- Mardi 18 juillet 2017
- Politiques publiques en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
- Projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social - Examen du rapport pour avis et des amendements déposés sur l'article 9, délégué au fond
- Contrôle budgétaire - Implantation des radars - Communication
- Mercredi 19 juillet 2017
- Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2016 - Examen du rapport
- Projet de décret d'avance, relatif au financement de dépenses urgentes - Communication et adoption de l'avis de la commission
- Débat d'orientation des finances publiques (DOFP) - Examen du rapport d'information
- Contrôle budgétaire - Aide publique au développement en matière d'aménagement urbain - Communication
- Contrôle budgétaire - Mise en oeuvre de la réforme de la formation linguistique et civique des étrangers primo-arrivants - Communication
- Contrôle budgétaire - Parc immobilier du ministère des armées - Communication
- Article 13 de la Constitution - Audition de M. Robert Ophèle, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de l'Autorité des marchés financiers (AMF)
- Vote sur la proposition de nomination du président de l'Autorité des marchés financiers (AMF)
- Jeudi 20 juillet 2017
Mardi 18 juillet 2017
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Politiques publiques en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
Mme Michèle André, présidente. - Mes chers collègues de la commission des finances et de la commission des affaires économiques auxquels cette réunion est ouverte, trois millions de personnes sont en situation de fragilité financière dans notre pays. Celles-ci rencontrent des difficultés d'accès aux services bancaires.
Nous disposons d'outils pour répondre à cet enjeu fondamental de permettre à chacun d'avoir accès à tous les services bancaires qui contribuent à mener une vie normale. Nous avons même renforcé nos instruments juridiques dans la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013 ou, l'année dernière encore, dans la loi dite « Sapin 2 ».
Pourrait-on utiliser encore mieux les outils dont nous disposons ? Faudrait-il modifier une nouvelle fois la législation pour mieux répondre à l'objectif d'inclusion économique et sociale du plus grand nombre ?
C'est dans cet esprit qu'il y a un an j'ai saisi le Premier président de la Cour des comptes d'une demande d'enquête sur les politiques de lutte contre l'exclusion bancaire. Monique Saliou, conseillère-maître à la Cour des comptes, va nous en présenter les grandes lignes. Nous recueillerons ensuite les réactions de certains des principaux acteurs de ce sujet.
La Banque de France est représentée par Jacques Fournier, directeur général des statistiques, le Gouverneur n'ayant pu être présent aujourd'hui. La Banque Postale, chargée par la loi d'une mission d'accessibilité bancaire, est représentée ce matin par le président directeur général du groupe La Poste, Philippe Wahl, et le président du directoire de la Banque postale, Rémy Weber. BNP Paribas, qui, comme toutes les banques, doit appliquer l'ensemble des règles applicables en matière d'inclusion bancaire, et qui vient par ailleurs d'acquérir le compte Nickel qui offre des services nouveaux à nos concitoyens, est représentée par Thierry Laborde, directeur général adjoint.
L'Association Nouvelles Voies est représentée par Philippe Guilbaud et Catherine Jeandel ; elle a pour objet de « faire valoir les droits pour prévenir l'isolement social et éviter le basculement dans la précarité ». Cette association gère un point conseil budget (PCB), c'est-à-dire une structure regroupant des acteurs publics et privés et qui s'adresse à toutes les personnes désireuses d'améliorer la gestion de leur budget, devant faire face à une situation financière difficile, anticiper un changement de situation familiale ou professionnelle ayant un impact sur leurs ressources ou leurs dépenses ou encore prévenir le surendettement.
Le sujet de ce matin est vaste, et il y aurait matière à une deuxième réunion, au cours de laquelle nous pourrions convier des associations de consommateurs pour évoquer la question du surendettement et en particulier du fichier positif, que la Cour des comptes a choisi d'évoquer à nouveau dans l'enquête. Nous essaierons de traiter au mieux les principaux sujets dans le temps limité qui nous est imparti.
Je vous rappelle que cette réunion est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat.
Je vous rappelle aussi que nous devrons, en fin de réunion, décider si nous publions ou non l'enquête demandée à la Cour des comptes.
Je cède la parole à Monique Saliou, pour une présentation des principaux résultats de l'enquête de la Cour des comptes.
Mme Monique Saliou, conseiller-maître à la Cour des comptes. - Madame la présidente, je vous remercie d'avoir organisé cette audition, qui me permet de présenter le rapport demandé au Premier président de la Cour des comptes sur les politiques publiques en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement.
Nous avons enquêté auprès des services de l'État et de la Banque de France, mais également auprès des fédérations professionnelles représentant des établissements de crédit, des enseignes de la grande distribution et d'un échantillon représentatif de leurs adhérents. Dans le cadre de cette enquête, la Cour a examiné les pratiques d'organismes, privés pour la plupart d'entre eux, sur lesquels elle ne dispose pas de compétences directes, mais elle a également beaucoup sollicité La Banque Postale. Tous les établissements consultés, publics comme privés, ont pleinement coopéré, et je les en remercie.
Nous avons par ailleurs associé à notre enquête de nombreuses associations de consommateurs, des associations caritatives et des organisations syndicales représentatives des personnels de banque. En effet, l'inclusion bancaire, comme la prévention du surendettement, recouvre des enjeux particulièrement importants pour l'insertion des citoyens dans la vie économique et sociale. Elle se situe au carrefour des politiques sociales de lutte contre l'exclusion et des politiques de régulation du secteur financier.
L'inclusion bancaire participe au processus d'inclusion dans la vie économique et sociale, selon l'Observatoire de l'inclusion bancaire. Elle permet à une personne physique d'accéder durablement à des produits et services bancaires adaptés.
Trois objectifs principaux sont visés par les mesures prises en faveur de l'inclusion bancaire : permettre à l'ensemble de la population d'accéder à un compte et à des moyens de paiement adaptés ; encadrer la distribution de certains produits financiers afin de prévenir les risques de surendettement ; enfin, favoriser l'accompagnement des publics ayant besoin d'un soutien pour la gestion de leur budget.
La possession d'un compte en banque par tout citoyen est devenue indispensable depuis la généralisation, dans les années quatre-vingt, des paiements des salaires et des prestations sociales par chèque et par virement. L'inclusion bancaire vise à y répondre et à prévenir le mésusage des outils bancaires ; d'où les politiques publiques visant à encadrer la distribution du crédit à la consommation.
Le message principal qui ressort de notre enquête est que, en dépit d'un taux de bancarisation très élevé - 96 % aujourd'hui - et du reflux significatif du nombre de dossiers de surendettement déposés depuis 2012 - c'est une très bonne nouvelle -, les politiques publiques mises en oeuvre en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement peuvent encore être améliorées.
Concernant l'accès à un compte bancaire et à des moyens de paiement adaptés, des efforts importants ont été fournis ces dernières années afin de renforcer l'efficacité des dispositifs légaux en faveur de l'inclusion bancaire, à commencer par le plan pluriannuel du 21 janvier 2013 contre la pauvreté auquel les associations caritatives avaient beaucoup participé, ainsi que la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaire.
Nous disposons en France aujourd'hui de dispositifs légaux nombreux, diversifiés, qui n'ont rien à envier à ceux qui existent ailleurs en Europe. D'ailleurs, les associations ne manifestent aucune insatisfaction profonde à leur endroit, si ce n'est sur la façon dont ils sont mis en oeuvre.
La procédure du droit au compte, créé en 1984, est le premier d'entre eux. Elle permet à toute personne à laquelle une banque a refusé l'ouverture d'un compte d'obtenir la désignation, par l'intermédiaire de la Banque de France, d'un établissement qui sera tenu de lui ouvrir un compte et de lui fournir gratuitement un certain nombre de services bancaires de base.
Pour que la procédure soit mise en oeuvre, plusieurs conditions sont nécessaires. Tout d'abord, vous n'avez pas de compte bancaire ou bien votre compte a été clôturé. La banque sollicitée refuse de vous ouvrir un compte bancaire. Elle doit vous délivrer une attestation de refus d'ouverture de compte. Vous pouvez ensuite déposer une demande de droit au compte à un guichet de la Banque de France, qui doit traiter votre dossier dans un délai d'une journée. Un établissement de crédit est alors désigné - souvent La Banque Postale -, qui est tenu d'ouvrir un compte bancaire dans les trois jours, à condition que le demandeur ait fourni les documents demandés, et de fournir les services bancaires de base : ouverture, tenue de compte, paiements par virements et prélèvements, carte de paiement dont chaque utilisation est autorisée par la banque. Ces services ne comprennent aucune autorisation de découvert ni de chéquier.
Un deuxième dispositif a été prévu par la loi 26 juillet 2013 en direction des clients en situation de fragilité financière. Cette offre comprend des services bancaires de base, pour un tarif maximum de 3 euros par mois et un plafonnement des frais facturés. Y sont éligibles les personnes surendettées, celles qui sont inscrites au fichier des incidents de paiement de chèques, les clients disposant de peu de ressources et rencontrant des difficultés quant au fonctionnement de leur compte bancaire.
Enfin, la mission d'accessibilité bancaire a été officiellement confiée à La Banque Postale par la loi du 4 août 2008. L'objectif de cette mission de service public est de permettre l'accès, via le Livret A, à un substitut de compte bancaire, dépourvu de moyens de paiement, mais sur lequel sont autorisés, de manière gratuite et illimitée, des retraits en liquide à partir de 1,5 euros - les autres établissements imposent un minimum de dix euros -, ainsi que certaines opérations de virement et de prélèvements.
Au titre de cette mission de service public, La Banque Postale perçoit une compensation financière, qui était de 225 millions d'euros en 2016, montant non négligeable pour l'équilibre financier de La Banque Postale.
L'enjeu aujourd'hui est moins de compléter les dispositifs existants que d'améliorer les conditions de leur mise en oeuvre et d'assurer la cohérence d'ensemble grâce à une meilleure articulation entre eux. Nous avons en effet constaté lors de notre contrôle que les dispositifs actuels se juxtaposent les uns aux autres, sans véritable hiérarchie, et se chevauchent en partie. Ainsi, environ 2 millions de détenteurs du Livret A utilisent ce service comme un substitut de compte bancaire, par le biais de nombreuses opérations de virement et de prélèvement, ainsi que de nombreux retraits et dépôts d'espèces via les guichets de La Banque Postale. Or une partie d'entre eux disposent déjà d'un compte bancaire et ne sont pas en situation d'exclusion bancaire. Ils ne constituent donc pas le coeur de cible de la mission d'accessibilité bancaire. Cet outil de gestion de trésorerie est incontestablement sécurisant, car il est exonéré de frais en cas d'incident. Mais la limitation de ces frais est précisément l'objectif assigné à l'offre spécifique de services bancaires.
Les bénévoles des associations caritatives et professionnels de l'action sociale ont souligné le manque de lisibilité en la matière, avec un risque d'inadaptation des services offerts par rapport aux besoins. Une clarification serait souhaitable afin de mieux définir les places respectives du droit au compte, de l'offre spécifique et de la mission d'accessibilité bancaire.
Selon nous, il convient de privilégier la primauté du droit au compte et de moyens de paiement adaptés en faveur des personnes qui en sont dépourvues. En revanche, pour les personnes déjà détentrices d'un compte bancaire mais qui se trouvent en situation de fragilité, l'offre spécifique paraît plus adaptée que le LivretA, dont les fonctionnalités sont très limitées.
La réaffirmation du droit au compte suppose une amélioration concernant la mise en oeuvre du dispositif, qui touchait seulement 145 000 comptes actifs en 2015. Ce chiffre est faible, car il existe d'autres solutions ; il s'explique aussi par la complexité et la longueur de la procédure pour les demandeurs. Des progrès pourraient être réalisés dans le pilotage du dispositif.
Actuellement, la Banque de France désigne des banques pour l'ouverture d'un banque, mais elle n'est pas informée des suites de ces désignations, y compris la non-présentation du demandeur. Or ce qui importe avant tout pour ce dernier, ce sont les conséquences concrètes de la désignation, c'est-à-dire l'ouverture effective du compte.
La Cour a donc formulé quelques recommandations concernant le droit au compte. Elle préconise de renforcer le suivi, par la Banque de France, des désignations effectuées au titre du droit au compte afin d'assurer l'effectivité et la rapidité de l'exercice de ce droit - aucune statistique n'existe encore à ce jour. Elle suggère de mettre en place un processus de dématérialisation des échanges entre la Banque de France et les établissements de crédit dans le cadre du droit au compte. Elle souhaite, enfin, renforcer les actions destinées à sensibiliser les acteurs de la sphère sociale et les associations sur la procédure du droit au compte.
Si le droit au compte doit être la clé de voute du dispositif d'amélioration de l'inclusion bancaire, faut-il pour autant renoncer à la mission de « pré-bancarisation » qui repose sur le Livret A de La Banque Postale ? Ce n'est pas notre conclusion, car il est difficile de définir précisément les utilisateurs exclusifs du Livret A, qu'ils détiennent ou non un autre compte bancaire. La Banque Postale et les pouvoirs publics devraient réaliser une enquête sur ce point, afin de sérier les besoins et de proposer une offre adaptée, qui passerait probablement par un recentrage de la mission d'accessibilité bancaire en faveur de ceux qui sont temporairement dans l'impossibilité de disposer d'un compte courant. L'exemple le plus évident est celui des migrants, dont un certain nombre ne sont pas en possession des pièces justificatives requises pour solliciter l'ouverture du droit au compte auprès de la Banque de France. Le Livret A constitue sans doute la meilleure offre à cet égard et devrait donc être maintenu.
Pour le reste, il faudrait proposer l'offre spécifique à ceux qui utilisent de manière intensive le Livret A tout en disposant d'un compte bancaire. L'offre créée en 2013 a été assez peu souscrite, car le dispositif est encore trop récent pour une montée en gamme, manque de clarté et se révèle inadapté à certaines populations. En outre, les établissements bancaires ne se sont pas précipités pour l'offrir à leur clientèle. Cette offre mériterait d'être réadaptée, ce qui supposerait une réflexion un peu plus large sur une mission de service public confiée à La Banque Postale et à La Poste, avec ses 17 000 points de contact. Dans ce contexte, cette pratique ne traduit-elle pas, plus qu'une fragilité financière stricto sensu, une fragilité d'un autre ordre qui s'extérioriserait pas le besoin de passer par un guichet ?
Je conclurai par une bonne nouvelle concernant la prévention du surendettement : le nombre de dépôts de dossiers a beaucoup diminué grâce aux mesures qui ont été prises. À moins de considérer que la pauvreté a considérablement reculé dans notre pays, seul l'arsenal législatif peut expliquer ce phénomène. Néanmoins, il existe encore un nombre non négligeable de dossiers de surendettement qui sont liés à l'accumulation de crédits. Il faut donner les moyens à l'établissement bancaire qui offre un crédit à la consommation de repérer le « crédit de trop ». C'est en ce sens que nous proposons non pas de revenir sur le fichier positif que le Conseil constitutionnel avait censuré, mais de trouver un moyen qui permette aux établissements financiers de mieux réguler leurs offres de crédit.
Mme Michèle André, présidente. - Je me tourne maintenant vers Philippe Guilbaud et Catherine Jeandel, afin de recueillir l'éclairage des acteurs associatifs sur le terrain. Les analyses de la Cour des comptes rejoignent-elles vos constatations quotidiennes ? Partagez-vous son avis au sujet de la complexité du droit au compte ? Comment expliquer que l'offre spécifique ne rencontre pas le succès attendu ? Certaines nouvelles formes d'exclusion bancaire seraient-elles liées au numérique ?
M. Philippe Guilbaud, président de l'Association Nouvelles Voies. - L'Association Nouvelles Voies favorise l'accès aux droits quotidiens en faveur de ses adhérents. À l'origine, le surendettement ne faisait pas partie de nos objectifs. Après seize ans, il représente un quart des dossiers que nous traitons, eu égard à la place que l'endettement, le « malendettement » et le surendettement ont prise en France. De plus, nombreux sont ceux qui ignorent leurs droits, y compris au sein des entreprises. En principe, nous ne visons pas les populations qui sont déjà en grande difficulté. Nous agissons plutôt pour éviter le basculement dans la précarité. C'est l'accès au droit qui nous a amenés au surendettement, mais l'inverse peut être vrai !
Nous accompagnons de nombreuses personnes vers ce droit au compte. Nous dirigeons traditionnellement les personnes vers La Poste, mais aussi désormais vers les comptes Nickel. Les difficultés tiennent à la complexité et à la longueur parfois décourageantes de la procédure. Notre accompagnement permet à nos adhérents d'aller au bout de leurs démarches.
Nous ne pouvons qu'être favorables à la prévention, qui s'inscrit dans le même esprit que nos démarches depuis le début de notre mission. Au sein de l'association, le service de prévention et d'actions collectives de prévention a été mis en place par Catherine Jeandel. Je saisis cette occasion pour lancer un appel, car nous manquons cruellement de moyens financiers pour développer ces actions, en accompagnement individuel ou en prévention collective. Espérons que la baisse des dossiers de surendettement aura des effets positifs.
Le numérique est un frein, car de nombreuses personnes n'y ont toujours pas accès aujourd'hui. Pour certaines, les démarches en ligne sont un vrai problème. Nous en avons fait le thème de l'année, afin d'accompagner les bénéficiaires du revenu de solidarité active, les personnes âgées, les jeunes travailleurs, en liaison avec les caisses d'allocations familiales ou les caisses de retraite. L'accès à un guichet et à une personne physique est essentiel pour beaucoup de nos concitoyens, qui préfèrent parfois remplir un formulaire que se retrouver devant un écran.
Nous nous battons pour l'interdiction des crédits renouvelables, véritable fléau. Le crédit de trop est un problème, mais le premier crédit souscrit peut aussi être celui qui met les pieds dans la vase ! Nous faisons tout pour que nos adhérents ne connaissent pas le surendettement. Pour cela, nous travaillons avec le Crédit municipal de Paris depuis longtemps. Les Points conseil budget n'existaient pas au départ, mais ils contribuent encore plus à restructurer les crédits et à éviter les procédures de surendettement, jugées stigmatisantes par de nombreux adhérents.
Mme Michèle André, présidente. - Monsieur Guilbaud, auriez-vous des idées pour alléger les procédures, à l'heure où la surabondance de normes est tant décriée ?
M. Philippe Guilbaud. - Nous sommes tout à fait prêts à travailler avec vous sur ce sujet.
Mme Michèle André, présidente. - Je me tourne maintenant vers La Banque Postale, acteur incontournable de l'inclusion bancaire qui doit ouvrir gratuitement un Livret A, souvent utilisé comme un quasi-compte bancaire, à toute personne qui en fait la demande. Cette mission légale doit être réformée d'ici à 2020. À quels besoins cette mission historique répond-elle ? Est-elle encore pertinente ? Qu'en est-il de l'accès à un guichet physique ?
M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste. - La Poste est très fière de sa troisième mission de service public, après la distribution du service universel postal, après le transport de la presse et avant l'aménagement du territoire. La Banque postale met en oeuvre cette mission d'intérêt général de l'accessibilité bancaire. Nous y sommes très attachés, comme nous voulons vraiment rendre vivante cette mission de lutte contre l'exclusion bancaire, adossée non pas seulement au Livret A, mais à la réalité du comportement de centaines de milliers de personnes. Il suffit de se rendre dans les bureaux de poste sur tout le territoire entre le 4 et le 6 de chaque mois pour voir la réalité de la mission d'inclusion bancaire de La Banque Postale et de La Poste.
Philippe Guilbaud, que je n'ai jamais rencontré auparavant, a affirmé que le droit au compte revenait pour lui à aller vers La Poste - il a également cité le compte Nickel. Nous voulons approfondir la réflexion sur cette mission d'intérêt général, mais sans rester crantés au seul outil du Livret A. Nous voyons une articulation très forte entre la mission d'accessibilité bancaire et la mission d'aménagement du territoire. En effet, l'exclusion bancaire réelle, qui prend également la forme de l'exclusion numérique, est vécue dans les territoires ruraux et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. D'où la nécessité d'accéder aux conseils humains via La Poste. Nous vivons chaque semaine des flux de masse en matière d'accessibilité bancaire. Ce sont les équipes de La Banque Postale qui la font vivre.
M. Rémy Weber, président du directoire de La Banque postale. - Ce sujet dépasse la stricte accessibilité bancaire, même si celle-ci reste extrêmement importante.
Le Livret A est un instrument universel, gratuit et sans discrimination, d'où son énorme succès. C'est l'outil de la « pré-bancarisation » dans notre pays, utilisé notamment comme moyen de paiement dans les 1 300 bureaux de poste à dimension sociale marquée. Au-delà de la nécessité de moyens de paiement, ces utilisateurs ont besoin de proximité réelle, de conseils physiques, de sécurité. Près de 80 % des opérations de guichet ont trait à des opérations simples et à des demandes de solde de compte. À l'ère du numérique, on est tenté de sauter les étapes, mais nous ne pouvons nier la réalité.
Le rapport de la Cour des comptes relève l'utilisation du Livret A en tant que compte courant, même si certaines opérations en sont exclues comme la banque en ligne sur le téléphone. Les clients concernés ont vraiment besoin d'être entourés. D'ailleurs, dans les quartiers prioritaires de la ville, les bureaux de poste font appel à des interprètes, car près de 2 millions de personnes en ont besoin. De plus, les personnels des bureaux de poste sont tous formés pour s'occuper des clients. S'ils ont parfois un compte courant, c'est parce que nous essayons de les bancariser progressivement. Il serait illogique de ne s'en tenir qu'au Livret A. La période de transition dépendra des clients et de leurs besoins. Pour ce qui est du droit au compte, le commercial peut donner une lettre de refus, mais il hésitera face au risque croissant d'incivilité.
Notre dispositif est ouvert à tous, sans distinction, mais il ne suffit pas. C'est pourquoi nous avons lancé un programme complet pour éviter « la double peine », à savoir ajouter à l'exclusion bancaire l'exclusion numérique - nous avons notamment travaillé avec Emmaüs Connect sur ce sujet. Plus de 5 millions de personnes sont concernées par cette problématique. Nous avons donc réalisé dans les zones les plus sensibles une enquête précise concernant nos clients. Il en ressort que la moitié d'entre eux sont à peu près indépendants pour effectuer les opérations les plus courantes. Un peu plus du quart est complètement perdu face à ces usages. Quant aux derniers, il leur en faudrait peu pour devenir autonome.
S'agissant du rôle du Livret A dans l'accessibilité bancaire, ce n'est pas l'outil qui est coûteux, c'est la présence permanente aux guichets sur l'ensemble du territoire, les conseils prodigués aux clients, les démarches effectuées. L'ensemble de ce dispositif est nécessaire dans les environnements périurbains, mais aussi dans les zones rurales où sévit la double peine.
Enfin, toutes ces mesures doivent être accompagnées d'un mouvement de prévention et de formation, notamment grâce à l'« Appui », plateforme d'une quarantaine de personnes formées pour être au service des clients en difficulté, au travers du notre offre spécifique, dont nous détenons près de 40 % de parts de marché. Depuis 2013, nous avons déjà traité plus de 70 000 dossiers, pour lesquels les entretiens téléphoniques peuvent être très longs, avec un accompagnement psychologique ou une aide plus concrète, budgétaire ou autre. Les agents peuvent proposer des sessions de remise à niveau ou un soutien un peu plus individualisé réalisé grâce au partenariat avec des associations. À la fin du processus, nous envoyons les clients en Point conseil budget de deuxième niveau, la Fondation Crésus ou le Crédit municipal de Paris. Par conséquent, même si le flux global reste modeste, nous sommes un acteur très significatif de l'accessibilité bancaire, avec 10 millions d'agents au service de cette clientèle.
Tel est le sens de l'extension de notre mission d'accessibilité bancaire, qui est appelée à durer dans le temps du fait des difficultés actuelles de nos concitoyens.
Mme Michèle André, présidente. - Merci de ces informations concernant l'accompagnement des clients, dont certains éprouvent de grandes difficultés pour remplir le moindre formulaire.
Je me tourne maintenant vers BNP Paribas, qui applique les dispositifs d'inclusion. Monsieur Laborde, quel est votre avis sur le faible taux de souscription à l'offre spécifique ? Le développement des nouveaux outils, particulièrement le compte Nickel, pourrait-il réduire l'exclusion bancaire ?
M. Thierry Laborde, directeur général adjoint de BNP Paribas, responsable des « Marchés domestiques ». - Sur l'offre spécifique, j'ai la conviction que le fait de limiter la prévention de la fragilité des clients au taux d'adhésion à l'offre spécifique est une mesure très limitative. En effet, les clients trouvent parfois eux-mêmes d'autres solutions, en demandant par exemple à ne plus utiliser de chéquier, à avoir une carte soumise à autorisation systématique ou à bénéficier de l'adaptation du montant du découvert autorisé. Il est aussi possible de changer son quantième de prélèvement pour éviter le rejet de celui-ci et la spirale qui s'ensuit.
L'importance de la promotion de l'offre spécifique, qui est un dispositif récent, reste d'actualité. C'est pourquoi nous assurerons cette mission en envoyant cette année 240 000 courriers électroniques à la totalité de nos clients, identifiés par nos algorithmes comme pouvant être fragiles.
Quant au compte Nickel, il faut rendre au créateur de cette start-up le succès du modèle économique créé, qui répondait à un véritable besoin, plus large que l'inclusion bancaire. Cette promesse est tellement simple qu'elle a trouvé son modèle économique en trois ans, un cas unique parmi toutes les fintechs en Europe. Y ont souscrit 640 000 clients, désireux d'avoir accès au système de paiement international pour 20 euros par an et sans aucun découvert. Une carte de séjour est suffisante pour ouvrir un compte Nickel, mais un récépissé ne suffit pas. En outre, Nickel permet l'accès à 2 700 buralistes, qui peuvent également aider les clients. Le service peut être obtenu grâce à un simple téléphone ou à un téléphone portable à 24 euros par an, dans le cadre d'un forfait à 2 euros par mois, le plus bas à l'heure actuelle. Au total, le compte Nickel coûte 58 euros par an, contre 190 euros par an au minimum pour un compte ouvert dans une banque. Les clients apprécient que les opérations soient réalisées en temps réel, avec une garantie contre les découverts. Ils sont alertés par SMS en temps réel et peuvent ainsi trouver une solution immédiate. En outre, aucune stigmatisation n'est à craindre. Enfin, ce service est transparent, sans frais cachés : un euro est prélevé à chaque retrait, dont 60 centimes sont reversés à la banque qui possède le distributeur. BNP a choisi de ne rien changer, en gardant les spécificités du Compte Nickel. Il sera toujours présidé par son créateur, Ryad Boulanouar, qui avait lui-même souffert d'être interdit bancaire.
Mme Michèle André, présidente. - Chacun connait bien les bureaux de tabac, dans lesquels on peut déjà effectuer de nombreuses opérations. Voilà une nouvelle activité. Souvent, d'ailleurs, le bureau de tabac se trouve à côté de la Poste...
M. Thierry Laborde. - C'est une nouvelle possibilité de proximité. Plus il y a de choix, mieux c'est.
M. Rémy Weber. - Et le soir le buraliste vient souvent déposer son argent à La Banque Postale !
Mme Michèle André, présidente. - Je me tourne vers Jacques Fournier, directeur général des statistiques à la Banque de France. Dans son dernier rapport, en juin dernier, l'Observatoire de l'inclusion bancaire annonce des travaux concernant une adaptation de l'inclusion bancaire à de nouvelles exclusions. Sont visés les nouveaux usages liés à la digitalisation. Comment ces exclusions se matérialisent-elles ? Comment y répondre ?
M. Jacques Fournier, directeur général des statistiques à la Banque de France. - La Banque de France a la volonté forte d'aider les citoyens défavorisés. Notre pays s'est doté d'un éventail d'actions sans équivalent en Europe. La Banque de France gère la procédure du droit au compte, instruit les dossiers de surendettement, réalise de nombreuses études statistiques et assure la présidence de l'Observatoire de l'inclusion bancaire, lieu d'échange qui regroupe les pouvoirs publics, les banques et des associations. À l'automne 2016, la Banque de France s'est aussi vu confier la coordination de la politique nationale d'éducation économique et financière.
Le nombre des dossiers de surendettement baisse : moins 11 % en 2016, moins 7 % au premier semestre 2017. Surtout, nous nous efforçons d'apurer les dossiers totalement pour permettre aux gens de sortir du cercle du surendettement. Nous avons proposé de simplifier les procédures, le législateur nous a suivis et les nouvelles dispositions entreront en vigueur au 1er janvier 2018. Les délais seront raccourcis. Pour les gens concernés, il est crucial de voir leur dossier traité rapidement.
Le droit au compte est un mécanisme qui fonctionne, même s'il reste des progrès à faire. Il n'est pas très utilisé car il n'est pas toujours connu dans les centres communaux d'action sociale (CCAS) ou les caisses d'allocations familiales (CAF) qui doivent orienter les personnes qui n'ont pas de compte - dont le nombre est estimé à 500 000. C'est pourquoi nous comptons former 1 300 travailleurs sociaux prochainement. Le dispositif a été centralisé et des référents spécifiques ont été désignés au sein de chaque banque. Toutefois, nous n'avons pas le pouvoir d'exiger des banques un suivi de l'effectivité du droit au compte. Nous sommes ouverts à une évolution sur ce point.
L'inclusion bancaire ne se limite pas à l'accès au compte. C'est aussi l'accès aux services bancaires, en particulier aux petits crédits ou aux microcrédits accompagnés, jusqu'à 5 000 euros pour des crédits personnels ou 25 000 euros pour des microcrédits professionnels. Nous travaillons à ce sujet avec les associations et les banques. L'encours des microcrédits a ainsi augmenté de 32 % en trois ans. Ceux-ci, distribués de manière raisonnable et avec un accompagnement, constituent une solution préférable aux crédits à la consommation, qui sont distribués parfois de façon irresponsable, car ils permettent d'éviter la constitution d'une bulle qui risquerait de mettre en péril la stabilité financière, à laquelle nous devons aussi veiller.
La Banque de France est attachée au développement d'une offre bancaire spécifique, plus large que le simple accès au compte. Cette offre va de pair avec un accompagnement, inhérent à une démarche d'inclusion bancaire et crucial pour une population en grande difficulté qui a besoin d'être aidée. Le législateur a prévu une offre spécifique. Elle n'est pas encore très développée. Il faut lui donner sa chance et nous partageons l'avis de la Cour des comptes à ce sujet. Il convient aussi d'analyser les raisons pour lesquelles elle n'a pas encore rencontré le succès : est-ce à cause de conditions tarifaires ? D'une mauvaise information de la clientèle ?
Un bon moyen de prévenir le surendettement serait d'exiger, à l'appui de toute demande de crédit d'un certain montant, la production des derniers relevés bancaires, afin de pouvoir évaluer de façon précise la situation du demandeur, ses crédits en cours, sa capacité de remboursement, etc. Le crédit de trop est souvent un crédit à la consommation, souvent un crédit renouvelable souscrit sur le lieu de vente. On connaîtrait ainsi les dettes non-financières du demandeur car, on le sait, dans les dossiers de surendettement, la part des dettes non-financières - pour payer l'eau, le loyer ou l'électricité par exemple - est plus importante. On aurait aussi une idée plus précise du revenu de la personne. Un fichier positif ne nous paraît pas la solution techniquement et juridiquement adaptée : très large, il serait inconstitutionnel...
Mme Michèle André, présidente. - Le Conseil constitutionnel s'est d'ailleurs déjà prononcé sur ce sujet à l'occasion de la loi « consommation » de 2014.
M. Jacques Fournier. - Trop restreint, il serait inefficace ! En Belgique, par exemple, où un tel fichier a été mis en place, le nombre des personnes ayant eu des incidents de paiements a augmenté l'an dernier, alors qu'il a diminué en France. Le Conseil national de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale s'est prononcé en faveur de notre proposition. Le Parlement européen, de son côté, a refusé toute mesure permettant d'avoir connaissance des lignes de prêts des personnes physiques, dans l'attente d'une solution adaptée et non intrusive.
Enfin l'éducation économique et financière constitue une part importante de l'action en faveur de l'inclusion bancaire. Sur le site de la Banque de France nous avons des rubriques spécialisées. D'ici à la fin de l'année, nous entendons former 14 000 travailleurs sociaux. En septembre, nous livrerons un kit destiné aux enseignants de l'Éducation nationale.
Mme Marie-France Beaufils. - Je suis dubitative à l'égard des propositions 4, 6 et 7 de la Cour des comptes. Je connais bien La Banque Postale. Mon département compte 42 % de logements sociaux, la population est très fragile. Chaque samedi les gens se présentent au guichet de la Poste pour savoir de quelle somme ils disposent sur leur compte pour faire leurs courses au marché ! Je tiens à saluer le travail accompli par les agents de La Poste, qui s'apparente à un travail social. Si l'on ferme des bureaux de poste, tant à la ville qu'en milieu rural, la situation s'aggravera.
Pourquoi vouloir enquêter sur les raisons de l'utilisation intensive du Livret A ? Il peut s'agir de personnes en situation d'interdit bancaire, de personnes qui préfèrent le Livret A par habitude, de personnes âgées, qui n'ont plus confiance dans leur capacité à utiliser un chéquier ou une carte bancaire...Vous proposez des règles plus restrictives de domiciliation du Livret A et de restreindre son utilisation. Ne serait-ce pas, si je lis les annexes, en raison de l'exigence européenne d'encadrement des aides d'État pour compensation de service public ? Il importe au contraire de ne pas diminuer cette compensation de service public pour ne pas réduire les capacités d'intervention.
Deuxième point, l'exclusion numérique. Qui a déjà réussi à remplir un formulaire numérique avec un smartphone ? Est-il réaliste de demander aux gens d'utiliser internet à domicile et d'imprimer eux-mêmes les documents alors qu'ils ne disposent pas toujours d'une imprimante ?
Enfin, je suis inquiète. Les demandes relatives à des impayés s'accumulent dans mon centre communal d'action sociale. Ces impayés deviennent lourds. Des progrès ont été faits, beaucoup de prestations sont désormais attribuées en tenant compte des capacités financières et du quotient familial, mais je ne sais pas si le Président de la République poursuivra dans cette voie... Réduit-on vraiment le surendettement si les dettes à d'autres créanciers que des banques augmentent par ailleurs ?
Enfin, si l'on veut prévenir le crédit de trop, il faut interdire le crédit renouvelable !
M. Philippe Dominati. - Malheureusement, tous les élus sont régulièrement confrontés à des situations de surendettement. Il y a eu des avancées législatives. Les services de la Banque de France font preuve d'une grande réactivité et d'un grand souci d'accompagnement.
Toutefois j'aimerais savoir si La Banque Postale remplit bien sa mission. Le coût pour l'État de la compensation de service public à la Banque postale s'élève à 225 millions d'euros. Une étude d'évaluation qualitative a-t-elle été menée ? La description faite par Rémy Weber et Philippe Wahl est idyllique, mais je connais beaucoup de cas où les personnes ont attendu trois semaines avant de recevoir une réponse négative pour l'ouverture d'un compte, non signée.
