. La mise en oeuvre du numérique passe par la réalisation de l'investissement autant que par l'animation des réseaux. Or, si le syndicat mixte prend en charge ce premier aspect, nous avons en revanche beaucoup de difficultés à mobiliser les opérateurs sur le second, comme le soulignaient Jean-Léonce Dupont et Philippe Bonnecarrère. Un département comme le mien n'est pas rentable pour eux et il faut taper très fort sur la table pour se faire entendre. Vous êtes le seul interlocuteur à qui nous pouvons nous en remettre.
Le Président de la République et le Gouvernement ont affiché leur volonté mais pouvez-vous aujourd'hui nous apporter des précisions sur le calendrier des mois à venir afin que nous puissions relayer cette information au sein de nos territoires auprès des citoyens qui nous sollicitent. La place du Capitole de Toulouse est connectée, la place de la Comédie à Montpellier est connectée, les Champs-Élysées sont connectés, mais quid de nos campagnes ? On n'y voit la connexion que de très loin et ce manque vient s'ajouter à d'autres car, souvent, nous ne disposons pas non-plus du TGV ou d'aéroports...
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Vous avez souligné que les usages n'avaient pas été traités pendant le quinquennat précédent. Il est vrai que la loi pour une République numérique a fixé un cadre et une incitation à l'ensemble des acteurs, quelle que soit leur activité. La question de la stratégie pour une souveraineté numérique est également, de mon point de vue, un préalable nécessaire.
Si vous avez bien évoqué la souveraineté, je constate que vous ne l'avez fait que sous l'angle de la cybersécurité. La souveraineté n'est pas synonyme de repli sur soi ou de protectionnisme. Cela n'a rien de ringard ou de conservateur et correspond à la volonté de se lancer dans la mutation numérique pour en faire un outil de progrès. La souveraineté pose la question de savoir comment maitriser cet outil, afin de ne pas devenir une « colonie européenne du numérique », pour faire référence au titre d'un rapport dont j'ai été à l'origine en 2013. Quelle est votre vision à cet égard ? Sommes-nous dans une stratégie offensive et volontariste afin de maitriser notre propre destin ? Serez-vous le CTO (Chief Technology Officer ou Directeur de la technologie) du Premier ministre, à la manière de ce qui s'est passé aux États-Unis ? Le Président Obama avait perçu le numérique comme un enjeu stratégique transversal et politique essentiel au point d'avoir nommé une personne à ce poste. Au-delà de la cybersécurité, avez-vous les moyens de développer notre souveraineté au travers d'une politique industrielle offensive ? Alors que nous devrions être en train d'ancrer une industrie numérique en Europe, nos startups sont, au contraire, rachetées par les géants américains. Nous ne possédons qu'une « licorne » : BlaBlaCar. Cette hémorragie des talents est dommageable car nous en possédons véritablement en France. Les grandes nations qui possèdent une industrie technologique l'ont obtenue grâce à des politiques volontaristes. Ces politiques emportent certes des enjeux de fiscalité mais la souveraineté ne s'y résume pas ; elle est aussi en lien avec les problématiques de protection des données ou de politique industrielle offensive, par exemple. Je regrette également certains abandons de souveraineté intervenus ces derniers mois. Ils ont consisté, pour le ministère de l'Éducation nationale, à contracter avec Microsoft sans réel appel d'offre, ou, pour certains autres ministères, à faire de même avec des Cisco ou autres Palantir dont on sait qu'ils ont été « filiales » de la National Security Agency (NSA). Comment donc éviter cette porosité, qui devient assez insupportable, avec des géants extra-européens comme Google qui exerce un lobby intense à l'échelle nationale et européenne ? Nous sommes naïfs car nous nous livrons pieds et mains liés et ne serons jamais maître de notre destin dans ces conditions !
Cette question est essentielle. Nous sommes peut-être à un tournant car votre prise de fonctions et votre rattachement au Premier ministre représentent sans doute une vraie opportunité d'avoir enfin une politique volontariste. Comme l'évoquait Jean-Pierre Leleux au sujet de la condamnation de Google, la commissaire européenne en charge du dossier a fait preuve de courage et il est important de la soutenir.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Je commencerai par la couverture numérique du territoire et les annonces que nous avons faites sur le sujet avec messieurs les ministres Mézard, Denormandie et Griveaux. La situation est celle que vous avez rappelée. En matière de couverture très haut débit, il existe trois types de zones aux problématiques distinctes : les zones très denses, les zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement dites zones « AMII » et les zones correspondant à des réseaux d'initiative publiques, dites zones « RIP ». En parallèle se pose la question de la couverture mobile du territoire qui se partage en zones blanches, en zones grises et en zones gris-foncé, ces dernières correspondent à des zones déployées, mais où la « connectivité data » est trop faible.
Notre première démarche a été d'établir une cartographie des acteurs. Ils comprennent nos grands opérateurs historiques et les opérateurs nouveaux qui interviennent sur les RIP et sont de différentes natures : financeurs, déployeurs, opérateurs. Ils comptent également les collectivités territoriales, qui se scindent en plusieurs catégories : celles qui ont déjà investi, celles qui ont des projets, celles qui n'en ont pas les moyens, et celles qui n'en ont pas envie. Ces dernières sont peu nombreuses car les projets sont suffisamment matures et peu n'ont pas déjà démarré. D'autres acteurs publics sont également présents : ils comptent le secrétariat d'État au numérique, le ministère de la cohésion des territoires et le Plan France Très Haut Débit auquel nous avons présenté les objectifs d'une couverture haut et très haut débit d'ici 2020 et d'une couverture très haut débit d'ici 2022. Nous leur avons demandé comment faire, qui paie et quelle est la faisabilité industrielle et technique de ces objectifs. Cette démarche est accompagnée de l'intention de ne pas bouleverser le marché. Il ne s'agit pas de percevoir en un acteur comme la solution définitive. Notre philosophie générale est comparable à de la broderie fine : nous cherchons des solutions particulières afin de résoudre l'équation sur chacun des trois types de zones, en fonction du contexte géographique et de l'état de déploiement du réseau, afin de pouvoir tenir nos objectifs annoncés pour 2020 et 2022.
