Mardi 27 juin 2017

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 15 h 05.

Projet de loi organique et projet de loi rétablissant la confiance dans l'action publique - Audition de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

La commission entend Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi organique et le projet de loi rétablissant la confiance dans l'action publique.

M. Philippe Bas, président. - J'ai le plaisir d'accueillir Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, que les membres de la commission des lois connaissent déjà, car ils ont eu à se prononcer voilà quelques années sur sa nomination en qualité de membre du Conseil constitutionnel, fonction qu'elle a exercée jusqu'à sa nomination au Gouvernement.

Cette audition est ouverte à tous les sénateurs souhaitant y assister, y compris à ceux d'entre eux qui ne sont pas membres de la commission des lois, et à la presse.

Nous allons vous entendre sur deux textes, madame la garde des sceaux, dont l'objet est d'améliorer la régulation de la vie publique. Je remercie le Gouvernement d'avoir fait le choix de déposer ces textes en premier au Sénat. Sans doute ce choix s'explique-t-il par le statut de « chambre de réflexion » de notre assemblée. Le Sénat a en effet une certaine antériorité sur les questions de déontologie et d'éthique. Le travail collectif accompli au Sénat sous l'impulsion du président Gérard Larcher a débouché sur l'adoption d'un certain nombre de règles dont on trouve la trace dans les deux projets de loi qui nous sont aujourd'hui soumis.

Je rappelle ainsi les travaux de la commission des lois sur la prévention des conflits d'intérêts en 2011, ainsi que ceux de notre comité de déontologie parlementaire, du groupe de réflexion sur les méthodes de travail du Sénat et du groupe de travail sur la gouvernance du Sénat.

Des instructions ont été prises par le bureau et le règlement du Sénat a été modifié en 2015 à la suite de l'ensemble de ces travaux. Les réformes adoptées prévoient le renforcement du rôle du comité de déontologie, des sanctions en cas de manque d'assiduité à nos travaux et des règles applicables à l'indemnité représentative de frais de mandat, l'IRFM. Nous sommes prêts, sur toutes ces questions, à discuter encore de possibles améliorations, ayant déjà nous-mêmes fortement progressé sur la voie de la régulation et de la transparence. Nous avons également adopté des règles concernant l'encadrement et la transparence de la réserve parlementaire, instauré une obligation de publicité et prévu une égalité d'accès à ces crédits de l'État pour tous les parlementaires.

En tant que « chambre de réflexion », nous serons hostiles en général aux amendements de surenchère ou de démagogie, car nous avons à coeur de faire des choix responsables pour progresser sur la voie d'une plus grande transparence et d'une meilleure régulation de la vie publique.

Le Sénat, madame la garde des sceaux, est aussi l'héritier d'une longue tradition de défense de la Constitution, des libertés et des droits fondamentaux. C'est la raison pour laquelle nous veillerons particulièrement à ce que les projets de loi ne viennent pas restreindre de manière disproportionnée ces droits et ces libertés et à ce qu'ils ne portent pas atteinte à la séparation des pouvoirs, sans laquelle l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dit qu'il n'y a point de Constitution.

Nous serons également vigilants, et je sais que ce sera également votre cas, madame la garde des sceaux, sur les propositions qui fleurissent en dehors de notre assemblée sur l'immunité parlementaire, laquelle a été créée après le régime de la Terreur pour éviter aux représentants de la nation souveraine de faire l'objet d'arrestations arbitraires. Il n'y a pas de place pour les lubies et les fantaisies dans un travail qui se doit d'être aussi sérieux et objectif que possible.

Nous serons également vigilants concernant les garanties fondamentales, la liberté de candidature, qui est un attribut de la citoyenneté en démocratie que nous devons absolument préserver, la libre activité des partis politiques, prévue à l'article 4 de la Constitution, la non-discrimination face à l'emploi en fonction des origines - cela vaut naturellement pour les collaborateurs parlementaires -, l'indépendance du Parlement, représentant la nation souveraine face aux autres pouvoirs, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.

Au cours de l'examen des deux textes que vous allez nous présenter, madame la garde des sceaux, le Sénat n'oubliera jamais qu'il représente les collectivités territoriales de la République, conformément à la Constitution. Il veillera donc à ce que les communes rurales de notre pays puissent avoir accès à des crédits de l'État - je pense à la réserve parlementaire - dans des conditions qui ne privilégient pas la majorité gouvernementale et le pouvoir discrétionnaire de l'exécutif.

Plus généralement, nous demandons le respect des 600 000 élus de France, dont l'engagement dans la sphère publique et le désintéressement sont le dernier refuge dans une société de plus en plus marchande et consumériste.

Parler de projets de loi de « moralisation », comme on le fait trop souvent, est non seulement stupide à certains égards - une loi ne crée pas de morale philosophiquement, elle peut seulement en découler -, mais aussi injurieux pour tous ces Français dont il faut rappeler la probité, l'honnêteté et l'engagement au service des autres. Ce sont des Français comme les autres, ils doivent être traités comme les autres Français. L'intitulé des projets de loi traduit une prévention excessive à l'égard des élus des Français. Des mesures de défiance ne sont pas justifiées.

Sous ces quelques réserves, nous abordons l'examen de ces textes avec une grande bienveillance, madame la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis à la fois très honorée d'être présente devant vous aujourd'hui et un peu émue, car, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, la dernière fois que j'ai été reçue dans cette salle, ce fut à l'occasion de mon audition préalable à ma nomination au Conseil constitutionnel. C'est avec beaucoup d'humilité, d'intérêt et d'attention que je me présente aujourd'hui devant vous, en tant que représentante du Gouvernement.

Monsieur le président, vous avez rappelé l'ensemble des travaux qui ont été accomplis par le Parlement préalablement aux deux projets de loi qui vous sont aujourd'hui présentés.

Je rappelle que le Président de la République avait annoncé durant sa campagne électorale que le premier texte de son quinquennat porterait sur la moralisation de la vie publique. Conformément à cet engagement, mon prédécesseur, François Bayrou, a préparé un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire, lesquels ont été présentés en conseil des ministres le 14 juin dernier et déposés le même jour sur le bureau du Sénat, en raison, en effet, de sa qualité de « chambre de réflexion ».

J'ai l'honneur aujourd'hui de porter, au nom du Gouvernement, cette réforme ambitieuse destinée à rétablir la confiance dans l'action publique. La transparence, la probité des élus, leur comportement exemplaire constituent des exigences sociales, politiques et éthiques fondamentales. Il s'agit de renforcer la confiance des citoyens dans leurs gouvernants et dans tous ceux qui concourent à l'exercice de la fonction publique. Ces exigences s'expriment dès 1789 dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, plus précisément dans son article 15, qui prévoit que : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »

Beaucoup a été fait ces dernières années sur ces sujets. Plusieurs lois ont été votées. Ces textes ont imposé des règles d'éthique et de transparence financière aux responsables publics, à travers de nouveaux mécanismes de contrôle et de publicité. Le Parlement avait d'ailleurs déjà pris des actes dans ce domaine. Dès 2009, le Sénat s'est doté d'un comité de déontologie parlementaire sur l'initiative du président Larcher. Cependant, en dépit de la rigueur de la très grande majorité des élus, la confiance des citoyens dans leurs représentants a parfois été mise à mal ces dernières années. Je ne citerai ici aucun exemple. De nombreux progrès restent donc à accomplir pour restaurer la confiance entre les citoyens et leurs représentants.

La réforme présentée par le Gouvernement vise à apporter une réponse globale et à proscrire définitivement certaines pratiques, mais aussi à renforcer l'exigence de transparence et de pluralisme de la vie politique figurant dans notre Constitution.

Notre vie politique l'a montré, nous avons besoin depuis des années d'un « choc de confiance » et d'une exigence éthique. Tout en édictant de nouvelles règles en matière de probité et d'exemplarité pour les élus et les responsables politiques, qui répondent à un objectif d'intérêt général, reconnu et qualifié comme tel par le Conseil constitutionnel, notamment dans des décisions de 2013, cette réforme se veut également respectueuse de la séparation des pouvoirs et des grands équilibres institutionnels, notamment de l'autonomie des assemblées.

Je me limiterai aujourd'hui à présenter de manière très générale les trois thématiques de ces projets de loi : l'exercice du mandat parlementaire, le renforcement des règles de probité des acteurs politiques et le financement de la vie politique.

L'exercice du mandat parlementaire implique une exigence renforcée de probité de la part des élus. Parce qu'ils représentent le peuple, parce qu'ils incarnent la souveraineté nationale, les parlementaires ne peuvent avoir des comportements inacceptables ni faire le jeu de différents lobbies. Chacun de vous en est convaincu.