Quelle est l'efficacité concrète du mécanisme de droit au compte sur le terrain ? Combien de refus de comptes ont eu lieu ? Ne faudrait-il pas raccourcir les délais ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Concentrer la mission des Points conseil budget (PCB) sur le conseil et l'accompagnement budgétaires, l'accès aux droits ainsi que l'accompagnement des personnes surendettées, comme le propose la Cour des comptes, serait une erreur. Les cas les plus délicats exigent du temps. S'agit-il de supprimer la médiation, comme celle que réalise, par exemple, l'association Crésus, entre les personnes surendettées et les établissements bancaires ? Cette tâche est essentielle. Si l'on restreint trop la mission des PCB, les personnes les plus en difficulté n'y iront plus. La prise en charge globale doit être conservée.
Le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur le fichier d'alerte sur les crédits à la consommation. L'association Crésus a proposé aux banques la création d'un Observatoire, permettant, sur la base du volontariat, aux banques comme aux emprunteurs d'avoir accès à certaines données pour éviter la souscription du crédit de trop. Qu'en pensent la Cour des comptes, la Banque de France ou les banques ? Beaucoup de personnes tombent dans le surendettement car elles n'ont simplement pas conscience des risques qu'elles prennent en souscrivant des crédits.
M. Philippe Dallier. - Le taux de bancarisation s'élève à 96%. Qui sont les 4 % restants ? Il est très difficile de se passer de tout service bancaire aujourd'hui.
M. Claude Raynal. - Quelle évaluation faites-vous de de la loi du 26 juillet 2013 ?
La création d'un fichier d'alerte est envisagée. Jacques Fournier en a évoqué les difficultés. Par qui serait-il géré : les banques, la Banque de France ?
Enfin, pourquoi n'interdit-on pas les crédits renouvelables ? Ont-ils un effet sur la croissance économique en soutenant la consommation ?
M. Bernard Lalande. - Plus on est pauvre, plus les risques sont élevés, plus les taux d'intérêts sont élevés ! Cela n'empêche pas les contentieux ! On s'efforce de créer grâce à la Banque de France et aux ministères un service de contentieux gratuit. La Banque de France a sollicité 157 millions d'euros de remboursement au titre de ses activités de médiation entre les prêteurs et les créanciers. Pourquoi les prêteurs ne prennent-ils pas à leur charge ce contentieux ? Ils ont tout à fait conscience des risques qu'ils prennent puisqu'ils exigent des taux d'intérêts plus élevés que ceux qu'ils ne consentent à ceux qui ont du patrimoine !
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Je partage les inquiétudes de Marie-Noëlle Lienemann sur les missions des Points conseil budget, qui reposent, je le rappelle, sur la logique du volontariat. L'enjeu en France n'est pas tant l'accès au compte que son usage. La création d'un institut de l'inclusion bancaire avait été envisagée. Où en est ce projet ? Cela pose aussi la question de la définition précise des personnes fragiles et en difficulté.
M. Thierry Carcenac. - Plusieurs dispositifs existent pour favoriser l'inclusion bancaire et agir contre le surendettement. L'enjeu est d'informer les personnes concernées. C'est le rôle des centres communaux d'action sociale, c'est aussi celui des services sociaux des départements, qui travaillent en lien étroit avec la Banque de France. Les microcrédits professionnels sont fondamentaux. Des associations, comme l'association pour le droit à l'initiative économique (Adie), interviennent. Dans le Tarn, ce sont les services sociaux du département qui montent les dossiers, tandis que les conseillers en économie sociale et familiale jouent un rôle d'accompagnement essentiel. C'est la preuve que l'on ne peut créer un dispositif sans prévoir un service social à l'autre bout de la chaîne pour le mettre en oeuvre.
M. Michel Canevet. - Dispose-t-on d'études qualitatives sur les personnes concernées pour mieux appréhender la situation ? Rémy Weber a évoqué l'accompagnement par La Banque Postale des personnes en difficulté. Les élus ruraux sont inquiets de la fermeture de bureaux de Poste. Il conviendrait de mener une réflexion à ce sujet, pour ne pas aggraver l'exclusion dans ces zones. Enfin, comment sont financées les associations de médiation ? Disposent-elles de suffisamment de moyens ?
M. Philippe Guilbaud. - Les associations manquent cruellement de moyens ! La suppression du Point conseil budget de deuxième niveau (PCB 2) serait dommageable. On s'appuie beaucoup sur le Crédit municipal de Paris pour mener des négociations et faire des restructurations de dettes. Pour autant, il ne faut pas limiter le rôle des PCB 1 à une mission d'information. Nous faisons beaucoup d'accompagnement mais on manque de moyens pour répondre à la demande et suivre les gens de manière durable.
J'ai déjà dit ce que je pensais ces crédits renouvelables. Ils ne servent pas l'économie : l'argent que les clients perdent à payer les intérêts ne soutient pas la consommation.
Notre association a été reconnue comme PCB 1 mais, en dépit du label, nos moyens n'ont pas augmenté et restent insuffisants.
Mme Catherine Jeandel, responsable des partenariats de l'association « Nouvelle voie ». - Depuis que nous avons reçu le label PCB 1 en avril 2016, nous avons reçu plus de 2500 personnes en Île-de-France dans nos 80 points d'accueil. Notre mission est triple : aide à l'ouverture des droits, accompagnement budgétaire et accompagnement des dossiers de surendettement. Nous avons aussi lancé une étude d'impact social pour évaluer les effets de notre travail.
M. Philippe Guilbaud. - Nous travaillons en lien étroit en avec les travailleurs sociaux, les centres communaux d'action sociale, les conseillers en économie sociale et familiale, etc. Cette complémentarité est essentielle.
Mme Michèle André, présidente. - Et d'où viennent vos financements ?
M. Philippe Guilbaud. - Nous sommes financés par tous les niveaux des collectivités territoriales, sauf la région dont ce n'est pas la compétence : les villes, les départements, mais aussi l'État, à travers la politique de la ville, les caisses d'allocation familiales, la Fondation Abbé Pierre, la Fondation les Petits frères des pauvres, certaines entreprises et certaines caisses de retraite. Cela reste insuffisant pour faire face à la hausse des demandes.
M. Rémy Weber. - La Banque Postale, ainsi qu'un autre établissement bancaire, a toujours été favorable à un fichier positif ou d'alerte.
Ma description n'était pas idyllique. Sur le terrain, rien n'est simple ! Bien au contraire. Nos conseillers n'osent souvent pas délivrer en direct des lettres de refus, ce qui explique le détour par les services centraux et un délai de réponse de trois semaines. Il est en effet plus facile de dire non à distance. Je suis aussi soucieux de la sécurité de mes collaborateurs. Dans certains quartiers, ceux-ci exercent dans des conditions difficiles. Il suffit parfois d'un mot mal interprété pour être agressé physiquement. Je dois les protéger.
La consultation publique du comité consultatif du secteur financier (CCSF) de juillet dernier a montré la satisfaction de toutes les parties et des associations quant à la mission d'accessibilité de La Banque Postale. Même les autres banques, nos concurrents, se sont abstenues de façon bienveillante. Nous traitons tous nos clients de la même façon. Les personnes qui ne sont pas bancarisées disposent souvent d'un Livret A.
M. Thierry Laborde. - Notre taux de bancarisation est parmi les plus élevés au monde. La question est celle, en effet, de l'usage du compte. Pour cela, il faut de la pédagogie, proposer des solutions alternatives, développer des systèmes d'alertes en cas de demandes de paiement imminentes, etc. La profession bancaire réclame depuis longtemps des suites concrètes au rapport de la Banque de France sur le surendettement qui remet en cause beaucoup d'idées reçues et identifie des pistes d'améliorations, impliquant les acteurs publics et privés, au-delà de la sphère financière. La proportion des dettes non financières dans les dossiers de surendettement est très élevée. C'est pourquoi il importe de comprendre comment on entre dans le surendettement, d'identifier les parcours. Quant au crédit renouvelable, en fin de compte, c'est le créancier qui est perdant. Le coût du dispositif public n'est pas comparable au coût, pour le privé, des dettes non remboursées ! Je rappelle enfin que le montant d'utilisation moyen d'un crédit renouvelable en retirage est de 48 euros. La loi Lagarde a limité le montant des crédits renouvelables. Ces petits crédits sont un moyen pour certains ménages d'avoir accès à un crédit, auquel ils n'auraient pas accès autrement.
M. Jacques Fournier. - Nous ne recommandons pas la création d'un Observatoire sur la base du volontariat car, comme tous les organismes de crédit ne sont pas désireux d'y participer, l'outil ne serait pas efficace. Une réflexion est en cours sur le rôle des Points conseil budget. Nous les soutenons, tout en veillant à éviter des doublons.
L'encours des crédits renouvelables s'élève à 19 milliards d'euros. Ces crédits constituent un soutien à l'économie. Ils bénéficient à toutes les tranches de revenus, puisque moins de la moitié des encours sont détenus par des personnes du premier quartile de revenus et la plupart ne sont pas en situation de précarité. Plus qu'une interdiction qui porterait atteinte à la liberté du commerce, nous préférons l'accompagnement et le contrôle des abus.
Le rapport sur l'inclusion bancaire, consultable sur le site de la Banque de France, comprend des données chiffrées et des analyses qualitatives. Dans nos réflexions futures, nous tiendrons compte du contenu de nos échanges et des travaux de la commission des finances du Sénat.
Mme Michèle André, présidente. - Je laisse le soin de conclure à Monique Saliou que je remercie pour ses éclairages techniques et pour avoir su mettre en avant la dimension humaine. Il reviendra au Parlement de se saisir à nouveau de la question du surendettement. La première loi sur le sujet a été votée il y a trente ans, à l'initiative de Véronique Neiertz. Le débat a été riche en 2014. J'espère que nos débats d'aujourd'hui nourriront la réflexion future.
Mme Monique Saliou. - L'accompagnement des personnes surendettées est fondamental. Le rôle des PCB 1 est donc central. Nous ne recommandons pas la suppression des PCB 2 existants qui font de la médiation. L'association Crésus ou le Crédit municipal à Paris font un travail remarquable. Mais faut-il généraliser ? Ce serait contreproductif car toutes les associations ne sont pas prêtes à assumer cette mission. Attendons la fin de l'expérimentation.
Nous avons abordé la question du fichier positif sous l'angle du coût, financier comme humain. N'oublions pas que les personnes surendettées sont plus souvent malades que les autres. Le surendettement a un coût financier tant pour les organismes de crédit, qui peuvent certes se rattraper grâce aux taux d'intérêts, que pour les finances publiques : l'État rembourse à la Banque de France le coût du secrétariat de la commission de surendettement et en cas de faillite personnelle, l'État abandonne des créances (impôts locaux, frais de cantines, etc.) Il existe une marge de progrès dans la prévention du surendettement. Un fichier positif, allégé par rapport à celui censuré par le Conseil constitutionnel, est une piste. Nous proposons que la Banque de France gère ce fichier, même si elle n'est guère enthousiaste à cette idée.
Le droit au compte constitue la clef de voûte du dispositif pour l'inclusion bancaire. Il y a une marge de progrès pour l'offre spécifique. Il existe d'autres possibilités comme le compte Nickel ou ses concurrents. Une loi a été votée en 2013 de manière consensuelle : appliquons-là. Elle monte en puissance.
En matière d'accessibilité bancaire, le rôle d'accompagnement de La Banque Postale des personnes défavorisées, qui ont besoin d'un guichet et d'être aidées, est essentiel. Ce rôle se limite-t-il à l'ouverture d'un Livret A ? Faut-il enfermer ces personnes dans ce cadre ? Derrière ces questions, se pose la question du financement : dans la mesure où ces comptes sont adossés au Livret A, c'est le fonds d'épargne qui est mis à contribution et qui rembourse La Banque Postale. Si on reconnaît, comme nous le jugeons nécessaire, une mission de service public élargie à l'accès aux espèces ou l'accès à un guichet, il faudra reposer la question des modalités de financement.
La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes et du compte rendu de l'audition en annexe à un rapport d'information de Mme Michèle André.
La réunion est close à 11 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de M. Francis Delattre, vice-président -
La réunion est ouverte à 17 h 05.
Projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social - Examen du rapport pour avis et des amendements déposés sur l'article 9, délégué au fond
M. Francis Delattre, président. - La commission des lois nous a délégué au fond l'article 9 du projet de loi n° 637 (2016-2017), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social. Nous examinerons les amendements du rapporteur général et ceux de l'ensemble des sénateurs sur cet article.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La question du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu est bien connue de la commission des finances du Sénat, qui a beaucoup travaillé sur le sujet.
Le 7 juin dernier, le Premier ministre a annoncé le report d'un an de son entrée en vigueur. Le projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social contient ainsi un article 9 qui habilite le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour reporter son entrée en vigueur au 1er janvier 2019.
Ce texte nous a été transmis par l'Assemblée nationale le 17 juillet, à la suite de son adoption en première lecture.
La commission des finances du Sénat a reçu une délégation au fond de la commission des affaires sociales pour examiner l'article 9 - qui, soyons clairs, ne présente aucun lien avec le reste du texte. Cependant je me réjouis que ce report soit annoncé suffisamment en amont pour informer les contribuables, sans attendre le projet de loi de finances pour 2018. Le Gouvernement avait probablement besoin d'un vecteur législatif pour faire passer cette disposition.
Le Gouvernement justifie cette demande de report par la nécessité d'« assurer un meilleur accompagnement dans la mise en oeuvre de la réforme » et de « rassurer l'ensemble des acteurs économiques ». Je ne suis pas sûr que cela suffira à rassurer grand monde !
Lors de son audition devant notre commission, le 12 juillet dernier, le ministre de l'action et des comptes publics a rappelé que le Gouvernement était sensible aux préoccupations des entreprises et qu'il souhaitait disposer de davantage de temps pour réaliser un audit sur la charge induite par la réforme, en complément de l'expérimentation qui a débuté avec 700 entreprises et collectivités territoriales volontaires. Il s'agit de s'assurer que le prélèvement à la source n'entraînerait pas de baisse du taux de recouvrement de l'impôt sur le revenu, actuellement supérieur à 97 %.
Le délai d'un an supplémentaire serait nécessaire pour achever le déploiement complet de la déclaration sociale nominative (DSN), qui concernait mi-avril près de 96 % des entreprises.
Sur la forme, le choix de recourir à une demande d'habilitation à légiférer par ordonnance dans le cadre du projet de loi d'habilitation sur le dialogue social semble avant tout motivé par des raisons d'urgence. Il s'agit de clarifier rapidement la situation pour les contribuables qui devraient, théoriquement, voir l'impôt sur leurs revenus « non exceptionnels » de 2017 annulé dans le cadre de la transition vers le prélèvement à la source. Il convient aussi de modifier les avis d'imposition 2016, sur lesquels doit figurer le taux synthétique de prélèvement à la source appliqué en 2018.
D'un point de vue juridique, ce choix ne soulève pas d'obstacle majeur. L'article 9 figure dans le projet de loi initial du Gouvernement. Or, le Conseil constitutionnel ne juge pas de la cohérence du texte initial, il vérifie uniquement le lien entre les amendements adoptés au cours de l'examen parlementaire et les dispositions figurant dans le texte initial.
De plus, les dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures, qui n'affectent pas l'équilibre budgétaire, ne relèvent ni du domaine obligatoire ni du domaine exclusif des lois de finances et toute mesure relevant du domaine de la loi peut être adoptée par ordonnance. Il est donc juridiquement possible de recourir à une ordonnance pour décaler l'entrée en vigueur du prélèvement à la source. Le Conseil d'État l'a confirmé dans son avis sur le projet de loi.
Sur le fond, la demande d'habilitation figurant à l'article 9 porte sur trois ensembles de mesures : toute mesure législative permettant de reporter au 1er janvier 2019 l'entrée en vigueur du prélèvement à la source prévu par l'article 60 de la loi de finances pour 2017 ; toute mesure pour décaler d'un an l'entrée en vigueur des dispositions relatives à l'année de transition et plus particulièrement le crédit d'impôt de modernisation du recouvrement (CIMR), qui doit éviter une double imposition sur les revenus perçus ou réalisés en 2017 et enfin, le report de l'entrée en vigueur de l'acompte de 30 % sur les crédits d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile ou la garde de jeunes enfants. Le Sénat avait d'ailleurs appelé l'attention du Gouvernement sur ce point et ses préoccupations avaient été partiellement entendues.
L'article 9 fixe à trois mois le délai d'habilitation et le délai de dépôt d'un projet de loi de ratification, respectivement à compter de la publication de la loi et de l'ordonnance.
En première lecture, l'Assemblée nationale a procédé à plusieurs modifications rédactionnelles. En commission, un amendement de Valérie Rabault et Christine Pires Beaune, pour demander au Gouvernement la présentation d'un rapport sur l'expérimentation menée entre juillet et septembre, a été adopté.
À ce stade, il serait prématuré de supprimer l'article 60 de la loi de finances pour 2017 instaurant le prélèvement à la source. Je l'avais écrit dans mon rapport d'information de l'automne 2016 et je persiste : la réforme crée un « choc de complexité » et comporte de nombreux inconvénients, tant pour les contribuables que pour les tiers collecteurs. La récente étude de l'impact de la réforme commandée par la délégation aux entreprises du Sénat le confirme. Pour autant, je ne souhaite pas que l'on en reste au statu quo. L'objectif d'améliorer la contemporanéité de l'impôt sur le revenu, sans passer par les entreprises, doit être poursuivi.
J'avais proposé à l'automne dernier une alternative : un prélèvement mensualisé et contemporain, reposant sur un système d'acomptes, comme c'est déjà le cas pour les revenus des travailleurs indépendants et les revenus fonciers dans la réforme adoptée l'an passé. En cas de variation des revenus ou de changement de situation, les contribuables pourraient moduler le montant de leurs acomptes à tout moment, grâce au site Internet impots.gouv.fr, performant et encore amélioré.
Certains députés, dont le président de la commission des finances Éric Woerth, ont également avancé l'idée du transfert de la collecte de la retenue à la source à l'administration fiscale. Pourquoi en effet introduire un tiers dans la relation duale administration-contribuable ? Le ministre a indiqué que ceci entraînerait un décalage d'un à plusieurs mois entre la variation du revenu et l'ajustement du montant du prélèvement. Pourtant, il pourrait être utile d'explorer plus avant les possibilités offertes par la DSN. Ce serait une amélioration considérable !
Avant de trancher en faveur d'une option plutôt qu'une autre, il me paraît donc avisé de disposer de l'ensemble des informations utiles. Nous prendrons notre décision sur l'avenir du prélèvement à la source lors de l'examen de la prochaine loi de finances, éclairés par l'audit d'ores et déjà confié par le Gouvernement à l'Inspection générale des finances et à un cabinet extérieur.
Afin de mettre pleinement à profit le délai supplémentaire octroyé par le report, je vous proposerai un amendement visant à compléter les informations qui devront être présentées au Parlement avant le 30 septembre 2017. Cela englobe à la fois les résultats de l'expérimentation et de l'audit. L'amendement précise que ces travaux préparatoires complémentaires devront permettre d'identifier des solutions pour améliorer la prise en compte des réductions et crédits d'impôt dans le calcul du prélèvement et réduire la charge pour les tiers collecteurs. Il demande également que les propositions alternatives de retenue à la source par l'administration fiscale et de prélèvement mensualisé et contemporain fassent l'objet de tests et de simulations complémentaires, le tout nous étant remis avant l'examen du projet de loi de finances pour 2018.
Par l'adoption de cet amendement et de l'article 9, la commission des finances montrerait qu'elle n'est pas opposée à toute amélioration de la synchronisation entre la perception des revenus et leur imposition, tout en indiquant clairement que d'autres modalités de mise en oeuvre doivent être recherchées. Enfin, je vous proposerai deux amendements rédactionnels.
M. Michel Canevet. - L'option pour la retenue à la source qui existait depuis 1992 pour les indemnités des élus locaux a été supprimée dans la loi de finances pour 2017, un même cadre général d'imposition sur le revenu devant s'appliquer à tous. Quelle est la conséquence du report du prélèvement à la source pour les élus ? Il serait logique de voir l'ancien système perdurer, si la date d'entrée en vigueur du prélèvement à la source pour tous est repoussée d'un an.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il est trop tard : le nouveau régime s'applique déjà sur les indemnités perçues depuis le 1er janvier 2017, date à laquelle la retenue à la source a été supprimée.
M. Michel Canevet. - Mais avec ce report, les élus locaux vont être pénalisés ! La retenue à la source a été supprimée parce que le nouveau dispositif du prélèvement à la source était censé entrer en vigueur en 2018. Repoussé d'un an, il n'est plus neutre fiscalement pour les élus.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je procèderai à un examen plus approfondi de cette question avant la séance.
M. Francis Delattre, président. - C'est une question à poser au Gouvernement.
M. Thierry Carcenac. - Les élus locaux choisissaient le système qui leur semblait le meilleur. L'avantage de la retenue à la source sur leurs indemnités était son plafond à 30 %. Pourquoi faudrait-il garder un système plus généreux pour ces élus, et en exclure les autres contribuables ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Le Sénat avait fait valoir auprès du Gouvernement des arguments en faveur du report du prélèvement à la source. Il est positif que le Gouvernement s'y soit rendu.
Néanmoins, nous sommes en quelque sorte au milieu du gué. Ce report annonce-t-il un enterrement de première classe ? Si ce n'est pas le cas, a-t-on reçu des assurances, de la part du Gouvernement, que la commission des finances du Sénat sera associée aussi bien aux expérimentations qu'aux propositions de modification du dispositif ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il y a en réalité deux raisons expliquant le report de la réforme.
La première est une raison avouée par le ministre compétent : le dispositif ne serait pas encore totalement opérationnel, contrairement à ce que prétend la direction générale des finances publiques (DGFiP).
La deuxième est non avouée : il s'agit à mon sens d'éviter le télescopage avec la baisse des cotisations sociales. Si le salarié, à cause de la mise en place du prélèvement à la source, ne voit pas directement sur sa feuille de paie l'impact de la baisse des charges prévu, l'action du Gouvernement sera illisible.
Comment être certains d'être associés aux réflexions à venir ? À mon sens, le meilleur moyen est de l'inscrire dans la loi, d'où l'amendement que je vais vous proposer. Une étude récente de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) insiste sur le fait que le prélèvement à la source présente peu d'avantages pour beaucoup d'inconvénients. Il y a néanmoins un vrai problème : aujourd'hui, on paie l'impôt sur une base historique. Il faut donc améliorer la contemporanéité de l'impôt. Mais il existe pour cela des voies plus simples que le prélèvement à la source.
M. Francis Delattre, président. - La solution alternative présentée par le rapporteur général est la bonne, il doit la défendre !
Mme Marie-France Beaufils. - Nous sommes contre le principe des habilitations à légiférer par ordonnances, et nous avons voté contre le prélèvement à la source : le report d'un an ne change rien sur le fond, nous voterons contre l'amendement du rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je suis moi aussi hostile aux ordonnances, comme au prélèvement à la source. Quoi qu'il en soit, je souhaite que le contribuable soit informé à l'avance du système qui lui sera appliqué. Je préfère inscrire dans la loi ce report, même si un projet de loi sur le dialogue social n'est pas le véhicule idéal.
M. Thierry Carcenac. - Je félicite le rapporteur général de sa constance et de sa parfaite logique, mais le décalage d'un an qui a été annoncé sera voté, et il n'y a pas lieu d'aller au-delà. Je peux être d'accord avec certains points de l'amendement, pas avec la totalité. Les entreprises sont aujourd'hui tiers collecteurs pour la taxe de la valeur ajoutée (TVA) et les cotisations sociales, les notaires le sont pour les droits de mutation. Pour les entreprises, il s'agit simplement d'ajouter une vingt-quatrième ligne dans la DSN. Reste le cas des très petites entreprises (TPE) : quel est l'impact exact pour elles ? Quelques mois supplémentaires d'expérimentation sont bienvenus, mais on aurait pu élargir celle-ci aux entreprises non volontaires...
L'administration a mis en oeuvre les formations et les moyens nécessaires : elle avance - avec constance elle aussi - dans la voie tracée.
M. Francis Delattre, président. - Les petites entreprises seront les plus touchées par la réforme. La protection des données personnelles dans les TPE : voilà un vrai sujet.
M. Marc Laménie. - Le texte est complexe. De quelle durée sera le report ? Je suis pour ma part très réservé sur le prélèvement à la source, après avoir assisté aux auditions, notamment celle des représentants du personnel de la DGFiP. Oui, notre commission doit être force de proposition ! Enfin, j'insiste, pour les petites entreprises, l'affaire est complexe... et coûteuse.
M. Charles Guené. - Pour les élus locaux, il serait bien difficile de revenir au barème spécifique de la retenue à la source, mais peut-être est-il envisageable de prévoir un abattement sur la première tranche pour les maires de communes de moins de 1 000 habitants ? Ce serait une piste à suivre, au moins pour une année.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est un sujet de loi de finances... La question des indemnités des élus locaux était dans le même « paquet » que le prélèvement à la source mais elle a été traitée par l'article 10 de la loi de finances pour 2017 ; elle n'était pas uniquement liée au prélèvement à la source.
M. Francis Delattre, président. - Nous examinons d'abord les amendements de notre rapporteur général à l'article 9, qui nous a été délégué au fond.
L'amendement rédactionnel COM-90 est adopté.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Mon amendement COM-91 est très important : il complète les informations à présenter aux parlementaires, afin que ceux-ci puissent améliorer le dispositif proposé et explorer d'autres pistes de réforme ; il prévoit en particulier des tests sur la faisabilité du système de prélèvement mensualisé et contemporain que nous proposons. Les conclusions devront nous parvenir en septembre 2017, afin que nous les prenions en compte dans la préparation de l'examen budgétaire.
M. Thierry Carcenac. - Au premier alinéa, vous citez un audit réalisé par l'Inspection générale des finances. Vous avez ajouté la mention d'un cabinet indépendant...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cette mention figure dans l'étude d'impact du projet de loi présentée par le Gouvernement lui-même. C'est le cabinet Mazars qui a été désigné.
M. Thierry Carcenac. - Cette mention n'apparaît pas dans l'exposé des motifs. Présenter des propositions sur la manière d'améliorer la prise en compte des réductions et des crédits d'impôt, oui. Quant à « réduire la charge induite pour les tiers collecteurs », je ne vois pas comment, puisqu'il s'agit seulement d'une ligne de plus sur la déclaration sociale nominative (DSN) ! Rares sont les PME et TPE à n'être pas encore passées à la DSN. Le changement de logiciel a un coût au début, mais ensuite la charge est nulle. Sur le prélèvement mensualisé et contemporain, monsieur le rapporteur général, nous ne pouvons vous suivre, nous avons voté pour le système présenté par le Gouvernement d'alors.
M. Vincent Capo-Canellas. - Sous quelle forme le Gouvernement présente-t-il ces informations et à qui ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est un rapport au Parlement, le même que celui mentionné précédemment.
Je vous rappelle que l'étude commandée par la délégation aux entreprises a conclu à un coût pour les entreprises.
Je veux bien remplacer le terme « cabinet indépendant » par « cabinet extérieur », mais cela ne suffirait pas à emporter l'adhésion de tous !
M. Francis Delattre, président. - Le rapport est celui déjà mentionné par l'article 3 que nous examinons, le rapporteur général ajoute seulement des éléments supplémentaires.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous ne modifions pas le principe d'une demande de rapport. Le Gouvernement présente seulement d'autres informations, dans ce rapport ou séparément, comme il le souhaite.
M. Thierry Carcenac. - Le rapport qui figure dans le texte comporte déjà les éléments que vous demandez.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Non, nous complétons la rédaction et nous demandons de tester le prélèvement mensualisé et contemporain.
M. Daniel Raoul. - Pourquoi compléter un rapport qui doit déjà être « exhaustif » ? La phrase est superfétatoire et a surtout pour finalité de faire valider votre position.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Exactement ! Je l'assume.
M. Vincent Capo-Canellas. - La rédaction aurait pu indiquer : « Ce rapport présente également... ».
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je rectifie en ce sens, car peut-être ma rédaction était-elle ambiguë.
L'amendement COM.91 rectifié est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-92 est adopté.
M. Francis Delattre, président. - Nous en venons à deux amendements de séance.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'amendement COM-81 présenté par Pascale Gruny est très tentant, mais il convient d'attendre les résultats de l'expérimentation. Défavorable.
La commission proposera à la commission des affaires sociales de ne pas adopter l'amendement COM-81.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Même analyse sur l'amendement COM-85 de Philippe Mouiller.
La commission proposera à la commission des affaires sociales de ne pas adopter l'amendement COM-85.
La commission proposera à la commission des affaires sociales d'adopter l'article 9 ainsi modifié.
Contrôle budgétaire - Implantation des radars - Communication
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Merci, mes chers collègues, d'être présents pour parler de l'implantation des radars.
C'est un rapport que je souhaitais faire depuis quelque temps, et je suis très satisfait d'avoir abouti, d'autant plus que j'ai eu quelques difficultés à obtenir un certain nombre d'informations de la délégation de la sécurité routière.
Je vais vous faire une présentation - la plus synthétique possible - pour laisser place au débat.
En 2016, 3 655 tués sur les routes ont été dénombrés. Il s'agit de la troisième année consécutive de hausse du nombre de tués. Quant au début de l'année 2017, il n'est pas très favorable.
Nous sommes assez loin de pouvoir atteindre l'objectif de moins de 2 000 morts que Manuel Valls avait, en 2012, fixé pour 2020.
Nous avons pourtant les exemples du Royaume-Uni et de la Norvège qui ont des taux de décès par million d'habitant bien inférieurs au nôtre, et qui nous permettraient d'atteindre ces moins de 2 000 morts par an.
Les causes sont surtout la vitesse (31 %), mais aussi l'alcool (21 %) et les stupéfiants (7 %) - soit 28 % lorsqu'on les additionne, c'est-à-dire presque autant que la vitesse (bien sûr, si l'on prend de l'alcool et des stupéfiants, la vitesse risque aussi d'entrer en ligne de compte) - 13 % pour le non-respect des priorités mais aussi l'inattention : 8 %.
M. Bernard Lalande. - Et la téléphonie ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - La téléphonie est comptabilisée dans l'inattention.
Vous savez que Jacques Chirac avait fait de la sécurité routière une de ses priorités. À partir de 2003, a débuté le déploiement des radars qui ont contribué largement à la réduction de la vitesse moyenne, et des accidents et donc de la mortalité.
En 2017, le produit des amendes perçues grâce aux radars est un produit record. Si les radars s'avèrent un succès sur le plan financier, l'on peut s'interroger sur leur efficacité. Mais également sur leur acceptabilité : il y a quinze ans, deux tiers des Français se prononçaient en faveur de l'instauration d'un contrôle sanction automatisé, aujourd'hui c'est l'inverse : deux tiers qui estiment que les radars servent à remplir les caisses de l'État.
Se pose également, de manière récurrente, la question de savoir si les radars sont bien placés et ne servent pas uniquement de « tirelires » et de « pompes à fric », mais permettent vraiment de réduire la dangerosité d'un certain nombre de routes. Et c'est finalement sur cette question que j'ai souhaité principalement intervenir afin d'examiner comment les radars étaient implantés.
Le déploiement des radars est réalisé sur la base de propositions faites par les préfets des départements, en coordination avec les collectivités territoriales, les directions départementales et des territoires, les forces de police et de gendarmerie, et parfois des usagers.
Chaque emplacement fait l'objet d'un bilan accidentologique établi sur les cinq dernières années, sur une section de 1 000 mètres. Le site fait ensuite l'objet d'une étude de faisabilité technique...je vous passe les détails.
Il n'empêche que les études statistiques ont bien montré que, globalement, les radars faisaient leur effet et avaient un véritable impact, très positif, sur l'accidentologie et sur la mortalité routière.
Il y a eu bien sûr d'autres actions qui ont été menées parallèlement : la sécurité active et passive des véhicules a été améliorée, tandis que certains dispositifs de prévention ont été développés.
Les radars sont un facteur d'amélioration de diminution du nombre de morts sur les routes.
Je vous rappelle que dans les années 2000, il y avait plus de 8 000 morts alors qu'aujourd'hui ce nombre s'élève à 3 655. Même si l'on veut atteindre l'objectif des 2 000 morts, la mortalité routière a diminué sensiblement.
Toutefois l'on peut se demander si l'efficacité des radars n'a pas atteint ses limites et s'il ne serait pas nécessaire de réviser leur politique d'implantation, tout en prévoyant d'autres moyens de lutte contre les autres facteurs de mortalité dont j'ai parlé tout à l'heure, notamment l'alcool et les stupéfiants.
Dans la politique d'implantation des radars, Auto Plus et plusieurs associations ont souvent soulevé le problème de la carte des radars en affirmant qu'il y avait beaucoup d'équipements qui n'étaient pas placés sur des routes dangereuses.
C'est un bon débat qui mérite d'être posé. Ceci étant, la délégation à la sécurité routière (DSR) a apporté, à plusieurs reprises, des réponses qui n'ont pas été contestées de manière convaincante pas ses détracteurs.
J'aurais tendance à faire plutôt confiance à la délégation à la sécurité routière, en notant toutefois que l'équipement des réseaux départementaux et communaux est beaucoup moins assuré et devrait être renforcé au détriment des routes nationales et des autoroutes.
En effet, lorsqu'on étudie les statistiques des accidents, il apparaît que les routes communales et départementales concentrent 83 % des accidents mortels alors que seule la moitié des équipements sont installés sur ces réseaux.
En revanche on a suréquipé les autoroutes où sont dénombrés 6 % des accidents mortels et 15 % des radars fixes, ainsi que les routes nationales (26 % des équipements fixes, pour 8,4 % des accidents mortels).
Les radars ont été concentrés sur les routes nationales et sur les autoroutes au détriment des routes les départementales et communales. Or l'installation d'équipements sur ces réseaux est plus délicate, car ceux-ci sont beaucoup plus longs : sur les routes départementales et communales, l'accidentalité est plus diluée et s'avère plus compliquée à combattre.
En ce qui concerne l'implantation il y a sans doute un rééquilibrage à opérer vers les réseaux départementaux et communaux.
S'agissant de la rentabilité des radars, j'ai eu du mal à obtenir des chiffres suffisamment précis de la part de la délégation à la sécurité routière (DSR) et les différents éléments qu'elle m'a transmis tout au long du contrôle ne me permet pas de faire la lumière complète sur cette question.
Les coûts de maintenance et les frais de déplacement des appareils sont assez significatifs, sachant qu'un radar coûte déjà très cher à l'acquisition.
Mais malgré ces coûts qui m'ont été communiqués, il apparaît qu'il s'agit d'un équipement qui reste très rentable financièrement.
Voici mes principales recommandations.