Mon agenda officiel pour la journée d'hier a consisté en des réunions avec le président de la Fédération française des Télécoms, avec Xavier Niel, avec Stéphane Richard. Julien Denormandie va également tous les rencontrer individuellement car il s'agit des grands acteurs du secteur. Nous allons en outre rencontrer les petits et moyens acteurs du secteur que nous avions reçus collectivement il y quelques semaines. Nous avons demandé à chacun de nous remettre des propositions engagées et créatives, nouvelles mais équilibrées, afin d'obtenir leur point de vue sur leur place d'acteur du numérique et les éléments qu'ils avaient à apporter. Certains ont répondu rapidement et publiquement à cette demande, d'autres ont besoin de plus de temps et ont souhaité répondre avant la fin du mois de juillet. Enfin, certains autres se sont mobilisés et ont demandé de pouvoir rendre une réponse en deux temps en traitant d'abord les moyens à disposition puis les solutions à des échelles géographiques précises. Nous avons, avec le ministère de la cohésion des territoires, souhaité trouver un équilibre. N'ayez donc pas la peur d'un éventuel « grand soir », d'une volonté de mettre à terre les RIP, ou de transformer la philosophie des zones AMII, ni de casser ce qui fonctionne correctement dans les zones denses.
Il existe néanmoins des sujets. Vous abordiez celui des offres proposées à travers les réseaux. Rappelons que, dans les zones RIP, le réseau est loué contre un droit d'utilisation à des opérateurs over-the-top (OTT) qui y fournissent leurs propres services. Si le droit d'utilisation est répercuté sur le consommateur, il représente un coût d'entrée sur un nouveau réseau pour les opérateurs. Ces coûts d'interconnexion ne sont d'ailleurs pas forcément très élevés. Vous décriviez d'ailleurs le cas de certains opérateurs qui ont été des candidats au RIP et qui en ont été évincés.
Notre objectif est ici de recréer une ambition commune pour tous ces acteurs afin que tous obtiennent satisfaction : que les opérateurs aient des déploiements industriels qui leur permettent d'amortir leurs investissements, que chacun des acteurs puisse continuer à déployer son activité et, c'est là le principal, que les citoyens disposent in fine d'une connectivité Internet. Nous avons décidé de travailler sur ce sujet au mois d'août, sur la base des propositions rendues avant la fin du mois de juillet, afin d'établir des propositions et recommandations mi-septembre. Les administrations concernées, CNIL et ARCEP travaillent ensemble afin de trouver des solutions.
Le réseau mobile va jouer un rôle important dans l'atteinte des objectifs fixés, puisqu'il permettra en partie d'atteindre l'ambition de 2020 dans l'attente de la réalisation des projets de 2022. Les Français auront, au cours de ce quinquennat, à constater de véritables changements sur la couverture territoriale et celle des foyers car je souhaite réellement une couverture pour l'ensemble du territoire. La question qui demeure est de savoir quand y parvenir mais il n'existe aucun territoire qui ne mérite pas cet accès. Il faudra dès 2020 s'engager fermement sur ce critère-là. J'ai, à ce titre, été particulièrement exigeant avec les opérateurs qui m'ont offert une véritable écoute. Lorsque l'on invite à la créativité, la parole se libère et il est possible d'écouter les demandes de chacun. Nous avons cartographiés les acteurs en indiquant l'état de leurs relations, ainsi que leur historique. Nous souhaitons maintenant y apporter un nouveau chapitre, car la problématique de la couverture nationale du territoire était une des priorités de notre campagne et il s'agit naturellement aujourd'hui d'une priorité du Gouvernement.
J'aborde maintenant la problématique de la fiscalité et de la loyauté des plateformes et des grands acteurs internationaux du numérique qui opèrent en France et en Europe. Je précise que je ne me prononcerai pas sur la situation des Google en France qui concerne en premier lieu la justice et l'administration fiscale. Plusieurs annonces ont été faites à ce sujet et des éléments d'envergure européenne étaient contenus dans la loi pour une République numérique. Nous avons été particulièrement clairs sur le sujet de la fiscalité lors de la campagne présidentielle et le serons encore plus dans les semaines à venir. La France veut prendre les devants. Nous allons continuer de collaborer avec l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ainsi qu'avec la Commission européenne sur les projets déjà lancés. En lien avec les autres acteurs européens, nous voulons proposer des expérimentations nouvelles, afin de de faire évoluer la fiscalité qui s'applique à ces acteurs. Cette nouvelle fiscalité devrait permettre d'aboutir à une compréhension commune de la valeur créée sur le territoire national et européen et sur une taxation compréhensible par le citoyen. Les choses ont changé depuis cinq ans car les citoyens, en France comme en Allemagne, ont compris qu'existe un problème et leur prise de conscience est un préalable à la mobilisation des parties prenantes. Les citoyens aiment les services proposés par ces grands groupes sinon ils ne les utiliseraient pas autant tous les jours. Ils ont néanmoins compris l'existence d'enjeux autour de leurs données personnelles et de la fiscalité applicable à ces acteurs. Ces derniers ont intérêt à trouver des solutions à ces problèmes car ils disposent d'un marché qui les aime et les soutient, mais qui arrêtera peut-être de le faire dans le cas inverse. Il est donc nécessaire de stimuler la loyauté des plateformes au niveau européen pour éviter que les citoyens-consommateurs se tournent vers d'autres services. Pour cela, il faut une transparence de l'information afin qu'ils soient capables d'évaluer lesquelles de ces plateformes sont les plus loyales et les plus vertueuses en matière fiscale comme de gestion des données personnelles.
Les relations commerciales des plateformes avec les petits acteurs est un autre sujet d'actualité à la Commission européenne et au Conseil européen, qui travaillent à une régulation ad hoc. Aujourd'hui, une PME qui souhaite contester une clause du contrat qui la lie avec un de ces grands acteurs ne dispose d'aucun recours. La France, lors du dernier Conseil européen sur les télécoms, a proposé d'ouvrir plus largement la réglementation de ce marché inadapté. J'avais ainsi avancé l'idée d'une « soft incitation », au travers de la transparence de leurs modes d'action afin que les citoyens et les entreprises en prennent connaissance.
Le sujet du piratage et de l'Hadopi relève en premier lieu de la compétence du ministère de la culture. J'ai néanmoins des convictions et ai beaucoup échangé sur le sujet avec Françoise Nyssen. Ce sujet a également été largement débattu lors de la campagne au cours de laquelle j'étais responsable du numérique.
Le système en place est aujourd'hui arrivé à une phase de maturité qui doit nous inviter à se poser la question de son efficacité. Françoise Nyssen a, à ce titre, prévu d'établir un bilan de l'effectivité de la Hadopi. Un comparatif avec d'autres pays montre que d'autres solutions existent, permettant un meilleur équilibre entre l'incitation faite aux internautes et l'efficacité réelle sur les pratiques de streaming et de téléchargement. Ces solutions sont efficaces aujourd'hui contre le téléchargement de pair à pair, mais les pratiques ont tendance à muter en de nouvelles formes de streaming et de téléchargement direct, mettant en jeu d'autres types de plateformes illégales. Il faut donc mobiliser des moyens publics français et européens face à ces grandes plateformes, qui cachent souvent la même galaxie composée du téléchargement illégal, de la pornographie illégale et d'activités criminelles plus larges. Les enquêtes qui les visent doivent être mises en oeuvre de manière plus engagée au niveau européen, avec des équipes à la mesure de ces géants, disposant de compétences très avancées. La menace djihadiste pèse également sur le numérique et les moyens qu'elle mobilise explique le manque relatif de ressources consacrées à ces sujets. Le piratage doit maintenant s'entendre sous l'angle de ces nouveaux acteurs : l'adolescent qui télécharge n'est pas la principale menace. Il conviendra de trouver de nouveaux moyens intelligents, avec sa famille, pour le sanctionner et l'éduquer afin de modifier son comportement mais surtout de supprimer cette offre illégale massive et industrialisée.