Les mesures qui leur sont applicables sont donc au coeur de ces deux projets de loi. Elles ont été conçues dans le respect de la séparation des pouvoirs et du principe de l'autonomie des assemblées qui en découle. Un renvoi aux règlements des assemblées pour la mise en oeuvre de ces dispositions est ainsi prévu chaque fois que cela est nécessaire, dans la limite du champ de compétences défini par le Conseil constitutionnel, à savoir l'organisation et le fonctionnement des assemblées, la procédure législative et le contrôle de l'action du Gouvernement. En outre, chaque fois que cela était justifié, les mesures applicables aux parlementaires nationaux ont été étendues aux représentants nationaux au Parlement européen.

De nouveaux cas d'inéligibilité et d'incompatibilité sont prévus. Les parlementaires qui n'auraient pas rempli leurs obligations fiscales ne pourront plus rester en fonction. Saisi par le bureau de l'assemblée, le Conseil constitutionnel pourra prononcer la démission d'office du parlementaire.

Les incompatibilités relatives à l'activité de conseil sont renforcées et étendues. À l'heure actuelle, seule existe l'impossibilité pour un parlementaire de commencer pendant son mandat une activité de conseil. Cette interdiction ne s'applique d'ailleurs pas aux professions libérales réglementées comme celle d'avocat. Dans les textes qui vous sont soumis, et parce que cette disposition existante est apparue insuffisante en raison des risques de conflits d'intérêts, ce dispositif est complété selon trois axes.

Premier axe, un parlementaire ne pourra commencer à exercer ses activités pendant son mandat et il devra cesser celles qu'il a entamées dans les douze mois précédant le début de son mandat. La dérogation applicable aux professions réglementées est désormais supprimée.

Deuxième axe, les fonctions de direction exercées dans une société de conseil sont prises en compte.

Troisième axe, le contrôle par un parlementaire d'une société de conseil est également visé. Un parlementaire qui détient une société de conseil ou une participation peut en effet être influencé par les intérêts de ses clients. À cet égard, le code électoral ne prévoit rien. Le projet de loi définit des cas d'incompatibilité lorsqu'un parlementaire détient le contrôle d'une société de conseil, lorsqu'il acquiert ce contrôle au cours de son mandat ou peu avant son élection.

Le dispositif proposé par le Gouvernement en matière d'encadrement des activités de conseil assure, me semble-t-il, une conciliation entre les objectifs d'intérêt général qui sont poursuivis, tels que l'indépendance des élus, la prévention des risques de conflits d'intérêts et d'autres droits et libertés constitutionnellement garantis, en particulier la liberté d'entreprendre, laquelle est reconnue aux parlementaires comme à tout citoyen. Les dispositions prévues devraient permettre d'éviter les écueils constitutionnels qui avaient été relevés par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2013 en raison d'une disposition qui lui était alors apparue trop générale.

Ces nouvelles règles sont complétées par des dispositions renforçant la prévention des conflits d'intérêts. Le Gouvernement a choisi de retenir une définition de la notion de conflit d'intérêts moins « englobante » que celle qui figure dans les lois de 2013 et de 2016. Ce choix est justifié par le souci de ne pas mettre les parlementaires exerçant d'autres responsabilités, notamment électives, qui les conduisent à prendre en compte un autre intérêt public, notamment un intérêt local, dans l'impossibilité de participer aux travaux du Parlement. Il reviendra à chaque assemblée de préciser dans son règlement les règles internes de prévention et de traitement de ces situations de conflit d'intérêts.

Dans un souci de transparence, l'indemnité représentative de frais de mandat sera remplacée par un remboursement au réel, sur présentation de justificatifs, des frais engagés par les parlementaires dans l'exercice de leur mandat. Le Conseil constitutionnel a considéré dans une décision de 2015 que l'IRFM n'est pas une composante de l'indemnité parlementaire, dont le montant est fixé par la loi organique en vertu de l'article 25 de la Constitution. Dès lors, il appartiendra à chaque assemblée de définir dans son règlement les modalités de remboursement et de fixer un plafond.

Enfin, le projet de loi organique prévoit la suppression de la pratique de la réserve parlementaire. Le Gouvernement s'est rangé sur ce point à l'avis du Conseil d'État, qui a souligné la difficulté d'interdire dans la loi organique relative aux lois de finances une pratique qui est originellement contraire à l'article 40 de la Constitution.

J'en viens maintenant au renforcement des règles de probité des acteurs politiques.

La probité des représentants et l'exemplarité de leur comportement constituent à l'évidence des exigences démocratiques fondamentales. De ce point de vue, les obligations de transparence à l'égard du Président de la République sont renforcées. Chaque citoyen pourra juger de l'évolution de son patrimoine entre le début et la fin de son mandat, au regard d'un avis qui sera publié par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) dans des délais sur lesquels nous aurons peut-être l'occasion de revenir durant le débat.

Le projet de loi étend également, sauf décision spécialement motivée, l'obligation pour les juridictions répressives de prononcer la peine complémentaire d'inéligibilité pour tout crime, ainsi que pour toute une série d'infractions à la probité. Sont ainsi mentionnés : la concussion, la corruption, le trafic d'influence, la prise illégale d'intérêts, le favoritisme, le détournement de fonds publics, le recel et le blanchiment du produit de ces deux délits, le faux en écriture publique, la fraude électorale, la fraude fiscale, une déclaration mensongère à la HATVP. La liste des infractions concernées par cette peine tout comme le mécanisme retenu pour son prononcé permettent de s'assurer du principe de nécessité des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789. Le principe d'individualisation des peines qui en découle est également respecté, la peine ne pouvant être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.

Ces dispositions sont de nature à renforcer l'exigence de probité des candidats aux élections en écartant des fonctions électives les personnes qui, par les infractions qu'elles ont commises, ont démontré ne plus remplir les conditions essentielles à l'exercice d'un mandat électif.

Enfin, il sera désormais interdit aux membres du Gouvernement, aux parlementaires et aux titulaires de fonctions exécutives locales d'employer les membres de leur famille proche en tant que collaborateurs. Cette interdiction a déjà été prévue s'agissant des collaborateurs du Président de la République et des membres du Gouvernement par un décret du 14 juin 2017, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la séparation des pouvoirs.

Telles sont les dispositions renforçant les règles relatives à la probité des acteurs politiques. Cela étant dit, je suis absolument consciente que la quasi-totalité des acteurs de la vie publique sont d'une probité exemplaire.

Les textes conduisent également à une réforme importante des règles de financement de la vie politique. Les partis politiques dépendent très largement du financement public. Cependant, les règles qui s'appliquent à eux n'offrent pas toutes les garanties contre les abus ou les dérives. Par ailleurs, ces règles ne sont pas nécessairement favorables au renouvellement de la vie politique et au pluralisme. Il est donc proposé de renforcer le contrôle des comptes des partis politiques et des campagnes électorales, dans le respect des dispositions de l'article 4 de la Constitution, qui prévoit que les partis et groupements politiques se forment et exercent leur activité librement.

Le mandataire financier du parti recueillera l'ensemble des ressources reçues par ce dernier, et non plus seulement les dons, comme c'est le cas actuellement. Les partis politiques devront donc tenir une comptabilité selon un règlement établi par l'Autorité des normes comptables. Cette comptabilité devra inclure les comptes de toutes les organisations territoriales du parti ou groupement afin de permettre à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de disposer d'un périmètre de contrôle consolidé.

Le financement des partis et des campagnes électorales sera mieux encadré. Afin d'éviter les dons déguisés, les prêts des personnes morales, y compris de droit étranger, à l'exception des partis et des établissements de crédit européen, seront interdits. En contrepartie, l'accès au financement par les candidats et les partis politiques sera amélioré grâce à la création d'un médiateur du crédit.

Enfin, le Gouvernement souhaite la création d'une structure pérenne de financement, la Banque de la démocratie, afin de pallier les carences du financement bancaire privé. Le Gouvernement demandera donc au Parlement l'autorisation de légiférer par ordonnance sur ce point. Cette banque pourra se constituer sous la forme juridique d'un établissement doté de la personnalité morale, être adossée à un établissement de crédit existant ou prendre la forme d'un mécanisme de financement spécifique, par exemple un fonds de garantie. Une mission va d'ailleurs être confiée à l'inspection générale de l'administration et à l'inspection générale des finances pour étudier les conditions de mise en place de cette structure.

Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'ensemble des dispositions que le Gouvernement soumet à votre examen. Nous estimons qu'elles servent la démocratie en lui apportant un surcroît de transparence et de justice. Elles sont à la fois ambitieuses et équilibrées : ambitieuses, parce qu'elles s'attaquent aux vrais problèmes ; équilibrées, parce qu'il s'agit non seulement de poser des interdits, mais aussi de consolider dans notre pays le pluralisme politique, la transparence de la vie démocratique et la confiance des citoyens.

Ces mesures seront complétées par un projet de loi constitutionnelle, qui pourrait être présenté à l'automne, mais dont les grandes lignes ont déjà été arrêtées par le Président de la République et le Premier ministre afin d'assurer la confiance nécessaire à l'exercice de notre vie publique.

Ces grandes lignes seraient les suivantes : limitation à trois du nombre de mandats consécutifs que pourront exercer les parlementaires et les membres des exécutifs locaux, sauf pour les petites communes ; interdiction du cumul entre fonctions gouvernementales et fonctions exécutives locales ; suppression de la Cour de justice de la République, là encore pour rétablir la confiance dans l'action publique ; fin de la présence de membres à vie au sein du Conseil constitutionnel.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais en conclusion souligner tout à la fois l'ambition et la fermeté des intentions du Gouvernement quant aux principes que je viens d'exposer devant vous, rappeler sa vigilance sur le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs et vous assurer, enfin, de l'écoute très attentive que je prêterai à toutes les observations et réactions dont vous me ferez part tant sur ces textes que sur les propos que je viens de tenir devant vous.

M. Philippe Bas, président. - Merci, madame la garde des sceaux, de cet exposé très précis du contenu des deux textes qui nous sont soumis, dont nous aurons à délibérer et que nous veillerons à amender, comme c'est notre tradition. J'invite à présent mes collègues à vous poser leurs questions.

M. Alain Vasselle. - Ma première question a pour objet le traitement des parlementaires. J'avais lu dans la presse que le Président de la République et M. Bayrou imaginaient, à l'origine, la fusion de l'indemnité parlementaire et de l'indemnité représentative de frais de mandat, ou IRFM, ainsi que la fiscalisation de cette dernière. Je constate que le Gouvernement a choisi une autre voie. Ce choix est-il définitif, ou bien la solution initiale peut-elle être encore examinée ? J'avais moi-même pris l'initiative, il y a maintenant trois ans, de suggérer une telle modification au président du Sénat, qui m'avait informé que cela nécessiterait la révision d'une ordonnance qui date des années 1950. On pourrait aussi imaginer que les parlementaires puissent bénéficier, à l'instar de certains organismes, d'un statut particulier d'abattement forfaitaire fiscal correspondant aux frais qu'ils encourent dans l'exercice de leurs fonctions.

Ma seconde question sera beaucoup plus rapide : en ce qui concerne les limites qui seront apportées à l'exercice de mandats consécutifs, vous avez fait état d'une exemption pour les petites communes : pourriez-vous nous préciser en deçà de quel seuil de population cette exemption s'appliquerait ?

M. Jean-Pierre Sueur. - Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ma première question porte sur les conditions d'inéligibilité prévues dans ce projet de loi. Pour certains bons esprits, il aurait été judicieux d'exiger que tout candidat à une élection fournisse un casier judiciaire attestant de l'absence de toute condamnation pour manque de probité. Or vous connaissez parfaitement ce qu'a dit le Conseil constitutionnel à ce sujet. Vous avez donc imaginé un dispositif où la condition d'éligibilité est remplacée par une peine d'inéligibilité, peine complémentaire à laquelle le juge peut déroger. Ce dispositif vous paraît-il susceptible d'être amélioré, nonobstant la décision du Conseil constitutionnel, qui a mis l'accent sur des principes que nous connaissons et auxquels nous sommes attachés ? De fait, la décision du Conseil constitutionnel n'engendre-t-elle pas des conséquences peu satisfaisantes ?

Par ailleurs, vous avez mentionné une réforme constitutionnelle à venir et vous en avez présenté les principaux éléments. Or vous n'ignorez pas que, dans cette enceinte comme à l'Assemblée nationale, il a beaucoup été question dans les dernières années d'une réforme constitutionnelle qui éviterait à notre pays de faire encore et toujours l'objet de commentaires de la part de la Cour européenne des droits de l'homme relativement au statut du parquet, ce qui suppose d'apporter des modifications au Conseil supérieur de la magistrature ou encore au système disciplinaire. Nous avons beaucoup travaillé sur ce point sans pouvoir aboutir. Ne pensez-vous pas, madame la garde des sceaux, que cette importante réforme pourrait judicieusement prendre place dans votre projet de révision constitutionnelle ? Avez-vous l'intention de prendre des initiatives à cet égard ?

M. Jean-Pierre Grand. - Madame la garde des sceaux, peut-être vais-je vous apparaître un peu en dehors du sujet, mais il n'en est rien. L'action publique et l'exercice de tout mandat d'élu imposent un double respect, celui de la démocratie et celui de la probité. Vous avez abordé particulièrement le respect de la probité, je voudrais pour ma part évoquer celui de la démocratie, par le biais d'un exemple d'actualité. Je souhaite en effet aujourd'hui vous alerter solennellement quant à l'atteinte à la démocratie qui est organisée cyniquement à Montpellier au sein du conseil de métropole. Le président de la métropole de Montpellier a décidé de créer au sein de ce conseil un groupe « En Marche » ; c'est son droit. En revanche, ce qui est parfaitement attentatoire à la démocratie, c'est que tous les vice-présidents qui n'acceptent pas de rallier ce groupe seront démis de leurs fonctions lors d'une réunion spéciale le 5 juillet prochain ; environ un tiers d'entre eux est concerné. Le quotidien Midi Libre consacre aujourd'hui six colonnes à l'affaire.

Madame la garde des sceaux, ces méthodes d'une autre époque posent de nombreuses questions ; elles bafouent la démocratie, entament encore plus la confiance de nos concitoyens dans l'action publique et, accessoirement, donnent du parti politique majoritaire une image consternante. J'ai donc pensé que cette information avait toute sa place dans la réflexion d'aujourd'hui.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie, monsieur le sénateur, cher collègue, d'être un ardent défenseur de la démocratie ! Madame la garde des sceaux, vous avez la parole pour répondre à cette première série de questions.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. - Monsieur Vasselle, quant aux indemnités des parlementaires, vous évoquez la possibilité d'autres solutions. La proposition que nous vous faisons ici a été réfléchie et elle nous semble intéressante. Nous estimons, évidemment, que rien de ce qui constituerait un remboursement de frais réels ne serait fiscalisé. C'est la moindre des choses ! Quant à la réflexion menée autour de la fusion des indemnités et de leur fiscalisation, nous avons choisi une autre approche, celle du remboursement des frais réels. J'ai bien conscience de la complexité que cela peut engendrer en termes de charges, mais ce mécanisme répond à une logique et devra être mis en oeuvre au sein de chaque assemblée.

Si vous me permettez d'élargir le sujet, cela touche à la question de la rémunération des parlementaires, qui me paraît aujourd'hui ouverte. Il me semble qu'on pourrait prendre un peu de hauteur et, à partir de ces textes, mener une réflexion élargie sur la question de la rémunération des parlementaires. Je suis sur ce point très ouverte et très attentive à ce qui pourrait être proposé, même si cela ne trouve pas sa place dans ces textes de manière immédiate.

Quant à l'exception qui serait faite, à l'égard des petites communes, à la limitation dans le temps des mandats, il m'est difficile de vous répondre à ce stade, dans la mesure où les arbitrages n'ont pas encore été rendus sur ce futur projet de loi constitutionnelle. On pourrait imaginer un seuil autour de 3 500 habitants, mais je n'ai sur ce point aucune certitude. Des précisions seront évidemment apportées sur ce sujet.

Monsieur Jean-Pierre Sueur, votre première question portait sur le casier judiciaire et la peine complémentaire d'inéligibilité. Il a bien été écarté d'interdire aux personnes ayant été définitivement condamnées de faire acte de candidature à une élection, en raison du risque constitutionnel que cela aurait posé. Il existe en effet un doute sur la constitutionnalité d'une telle mesure, qui pourrait être analysée comme une peine automatique et qui porterait donc atteinte au principe d'individualisation des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. C'est pourquoi le Gouvernement a fait le choix d'une peine qui devra être prononcée explicitement par le juge dans une décision spécialement motivée et qui pourra être expressément écartée en raison des circonstances. Alors, il est vrai que ce mécanisme s'en trouve un peu compliqué, cela devient en quelque sorte un mécanisme par ricochet, mais ce choix nous permet d'éviter une éventuelle censure constitutionnelle.