La sécurité routière, c'est bien sûr « l'affaire de tous » et la dimension interministérielle de la sécurité routière - qui était une des clés de la réussite de la politique de 2002-2003 - devrait être davantage prise en compte.
La question du rattachement de la délégation à la sécurité routière (DSR) au Premier ministre ainsi que celle du renforcement du lien avec la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), chargée du réseau national doit être posée.
Quant au conseil interministériel de la sécurité routière (CISR), qui s'est tenu une seule fois depuis 2011, il doit être plus fréquemment réuni.
Une coopération renforcée doit être recherchée avec les collectivités territoriales qui doivent être plus étroitement associées, que ce soit en amont, notamment dans le choix d'implantation des équipements, ou en aval, sur la traçabilité de l'emploi des ressources qui sont affectées par le compte d'affectation spéciale qui sont versées aux collectivités - tout comme celles qui sont versées à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) - car il est difficile de savoir réellement à quoi sont utilisées ces ressources.
Celles-ci mériteraient d'être davantage « tracées » afin de pouvoir s'assurer que ces moyens servent réellement à améliorer les infrastructures.
La coopération avec les pays étrangers doit également être confortée.
D'abord en développant les accords de coopération, qui permettent d'obtenir des recettes supplémentaires. Le produit record atteint en 2016 a notamment bénéficié des 16 % de véhicules étrangers qui ont été verbalisés, ce qui est satisfaisant car on est un pays où le transit est important.
Le taux de recouvrement s'avère d'ailleurs intéressant : 71,8 % des amendes imputables à un conducteur étranger ont été payées en 2016.
En outre, les expériences positives dans les pays étrangers doivent être encore davantage prises en compte. À titre d'exemple, on pourrait s'inspirer des passages piétons en diagonale permettant d'éviter les angles morts au Royaume-Uni, des dispositifs anti-contre sens des autoroutes danoises et autrichiennes... En matière de lutte contre l'alcoolémie et les stupéfiants, la Suisse prévoit un stage de sensibilisation complémentaire sur piste pour les conducteurs ayant eu leur permis retiré pour conduite sous l'emprise d'alcool ou de stupéfiants.
À ce propos, il me semble que l'on n'est pas assez sévère à l'égard de ces comportements qui provoquent des accidents.
Au niveau de l'Union européenne, la France doit promouvoir encore plus activement le LAVIA (limiteur de vitesse s'adaptant à la vitesse autorisée) et d'autres équipements de sécurité comme standards minima d'équipement des automobiles, et oeuvrer à l'harmonisation des règles de sécurité routière, notamment des limites de vitesse.
Avec les concessionnaires d'autoroutes, un travail est à réaliser pour qu'ils soient encore plus impliqués dans le contrôle et la prévention. L'une des pistes à explorer pourrait être d'obtenir des contrôles de vitesse sur la base des heures d'entrée et de sortie des autoroutes.
Cette piste a déjà été étudiée puis abandonnée. Je considère qu'avec les moyens modernes dont on dispose, il devrait être désormais possible de contrôler les conducteurs sur la base de vitesses moyennes, calculées grâce aux tickets de péage.
Même si les conducteurs peuvent s'arrêter en cours de trajet, ceux roulant trop vite seront obligés de le faire afin de ne pas être verbalisés. Ce type de contrôle pourrait être un frein à leur vitesse excessive.
Les fabricants d'avertisseurs de radars doivent être étroitement associés à la lutte contre l'insécurité routière : il y a en effet un usage détourné des avertisseurs de radars sur lequel un travail est réalisé. Avec les réseaux sociaux, les applications téléphoniques, de nombreux systèmes qui mettent en échec l'imprévisibilité des contrôles. Cette imprévisibilité va d'ailleurs être renforcée par l'implantation de panneaux à l'entrée des secteurs qui seront contrôlés et non pas 500 mètres avant les appareils de contrôle.
De nombreux panneaux sont en cours de déploiement sur des tronçons alors que l'installation de radars leurre se poursuit. Le conducteur ne pourra plus savoir s'il s'agit ou non de radars réels, ce qui va renforcer l'imprévisibilité des contrôles.
M. Daniel Raoul. - Le coût d'entretien est faible !
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Le coût d'entretien est nettement plus faible...et la recette est nulle !
Les efforts pour impliquer les entreprises dans la sécurité routière doivent être redoublés. Les accidents de la route sont en effet la première cause de mortalité au travail. S'il incombe aux employeurs, depuis le 1er janvier dernier, l'obligation de révéler l'identité de leurs salariés ayant commis une infraction routière, leur rôle ne saurait s'y limiter. Leur association à l'effort de prévention routière est cruciale.
Les usagers doivent aussi être associés à cet effort. Je fais une proposition dans ce rapport visant à essayer d'améliorer l'acceptabilité de la sanction, notamment pour les petits excès de vitesse.
Les études ont montré que même les petits excès de vitesse causent de nombreux accidents.
La part des excès de vitesse supérieurs à 20 km/h tend à diminuer, alors que celle des excès inférieurs à 10 km/h, qui sont à l'origine de nombreux accidents, continue d'augmenter.
Je recommande de proportionner le montant des amendes à l'ampleur du dépassement. Ainsi pour les excès de vitesse de moins de 5 km/h, l'amende serait réduite de 5 %, tandis que les excès de vitesse de 10 km/h seraient sanctionnés par une amende correspondant au montant de l'amende minorée augmentée de 10 %, de 20 à 30 km/h, de 20 % ....
De nombreux conducteurs sont en effet excédés par la répression des tout petits dépassements, pour lesquels ils ont l'impression d'être sanctionnés très fortement.
Une autre de mes recommandations porte sur l'architecture budgétaire. Le circuit des amendes de police et de stationnement doit être revu et simplifié. Même si tous les conducteurs ne connaissent pas les arcanes du compte d'affectation spéciale « radars », ils ont du mal à comprendre qu'une part significative des amendes ne sert pas directement à l'amélioration des infrastructures.
Ceci est nuisible à l'acceptabilité de la politique de sécurité routière, surtout quand elle est répressive.
Quant aux autres causes de mortalité, elles doivent faire l'objet d'une lutte plus intensive, notamment concernant l'alcool et les stupéfiants.
Les systèmes éthylotests anti démarrage (EAD) doivent être développés.
Pour les stupéfiants, ce type de dispositif est encore à l'étude, mais leur mise au point doit être encouragée.
Il faut également concentrer ses efforts sur l'inattention au volant, favorisée par l'utilisation des téléphones portables. Des solutions techniques telles que les brouilleurs d'ondes en agglomération, ou encore des actions pédagogiques me semblent préférables à un nouveau durcissement des sanctions.
J'ai fait également plusieurs propositions concernant l'entretien des routes mais également la réduction de l'accidentalité des plus vulnérables - les piétons, les cyclistes, les usagers de deux-roues motorisés, les 15-25 ans, les séniors.
En conclusion, les réductions importantes de la mortalité routière sont liées à des politiques volontaires (limitations de vitesse généralisées et port obligatoire de la ceinture de sécurité à l'avant hors agglomération, instauration du permis à points, et le déploiement du contrôle sanction automatisé).
Le « sursaut » du 2 octobre 2015 - beaucoup de mesures ont été proposées - est positif dans la mesure où le programme ambitieux cherche à s'attaquer aux différentes causes d'accidents sans se limiter à la vitesse. Cependant son efficacité risque d'être diluée par le côté « catalogue » de ses mesures (55 mesures annoncées à l'occasion du CISR du 2 octobre 2015, qui s'ajoutent aux 26 mesures qui avaient déjà été prises le 26 janvier 2015) et surtout le contrôle de l'application effective de certaines d'entre elles.
La carte d'implantation des nouveaux radars (y compris des leurres et des trajets des radars mobiles) doit être établie en s'efforçant des compenser les disparités existant entre les réseaux routiers et les départements (notamment les outre-mer qui sont assez mal équipés). J'ai en effet pu relever que certains départements dont les taux d'équipement sont assez variables, ont des taux d'accidentalité finalement peu éloignés.
Une augmentation importante du nombre radars a été décidée lors du comité interministériel de la sécurité routière (CISR) du 2 octobre 2015 : 500 radars de plus d'ici 2018, quadruplement des zones couvertes par les équipements de contrôle sanction automatisé. Elle risque de voir ses effets limités par les avertisseurs de radars et les réseaux sociaux. Le projet de décret notifié en avril dernier à la Commission européenne, qui donne la possibilité prendre des arrêtés au cas par cas, dans des zones ne pouvant pas dépasser 20 km dans lesquelles les avertisseurs ne pourront signaler de présence policière, et pendant un délai ne pouvant pas dépasser 24 heures - vous notez la double contrainte -, devrait avoir un impact réduit.
À cet égard, le développement des radars mobiles - à bord de véhicules dont la conduite serait confiée à des prestataires privés - est susceptible d'être plus efficace, à condition d'être rigoureusement encadrée (transparence sur les itinéraires empruntés par les véhicules, « masquage » des infractions constatées par le radar qui ne doivent pas être communiquées au conducteur de la voiture qui le transporte, rémunération des sociétés en fonction du nombre d'heures de conduite et non du nombre d'infractions constatées, bien entendu). L'imprévisibilité de ces contrôles - qui doivent prioritairement viser le réseau secondaire, le plus accidentogène - ne doit toutefois pas être surestimée : des sites internet recensent déjà les plaques d'immatriculation des véhicules banalisés.
Une implication renforcée de tous les acteurs de la sécurité routière doit être recherchée, qu'il s'agisse du volet préventif ou répressif.
Comme toujours un équilibre entre prévention et répression doit être trouvé.
Voilà, mes chers collègues, ce que je pouvais vous dire au sujet de ce rapport que je souhaiterais que le Sénat puisse publier dans le courant du mois d'août.
M. Vincent Capo-Canellas. - Je voudrais évoquer trois points rapidement. D'abord, je rejoins tout à fait le rapporteur s'agissant de l'élargissement des radars aux réseaux départementaux et communaux. Je peux citer l'exemple de ma ville qui est traversée par une ancienne nationale, où circulent 50 000 véhicules par jour. J'ai reçu une lettre du préfet m'annonçant l'installation d'un radar. Mais depuis, rien n'a été fait car le marché public a été déclaré infructueux et les crédits n'ont pas été renouvelés. Il faudrait s'interroger sur l'emplacement des radars, et les mettre sur les routes où il y a de la vitesse et des dangers. On voit donc que ces critères ne sont pas pris en compte pour les réseaux départementaux et communaux.
Ensuite, je souhaitais savoir si on avait évalué et si on pouvait généraliser le recours aux « caissons gris » qui semblent être des radars mobiles ne restant que quelques heures à des points fixes. Nous ne sommes pas habitués à ce type de radar.
Enfin, je voulais évoquer le recours à des sociétés privées pour relever les infractions. Que peut-on en penser ? Est-ce que cela peut être mis en place ?
M. Daniel Raoul. - J'avais également trois remarques. Je suis frappé de l'alternance des vitesses sur les périphériques sans aucune justification, sauf à considérer que les radars sont des « machines à cash ». On alterne entre 90 km/heure, 70 km/heure, etc., le but est de piéger les gens. Cette alternance de vitesses n'a aucune raison d'être en termes de danger. Il y a donc un problème d'acceptabilité de ces radars.
Par ailleurs, vous parlez d'augmentation des panneaux. Mais plus il y a d'information et moins l'information passe. Sur les grandes voies, on est complétement saturé d'informations.
Vous évoquez également les brouilleurs d'ondes. Il faut faire attention, car ces systèmes ont autant d'effets négatifs que positifs. Ils pourraient brouiller, par exemple, des systèmes d'alerte, comme le SAIP - qui est, par ailleurs, un scandale comme le LOUVOIS. Dans certains pays comme au Japon, on est capable de géolocaliser des zones où donner l'alerte.
Enfin, je ne comprends pas qu'on n'ait pas encore imposé, comme dans les pays nordiques, des systèmes d'éthylotests permettant de bloquer le véhicule du conducteur dont l'alcoolémie est supérieure à la limite autorisée. Cela ne coûte pratiquement rien pour le constructeur. Je ne comprends pas que cela n'ait pas été fait, alors que cette mesure pourrait être beaucoup plus efficace que les contrôles aléatoires sur la route.
M. Philippe Dallier. - Je constate, après avoir écouté Vincent Capo-Canellas, qu'il en est de même de l'ancienne nationale 2 que de l'ancienne nationale 3. J'avais également reçu un courrier m'annonçant l'installation d'un radar et rien n'est venu. Ceci étant dit, concernant les radars fixes, on va finir par arriver au bout du bout ; on devrait pouvoir nous indiquer précisément le niveau de recettes. Mais ma question porte sur l'installation des radars au niveau des franchissements de feux rouges situés dans les carrefours dangereux. Je reprends l'exemple de l'ancienne nationale 3 : il y a des personnes qui vont très vite mais en journée les conducteurs qui « passent à l'orange » bien sûr constituent le plus gros danger. A-t-on des statistiques sur la pose de ces radars ? Ces radars se développent-ils ? En matière de prévention des risques d'accident, cela paraît très efficace mais il ne me semble pas en voir beaucoup. Cela devrait être une priorité au lieu de renforcer le contrôle de vitesse...
M. Thierry Carcenac. - Pour ma part, je suis dans un département où il y a beaucoup de radars. J'aurais aimé avoir la répartition entre radars fixes et mobiles. On a beaucoup de radars mobiles, avec des panneaux les indiquant, aux abords des routes et des chantiers. Sur les tronçons, quelle est la nature des radars ?
S'agissant de l'affectation des produits des radars, le comité des finances locales répartit le montant des produits pour les communes de moins de 10 000 habitants. Pour les communes de plus de 10 000 habitants, le montant est réparti en fonction du nombre de radars et de contraventions émises sur le territoire. Il y a aussi des départements, qui, en fonction du kilométrage de la voirie départementale, perçoivent une taxe fixe pour l'entretien de la voirie. Mais chaque année, le Gouvernement perçoit quelques millions pour le logement ou d'autres secteurs, ou pour financer l'agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF). Enfin, je rejoins Daniel Raoul quand il parle des vitesses alternatives ; à des moments vous ne savez plus à quelle vitesse il faut rouler. L'inscription de la vitesse à respecter sur le tableau de bord devrait être quasiment obligatoire. Enfin, s'agissant des éthylotests, cela existe pour les autocars ; il n'y a pas de raison pour que cela n'existe pas sur les véhicules privés.
M. Francis Delattre, vice-président. - Il faut noter que les ennemis du rendement financier sont les applications indiquant la position des radars.
M. Philippe Dallier. - Mais l'objectif est-il le rendement financier ou la baisse de la mortalité ?
M. Francis Delattre, vice-président. - Le procureur de la République m'envoyait une carte avec les points noirs correspondant aux lieux accidentogènes. Mais depuis plusieurs années, je ne reçois plus rien. Monsieur le rapporteur, pourriez-vous faire le point sur ce sujet ?
M. Michel Canevet. - Je voudrais féliciter le rapporteur pour la très grande qualité de son rapport. C'est un sujet qui intéresse beaucoup de monde. J'ai entendu un certain nombre de propositions. S'agissant de l'idée de rattacher au Premier ministre les instances interministérielles ou le délégué interministériel à la sécurité routière, je suis plutôt réservé.
Il faudra y réfléchir mais, comme mes collègues, je souscris totalement à l'idée qu'il faille avoir une appréciation très mesurée des petits excès de vitesse. En effet, parfois, on ne comprend pas les limitations de vitesse : on a, par exemple, des longues routes où la vitesse est fixée à 90 km/heure où l'on pourrait rouler à 110 km/heure.
Il faudrait, par ailleurs, qu'il y ait une étude sur les ressources issues des amendes de police ; il faut que ces recettes aillent aux actions de prévention de sécurité routière. Je sais que la grande majorité de ces recettes y est consacrée mais est-ce que le rapporteur pourrait nous confirmer que la quasi-totalité des crédits perçus au titre des amendes de police est affectée à ces politiques de prévention ? S'agissant de la baisse du nombre de radars mis en service, pourrait-on - dès lors que les élus locaux en décident pour des raisons de sécurité - installer des radars mais que la gestion reste aux mains de l'ANTAI et que les ressources issues de ce dispositif reviennent à la collectivité ? Est-ce une proposition qui pourrait être étudiée ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Je vais vous apporter quelques éléments de réponse. Il y a quelques années, j'avais interrogé la délégation à la sécurité et à la circulation routières pour installer un radar le long d'une nationale, dans ma commune, pour limiter le bruit. J'avais proposé de financer ce radar en laissant le produit à l'agence nationale de traitements automatisé des infractions (ANTAI). On m'a opposé une fin de non-recevoir.
Je ne suis pas étonné par les remarques faites par mes collègues sur les promesses non tenues s'agissant de l'installation des radars. Je voulais faire un point avec la délégation de la sécurité routière sur les radars non encore installés et les projets en cours. Je note le cas de la Seine-Saint-Denis.
Les radars mobiles existent et se développent. Des panneaux indiquant que sur un itinéraire, le conducteur a la possibilité d'être contrôlé par un radar sont en cours d'installation. Concernant la répartition entre radars fixes et mobiles, on compte 2 018 radars fixes et 787 radars mobiles. Par ailleurs, les radars double sens se développent.
On développe notamment les radars aux abords des chantiers et les radars-tronçons qui sont utiles. S'agissant de sociétés privées, on ne peut pas confier aux policiers ou gendarmes la tâche d'être toute une journée dans des voitures mobiles pour mesurer la vitesse des véhicules. L'idée est d'avoir des voitures banalisées. Une expérimentation va débuter en septembre 2017 en Normandie, qui ne nécessitera, d'ailleurs, plus qu'un conducteur. On verra les résultats de cette expérimentation.
Je partage les observations de Daniel Raoul s'agissant des limitations de vitesse. Je retiens ainsi la proposition de Thierry Carcenac concernant l'indication des limitations de vitesse sur les tableaux de bord.
S'agissant de la mise en place de nouveaux panneaux, il faut effectivement faire attention à ne pas saturer d'informations le conducteur. Néanmoins, je trouve que l'installation de quelques panneaux supplémentaires à des endroits précis pourrait être utile pour les conducteurs.
Je suis également d'accord avec Daniel Raoul s'agissant des brouilleurs d'ondes, je ne suis pas sûr que ce soit la solution optimale. Je proposerai également dans mon rapport la généralisation des systèmes éthylotests anti-démarrage (EAD).
Quant aux radars « feux rouges », ils se sont développés, mais il n'y en a peut-être pas assez. On en dénombre 712, fin 2015, mais leur nombre croît.
En outre, concernant les produits des amendes reversés aux collectivités, je tenais à souligner que le versement aux collectivités territoriales réalisé en 2016 est inférieur au montant prévu en loi de finances initiale. 672 millions d'euros étaient inscrits au compte d'affectation spéciale ; or le montant attribué aux collectivités est inférieur de 35 millions à ce montant. La direction générale des collectivités locales a décidé que les sommes restantes seraient attribuées l'année suivante aux collectivités. D'ailleurs, je profite de l'examen de mon rapport de contrôle pour dire qu'un examen plus long de la loi de règlement permettrait une analyse plus approfondie de la mission et la possibilité de dépôts d'amendements. S'agissant de l'ANTAI, j'avais proposé un amendement pour diminuer le montant du fonds de roulement, même si celui-ci n'avait pas été repris, ensuite, par l'Assemblée nationale. En 2016, ce fonds s'élève à 38 millions alors que le montant « normal » du fonds de roulement est de 14 millions d'euros. Il n'y a pas de raison que le fonds continue à augmenter.
Enfin, je retiens vos remarques quant à la nécessité d'une plus grande lisibilité des limitations de vitesse en fonction des tronçons.
La réunion est close à 18 h 35
Mercredi 19 juillet 2017
- Présidence de M. Francis Delattre, vice-président -
La réunion est ouverte à 8 h 35.
Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2016 - Examen du rapport
La réunion est ouverte à 8 h 35.
La commission procède à l'examen du rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2016.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous examinons un projet de loi de règlement déposé par le nouveau Gouvernement, mais portant sur la gestion de la précédente majorité. J'espère qu'il y aura ici au moins une personne pour défendre la gestion de 2016...
M. Claude Raynal. - Évidemment !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cet exercice présente néanmoins un intérêt certain, en ce qu'il peut nous permettre de prendre la pleine mesure des défis à venir sur le plan budgétaire, tout en vérifiant comme chaque année si l'autorisation parlementaire a bien été respectée.
En 2016, la croissance française s'est élevée à 1,2 %. Comme nous l'avions annoncé à l'époque, l'hypothèse retenue par le Gouvernement dans le cadre de la loi de finances rectificative était surévaluée, de 0,2 point de PIB. Surtout, il doit être noté que la croissance a été nettement inférieure à la moyenne de la zone euro et à la plupart des autres pays de l'Union européenne. Alors que la France avait bénéficié entre 2008 et 2013 d'une croissance supérieure à celle de la zone euro, l'année 2016 vient confirmer l'inversion de cette tendance observée à compter de 2014. En y regardant de plus près, 80 % de cet écart s'explique par la contribution négative du commerce extérieur, qui a fortement pénalisé la croissance en 2016.
Au-delà des facteurs conjoncturels, on peut s'interroger sur l'état de notre appareil productif. Ce point est d'autant plus crucial qu'un fort rebond du commerce mondial est attendu pour 2017. Si la France ne parvenait pas à en profiter, l'écart de croissance avec les pays dont l'appareil productif apparaît plus compétitif s'en trouverait accru.
La Commission européenne dresse un bilan contrasté de l'action engagée par le Gouvernement en la matière, indiquant que si « la compétitivité-coûts s'améliore », elle « n'a pas entièrement regagné le terrain perdu », tandis que « des progrès sensibles sur la compétitivité hors coûts tardent à se matérialiser ».
Sur les comptes publics, le diagnostic est sans appel : la légère amélioration du déficit effectif, de 0,2 point de PIB, masque un relâchement de l'effort de redressement des comptes publics.
Comme vous le savez, la France relève du volet correctif du pacte de stabilité, compte tenu des reports successifs du retour du déficit sous les 3 %, initialement prévu pour 2013. Or l'année 2016, loin d'être l'année du redressement, est celle du relâchement de l'effort de redressement des comptes publics !
En 2015, le Conseil de l'Union européenne a défini une nouvelle trajectoire d'ajustement à respecter, qui visait à ramener le déficit sous les 3 % du PIB en 2017. Toutefois, l'estimation du déficit public 2014 de la Commission européenne était alors surévaluée, ce qui a fortement minoré l'effort nécessaire pour atteindre les objectifs fixés.
Ainsi, ramener le déficit à 3,4 % du PIB en 2016 correspondait à une réduction de 0,6 point de PIB par rapport à 2015 dans la recommandation du Conseil. Compte tenu de l'erreur de prévision, la réduction nominale du déficit nécessaire pour respecter l'objectif n'a finalement été que de 0,2 point, soit trois fois moins que ce qui était nécessaire !
Plutôt que de profiter de cette « bonne nouvelle » pour réduire davantage le déficit en 2016 et « sécuriser » le retour du déficit sous les 3 % du PIB en 2017, le Gouvernement a préféré se contenter de l'effort « minimum ». Il a même parfois relâché les efforts - je pense à la masse salariale des administrations publiques, qui a fortement dérivé en 2016. Nous en payons aujourd'hui les conséquences.
Ce constat d'un relâchement de l'effort transparaît clairement lorsque l'on regarde les indicateurs structurels.
Ainsi, aucun des deux objectifs structurels fixés par le Conseil de l'Union européenne n'a été respecté. La réduction du déficit structurel, limitée à 0,2 point de PIB, est même quatre fois inférieure à l'effort demandé par le Conseil. Si le Haut Conseil des finances publiques ne s'en est pas ému, c'est parce qu'il est contraint de calculer le déficit structurel avec les hypothèses gouvernementales figurant dans le rapport annexé à la loi de programmation. Or, ces hypothèses sont fortement surévaluées et ne constituent plus, selon l'avis du Haut Conseil, « une référence pertinente pour une juste appréciation de la trajectoire des finances publiques ».
À l'avenir, il est donc indispensable que les hypothèses de croissance potentielle et d'écart de production retenues dans la loi de programmation restent « en ligne » avec le consensus des économistes.
À quelles administrations publiques ce relâchement est-il imputable, le secteur local, les administrations de sécurité sociale ou l'État ? Nous connaissons la réponse : le relâchement de l'effort est imputable à l'État. Là encore, le diagnostic est limpide : les efforts ont une nouvelle fois été portés principalement par les collectivités territoriales et par la sécurité sociale.
En 2016, les collectivités territoriales ont supporté 60 % de la réduction du déficit, soit 3,1 milliards d'euros. Avant son élection, le candidat François Hollande avait pris l'engagement d'un pacte de confiance avec les collectivités. Il avait notamment affirmé que l'État maintiendrait ses dotations. Nous savons tous ce qu'il en a été : loin d'être tenue, cette promesse a été oubliée et les collectivités territoriales ont dû supporter l'essentiel de la réduction du déficit.
Les collectivités territoriales ont réalisé les deux tiers des réductions du déficit depuis 2013, alors qu'elles représentent seulement 20 % des dépenses et des recettes publiques ; le Gouvernement leur demande un effort supplémentaire de 13 milliards d'euros alors qu'elles ont déjà fait largement leur part ! Qui plus est, elles sont le seul secteur des administrations publiques en excédent.
En 2016, l'effort réalisé apparaît d'autant plus significatif qu'il a porté sur les dépenses de fonctionnement. S'agissant de l'investissement local, il est une nouvelle fois orienté à la baisse, en diminution de 3,3 %, après avoir diminué de 9,7 % en 2015 et de 8,3 % en 2014. Ne nous étonnons pas, ensuite, des difficultés de fonctionnement que rencontrent certains secteurs, en particulier les travaux publics.
À première vue, le déficit budgétaire de l'État connaît en 2016 une légère amélioration de 1,5 milliard d'euros par rapport à l'exécution 2015. Cependant, la baisse modérée du déficit résulte exclusivement d'économies de constatation relatives aux prélèvements sur recettes et à la charge de la dette, d'annulations sur les programmes liés au désendettement de l'État et de recettes exceptionnelles dont la perception a été avancée en 2016.
Par ailleurs, si en comptabilité budgétaire on relève une amélioration du solde de l'État, en comptabilité nationale le constat est sans appel : le déficit s'est dégradé de 2,5 milliards d'euros entre 2015 et 2016.
Les recettes fiscales nettes, qui représentent 95 % des recettes de l'État, ont crû de 4 milliards d'euros en 2016, mais ont diminué de 3,8 milliards d'euros par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale ; le décalage s'explique principalement par l'optimisme des prévisions de croissance, alors que l'élasticité des recettes à la croissance a tendance à se redresser. La dure réalité des chiffres nous donne donc a posteriori raison !
Une analyse impôt par impôt, qui figure dans le rapport, fait ressortir une diminution marquée du produit de l'impôt sur les sociétés en 2016, tandis que les autres impôts augmentent d'un montant compris entre 2 milliards et 2,5 milliards d'euros ou se maintiennent.
Les recettes non fiscales s'élèvent à 16,2 milliards d'euros en 2016, en hausse de 1,8 milliard d'euros par rapport à 2015. Cette hausse est principalement portée par le versement de la Compagnie française pour le commerce extérieur (Coface) de 2,4 milliards d'euros et par l'augmentation de 1,3 milliard d'euros des recettes liées aux redevances des fréquences radioélectriques. Du côté des diminutions, doivent être cités le versement du dividende EDF sous forme de titres (- 1,7 milliard d'euros) et la baisse des amendes prononcées par l'Autorité de la concurrence.
Du côté de la dette, elle n'est évidemment toujours pas maîtrisée, c'est la conséquence directe du déficit. Par rapport à la dynamique observée entre 2011 et 2014, la hausse modérée du ratio d'endettement constatée depuis 2015 semble, en première analyse, confirmer l'inflexion annoncée par le Gouvernement lors de l'examen du budget. En réalité, cet infléchissement tient surtout à l'effet mécanique des primes d'émission perçues par l'État dans un contexte de taux historiquement bas, qui ont atteint 20,8 milliards d'euros en 2016, après 22,7 milliards d'euros en 2015. Sans ces taux très bas, la tendance serait tout autre.
La comparaison avec l'Allemagne démontre combien la France ne maîtrise pas sa dette : alors que nos niveaux d'endettement étaient comparables en 2007, l'écart s'élève désormais à près de 28 points de PIB - c'est que l'Allemagne a su se désendetter, alors que la France, elle, continue à s'endetter. Conséquence : nous devons chaque année assumer une charge d'intérêts significativement supérieure à celle de nos voisins. Si nous avions le même niveau d'endettement que les Allemands, notre charge d'intérêts aurait été, l'an passé, inférieure de 12,5 milliards d'euros : l'équivalent de deux fois le budget de la justice !
Ce décalage est d'autant plus préoccupant qu'il a vocation à s'accroître, sous l'effet notamment de la remontée des taux d'intérêt.
J'en viens enfin au respect de l'autorisation budgétaire.
Les principaux dépassements en valeur absolue de cette autorisation portent sur des missions que nous connaissons bien.
Concernant la mission « Travail et emploi », la sur-exécution est principalement imputable à la hausse du nombre de contrats aidés et au plan de formation annoncé au début de l'année 2016.
Le dépassement de 700 millions d'euros des crédits de la loi de finances initiale pour la mission « Défense » s'explique par la sous budgétisation des Opex et des Opint, récurrente depuis 2013.
Sur la mission « Solidarité », la montée en charge de la prime d'activité a été plus rapide que prévu. Au surplus, une sous-budgétisation chronique caractérise les dépenses liées à l'allocation aux adultes handicapés (AAH).
Enfin, le Gouvernement ne parvient pas à maîtriser les dépenses de personnel de la mission « Enseignement scolaire » - c'est inquiétant - et les crédits de la mission « Agriculture » ont été dépassés de 17 % du fait de l'impact budgétaire pourtant prévisible des crises sanitaires.
L'année 2016 a été marquée par un usage intensif des outils de régulation budgétaire comme la mise en réserve de crédits, les annulations et les ouvertures par voie réglementaire ou encore les reports, les gels ou les surgels, bref, de tous les artifices budgétaires qui déresponsabilisent l'administration et rendent le contrôle du Parlement très indirect.
Ainsi, les ouvertures par décret d'avance en 2016 sont, de loin, les plus fortes depuis dix ans.
De même, la mise en réserve a fortement augmenté durant le quinquennat, passant de 4,41 % des crédits de paiement du budget général en 2012 à 8 % en 2016, soit une hausse de 81,4 % en quatre ans. Tout cela témoigne de l'incapacité à présenter un budget initial qui soit sincère et maîtrisé.
Espérons que le nouveau Gouvernement tire les leçons de cette mauvaise gestion pour mieux préparer l'avenir, qu'il s'agisse des efforts de redressement de nos finances publiques à mener ou de la sincérité budgétaire à respecter. Le ministre de l'action et des comptes publics affiche sa volonté de moins recourir à la mise en réserve : on jugera sur pièces !
Tout cela justifie a posteriori la position de la majorité sénatoriale, qui avait refusé d'examiner le budget pour 2017, compte tenu de ses éléments d'insincérité.
Revaloriser le rôle du Parlement en matière budgétaire ne dépend pas seulement de l'organisation de nos travaux sur le projet de loi de règlement, mais suppose, de la part de l'exécutif, une budgétisation crédible et un usage raisonné des outils de régulation budgétaire : c'est là tout le sens du « chaînage vertueux » prévu par la loi organique de 2001.
Je signale au passage que le projet de loi de règlement comporte six articles de constatation. Un septième article a été ajouté sur l'initiative du rapporteur général de l'Assemblée nationale, Joël Giraud, et des députés LREM, créant un nouveau document de politique transversale sur la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales. Je propose de ne pas le modifier.
M. Vincent Delahaye. - Je regrette que l'étude des comptes de l'année 2016 intervienne après les élections présidentielle et législatives, et que Christian Eckert et Michel Sapin ne viennent pas s'expliquer devant nous.
Le bilan budgétaire du quinquennat est catastrophique. Éléments exceptionnels mis à part, le déficit pour 2016 est supérieur à celui de 2013.
Cette véritable technique de cavalerie que constituent les reports de charge atteint des sommets en 2016 : 12,5 milliards d'euros, soit une augmentation de 900 millions d'euros par rapport à 2015. Cette pratique, interdite dans le secteur privé, est tolérée au niveau de l'État, ce qui me semble anormal.
Je m'interroge aussi sur la réserve de précaution, qui s'élève à 13 milliards d'euros pour 2016. Or, selon la Cour des comptes, le budget pour 2017 dérape de 11 milliards d'euros.
M. Claude Raynal. - 9 milliards d'euros !
M. Vincent Delahaye. - La réserve de précaution est aujourd'hui un leurre : elle ne correspond pas à de l'argent mis de côté pour financer des dépenses imprévues, mais porte sur des crédits destinés à financer des dépenses obligatoires.
Sur ce total, il faudrait savoir ce que l'on peut réellement redéployer.
Au regard de ces éléments, notre groupe n'approuvera pas ce projet de loi de règlement.
J'ai deux questions précises. Vous mentionnez une économie de 2,3 milliards d'euros réalisée au moyen d'« annulations sur les programmes liés au désendettement de l'État » : de quoi s'agit-il ?
Vous signalez également 422 millions d'euros d'avance sur le reversement de la Coface prévu en 2017 : comment peut-on ainsi anticiper sur 2016 un versement prévu pour 2017 ? Une telle pratique serait interdite en comptabilité privée...
M. Claude Raynal. - J'essaierai de contrebalancer la charge menée par le rapporteur général par quelques éléments à décharge.
Un projet de loi de règlement permet, premièrement, de suivre l'évolution des finances publiques d'une exécution à l'autre et, deuxièmement, de vérifier que les objectifs fixés par le législateur ont bien été atteints - et l'Assemblée nationale a dit qu'ils l'étaient, cela ne vous aura pas échappé : le déficit public a diminué l'an passé, à 3,4 % du PIB et ce bon résultat ne nous surprend pas puisque Michel Sapin et Christian Eckert nous ont habitués, depuis le projet de loi de finances pour 2013, à tenir les engagements de la France.
Les chiffres vous agacent, monsieur le rapporteur général, mais ils parlent d'eux-mêmes : 5,1 % de déficit en 2011, 4,8 % en 2012, 4 % en 2013, 3,9 % en 2014, 3,6 % en 2015 et 3,4 % en 2016, soit exactement le niveau recommandé par le Conseil de l'Union européenne le 10 mars 2015 ! Mais, alors que vous vous appuyez systématiquement sur les chiffres de la Commission européenne pour dire que la France fait mal, cette fois-ci, vous nous dites qu'ils sont faux ! Il faudrait interroger à l'occasion Pierre Moscovici sur cette prétendue erreur, même si je devine déjà sa réponse...