Le pendant de ce problème est la promotion de l'offre légale. Contrairement à il y a dix ans, il existe aujourd'hui une offre légale de bonne qualité. Si l'État peut les y inciter, il faudra que ces acteurs fassent oeuvre de pédagogie et travaillent à l'accessibilité de leur offre.
Les sujets relatifs à la CNIL et à la CADA relèvent plus de la compétence de la ministre de la justice. Nous sommes d'ailleurs en train d'y travailler avec Mme Belloubet. Je vous demande de nous laisser encore un peu de temps pour avancer sur ce sujet commun et revenir vers vous durant l'été.
En ce qui concerne la loi pour une République numérique, les sujets de l'accessibilité téléphonique et du CRT sont maintenant en « phase 2 » et nécessitent une mise en oeuvre opérationnelle que l'État doit animer. Le premier décret d'application a été pris. Il décrit les compétences nécessaires aux personnes souhaitant assurer le service. Comme pour la couverture nationale du territoire, se pose maintenant la nécessité d'un engagement positivo-coercitif à avoir vis-à-vis des acteurs chargés de porter le sujet et qui vont devoir faire face à des dépenses. Mais ne doutez pas de la motivation du Gouvernement. La question qui se pose encore n'est pas celle de savoir si cela va aboutir mais quand et comment cela va aboutir, avec quels moyens et quelle organisation. Je pourrai être plus précis lorsque les acteurs auront pris des engagements, comme je les ai invités à le faire. On conçoit aisément que ceux à qui on demande de payer un service nouveau expliquent que ce n'est industriellement pas faisable.
Mme Dominique Gillot. - Ils le disaient déjà avant la loi mais ont été convaincus que ça n'allait rien leur coûter voire même leur rapporter grâce à des usagers supplémentaires, car les sourds ne vont pas se parler qu'entre eux, mais également avec des personnes entendantes, ce qui multipliera le nombre de communications.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Je suis un soutien historique des mesures de cette loi auxquelles vous faites référence. Elles vont prendre forme et nous savons qui paiera ; je ne peux en revanche pas vous dire quand cela arrivera.
Le discours de politique générale du Premier ministre a fait référence à l'intelligence artificielle. Grâce au projet porté par Axelle Lemaire à la fin du quinquennat précédent et au rapport du Sénat sur le sujet, nous commençons à avoir une bonne vision des capacités de la France. Elles concernent aussi bien la recherche que les startups ou grands acteurs français de ce secteur que le potentiel économique de certains secteurs. Il manque aujourd'hui une réflexion plus poussée sur l'enjeu éthique et sur ce que pourrait être une véritable stratégie française pour l'intelligence artificielle. C'est dans ce but que m'a été confiée une mission au cours des trois prochains mois, à la suite du discours de politique générale du Premier ministre. J'annoncerai dans les jours ou les semaines à venir le nom du porteur de cette mission. Il devra réunir des experts de différentes disciplines économiques ou scientifiques, sciences humaines comprises, pour se poser toutes les questions soulevées à l'occasion des précédents plans et rapports, afin de construire la stratégie française pour les années à venir. Ce groupement devra apporter une conclusion au cycle connu ces trois dernières années. Je porterai cette conclusion avec le Premier ministre et elle sera présentée au Président de la République et au Parlement.
La souveraineté est un sujet important. Vous avez parlé de la dépendance technologique aux grands acteurs. Ce problème ne concerne pas que les grandes plateformes précédemment évoquées, mais également les constructeurs de matériel informatique hardware. Nous manquons aujourd'hui de références européennes sur des équipements stratégiques pour l'État et ses grands opérateurs. Pour certains éléments, il n'existe même aucune référence européenne. Il est donc nécessaire de relancer une industrie compétitive sur les socles technologiques avancés sur la transmission de données comme leur hébergement, ainsi que sur les équipements stratégiques mobiles ou en lien avec le réseau fixe.
La protection des données par les grandes plateformes est en lien avec le free flow of data et le Privacy shield. Ces deux sujets ont fait s'interroger sur la question de savoir si un État est plus souverain lorsqu'il stocke ses données sur son territoire national ou s'il l'est moins s'il ne les maîtrise plus. Lorsque des données sont conservées sur le sol d'un pays comme les États-Unis, il existe certes une relation de confiance mais que on n'a pas envie de leur confier des données relatives à certains services. Le problème se pose dans les deux sens puisque l'Europe et la France hébergent de nombreuses données américaines. Le Privacy shield permet que des services commerciaux opèrent de part et d'autre de l'Atlantique avec des conditions et des garanties de sécurité offertes par les deux parties et la possibilité de vérifier la protection de ces données, que les services de renseignement n'y ont pas aisément accès et qu'il existe bien une capacité de contrôle. La demande de la France à la Commission européenne dans le cadre des discussions portant sur le Privacy shield va dans le sens de la défense de notre souveraineté, puisque nous souhaitons pouvoir exiger de nos contreparties étrangères qu'elles mettent bien en place les systèmes de protection annoncés.
Cette position amène à s'interroger sur la capacité de la France et de l'Europe à héberger leurs propres données relatives aux sujets les plus stratégiques et à opérer depuis l'Europe des grands services dans le cloud, car des incapacités technologiques font parfois obstacle à ce que des entreprises ou des administrations françaises puissent délivrer certains services.
Comme vous le souligniez, madame la présidente, les acteurs jouent un rôle important en ce qui concerne la souveraineté. Il est donc nécessaire de compter sur une bonne filière industrielle vivante, c'est-à-dire d'acteurs capables de grands investissements pour proposer de vraies innovations, mais aussi d'acteurs plus modestes qui se créent, se développent, parfois meurent, mais avancent. L'existence de ces deux types d'acteurs est nécessaire, comme le fait qu'ils travaillent ensemble. Il existe actuellement des « trous » dans nos filières numériques, en matière de hardware, de cloud ou de cybersécurité. Nous avons dans ce dernier domaine la possibilité de devenir un champion mondial. C'est également le cas pour le numérique de l'environnement, comme pour certains autres sous marchés numériques. Il faut donc que nous nous y engagions. Les conditions sont particulièrement réunies pour la cybersécurité : il est possible de faire émerger une véritable maîtrise nationale et européenne dans ce domaine. Nous disposons en effet d'acteurs de toutes les tailles, d'un marché intérieur qui se développe ainsi que d'un État qui possède une expertise et qui est acheteur de solutions. Certains pays souhaitent aujourd'hui pouvoir bénéficier de l'offre française comme alternative aux offres fournies par les autres leaders de la cybersécurité. La défense de notre propre souveraineté peut donc se transformer en atout commercial pour l'exportation vers des pays qui ont une confiance absolue dans notre industrie.