Vous m'avez également posé une question sur la réforme constitutionnelle. Certes, je n'ai pas mentionné les nombreux travaux sur le sujet du parquet et de la nomination des membres du Conseil supérieur de la magistrature. Une réflexion sera conduite à ce sujet et je suis certaine qu'elle aura des traces dans le projet de loi constitutionnelle. Le Président de la République s'est déjà engagé sur ce sujet pendant la campagne présidentielle.

Je suis plus ennuyée, monsieur Grand, pour vous répondre sur l'affaire montpelliéraine.

M. Jean-Pierre Grand. - Je comprends que vous soyez ennuyée !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. - Disons que cela ne constitue pas exactement une question juridique, mais je crois avoir entendu le message.

M. Joël Labbé. - Madame la garde des sceaux, je tiens tout d'abord à vous exprimer, au nom du groupe écologiste du Sénat, toujours existant et toujours actif, le plaisir que nous avons de vous entendre aujourd'hui.

Sur le fond, nous déposerons en temps venu une série d'amendements à ces projets de loi. Un point particulier me pose souci depuis que je siège dans cette assemblée : c'est le mode de scrutin public qui y est employé. On parle de la confiance de nos concitoyens envers les assemblées : ce mode de scrutin public, qui est spécifique à notre assemblée, fausse à mon sens le jeu démocratique.

Sur la forme, madame la garde des sceaux, votre éphémère prédécesseur s'était engagé à lancer une consultation citoyenne afin d'enrichir les propositions contenues dans ces deux projets de loi. En effet, si nous voulons reconnecter les citoyens avec la vie démocratique et les institutions, nous ne pouvons le faire sans leur donner des espaces d'expression ; or la démocratie ouverte, la démocratie numérique, est l'un de ces espaces. Nous comprenons, madame la garde des sceaux, qu'il vous est peut-être aujourd'hui difficile, au vu de la situation, de tenir cet engagement pris par votre prédécesseur. En l'absence d'une nouvelle déclaration du Gouvernement à ce sujet, mon collègue Henri Cabanel et moi-même avons décidé de lancer cette consultation citoyenne, avec l'aide de l'association « Parlement et citoyens », comme cela avait été fait pour la loi dite « Labbé » et pour la loi biodiversité avec un succès croissant.

J'espère, madame la ministre, que vous souscrirez à cette démarche de démocratie participative et que vous contribuerez à apporter, en direct, des réponses à nos concitoyens. Nous comptons mettre cette consultation en ligne au plus tard lundi prochain et la laisser en ligne le temps de la première lecture de ces textes par le Sénat et l'Assemblée nationale. Le Gouvernement pourrait-il s'associer à cette démarche ? Si ce n'était pas le cas, seriez-vous à même, en tant que ministre, de nous apporter votre soutien ?

M. Alain Richard. - Je souhaite exprimer quelques demandes de précisions ou suggestions de réflexion à propos de plusieurs dispositions de ces deux projets de loi. Je reviendrai d'abord sur l'attestation fiscale. La rédaction actuelle du projet de loi prévoit que les services des impôts, services administratifs sous la responsabilité de l'exécutif, attestent que la personne élue a, au moment de l'élection, rempli ses obligations. Faute d'un complément à la phrase, cela crée une incertitude : sont-ce les obligations qui résultent de sa dernière déclaration, fût-elle incomplète, ou bien l'administration serait-elle alors mandatée pour faire état de doutes ou de demandes complémentaires que lui inspireraient les dernières déclarations et devrait-elle alors par conséquent faire état d'un contentieux naissant ou en cours ? Il me semble donc nécessaire de compléter cette phrase. La seule façon de concilier le souci de la transparence et la nécessité d'éviter des incertitudes exagérées est de préciser que l'administration atteste que l'intéressé, en l'état de ses déclarations, s'est acquitté de ses obligations.

Deuxièmement, en ce qui concerne les activités de conseil, le Gouvernement a recyclé, si j'ose dire, une liste d'intérêts présente dans le code électoral, liste dont l'objectif est voisin, mais non identique, à savoir la liste des sociétés ou des entreprises dans lesquelles un parlementaire ne doit pas avoir de fonctions de direction. Il serait donc désormais interdit à un parlementaire détenant une société de conseil d'offrir ses services aux sociétés de cette liste. Cela est sans doute bienvenu, mais il faudrait préciser ce qu'est une société faisant appel publiquement à l'épargne ; je suppose que cela désigne une société cotée. Si tel est le cas, il me semble qu'il pourrait toujours y avoir un risque de conflit d'intérêts. Un parlementaire peut en effet avoir une activité substantielle de conseil ou de direction dans des entreprises n'appartenant pas à cette catégorie. Ainsi, des start-up peuvent devenir des sociétés très importantes sans être cotées et donc figurer dans la liste. Je m'interroge par conséquent sur ce point au regard du degré de détail qui nous est imposé dans nos déclarations d'intérêts quant à des relations même occasionnelles - un simple déjeuner, parfois - avec telle ou telle entreprise. Ne serait-il pas possible, et compatible avec le principe de la liberté d'entreprendre, de faire figurer dans la déclaration d'intérêts le chiffre d'affaires de toute entité économique dès lors que ce chiffre d'affaires dépasse un certain seuil. Selon moi, ce serait un mode de prévention plus complet.

Troisièmement, votre prédécesseur, M. François Bayrou, a déclaré le 1er juin, depuis la chancellerie et, ai-je compris, au nom du Gouvernement, que la suppression de la réserve parlementaire serait compensée par la création d'un fonds d'action pour les territoires ruraux, idée éminemment sympathique. Or la création de ce fonds ne figure pas dans ce projet de loi. Les défenseurs des territoires ruraux, qui sont quelques-uns dans cette assemblée, vont tout de même se montrer attentifs. Mentionnons au passage la possibilité d'un petit problème constitutionnel, puisque la réserve ne pose pas, à l'heure actuelle, de limite de population. Madame la garde des sceaux, entre-t-il dans les intentions du Gouvernement de maintenir au bénéfice des collectivités territoriales, les quelque 140 millions d'euros de crédits, pour l'essentiel d'investissement, qui sont aujourd'hui distribués suivant un mode qui est critiqué ? J'imagine que, en particulier dans cette assemblée, puisque nous avons eu le bonheur d'être saisis en premier, nous serons quelques-uns à imaginer des propositions qui pourraient être faites au Gouvernement dans ce domaine. D'ailleurs, il y a débat pour déterminer si le maintien de cette somme, qui est une pratique, peut faire l'objet d'un amendement parlementaire sans contrevenir à l'article 40 de la Constitution. Il me semble en tout cas que la déclaration du précédent garde des sceaux devrait inspirer le Gouvernement.

Enfin, puisque vous avez eu la délicatesse d'indiquer que le sujet du niveau de rémunération des parlementaires devrait être abordé lors de la discussion sur l'IRFM, il me semble qu'il n'y a pas là débat. En effet, si cette réflexion aboutit, ce ne peut-être que sur la proposition du Gouvernement, puisque, à l'évidence, un amendement parlementaire qui oserait toucher à ce sujet aurait pour objet la création d'une charge publique et serait donc inconstitutionnel.

M. Roger Karoutchi. - Madame la ministre, je voudrais d'abord faire une observation. Même si je comprends bien l'esprit général de ces textes, et même si, sur certains sujets, nous allons avancer ensemble, je regrette que ce soit les premiers textes symboliques présentés par le Gouvernement. Si vous nous aviez offert un texte sur l'activité parlementaire, les rapports entre exécutif et législatif, et la condition de l'élu et de l'engagement public en France, j'aurais compris qu'on y fasse figurer certaines contraintes et des contrôles. Mais ces deux textes ne contiennent en réalité que le contrôle et la contrainte ! Cela donne, dans l'opinion publique, le sentiment que, par définition, ces projets de loi étaient absolument nécessaires parce que les élus ne sont ni moraux ni fréquentables tant qu'on ne les a pas mis sous contrôle ! Dans le gouvernement Fillon, j'étais responsable des relations avec le Parlement ; je sais la fragilité de ce qu'est l'activité parlementaire, quel que soit le groupe politique auquel on appartient. Il est donc un peu difficile d'accepter que l'on commence par cela, alors qu'un texte global, contenant les mêmes éléments, aurait été beaucoup plus facile à faire accepter. Il aurait aussi donné le sentiment que, si l'engagement public nécessite des contraintes, il constitue également quelque chose de tellement rare et formidable que cela doit être aussi évalué de manière positive.