Au total, entre fin 2013 et fin 2017 - je ne rentrerai pas dans cette polémique stupide sur la traditionnelle régulation des crédits en fin d'année, nous terminerons l'exercice 2017 à 3 % -, le déficit a baissé de deux points, soit exactement ce que prévoit l'actuel gouvernement d'ici à 2022. Je regrette que vous ne l'ayez pas dit, Monsieur le rapporteur général.
La notion de déficit structurel est bien difficile à définir : interrogez trois économistes, ils vous livreront trois définitions différentes. Je vous soupçonne, Monsieur le rapporteur général, de retenir la définition qui vous arrange !
Je vous rejoins en revanche sur un point : la baisse du déficit est très largement due aux économies réalisées par les collectivités territoriales. L'effort de l'État est, comparativement, relativement faible, mais n'oublions pas qu'il doit répondre à des enjeux nationaux autrement plus graves. Le CICE, s'il a mobilisé des sommes considérables, a aussi permis de relancer l'économie. Quant aux dépenses supplémentaires pour la sécurité consenties en 2015 et 2016, personne, me semble-t-il, ne songe à les contester. Nous devons aussi avoir une vision qualitative de l'action de l'État.
Je voudrais enfin revenir sur le graphique figurant sur votre document de présentation, qui compare l'évolution du ratio d'endettement en France et en Allemagne depuis 2006. Tout d'abord, n'oublions pas que, fin 2011, après la crise, notre déficit s'établissait à 5,1 % du PIB, quand celui de l'Allemagne était égal à zéro ! Ensuite, on remarque sur ce graphique que, pour les trois quarts, la rupture entre l'Allemagne et la France s'est produite avant 2012. Je vous laisse donc la responsabilité du jugement que vous portez a posteriori sur la gestion du gouvernement Fillon !
Il est également intéressant de faire la somme des dépassements de crédits, prétendument catastrophiques, des cinq missions que vous recensez : 3,8 milliards d'euros, sur un budget de 322 milliards d'euros, soit 1 % du total !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Seuls les dépassements les plus significatifs sont recensés !
M. Claude Raynal. - Raison de plus : si ceux-là sont significatifs, les autres doivent être vraiment insignifiants ! Enfin, nous vous rejoignons, monsieur le rapporteur général, sur l'augmentation abusive des crédits ouverts par décret d'avance mis en réserve. Nous devons corriger le tir à l'avenir.
M. Francis Delattre, président. - Nous avions émis des réserves sur le fait que le CICE ne soit pas ciblé et bénéficie largement à des entreprises non délocalisables. N'oublions pas non plus que dans les sommes qui pèsent sur le déficit de l'État en comptabilité nationale, il y a 5 milliards d'euros de dépenses liées au CICE qui devront être versées tôt ou tard !
M. Marc Laménie. - La comparaison avec l'Allemagne me semble pertinente, les écarts sont significatifs, mais quelles leçons pouvons-nous au juste en tirer ?
Par ailleurs, les décrets d'avance sont souvent sur la sellette. Par quoi pourrions-nous les remplacer ?
M. Serge Dassault. - Nous sommes en déficit car nous dépensons trop et que nos recettes sont insuffisantes. Hélas, au lieu de réduire nos dépenses, nous les augmentons !
Nos recettes sont insuffisantes car nos impôts trop élevés bloquent la croissance.
La croissance se nourrit des investissements réalisés par les classes aisées et moyennes. Mais l'État leur prend tellement d'argent qu'ils ne peuvent plus investir et s'en vont à l'étranger !
Si le taux de chômage a baissé de 10 % à 5 % en Allemagne, c'est grâce à la flexibilité, dont personne ne veut en France. Les chefs d'entreprise doivent pouvoir embaucher quand ils ont des commandes et licencier quand il n'y a plus d'activité. C'est le cas partout sauf en France, où le CDI s'apparente à une fonctionnarisation de l'emploi salarié.
Les contrats aidés, de même que la prime pour l'emploi ou la prime d'activité, ne servent à rien.
Nous allons mal, pourtant nous persistons dans une logique d'État providence qui consiste à donner de l'argent à ceux qui ne travaillent pas, pour les aider à travailler - sans résultat le plus souvent.
Tant que nous refuserons de passer d'une fiscalité progressive sur le revenu à une fiscalité à taux constants, nous n'aurons pas de croissance !
L'État est toujours trop optimiste dans ses prévisions budgétaires, alors qu'il vaut nettement mieux être un peu pessimiste, pour avoir ensuite une bonne surprise !
Je profite de cette intervention pour vous dire au revoir. En effet, je ne me représenterai pas aux prochaines élections sénatoriales, n'ayant pas été choisi comme candidat officiel par Les Républicains. Je ne veux pas me battre contre mes amis politiques et je renonce donc à ma candidature.
Voilà treize ans que je ferraille à vos côtés, et je tenais aujourd'hui à vous remercier toutes et tous pour votre amabilité. Je félicite en particulier le rapporteur général pour sa compétence, même s'il lui arrive parfois de parler trop vite ! (Sourires) Je vous demanderai aussi de bien vouloir transmettre mes remerciements à la présidente pour son sérieux et sa sympathie.
À l'avenir, quand je ne serai plus là, ne dépensez pas trop, faites des budgets sincères, instaurez une fiscalité à taux constants et ça ira mieux ! (Applaudissements)
M. Philippe Dallier. - Au nom du groupe Les Républicains, je tiens à saluer chaleureusement Serge Dassault qui, durant toutes ces années, a tenu un discours clair et constant sur les efforts à réaliser par ce pays. Espérons qu'il soit entendu !
Même si Claude Raynal cherche encore, contre toute évidence, à démontrer que tout va mieux, on devrait pouvoir s'accorder sur le fait que le quinquennat s'est achevé sur une situation financière insatisfaisante.
Selon la Cour des comptes, entre 2013 et 2016, hors éléments exceptionnels - taux d'intérêts bas, diminution de la dotation aux collectivités territoriales... -, le déficit budgétaire n'a pas diminué. Malheureusement, ce n'est pas une bonne nouvelle pour notre pays.
En 2016, pour la première fois depuis des lustres, les crédits destinés aux aides personnelles au logement (APL) ont été correctement évalués, avec même un excédent de 83 millions d'euros, qui aurait pu être utilement affecté à la réduction de la dette du Fonds national d'aide au logement. En revanche, nous continuons à être dépassés par les événements en matière d'hébergement d'urgence, et cette situation perdurera en 2017.
Enfin, concernant les APL, le Gouvernement nous a expliqué que les crédits pour 2017 étaient suffisants, à condition de mettre en oeuvre les mesures prévues par le gouvernement précédent. En réalité, il s'agissait de la possibilité de décider, par voie réglementaire, d'un abattement forfaitaire de 2 euros sur le montant des APL versées à chaque allocataire. Si le Gouvernement peut ainsi décider, en cours d'année, d'amputer une partie des allocations versées, à quoi bon débattre chaque année des crédits devant le Parlement ?
M. André Gattolin. - Nous saluons à notre tour, au nom du groupe LREM, le départ du doyen de cette assemblée et portons à son crédit la constance de ses analyses.
Monsieur le rapporteur général, quelle différence faites-vous entre le dépassement des crédits lié à une réorientation décidée en cours d'année et la sous-budgétisation volontaire ?
On a par exemple constaté le doublement des besoins pour le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) quelques mois après sa mise en place. Bercy nous a expliqué que ce dispositif était nouveau et son coût imprévisible. C'est faux : certaines politiques en matière d'isolation ou de rénovation avaient déjà été menées dans les années 1990, et faisaient déjà l'objet de sous-budgétisation. Nous avons donc plutôt affaire ici à une sous-provision délibérée.
Mais il y a aussi des dépassements délibérés. Le dépassement marqué des crédits affectés à la mission « Défense » a été souligné par tous. Que les choses soient claires, le budget du ministère de la défense n'est pas trop élevé. Néanmoins, au cours de leur audition, le ministre de l'économie et le ministre de l'action et des comptes publics ont sous-entendu que le contrôle du budget des Opex manquait de rigueur. Qu'en pensez-vous, Monsieur le rapporteur général ?
M. Jean Pierre Vogel. - Avez-vous, Monsieur le rapporteur général, des explications à nous fournir sur le milliard d'euros d'autorisations d'engagement alloué à la défense, qui n'a pas été consommé l'année passée et fait l'objet d'une annulation ? Cette question prend une ampleur particulière alors que nous apprenons la démission du chef d'état-major des armées.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vincent Delahaye, dans mon rapport écrit, je développe largement les charges et les restes à payer; les reports de charges sont en effet de plus en plus importants et fragilisent l'exécution de l'année 2017.
Quant à la réserve de précaution, qui devrait servir à faire face à l'imprévisible, elle devient un moyen de régulation budgétaire comme un autre. Cela déresponsabilise les gestionnaires, qui sur-budgétisent leurs besoins car ils anticipent des gels de crédits...
Je salue à mon tour le talent de Claude Raynal. Il vante sans cesse la gestion budgétaire du précédent gouvernement, mais le solde de l'État a dérivé de 2,5 milliards d'euros en comptabilité nationale, et l'essentiel des efforts a été fourni par les administrations publiques locales, à hauteur de 3,1 milliards d'euros. Merci donc aux collectivités territoriales, et non à l'État, d'avoir contribué à réduire le déficit public français.
Quant à écart du ratio d'endettement entre la France et l'Allemagne, il était de 9 points en 2012, il est de 28 aujourd'hui !
M. Bernard Lalande. - Le différentiel se creuse en 2010 : c'est le gouvernement d'alors qui aurait pu faire les bons choix !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - On aurait pu faire mieux avant 2012, certes, mais ce différentiel s'est profondément creusé au cours du dernier quinquennat.
Comment limiter l'usage des décrets d'avance ? Il faudrait pour cela un budget sincère dès le début. Or chaque année, on le sait, les dépenses des Opex ou celles liées à l'immigration, entre autres, dérapent, ce qui oblige à autant de décrets d'avance. Certains dépassements sont récurrents, il faudrait pouvoir les anticiper.
Je salue Serge Dassault, ainsi que sa constance à nous alerter sur la nécessité de maîtriser les dépenses publiques. Ses multiples rapports sur la dette témoignent de son engagement. Nous ne serions pas dans cette situation si nous avions fait tous les efforts nécessaires au moment adéquat. Toute remontée des taux aura des conséquences catastrophiques sur le montant de la charge de la dette.
Philippe Dallier a souligné la légère amélioration de la budgétisation pour les aides au logement, même s'il est vrai que la réduction de deux euros qu'il a mentionnée, et qui est annoncée par le Gouvernement pour 2018, n'a pas été présentée clairement dans le projet de loi de finances pour 2017.
André Gattolin pose la question de savoir ce qui est prévisible ou pas, ce qui est sincère ou pas. Il faut admettre que, pour ce qui est des dépenses récurrentes, certaines missions sont systématiquement sous-budgétisées. En cours d'année, surtout quand elle est électorale, des mesures non budgétées peuvent être annoncées pour aider les agriculteurs, pour augmenter le point d'indice, pour faire face à des aléas sanitaires... Tout n'est pas prévisible.
Jean Pierre Vogel nous interroge sur l'abandon du milliard d'euros de crédits affectés au ministère de la défense. Nous en reparlerons lors de notre examen du projet de décret d'avance, mais l'étalement de programmes d'équipement, comme le non-report des autorisations d'engagement, sont des variables d'ajustement du budget. Au sein de l'État, c'est la défense qui fournit le principal effort d'investissement. C'est donc sur ce ministère que les non-reconductions d'autorisations d'engagement portent le plus.
Je m'en remets donc à votre sagesse sur ce projet de loi de règlement.
M. Francis Delattre, président. - La relation avec l'Allemagne est le noeud central de nos discussions, ce qu'a bien perçu le Président de la République. Les objectifs vitaux de nos deux pays sont différents : l'Allemagne doit améliorer le sort de ses retraités et épargnants, la France doit donner un emploi aux 300 000 nouveaux arrivants par an sur le marché du travail.
Le budget allemand connaît un excédent considérable, la France n'est pas la seule à le trouver excessif. Sans doute faudrait-il le réduire.
Quant au CICE, je rappelle que le rapport Gallois avait pour objet de relancer l'industrialisation en France, et il avait parfaitement raison. Le problème du dispositif est qu'il a été étendu à tous les secteurs. Pourquoi ? Tout simplement parce que la grande distribution, qui est très bien représentée, a fait savoir au Gouvernement que toutes leurs caisses allaient être automatisées si le CICE ne s'appliquait pas au secteur.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter le projet de loi de règlement et d'approbation des comptes de l'année 2016.
Projet de décret d'avance, relatif au financement de dépenses urgentes - Communication et adoption de l'avis de la commission
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La commission des finances a reçu mardi dernier un projet de décret d'avance portant ouverture et annulation de crédits à hauteur de 2,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 3 milliards d'euros en crédits de paiement. Conformément à l'article 13 de la loi organique relative aux lois de finances, nous devons faire connaître notre avis au Premier ministre dans un délai de sept jours à compter de la notification du projet de décret.
Le recours au décret d'avance constitue une exception au principe de l'autorisation parlementaire des crédits. La loi organique relative aux lois de finances définit quatre conditions de validité du recours au décret d'avance : les annulations doivent être au moins égales aux ouvertures, pour ne pas affecter l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances ; les montants de crédits ouverts ne doivent pas dépasser 1 % des crédits prévus en loi de finances initiale et les crédits annulés ne peuvent être supérieurs à 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours.
Ces critères, mathématiques, sont respectés.
Celui de l'urgence, lui, est plus qualitatif. Je rejoins la Cour des comptes pour dire que l'urgence cumule nécessité d'ouvrir des crédits et imprévisibilité des besoins, ce qui exige un examen détaillé des ouvertures.
Ce décret d'avance est d'une ampleur inédite : jamais, depuis 2006, on a ouvert autant de crédits par ce moyen.
M. Claude Raynal. - Nous y voilà !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il faut dire que le Gouvernement hérite d'une situation difficile.
Les ouvertures prévues visent à financer huit types de dépenses : 1,5 milliard d'euros vont à la recapitalisation de la holding Areva ; 640 millions d'euros des ouvertures, concernent les Opex des armées ; l'allocation pour demandeur d'asile exige près de 220 millions d'euros supplémentaires ; le plan d'urgence pour l'emploi requiert l'ouverture de 260 millions d'euros également. Autres ouvertures que la commission des finances est habituée à examiner en décret d'avance : 122 millions d'euros au titre de l'hébergement d'urgence, environ 100 millions d'euros pour la lutte contre les crises sanitaires agricoles et 63 millions d'euros pour les dépenses du service civique. Enfin, 160 millions d'euros sont prévus au titre de l'acquisition d'un immeuble par l'Insee.
La plupart de ces ouvertures sont liées à des sous-budgétisations que nous avions déjà identifiées en loi de finances initiale. Il est donc difficile d'affirmer que les dépenses sont imprévisibles.
Cependant, le Gouvernement ne peut pas être tenu responsable des biais de construction du dernier projet de loi de finances et les dépenses que le décret d'avance vise à financer sont nécessaires, c'est incontestable.
J'évoquerai rapidement les annulations de crédits permettant de gager les ouvertures. Ces annulations portent sur la quasi-totalité des missions et des ministères à l'exception des outre-mer. En crédits de paiement, les ministères les plus touchés sont l'intérieur, les affaires étrangères et la défense. Ces annulations prennent un relief particulier alors que nous avons appris ce matin la démission du chef d'état-major des armées.
Les annulations sur les missions régaliennes sont importantes, mais pas insoutenables. À ce stade de l'année, il est difficile de porter un jugement définitif. C'est surtout l'ampleur et la répartition du schéma de fin de gestion, en novembre, qui permettra de savoir si les choix faits par le Gouvernement sont restés mesurés et raisonnables.
Il faut noter que le Gouvernement a fait le choix de n'annuler aucun crédit sur la mission « Crédits non répartis », ce qui lui laisse quelques marges de manoeuvre pour la fin de l'année.
Contrairement aux précédents décrets d'avance que nous avons examinés, les annulations ne sont pas artificielles ni de pure forme.
Comme d'habitude, une partie importante des annulations porte sur des crédits gelés : environ quatre cinquièmes des crédits annulés étaient mis en réserve.
Un décret d'annulation nous a également été transmis ; nous n'avons pas à nous prononcer dessus, bien que les annulations participent de l'économie générale du schéma d'ouvertures et de « coupes » prévues par le Gouvernement. La proportion des crédits annulés varie entre les missions ; au total, elles ne représentent que 0,5 % des autorisations d'engagement et 0,2 % des crédits de paiement du budget général.
Pour conclure, les dépenses sont toutes urgentes au sens où les crédits seront nécessaires avant le dépôt et l'examen du projet de loi de finances rectificative de fin de gestion. La plupart des ouvertures n'étaient pas imprévisibles dans l'absolu, mais si l'on veut être objectif, on ne peut pas tenir rigueur à ce Gouvernement des choix faits dans le projet de loi de finances pour 2017.
Le choix des dépenses sur lesquelles portent les annulations peut prêter à discussion.
Ce décret d'avance conforte en tous cas ce que la majorité sénatoriale n'a cessé de dire : le budget 2017 était entaché de biais de construction extrêmement importants.
Je vous propose de rendre un avis favorable sur ce projet de décret d'avance, avec de très fortes réserves sur les annulations de crédits touchant le ministère des armées.
M. Dominique de Legge. - Laissez-moi vous dire notre incompréhension la plus totale concernant la politique de défense du Président de la République. Les choses avaient pourtant plutôt bien démarré. Le Président de la République remonte les Champs-Élysées sur un command car, il rend visite aux soldats blessés à l'hôpital de Percy, son premier déplacement se fait sur une Opex, et le 14-Juillet est un très bel hommage rendu aux militaires.
Mais avec les arbitrages budgétaires affectant la défense, nous n'y comprenons plus rien. On ne peut pas se moquer des militaires, faire de beaux discours, montrer de belles images - et prendre des décisions contraires.
Le budget de la défense, c'est environ 10 % du budget général. Or l'effort demandé à la défense représente 20 % de l'effort total. Cela signifie que, clairement, la défense n'est pas une priorité, et que le Président de la République renie sa promesse de tendre vers un budget de la défense porté à 2 % du PIB.
On ouvre 643 millions pour les Opex : là encore, on se moque de nous ! Tout le monde sait bien que le surcoût des Opex est plus proche 1,2 milliard d'euros que d'un milliard. Avec cette avance, 200 millions d'euros manquent encore. Une fois de plus, ce sera le ministère des armées qui devra les trouver.
Le ministre de l'action et des comptes publics ne m'a pas répondu sur les 2,7 milliards d'euros de crédits gelés - je crains donc que ces crédits ne soient pas dégelés et le ministère des armées sera amputé de 10 % environ de ses moyens.
J'en conclus donc que, malgré ce décret d'avance, le budget des armées sera non seulement insuffisant mais aussi insincère. C'est une faute politique grave.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'avis de la commission des finances est très détaillé pour ce qui concerne la mission « Défense ».
Je précise que, à la réception de chaque décret d'avance, j'adresse instantanément un questionnaire très détaillé au Gouvernement.
À ma question portant sur la nature des 850 millions d'euros de crédits annulés sur la mission « Défense », on m'a répondu que cette décision n'aurait pas d'impact sur le l'engagement pluriannuel des programmes d'équipement, qu'elle limitait seulement la capacité des paiements, et conduirait le ministère à revoir sa programmation annuelle, sans précision. Cette réponse est un verbiage technocratique qui permet... de ne pas répondre. Quels achats seront concrètement reportés : des gilets pare-balle, des équipements pour l'opération Sentinelle ? On ne le saura qu'avec le schéma de fin de gestion.
Je propose donc d'ajouter à l'avis de la commission des finances sur ce projet de décret, un alinéa soulignant le caractère insuffisant de l'information apportée par le Gouvernement au Parlement sur les annulations portant sur le budget des armées.
M. Vincent Delahaye. - Je partage la plupart des observations du rapporteur général. Le Gouvernement avait annoncé 4,5 milliards d'euros d'économies. J'avais compris que les 3 milliards d'euros d'annulation de crédits entraient dans cette somme.
Le Gouvernement nous expliquait également que certaines annulations toucheraient la politique des emplois aidés. Or on apprend que 13 000 seront créés.
Tout cela donne une impression de flou, confirmée par la réponse de l'administration aux questions du rapporteur général. J'espère vraiment que les nouveaux ministres ne vont pas se laisser prendre en main par Bercy. Le flou artistique n'est pas possible quand il s'agit de finances !
L'ouverture de 3 milliards d'euros de crédits se fait au profit d'Areva, c'était une urgence, mais aussi des Opex, comme d'habitude sous-budgétisées.
Je suis très surpris de l'écart entre ce que dit le Gouvernement et ce qu'il nous présente aujourd'hui - en particulier, je ne retrouve pas les 4,5 milliards d'euros annoncés. Qui plus est, l'absence de réponse du Gouvernement est tout simplement vexante.
J'exprime donc moi aussi de très fortes réserves sur le décret d'avance, même si nous ne pouvons que l'accepter.
M. Claude Raynal. - Permettez-moi de regretter, en tant que citoyen, la démission du chef d'état-major des armées. C'est le symptôme d'une crise entre le Président de la République et les armées que nous souhaitons ne pas revoir.
Dominique de Legge connaît parfaitement cette mission. Je ne me permettrai pas de faire de commentaires particuliers. Je dirai seulement qu'il y a un non-dit, quand on parle d'Opex, qui veut que la part restant à financer, en fin d'exercice, fasse l'objet d'un effort interministériel. Il ne faut pas toujours utiliser le terme de « sous-budgétisation » : il s'agit en l'espèce d'un effort de solidarité de la part de tous les ministères. Il est clair que ces annulations font une victime : le budget de la défense.
Quant à l'ampleur inédite des ouvertures de crédits dont vous parlez, Monsieur le rapporteur général, elle m'amuse. On se croirait sur Facebook ! Vous avez le don de présenter des graphiques toujours frappants : la sphère représentant le décret dont nous parlons est toute rouge !
M. Michel Canevet. - Eh oui, c'est un boulet !
M. Claude Raynal. - Or, sans la recapitalisation d'Areva, la boule se dégonfle et descend sous la moyenne !
M. Philippe Dallier. - Mais nous savions que cela allait arriver !
M. Claude Raynal. - Ce décret d'avance est donc d'une ampleur tout à fait classique, hors Areva. Il n'est d'ailleurs pas sûr que le gouvernement précédent, s'il avait été reconduit, aurait traité ainsi ce problème.
M. Jacques Chiron. - Cela fait dix ans qu'on en parle !
M. Claude Raynal. - Certes, mais savait-on le montant exact de la recapitalisation nécessaire lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2017 ? J'en doute. Il y avait d'autres moyens pour arriver au même résultat. La Caisse des dépôts et consignations aurait pu, par exemple, porter des actions d'Areva pendant un certain temps.
La vérité est que le Gouvernement a voulu charger le gouvernement précédent, en organisant une forme de purge. C'est la même chose au plan local : chaque fois qu'un nouveau maire est élu, il charge l'équipe précédente de tous les maux et fait passer les dossiers les plus lourds dès le début de son mandat.
Le rapporteur général s'est permis une incise pour justifier le refus de la commission d'examiner le budget 2017. La vérité, c'est que vous ne vouliez pas proposer de budget alternatif alors que la primaire de la droite et du centre battait son plein ! Vous aviez alors des visions budgétaires totalement différentes. Alors, de grâce, ne refaisons pas l'histoire !
M. Éric Doligé. - Lorsqu'une commission entend le chef d'État-major des armées, ce dernier ne doit apparemment pas répondre à ses questions. Lorsque le rapporteur général du Sénat pose des questions à l'administration sur les annulations de crédits de la mission « Défense », il n'a pas de réponse. J'en conclus que le Parlement n'est probablement pas autorisé à s'intéresser de près au budget des armées !
Entre la recapitalisation d'Areva et les sous-budgétisations, ce sont 3 milliards d'euros qu'il faut trouver. Étrangement, dans le même temps, la même somme est exigée des collectivités territoriales, qui devront trouver non plus 10 milliards d'euros, mais 13 milliards d'euros. Il est facile de demander aux collectivités territoriales des efforts toujours plus importants. Mais ne serait-ce pas pour compenser la dérive du budget l'État ?
M. Maurice Vincent. - Le choix de recapitaliser l'ensemble de la filière nucléaire a été partagé par tous ou presque. C'est un choix qui nous coûte 7,5 milliards d'euros, Areva et EDF compris. Il est dû à la déconfiture du secteur, qui s'est produite avant 2012, ainsi que je l'ai indiqué dans mon rapport spécial.
Ce choix est industriel, technologique, environnemental et même diplomatique. Cette dépense ne peut pas surprendre. Pour des raisons techniques, il fallait la faire maintenant, pour bien séparer cette recapitalisation de la somme déboursée pour Areva SA. Sur ce point, on ne peut rien reprocher au Gouvernement, ni à l'ancien d'ailleurs. La construction des surgénérateurs aura probablement aussi un coût supplémentaire. Mais là encore, c'est un choix assumé par tous.
Sur la mission « Défense », le qualificatif d'« insincère » me paraît dangereux. Le Premier président de la Cour des comptes a évoqué des « éléments d'insincérité » dans le budget 2017 ; s'ils suffisent pour dire que le budget est insincère, alors tous les budgets le sont depuis 2009, en tout cas pour ce qui concerne les Opex !
Enfin, je crois que ce serait faire un procès d'intention au Gouvernement que de fonder un jugement définitif sur la seule l'annulation de 850 millions d'euros de crédits de la défense : l'objectif demeure bien d'atteindre les 2 % du PIB en 2025. Les réponses données à vos questions peuvent apparaître techniques voire dilatoires, Monsieur le rapporteur général, mais le décalage dans le temps de la dépense de 850 millions d'euros ne préjuge pas du niveau atteint en 2025.
M. Michel Canevet. - Je trouve certains commentaires bien durs : n'oublions pas que le Gouvernement hérite d'une situation difficile, qui lui impose de trouver des crédits en toute urgence. Les 850 millions d'euros annulés concernent les équipements des forces armées et portent sur des crédits déjà mis en réserve. L'importance de maintenir les opérations de nos troupes à l'extérieur prévaut.
C'est donc un décret d'avance d'une ampleur modeste si on enlève Areva, au regard en tout cas de l'audit de la Cour des comptes. À cette aune, je n'imaginais pas un effort budgétaire qui ne touche pas également les ministères régaliens.
Nous remarquons néanmoins, dans le budget relatif à la direction de l'action du Gouvernement, que sur une somme de 115 millions d'euros prévue pour le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, 100 millions d'euros n'ont été ni engagés ni dépensés l'année dernière. Il est donc urgent que le Gouvernement trouve des solutions pour utiliser mieux les crédits votés.
M. Francis Delattre, président. - Sur Areva, le procédé semble un peu rapide, mais enfin, s'il faut le faire...
Je suis sensible aux propos du rapporteur général et du rapporteur spécial de la mission « Défense » sur les annulations de crédits.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je vous propose que nous insérions un alinéa déplorant l'absence d'information transmise sur l'impact précis des annulations sur le programme d'équipement des armées.
Le Président de la République veut revaloriser les fonctions de contrôle du Parlement. Cela commence par la diffusion d'une information de qualité à la commission des finances, et cela passe par le fait que les gestionnaires de programmes s'exprimant à huis clos n'aient pas à regretter de l'avoir fait.
Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à ce projet de décret d'avance, donc, avec beaucoup de réserves sur les annulations frappant le budget de la défense.
La commission donne acte de sa communication au rapporteur général et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information ; elle adopte l'avis rectifié sur le projet de décret d'avance.
L'avis est ainsi rédigé :
La commission des finances,
Vu les articles 13, 14 et 56 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;
Vu la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 ;
Vu le projet de décret d'avance notifié le 12 juillet 2017, portant ouverture et annulation de 2 809 317 249 euros en autorisations d'engagement et 3 041 541 372 euros en crédits de paiement, le rapport de motivation qui l'accompagne et les réponses du ministre de l'action et des comptes publics au questionnaire du rapporteur général ;
Sur la régularité du projet de décret d'avance :
1. Constate qu'environ la moitié des ouvertures de crédits prévues par le présent projet de décret d'avance ont pour objet de permettre le financement de la recapitalisation d'Areva ; qu'un cinquième des crédits ouverts le sont au titre des opérations extérieures et intérieures du ministère des armées ; que le présent projet de décret d'avance vise aussi, pour des montants plus faibles, à assurer le financement de formations dans le cadre du plan d'urgence pour l'emploi lancé en 2016, du service civique, de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) et de l'hébergement d'urgence, d'actions liées aux crises sanitaires agricoles et des dépenses immobilières de l'Insee ;
2. Observe que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet sont gagées par des annulations de même montant réparties sur vingt-six missions du budget général ;
3. Note que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet sont gagées par des annulations de même montant réparties sur la quasi-totalité des missions du budget général et qu'elles représentent 0,43 % des autorisations d'engagement et 0,48 % des crédits de paiement ouverts par la loi de finances de l'année ; qu'elles n'excèdent donc pas le plafond de 1 % des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année et que les annulations n'excèdent pas le plafond de 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours ;
4. Estime que l'urgence à ouvrir les crédits est avérée au regard de la nécessité de restructurer rapidement le groupe Areva, de poursuivre les opérations extérieures et intérieures dans lesquelles est engagée l'armée française, de financer la lutte contre les risques sanitaires qui touchent le monde agricole et d'assurer le paiement de l'allocation pour demandeurs d'asile, ainsi que de faire face aux besoins de l'hébergement d'urgence ;
5. Estime que la nécessité budgétaire d'ouvrir des crédits additionnels dès le mois de juillet n'apparaît pas manifeste concernant le financement du service civique et les dépenses immobilières de l'Insee ;
6. Estime cependant, au regard du caractère inéluctable de la dépense et de l'absence de dépôt prévisible d'une loi de finances avant l'engagement des crédits, qu'en donnant de la visibilité aux gestionnaires de ces programmes ainsi qu'au Parlement sur l'ampleur des redéploiements à opérer, l'ouverture de crédits rapide permise par le recours au décret d'avance contribue, en l'espèce, à une bonne administration et à une gestion efficace des ressources humaines ;
7. Constate que les conditions de régularité du recours au décret d'avance prévues par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 précitée sont donc réunies ;
Sur les ouvertures prévues par le projet de décret d'avance :
8. Relève que l'ampleur du présent décret d'avance est inédite au regard des décrets d'avance pris au cours de la décennie écoulée ; que les ouvertures prévues par ce seul projet de décret d'avance représentent près de la moitié du total des ouvertures autorisées pour l'ensemble de l'année par voie de décret d'avance en vertu des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances ;
9. Souligne que le caractère urgent des ouvertures ne préjuge pas de leur imprévisibilité et rappelle une nouvelle fois que le décret d'avance ne saurait se substituer à une budgétisation initiale sincère ;
10. Relève que la majeure partie des ouvertures de crédits est rendue nécessaire par les biais de construction de la loi de finances initiale pour 2017 qu'avait relevés la commission des finances du Sénat lors de ses travaux relatifs au projet de loi de finances et qui ont été confirmés par la Cour des comptes à l'occasion de l'audit des finances publiques réalisé à la demande du Premier ministre ;
11. Note en particulier que la moitié des ouvertures prévues vise à permettre la recapitalisation d'Areva, dont moins d'un tiers du coût peut être financé par les ressources allouées au compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » par la loi de finances pour 2017 ; que les besoins effectifs des armées au titre des opérations intérieures et extérieures en 2017 devraient représenter plus du double de la dotation inscrite en loi de finances initiale ;
12. Estime qu'en l'espèce, l'absence d'imprévisibilité de la majeure partie des dépenses au regard de leur sur-exécution chronique ne saurait constituer par elle-même un motif de refus d'ouverture des crédits par voie de décret d'avance en raison du changement de Gouvernement intervenu entre l'adoption de la loi de finances initiale pour 2017 et la transmission du présent projet de décret d'avance ;
13. Souligne cependant que le recours à la voie réglementaire pour ouvrir des crédits doit demeurer, comme le prévoit la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 précitée, une exception ;
Sur les annulations prévues par le projet de décret d'avance :
14. Observe qu'un décret d'annulation, de 774 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 274 millions d'euros en crédits de paiement, a également été transmis au Parlement le 12 juillet 2017 ;
15. Estime que les dispositions du décret d'annulation, qui ne sont pas soumises par la loi organique à l'avis des commissions des finances des deux assemblées, doivent néanmoins être analysées de façon conjointe au projet de décret d'avance pour apprécier l'ampleur et la nature des annulations de crédits ;
16. Constate que la plus grande partie des annulations porte sur des crédits mis en réserve, ce qui ne permet pas au Parlement d'identifier les dispositifs touchés par les redéploiements ;
17. Rappelle une nouvelle fois que le recours croissant à la mise en réserve de crédits, qui s'élève depuis 2015 à 8 % des crédits ouverts sur le budget de l'État, détourne de sa vocation une procédure destinée à permettre le respect de l'autorisation parlementaire, et non à la contourner ou à la rendre inopérante ;
18. Relève en outre que l'annulation de 850 millions d'euros en crédits de paiement sur la mission « Défense » conduit à une diminution des crédits nette des ouvertures de plus de 200 millions d'euros ;
19. Estime que cette réduction imprévue fragilise le budget des armées alors même que celles-ci sont engagées sur de nombreux théâtres d'opération à l'étranger ainsi qu'en France dans le cadre de l'opération « Sentinelle » ;
20. Regrette, à cet égard, l'absence d'information transmise par le Gouvernement sur l'impact de cette réduction sur les programmes d'équipement des armées ;
21. Observe que si, en principe, le financement des opérations extérieures et intérieures dans lesquelles est engagée l'armée française sur les crédits de la mission « Défense », et non plus par recours à la solidarité interministérielle en cours de gestion, participe d'une budgétisation plus sincère des moyens nécessaires à nos armées, ce choix fait en milieu d'année sans revalorisation des crédits de la mission « Défense » à due concurrence conduit au report dommageable d'un certain nombre d'acquisitions de matériels au détriment de l'équipement de nos forces et porte atteinte à la crédibilité de l'engagement du Président de la République de porter les ressources de la défense à 2 % du PIB en 2025 ;
22. Remarque que les missions « Sécurités » et « Justice » contribuent fortement aux annulations de crédits, de façon disproportionnée à leur poids dans le budget général, pour un montant total cumulé de près de 450 millions d'euros en autorisations d'engagement et de plus de 400 millions d'euros en crédits de paiement ;
23. Note que les missions « Écologie, développement et mobilité durables » et « Recherche et enseignement supérieur » portent une nouvelle fois les annulations nettes des ouvertures les plus importantes en crédits de paiement ;
24. Observe que l'annulation de près de 140 millions d'euros sur la mission « Aide publique au développement », à rebours des priorités affichées par le Gouvernement, nuit à la lisibilité et à la crédibilité des engagements pris par la France auprès de ses partenaires ;
25. Remarque que, pour l'heure, aucune réorientation tangible de l'action de l'État n'a été associée aux annulations prévues par le projet de décret d'avance et le décret d'annulation sur la mise en réserve, ce qui laisse à penser que l'exécution du budget de l'État sera soumise à de très fortes tensions en l'absence de mesures complémentaires plus structurelles ;
26. Émet, sous les réserves formulées précédemment, un avis favorable au présent projet de décret d'avance.