En réponse à la question de Madame Lepage, je vous indique que le vote électronique constitue un bon exemple pour aborder la vision et la stratégie de l'État-plateforme, car il en concentre les questions les plus complexes que sont la confiance, l'identité et la démocratie. L'État-plateforme correspond aux éléments numériques que l'État doit fournir pour pouvoir assurer toutes ses missions. Un de ses enjeux porte sur la possibilité identifier les citoyens de manière fiable. Face à un service et en fonction de son importance et de son caractère sensible, il est nécessaire d'authentifier l'usager de manière sécurisée. Aujourd'hui FranceConnect fournit une authentification donnant accès des services sans niveau haut de sécurité puisqu'en lien avec des informations qui ne sont pas particulièrement sensibles pour l'État comme pour l'usager. Le problème est différent pour le vote car il serait très déplaisant que quelqu'un puisse voter à la place d'un autre.
En outre, les pays qui ont mis en place un système de vote à distance font face à des doutes et des rumeurs sur une éventuelle capacité à modifier les informations stockées relatives aux suffrages exprimés. Le problème de la confiance se cristallise sur le vote électronique car le vote est depuis toujours un sujet de défiance. C'est la raison pour laquelle l'usage d'une urne transparente et de procédures ad hoc sont apparus nécessaires. Si elles paraissent désuètes aux plus jeunes, elles font néanmoins partie du charme de l'élection pour les élus locaux que nous sommes. L'absence de ce charme dans les villes où le vote est électronique crée un peu de déception à obtenir si rapidement le résultat du scrutin. C'est encore plus décevant lorsque l'on vote depuis son ordinateur puisque le résultat sera encore plus rapide. Sur des votes moins sensibles, par ailleurs bons lieux de test, comme les élections professionnelles, on passe par des tiers de confiance, en l'occurrence l'entreprise. Elle va être le garant du processus de vote électronique.
Pour parvenir à mettre en oeuvre le vote électronique, il sera donc nécessaire d'avoir assumé la confiance et l'authentification. Cela prendra encore un peu de temps. Je propose, en attendant, que l'on identifie, au travers du vote des Français de l'étranger, les solutions possibles pour y parvenir. Ces solutions peuvent être une alternative à faire la queue devant un consulat qui peut parfois se situer à plusieurs centaines de kilomètres de son domicile. Un groupe de travail va être constitué sur le sujet mais nous disposons déjà d'éléments en lien avec le vote à distance ou la procuration qui demeure un mécanisme encore très compliqué pour les Français de l'étranger. La conjonction de sa simplification avec les moyens du numérique permettrait d'arriver à des évolutions avant d'avoir à s'attaquer aux deux éléments complexes déjà cités que sont la confiance dans le stockage d'une information liée à la démocratie et l'authentification forte. Il est nécessaire de concilier solutions immédiate et construction sur le long terme.
Certes, des scrutins par Internet ont déjà eu lieu en 2012 pour les élections législatives. Mais, à l'époque, le système n'avait pas été audité par les services de sécurité français. Or la menace a évolué depuis et nous avons des ennemis qui sont organisés et bénéficient de plus de moyens humains, financiers et technologiques. Nous disposons de notre côté de compétences pour protéger nos systèmes mais ces mêmes compétences nous permettent de constater que ces dispositifs ne sont pour le moment pas encore à la hauteur des enjeux.
J'entends les différentes invitations qui m'ont été faites dans vos territoires respectifs. Comptez sur moi pour les honorer car je prévois plus de déplacements au sein des territoires qu'à l'étranger. Je serai dans la Creuse puis à Marseille au mois d'août avant de me déplacer en Ile-de-France au mois de septembre. La campagne présidentielle m'a donné la chance d'effectuer un tour de France des sujets du numérique au cours duquel j'ai pu animer des réunions publiques en milieu rural qui réunissaient moins d'une dizaine de personnes. Cela n'avait pas d'importance car elles étaient l'opportunité de parler avec plaisir de ces sujets.
Mon cabinet est toujours à votre disposition. Les nouveaux députés nous adressent d'ores et déjà directement leurs questions et nous répondrons toujours également aux vôtres.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous espérons que vous nous répondrez car des questions écrites ont été adressées par milliers sans recevoir de réponse lors du précédent quinquennat. Le président Larcher en a fait état devant le secrétaire d'État en charge des relations avec le Parlement dès la première Conférence des présidents. Nous prenons donc acte de votre engagement.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Néanmoins, ma réponse pourra parfois consister à vous dire que je ne peux pas vous donner immédiatement d'informations ou que je n'en dispose pas.
M. Jean-Léonce Dupont. - Et en ce qui concerne le basculement du réseau de fils de cuivre vers celui de la fibre optique, jouerez-vous le jeu ?
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Vous parlez de l'acte « autoritaire » que vous me demandez de prendre vis-à-vis des opérateurs privés en leur demandant d'abandonner le réseau cuivre au profit de la fibre ? Ma relation avec les opérateurs ressemble au fait de « jouer le jeu ». Mais il faut accepter qu'il n'est plus possible pour l'État de prendre son téléphone pour demander à un opérateur de « couper les fils ». Il existe d'autres solutions plus engageantes. Si, à terme, la fibre a vocation à remplacer le cuivre, il ne faut pas oublier que le réseau cuivré est pour l'heure utilisé par certains avec du matériel et des tarifs spécifiques. Ces réseaux sont certes hyper amortis et auraient pu monter en débit plus tôt, mais il ne faut pas oublier le citoyen qui les utilise lorsqu'on veut les supprimer.
M. Jean-Léonce Dupont. - Mais qu'est ce qui motivera alors les opérateurs à passer à la fibre ?
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Je suis pour le développement et faire que les réseaux RIP fonctionnent, mais jamais en obligeant des citoyens. On ne peut pas leur demander immédiatement de s'abonner à un réseau fibre. La question de la transition est centrale dans le passage d'un réseau cuivré à un réseau de fibre optique. Ce n'est pas à l'État ou aux collectivités locales de les forcer à le faire.