J'entends bien la dernière observation de mon excellent collègue Alain Richard, dont la modération est connue sur la planète parlementaire, mais je dois vous avouer, madame la garde des sceaux, que le débat sur le niveau du traitement d'un parlementaire n'est pas ouvert ! L'opinion publique, l'air du temps sont tels que cela est impossible. Je me souviens des commentaires faits par notre ancien collègue député Henri Guaino sur son traitement, et des réactions que cela a engendrées. Je veux bien reconnaître qu'il était assez maladroit, mais il n'en reste pas moins que le débat n'est pas ouvert sur ce point.

Quant à l'IRFM, nous entrons à mon sens dans un système extraordinairement compliqué. Pour ma part, je garde mes factures, même si je fais tout ce que je peux pour contrôler tout moi-même. En revanche, au Parlement britannique, près de 80 personnes sont affectées strictement au contrôle des factures des députés. Envisage-t-on, au Sénat ou à l'Assemblée nationale, un recrutement pareil ? Il faudra bien que quelqu'un contrôle les factures. Les assemblées vont donc devoir mettre en place un système très lourd, à moins que vous n'imaginiez un système de transmission de factures et de contrôles aléatoires. Il reviendra aux assemblées, dans leur règlement, de le déterminer, mais en tout état de cause, c'est une vraie charge supplémentaire pour le Parlement.

Enfin madame la garde des sceaux, je m'interroge vraiment sur la révision constitutionnelle. Le Gouvernement devra obtenir l'assentiment d'une majorité des trois cinquièmes au Congrès ; ayant porté la réforme de 2008, qui est passée d'une voix, je peux dire que ces trois cinquièmes ne sont pas un cadeau : c'est un travail de tous les jours ! Sur le fond, vous nous annoncez que cette réforme limitera à trois mandats successifs l'exercice de fonctions exécutives locales, et que cela sera appliqué de manière rétroactive. Mais imaginez seulement le maire d'une commune de 20 000 ou de 50 000 habitants, à qui l'on annonce qu'il ne pourra pas se représenter en 2020, parce qu'il aura déjà accompli trois mandats, et cela alors même qu'il vient de lancer des politiques nouvelles, des projets sur cinq ou sept ans ! Même quand a été votée l'interdiction du cumul des mandats pour les parlementaires, on a prévu un délai de quatre ans avant de les obliger à choisir. Madame la garde des sceaux, même en conservant ce principe de limitation dans le temps, ne croyez-vous pas qu'il faille trouver une solution pour éviter que cette nouvelle règle ne tombe comme un couperet en 2020, dans un délai donc extrêmement contraignant eu égard aux politiques menées dans les communes ?

M. Philippe Bas, président. - Je me prends à imaginer ce qu'aurait été l'histoire de la République française si on avait appliqué il y a 150 ans la règle du non-renouvellement des mandats au-delà de trois mandats successifs, en éliminant tous les hommes d'État qui ont contribué à la sauvegarde de la France. Qu'auraient été le Front populaire sans Léon Blum, la Vème République sans Jacques Chirac ou la France sans Clemenceau ou Poincaré ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. - Joël Labbé a évoqué le mode de scrutin public, qui relève du règlement de chaque assemblée. C'est donc là que se trouve la solution ou l'évolution éventuelle.

Il est vrai que François Bayrou a souhaité engager une consultation citoyenne sur les textes dont nous débattons aujourd'hui. Non pas par principe, mais de manière circonstancielle, je ne suis pas favorable à la poursuite de cette démarche sur ces textes. Il faut qu'un tel travail ait lieu en amont. Les représentants de la nation et les citoyens ne peuvent pas débattre en même temps. J'ai souhaité que les deux procédures soient distinctes. C'est pourquoi, sur ces projets de loi, je n'engagerai pas, au nom du Gouvernement, une consultation de cette nature.

M. Richard a évoqué la nécessaire satisfaction des obligations fiscales par les parlementaires. Le délai laissé à l'administration fiscale pour opérer ce regard sur la situation de l'élu est très court. Il n'a pas été jugé opportun de prévoir un quitus fiscal délivré par l'administration fiscale. L'attestation ne constitue pas une prise de position formelle de l'administration sur la situation fiscale donnée du parlementaire : elle est une vérification, liée au constat que l'élu a déposé les déclarations d'impôt nécessaires et qu'il a payé les dettes fiscales connues de l'administration à la date de l'élection. En l'état des informations dont dispose l'administration fiscale, cette attestation ne condamne ni n'exonère, elle ne préjuge pas la suite de la procédure. Monsieur le sénateur, le Gouvernement sera à votre écoute si vous pensez qu'il faut clarifier le texte sur un certain nombre de points.

A été également évoquée la question du conseil. Bien que la liste préexistante soit assez longue et détaillée, elle pourrait ne pas prévoir des situations de conseil à des sociétés qui deviendraient rapidement importantes par un chiffre d'affaires ou par un déploiement. Faut-il mentionner un seuil de sommes perçues par le parlementaire, qui pourrait déclencher une incompatibilité ? Nous risquerions de nous heurter alors à la question de l'atteinte à la vie privée. Par ailleurs, la question se pose de savoir si le conflit d'intérêts ne naît pas davantage de la personne auprès de laquelle le conseil est délivré que du montant des sommes perçues.

Sur la question de la réserve parlementaire, monsieur le sénateur, vous citez M. Bayrou dans le texte, évoquant la réorientation vers un fonds d'action territoriale. Le projet de loi ne prévoit rien de précis en ce sens, ce qui suscite sans doute votre inquiétude. À ce stade, je ne peux pas m'engager. Des hésitations demeurent entre une affectation à un fonds territorialement orienté ou à des fonds transversaux autour de politiques plus transversales, par exemple la politique en faveur des handicapés. Les arbitrages ne sont pas encore rendus.

M. Philippe Bas, président. - Nos amendements viendront !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. - Sur les salaires des parlementaires et l'initiative qui doit en revenir au Gouvernement, je m'abstiendrai.

M. Karoutchi regrette que ces projets de loi soient les premiers textes présentés par le Gouvernement, dans la mesure où ils portent plus sur des interdictions que sur l'engagement. À titre personnel, je sais l'engagement du personnel politique en France et le Gouvernement n'a pas pour objectif de le nier au travers de ce projet de loi, bien au contraire. Je ne suis pas tout à fait d'accord, d'ailleurs : ce n'est pas qu'un texte d'interdictions, certaines mesures visent au contraire l'incitation, notamment celles qui concernent le financement des partis politiques et des campagnes électorales. Ce serait donc une erreur de ne considérer ces textes, dans leur philosophie et dans les dispositions précises qu'ils prévoient, que de ce point de vue.

Je conclurai sur l'IRFM. Si le modèle britannique repose sur une autorité administrative indépendante, nous n'avons pas retenu ce choix.

M. Daniel Chasseing. - Je souhaite revenir sur la réserve parlementaire. Je suis élu d'un département rural. Les petites communes ont de petits projets. Les subventions d'investissement que nous versons, mon collègue et moi-même, sont transparentes, contrôlées par les ministères. Malgré leurs montants modestes, elles sont très appréciables et appréciées par les petites communes. Il n'y a ni opacité ni clientélisme : toutes les communes sont aidées, quelle que soit leur couleur politique.

Madame la ministre, vous indiquez que « la suppression de la réserve parlementaire permettra de privilégier des modes de financement classiques assurant la gestion des crédits plus conforme à la loi de finances ». Selon vous, la pratique de la réserve parlementaire est contraire à l'article 40 de la Constitution. Pour ma part, je propose de conserver cette réserve parlementaire qui pourrait être mise en place à l'échelon départemental, sous le contrôle du préfet, en additionnant les réserves des sénateurs et des députés. Au sein de la commission pourraient figurer les sénateurs, les députés, un représentant de l'Association des maires de France et un du conseil départemental. Cette commission serait alors parfaitement démocratique. Madame la ministre, ne supprimez pas la réserve parlementaire, très importante pour les petites communes. Je déposerai un amendement en ce sens.

M. Pierre-Yves Collombat. - Mon expérience m'a montré que, dans un texte, ce qui ne figurait pas était souvent plus intéressant que ce qu'on y trouvait. Vous avez décidé de vous intéresser à la morale des parlementaires, des élus en général, en tenant un raisonnement un peu curieux : ils sont honnêtes et, pour cette raison même, il faut les traiter comme des délinquants potentiels !