Débat d'orientation des finances publiques (DOFP) - Examen du rapport d'information
M. Francis Delattre, président. - Nous examinons le rapport d'information d'Albéric de Montgolfier, rapporteur général, préparatoire au débat d'orientation des finances publiques (DOFP).
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous allons enfin pouvoir parler d'avenir.
Cette année, le rapport préalable au débat d'orientation des finances publiques (DOFP) est l'occasion pour le Gouvernement de dévoiler ses grandes orientations des finances publiques pour la législature.
Je me suis attaché à replacer ces orientations dans leur contexte macroéconomique, à en expliciter les hypothèses et à évaluer leur conformité aux engagements européens pris par notre pays.
Le scénario macroéconomique du Gouvernement, d'abord, apparaît dans l'ensemble plausible, par rapport aux années précédentes. Pour 2017, l'hypothèse de croissance est relevée de 0,2 point par rapport au programme de stabilité, à 1,6 % du PIB, soit la prévision retenue par l'Insee et de la Banque de France et 0,1 point de plus que le consensus des économistes. Pour la suite du quinquennat, le scénario de croissance retenu par le Gouvernement est tout à fait raisonnable en 2018 mais plutôt optimiste pour la période 2019-2022 par rapport aux prévisions de la Commission européenne. Si cette dernière avait raison, un tiers de la réduction du déficit prévue sur l'ensemble du quinquennat serait « perdue » et le déficit flirterait avec le seuil de 3 % en 2019.
S'agissant des hypothèses de croissance potentielle et d'écart de production, que la précédente majorité avait fortement surestimées pour minorer le déficit structurel, il faut se féliciter que le Gouvernement retienne désormais des estimations plus prudentes. Cela conduit à une révision à la hausse de 0,9 point de PIB de l'estimation du déficit structurel en 2016, désormais en ligne avec celle de la Commission européenne.
Sur l'exercice 2017, ensuite, la Cour des comptes a confirmé le dérapage du déficit que nous annoncions dès l'automne dernier. Le premier défi du Gouvernement consiste à contenir le déficit public à 3 % du PIB en 2017, pour que la France sorte du volet correctif du pacte de stabilité.
Dans cette perspective, et cela répondra en partie à la question de Vincent Delahaye, le Gouvernement a annoncé la mise en oeuvre de mesures correctrices, pour un montant de 4,3 milliards d'euros, dont 3,5 milliards d'euros sont aujourd'hui pleinement documentés.
En partant du diagnostic établi par la Cour des comptes, cela ne semble pas tout à fait suffisant pour contenir le déficit à 3 % du PIB. Toutefois, le Gouvernement semble espérer une bonne nouvelle du côté des recettes, en lien avec l'amélioration de la conjoncture. Dans son scénario, il a en effet relevé de 0,1 point l'hypothèse d'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB qui figurait dans le programme de stabilité.
Si les faits lui donnaient tort, les prélèvements obligatoires s'établiraient à un niveau inférieur de 2,4 milliards d'euros au montant attendu dans son scénario, ce qui porterait le déficit public à 3,1 % du PIB. Il y a donc là une forme de « pari » du Gouvernement, qui pourra néanmoins prendre des mesures correctrices supplémentaires en cas de difficulté.
S'agissant du respect de nos engagements européens, les orientations présentées traduisent la volonté de concilier l'impératif de redressement des finances publiques avec deux objectifs potentiellement contradictoires : d'un côté, le Gouvernement ne veut pas casser la reprise à court terme ; de l'autre, il souhaite mettre en oeuvre dès 2018 les baisses d'impôts annoncées lors de la campagne présidentielle, tout en assumant l'héritage fiscal, les baisses d'impôt notamment, de la précédente majorité. Cela n'a pas été facile, si j'en juge le cafouillage qui a eu lieu entre le discours de politique générale du Premier ministre et les décisions annoncées ensuite.
Le Gouvernement entend donc baisser les impôts dès l'an prochain pour un montant de 0,6 point de PIB. En trente ans, une telle baisse des prélèvements obligatoires n'a été observée qu'à trois reprises : 2000, 2001 et 2007. En 2022, la part des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale s'établirait à 43,5 %, soit un niveau légèrement inférieur à 2012 (43,8 %) mais supérieur à celui d'avant-crise (41 %).
Du fait de ces deux contraintes, le redressement des comptes publics est très progressif sur la première partie du quinquennat. Dans la trajectoire présentée par le Gouvernement, le déficit structurel se maintiendrait à 2,2 % du PIB en 2018, avant de se réduire lentement. Pour sa part, le ratio d'endettement resterait stable voire orienté à la hausse jusqu'en 2019, avant d'amorcer un reflux en fin de période.
Or, cette trajectoire semble difficilement compatible avec nos engagements européens. Si la France parvenait à sortir du volet correctif du pacte de stabilité l'an prochain, elle serait tenue d'améliorer son déficit structurel de 0,6 point de PIB par an, jusqu'à atteindre l'objectif de moyen terme, fixé à 0,4 % du PIB. Or, l'ajustement structurel déduit de la trajectoire du Gouvernement est chaque année inférieur à ce niveau.
De même, le critère de dette ne serait pas respecté en 2021 dans l'approche rétrospective, quand il deviendrait en théorie pleinement applicable à la France.
Au-delà de la question du respect formel de nos engagements européens, la trajectoire d'ajustement gouvernementale, si elle était respectée, ne freinerait pas la divergence des taux d'endettement de la France et de l'Allemagne : le différentiel pourrait atteindre 37 points de PIB en 2022, contre 28 points de PIB en 2016.
C'est précisément pour éviter de telles divergences que les règles européennes ont été mises en place. Hélas, elles ne sont pas respectées.
Compte tenu de la nécessaire diminution des prélèvements obligatoires, la stratégie de redressement des finances publiques proposée par le Gouvernement repose entièrement sur la maîtrise des dépenses publiques.
Concrètement, ce sont 82 milliards d'euros d'économies qui devront être réalisés sur l'ensemble du quinquennat. Un tel effort de maîtrise de la dépense publique apparaît d'autant plus ambitieux qu'il est concentré sur la période 2018-2020, au cours de laquelle 20 milliards d'euros d'économies devront être réalisées chaque année.
Il pourrait s'accompagner de la mise en oeuvre de nombreuses dépenses nouvelles prévues dans le programme présidentiel : extension de l'assurance chômage, remboursement intégral des lunettes et prothèses dentaires, emplois francs...
La stabilisation de la dépense publique prévue au cours des trois premières années du quinquennat constituerait un effort inédit. 2011 est la seule année au cours de laquelle une quasi-stabilisation de la dépense publique peut être observée mais l'exercice avait été marqué par l'extinction des mesures du plan de relance.
En outre, au cours des deux derniers quinquennats, les gouvernements ont dépassé chaque année en moyenne de 0,4 point de PIB leur objectif de croissance en volume de la dépense publique.
J'ai essayé d'évaluer les conséquences d'un éventuel dépassement de l'objectif que s'est fixé le Gouvernement. Même dans un scénario de dérapage limité, le déficit dépasserait largement le seuil de 3 % du PIB en 2019, année de tous les dangers, au cours de laquelle le CICE doit être transformé en baisse de charges.
Compte tenu de cette forte sensibilité du solde nominal à l'évolution de la dépense publique, il apparaît indispensable d'adopter sans tarder une stratégie crédible de maîtrise de cette dernière, dont le rapport s'efforce de tracer les contours.
À cet égard, trois grandes orientations semblent particulièrement importantes.
Il faut tout d'abord cibler les politiques publiques pour lesquelles la France dépense significativement plus que ses voisins. La logique du « coup de rabot » ne pourra pas suffire pour réaliser un tel niveau d'économies.
À cet égard, trois secteurs expliquent l'essentiel de l'écart avec l'Allemagne : les retraites, le chômage et le logement.
Ensuite, il sera difficile de faire l'économie d'une réforme visant à maîtriser la masse salariale de l'État. Dans cette perspective, je tiens à rappeler les propositions formulées par le Sénat lors de l'examen de la loi de finances pour 2016 en matière de temps de travail, qui permettraient de réaliser un montant non négligeable d'économies sans pour autant dégrader la qualité des services publics. À titre d'illustration, une semaine à 36 heures entraîne des économies de 2 milliards d'euros par an, en raison de la diminution de 17 000 ETP qu'elle permet.
Enfin, il est indispensable de mettre en place une gouvernance adaptée pour associer l'ensemble des acteurs de la dépense publique à l'effort de redressement. De premières annonces ont été faites en ce sens, avec la création des états généraux des comptes de la Nation et de la conférence nationale des territoires. J'observe néanmoins que la prochaine rencontre que nous aurons dans le cadre de cette dernière conférence est prévue pour décembre, après l'examen du projet de loi de finances.
Il faudra veiller à ce que ces structures ne deviennent pas des instances purement formelles où le Gouvernement viendrait présenter des décisions déjà actées. La tentation est grande, dans un contexte de fort dérapage de la masse salariale de l'État, de faire porter l'effort principalement sur les collectivités territoriales.
En résumé : les prévisions macroéconomiques sont en phase avec les études les plus sérieuses, mais le programme est très ambitieux en matière d'économies et de baisses d'impôts. La marche est très haute.
M. Claude Raynal. - J'ai retrouvé les chiffres de croissance estimée que nous avions présentés en 2016. Figurez-vous qu'ils n'étaient guère éloignés de ceux que vous nous avez présentés, monsieur le rapporteur général.
On prévoyait 1,5 % de croissance pour cette année, on va atteindre ce taux voire le dépasser, alors que le Haut Conseil des finances publiques le trouvait trop optimiste. Cela incite à relativiser ces exercices de prédiction. Nous prévoyions également 1,75 % de croissance pour 2018. Dans le document du Gouvernement, on parle de 1,7 %. Pour 2019, les chiffres divergent un peu : 1,9 % contre 1,7 %.
Je remarque aussi que votre utilisation des chiffres de la Commission européenne est significative. J'aurais par exemple apprécié vous entendre vous exclamer à la vue des écarts considérables existant entre les prévisions du Gouvernement et celles de la Commission européenne après 2018.
Pour ce qui concerne les baisses d'impôts, le ministre de l'économie avait annoncé la couleur : sur les 11 milliards d'euros prévus, 7 milliards d'euros sont dus à des projets déjà actés d'aides aux entreprises, avec la part supplémentaire du CICE ou la baisse du taux d'imposition sur les sociétés.
Le reste est plutôt destiné aux ménages : 3 milliards d'euros environ financeront la part 2018 de la suppression de la taxe d'habitation. La même somme sera consacrée à la réforme de l'ISF. Je ne trouve guère raisonnable de débuter ce quinquennat par une telle réforme de l'ISF, quand on connait la situation de nos finances publiques, et quand on sait à qui cette réforme va profiter - le ministre de l'action et des comptes publics ne l'avait d'ailleurs pas prévue dans son premier projet.
Enfin, 2019 verra la transformation du CICE en baisse des charges. Cela implique un saut de 20 milliards d'euros sur une année !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'année de tous les dangers, je l'ai dit !
M. Claude Raynal. - Qui le demandait ? Le Medef ! Aujourd'hui, qui n'en veut plus ? Le Medef encore, car cette transformation du CICE va contribuer à augmenter leurs impôts !
Pour la Cour des comptes, la réduction du déficit de deux points est trop lente. Or le Gouvernement propose aussi une baisse de deux points en cinq ans. Je vous donne déjà l'avis de la Cour des comptes : elle trouvera cette réduction trop lente !
M. Serge Dassault. - Pour parler trivialement, nous ne sommes pas sortis de l'auberge ! On ne fait rien pour redresser notre économie, parce qu'on ne supprime pas les dépenses inutiles. On parle des 3 milliards d'euros de l'ISF, mais la prime d'activité coûte 4 milliards d'euros et ne sert strictement à rien ! François Hollande a cru qu'il pourrait inverser la courbe du chômage avec les emplois aidés : voilà encore 2,5 milliards d'euros de dépenses contreproductives ! Le sauvetage d'Areva a coûté 1,5 milliard d'euros. Mais si cette entreprise est en faillite structurelle, que peut-on y faire ? L'État n'a pas les moyens de compenser la suppression de la taxe d'habitation. Comment les communes vont-elles pouvoir gérer leur budget avec 10 milliards d'euros en moins ? L'exonération des heures supplémentaires va coûter 3 milliards d'euros supplémentaires.
Autant d'argent que l'on doit emprunter, contribuant ainsi à alourdir une dette que l'on ne pourra jamais rembourser.
Nous ne redresserons pas la barre et ne retrouverons pas de croissance si nous ne modifions pas en profondeur notre fiscalité, en passant à des taux proportionnels.
On se focalise sur l'objectif européen des 3% de déficit, mais cela correspond tout de même à 60 milliards d'euros de dette en plus chaque année ! Nous devrions viser le déficit zéro, comme en Allemagne !
M. François Marc. - La trajectoire proposée me paraît plutôt vertueuse et me convient, puisqu'elle prévoit de réduire notre déficit, notre endettement et qu'elle entend réduire significativement le solde structurel, avec une ambition louable, mais toujours difficile à concrétiser, de réduction des dépenses publiques.
Ma préoccupation concerne plutôt la baisse programmée, et assez conséquente, des prélèvements obligatoires. Ce levier a déjà été activé en 2001, puis en 2007, avec le fameux « paquet fiscal », dont nous gardons un souvenir mitigé, certaines des mesures qu'il contenait ayant dû être supprimées avant même la fin du quinquennat. Cette baisse des prélèvements obligatoires est peut-être électoralement payante, mais elle ne constitue sans doute pas la meilleure solution pour rééquilibrer les comptes. De surcroît, il semblerait, selon l'Observatoire français des conjonctures économiques, que les 10 % des Français les plus aisés profiteraient de la moitié de ces baisses d'impôts, qu'il s'agisse de la flat tax à 30 % sur les revenus du capital ou de l'allègement de l'ISF.
Nous avons là un point de divergence majeur avec le Gouvernement. Il ne faut pas espérer mobiliser les Français sur l'objectif de redressement des comptes publics s'ils ont le sentiment d'une injustice fiscale.
M. Marc Laménie. - Le Gouvernement prévoit un plan d'économies de 82 milliards d'euros. Toutefois, le projet de loi renforçant la sécurité intérieure, adopté cette nuit par le Sénat, montre qu'il faut beaucoup de moyens humains pour assurer notre sécurité et notre défense.
Comment articuler ces dépenses indispensables avec les économies que nous devons réaliser ? C'est un dilemme constant, une mission quasiment impossible.
M. Maurice Vincent. - J'approuve les propos de François Marc. Il est toujours difficile de redresser les comptes sans casser la croissance. C'est la perspective tracée par le Gouvernement ; elle est extrêmement positive.
Les prévisions de croissance pour les années 2019 à 2022 ne peuvent être autre chose que des hypothèses : personne ne peut prétendre à l'exactitude à cet horizon.
Le rapporteur général compare souvent notre situation avec celle de l'Allemagne. Or, notre problème majeur consiste à respecter nos engagements européens, ce qui est possible avec la trajectoire fixée par le Gouvernement - et l'Allemagne, elle, n'a pas nos dépenses de défense et sa démographie est différente : notre démographie plus dynamique nous impose d'investir davantage pour les jeunes générations.
Mme Fabienne Keller. - Je salue le volontarisme des orientations du Gouvernement en matière de finances publiques. Il risque toutefois d'être douloureux, au regard des premières mesures prises pour 2017 et de celles qui s'esquissent pour 2018.
Je m'interroge sur le poids respectif des retraites dans les comptes publics en France et en Allemagne. Le document distribué fait apparaître un écart de 4 points de PIB en notre défaveur. Comment analyser cet écart ? Cela pose des questions sur notre système de retraites.
Je signale que, outre-Rhin, les collectivités locales, tout comme l'État allemand, font en sorte de dégager un excédent budgétaire pour préparer la perte de recettes consécutive au déclin démographique.
M. Yvon Collin. - Je salue la volonté du Gouvernement de proposer une ligne volontariste et vertueuse de redressement de nos finances publiques.
Comme Fabienne Keller, je suis surpris que les retraites pèsent davantage en France qu'en Allemagne, alors même que notre démographie est plus dynamique.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous avons chiffré l'écart de déficit si l'hypothèse de croissance de la Commission européenne, plus pessimiste, devait se réaliser. Les comparaisons avec la zone euro ne sont guère plus glorieuses qu'avec l'Allemagne. Nous ne respectons pas notre engagement de réduire de 0,6 point par an notre déficit structurel.
Le rapport détaille précisément les écarts de dépenses publiques entre la France et l'Allemagne. Notre système de retraite plus généreux et notre taux d'emploi des seniors plus faible expliquent les 4 points de PIB de différence entre nos deux pays en la matière.
Sur les baisses d'impôts, je vous invite là aussi à vous référer au rapport préalable au débat d'orientation des finances publiques pour 2018 : le solde net de la diminution des prélèvements obligatoires s'établit à 0,6 % du PIB.
Je ne peux malheureusement pas répondre plus en détail, faute de temps, et vous renvoie à notre rapport très détaillé.
M. Francis Delattre, président. - Je renvoie nos collègues qui s'intéressent à l'écart de dépenses publiques avec l'Allemagne au travail effectué par France Stratégie, sous la direction de Jean Pisani-Ferry : seuls deux points de PIB seraient imputables aux différences inhérentes à nos deux pays évoquées par Maurice Vincent. Il reste tout de même 55 % de dépenses publiques en France, contre 44 % en Allemagne.
La commission donne acte à M. Albéric de Montgolfier de ses communications sur le décret d'avance relatif au financement de dépenses urgentes et sur les orientations budgétaires pour 2018 et en autorise la publication sous la forme de rapports d'information.
Contrôle budgétaire - Aide publique au développement en matière d'aménagement urbain - Communication
Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - L'aide publique au développement (APD) de la France en Amérique latine suscite souvent des interrogations : ce territoire ne correspond pas à une zone traditionnelle d'influence française, les pays qui la composent ont souvent atteint un niveau de développement déjà important, voire font partie des « grands émergents », et les liens économiques et commerciaux avec la France sont limités. Nous allons néanmoins essayer de vous convaincre du bienfondé de cette aide.
Tout d'abord, les liens commerciaux sont effectivement limités puisqu'ils ne représentaient en 2013 que 2 % de nos échanges totaux. Ils sont cependant en croissance et l'Amérique latine est la seule région émergente avec laquelle nous conservons un excédent commercial, en croissance depuis 2012. J'ajoute que toutes nos grandes entreprises sont présentes dans la zone et que la France est le quatrième investisseur au Brésil, avec 15 milliards de dollars de stock d'investissement.
Au-delà des liens commerciaux, nous entretenons une relation ancienne avec ces pays, fondée sur une convergence des valeurs et des références culturelles et philosophiques. L'identité de l'Amérique du Sud est fortement marquée par les mouvements d'indépendance, qui se réclamaient souvent des idéaux de la Révolution française. Malgré l'absence de passé colonial français, on observe une « francophilie », qui s'illustre dans les 250 alliances françaises, qui comptent 140 000 élèves.
L'Amérique du Sud est appelée à occuper une place importante sur la scène internationale et il est fondamental d'y préserver notre influence, d'autant plus que l'on observe une convergence d'approche sur de multiples sujets, comme par exemple sur les sujets environnementaux.
Ce dernier point s'illustre notamment sur le sujet du changement climatique. Ainsi, les pays latino-américains sont très impliqués dans les négociations climatiques internationales : la COP 16 de Cancun en 2010 avait permis de relancer ces négociations, tandis que la « Déclaration de Lima » a servi de base aux discussions de la COP 21 à Paris.
L'Amérique latine est donc un partenaire fondamental et cette relation doit être préservée voire développée.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - J'en viens à l'aide publique que la France accorde à cette zone géographique, qui doit servir à « promouvoir une croissance verte et solidaire », pour reprendre les termes de la loi d'orientation de 2014. Cette aide a fortement augmenté depuis le début des années 2000, passant de 4 % de notre APD au sens de l'OCDE en 2006 à 21 % en 2015.
La présence de l'agence française de développement (AFD) y est relativement récente : elle a été autorisée à intervenir au Brésil en 2006, en Colombie et au Mexique en 2009, au Pérou en 2013 et en Équateur et en Bolivie en 2014. La présence dans les Caraïbes est plus ancienne : depuis 1976 en Haïti et depuis 1997 en République Dominicaine. Ses engagements annuels s'élèvent aujourd'hui à environ 1 milliard d'euros et le Brésil et la Colombie sont parmi les plus importantes contreparties de l'AFD. Enfin, elle compte six agences dans la zone et trois bureaux de représentation, donc celui de Cuba qui a ouvert en 2016, tandis qu'un bureau devrait ouvrir en Argentine en septembre.
Le coût de cette présence en Amérique latine est modeste. Tout d'abord, le budget total des agences est de 6 millions d'euros ; je rappelle que ce coût est auto financé par l'AFD sur sa marge. L'agence est un établissement public industriel et commercial, elle ne reçoit donc pas de subvention de fonctionnement. Par ailleurs, la « ressource État », c'est-à-dire les bonifications d'intérêt, sont extrêmement limitée : 2,3 millions d'euros au total en 2015. Enfin, l'Amérique latine et les Caraïbes représentent 21 % du résultat brut d'exploitation de l'AFD, soit 25 millions d'euros environ. La Colombie, le Brésil et le Mexique sont respectivement le deuxième, le cinquième et le septième contributeur au résultat brut d'exploitation de l'agence.
Si je résume, les interventions de l'AFD dans cette région mobilisent très peu d'argent public, sont rentables pour l'agence et sont un véritable atout pour développer notre relation avec l'Amérique latine. Elles sont naturellement également bénéfiques pour les pays concernés. Elles permettent par exemple à la Colombie de se financer deux fois moins cher que sur les marchés.
L'OCDE est chargée de comptabiliser l'aide publique au développement accordée par ses États membres. Comptabiliser les dons ne pose pas de difficultés, mais comptabiliser l'aide résultant des prêts est plus complexe. Des règles ont été fixées dans les années 1970 par l'OCDE et ont été modifiées en décembre 2014. Ces nouvelles règles s'appliqueront à compter de 2018 et pourraient avoir des conséquences importantes sur l'APD générée par nos interventions en Amérique latine.
Actuellement, un prêt doit avoir un certain niveau de concessionnalité pour être considéré comme de l'aide au développement ; lorsqu'un prêt est « déclarable », tous les décaissements sont comptabilisés comme s'il s'agissait d'un don, mais tous les remboursements en capital seront comptabilisés comme des « dons négatifs ». À moyen terme, l'aide au développement des prêts est donc nulle en valeur absolue.
Sans entrer excessivement dans les détails, les nouvelles règles prévoient trois modifications principales : le seuil de concessionnalité minimal sera différencié selon les pays bénéficiaires : il sera ainsi de 10 % pour l'essentiel de l'Amérique latine contre 25 % actuellement pour tous les pays ; le taux d'actualisation retenu pour calculer « l'équivalent don » du prêt sera également différencié par pays : il sera ainsi de 6 % pour la plupart des pays de la zone, contre 10 % actuellement ; enfin, l'APD générée par un prêt ne sera plus nulle à moyen terme, mais égale à l'élément don ainsi calculé.
L'application de ces nouvelles règles aura des conséquences sur l'APD générée par les prêts accordés en Amérique du Sud. Tant que les taux d'intérêt de la France restent faibles, les prêts devraient continuer à être déclarables en APD. Néanmoins, en première approximation, l'APD qu'ils génèrent devrait être divisée par deux à court terme. À moyen terme elle ne sera plus nulle et sera donc forcément supérieure. À terme, il sera peut être judicieux de mobiliser de la ressource État sur cette zone, pour permettre de passer le seuil de « déclarabilité », faute de quoi il sera plus difficile d'atteindre l'objectif de consacrer 0,7 % de notre revenu national brut au développement.
Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - Je rappelle à cet égard que nous ne sommes qu'à la moitié de cet objectif...
J'en viens plus précisément à l'aide de la France en Colombie, qui prend deux formes principales : d'une part, l'accompagnement des politiques publiques nationales (décentralisation, eau, protection sociale, climat et développement territorial) ; d'autre part, le financement direct des collectivités locales (villes et département) et d'institutions qui leur sont associées (entreprises publiques, banques).
Avec un montant total d'encours de prêts de l'ordre de 1,8 milliard d'euros, la croissance de l'activité de l'AFD dans le pays a été rapide et spectaculaire, conduisant l'agence à occuper la place de premier bailleur bilatéral de la Colombie. Sa présence s'inscrit dans le contexte plus large d'une présence française dynamique, au plan économique comme au plan culturel.
Les retombées pour les entreprises françaises sont importantes, notamment dans le domaine des transports : par exemple, Translohr - dont le siège est à 15 kilomètres de Strasbourg - a obtenu la fourniture des rames de tramway de Medellín, qui a donc le même tramway que Clermont-Ferrand, grâce à une technologie de tramway sur pneus qui permet de gravir de fortes pentes ; Alstom a remporté le marché de la fourniture électrique de ces lignes ; enfin, Pomagalski a fourni et installé le métro câble de Medellín dont nous reparlerons dans un instant. On observe également une présence française importante dans le domaine de la santé, facilitée par le prêt « protection sociale » accordé par l'AFD.
Nous souhaitions dire quelques mots sur le processus de paix en cours en Colombie, à la suite de la ratification en décembre dernier des accords passés avec les FARC. Ceux-ci prévoient un important volet « développement », auquel la France participe, à destination des zones rurales précédemment dominées par la guérilla. Elle a notamment accordé un prêt de politique publique consacré au développement rural afin de valoriser l'expertise française sur ce sujet, une ligne de crédit à une banque de développement local pour renforcer les infrastructures publiques dans ces zones et enfin une contribution au « Trust fund de l'Union européenne pour la paix en Colombie ».
Enfin, un dernier mot moins « financier » sur ce pays. Il y a dix ans, la Colombie était un quasi-pays paria et elle souffre encore aujourd'hui d'une image dégradée, que nous souhaiterions contribuer à restaurer. L'année France-Colombie sera d'ailleurs l'occasion pour nos compatriotes de mieux connaître ce pays. D'un point de vue économique et financier, la Colombie est aujourd'hui la troisième économie d'Amérique latine et un des seuls pays de la zone à ne pas avoir fait défaut sur sa dette dans les années 90 et 2000. Durement touchée par la crise des matières premières - le peso colombien s'est déprécié de plus d'un tiers et l'État a perdu 20 % de ses recettes fiscales -, la Colombie a néanmoins réussi à limiter son déficit public à 3 % et à contenir sa dette publique à 50 % du PIB environ.
On peut ajouter que nous avons été sensibles au dynamisme et à l'optimisme de ce pays, à la qualité de son administration, à la place importante que les femmes y occupent, mais également à la richesse de son patrimoine culturel et naturel.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - L'exemple colombien permet également d'illustrer l'importance des financements non-souverains. En effet, c'est dans ce pays que l'AFD atteint son record de financements non souverains (50 %). Certaines de ces contreparties représentent des montants considérables. Ainsi, Empresas publicas de Medellín (EPM) est la quatorzième contrepartie de l'AFD (540 millions d'euros), ce qui la place au même niveau que des États comme le Sénégal ou le Cameroun.
Pour l'AFD, cela permet de surmonter les contraintes prudentielles, qui lui imposent que son encours auprès d'une contrepartie ne dépasse pas 10 % de ses fonds propres. Cela permet aussi de diversifier ses actions et de financer directement des projets, quand ses interventions auprès de l'État colombien sont « noyées » dans le budget général. Cette modalité d'intervention rend cependant nécessaire d'étudier spécifiquement le risque associé à chacune de ces contreparties. L'agence se limite à quelques « grandes contreparties » : les plus grandes villes du pays, quelques départements et quelques banques de développement, ne serait-ce que pour éviter des concours de montants trop réduits, qui augmenteraient les coûts de gestion.
Du point de vue colombien, cela permet aux entités non souveraines de « s'autonomiser » par rapport à l'État et de se donner une projection internationale, ainsi qu'un accès direct à l'expertise française.
Nous avons pu particulièrement observer ces enjeux à travers l'entreprise Empresas publicas de Medellín (EPM), deuxième entreprise du pays, qui intervient dans les secteurs de l'énergie, de l'eau et de l'assainissement et des télécommunications. Ses pratiques ambitieuses en matière de responsabilité sociale et environnementale lui ont apporté une reconnaissance nationale et internationale. À travers son financement, l'AFD a ouvert la voie à une collaboration avec des entreprises françaises telles qu'EDF et Veolia ou encore des fournisseurs de matériel industriel.
Au-delà des réunions « techniques », nous avons pu constater son activité sociale en visitant « l'unité de vie articulée » de « La Armonia », mise en place dans un quartier défavorisé lorsque celui-ci a été raccordé aux différents réseaux. Nous avons pu ainsi observer les différentes activités culturelles, sociales et éducatives, comme la mise à disposition de salles informatiques, des crèches, des bibliothèques, etc.
Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - La question urbaine revêt une importance particulière en Amérique latine, qui abrite la population la plus urbanisée au monde. Le taux d'urbanisation est ainsi de 80 %, comme en Amérique du Nord, contre 73 % en Europe, moins de 50 % en Asie et 40 % en Afrique. Nous avons tous en tête les images des grandes villes surpeuplées d'Amérique du Sud.
La Colombie s'inscrit pleinement dans ce cadre, avec les agglomérations de Medellín et Cali mais surtout de Bogotá, qui compte 11 millions d'habitants, mais ne dispose toujours pas de métro mais d'un système de bus à haut niveau de service qui nous a semblé saturé.
Nous avons pu constater que les problématiques urbaines se posaient souvent dans des termes similaires, en France et en Colombie, sans pour autant gommer tout particularisme.
À ce titre, cette proximité illustre parfaitement la nouvelle logique des « objectifs du développement durable », adoptés à New York en septembre 2015 et qui se sont substitués aux « objectifs du millénaire pour le développement ». En effet, il ne s'agit plus d'un agenda de rattrapage, mais d'un agenda de convergence : en d'autres termes, les objectifs sont les mêmes dans les pays du Nord et du Sud.
J'en profite pour rappeler que c'est cette convergence des objectifs qui conduit également à vouloir rapprocher notre banque de développement international, l'AFD, et notre banque de développement domestique, la Caisse des dépôts et consignations.
Sur ces problématiques urbaines, nous avons pu échanger avec le département d'urbanisme de l'Université de Los Andes, que l'AFD a financé pour développer des outils d'évaluation de politiques urbaines. Il s'agit, notamment, de développer différents types d'analyse et d'indicateurs pour une meilleure compréhension des conséquences des politiques publiques en matière de transport.
Par ailleurs, le projet le plus emblématique de la coopération française, le métro câble de Medellín, est aussi un exemple de la convergence des problématiques urbaines entre le nord et le sud. Premier système de télécabine urbain au monde, il a depuis été exporté en Équateur, mais aussi dans les pays développés, à commencer par la France où la ville de Brest s'en est équipée, même si elle a préféré une technologie suisse, contrairement à la ville de Medellín...
M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - Enfin, pour conclure notre intervention, nous voudrions insister sur le choix colombien de promouvoir une « croissance verte ». Le respect de l'environnement, d'une part, et la croissance économique des pays en développement, d'autre part, sont souvent vus comme contradictoires ; cette image est de plus en plus souvent fausse.
Nous l'avons dit précédemment, l'Amérique latine est très impliquée dans la lutte contre le changement climatique et nous avons pu constater cela sur le terrain en Colombie. Ainsi, dans le cadre de ses programmes de planification, la Colombie a mis en place une « mission croissance verte » destinée à assurer un développement plus respectueux de l'environnement. Elle repose sur quatre objectifs : promouvoir la compétitivité économique, assurer la protection du capital naturel, promouvoir une croissance résiliente au changement climatique et garantir le bien-être et l'inclusion sociale.
Cette mission bénéficie d'un important soutien international. Ainsi, les travaux de diagnostic sont en partie financés par les Allemands, la Banque mondiale et le programme des Nations-Unies pour l'environnement, tandis que l'AFD finance la moitié du coût de fonctionnement de la mission.
Tout n'est pas « rose » naturellement : nous avons pu constater les difficultés à construire un métro à Bogotá, alors qu'il est beaucoup plus facile de de mettre en place un système de bus à haute capacité qui sillonne la ville. Mais nous avons le sentiment d'une véritable prise de conscience.
Je conclurai notre intervention en insistant sur le fait que notre aide en Colombie - et plus largement en Amérique latine - est un outil diplomatique efficace, qui ne nous coûte pas cher.
M. Bernard Lalande. - Les retombés économiques pour la France sont-elles équilibrées par rapport au niveau des interventions de l'AFD en Amérique latine ? Par ailleurs, on compare souvent la France et l'Allemagne : en matière d'aide publique au développement, l'Allemagne a-t-elle une puissance supérieure à celle de la France, et surtout, intervient-elle avec des instruments financiers comparables ?
M. Michel Canevet. - La réduction des crédits dédiés à l'aide publique au développement est-elle susceptible d'affecter les programmes de soutiens qui nous ont été présentés ? Par ailleurs, le Chili fait-il partie des pays bénéficiaires des concours de l'AFD ?
M. Marc Laménie. - Disposez-vous d'éléments relatifs à la situation financière de la Colombie, et notamment son endettement et son déficit budgétaire ?
Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - Les investissements allemands ne sont pas particulièrement élevés dans cette région dont les liens sont historiquement plus forts avec l'Espagne et les États-Unis.
La baisse des crédits de l'APD de la France n'aura pas d'effet en Amérique latine - ou alors de façon marginale - dans la mesure où notre aide sur cette zone prend essentiellement la forme de prêts à condition de marché, c'est-à-dire qui ne mobilisent pas de « ressource État ». En effet, l'AFD prête à la Colombie à hauteur de 4 % - quand l'État colombien s'endette autour de 8 % - mais se finance sur les marchés à un taux bien inférieur, ce qui lui permet de prêter et de couvrir sa marge sans recourir aux bonifications. Tout fonctionne bien tant qu'il n'y a pas de défaillance. J'ajoute que les prêts de l'AFD sont également un signal positif vis-à-vis des investisseurs privés.
L'AFD n'intervient pas au Chili, mais est désormais présente en Argentine. Comme nous l'avons dit la Colombie est une des principales contreparties de l'agence. Ce pays a une grande expérience des questions urbaines, qui résulte notamment de l'exode rural provoqué par les guérillas.