M. Jean-Léonce Dupont. - Je vous invite à procéder à une expérience qui viserait à couper le réseau cuivré sur un petit territoire. Elle pourrait montrer qu'une transition est possible.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Je suis prêt à tout et ai demandé aux opérateurs d'être créatifs, mais aucune collectivité ne m'a pour le moment demandé de couper son réseau !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - En ce qui concerne la souveraineté, je partage votre idée selon laquelle nous avons besoin d'investir dans le hardware car nous sommes faibles au niveau des OTT et des équipements. Cela signifie également que des règles de concurrence sont nécessaires au niveau européen afin de favoriser nos acteurs et l'émergence de champions européens, à la manière de ce qu'ont fait les États-Unis à partir des années quatre-vingt-dix. Il n'y a pas une technologie clé du numérique dans laquelle ils n'aient investi. Il faudra, je pense, en passer par là aussi.
En ce qui concerne la protection des données, nous sommes toujours dans une asymétrie de législation qui nous laisse en position de faiblesse. Les Allemands ne s'y sont pas trompés et Angela Merkel a été extrêmement offensive sur cette question, à la différence de François Hollande, afin d'exiger que certaines données soient stockées sur le sol européen. Cette asymétrie reste une faiblesse en dépit des garanties que vous souhaitez nous apporter. Il est nécessaire que nous pesions dans les instances mondiales de gouvernance du numérique qui décident des standards et des protocoles. Cela nous permettrait de participer, d'une certaine manière, à la définition de ce que sera la protection de nos données, ce qui serait rassurant.
De manière concrète, notre souci pendant l'examen de la loi pour une République numérique fut d'accompagner les collectivités territoriales pour se lancer dans l'ouverture des données. La question a été de savoir comment ouvrir les données, avec qui, à quel moment et à qui confier un service public pour leur exploitation. Ce sujet mériterait d'être inscrit à l'agenda des ateliers de la Conférence nationale des territoires car il est en lien avec des enjeux de souveraineté. Il y a quelques années, nous nous étions posés la question des logiciels libres, comme doit s'en souvenir Corinne Bouchoux, et de savoir quelle était l'opportunité de leur utilisation. Quid de l'incitation à utiliser au sein de l'ensemble des ministères des moteurs de recherche vertueux et respectueux des données ? Certains se sont lancés et nous les avons assistés lors du précédent quinquennat. Nous comptons sur vous pour aller dans ce sens.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Je n'ai pas abordé la question de notre méthode de travail avec les collectivités mais je tiens à préciser qu'une de mes premières décisions a été d'instaurer un ministère ouvert ou « open-ministère ». Le rez-de-chaussée de l'hôtel de Broglie qui accueille nos locaux a été ouvert aux startups d'État et aux collectivités territoriales qui travaillent sur le numérique. Nous avons accueilli près de soixante acteurs, à la fois collectivités et associations, sur la médiation numérique, avec l'objectif de créer des ateliers ouverts sur le partage des meilleures pratiques. Il est intéressant de voir des associations parisiennes qui expliquent comment elles font face à la densité et au nombre à des associations polyvalentes venant de milieux ruraux qui, elles, montrent comment elles gèrent la multiplicité des sujets qui se présentent. Cette confrontation crée des liens très forts.
Au sein de mon administration, seules deux personnes travaillent aujourd'hui sur l'ouverture des données. C'est insuffisant et il faut que nous puissions physiquement réunir les meilleures pratiques plusieurs fois dans l'année afin que chacun partage les outils qu'il utilise et la façon de les utiliser. Il faut également que du personnel dédié de la Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (DINSIC) - qui ne s'occupent pour l'instant que des ministères - transmette ces meilleures pratiques aux collectivités territoriales. Cette méthode fait partie de ma philosophie de travail et de pensée. C'était le cas lorsque je dirigeais des entreprises et ça l'est toujours aujourd'hui alors que je suis à la tête d'une administration.
Notre administration compte une cinquantaine de designers et d'ingénieurs issus du marketing numérique qui ont pour métier des créer les nouveaux services publics en mode agile, en équipes de trois à quatre personnes. Ces « startupeurs d'État » créent par exemple de nouveaux modules pour la fiscalité, ainsi que des outils pour les collectivités ou les transports. Les rencontrer vous ferait percevoir différemment l'action centrale de l'État. Je vous y invite !
Je tenais à vous dire à quel point je suis agréablement surpris et heureux du niveau technique de discussion au sein de cette commission car le traitement du numérique par les deux assemblées n'a pas forcément bonne presse. Je sais que l'Assemblée nationale qui vient d'être renouvelée se pose la question de savoir comment traiter ce sujet. Je pense que vous vous l'êtes également posée et je suis heureux de voir que l'on a pu en discuter.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Le Sénat a été assez en avance sur la question du numérique. Le président Larcher l'a rappelé à l'occasion du sommet du Partenariat pour un gouvernement ouvert en décembre dernier. Il a d'ailleurs voulu que se constitue une agora numérique et celle-ci aura des suites. Nous avions d'ailleurs ouvert un espace numérique participatif à cette occasion. Sachez donc que notre commission va demeurer attentive à cette question avec la diversité des talents qui la composent. Nous aimerions, monsieur le ministre, vous revoir régulièrement pour établir des points d'étapes sur l'ensemble des sujets que nous avons évoqués.
Enfin, vous nous indiquiez que Mme Nyssen compte procéder une évaluation de la Hadopi et du piratage. Nous en avons déjà réalisé une, il est donc possible de s'appuyer sur les travaux conduits par Corinne Bouchoux et Loïc Hervé. Nous traiterons demain de la chronologie des médias, sujet qui a beaucoup évolué ces derniers temps et auquel vous avez fait référence en parlant de l'attractivité des contenus. Il existe de larges possibilités d'amélioration dans ce domaine sous condition que soit entreprise une juste lutte contre le piratage qui représente 1,3 milliard d'euros de manque à gagner par an pour le milieu culturel. Sans totem ni tabou, référence au titre du rapport de nos collègues, il est donc encore nécessaire d'aborder cette question.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Sur ce sujet comme sur les autres sujets liés au numérique, le Gouvernement ne parlera que d'une seule voix, qu'il s'agisse du ministère de la culture, de l'intérieur ou de la défense. Tout désaccord sera traité en interne et en amont. C'est d'autant plus garanti pour le ministère de la culture que le directeur de cabinet de la ministre actuelle était une des personnes responsables du programme concerné lors de la campagne présidentielle. Nous écrivions à quatre mains les réponses aux questionnaires sur la culture et le numérique qui nous étaient transmis par la presse ou des groupes d'intérêt. Nous avons donc eu un an pour nous mettre d'accord et toujours trouver une réponse commune. Nous continuerons à le faire. Il peut sembler facile de l'affirmer car ce Gouvernement n'a que deux mois d'existence, mais d'autres avaient déjà plus mal commencé. Autorisez-vous à être surpris par la capacité de ce Gouvernement à changer les méthodes de travail connues ces dernières années !