Les sondages sont bizarres. À la question « les élus sont-ils plus ou moins corrompus ? », les Français répondent « plutôt corrompus ». Si nos concitoyens nourrissent cette défiance, ce n'est pas pour les raisons que l'on croit. Ce peut être dû à la concentration des pouvoirs, au fait que les majorités changent, mais que c'est toujours la même politique qui est appliquée. C'est sans doute aussi dû au poids des médias, qui sont majoritairement possédés par des intérêts financiers ou sous l'influence de ces derniers, au point que votre prédécesseur, madame la ministre, en avait fait son cheval de bataille : « Je ne céderai rien sur la séparation de la politique et de l'argent. »

Or que contient le texte ? Rien ! Nous en sommes même au point où l'initiative des lois incombe aux médias. Il n'est qu'à lire l'étude d'impact et le nombre de scandales recensés pour justifier telle ou telle disposition. Je rejoins M. Karoutchi sur ce point : il faut une vue plus large.

Les seuls articles du projet de loi qui touchent à ces questions ont trait à la prise en compte des délits à caractère financier. Est ainsi dressée une liste des délits empêchant qu'on soit éligible. Un traitement particulier est réservé aux délits financiers : seuls les plus graves sont pris en compte. La façon dont les tribunaux appréhendent la prise illégale d'intérêts l'atteste : au moindre soupçon, on est bon, éventuellement sans condamnation ! On est en droit de s'inquiéter, d'autant que, sur cette question, le Sénat, par trois fois, a voté à la majorité, voire à l'unanimité, une modification de la formulation qui rend celle-ci moins « couperet » qu'actuellement. Je reposerai cette question au moment de la discussion. Reste, madame la ministre, qu'il existe encore une fois un traitement défavorable aux élus quant aux types de délits auxquels ils peuvent être confrontés.

M. Michel Raison. - L'intitulé de ce projet de loi est d'une prétention extrême ! Si ce texte suffisait à « rétablir la confiance dans la vie publique », ce serait bien. C'est pourquoi je proposerai une autre formulation. Toutefois, cela ne résoudra rien et n'éliminera pas ceux qui fautent. Quels que soient les textes votés, le principe même de la malhonnêteté, c'est de ne pas respecter la loi !

Que l'interdiction d'effectuer plus de trois mandats consécutifs concerne les parlementaires ne me choque pas. Mais les maires ! Si ceux-ci ne font pas bien leur travail, ils sont éliminés aux élections suivantes : c'est un suffrage très direct, même en cas de représentation proportionnelle. Il est beaucoup plus difficile de trouver un bon maire qu'un sénateur ou un député ; il n'est qu'à voir ce qui vient de se passer ! La proposition du Gouvernement est ridicule. Le mandat de maire est souvent un sacerdoce. La taille de la commune n'a rien à voir : pourquoi prévoir que, dans certaines communes, les maires pourront enchaîner quatre mandats au lieu de trois ? Il faut revenir sur ces questions.

S'agissant de la réserve parlementaire, la transparence s'est nettement améliorée, sauf pour les ministres et le Président de la République qui n'ont pas respecté cette injonction. Il est presque mieux que les parlementaires ne la distribuent plus. Ce n'est en effet guère pratique : ceux qui n'en ont pas ne sont pas contents et ceux qui en profitent ne disent jamais merci. Ce que nous voulons, c'est que cette somme prélevée sur le budget du ministère de l'intérieur continue d'être affectée aux communes. Après avoir dépouillé celles-ci d'un pourcentage important de leur dotation globale de fonctionnement, l'État va encore en profiter pour leur retirer ces sommes. Je le refuse : il faut que cela concerne à la fois la réserve des parlementaires et celle des ministres. Je souhaite que cette somme revienne de façon concrète aux communes qui en ont besoin.

Mme Éliane Assassi. - Madame la garde des sceaux, les projets de loi que vous nous présentez sont importants, d'autant que, sur un certain nombre de sujets, notre pays accuse un retard important. Cependant, certains points sont absents de ces textes, en particulier la question des lobbies.

Ma question porte sur les moyens financiers des candidats et des partis politiques dans le cadre des campagnes électorales. Elle me semble très importante au regard du pluralisme.

La création d'un médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques et d'un établissement financier présenté comme la « banque de la démocratie » peut paraître intéressante et opportune. En revanche, la nomination par décret du Président de la République du médiateur du crédit et le contrôle de cette nomination par le Parlement sont-ils une véritable garantie de l'indépendance de ce dernier vis-à-vis de la politique ou du politique ? S'agissant de la banque de la démocratie, notre première impression est bonne, mais, à bien lire l'article 12, je relève que les contours de cet établissement sont à ce jour relativement flous.

M. Hugues Portelli. - Ma remarque porte sur le troisième volet du projet de loi, celui qui concerne le financement de la vie politique et des partis. Les différents textes qui ont été adoptés en matière de vie politique et de financement depuis 1988 ont pour point commun de ne pas définir ce qu'est un parti politique. Or nous constatons une hausse considérable du nombre des partis. Pour l'immense majorité d'entre eux, ce sont des partis fictifs, créés à l'occasion des campagnes : le candidat conserve les sommes qu'il n'a pas dépensées, lesquelles alimentent les comptes des vrais partis. Il y a là un vide juridique tout à fait dommageable pour la démocratie.

Les candidats peuvent quasiment se faire financer à 100 % par les partis et l'argent public. Les partis sont financés par l'aide publique sur la base des résultats électoraux et du nombre de parlementaires. Ils perçoivent également les cotisations des parlementaires - là encore, c'est de l'argent public. Il y a deux catégories de partis, ceux qui sont financés intégralement par l'argent public et les autres. Ce système va-t-il perdurer ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. - Sur la question de la réserve parlementaire, je réaffirme que l'idée de cette mesure est non pas de ne plus rouvrir les crédits de la réserve parlementaire, ce qui aurait relevé de la loi de finances, mais d'interdire l'ouverture de crédits gérés selon ce mode, ce qui relève d'un niveau de norme supérieur à la loi de finances. Les solutions qui peuvent être envisagées relèvent ensuite de la loi de finances, non de ces projets de loi.

On peut envisager soit des politiques publiques de nature transversale, interministérielle, soit le redéploiement sur un dispositif qui garantit l'affectation aux territoires. A été suggérée la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et, depuis 2017, les parlementaires peuvent être présents dans les commissions départementales d'élus locaux chargées de la DETR. L'intervention du préfet, évoquée par M. Chasseing, ne me paraît en revanche pas conforme au principe de libre administration des collectivités territoriales.

M. Collombat a évoqué, pour le regretter, le fait que ce texte soit fondé sur la morale. Ce n'est pas l'objectif. La question est plutôt éthique. Il déplore que nous soyons surtout dans l'interdiction. Ce qui nous permet d'agir, c'est la Constitution elle-même. La loi met en place un certain nombre de contraintes.

Je pense souvent au droit de suffrage. Le code électoral contient quantité d'interdictions dont le seul objet est de permettre au droit de suffrage de s'exercer pleinement, avec éthique, rigueur et honnêteté. Je vois ici un mécanisme de nature un petit peu identique.

Vous avez évoqué le contrôle des médias, sujet que ce texte n'évoque en effet pas du tout, car il traite des élus et du financement de la vie politique.

Monsieur Raison, vous faites une observation sur l'intitulé de la loi. J'ai connaissance de cette remarque puisque le Conseil d'État et le président du Sénat, M. Gérard Larcher, l'avaient déjà portée devant moi. La volonté du Gouvernement de montrer qu'il y a un signe étant assez forte, je crois qu'il tiendra à garder le terme « rétablissement ». Cela étant, nous rediscuterons aussi de ce point.

Vous évoquez la question des mandats consécutifs, désirant, si je vous ai bien suivi, opérer une distinction entre les maires et les parlementaires. Je ne souhaite pas me livrer à ce débat ici. Le sujet me paraît en effet relever de la loi constitutionnelle et non du texte qui nous est soumis aujourd'hui.

Je crois avoir traité de la réserve parlementaire en répondant à M. Chasseing.

Madame Assassi, vous faites valoir que les textes ne permettraient pas d'exercer un contrôle assez efficace sur l'influence des lobbies. Je ne suis pas sûre que l'ensemble des dispositions proposées pour porter remède aux conflits d'intérêts aient eu cet objet. Je ne sais pas s'il faut que nous soyons plus précis ou que nous argumentions mieux. C'est également un point sur lequel nous reviendrons, mais a priori, je n'avais pas tout à fait la même approche que vous. Je vous rappelle en outre que la loi Sapin II était déjà intervenue sur cette question et que nous disposons donc désormais d'un arsenal législatif qui me semble assez complémentaire.