La situation économique est compliquée, du fait de la chute du cours des matières premières. La Colombie a ainsi perdu 20 % de ses recettes budgétaires avec la chute du prix du pétrole. La situation financière est en revanche saine, malgré des dépenses militaires et de sécurité très importantes. En tant que passionnée de ferroviaire, j'ajoute que le réseau est essentiellement limité au transport de matières premières, hors réseaux urbains, du fait de la géographie du pays : Bogotá et Medellín sont sur des plateaux très élevés et la forêt amazonienne occupe une grande partie du pays.
Alors que nous débattons actuellement du cumul des mandats dans le temps en France, j'ajoute que j'ai été frappée par les règles relatives aux mandats locaux en Colombie : pour éviter d'éventuels risques de corruption, les mandats ne sont pas reconductibles. Ainsi, le mandat de maire est un mandat de quatre ans non renouvelable.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - Concernant l'accord de paix, vous le savez, il a été rejeté par référendum en octobre dernier. Le Parlement colombien l'a finalement ratifié en novembre, dans une version un peu différente. L'accord est désormais effectif. Le processus de remise des armes a été complexe mais sa fin a été récemment célébrée. La question est aussi celle du développement des territoires précédemment aux mains des FARC. La culture de la coca et la drogue étaient au coeur du financement de leur système et armement : il s'agit aujourd'hui pour les agriculteurs de transformer les productions. Il faut que la confiance revienne, mais cette situation reste fragile.
En termes de contrepartie pour la France, je rappelle que les aides de l'AFD ne sont pas liées ; cette règle est absolue. Si les cahiers des charges établis peuvent cependant parfois correspondre à ce que les entreprises françaises savent faire, les projets font l'objet d'appels d'offres internationaux obéissants à des règles très strictes.
Enfin l'AFD est peu connue, elle est pourtant le bras séculier de l'aide publique au développement et un outil diplomatique extraordinaire qu'il faut encourager. La discussion budgétaire s'ouvrira bientôt et je regrette aujourd'hui les coupes claires qui affectent son budget.
Contrôle budgétaire - Mise en oeuvre de la réforme de la formation linguistique et civique des étrangers primo-arrivants - Communication
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - Je n'ai malheureusement pas beaucoup de choses nouvelles à dire par rapport à mes constats désastreux des années précédentes. Je vais essayer de dire les choses aussi objectivement que possible.
Depuis des années, j'explique qu'il faut avoir une politique migratoire coordonnée. Il y a un aspect purement politique, qui porte sur le nombre de migrants, leur origine, la mise en place d'éventuels quotas... Les politiques ont sur ce point varié ces dernières années.
Mais il y a une chose qui n'a pas varié, et dont tout le monde, de gauche comme de droite, est responsable : on fait entrer des personnes étrangères sur le territoire français mais ensuite, la manière dont on forme les étrangers primo-arrivants à la langue et aux valeurs françaises est nettement insuffisante.
Je constate donc que nous avons aujourd'hui une politique visant à définir le nombre de personnes pouvant rentrer, mais, ensuite, il n'y a pas de réelle politique publique visant à les intégrer.
L'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) est chargé de la formation linguistique, de la formation civique, et d'un certain nombre d'autres missions liées à l'exécution du contrat d'intégration républicaine, qui remplace, depuis la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers, le contrat d'accueil et d'intégration. En réalité, à la suite de cette loi, rien ou presque n'a changé en dehors du nom du contrat d'intégration !
Environ 27 000 personnes sont passées par les nouveaux stages de formation linguistique - ce qui est trop peu pour la formation linguistique, qui n'est pas prescrite à tous les étrangers qui en auraient pourtant besoin. On exigeait, du temps du contrat d'accueil et d'intégration, l'atteinte par l'étranger du niveau modeste A1.1 du cadre européen commun de référence linguistique (CECRL) à l'issue de la formation linguistique. La loi de 2016 a passé ce niveau à A1, à peine plus exigeant. Pour arriver à ce niveau, différents parcours de formation sont proposés, en fonction de la proximité de l'étranger avec la langue française : la formation linguistique peut ainsi durer 50 heures, 100 heures ou 200 heures, la moyenne étant, en pratique, de 148 heures. Les groupes sont toutefois très hétérogènes, comme j'ai pu le constater lors de mes déplacements. Comme sous le régime antérieur, des migrants issus de différentes origines géographiques sont mélangés ; la composition des groupes n'est donc pas très équilibrée.
Le coût annuel de ces formations, en 2016, est de 30,2 millions d'euros pour la formation linguistique et de 8,3 millions d'euros pour la formation civique. L'ensemble de la formation devrait atteindre 55,6 millions d'euros en 2017, mais pour quoi faire ?
Nous demandons A1, ce qui est insuffisant en comparaison de certains voisins européens, comme l'Allemagne, qui exige B1.
En outre, il faut regretter qu'il n'y ait aucun contrôle. En pratique, que l'étranger ait ou non atteint le niveau A1 à la fin de la formation, seule sa présence compte. Seul le fait d'être venu à 80 % des séances et d'avoir réalisé un progrès, même minime, est suffisant pour pouvoir prétendre à un titre pluriannuel de séjour. La seule présence ne recouvre pas nécessairement l'effort et le travail qui, eux seuls, peuvent mener à un réel progrès.
Enfin, la durée de la formation est trop limitée. Les étrangers qui ont une proximité culturelle avec la France peuvent finir par réussir, ceux qui ne l'ont pas sont quasiment condamnés à ne pas maîtriser la langue française à l'issue de la formation. En Allemagne, la formation dure 660 heures, avec un réel examen au bout, alors même que le pays accueille bien plus de migrants.
Il est donc clair qu'une formation linguistique durant en moyenne 148 heures est ridicule et insuffisant. Il faut évoluer vers le modèle allemand, à 600 heures. En Allemagne, les cours sont gratuits pour les réfugiés, les demandeurs d'asile et les personnes sans emploi et facturés de l'ordre de la moitié de leur coût réel, soit 1,95 euro par heure en 2016, pour les autres personnes. Ceci est sans doute une piste de réflexion à garder en tête, même si là n'est pas le sujet essentiel.
Le sujet essentiel est l'absence d'exigence de niveau de langue suffisant. Il faudrait sans doute le passer, non pas à A1, mais à A2 minimum pour prétendre à un titre de séjour, probablement à B1 pour une carte de résident et à B2, par exemple, pour accéder à la nationalité française. L'Ofii a demandé au Gouvernement de passer la durée maximale de la formation à 400 heures. Le Gouvernement n'a pas officiellement dit non, mais on a pu voir, lors des gels de crédits réalisés sur l'exercice 2017, que le programme 104 de la mission « Immigration, asile et intégration », qui comprend notamment les dépenses d'intégration, est systématiquement visé. L'Ofii n'a évidemment pas les moyens suffisants pour mettre en place une formation linguistique de qualité. Or il y a un véritable travail à mener. Il faut composer des groupes plus homogènes, moins nombreux, avec une formation plus longue, avec un contrôle plus resserré et un examen à la fin.
Mon deuxième point porte sur la pseudo formation civique, dont la qualité est encore pire. J'ai d'ores et déjà dit que j'en avais honte en 2012, et je le redis à nouveau. Il serait presque préférable de ne rien faire, tant cette formation est scandaleuse.
Cette formation dure théoriquement deux journées. La première porte sur les « Valeurs et institutions de la République française » et la seconde sur l'accès à l'emploi. Cette formation consiste en réalité en une succession de diapositives, élaborées par le ministère de l'intérieur et l'Ofii. En 45 minutes, on y passe des villages gaulois à François Hollande. C'est non seulement grotesque, mais en prime, cette formation est dispensée devant un public qui ne parle pas toujours français ! En effet, cette formation n'est pas intégrée à la formation linguistique, et a lieu au début du parcours d'intégration. Quand l'Ofii parvient à faire un groupe à peu près homogène, il y a un interprète qui traduit le contenu des diapositives, mais le résultat est presque honteux. Il conviendrait donc de renforcer cette formation civique et de la dispenser au terme de la formation linguistique ou de la fusionner avec cette dernière, pour que les étrangers puissent en comprendre le contenu. En réalité, la formation actuelle ne forme à rien, puisqu'il n'y a pas davantage d'évaluation que pour la formation linguistique. Personne ne vérifie rien, et la plupart des présents n'ont pas compris un mot de ce qui a été exposé. Même un francophone qui se verrait donner une formation où on lui expliquerait 2 000 ans d'histoire en quelques heures pourrait bien ne pas tout saisir et il en va naturellement de même pour un étranger qui ne comprend pas nécessairement le français. La qualité de cette formation s'explique pour partie par le peu de crédits dont elle bénéficie : 8 millions d'euros à peine y sont consacrés.
Au total, si l'on décide d'avoir une immigration ouverte, il me paraît normal que les crédits visant à financer la formation civique et linguistique soient à la hauteur, pour qu'on intègre réellement les immigrés. Je tiens à préciser que tout ceci n'est pas de la faute de l'Ofii, qui désespère de ne pas avoir davantage de moyens pour financer ces formations, et ne cesse de produire des notes pour en alerter le Gouvernement. Malheureusement, ces formations que la République a l'outrecuidance de considérer comme adéquates pour les primo-arrivants sont une honte pour la France. Par ailleurs, leur insuffisance est sans doute une des explications de tous les débats passionnés liés au manque d'intégration des étrangers. La proposition est donc simple : augmenter le volume horaire de la formation linguistique, renforcer la formation civique et sanctionner ces formations par des tests dont la réussite conditionne le renouvellement des titres de séjour. Cela implique évidemment de donner plus de moyens à l'Ofii. Ceci me semble absolument nécessaire si nous souhaitons maintenir la politique migratoire actuelle. Sinon, il faut tout simplement changer de politique migratoire.
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration » à la commission des lois. - Je partage totalement les propos du rapporteur spécial. Nous sommes les champions de la déclaration d'intentions sans mettre les moyens en accord. Depuis plusieurs années, nous devons déplorer l'absence d'une politique migratoire digne de ce nom. L'Ofii est débordé mais ses moyens lui interdisent de faire plus. On doit même se demander si nous ne traitons pas mieux ceux qui introduisent une demande d'asile que ceux auxquels ce statut a été conféré. L'Allemagne est un exemple à suivre du point de vue de l'accompagnement des migrants. Nous en sommes très loin. Si nous ne pouvons pas faire mieux, il faut se demander si nous ne devrions pas faire moins ; quand on accueille, il est impératif de bien accueillir.
M. Vincent Capo-Canellas. - Il y a certes un obstacle budgétaire mais il faut s'interroger sur un problème plus profond, celui de la conception de ces modules d'accueil. Tout paraît assez mécanique et la prise en compte des situations réelles des nouveaux arrivants, en particulier du point de vue de leurs acquis en français, semble beaucoup trop théorique.
M. Thierry Carcenac. - Nous sommes face à des populations diverses : il faut distinguer les adultes des mineurs. Les conseils départementaux exercent une responsabilité particulière envers ceux-ci. Le monde associatif offre également des cours d'alphabétisation et toutes ces interventions sont très utiles. L'apprentissage des langues à distance, par internet, ne cesse de progresser. A-t-on creusé ce que pourrait en apporter les moyens modernes de communication en ce domaine ?
Mme Fabienne Keller. - Nos voisins allemands ont fait face à des flux de migrants nettement plus nourris que nous et ils ont réussi à les loger et à leur fournir une formation en langue allemande. C'est évidemment fondamental pour l'intégration des migrants mais c'est aussi essentiel à bien d'autres points de vue, en particulier pour concilier des identités dont les processus de formation impliquent toujours le langage. L'accompagnement dès l'arrivée sur le territoire est un impératif absolu. Avez-vous travaillé sur les éléments d'explication des différences entre la France et l'Allemagne ?
M. Francis Delattre, président. - Je veux souligner le rôle des collectivités territoriales dans l'organisation des cours d'alphabétisation. Heureusement qu'elles sont là ! De même qu'il est heureux que des enseignants se dévouent, sur la base d'un volontariat qu'il faut saluer, avec beaucoup de sens du devoir, à une mission très utile. Nous qui nous occupons des quartiers en difficulté, nous ne rencontrons pas souvent de représentants de l'État. Je souhaite que l'on s'en souvienne au moment où les moyens des collectivités territoriales sont menacés.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - Vincent Capo-Canellas a absolument raison. Nous sommes dans un système ridiculement rigide. Notre politique au fil de l'eau conduit à des situations déplorables. Elle est frappée d'un total manque de discernement.
En 2015, l'Allemagne a mis en place un plan d'urgence. Elle a dégagé trois milliards d'euros. L'Ofii peut, certes, faire un travail formidable, mais la combinaison de contraintes réglementaires, qui compliquent la contractualisation avec les collectivités territoriales et les associations, et de la faiblesse des moyens qui lui sont consentis et d'une programmation stratégique globalement défaillante, limite ses possibilités. Il est temps de réfléchir à la définition d'un modèle d'intégration complet comme en Israël ou en Allemagne.
La commission a donné acte de sa communication à M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Contrôle budgétaire - Parc immobilier du ministère des armées - Communication
M. Dominique de Legge. - Quatre raisons m'ont conduit à m'intéresser à la question de l'immobilier de la défense.
Tout d'abord, les lois de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, et 2014 à 2019 dans sa version initiale, fixaient un objectif de réduction du format des armées qui devait s'accompagner de cessions d'emprise. Or la trajectoire des déflations d'effectifs a été plusieurs fois modifiée sans que toutes les conséquences en soient tirées.
Par ailleurs, l'opération « Sentinelle » constitue une donne nouvelle, et hélas pérenne, du contrat opérationnel de nos forces. Je souhaitais en examiner les conséquences au plan immobilier.
Les cessions immobilières constituent en outre clairement depuis plusieurs années une donnée de l'équilibre du budget de la défense.
Néanmoins, les recettes liées aux cessions immobilières peuvent être minorées du fait de l'application de mécanismes de décote, j'y reviendrai.
Avant de vous présenter les conclusions de mon rapport, je souhaiterais vous rappeler quelques ordres de grandeur.
En 2008 le patrimoine immobilier de la défense représentait une surface d'emprise de 329 500 hectares. En 2016, celle-ci atteignait 275 000 hectares, soit une baisse de 17 %. Ses usages sont très diversifiés, à l'image de la diversité des activités du ministère des armées. Les emprises du ministère des armées sont majoritairement situées en métropole. L'armée de terre en est le principal occupant. Sa valeur est estimée 16 milliards d'euros, représentant 27 % de la valorisation du patrimoine de l'État (60 milliards d'euros).
J'en viens maintenant à mes principales observations.
Incontestablement des cessions immobilières ont eu lieu. La loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 prévoyait un montant de cessions immobilières s'élevant à 606 millions d'euros sur la période. L'actualisation intervenue en 2015 a conduit à majorer cette prévision à hauteur de 330 millions d'euros pour la porter à 930 millions d'euros.
Cet objectif ne peut être atteint que si les emprises sont cédées à leurs juste prix.
Or, entre 2009 et 2016, 112 emprises ont été cédées à l'euro symbolique alors que la recette escomptée était de 238 millions d'euros.
S'ajoute à cela la décote appliquée au titre de la loi « Duflot » au profit des communes qui s'engagent dans la construction de logements sociaux. Ainsi entre 2014 et 2016, cinq opérations ont subi ce dispositif, pour des niveaux de décote compris entre 24 % et 60 % de la valeur du bien. Le « manque à gagner » pour la défense s'est ainsi élevé à plus de 22 millions d'euros.
Surtout, pour l'avenir, la vente de l'îlot Saint-Germain, sur une partie de laquelle une décote de 100 % devrait être appliquée, se traduira par une perte de recettes pouvant atteindre, selon les estimations retenues, jusqu'à 100 millions d'euros.
La hausse des crédits consacrés à l'immobilier a permis la réalisation d'opérations d'infrastructure importantes, en particulier pour permettre l'accueil et le soutien des programmes d'équipement : sous-marins nucléaires d'attaque de type Barracuda en remplacement des rubis, frégates multi-missions (FREMM), etc. J'ai pu mesurer sur le terrain l'ampleur de l'effort consenti.
Certaines décisions, en particulier le déclenchement et l'inscription dans la durée de l'opération « Sentinelle », ont cependant été à l'origine de besoins nouveaux. Des installations qui n'avaient fait l'objet de quasiment aucun entretien, comme le Fort de l'Est, ont dû accueillir en urgence des personnels affectés à l'opération « Sentinelle ». Certes, des travaux ont été effectués pour permettre un hébergement que je qualifierais de digne, mais en parant au plus pressé et sans véritable programmation ni vue d'ensemble.
Par ailleurs, ces hébergements ne sont pas toujours situés à proximité des lieux d'intervention et présentent parfois des difficultés d'accès par les transports en commun.
Il semble dès lors légitime de s'interroger sur la pertinence de certains projets de cession, comme celle concernant le Val-de-Grâce, où sont actuellement hébergés des militaires participant à l'opération « Sentinelle ». Si les cessions de l'îlot Saint-Germain et du Val-de-Grâce sont effectivement réalisées, les armées ne bénéficieront plus d'emprise dans Paris et les militaires devront s'installer en périphérie.
Au total, l'augmentation du budget consacré à l'immobilier n'a pas permis de contenir l'augmentation des besoins. Comme je l'ai indiqué, un effort important a été consenti en faveur des infrastructures destinées à l'accompagnement des programmes d'équipement. Néanmoins, ce choix s'est fait au détriment d'autres infrastructures, notamment celles de la vie quotidienne.
Sur une enveloppe budgétaire consacrée à l'infrastructure comprise entre 1,3 milliard d'euros et 1,4 milliard d'euros, la part consacrée aux programmes d'infrastructure majeurs et aux investissements opérationnels a doublé, passant de 27 % à 54 % entre 2015 et 2017. Cette situation illustre bien la priorité donnée à l'opérationnel au détriment de l'immobilier du quotidien.
Au total, force est donc de constater que l'état moyen des infrastructures de la défense ne cesse de se dégrader. Or la dégradation des infrastructures de vie, dans un contexte de suractivité des personnels, a un impact défavorable sur le moral de nos forces.
Cela a aussi pour conséquence un renchérissement de certains coûts à terme, et une explosion des dépenses de fonctionnement. L'exemple du réseau d'eau de la base de Toulon est révélateur. Sur une facture annuelle de 3 millions d'euros, 2 millions d'euros sont imputables à des fuites, alors que sa rénovation est évaluée à 60 millions d'euros.
Au total, le report d'opérations jugées moins urgentes ou moins stratégiques est à l'origine d'un effet « boule de neige ». Le ministère des armées évalue ainsi ses besoins non-satisfaits à six ans à 2,5 milliards d'euros, contre 79 millions d'euros en 2014.
Par ailleurs, au-delà de l'aspect budgétaire, les déflations d'effectifs ont particulièrement affecté les fonctions support, notamment celles consacrées à l'infrastructure, tant et si bien qu'aujourd'hui le ministère reconnaît que si des crédits budgétaires étaient alloués à la hauteur des besoins, le service d'infrastructure de la défense ne serait certainement pas en mesure de faire face à un nouvel accroissement de son plan de charge.
Certaines unités dépendent ainsi déjà très largement de prestataires extérieurs pour de menus travaux. Le gain budgétaire n'est pas avéré, la réactivité n'est pas toujours au rendez-vous, et surtout les territoires ne disposent pas forcément d'une réponse privée adaptée.
En conclusion, différentes mesures me semblent devoir être envisagées. Sur les douze recommandations que compte mon rapport, je souhaiterais appeler votre attention sur les quatre principales.
Premièrement, réévaluer l'ensemble des projets de cession, en particulier celle du Val-de-Grâce, compte tenu du contexte sécuritaire actuel.
Deuxièmement, conserver une compétence « infrastructure » interne afin d'éviter une perte de savoir-faire, qui serait notamment dommageable en opération. Je rappelle qu'en moyenne, chaque année, 320 personnels du service d'infrastructure de la défense sont déployés sur les théâtres d'opération.
Troisièmement, rebudgétiser les recettes liées aux cessions immobilières. Il n'est pas normal que l'équilibre du budget d'un ministère régalien dépende de ressources par nature incertaines.
Enfin, quatrièmement, prendre en compte les besoins non-satisfaits en matière immobilière lors de l'actualisation de la trajectoire budgétaire de la défense dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques qui sera discutée à l'automne et de la future loi de programmation militaire.
L'objectif de doter nos armées d'un budget correspondant à 2 % du PIB sera d'autant plus difficile à atteindre que cette remontée en puissance est différée dans le temps. En outre, faute d'un maintien en condition régulier et suffisant, la dégradation des équipements et des infrastructures s'amplifiera, augmentant d'autant les besoins.
Les militaires disent souvent que l'intendance suivra. Aujourd'hui, il semble malheureusement que l'intendance ne suive plus.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. -. Je souscris pleinement aux orientations proposées par le rapporteur spécial, en particulier s'agissant du produit des cessions. Il en est de la politique immobilière de la défense comme de la politique immobilière de l'État de façon générale, « en pire », si j'ose dire, car les cessions immobilières du ministère des armées subissent les mécanismes de décote. L'application d'une décote au titre de la loi « Duflot » sur la vente de l'îlot Saint-Germain pourrait se traduire par une recette faible, du fait de la construction de logements sociaux par la ville de Paris. Ce constat m'amène à formuler deux observations. D'abord, je regrette l'insuffisance des crédits budgétaires dédiés à l'entretien de l'immobilier de la défense. L'exemple du réseau d'eau de la base de Toulon illustre les conséquences de l'absence de pilotage et de financement des besoins en entretien. Rien n'est fait pendant des années puis on se réveille et des travaux considérables doivent être effectués. Une part des produits de cession devrait être dédiée à l'entretien courant de l'immobilier de la défense. Cela vaut aussi pour le patrimoine immobilier de l'État. Deuxièmement, les cessions s'opèrent souvent selon une logique de court-terme : après avoir vendu un bien immobilier, comme un consulat ou une ambassade, l'État choisit la location. Or la protection des locataires à l'étranger n'est pas toujours équivalente au système français. Lorsqu'il est propriétaire, l'État conserve une totale maîtrise de ses biens. Lorsqu'il loue à l'étranger, le propriétaire peut tout à fait décider de quintupler le loyer. Une politique de court-terme consiste donc à dégager des recettes rapidement, en une seule fois, mais entraîne aussi des loyers qui sont des charges récurrentes, lorsque l'État décide ensuite de louer. Après avoir cédé le Val-de-Grâce, faudra-t-il louer des emprises dans Paris pour héberger des militaires participant à l'opération « Sentinelle » ? N'oublions pas que les loyers sont récurrents alors que les recettes de cessions immobilières sont du « one-shot ». Comme l'ont déjà rappelé Michel Bouvard et Thierry Carcenac dans leur récent rapport, de même que Philippe Dallier et moi-même lorsque nous étions les rapporteurs spéciaux des crédits du CAS « Immobilier », une vision en matière de politique immobilière de l'État est aujourd'hui nécessaire. Le Conseil immobilier de l'État me semble être le stade embryonnaire d'une politique immobilière de l'État.
M. Vincent Capo-Canellas. - Je rejoins le rapporteur général sur le besoin d'une politique immobilière de moyen et de long termes. S'agissant des cessions, un délai parfois important s'écoule entre le moment où un bâtiment est désaffecté et le moment où il est réellement cessible. Ce délai complexifie la tenue des objectifs de valorisation à court terme. Le rapporteur a évoqué la cession de 112 emprises à l'euro symbolique entre 2009 et 2016. Il me semble que ces cessions ont été réalisées à l'euro symbolique en raison des travaux nécessaires, mais qu'un retour financier à l'État pourrait intervenir en cas de revente. Quelle analyse faites-vous de ces cessions ? D'autres terrains appartenant au ministère des armées ont quant à eux pu faire l'objet d'une surestimation, en compensation de cessions réalisées à l'euro symbolique. Comment les niveaux de dépollution sont-ils calculés par le ministère des armées ?
M. Thierry Carcenac. - Ce rapport complète celui que nous avons présenté avec Michel Bouvard en mai dernier. Le pas vers une réelle politique immobilière de l'État n'a pas encore été franchi. La direction de l'immobilier de l'État constitue un progrès, mais cette avancée n'est pas suffisante. Une analyse des cessions du ministère des armées est nécessaire, en particulier lorsque le mécanisme des décotes s'applique, notamment à Paris, alors que parfois la Ville de Paris cède ses propres biens au prix du marché. À Londres, l'amirauté a été louée. Il pourrait être envisagé de louer certaines parties de biens immobiliers, par exemple au Val-de-Grâce, pour dégager des revenus permettant d'entretenir le patrimoine. Alors qu'à l'heure actuelle, nous n'avons pas les moyens nécessaires pour entretenir ce patrimoine, les loyers pourraient constituer une recette permettant d'assurer cet entretien. L'État ne remplit pas ses obligations, alors que les collectivités locales doivent se mettre aux normes.
M. Marc Laménie. - Le bilan du rapporteur spécial me paraît réaliste, mais inquiétant. Nous avons tous en tête des exemples concrets de cessions réalisées à l'euro symbolique, ou de sites militaires qui ont fermé ou ont été cédés aux collectivités locales. Les procédures de cessions sont souvent complexes et longues.
M. Dominique de Legge. - Je rappelle que nous avions voté au Sénat un amendement qui consistait à supprimer l'application du mécanisme de décote au titre de la loi « Duflot » pour l'immobilier de la défense. Lors de l'examen du projet de loi actualisant la programmation militaire de 2015, en commission mixte paritaire, nous avions finalement obtenu que la décote ne puisse dépasser 30 % de la valeur du bien. La loi de finances pour 2016 est malheureusement revenue au système initial.
Je souhaite revenir sur la question de la cession du Val-de-Grâce. Je rappelle que les militaires hébergés au Fort de l'Est sont invités à faire le chemin vers la station de métro en tenue civile, et non militaire, eu égard au risque que cette tenue leur ferait encourir. La question du patrimoine qui a vocation à héberger nos militaires doit donc être reposée à l'aune de l'opération « Sentinelle ».
Pour répondre à la question de Vincent Capo-Canellas, je ne souhaite pas faire des cessions à l'euro symbolique un cheval de bataille, car il me semble qu'elles permettent d'assurer un équilibre entre les besoins du ministère des armées, qui n'a plus les moyens d'assurer l'entretien de son patrimoine, et les collectivités locales, pour lesquelles l'acquisition de terrains ou de locaux a pu compenser la suppression de garnisons.
S'agissant de la décote au titre de la loi « Duflot », le ministère des armées s'appuie sur la direction de l'immobilier de l'État pour réaliser les estimations. Elles sont quelque fois prudentes et ne tiennent pas toujours compte des éléments en matière de dépollution, notamment pyrotechnique. De plus, les relations entre le ministère des armées et la direction de l'immobilier de l'État ne sont pas exceptionnellement bonnes.
Pour répondre à Thierry Carcenac, je me réjouis que nos rapports se complètent. Il importe désormais de dépasser la vision court-termiste et d'adopter des orientations réalistes dans les documents budgétaires.
Je partage les observations faites par Marc Laménie. En conclusion, je dirais qu'il faut continuer le combat.
La commission donne acte de sa communication à M. Dominique de Legge et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 12 h 45.
Article 13 de la Constitution - Audition de M. Robert Ophèle, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de l'Autorité des marchés financiers (AMF)
La réunion est ouverte à 14 h 05.
M. Francis Delattre, président. - Nous sommes réunis conformément à la loi organique du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Nous entendons Robert Ophèle, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de l'Autorité des marchés financiers (AMF).
Nous devrons ensuite voter sur la proposition de nomination. En application de l'article 3 de la loi organique, les délégations de vote ne sont pas autorisées. L'audition de Robert Ophèle s'est tenue ce matin à l'Assemblée nationale, mais le dépouillement aura lieu de façon simultanée dans les commissions des finances des deux assemblées.
Les votes des deux commissions des finances seront agrégés et seul un vote négatif représentant plus des trois cinquièmes des voix peut empêcher la nomination du candidat.
Je vous précise que cette audition est ouverte à la presse et au public. Elle fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.
Monsieur Ophèle, nous vous souhaitons la bienvenue à la commission des finances du Sénat.
Votre curriculum vitae a été distribué aux membres de la commission. Je vous invite maintenant à nous exposer les raisons ayant motivé votre candidature aux fonctions de président de l'AMF et les raisons pour lesquelles vous pensez être bien placé pour exercer cette responsabilité.
M. Robert Ophèle. - Le Président de la République m'a fait l'honneur d'envisager de me nommer en qualité de président de l'Autorité des marchés financiers.
Cette nomination ne peut intervenir qu'après recueil des avis des commissions des finances des deux assemblées et je me réjouis de pouvoir nouer avec vous, à cette occasion, un dialogue fructueux sur les missions de l'AMF et les axes stratégiques qui pourraient être mis en oeuvre. En effet, il est très clair dans mon esprit que l'autorité publique indépendante qu'est l'AMF a naturellement, en contrepartie de son indépendance, des comptes à rendre et une responsabilité toute particulière vis-à-vis du Parlement, avec lequel elle doit travailler en étroite symbiose.
Sachant qu'une large partie de cette audition est réservée à l'échange, je voudrais concentrer mon exposé liminaire sur quelques axes stratégiques que je souhaite mettre en oeuvre si ma nomination est confirmée.
Le code monétaire et financier donne à l'AMF une mission apparemment simple : l'AMF « veille à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers et tous autres placements donnant lieu à appel public à l'épargne, à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d'instruments financiers. »
La protection des investisseurs, donc des épargnants individuels, est ainsi au coeur des missions de l'Autorité, mais, pour qu'il y ait des investisseurs, professionnels ou non, il faut des émetteurs d'instruments financiers nombreux et en bonne santé, des intermédiaires performants, des marchés efficaces et, in fine, des investisseurs bien informés. C'est donc bien sur toute la chaîne financière que l'AMF doit veiller.
Or les missions de l'AMF s'exercent dans un environnement en profonde mutation : les modalités de financement de l'économie française évoluent et l'Union des marchés de capitaux se met progressivement en place en Europe. Ces deux évolutions très profondes interpellent l'AMF, qui se doit de les accompagner de façon résolue.
Tout d'abord, les modalités de financement de l'économie française évoluent en profondeur. Je vois, dans ces évolutions, deux tendances lourdes. La première consiste à reporter sur les investisseurs, institutionnels ou particuliers, des risques qui étaient jusqu'à présent assumés par les intermédiaires financiers. La seconde, qui résulte plus d'une volonté de politique économique, consiste à favoriser les financements de long terme, au besoin peu liquides et, si possible, en fonds propres, au détriment des investissements liquides en dette de court terme.
Premièrement, la conjonction de taux très bas, d'exigences réglementaires renforcées sur les intermédiaires financiers traditionnels (banques et assurances) et de l'émergence d'innovations via les Fintech, qui permettent de rapprocher directement les besoins et les capacités de financement, conduit à faire supporter par les investisseurs des risques qui étaient habituellement assumés par les intermédiaires professionnels. Les exemples sont nombreux : assurance vie en unités de comptes, au détriment de l'assurance vie en euros, fonds de prêts, placements privés en euro ou « Euro PP », plateformes de financement participatif ou « crowdfunding », projet de produit paneuropéen de pension individuelle, qui, nous l'espérons, sera finalisé au cours des prochains trimestres.
Tout cela diversifie de façon bienvenue les canaux de financement de l'économie, mais génère de nouveaux risques, tant au niveau microéconomique - en particulier en termes de bonne information des investisseurs et de bonne compréhension par eux des risques qu'ils prennent - qu'au niveau macroprudentiel, avec le développement des grands gestionnaires de fonds en parallèle au système bancaire et assurantiel. Cela renouvelle à l'évidence en profondeur le rôle de l'AMF. De fait, ce que certains appellent la finance de l'ombre ou « shadow banking » entre directement dans le champ de l'Autorité.
La seconde tendance lourde est la prise de conscience que le financement de notre économie serait mieux assuré si, au lieu d'avoir une épargne investie en produits liquides de court terme, on orientait directement ou indirectement l'épargne vers des financements de long terme et en fonds propres. En simplifiant à l'extrême, on pourrait dire que le financement de projets d'infrastructures appelle une épargne longue, quand le financement de l'innovation appelle des financements en fonds propres. Or on observe, en France, une évolution rapide -significativement plus rapide que dans les autres pays européens - de l'endettement des entreprises, qu'il s'agisse du crédit bancaire ou de l'endettement de marché. Il est nécessaire de renforcer l'attractivité du renforcement en fonds propres et, dans cette perspective, tout doit être fait pour renforcer l'attractivité de notre marché réglementé. Bien évidemment, l'AMF a, là encore, un rôle déterminant à jouer.
L'autre évolution profonde de l'environnement réside dans l'émergence d'un marché européen unique des financements - Union bancaire et Union des marchés de capitaux. Cette dernière se met progressivement en place. C'est, dans mon esprit, une ardente obligation pour assurer, là encore, un meilleur financement de nos économies, tout particulièrement celui des investissements dont nous avons besoin pour augmenter notre potentiel de croissance. Mais un marché unique passe par l'émergence de règles communes et d'une supervision homogène, si ce n'est unique, tout cela, je le rappelle, dans le contexte du Brexit, qui, de facto, doit faire de l'AMF un superviseur de référence dans l'Union européenne.
Cela implique que l'AMF soit très présente dans toutes les instances européennes, singulièrement à l'Autorité européenne des marchés financiers, tant en y détachant des agents qu'en participant activement à ses instances de gouvernance. Le rôle de l'Autorité européenne des marchés financiers doit être renforcé et la place de l'AMF doit y être très importante, si ce n'est prépondérante, après le départ de la Federal Conduct Authority (FCA) britannique. Mais, pour occuper une vraie place en Europe, l'AMF doit être présente en dehors de celle-ci, par des contacts bilatéraux avec ses principaux homologues et par son action dans les organisations internationales - je pense en particulier à l'Organisation internationale des commissions de valeurs (IOSCO), et au Conseil de stabilité financière (FSB), qui a en charge d'assurer la stabilité financière au niveau mondial et de proposer les évolutions réglementaires permettant de l'atteindre.
Ces mutations conduisent à adapter la manière dont l'AMF exerce ses missions.