La réunion est close à 18 h 40.
Mercredi 26 juillet 2017
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Chronologie des médias - Communication
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Ces dernières semaines, notre commission a travaillé sur deux sujets de grande actualité : l'avenir des médias, au sein d'une mission d'information qu'elle a constituée et la chronologie des médias, question dont nous ont saisis les professionnels au Festival de Cannes, où nous étions avec Jean-Pierre Leleux et David Assouline. Il est trop tôt pour que la mission d'information sur l'avenir des médias présente des conclusions, ce travail reprendra en septembre, avec si nécessaire des auditions complémentaires. Quant à la chronologie des médias, l'économie numérique transforme profondément l'écosystème du secteur des médias, aussi bien l'audiovisuel que la radio et le cinéma. Les nouveaux usages, les nouveaux entrants, imposent de réfléchir à des adaptations.
Les différents acteurs ont répondu présents à la journée d'auditions que nous avons organisée le 12 juillet dernier. Face au blocage des négociations professionnelles et devant l'urgence à adapter la réglementation, ils attendent des pouvoirs publics qu'ils établissent un cadre juridique de nature à assurer le maintien de l'exception culturelle française dans le cinéma et à adapter le secteur aux nouveaux usages. Nous avons voulu présenter une synthèse avant l'été ; aux professionnels de réagir à ces propositions pour aboutir à un accord d'ici la fin de l'année 2017 ; à défaut, nous pourrions réfléchir à une action législative début 2018. J'ai relu les propos des intervenants du 12 juillet. Certains objectifs reviennent systématiquement : répondre à l'attente des publics, s'assurer de la lisibilité de l'offre, du suivi et de la disponibilité des oeuvres ; assurer le financement de la création ; inciter les nouveaux entrants à s'inscrire dans une logique vertueuse de participation au financement des films français ; soutenir une filière économique créatrice de richesses et d'emplois, car le cinéma recouvre bien des métiers différents ; maintenir et pérenniser les salles de cinéma dans leur rôle social et culturel de proximité et dans leur participation au préfinancement des films, aujourd'hui 400 millions d'euros par an.
Il en découle la nécessité de lutter contre le piratage, de récompenser les acteurs les plus vertueux en matière de financement - ceux qui investissent le plus - et de penser tout autant aux spectateurs qu'à la rentabilité de chacun des diffuseurs. Le 12 juillet, les attentes du public ont suscité peu de débats, les professionnels pensaient d'abord au devenir de leur entreprise, mais il nous revient de prendre en compte ces préoccupations, d'autant que le prix du billet, la contribution à l'audiovisuel public et les abonnements aux chaînes sont une source de financement pour la création.
La chronologie des médias est un modèle d'exploitation des oeuvres par les diffuseurs selon un calendrier correspondant au niveau d'investissement de chacun dans la création desdites oeuvres, chaque fenêtre de commercialisation disposant d'une durée d'exclusivité, garantie soit par la loi soit par accord professionnel étendu par arrêté. Trente-cinq catégories de professionnels ont trouvé un accord sur cette succession de séquences. Le système repose donc sur un principe de cohérence et de proportionnalité des différentes fenêtres d'exploitation par rapport au poids et aux obligations de chacun dans le préfinancement des oeuvres.
Le fondement même de la chronologie des médias est menacé, du fait de l'émergence de nouveaux acteurs et de l'évolution des pratiques. Les plateformes numériques comme Netflix ou Amazon occupent une place désormais majeure sur le marché, sans toujours se plier aux règles de la chronologie des médias ni aux obligations de financement de la création. Dans le même temps, des acteurs traditionnels, à l'instar de Canal+, se trouvent en grande difficulté, alors même que les préachats, notamment des chaînes payantes, sont au coeur du financement des films. Conformément à ses obligations, Canal+ a préacheté 107 films en 2016, pour 141,7 millions d'euros. Toutefois, cet investissement étant directement corrélé au chiffre d'affaires de la chaîne, dont il doit représenter 12,5 %, toute diminution de ce dernier entraîne un moindre transfert vers l'industrie cinématographique.
Les chaînes de télévision en clair estiment, pour leur part, perdre de l'argent du fait d'un retour insuffisant sur leur investissement en faveur du cinéma.
Les opérateurs de la filière cinématographique et les consommateurs désirent un accès plus rapide aux films, et la continuité de l'offre. Pour autant, les échanges menés par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) n'ont pu aboutir compte tenu des exigences de certains acteurs, qui souhaitent améliorer leur position concurrentielle sans nécessairement accepter en retour des évolutions de leurs propres avantages.
Le Parlement, garant de l'intérêt général, y compris dans le secteur de la création cinématographique, se doit de proposer des pistes d'évolution équilibrées, acceptables pour tous les acteurs et porteuses de perspectives pour les nouveaux usages.
Alors qu'un accord professionnel favorise le point de vue des différents acteurs de la filière, l'intervention du législateur, si elle se confirme, pourra privilégier des objectifs plus larges, comme un meilleur accès aux oeuvres pour le public et une valorisation des nouveaux usages...
La directive du 30 juin 1997 prévoit que « la question des délais spécifiques à chaque type d'exploitation télévisée des oeuvres cinématographiques doit, en premier lieu, faire l'objet d'accords entre les parties intéressées ou les milieux professionnels concernés ».
Cette priorité donnée à l'accord professionnel exclut-elle l'intervention du législateur ? La loi Hadopi a déjà fixé en 2009 les délais applicables à la vidéo physique et à la vidéo à l'acte, donc celui applicable à la salle. La compétence sur la chronologie des médias est déjà partagée entre la loi et l'accord professionnel. L'intervention du législateur sert aussi à suppléer l'absence d'accord. Sinon, comment modifier des règles dans le cas où les acteurs professionnels n'assumeraient pas leurs responsabilités ?
Le législateur pourrait inscrire dans la loi le principe d'une chronologie précoce pour les acteurs vertueux, afin d'encourager les acteurs établis en France qui contribuent à la création et de stimuler les nouveaux entrants. La loi pourrait traiter plus favorablement ceux qui respectent des critères déterminés, qui seraient fixés, comme les contreparties, dans un accord professionnel.
Parmi les opérateurs de service de vidéo à la demande (VàD) par abonnement, ceux qui investissent dans la création à travers un préfinancement significatif et qui acceptent de diffuser leurs films en salles pourraient bénéficier d'une fenêtre plus favorable que les 36 mois actuels. C'est une revendication importante, qui conditionne leurs projets d'investissement, et nous y sommes favorables.