Vous évoquez la question du médiateur du crédit et vous vous demandez si son indépendance est suffisamment garantie. Il me semble que la référence au cinquième alinéa de l'article 13 de notre Constitution, qui exige l'avis public des commissions permanentes compétentes de chaque assemblée, constitue tout de même une garantie intéressante. De plus, le texte qui vous est soumis prévoit des garanties à peu près équivalentes à celles d'une autorité administrative indépendante - outre l'avis des commissions dont je viens de vous parler, il est prévu un mandat de six ans non renouvelable. Et il sera doté d'un budget et d'une équipe dédiée. Toutefois, si vous jugez le dispositif insuffisant, nous en discuterons.

J'en viens à la Banque de la démocratie, sujet sur lequel nous n'en sommes qu'au stade d'une loi d'habilitation. Les modalités de mise en place de ce mécanisme de financement ne me semblent pas complètement abouties au moment où nous parlons. C'est la raison pour laquelle j'évoquais la mise en place d'une mission d'inspection IGA-IGF qui permettrait d'identifier les causes des difficultés du financement pour estimer les montants en jeu et évaluer l'impact éventuel des règles de financement sur l'ensemble des crédits qui seraient nécessaires. Cette mission d'inspection serait également chargée d'examiner les modalités de création de la Banque de la démocratie. Je vous l'ai dit il y a quelques instants, plusieurs hypothèses sont envisagées. La structure sera-t-elle dotée de la personnalité morale ? Sera-t-elle rattachée à la Caisse des dépôts et consignations ? Quels seront les choix en termes de gouvernance ? Faut-il s'en tenir à un mécanisme de type fonds de garantie ? Faut-il définir un mécanisme de financement particulier ? Toutes ces options-là sont sur la table. Nous souhaitons que cette mission IGA-IGF nous permette d'y voir un petit peu plus clair et sommes prêts à vous entendre si vous avez vous-même des souhaits plus précis sur ce sujet.

Je réponds enfin à M. Portelli pour lui dire que l'absence de définition du parti politique est un point nodal et un point réel. Autrement dit, il y a des évolutions qui ne sont retracées ni dans les textes ni dans la Constitution. Pour autant, si ce sont les micro-partis que vous visez, l'argent qu'ils accordent à un candidat est bien retracé dans les comptes des campagnes de ceux qui en bénéficient. Le dispositif n'est donc pas complètement occulte. Par ailleurs, le projet qui vous est soumis renforce les sanctions liées à la non-divulgation des informations à la commission nationale des comptes de campagne. Il me semble en effet que le problème se situe, au-delà d'une question de transparence, dans l'effectivité réelle de ce texte. Cela étant dit, je veux bien, là aussi, rediscuter de cette question avec vous.

M. Philippe Bas, président. - Madame la garde des sceaux, au risque d'allonger encore notre audition, je voudrais tout de même vous dire que si le Gouvernement lui-même ne s'est pas arrêté sur une option en ce qui concerne la Banque de la démocratie, s'il a besoin d'études complémentaires avant de faire ses choix et s'il entend confier cette mission à l'inspection générale des finances et à l'inspection générale de l'administration, il sera tout de même très difficile pour le Parlement de se dessaisir en faveur du Gouvernement de son pouvoir législatif dans des conditions qui seraient véritablement aussi floues. Donc, soit vous parviendrez, d'ici à notre débat, à préciser vos intentions, et à ce moment-là, nous réfléchirons ensemble à la possibilité de rendre plus précise l'habilitation législative, comme l'exige d'ailleurs le Conseil constitutionnel, soit vous n'y parviendrez pas. Et alors, à ce moment-là, libre à vous de prendre le temps de la réflexion, si elle est nécessaire, et de revenir vers le Parlement, le moment venu, en choisissant l'instrument qui vous paraîtra le plus convenable. Vous avez en effet toute latitude de préparer un projet de loi, voire un projet de loi d'habilitation, en vous donnant le temps nécessaire pour mûrir votre propre projet. Cette idée reste pour l'instant extrêmement vague et elle comporte, par ailleurs, un certain nombre de risques s'il s'agit de créer une institution dépendante de l'État qui aurait pour charge de financer par crédit des partis politiques, en appliquant des critères dont nous ignorons tout à ce stade de notre réflexion !

Mme Catherine Troendlé. - Mon propos portera également sur la réserve parlementaire.

Je dirai, pour commencer, qu'il me semblait, madame la garde des sceaux, qu'avec la publication de la liste des bénéficiaires nous avions atteint un véritable niveau de garantie du bon usage des deniers publics. Il apparaît pourtant que ce dispositif de transparence n'est pas suffisant et que le mode de distribution reste critiqué.

Nous avons pu entendre le mot « clientélisme ». Je vous avoue, madame la garde des sceaux, avoir été particulièrement heurtée par ces propos !

Je crois savoir que chaque ministère dispose d'une réserve ministérielle, dont les montants sont différents d'un ministère à l'autre, que chaque ministre peut, de façon discrétionnaire, distribuer ces sommes au même titre que nous le faisions avec notre réserve parlementaire pour aider à des investissements locaux.

Ma question est la suivante : afin de tendre, madame la garde des sceaux, vers une confiance dans l'action publique dans sa globalité, ne pensez-vous pas qu'il serait opportun de tendre vers une obligation de publier la liste des bénéficiaires et le montant que chaque ministère distribue aux communes ?

M. Philippe Dallier. - Ma question concerne les emplois familiaux, non dans le cadre du Parlement, mais dans le cadre de nos collectivités territoriales.

Je crains, madame la garde des sceaux, que votre texte ne soit trop imprécis. À mon sens, il n'existe pas de définition juridique de ce qu'est le cabinet d'un chef d'exécutif dans nos collectivités territoriales. D'ailleurs, d'une collectivité de même taille à l'autre, les pratiques sont très différentes. Je voudrais donc savoir si votre texte vise les emplois de cabinet, auquel cas on fait référence non pas à une fonction particulière, mais à la nature du contrat de travail. Ces contrats étant attachés au chef de l'exécutif, ils tombent avec le mandat du chef de l'exécutif et sont plafonnés en matière de montant. Pour autant, on le sait bien, dans le cabinet d'un maire, même dans une ville de moins de 40 000 habitants où l'on a droit à deux collaborateurs de cabinet, dans la pratique, la communication y est souvent rattachée, le secrétariat est élargi, il peut être partagé avec la direction générale des services. Donc, les pratiques et le nombre de personnes qui travaillent au sein d'un cabinet dans une collectivité locale peuvent être très différents. Et je trouve que votre texte est absolument imprécis.

Au sein d'un cabinet, on peut effectivement trouver des personnes qui ont le statut de collaborateur de cabinet, avec un contrat particulier. On y trouve aussi des contractuels et des agents de la fonction publique. Que visez-vous exactement ? Je pense que vous devez absolument préciser les choses parce que les conséquences qui découlent du texte, tel qu'il est écrit, sont extrêmement sévères.

M. Raymond Vall. - Madame la garde des sceaux, je me réjouis de votre nomination. Élu d'un territoire que vous connaissez bien, je veux à mon tour intervenir sur la dotation parlementaire. Je tiens en effet à vous alerter : l'inégalité territoriale ressentie dans la ruralité devient ingérable ! Les territoires à faible potentiel fiscal sont pourtant contributeurs sur les lignes à grande vitesse, sur les routes nationales, sur la fibre optique ou sur les voies ferrées. Si nous voulons lutter avec efficacité contre la désertification médicale, il faut aussi que nous autofinancions les maisons médicales et les maisons de service au public. Et que dire des contributions aux casernes de gendarmerie et de la contribution de 35 euros par habitant pour le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) ? Jusqu'où va-t-on aller ?

À compétences égales, je ne parle pas de l'injustice dans la participation de nos collectivités qui sont étrillées par ces contributions et qui ne peuvent pas avoir les mêmes taux d'intervention. Quand vous traversez le Gers et que vous arrivez en Haute-Garonne, vous n'avez pas besoin de lire le panneau ! L'état des routes vous indique tout de suite que vous avez changé de département ! Je vous en conjure, car nous ne trouvons pas pour l'instant dans le programme du Président de la République une politique très adaptée et clairement définie en faveur de la ruralité.