L'AMF est souvent perçue comme le gendarme des marchés, avec sa surveillance permanente, ses contrôles, ses enquêtes et sa commission des sanctions. Ces missions sont naturellement fondamentales, car elles assurent le bon fonctionnement des marchés, en réprimant sans faiblesse les abus de marché, en faisant respecter sans faiblesse les règles déontologiques, en exigeant une information financière de qualité et une publicité non trompeuse, tout particulièrement lorsque les produits sont complexes, voire atypiques. In fine, ces missions assurent la confiance des participants de marché. Elles permettent également une connaissance fine de ces marchés, de sa microstructure et des risques qu'ils font courir à nos économies. Mais ces missions ont une forte dimension européenne et internationale. Moins de 50 % des transactions déclarées et analysées par l'AMF sont issues de déclarations françaises, de prestataires de services ou d'entreprises de marché. Plus de 50 % viennent donc de déclarations de régulateurs étrangers, singulièrement de la FCA britannique. Les enquêtes font régulièrement appel à la coopération internationale, particulièrement, là encore, avec la FCA. La commercialisation de produits en libre prestation de services à l'intérieur de l'Union européenne, et pense qu'il y en aura de plus en plus, appelle également une remise à plat, sous l'égide de l'Autorité européenne des marchés financiers, de la coopération entre régulateurs du pays d'émission (« home ») et du pays de diffusion (« hosts »). L'harmonisation et la coopération européennes sont donc vitales, et la coopération internationale, essentielle.
Au-delà de son rôle de gendarme des marchés, l'AMF, c'est aussi soutenir et aider. C'est d'abord soutenir l'industrie financière française et la place de Paris pour qu'elles se développent et, de ce fait, facilitent le financement de l'économie française au coût le plus bas possible. Cela consiste également à soutenir l'industrie de la gestion, les infrastructures de marché localisées à Paris, ainsi que toutes les innovations financières, avec des services proposés par des Fintech souvent très innovantes, mais qu'il convient d'aider dans le parcours complexe de la réglementation. Vous avez vous-même contribué de façon décisive à la réflexion dans ce domaine dans votre rapport récent sur les places financières, dont beaucoup de préconisations ont, me semble-t-il, été retenues par le Gouvernement.
Il s'agit également d'aider les investisseurs, singulièrement les investisseurs non professionnels, à comprendre les risques qu'ils prennent et, en cas de problème, de leur proposer un service de médiation. Un médiateur, à l'AMF, remplit cette fonction.
Le système financier sera, dans cinq ans, profondément différent de celui que nous connaissons aujourd'hui : il sera plus européen, plus orienté vers le financement direct de l'économie réelle. Cette mutation nécessite la mobilisation coordonnée de toutes les autorités publiques - l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ; l'AMF ; l'Autorité des normes comptables (ANC) ; la Banque de France ; les services du ministère de l'économie - et le soutien résolu du Parlement. Comment pourrait-on traiter de la supervision des chambres de compensation ou des prestataires de services d'investissement sans mobiliser les deux superviseurs et la banque centrale ? Comment surveiller efficacement la commercialisation des produits financiers sans un pôle commun ACPR-AMF pugnace ? Comment traiter de l'éducation financière du public sans mobiliser tous les services de l'État ? Comment peser dans les débats internationaux sans coordonner étroitement nos positions ?
À la sortie de mes études, j'ai souhaité me consacrer au service public économique et financier. J'ai donc rejoint la Banque de France en 1981. J'y ai trouvé une institution particulièrement ouverte et tolérante, qui m'a permis d'exercer des métiers très divers. Sous-gouverneur depuis le début de l'année 2012, j'ai en fait passé l'essentiel de ma carrière professionnelle dans des responsabilités en relation directe avec les marchés financiers, en tant qu'acteur - la Banque de France est un acteur important des marchés financiers : elle gère, en dehors même des opérations de politique monétaire, environ 200 milliards d'euros sur des supports très diversifiés - et, surtout, en tant que régulateur ou superviseur des banques, des assureurs, des infrastructures de marché, des entreprises d'investissement, en raison des fonctions que j'ai occupées ou que j'occupe au titre de la Banque de France lorsque j'en étais directeur général des opérations, de l'ACPR, que je préside sur délégation du gouverneur, de la BCE, puisque je siège au conseil de surveillance, lequel a en charge la supervision unique des banques de la zone euro, ou encore de l'AMF, dont je suis membre du collège.
Je pense ainsi être à même, avec l'aide d'un collège riche d'expertises très diverses, de piloter l'AMF dans la période complexe qui s'ouvre, où les autorités nationales vont devoir s'impliquer plus largement dans les débats européens et accompagner de façon rigoureuse l'essor des financements de l'économie via des opérations de marché. Dans un contexte marqué par la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, l'AMF a vocation à devenir une référence européenne, si ce n'est la référence, des superviseurs de marché et à être moteur dans l'émergence d'un système européen de supervision associé au marché unique des capitaux.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vous avez très justement parlé du Brexit et de ses conséquences. Vous savez que ce sujet intéresse particulièrement la commission des finances du Sénat. Vous avez mentionné le rapport que j'ai rédigé à ce sujet et relevé que la plupart des propositions que j'y ai formulées ont été retenues par le Gouvernement, ce dont nous nous réjouissons.
Dans les différents déplacements que nous avons effectués, nous avons systématiquement évoqué, avec les régulateurs, le risque d'installation d'entités boîtes aux lettres, qui permettraient en quelque sorte de contourner le problème du passeport, au sein de l'Union européenne.
Si vous êtes nommé président de l'AMF, vous serez membre du collège des superviseurs de l'Autorité européenne des marchés financiers. Quelle serait votre position sur cette question ? Comment peut-on, à votre sens, prévenir ce risque ?
Je veux ensuite poser deux questions sur l'attractivité de la France, toujours dans le contexte du Brexit.
On entend parfois dire que la France surtranspose les réglementations financières - il semble que ce soit une maladie française, au-delà du seul domaine des marchés financiers. Le Gouvernement a déclaré qu'il ne souhaitait pas surtransposer. On peut notamment penser au projet de directive MIF 2, qui laisse une certaine marge de manoeuvre, par exemple sur les seuils de publication des opérations financières. Pensez-vous que la France surtranspose les réglementations européennes en matière financière ? Comment assurer la compétitivité de la France, tout en assurant l'application d'une réglementation européenne, sans surtransposition ?
Pour ce qui concerne les Fintech, un certain nombre de jeunes pousses, que nous avons entendues dans le cadre du rapport sur le Brexit, évoquent la nécessité d'une réglementation spécifique, plus adaptée : le « bac à sable » réglementaire. Certains l'ont mis en place ; d'autres sont plus hésitants. Il est vrai que la voie est complexe. Les flux financiers pouvant être importants, il faut évidemment assurer la sécurité des transactions. Pensez-vous qu'il faille, pour les Fintech, une réglementation spécifique de type « bac à sable » ?
Enfin, l'adoption d'amendements que j'avais déposés a permis d'étendre l'interdiction de la publicité des produits exotiques. Malheureusement, les intérêts financiers sont tellement importants que ces produits continuent à fleurir, avec, parfois, des drames, des épargnants ruinés. La FCA a ouvert une enquête sur les plateformes fournissant des produits en ligne. Comment assurer une protection effective, renforcée, de l'épargnant face à ce que votre prédécesseur qualifiait d'« escroquerie systématique » ?
M. Robert Ophèle. - Pour certaines de ces questions, la réponse ne peut qu'être européenne.
Pour ce qui concerne les boîtes aux lettres, il s'agit d'une préoccupation majeure. Une politique de localisation n'est pas efficace si la localisation consiste en une simple boîte aux lettres ! Les centres de maîtrise du risque ne sont alors pas localisés.
Comment éviter la boîte aux lettres sans tomber dans l'excès inverse, qui consisterait à obliger à ce que tout soit réalisé sur place, alors même qu'il peut être pertinent que des économies d'échelle induisent des gestions de risque à un niveau plus vaste que le territoire national ou européen, voire à l'échelle internationale ? La réponse n'est pas simple parce qu'elle dépend de l'activité que l'on exerce et de la chaîne de décision du superviseur. En matière bancaire, il existe désormais un superviseur unique.
Notre doctrine est bien ancrée dans un certain nombre de textes. L'externalisation d'une fonction essentielle ne peut être réalisée que sous un certain nombre de règles extrêmement précises.
En matière bancaire, nous avons dit aux établissements qu'ils ne pourraient pas s'installer dans la zone euro et déboucler toutes les opérations qu'ils y réaliseraient sur un centre, par exemple à Londres, où demeurerait l'essentiel. L'existence d'un ancrage réglementaire et d'un superviseur unique, qui le met en oeuvre de façon cohérente et homogène sur la zone, permet donc la mise en place d'un certain nombre de principes.
En matière d'assurance, il n'y a pas de superviseur unique, mais il existe un corpus de règles.
Pour ce qui concerne les sociétés de gestion ou les services financiers, le corpus de règles est très faible. En l'état actuel des textes, l'établissement ne peut pas proposer ses services aux particuliers dans un pays. En revanche, la gamme de libres prestations de services est beaucoup plus étendue pour ce qui concerne les services offerts aux professionnels.
Cela étant, le corpus de règles sur l'externalisation de fonctions essentielles aux établissements qui veulent s'installer en Europe est très faible.
Actuellement, un débat a lieu à l'Autorité européenne des marchés financiers pour harmoniser une approche cohérente entre tous les pays, en particulier sur l'absolue nécessité de la présence physique, in situ, d'un certain nombre de fonctions clés. Ce débat, très complexe, montre bien qu'il faut aller plus loin dans l'harmonisation des règles européennes, pour éviter une concurrence par le bas qui se ferait au détriment de tous. Si l'on peut déjà observer un premier résultat, les personnes devant être physiquement présentes pour la localisation d'un service financier, il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine.
La surtransposition, aussi qualifiée de gold plating, est toujours une tentation. L'approche du Gouvernement sur ce sujet me paraît, d'ailleurs, extrêmement intéressante. Il s'agit de revenir en arrière lorsqu'une surtransposition est constatée. En effet, on fait parfois de la surtransposition sans le vouloir ! Mais le souci de tous les superviseurs, de tous les régulateurs français depuis quelques années est vraiment d'éviter ce phénomène. Vous avez évoqué la transposition de la directive MIF 2 : pour y avoir participé, en tant que membre du collège de l'AMF, je peux vous assurer que nous avons essayé de réduire cette tentation au maximum.
Je prends l'exemple du financement de la recherche, sujet qui a quelque peu ému parce qu'on avait le sentiment, à raison du reste, que la mise en oeuvre des règles résultant de la directive MIF 2 se ferait au détriment de la recherche sur les valeurs moyennes, dont le coût est aujourd'hui mutualisé avec le coût de la recherche sur les grandes valeurs. L'identification du coût de la recherche, sa prise en charge explicite par la société de gestion ou sa refacturation explicite au client, qui doit donner son accord, sont quelque peu compliquées. Après avoir consulté tous les professionnels, l'AMF va rendre public un guide sur la mise en oeuvre de la directive. Vraiment, je crois qu'il n'y a là aucune surtransposition.
J'en viens à la question des Fintech et de l'alternative entre « bac à sable » et approche proportionnelle. On évoque souvent la proportionnalité, le terme a de quoi séduire - la réglementation est très compliquée mais on va l'appliquer de manière proportionnée -, mais, dans les faits, la proportionnalité est très difficile à mettre en oeuvre, d'où l'idée du bac à sable. Votre rapport présente bien les arguments pour et contre ces deux approches mais nous considérons que le vrai bac à sable n'est pas compatible avec la réglementation européenne. Il y a actuellement une consultation européenne en la matière, qui permettra peut-être d'évoluer.
Par exemple, on trouve beaucoup de Fintech dans le système de paiement ; elles peuvent commencer petit, en étant d'abord agents d'un établissement de paiement, puis devenir établissements de paiement avant de se transformer en établissements de crédit. Il existe donc une gradation. L'ACPR et l'AMF travaillent conjointement sur ce sujet, car il faut parfois des combinaisons de licences pour offrir un panel de services. Il faut aider, accompagner ces sociétés. Très souvent, la réglementation sur ces niches n'est pas si lourde qu'on le croit. Ce qui est compliqué, c'est la multiplicité des niches.
À terme, une Fintech qui réussit vraiment, qui se développe, a vocation à avoir le statut le plus général possible, celui d'établissement de crédit, qui fournit l'ensemble des services. Je ne ferai pas ici la cartographie complexe des niches, mais il faut les aider à trouver la bonne licence ; selon moi, ce n'est pas si complexe.
En ce qui concerne la publicité, le combat n'est pas perdu d'avance, mais il ne doit pas être que répressif. Il faut bien sûr l'être, et la loi « Sapin 2 » donne des outils pour cela, mais la clé, c'est l'éducation financière. Il faut que les gens comprennent que la promesse d'une rentabilité de 20 % par an a quelque chose de louche. La Banque de France et l'AMF ont tenté de joindre leurs forces dans ce combat.
M. Francis Delattre, président. - Nous avons beaucoup légiféré depuis 2008, en France et en Europe. Le Président de la République souhaite réorienter l'épargne française vers l'économie, pour accroître la part de financement par les marchés, plus faible que dans les pays anglo-saxons
Dans ce cadre, après une carrière dans le monde bancaire, votre candidature aux fonctions de président de l'AMF doit-elle être interprétée comme la volonté d'accompagner ce virage et de renforcer les garanties offertes aux épargnants ? Devons-nous encore compléter notre réglementation financière en Europe ?
M. François Marc. - Votre exposé illustre vos états de service et votre bonne compréhension des éléments de doctrine qui sont des atouts pour ce poste. Je veux évoquer le modèle français. Vous avez indiqué notre souhait que la France devienne une référence en Europe en matière de régulation. L'Allemagne a un régulateur unique - la BaFin -, de même que six autres pays de la zone euro. Quel est votre sentiment sur l'organisation française, qui repose sur l'ACPR et l'AMF ? Faut-il envisager un rapprochement ?
Le focus de la cartographie des risques pour 2017 de l'AMF porte sur les cyberattaques. Vous avez indiqué en 2014 que le secteur financier est la deuxième cible de ces attaques, derrière les administrations publiques. Comment mieux protéger le secteur financier ?
Enfin, sur les risques liés aux nouvelles technologies, quel regard portez-vous sur l'activité des traders à haute fréquence ? L'AMF est-elle assez outillée pour surveiller le comportement de ces acteurs ?
M. Richard Yung. - Ma première question rejoint celle de François Marc. Pensez-vous que l'AMF est suffisamment outillée en personnel pour faire face à ses missions ? Quand on la compare aux autres régulateurs européens, l'AMF est plutôt du côté des petits. Votre budget, dont nous avons déjà débattu, est plafonné à 94 millions d'euros. C'est un plafond de verre, vous ne pouvez pas avancer ni recruter. De plus, les contributions du secteur financier sont supérieures à ce montant, mais la part qui revient à l'AMF étant plafonnée, le reste s'apparente à un impôt. C'est donc très discutable.
M. Robert Ophèle. - La question des ressources, c'est la face Nord du Mont-Blanc.
M. Richard Yung. - Sur l'Autorité européenne des marchés financiers, nous sommes nombreux à partager ce que vous avez dit. Il est nécessaire de développer le marché européen de capitaux, mais cela n'avance pas. La révision de la directive sur les prospectus est sûrement louable, mais ne changera pas le monde. Certains pays ont de l'épargne à investir et d'autres ont des investissements à financer, mais on n'arrive pas à organiser les flux entre ces pays.
Comment voyez-vous donc la contribution de l'AMF à ce sujet et faut-il aller vers un superviseur européen unique des marchés financiers, comme c'est le cas de la division de la BCE qui supervise le système bancaire ?
M. Marc Laménie. - Nous restons attachés, dans les départements, aux antennes de la Banque de France. On se heurte beaucoup, dans les territoires, au monde des banques et des établissements de crédit, c'est un monde inaccessible, les petits artisans ou les petites entreprises sont confrontés à bien des barrages et des projets modestes ne voient pas le jour. Comment favoriser l'accès aux financements ?
M. Robert Ophèle. - J'ai eu le sentiment de participer à la création de l'Union monétaire puis à celle de l'Union bancaire. Je trouve stimulant de participer à la création effective de l'Union des marchés de capitaux. Si le fait d'avoir fait ma carrière à la Banque de France rassure, je m'en réjouis.
Il y a un superviseur des banques et des assurances et un superviseur des marchés. On trouve toutes les organisations dans le monde et le temps n'est pas aux modifications institutionnelles. La clé, c'est la coopération. Elle fonctionne et elle continuera de fonctionner. Faire des modifications institutionnelles, c'est s'écarter du sujet important. Au Royaume-Uni, on est passé d'un système à l'autre puis on est revenu à l'organisation initiale. Le 13 juillet dernier, le nouveau président de la Securities and Exchange Commission (SEC) a prononcé un discours articulé autour de huit axes ; le dernier était : la coordination entre agences est la clé du succès. C'est important chez nous aussi. Cette coordination existe et on va essayer de l'amplifier. Des modifications institutionnelles seraient donc un divertissement par rapport aux vrais sujets.
Cela dit, au Royaume-Uni, 4 500 personnes sont investies dans la régulation du système financier. En Allemagne, cela représente 3 000 personnes. En France, l'ACPR et l'AMF représentent 1 500 personnes. Cet écart pose des questions, tout de même, eu égard à l'importance du système financier dans notre pays. Si l'on veut qu'il se développe, il faudra bien faire quelque chose. Ainsi, notre budget est plafonné à 94 millions d'euros, mais on récolte environ 110 millions d'euros et on dépense entre 100 et 110 millions d'euros. Par conséquent, si l'on maintient ce plafond, on devra réduire nos effectifs, alors que tous les régulateurs européens les augmentent de façon très significative. Je pense que cela fera l'objet d'un débat le moment venu, mais il est étrange d'avoir un plafond inférieur à nos ressources collectées et aux dépenses effectives.
Une des particularités de l'AMF est qu'elle est très rigoureuse dans ses procédures d'enquête, de contrôle et qu'elle assure un suivi pointu des marchés et fait de l'analyse des données. Vous citiez les transactions à haute fréquence. Grâce à ce suivi, les acteurs qui ne respectaient pas les règles ont été poursuivis et condamnés. L'AMF est la seule autorité en Europe, hors Royaume-Uni, à l'avoir fait, car elle est la seule à avoir la capacité d'analyse très fine nécessaire pour le faire - c'est d'ailleurs peut-être là une manifestation du génie français, on mathématise beaucoup - et il est très important que l'évolution du système d'information maintienne cette capacité. Il s'agit d'une expertise française indispensable.
En ce qui concerne les cyberattaques, il est vital d'être très attentif, car il y a une interconnexion forte des acteurs et beaucoup d'innovation informatique en la matière, ce qui ouvre la brèche à des attaques de plus forte ampleur encore. Ainsi, la directive relative aux systèmes de paiement, permettant d'initier des paiements entre comptes, touche à un domaine dans lequel les risques de cyberattaques sont significatifs ; il faudra bien les mesurer avant de mettre en oeuvre les dispositifs. Par exemple, quand on crée une plateforme de financement participatif, il faut étudier sa résistance aux attaques. En France, l'Agence nationale de sécurité informatique (ANSI) valide les dispositifs touchant à un système d'importance vitale et il faut conserver cette dimension. Ensuite, il y a un réseau européen dans ce domaine ; dès qu'il y a une attaque quelque part, on se tient au courant pour y faire face.
Quant à la supervision unique, c'est un long chemin, cela ne se décrète pas. Le premier stade consiste à se donner des règles communes, à les faire émerger à tous les niveaux, des grands principes aux procédures concrètes. Ensuite, second stade, chacun est censé les mettre en oeuvre au niveau national ; on se regarde les uns les autres et on vérifie que chacun l'applique, de manière cohérente. Enfin, dernière étape, on passe à la supervision unique. On en est très loin. Il y a un marché unique et, un jour ou l'autre, on n'aura plus vingt-neuf superviseurs mais un seul. Telle est ma vision des choses.
Votre question, monsieur Laménie, relève plus du système bancaire que de l'AMF, mais la Banque de France a une implantation territoriale fine, dans chaque département. C'est un choix stratégique, qu'elle a confirmé. Elle est le relais de l'AMF et nous travaillons conjointement pour aider le tissu économique local dans sa recherche de financement ou de crédit, tant pour les entreprises que pour les particuliers. Il y a un droit au compte en France mais pas de droit au crédit ; chacun doit donc faire de son mieux et la présence fine de la Banque de France sur le territoire est cruciale à cet égard.
M. Claude Raynal. - La commission des finances du Sénat porte un regard positif sur le travail et les résultats de l'AMF. Nous avons eu des relations privilégiées avec vos prédécesseurs, ce qui nous a permis d'avoir un aperçu régulier des avancées de cette autorité.
Nous avons eu le même sentiment positif au moment de la question du non bis in idem ; il fallait absolument, selon nous, conserver la qualité des enquêtes de l'AMF et la rapidité de ses sanctions. Nous souhaitions donc privilégier cette vision financière à une approche judiciaire. À cet égard, la loi du 21 juin 2016 réformant le système de répression des abus de marché précise les relations entre le Parquet national financier et l'AMF. Pourriez-vous nous faire un retour sur la qualité de ces relations et sur la répartition de ce qui relève du Parquet national financier et ce qui relève de l'AMF ?
Sur la nécessité de la formation et de l'éducation des consommateurs, effectivement, un produit revendiquant 20 % de rendement devrait appeler à la prudence. Mais comment est-il possible de protéger le consommateur malgré lui, car il n'est pas toujours capable d'avoir une analyse fine ?
Sur l'Union des marchés de capitaux, on a l'impression que, après l'instauration de règles sur les prospectus, la titrisation ou le capital-risque, beaucoup de pays freinent quand il s'agit de renforcer les règles parce qu'ils pensent que la réglementation viendra des grands pays et qu'elle les écartera de leur propre marché des capitaux. Quels sont vos espoirs de progrès sur la voie de l'Union des marchés de capitaux ? À quelle échéance ? Il s'agit d'un sujet majeur pour le financement des grandes infrastructures et de l'industrie.
Mme Fabienne Keller. - J'aurai une seule question, prolongeant celle du rapporteur général sur les suites du Brexit. Un espoir de la place financière de Paris est de récupérer une partie de l'activité financière londonienne, mais je redoute un accord entre la bourse de Londres et la bourse allemande afin que les transactions transitent uniquement sur le territoire européen. Avez-vous travaillé sur ce risque ? Pourra-t-on l'éviter ? En effet, on comprend bien l'intérêt britannique de conserver les activités de transaction à Londres et de faire en sorte que la transaction ne passe que pendant un instant de raison sur le territoire de l'Union européenne...
M. Claude Nougein. - La France compte de belles entreprises de taille intermédiaire (ETI), même si d'autres pays en Europe, comme l'Italie, en ont plus que nous. Lorsqu'elles ont besoin de financer leur croissance, deux solutions s'offrent à elles : s'adosser à un grand groupe international ou accéder au marché financier.
La première solution présente des problèmes d'indépendance et, pour l'élu de province que je suis, des soucis d'aménagement du territoire et des risques de délocalisation. D'où l'intérêt de la deuxième solution. Or entrer sur le marché financier est un processus long, coûteux et complexe ; en sortir est très long, très coûteux et très complexe ! De nombreux chefs d'entreprises familiales et régionales peuvent en témoigner.
En tant que président de l'AMF, pourrez-vous et aurez-vous les moyens de faire oeuvre utile pour notre économie en fluidifiant et en facilitant l'accès des ETI au marché financier ?
M. Yannick Botrel. - La presse fait régulièrement état de bulles financières en voie de reconstitution à travers le monde. Nous savons les dégâts qu'elles ont récemment produits. Décelez-vous des risques potentiels auxquels nous pourrions être confrontés ? Quelle action pourriez-vous mener dans ce domaine ?
M. Maurice Vincent. - Quel est votre point de vue sur la localisation des chambres de compensation après le Brexit ? Notre pays peut-il envisager un transfert de ces institutions ?
M. Robert Ophèle. - Sur le Brexit, j'observe que la fusion entre le London Stock Exchange (LSE) et la Deutsche Börse n'a pas eu lieu.
Mme Fabienne Keller. - Cela n'empêche pas...
M. Robert Ophèle. - Mais cela n'aide pas !
Les bourses de l'Union, en particulier la Deutsche Börse mais aussi Euronext, n'ont pas intérêt à servir de simples boîtes aux lettres. La Deutsche Börse et Euronext ont une carte à jouer pour accueillir non seulement les entreprises de la zone qui veulent être cotées, mais aussi les entreprises internationales qui souhaitent être cotées en Europe. En effet, l'excèdent de paiements courants en Europe est de 300 milliards d'euros par an : le marché européen est donc très attractif.
En Europe, il existe d'importantes chambres de compensation. En France, Clearnet, filiale de la London Clearing House (LCH), elle-même filiale de LSE Group, compense des produits d'Euronext et, de façon très significative, des opérations de pension livrée (repo) en euros et de couverture de défaillance (Credit Default Swap). En Allemagne, Eurex a également une capacité de compensation extrêmement forte.
La localisation de la compensation suscite beaucoup d'émotion des deux côtés de la Manche, car elle renvoie à la question de la reconnaissance des établissements situés dans des pays tiers. Le Brexit conduit à revoir cette question de manière brutale. Nous n'aurions jamais imaginé que cette reconnaissance concernerait des établissements à nos frontières, et non plus des établissements en Asie ou aux États-Unis.
La Commission européenne a proposé une révision de la réglementation en la matière, dite « Emir » (European Market and Infrastructure Regulation), qui me paraît intéressante. En effet, on peut appliquer une réglementation impeccable, absolument équivalente à la nôtre, dans un pays tiers ; pour autant, cela ne signifie pas que nous avons le droit de compenser 100 % du produit concerné dans cette chambre. C'est une question non pas de qualité de supervision, mais de souveraineté. Si les règles appliquées par le pays tiers, aujourd'hui équivalentes de facto, sont modifiées alors que la totalité des produits y est compensée, nous perdons toute capacité de peser dans le débat. S'agissant de certains produits sensibles pour nos économies, il doit y avoir, selon moi, des alternatives effectives dans l'Union européenne. C'est ce qui est en filigrane dans l'approche à trois niveaux de la proposition de la Commission européenne : les chambres de compensation standards, systémiques et super-systémiques.
Sur la question de la publicité, l'AMF est face à un dilemme. Aujourd'hui, elle vérifie les publicités ex ante, ce qui est extrêmement lourd, pour une efficacité certes réelle mais pas totale. Tout dépend des moyens qui lui sont accordés. La formation des publics doit mobiliser tous les acteurs intéressés. L'AMF est très présente dans ce domaine, notamment avec lafinancepourtous.com, une plateforme internet qui offre de nombreux supports éducatifs. Nous avons intégré cet outil dans une approche plus large conduite avec la Banque de France, qui a été investie d'une mission nationale. La clé, c'est l'éducation financière. Il faut donner des réflexes aux jeunes. De nombreuses conventions sont en train d'être conclues avec les rectorats afin de fournir des supports sur le terrain, en s'appuyant sur le réseau de la Banque de France.
J'en viens aux ETI, qui sont moins nombreuses en France qu'ailleurs. Pour qu'une PME devienne une ETI et pour que cette ETI prospère, deux éléments sont à prendre en considération. Le premier est le marché boursier (Alternext, le compartiment B...). Le second, sur lequel nous nous sommes mobilisés avec la chambre de commerce de Paris-Île-de-France, le ministère de l'économie, l'AMF et la Banque de France, est le développement d'un marché de placements privés. Une ETI ne peut pas faire d'émission obligataire, car le marché doit connaître l'émetteur et ainsi faire confiance à sa signature. Si une entreprise émet pour 20 millions d'euros, et surtout si elle ne le fait qu'une seule fois, cela n'intéressera personne !
Nous avons considéré qu'il fallait développer un marché du placement privé, avec des investisseurs institutionnels, pour des émissions de 10 à 20 millions d'euros - des montants qui correspondent aux investissements des ETI. Pour que ce marché se développe, il faut que personne n'ait le sentiment qu'il pourrait exister un conflit d'intérêts. Il faut une charte de bonne conduite qui doit être respectée sur ce marché. C'est ce que nous avons élaboré avec les parties prenantes - avocats, banques, émetteurs.
En ce qui concerne le marché boursier, un travail est actuellement mené pour faciliter la sortie de ce marché. L'idée est que l'on ne rentre sur le marché que si l'on sait que l'on peut en sortir.
Certains d'entre vous ont fait remarquer que l'Union des marchés de capitaux est décevante, qu'elle n'avance pas. La directive prospectus est une avancée, mais elle ne constitue pas un progrès assez significatif. Néanmoins, il faut garder espoir, car on s'aperçoit qu'il faut traiter trois sujets, même s'ils sont compliqués, pour réussir cette union.
Le premier sujet est le droit de la faillite. Aux États-Unis, le Chapter 11 constitue une règle commune. Si le droit de la faillite est complètement différent d'un pays à l'autre dans un marché unique, un investisseur ne fera pas l'effort de connaître toutes ces règles. Pour aller vers une plus grande fluidité, il faut progresser sur ce point. Nous y travaillons.
Le deuxième sujet, qui n'est pas décisif, est les normes comptables. Si elles sont très différentes, elles peuvent constituer un obstacle.
Le troisième sujet est la création de produits paneuropéens de long terme. Les fonds d'investissement de long terme (Long Term Investment Funds, LTIF) existent déjà ; un produit paneuropéen de pension individuelle est en projet. Pour l'instant, ce produit n'est pas satisfaisant, mais il constitue une base à améliorer.
S'agissant du Parquet national financier (PNF), il faut raisonner en termes de vitesse de sanction. La vitesse n'est pas la même à l'AMF et au PNF. Mais les peines sont différentes. Même si elles sont virtuelles, les peines de prison ne doivent pas être négligées. L'enquête est toujours conduite par l'AMF qui propose au PNF de se saisir de l'affaire. Le PNF se saisit souvent du dossier lorsqu'il existe des affaires connexes, afin d'obtenir un « effet masse ». Le non bis in idem a été une surprise pour beaucoup. Nous avons trouvé une solution équilibrée à ce stade. Il est trop tôt pour faire un bilan, mais les échos que j'ai entendus ne sont pas négatifs.
Pour ce qui concerne les bulles financières, nous avons en France un Haut Conseil de stabilité financière, dont la fonction est d'identifier, le plus en amont possible, d'éventuels risques, que ce soit chez nous ou à l'étranger, s'ils peuvent avoir des conséquences dans notre pays.
On peut distinguer différentes sortes de bulles : celles qui touchent les avoirs financiers ; celles qui atteignent les prix de l'immobilier et qui sont plus dangereuses, car elles concernent un nombre plus important de personnes, dont la mobilité est de fait réduite, ont des effets durables et touchent le secteur du bâtiment.
Aujourd'hui, le risque n'est pas considéré comme alarmant pour l'immobilier des particuliers. Nous avons eu une inquiétude sur l'immobilier commercial, mais la bulle ne semble pas prospérer. On examine aussi l'endettement des entreprises, considéré comme un peu trop rapide en France, mais il faut analyser de manière plus granulaire les faiblesses que cela peut révéler. On surveille également le risque que peut représenter la valorisation élevée des bourses aux États-Unis, ainsi que le niveau inquiétant des crédits automobiles et des crédits aux étudiants dans ce même pays.
La surveillance s'exerce à tous les niveaux : français, européen, mondial.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je me demande si l'AMF est suffisamment active en matière de lutte contre le blanchiment.
M. Robert Ophèle. - Je prends note de votre préoccupation. À l'ACPR, nous avons fait un effort important dans ce domaine, que ce soit pour les banques et, ce qui était moins naturel, pour les assurances.
M. Francis Delattre, président. - Je vous remercie, monsieur Ophèle.
M. Robert Ophèle quitte la salle de réunion.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote sur la proposition de nomination du président de l'Autorité des marchés financiers (AMF)
La commission procède au vote sur la proposition de nomination du président de l'Autorité des marchés financiers et au dépouillement simultané du scrutin au sein des commissions des finances des deux assemblées.
MM. François Marc et Dominique de Legge, secrétaires, sont désignés en qualité de scrutateurs.
M. Francis Delattre, président. - Voici le résultat du vote :
Nombre de votants : 21 ; Blancs : 3 ; Pour : 18 ; Contre : 0.
Ce vote sera agrégé à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale.
La réunion est close à 15 h 30.
Jeudi 20 juillet 2017
La réunion est ouverte à 9 h 25
- Présidence conjointe de M. Francis Delattre, vice-président de la commission des finances, et de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -
Gouvernance et approfondissement de la zone euro - Audition de M. Alberto de Gregorio Merino, directeur affaires économiques et financières, budget et fonds structurels du service juridique du Conseil de l'Union européenne, M. Jean-Paul Keppenne, conseiller juridique au sein du service juridique de la Commission européenne chargé de la zone euro et des questions économiques, chargé de cours à l'Institut d'études européennes de l'Université Saint Louis de Bruxelles, et M. Francesco Martucci, professeur de droit européen à l'Université Paris II Panthéon Assas
M. Francis Delattre, vice-président de la commission des finances. - Nous sommes réunis ce matin autour d'un sujet cher à la commission des finances et à la commission des affaires européennes : la gouvernance et l'approfondissement de la zone euro. Depuis quelques années, des pistes de réforme ont été régulièrement évoquées - notamment pendant la campagne présidentielle - pour améliorer le fonctionnement de la zone euro, qui compte désormais dix-neuf États membres. Le 13 juillet dernier, la France et l'Allemagne se sont accordées sur un constat : « l'architecture actuelle de la zone euro présente des défauts persistants ». Lors de ce conseil des ministres franco-allemand, il a également été affirmé que nos deux pays « partagent la volonté d'envisager de nouvelles initiatives pour la renforcer ».
Le programme du candidat à l'élection présidentielle, devenu aujourd'hui Président, proposait la création d'un ministre de l'économie et des finances, d'un Parlement et d'un budget de la zone euro. En mai dernier, le gouvernement espagnol s'est également déclaré favorable à la création d'un « véritable gouvernement économique » de la zone euro, qui devrait s'accompagner de la création d'un budget commun et d'un Trésor de la zone euro. La Chancelière Angela Merkel a indiqué la semaine passée qu'elle « n'avait rien contre un budget de la zone euro » et qu'il était possible de discuter de l'institution d'un « ministre européen des finances ».
Concernant la dimension démocratique de la zone euro, le Sénat participe activement à la conférence prévue par l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union économique et monétaire. Cette conférence a du mal à trouver sa place dans le paysage institutionnel : il faudra rechercher la bonne formule pour associer les parlements à la gouvernance de la zone euro.
Pour nous éclairer sur l'ensemble de ces questions, nous avons souhaité entendre des juristes spécialistes du droit de l'Union européenne. L'objet de cette audition est, en effet, d'examiner la faisabilité juridique des différentes propositions de réforme de la gouvernance de la zone euro et d'identifier celles qui nécessitent une révision des traités européens.
Je souhaite donc la bienvenue à M. Alberto de Gregorio Merino, qui est directeur chargé des affaires économiques et financières, du budget et des fonds structurels au sein du service juridique du Conseil de l'Union européenne ; M. Jean-Paul Keppenne, qui occupe les fonctions de conseiller juridique au sein du service juridique de la Commission européenne où il est chargé de la zone euro et des questions économiques ; et M. Francesco Martucci, professeur de droit européen à l'Université Panthéon-Assas Paris II.