Afin de débloquer la situation, nous pourrions proposer qu'en l'absence d'accord professionnel d'ici le 31 décembre 2017, une disposition législative soit mise en chantier dès début 2018, dans une proposition de loi ou un projet de loi, par exemple à l'occasion de la transposition de la directive service des médias audiovisuels (SMA) en droit interne. Les échanges du 12 juillet nous ont convaincu que la modernisation de la chronologie des médias dépend également d'avancées sur des sujets connexes, en particulier la lutte contre le piratage. Sinon, pour quelle raison les diffuseurs en clair prêteraient-ils leur concours à une telle réforme ? Il apparaît d'autant plus aisé d'avancer sur ces sujets qu'ils sont attachés à une époque révolue au regard de l'évolution des usages.
De nouvelles possibilités pourraient être ouvertes pour les chaînes en clair en contrepartie d'une pérennisation des engagements dans le financement du cinéma : exposer les films sur l'intégralité de l'offre, linéaire et télévision de rattrapage ; procéder à de multidiffusions ; exposer les films les jours interdits ; faire de la publicité pour le cinéma à la télévision ; instaurer une troisième coupure publicitaire dans les films de 1 heure 45 ou plus ; mutualiser l'obligation de préfinancement du cinéma au niveau d'un groupe.
Ces évolutions s'accompagneraient du renforcement de la lutte contre le piratage par la mise en place d'un marquage systématique des oeuvres. Des adaptations du dispositif Hadopi seraient en outre nécessaires. Dans le cadre de cette réforme globale, il apparaît utile d'ajuster plusieurs aspects de la chronologie des médias sans pour autant en remettre en cause les fondements.
Des « fenêtres glissantes » permettraient, si une oeuvre n'a trouvé aucun diffuseur sur une fenêtre, que les opérateurs de la fenêtre suivante soient autorisés à anticiper leur exploitation. Une telle mesure serait favorable à une meilleure exploitation des oeuvres, notamment celles, nombreuses, qui n'ont pas trouvé leur public en salle. L'essentiel de l'exploitation en salle a lieu dans les deux premiers mois suivant la sortie du film. Il n'y aurait donc guère de préjudice à avancer à trois mois, pour certains films, la fenêtre de la VàD à l'acte (location et achat), afin de permettre une continuité dans l'accès aux oeuvres et de valoriser par d'autres biais celles qui n'auraient pas eu en salle le succès escompté. En outre, un accès en VàD à trois mois pourrait favoriser l'offre légale : le piratage atteint des proportions considérables sur cette fenêtre. Toutefois, il conviendra de veiller à ce que ce délai de trois mois ne porte pas atteinte aux petites salles mono écran qui subsistent en dehors des métropoles. C'est pourquoi il est essentiel de préserver un délai plus long pour les films à succès qui peuvent être exploités plus longtemps.
Le dégel de la fenêtre VàD allongerait la durée de disposition des films sur les plateformes pour les spectateurs et favoriserait là encore les offres légales. La VàD retrouverait la situation des films en location en vidéoclubs, qui restaient disponibles pendant la fenêtre d'exploitation des chaînes de télévision.
L'avancement de la diffusion des films à six mois après leur sortie en salle (au lieu de dix mois) répondrait aux attentes des spectateurs, contribuerait à lutter contre le piratage et valoriserait les acteurs qui investissent le plus dans le financement du cinéma.
La détermination de la fenêtre dont pourraient bénéficier les plateformes vertueuses doit dépendre de la nature des engagements pris. Pourquoi ceux qui contribueraient autant que les chaînes payantes au financement des oeuvres ne se verraient-ils pas reconnaître des conditions comparables d'exploitation ?
La chronologie des médias est devenue rigide et obsolète au regard des nouveaux usages et des évolutions du secteur. Il faut l'adapter, mais aussi, j'y insiste, intensifier les efforts au niveau européen pour mettre un terme au désavantage concurrentiel dont souffrent les acteurs historiques par rapport aux plateformes extra-européennes.
Il n'est pas admissible que les nouveaux acteurs internationaux échappent aux règles qui s'imposent à tous, que ce soit en matière de fiscalité, de garanties apportées dans le traitement et la commercialisation des données, de garanties relatives aux droits d'auteur ou à la diversité culturelle. La directive SMA comprend des avancées, mais elles ne sont pas suffisantes.
Voilà quelques-unes des conclusions que nous pouvons tirer de notre journée d'auditions. Je vous propose de les présenter aux différents acteurs et au Gouvernement afin de contribuer à faire avancer ce dossier, depuis trop longtemps en attente.
Ces auditions ont montré la formidable richesse de la création cinématographique dans notre pays, grâce à des modalités de financement spécifiques et diversifiées. Il me semblerait judicieux que le CNC engage des actions de communication pour faire valoir auprès du public l'intérêt de ces dispositifs trop souvent méconnus. Notre collègue Pierre Laurent avait à juste raison noté que le public était tenu éloigné des négociations sur la chronologie des médias.
Il importe de veiller à préserver les grands équilibres et d'envisager des contreparties raisonnables. En 2009, la réduction de la première fenêtre de six à quatre mois avait été opérée à notre initiative. Quelle levée de boucliers ! Et pourtant le secteur du cinéma ne s'en est pas trouvé plus mal. Néanmoins, dans la loi, il faudra s'en tenir à des principes et objectifs précis.
Mme Colette Mélot. - La journée d'auditions a été fort intéressante. J'en ai conclu qu'il faut avancer : je suis très favorable au raccourcissement de la fenêtre de projection en salle, mais avec prudence, car si la fréquentation des cinémas bat des records, les petites salles sont de plus en plus fragiles. Laissons-leur le temps d'exploiter les films. Le piratage doit être endigué bien sûr, avant même toute discussion avec les professionnels... Ecoutons les attentes du public, avançons mais avec prudence.
M. Pierre Laurent. - Madame la présidente, vous proposez de réduire la fenêtre de la salle de quatre à trois mois ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je l'évoque pour les films qui n'ont pas trouvé leur public, ceux qui ont enregistré dès le début un faible nombre d'entrées. Ils disparaissent ensuite : comment leur trouver une autre vie, immédiatement ? L'exploitation en VàD dans la foulée me paraît intéressante. Les salles à écran unique ont cependant besoin d'une période d'exploitation suffisamment longue. Il faut donc trouver le bon dosage. La fenêtre de l'exploitation en salle est une spécificité française, le maillage des salles sur le territoire est serré, les billets d'entrée fournissent une part du financement ; et les salles sont des lieux de vie, de lien, de culture. Tout cela mérite d'être préservé.
M. Pierre Laurent. - Oui, soyons très vigilants quand nous abordons cette question car les salles financent le cinéma de façon beaucoup plus stable que des gros groupes qui, comme Canal+, peuvent être rapidement déstabilisés. Et elles ont une dimension sociale évidente.
Je suis surpris que vous repreniez globalement la revendication des chaînes en clair en matière de publicité : celle-ci avait pourtant suscité des oppositions lors de la table ronde. Il n'y avait pas consensus. Les créateurs et même les diffuseurs expriment bien des réserves.
M. Claude Kern. - Il faut trouver comment soutenir la création qui ne trouve pas de public. Je vous rejoins, madame la présidente, sur l'intérêt d'utiliser l'outil législatif en 2018 : le plus tôt sera le mieux, y compris pour lutter contre les pirates, qui sont toujours plus rapides.
M. Jean-Pierre Leleux. - La fenêtre de quatre mois pour la salle est un sujet sensible. La fédération des exploitants de salles en rappelle souvent l'importance. Nos propositions, nos conclusions sont des pistes, non pour inscrire des périodes dans la loi mais pour inciter les opérateurs à trouver un accord. La loi, elle, pourrait mentionner les principes, poser des notions comme celle d'acteur vertueux. Le changement de périodicité pour les fenêtres n'a pas vocation à s'appliquer à tous les films, seulement à ceux qui n'auront pas trouvé leur public après trois semaines, afin de ne pas geler toute diffusion pendant un mois et demi ou deux mois.
La situation est bloquée depuis 2009, malgré les efforts du CNC. Pendant ce temps, les nouveaux entrants bousculent le marché. C'est une lutte entre les anciens et les modernes ! Toute proposition blessera un acteur ou un autre, mais nous devons privilégier l'accessibilité des oeuvres et la distinction entre ceux qui investissent dans la création et ceux qui ne financent rien. La loi ne fixera pas les règles, mais elle incitera les opérateurs à consentir des efforts : des compensations peuvent débloquer la situation.
Mme Corinne Bouchoux. - Merci des clarifications apportées par notre présidente : la chronologie des médias, simple en apparence, est compliquée et comporte des enjeux de poids. Il faut étudier des solutions, sans nuire à l'écosystème.
Je participe aujourd'hui à ma dernière réunion de commission et je tiens à vous remercier, madame la présidente, pour votre élégance - car ce ne doit pas être simple de présider une commission. Le Sénat est un endroit où l'on travaille beaucoup. Je n'avais en y entrant aucune expérience politique, je n'étais pas une élue locale. Et j'y ai appris tant de choses ! Je défendrai toujours cette belle institution.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci de ces mots chaleureux. Oui, nous apprenons beaucoup des autres au Sénat, même si nous ne sommes pas toujours d'accord entre nous. Non, il n'est pas facile d'être présidente... Il ne l'est pas d'être sénateur. Madame Bouchoux, je vous souhaite bonne continuation.
Lorsque très vite, des films ne sont plus disponibles, cela n'est satisfaisant ni pour le public, ni pour les auteurs, les réalisateurs, les diffuseurs. Les demandes faites par les premières chaînes en clair - exposer les films les jours interdits, pratiquer la multidiffusion, exposer les films sur l'intégralité de l'offre - tout cela n'appartient-il pas au domaine de l'évidence ? Netflix diffuse quel que soit le jour et l'heure, et nos chaînes ne pourraient pas le faire ? C'est se tirer une balle dans le pied ! Il est temps d'adapter nos groupes de télévision. La BBC a déjà intégré le fait que bientôt, on ne regardera plus la télévision en linéaire. Pour maintenir la diversité, il faut maintenir la réussite de nos groupes.
La troisième coupure est une demande des chaînes privées en clair : je ne suis pas une fanatique de la publicité et j'ai milité comme vous pour sa suppression avant les émissions pour enfants sur les chaînes de l'audiovisuel public. Cela va dans le sens de la distinction entre l'audiovisuel public et les chaînes privées. Il y a de la publicité sur Facebook ou YouTube, mais ni sur TF1, ni sur M6 : encore une situation compliquée ! En outre, les chaînes ont besoin de recettes et la publicité en fournit.
M. Kern veut aller vite. Moi aussi, mais nous devons laisser le temps aux professionnels de réagir à nos propositions, d'en formuler d'autres, etc. Nous verrons quel est le calendrier acceptable. Quoi qu'il en soit, le leitmotiv que nous avons entendu parmi tous nos interlocuteurs, c'est qu'il faut que les choses avancent. Encore faut-il que certains, qui le réclament des autres, acceptent eux-mêmes de bouger ! Le dosage est subtil.
Je rappelle que les accords entre distributeurs et producteurs ont pu évoluer grâce à un amendement de M. Leleux à la loi relative à la liberté de création ; l'amendement a été ensuite retiré mais il a permis de faire avancer les négociations. Notre rôle de législateur est de les stimuler, et de donner aux groupes audiovisuels français, dont nous sommes fiers, les moyens de leur pérennité. La proposition de réduire la fenêtre de Canal+ de dix à six mois peut s'envisager, mais seulement dans le respect de chacun. Il en va ainsi des auteurs : Jean-Christophe Thiery, le président de Canal+, a demandé à s'entretenir avec moi, ayant entendu ce qui s'était dit lors de la table ronde sur le différend qui oppose Canal+ et les auteurs. Mais c'est un conflit de droit privé, le législateur n'a pas à s'en mêler. Un contrat est un contrat, ai-je ajouté, il faut le respecter. Et en cas de raccourcissement, les auteurs ne doivent pas être la variable d'ajustement du système : il m'a affirmé que ce ne serait pas le cas. À chacun de prendre ses responsabilités et de se montrer respectueux des autres.
Nous en reparlerons dans les mois qui viennent. L'été est propice à la réflexion. Si vous en êtes d'accord, je formulerai quelques propositions à l'attention du ministère, afin que le Sénat soit moteur et que la réflexion progresse. Mon homologue à l'Assemblée nationale a souhaité me rencontrer, pour savoir sur quelles questions nous travaillons et sur quels dossiers nous pourrions tomber d'accord. C'est une bonne méthode !
J'ai aussi parlé avec Laurence Franceschini, médiatrice du cinéma : elle est en phase avec notre état d'esprit et approuve notre méthodologie. Je vous rappelle qu'à Cannes, deux films de la sélection, produits par Netflix, ne sont pas sortis en salle faute d'évolution de la chronologie.
Je m'en tiens là : c'est un sujet aride pour conclure notre année de travail. Je remercie Mmes Duchêne, de Rose et Bouchoux, qui ne seront plus au Sénat à la rentrée, pour leur compagnonnage.
Mme Marie-France de Rose. - Je serai restée au Sénat peu de temps mais j'en garderai un souvenir merveilleux. La pensée n'y est pas monolithique, elle est fondée sur l'échange, la diversité : le secret du bonheur est là.
La réunion est close à 17 h 50.