Je vous informe que MM. de Gregorio Merino et Keppenne s'expriment en leur nom propre et que leurs propos n'engagent pas l'institution pour laquelle ils travaillent. Je vous informe également que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site internet du Sénat.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Je me réjouis de cette réunion commune de nos deux commissions. La réforme de la zone euro est un enjeu majeur de l'agenda européen. Lors du tout récent conseil des ministres franco-allemand, nos deux pays ont reconnu que l'architecture actuelle présentait des défauts persistants. Ils ont partagé la volonté d'envisager de nouvelles initiatives pour la renforcer. Nous avons par ailleurs pris connaissance de la contribution de la Commission européenne dans le document de réflexion qu'elle a rendu public à la fin du mois de mai. Le groupe de suivi du Sénat sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne a lui-même recommandé de renforcer la gouvernance de la zone euro. Cela passe d'abord par l'achèvement de la phase I de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire. Plusieurs sujets sont en cause : promouvoir un véritable code de convergence fiscal et social, poursuivre la réforme du semestre européen et faire aboutir l'union bancaire.
L'idée d'un budget de la zone euro fait par ailleurs son chemin. Mais on ne voit pas encore un consensus se dessiner sur la forme qu'il pourrait revêtir. Peut-on transformer le Mécanisme européen de stabilité en Fonds monétaire européen ? Quel contenu pourrait avoir une capacité budgétaire de la zone euro à finalité contra-cyclique ? Quel contrôle démocratique ? Cela nous renvoie à l'enjeu de la gouvernance. Il est indispensable de renforcer le pilotage exécutif de la zone euro. Cela pourrait passer par l'organisation plus systématique de sommets de la zone euro et par la désignation d'un coordonnateur politique qui présiderait l'Eurogroupe, appliquerait les orientations définies par le sommet de la zone euro et qui représenterait celle-ci dans les institutions financières internationales. Quelle est votre analyse ?
Mais ce renforcement de l'exécutif ne peut se concevoir sans un contrôle démocratique effectif. Cela pourrait, à notre sens, passer par un rôle accru de la conférence de l'article 13 du TSCG. Cet article, dont nous avons souvent débattu, nous laisse amers. Le mode de fonctionnement de cette conférence devrait être revu pour lui permettre d'adopter des recommandations et de valider le principe d'un engagement du Fonds monétaire européen. Elle pourrait se réunir à Strasbourg pour au moins deux sessions : la première au début du semestre européen, en novembre, pour examiner la situation de la zone euro ; la seconde en juin de l'année suivante, pour la présentation des propositions de recommandations par pays de la Commission européenne. Quelles sont les voies envisageables pour asseoir la légitimité démocratique de la zone euro ? Ce sujet, technique, est très présent au sein de notre assemblée, qui représente les collectivités territoriales et où les élus sont toujours soucieux de légitimité démocratique.
M. Alberto de Gregorio Merino, directeur chargé des affaires économiques et financières, du budget et des fonds structurels au sein du service juridique du Conseil de l'Union européenne. - Depuis le début de la crise, la zone euro a évolué de façon spectaculaire, avec la création de l'union bancaire, le renforcement de la gouvernance économique et la création d'un mécanisme de sauvetage permanent, à savoir le Mécanisme européen de stabilité (MES). Désormais, on observe une évolution parallèle de la solidarité et de la responsabilité : l'accès au mécanisme de sauvetage est conditionné à la ratification et à la transposition par l'État membre du TSCG. La centralisation s'est accrue, puisque des pouvoirs de plus en plus importants sont exercés par des instances européennes comme l'Autorité bancaire européenne, chargée de la surveillance, ou le Conseil de résolution unique - ce qui était inconcevable il n'y a pas si longtemps. Et l'idée même de stabilité a évolué, passant, à la suite de la crise, de la conception étroite qui avait prévalu à Maastricht - prix et budgets - à une acception plus large, embrassant la stabilité de la zone euro tout entière. Je vous renvoie sur ce point au troisième alinéa de l'article 156 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), ainsi qu'à l'arrêt Pringle de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).
Je crois que les aspects bancaires et financiers, la gouvernance et le mécanisme de sauvetage constituent les trois sommets d'un triangle délimitant le périmètre de toute action à venir sur le plan économique et monétaire. Négliger l'un de ces trois domaines, qui sont aussi liés entre eux que fondamentaux, déboucherait sur une politique boiteuse et dysfonctionnelle. L'approfondissement sera guidé par l'équilibre entre solidarité et risque, avec éventuellement un « fonds pour les mauvais jours » et un fonds de stabilisation macroéconomique, et un partage des responsabilités et des fonctions de contrôle. Plus on intensifiera le partage des risques et des responsabilités, plus il deviendra probable qu'il faille modifier les traités.
Pour l'intégration bancaire et financière, une révision des traités ne sera pas nécessaire, puisque la réglementation relève du marché intérieur, domaine dans lequel les traités fixent un cadre d'intégration suffisamment large. Pour la gouvernance économique, c'est déjà moins évident, car les compétences de l'Union européenne se limitent à la coordination entre les États membres. À mon avis, le législateur a déjà épuisé les possibilités offertes par les traités, et la création d'un pouvoir effectif d'intrusion dans la procédure budgétaire ou dans l'activité du Trésor des États membres imposerait de les réviser pour transformer la compétence de coordination en une compétence d'intégration.
Quant au Mécanisme européen de stabilité, il est fondé sur un accord intergouvernemental. C'est un bel exemple d'usage de la méthode intergouvernementale comme alternative à l'intégration européenne, à l'instar du TSCG ou de la mise en place du Fonds de résolution unique (FRU). Par l'arrêt Pringle, la CJUE a accepté le recours à la méthode intergouvernementale pourvu que son résultat aille dans le sens de la construction européenne, respecte l'autonomie de décision de l'Union européenne et ne soit pas contraire à son droit, qui prévaut sur les traités intergouvernementaux. Si cette méthode intergouvernementale est utile pour faire face aux urgences, je vois mal comment l'on pourrait y avoir recours pour construire un mécanisme qui toucherait au tissu institutionnel.
Pour conclure, j'insisterai sur le fait que l'approfondissement doit se faire avec toute la légitimité démocratique souhaitable. Pour l'heure, c'est le corps électoral national qui est l'espace principal du débat démocratique sur le pacte social et la redistribution fiscale. Ce sont donc les États membres qui doivent demeurer le substrat de l'approfondissement économique : en d'autres termes, celui-ci ne doit pas se faire sans associer étroitement les parlements nationaux.
M. Jean Paul Keppenne, conseiller juridique au sein du service juridique de la Commission européenne chargé de la zone euro et des questions économiques. - Je vous remercie de votre accueil. De tels contacts informels sont utiles pour faire évoluer la réflexion sur ces importants sujets. Je partage la plupart des observations de M. de Gregorio Merino. Il me semble clair que les traités n'ont pas été rédigés dans l'optique d'une intégration économique et monétaire. Les politiques économiques y sont décrites comme nationales, et le niveau européen n'est compétent que pour les coordonner, c'est-à-dire pour éviter les divergences susceptibles de générer des effets secondaires d'un État membre sur l'autre. Le principe d'une politique économique commune n'y figure aucunement. On peut contourner l'obstacle, bien sûr, mais ce constat constitue la pierre angulaire de toute réflexion sur le sujet.
Le cadre juridique actuel fait peser quatre contraintes sur le projet de renforcer la gouvernance de la zone euro. D'abord, le principe d'attribution fait que les États restent, a priori, dépositaires de toutes les compétences : l'Union européenne ne peut agir que si une compétence lui est attribuée par les traités. C'est d'ailleurs notre pain quotidien : chercher une base juridique dans les traités pour fonder notre action. Deuxièmement, le principe de l'équilibre institutionnel, d'abord formulé par la CJUE puis repris dans les traités, impose à chaque institution d'exercer ses compétences dans le respect de celles des autres organes. De ce fait, une institution ne peut pas, sauf exception, se décharger de certaines compétences sur un organe nouveau, et la possibilité de créer de nouvelles structures dotées de compétences discrétionnaires est très limitée. Troisièmement, il n'existe pas de gouvernance propre à la zone euro. Le seul organe qui lui soit spécifique, l'Eurogroupe, réunit les ministres des finances de la zone, en général la veille du conseil des ministres des finances de l'ensemble de l'Union, mais n'a aucune existence institutionnelle - même si c'est l'enceinte où de nombreux compromis politiques sont trouvés. Il n'a aucun pouvoir de décision : toutes les institutions sont prévues pour vingt-huit. Enfin, le cadre budgétaire est relativement rigide. Les ressources propres sont adoptées à l'unanimité, ratifiées par les Parlements nationaux, ce qui est peu propice à la constitution d'un budget de la zone euro.
Le budget de l'Union européenne est très différent des budgets nationaux ; il doit notamment être à l'équilibre, en recettes et en dépenses. Toute politique de relance ne peut donc être pratiquée que de façon limitée. Ses caractéristiques réduisent fortement les marges de manoeuvre pour une politique volontariste.
Schématiquement, je considère qu'il y a trois grandes voies pour la mise en place d'une vraie gouvernance de la zone euro. La première consiste à rester strictement dans le cadre de l'Union européenne, sur la base des traités existants. Nous avons déjà largement épuisé cette possibilité. Seul reste en réalité l'article 352 du TFUE, ce que l'on appelle la « clause passerelle », qui prévoit que le Conseil adopte toutes les dispositions appropriées si une action de l'Union paraît nécessaire pour atteindre l'un des objectifs prévus par les traités sans que ceux-ci n'aient prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet.
La Commission européenne n'a jamais exclu que le MES puisse être intégré au sein de l'Union européenne. Néanmoins, cela implique une décision prise à l'unanimité des États membres de l'Union et une ratification dans plusieurs pays, dont l'Allemagne. Le financement d'une telle intégration posera également problème, quand on connaît les contraintes pesant sur le budget de l'Union européenne. Une solution serait de « bricoler » des accords intergouvernementaux, des traités entre États de la zone euro pour organiser la mise à disposition des fonds, les montants en jeu étant considérables.
La deuxième voie consiste à sortir du cadre institutionnel de l'Union européenne, de revenir à la méthode intergouvernementale, comme cela a été fait pour le MES ou le TSCG. Ces deux dispositifs ont été mis en place dans l'urgence, mais ils se sont révélés relativement efficaces. Leur recours est tout de même assez lourd. Pour que cela fonctionne, il faut s'appuyer sur les institutions de l'Union européenne. Il s'agit donc, en réalité, d'un système mixte auquel la Commission participe. Cela pose quelques problèmes : le Parlement européen ne contrôle plus vraiment la Commission sur ces sujets, et les recours en justice sont difficiles. Le système est donc imparfait.
La troisième voie, enfin, revient à réviser les traités de l'Union européenne pour en accroître les compétences. C'est évidemment la procédure la plus lourde : elle implique l'unanimité des États membres de l'Union européenne, une ratification par pays et même, une Convention. Elle s'inscrit donc dans une perspective temporelle et politique très lourde.
M. Francesco Martucci, professeur de droit européen à l'Université Paris II Panthéon-Assas. - Je commencerai par exprimer une conviction : la relance du projet européen implique de faire un choix, celui de la différenciation. Cela existe déjà, c'est la zone euro.
Depuis l'élargissement, l'Union européenne connaît un défaut structurel de convergence économique, fiscale et sociale.
Néanmoins, il faut dire qu'avec les crises, l'intégration européenne a remarquablement avancé. Elle l'a fait au moyen de solutions pragmatiques : via la révision des traités, l'adoption d'actes de droit dérivé, ou la conclusion d'accords internationaux pris dans le respect du droit de l'Union européenne. Le traité instituant le MES permet par exemple d'accorder une assistance financière assortie d'une surveillance renforcée, dans le cadre d'un acte de droit dérivé, à savoir le règlement « two-pack ». L'union bancaire, sans révision des traités, instaure également un mécanisme unique de surveillance, réservé à la zone euro.
Je vois trois contraintes principales dans la perspective d'une poursuite de l'intégration : le principe d'attribution des compétences, le dogme de l'unité et la question démocratique.
La question de l'attribution des compétences doit innerver toute réflexion sur l'approfondissement. L'Union économique et monétaire est en effet fondée sur une asymétrie fondamentale des compétences entre le monétaire et l'économique.
Le monétaire relève d'une compétence exclusive de la Banque centrale européenne (BCE), même si elle est en réalité limitée par les traités. L'économique et le budgétaire sont des compétences des États membres. L'Union européenne n'a de compétence qu'en matière de coordination et de discipline budgétaire.
L'article 136 du TFUE permet, certes, au législateur de l'Union européenne d'adopter des règles spécifiques pour la zone euro. Mais il ne constitue pas en soi une base juridique autonome. Il doit être combiné à l'article 121 pour la coordination, et à l'article 126 pour la discipline budgétaire.
Avec l'article 136, c'est la logique du renforcement de la discipline par la règle qui prévaut. Nous ne sommes donc pas vraiment dans une logique d'intervention macroéconomique. Il faudrait pour cela réviser les traités.
Un traité de droit international est toujours possible, mais dans le respect du droit de l'Union européenne. Si cette solution était retenue pour l'intégration, on continuerait le « bricolage institutionnel », avec tous les avantages et les inconvénients que cela comporte.
La mise en place de l'union bancaire s'est faite grâce à la maximisation du droit dérivé. Cela fonctionne pour le financier et le bancaire, éventuellement pour la convergence sociale et fiscale, mais cela peut-il fonctionner pour le budgétaire ? J'en doute.
Quelle que soit la solution retenue, elle se heurtera de toute façon à un dogme, celui de l'unité. Pour le dire de manière provocatrice, le « Brexit » est une chance qui devrait permettre à l'Union européenne d'aller vers plus de différenciation. La zone euro, à mes yeux, est déjà un sous-système de l'Union européenne. Il faudrait désormais lui reconnaître son autonomie : institutionnelle d'abord, en institutionnalisant l'Eurogroupe ; matérielle ensuite, en allant vers davantage de convergence sociale et fiscale.
Mais cette rupture radicale impliquerait de rompre avec le dogme de l'unité du marché intérieur, en autorisant la zone euro à aller beaucoup plus loin dans son intégration, quitte à limiter la liberté de circulation, des services par exemple. On le voit, cette voie semble difficilement praticable avec le Brexit, qui entraîne une forte mobilisation en faveur des quatre libertés. De plus, elle implique une révision des traités.
Surtout, aucun approfondissement ne pourra faire l'économie de la question démocratique. Les différentes réformes dont nous avons parlé ont permis de surmonter les crises, mais à un coût démocratique élevé. Le two-pack, le six-pack posent un problème démocratique et ont nourri le fantasme d'une déresponsabilisation des acteurs européens, dont l'Eurogroupe et la troïka rassemblant la BCE, la Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI) ont été les symboles.
Clairement, un problème d'imputabilité se pose : qui gouverne la zone euro ? Ces interrogations militent pour une institutionnalisation de l'Eurogroupe, pour la suppression des sommets de la zone euro, et pour la création d'un poste de ministre dédié.
Plus largement, une question de légitimité démocratique se pose. Nous savons que la Commission est responsable devant le Parlement européen, et que les gouvernements le sont devant leur parlement respectif. Faut-il alors un troisième parlement, un parlement de la zone euro ? Je le pense. Une assemblée démocratique de ce type aurait des pouvoirs limités à la décision budgétaire et au contrôle sur les nouvelles institutions.
Ce sont bien sûr des solutions radicales, qui impliquent de réviser les traités ou d'en sortir complètement, avec la création d'une nouvelle organisation internationale.
C'est une question d'opportunité politique, qui peut venir de la restructuration de la dette grecque. N'oublions pas que c'est d'une restructuration de dette qu'est né le projet fédéral aux États-Unis.
M. François Marc. - Je voudrais remercier les orateurs pour la clarté de leur propos. À vous entendre parler de légitimité, d'unanimité, d'équilibre indispensable à trouver, on réalise toutes les contraintes pesant sur les projets de modification de la gouvernance et des programmes européens.
Je note néanmoins que les propositions très ambitieuses de réforme de la zone euro présentées par la Commission européenne le 31 mai dernier dans un document de réflexion ont été bien reçues. Était-ce par pur plaisir intellectuel ou tout cela a-t-il une chance d'aboutir ?
Vous avez évoqué les dispositifs développés récemment pour faire face à la crise : le TSCG, le MES... L'article 16 du TSCG prévoit une intégration du MES dans le cadre juridique de l'Union européenne au 1er janvier 2018. Comment cela va-t-il se faire ? Par la procédure de révision simplifiée des traités prévue à l'article 48 du TUE ?
M. Alberto de Gregorio Merino. - La première question s'adresse plutôt à la Commission. Je laisserai répondre M. Jean-Paul Keppenne.
En réponse à votre deuxième question, l'intrication entre la méthode communautaire et l'intergouvernemental est très difficile à comprendre pour les citoyens comme pour les juristes. Certains parlent d'utiliser l'article 352 du TFUE pour incorporer le MES dans les traités de l'Union européenne. J'ai quelques doutes sur la faisabilité de cette option. Cet article ne peut être utilisé que si l'on constate qu'il n'y a pas d'autres solutions offertes par les traités. Or les traités prévoient déjà des mécanismes d'assistance budgétaire, en particulier l'article 52 paragraphe 2, que l'on avait utilisé pour établir le Fonds européen de stabilité financière (FESF) en 2010, avec lequel le Portugal et l'Irlande avaient été aidés.
L'intégration du MES pose en outre un sérieux problème budgétaire. Rappelons qu'il s'agit d'un mécanisme qui peut mobiliser jusqu'à 700 milliards d'euros, soit l'équivalent de toutes les perspectives financières pour la période ! Je me demande si c'est politiquement acceptable... J'ajoute que cela devrait alors être adopté par les vingt-huit États membres.
Il est exact que, selon son article 16, le TSCG doit être intégré dans le cadre juridique de l'Union européenne au 1er janvier 2018. La Commission n'a, pour l'heure, présenté aucune proposition en ce sens. Ma lecture de cet article est qu'il établit une obligation non pas de résultat mais de moyens.
On pourrait l'incorporer par la voie du droit secondaire. C'était d'ailleurs l'idée initiale du président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, en 2011, qui avait négocié avec Nicolas Sarkozy et Angela Merkel la modification du protocole n° 12, par le biais de l'article 356 paragraphe 14. Une incorporation n'implique donc pas de révision des traités : nous avons les bases juridiques suffisantes dans le droit existant.
Mme Fabienne Keller. - Je vous remercie pour ces présentations très précises. Ce que vous dites du TSCG et du MES m'inspire une remarque : l'Europe avance grâce aux crises ; c'est une grande tradition pour elle. Ce mode de fonctionnement peut donc parfois être fructueux. On pourrait alors envisager la crise du Brexit comme l'occasion d'élaborer de nouveaux mécanismes d'intégration. Qu'en pensez-vous ?
La question de la coordination économique et de l'harmonisation fiscale dans l'Union européenne irrite beaucoup nos concitoyens. Que les grandes sociétés multinationales ne paient pas d'impôts est insupportable.
Nous participons avec François Marc à des réunions de la Conférence interparlementaire sur la stabilité, la coordination économique et la gouvernance au sein de l'Union européenne, prévue par l'article 13 du TSCG. Mais cette instance est manchote : elle ne peut pas prendre de décision, ni transmettre d'avis. C'est dommage, car j'ai pu constater qu'il existait une grande convergence entre les représentants des parlements nationaux, y compris avec les Luxembourgeois ou les Irlandais, sur la question de la fiscalité.
Comment, donc, faciliter la prise de décision au niveau intergouvernemental pour avancer sur ces sujets ?
Je propose la création d'une structure pérenne, composée par exemple de représentants des commissions des finances qui siègent dans un hémicycle disponible, à Strasbourg, loin des lobbyistes bruxellois, pour échanger et partager leurs analyses.
M. Jean-Paul Keppenne. - La réintégration du TSCG est possible à traité constant, sauf pour ce qui a trait à la création d'un sommet des chefs d'État et de gouvernement de la zone euro.
Depuis le début de l'année, la Commission a produit une série de documents de réflexion, à commencer par un livre blanc sur l'avenir de l'Union européenne. Ils présentent différents scénarios d'évolution et non des propositions définitives.
L'idée est de mettre toutes les options sur la table et de demander aux États membres de s'exprimer. Le livre blanc de février comporte ainsi plusieurs scénarios : la Commission doit-elle faire moins mais mieux ? Certains États membres peuvent-ils décider d'en faire plus ensemble ? C'est une réflexion politique fondamentale.
Le Royaume-Uni va sortir de l'Union européenne. Tous les autres États membres, sauf le Danemark, ont vocation à entrer dans la zone euro. Ils en ont même l'obligation juridique. Doit-on néanmoins considérer que tous entreront ? Que l'on y croie, ou que l'on n'y croie pas, cela implique de repenser différemment la structure d'accueil.
Les réponses d'urgence qui ont été apportées aux crises de ces dernières années ne sont que des réponses d'urgence. Pour moi, repasser par ces négociations, par construction difficiles et générant des équilibres instables, est peu satisfaisant.
Je rappelle d'ailleurs qu'au sein du MES, la prise de décision se fait en principe à l'unanimité. En cas d'urgence, néanmoins, s'appliquent des règles qui n'ont rien à voir avec le vote au Conseil, et qui sont équivalentes à la clé de vote au sein de la BCE, en vertu de laquelle ce sont les pays les plus riches, ceux qui contribuent le plus, qui ont la voix la plus importante. Veut-on que cela soit le modèle pour la future zone euro ?
La Commission a présenté une initiative concrète pour une représentation unique de la zone au sein du FMI, sur le fondement de l'article 138 du TFUE. Les négociations n'ont pas avancé à ce jour car les États membres n'ont pas bougé d'un centimètre. Ils ont leur baronnie au sein du FMI.
Je note par ailleurs que les parlements nationaux prennent parfois des positions plus ouvertes en matière fiscale, mais quand il faut réunir l'unanimité parmi les ministres des finances des différents pays, cela devient plus compliqué.
M. Francis Delattre, vice-président de la commission des finances. - Nos discussions tournent beaucoup autour des structures. Mais parfois ce sont des problèmes d'homme qui se posent. La politique menée par Mario Draghi change par exemple beaucoup de celle de Jean-Claude Trichet ! On pourrait presque dire qu'il nous a sauvés de la récession. Je me félicite également de la politique d'assouplissement quantitatif. Ce sont donc parfois les hommes et les femmes qui permettent de surmonter les obstacles.
M. Jean-Yves Leconte. - À long terme, je ne crois pas à la différenciation. On ne peut pas construire un cadre démocratique dans l'Union européenne en procédant politique par politique. La zone euro est une coopération, mais songeons à la politique extérieure, de sécurité et de défense. Chaque politique a besoin d'une évolution démocratique. Or il serait illisible d'avoir un espace différent de contrôle démocratique sur chacune des politiques. Démocratiser l'Europe, c'est comme construire un Airbus. Il faut que tous les éléments aillent ensemble, sinon il ne décolle pas. Sur les questions budgétaires et fiscales, comme sur l'espace Schengen, la démocratisation est nécessaire. Mais tout doit s'imbriquer pour donner une finalité d'ensemble cohérente.
Effectivement, nous avons besoin d'une meilleure convergence fiscale dans la zone euro, par exemple concernant l'assiette consolidée de l'impôt sur les sociétés. À moyen terme, je ne peux imaginer qu'une plus grande participation des parlements nationaux, qui sont compétents sur une partie des sujets qu'il faudra mettre en commun.
Le budget de la zone euro devra se situer entre des budgets nationaux sous contrainte et un budget européen affaibli par le Brexit, et auquel on demande de plus en plus. Finalement, qui paie ? Que faire ? Depuis vingt ans, la proportion des ressources propres au sein du budget de l'Union diminue. Il est principalement alimenté par les contributions nationales, ce qui est contradictoire avec la construction européenne, et même, la menace. Un objectif à court terme pourrait être que les États membres de la zone euro contribuent au budget de l'Union par des fiscalités convergentes. Le budget de la zone euro ne serait pas un budget de dépenses mais serait constitué de ressources propres communes.
Je ne vois pas comment on pourrait s'accorder sur des dépenses supplémentaires. La zone euro doit prendre sa part de la réponse à l'enjeu du budget de l'Union européenne.
M. Alberto de Gregorio Merino. - Il faut se pencher sur les ressources et les dépenses. Peut-on établir un système de ressources propres spécifique à la zone euro, à traités constants ? Je crois que c'est possible. Le système de ressources propres établit déjà des ajustements spéciaux pour quelques États membres. Il est aussi possible d'harmoniser des taxes, dont les ressources seraient affectées au budget de la zone euro. On a déjà parlé de l'attribution des taxes sur les transactions financières à ce budget. Le problème est que l'harmonisation fiscale est décidée à vingt-sept et non à dix-neuf. On constate à nouveau l'asymétrie entre le marché intérieur et la zone euro.
Créer un budget de la zone euro séparé du budget général de l'Union européenne est très compliqué. Le principe d'unité du budget découle des traités. Tous les revenus et toutes les dépenses doivent être inscrits dans le même document.
Créer des dépenses spécifiques pour la zone euro est aussi très compliqué à traités constants. Le ministre italien des finances a évoqué les dépenses d'immigration, d'autres la sécurité, la défense, le mécanisme de solidarité. Quelles seraient ces dépenses ?
Il existe aussi un problème juridique et institutionnel. Il n'y a pas de base dans les traités pour établir des programmes de financement spécifiques à la zone euro.
On pourrait envisager la méthode intergouvernementale dont MM. Martucci et Keppenne ont parlé, mais à ce stade, à traités constants, créer un budget de la zone euro serait très compliqué.
M. Claude Raynal. - Je me réjouis de la réunion d'aujourd'hui.
Je ne souhaite pas rentrer dans la discussion institutionnelle. Faut-il un parlement de la zone euro, issu des représentants au Parlement européen ou des parlements nationaux ? Nous verrons plus tard. L'enjeu démocratique n'est pas uniquement institutionnel. Il s'agit de répondre aux questions posées par les citoyens concernant l'harmonisation fiscale et sociale. Peut-on y répondre vite ?
Deux des intervenants ont montré toutes les limites de l'Union européenne et de ses traités. Aujourd'hui, personne ne prendra le risque politique de proposer un nouveau traité. Les autres contraintes juridiques que vous nous avez rappelées montrent que, finalement, on ne peut pas bouger. En simplifiant, on a donc, d'un côté, une demande populaire et, de l'autre, une absence de réponse.
Le troisième intervenant, universitaire, n'est pas tenu au discours institutionnel par ailleurs tout à fait respectable. Si l'on se dit que l'on n'y arrivera pas, la seule question n'est-elle pas : peut-on laisser cohabiter une zone euro à dix-neuf et une Union européenne à vingt-sept ? La monnaie commune ne s'impose-t-elle pas à tous ? La tête, si elle est devant, doit tout de même être rattrapée par le corps, faute de quoi on arrive aux difficultés actuelles. En résumé, est-il viable d'avoir une Union européenne à vingt-sept et une union monétaire à dix-neuf ?
Si l'on veut conserver deux périmètres distincts, l'union monétaire à dix-neuf doit avancer rapidement vers une harmonisation sociale et fiscale. Il faut donc un nouveau traité intergouvernemental, pour répondre à la demande du peuple d'harmonisation sociale et fiscale. Dans ce cas, comment faire fonctionner le marché intérieur ? On ne peut pas faire cohabiter une zone harmonisée socialement et fiscalement et un marché totalement ouvert.
Croire que l'Union européenne a été sauvée par les élections françaises et néerlandaises, c'est en avoir une petite lecture. On a évité le pire une fois, mais on ne l'évitera pas à l'avenir si l'on n'avance pas. Comment le faire rapidement ?
M. Francesco Martucci. - L'harmonisation fiscale et sociale est fréquemment citée : c'est l'intégration positive, la négative étant celle de la liberté de circulation des services, puisque les capitaux, eux, circulent librement dans l'Union européenne mais aussi les pays tiers. L'Union bancaire offre peut-être un précédent intéressant. En matière bancaire, un mécanisme de surveillance unique et un mécanisme de résolution unique ont été mis en place. Tous les États membres se sont accordés sur un règlement appliqué uniquement à la zone euro, avec la possibilité d'une coopération rapprochée avec les autres États membres. Qu'est-ce qui, juridiquement, empêcherait de faire de même, c'est-à-dire de limiter le champ d'application d'un règlement ou d'une directive pour la seule zone euro en matière fiscale et sociale ? L'opposition est politique. La même logique pourrait être appliquée aux ressources, sans aller jusqu'à créer un budget de la zone euro, ce qui serait difficile sans réviser les traités.
On peut exploiter la décision sur les ressources propres, le précédent de la taxe sur les transactions financières le montre, pour envisager la levée de ressources pour la zone euro, à droit constant. La différentiation est partout, c'est un constat.
La Commission européenne propose des normes de référence sociales et fiscales. Peut-être faut-il sortir d'une logique traditionnelle de règlements et de directives pour utiliser d'autres instruments normatifs, vers une coordination renforcée des politiques sociales et fiscales. C'est là le véritable enjeu de la zone euro à l'avenir.
M. Francis Delattre, vice-président de la commission des finances. - D'autant que c'est nous, avec le Fonds de résolution unique, qui fournissons l'essentiel de l'effort de l'union bancaire. Le moment crucial est toujours celui de la répartition des charges.
M. Bernard Lalande. - M. Keppenne a dit qu'il existait des compromis au sein de l'Eurogroupe. Peuvent-ils constituer le socle d'une future méthode de gouvernance de la zone euro ?
M. Jean-Paul Keppenne. - Il existe deux grandes catégories de compromis dans l'Eurogroupe. La première est constituée par des compromis ponctuels, sur des situations matérielles concrètes telles que celles du budget de la Grèce ou des établissements bancaires de Chypre. Par nature, ils n'ont pas vocation à devenir durables. Les ministres des finances trouvent un compromis politique puis retournent leur étiquette, deviennent représentants du conseil des gouverneurs du MES et entérinent leur décision en tant qu'Eurogroupe - c'est la schizophrénie actuelle.
La deuxième catégorie de compromis est constituée par les efforts pour aller vers une harmonisation et une approche communes. Institutionnellement, il est difficile de voir comment leur donner vie. Des traités internationaux sont trop lourds à mobiliser pour harmoniser telle taxe ou telle politique sociale. La beauté de la construction européenne, c'est la création d'institutions permanentes. Les traités internationaux ne sont pas une solution. Mais politiquement, il est aussi très difficile de créer un bloc de ministres des finances de la zone euro, car ceux qui n'en font pas partie se sentent exclus.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Je me réjouis de la qualité du débat et de la transversalité de notre travail.
Le Brexit devait être une opportunité. C'est le cas. Même si, nous n'avons pas souhaité la sortie du Royaume-Uni et ne pouvons que le regretter - l'explication du vote britannique réside d'ailleurs peut-être dans le fonctionnement de l'Union. Comment trouver les dix milliards d'euros qui manqueront au budget de l'Union après le Brexit, compte tenu des nouvelles missions de l'Union européenne, notamment en matière de défense et de lutte contre le terrorisme ?
S'approche-t-on d'une conclusion du dossier de la dette grecque ? Les Grecs ont fait un effort mais le but est loin d'être atteint. Les avis divergent. Personnellement, je partage la position de Wolfgang Schäuble.
Professeur Martucci, vous avez aiguisé mon intérêt en évoquant les organisations internationales. On sait que la méthode intergouvernementale a ses limites, que l'opinion publique n'est pas prête pour un nouveau traité et que la coopération renforcée est une très bonne méthode, peut-être sous-utilisée.
M. Francis Delattre, vice-président de la commission des finances. - L'Allemagne perçoit tout de même des intérêts sur les prêts accordés à la Grèce - ce n'est pas une si mauvaise affaire. Et certains dans le pays disent qu'il faut reverser ces intérêts aux Grecs, conformément à l'engagement pris en 2012.
M. Francesco Martucci. - Il s'agirait de conserver l'Union européenne en tant qu'organisation et de créer une organisation super-intégrée pour la zone euro, au sein de l'Union européenne. Si l'on ne peut pas réviser les traités à vingt-sept, ne pourrait-on pas envisager une organisation dite intergouvernementale, dans le sens où elle serait hors Union européenne mais qui mobiliserait les institutions existantes de manière intégrée et réfléchie ?
La coopération renforcée reste assez ponctuelle, en vue d'adopter des textes particuliers, par exemple en matière d'harmonisation fiscale ou sociale. Cet instrument n'a pas été conçu pour permettre une intégration bien plus poussée.
Faut-il accorder un prêt à la Grèce puis le rééchelonner sans cesse ? Ou renoncer à recouvrer une partie de la dette ? C'est une question éminemment politique.
M. Jean-Paul Keppenne. - Je lance un appel à beaucoup de prudence avant que quiconque s'engage dans des aventures institutionnelles nouvelles. La créature de Frankenstein lui échappe rapidement. En créant des institutions permanentes parallèles - couche intermédiaire entre l'État et l'Union européenne - on créerait un champ conflictuel permanent et un combat de légitimités. Je crains que ce soit difficile à gérer, même si l'intention de départ est bonne. Brandir cette grenade, certainement, mais attention à ne pas la dégoupiller !
Il existe encore des possibilités d'action à l'intérieur de l'Union européenne - j'ai parlé de l'article 352 du TFUE. Les potentialités de la coopération renforcée n'ont absolument pas été épuisées. Pour l'instant, celle-ci est ponctuelle, mais les textes n'empêchent pas son utilisation dans tel ou tel domaine, comme celui de la régulation des travailleurs détachés ou de la fiscalité.
M. Alberto de Gregorio Merino. - Je doute, pour l'instant, que de nouvelles constructions institutionnelles nous apportent l'acceptation normative des citoyens. Je doute qu'une réforme venue d'en haut donne de la légitimité démocratique à nos actions futures. Attention au Frankenstein institutionnel que nous pourrions créer.
Le Conseil européen avait travaillé en 2012 sur les arrangements contractuels entre les États membres et l'Union européenne : chaque parlement national présente un projet de mesure structurelle ou d'ajustement budgétaire qu'il a adopté, entériné par l'institution. Cela peut donner accès à des mécanismes de solidarité. C'est plus simple qu'une nouvelle construction institutionnelle et cela préserve la légitimité démocratique.
Enfin, la différentiation est inévitable si on veut aller de l'avant. L'euro a une force centripète d'intégration qui va au-delà du monétaire et atteindra le marché intérieur. Or, aujourd'hui, les traités ne sont pas conçus pour faire face à l'asymétrie entre l'Union économique et monétaire à dix-neuf, et le marché intérieur et les autres politiques à vingt-huit.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Monsieur Keppenne, vous nous avez invités à la prudence. Sachez qu'au Sénat, celle-ci n'exclut pas une réelle prospective.
La réunion est close à 11 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.