Il n'y aura bientôt pas besoin de limiter le nombre de mandats successifs, car on ne trouvera plus personne pour briguer un deuxième ou un troisième mandat ! Le quinquennat vient à peine de commencer, et le signal que nous percevons, c'est l'absence de toute politique en faveur de la ruralité. La décision que vous prenez va vraiment avoir un effet de traînée de poudre ! Il faut choisir en tout premier lieu les dossiers dépourvus de dispositifs. C'est bien simple : certains travaux se finissent par des corvées ! Madame la garde des sceaux, faites attention, car ce que vous proposez est très maladroit sur le plan psychologique !

Mme Françoise Cartron. - Je vais évoquer l'interdiction d'emploi des collaborateurs familiaux et vous demander si elle s'appliquera aux collaborateurs familiaux en place depuis des années ? Quel sera le mode d'indemnisation ? En ma qualité de présidente de l'association pour la gestion des assistants de sénateurs (AGAS), je puis vous dire que nous avons besoin d'une vision. Tout cela va avoir un coût financier extrêmement important.

Du point de vue du droit, comment peut-on appliquer une loi rétroactivement par rapport à un contrat ? En effet, la particularité de ces emplois de collaborateurs est qu'ils bénéficient d'un CDI. Leur contrat n'est pas lié à la durée du mandat. Peut-être faudra-t-il évoluer sur ce point.

Je voudrais maintenant évoquer les conflits d'intérêts. Beaucoup de collaborateurs de sénatrices et sénateurs sont employés à mi-temps. Ils travaillent ailleurs ou ont des missions dans un certain nombre d'organismes. Quid de la notion de conflit d'intérêts, puisque le collaborateur a un rôle extrêmement important auprès du parlementaire pour le compte duquel il propose un certain nombre d'amendements ? Comment prévoyez-vous de moraliser cette profession de collaborateur ?

M. Hervé Maurey. - J'ai deux questions à vous poser, madame la garde des sceaux.

Pourquoi supprimer la réserve parlementaire quand on sait qu'elle est très utile, notamment aux petites communes et plus particulièrement aux communes dont les projets ne peuvent bénéficier d'aucun autre dispositif ? Je suis élu d'un département où les deux tiers des communes ont moins de 500 habitants. Quand il s'agit de changer une fenêtre de la mairie ou d'acheter une tondeuse à gazon pour les espaces verts, il n'y a plus rien du tout !

Pourquoi supprimer cette réserve parlementaire ? Elle est accordée par le ministère de l'intérieur au vu d'un dossier, examiné avec beaucoup d'attention et dans une transparence absolue. Aujourd'hui, si vous consultez le site du Sénat - la remarque vaut sans doute aussi pour le site de l'Assemblée nationale -, n'importe qui peut aller voir les montants attribués à quelle commune durant l'exercice écoulé.

Je ferai la même observation pour les emplois familiaux : pourquoi les supprimer ? Je sais qu'un certain nombre de faits ont été dénoncés à juste titre par les médias. Toutefois, ce qui a choqué, c'est qu'il y avait un doute sur la réalité du travail et que les montants énoncés étaient particulièrement élevés. Je tiens à le dire, dans notre assemblée, plus qu'à l'Assemblée nationale, les emplois familiaux sont plafonnés à un niveau excessivement modeste - un tiers de l'enveloppe attribuée aux collaborateurs, contre la moitié à l'Assemblée nationale. Un emploi familial à plein temps, cela représente 2 000 euros, je tiens à le dire en présence du public et de la presse parce que ce n'est pas su. Ce qu'il resterait à vérifier, c'est la réalité du travail. Pourquoi, au lieu d'interdire, ne pas indiquer dans la loi que le règlement des assemblées prévoit des dispositifs pour veiller à la réalité de ces emplois ?

Sur les deux exemples que j'ai pris - réserve parlementaire et emplois familiaux - on décide, pour éviter d'éventuels abus, de supprimer des dispositifs plutôt que de renforcer la réglementation et de procéder à des contrôles. Pour ma part, vous l'aurez compris, je préfère le renforcement de la réglementation et le contrôle plutôt que la suppression.

M. Alain Marc. - Je ferai la même remarque sur la réserve parlementaire : si elle doit être supprimée, nous demandons que les ministères publient leurs réserves. Nous demandons la même chose pour les réserves de l'Élysée et de Matignon. Pour avoir été député, je sais très bien que les sommes concernées sont souvent bien supérieures aux réserves parlementaires ! Et c'est fait de façon discrétionnaire, alors que notre réserve est publiée !

Autre remarque, nous sommes ici pour faire du droit. Qu'est-ce qu'un emploi familial ? Madame la garde des sceaux, comment appréciez-vous le lien entre deux personnes - des personnes mariées, pacsées ou concubines ? Si les gens ne sont ni mariés, ni pacsés et ne se déclarent pas en concubinage, comment faites-vous ? Comment allez-vous éviter, par la suite, des emplois croisés ?

Ne soyons pas hypocrites ! C'est ce qui va se passer, c'est ce qui se passe dans d'autres pays ! Comment allez-vous remédier à cela, sinon pour faire plaisir à la presse et au peuple ? Certes, tout le monde sera content ! On en sera resté à l'écume des choses, mais en droit, on ne sera jamais allé assez loin !

M. Rémy Pointereau. - Je voudrais revenir sur la dotation d'action parlementaire, qui est indispensable pour nos territoires ruraux, nos communes rurales notamment.

Tout le monde parle de transparence. J'essaie de chercher ce qui n'est pas transparent dans une dotation d'action parlementaire ! Tout le monde a à peu près la même somme, qui est instruite par le ministère de l'intérieur. C'est le préfet qui envoie l'arrêté dans chacun des départements. Elle est publiée dans la presse. Tout le monde sait qui a donné à qui. Je ne vois pas ce que l'on peut faire de plus en matière de transparence ! Il faut que les fonds des ministères et de la Présidence de la République soient soumis au même traitement.

J'en viens à la DETR, un sujet qui fait intervenir des sommes importantes. Dans mon département, environ 8 millions d'euros sont distribués chaque année. La commission des élus ne peut voir que les dossiers pour lesquels sont accordés plus de 150 000 euros de subventions. Tous les autres dossiers sont à la discrétion du préfet et de ses services. Là, on pourrait opportunément parler de transparence ! En effet, à moins d'être parlementaire et de pouvoir interroger le corps préfectoral, on a très peu d'informations sur le sujet.

Je souhaite que les parlementaires soient, dans tous les cas et à partir du premier euro, codécisionnaires et ne se bornent pas à émettre un avis consultatif. Il n'y a aucune raison de laisser les petits dossiers à la discrétion de la préfecture. C'est sur ce sujet qu'il faudra évoluer, madame la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je voudrais faire masse des critiques que vous avez formulées les uns et les autres sur la suppression de la réserve parlementaire, invoquant, pour certains, des arguments juridiques, quand d'autres s'appuyaient sur leur vécu territorial ou en appelaient à la pertinence et à la cohérence du dispositif. Cette proposition, nous l'avons faite parce que nous voulions disposer de quelque chose de juridiquement très cohérent par rapport aux dispositions de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. Nous avons aussi tenu compte des critiques de la Cour des comptes qui ont, c'est vrai, joué un rôle important. Nous étions, enfin, animés par la volonté de travailler dans un souci de transparence.

J'entends les critiques que vous avez formulées et j'en ferai état auprès du Premier ministre. Nous sommes ici au début de la procédure parlementaire. Nous verrons comment les choses vont évoluer. Cela ne constitue nullement un engagement de ma part ! Je prends acte du fait que c'est l'un des points qui soulève chez vous le plus de difficultés. Nous verrons comment nous pourrons le traiter.

J'en viens à la question de la réserve ministérielle dont j'ai découvert l'existence il y a quarante-huit heures. Je ne sais pas très bien à quoi elle sert au moment où je vous parle, mais je vais sûrement le découvrir !

M. Philippe Dallier. - On le sait ! Elle arrose !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. - Contrairement à la réserve ministérielle, la réserve parlementaire va à l'encontre de l'article 40 de la Constitution.

M. Pierre-Yves Collombat. - C'est n'importe quoi !

M. Hugues Portelli. - C'est faux !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. - La réserve ministérielle relève, quant à elle, de la procédure budgétaire de droit commun, conformément à l'article 7 de la LOLF.

M. Michel Raison. - C'est la même ligne de crédit !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. - Nous ne sommes pas du tout fermés à l'idée de travailler sur une extension des dispositions évoquées à la réserve ministérielle, dans le cadre de la loi de finances. Je pense qu'il faut être logique et cohérent sur l'ensemble du processus.

Mes services me disent que la réserve ministérielle a baissé de 12 millions à 5 millions d'euros de 2011 à 2017.

M. Michel Raison. - Il ne manquait plus que cela ! C'est le bouquet !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je vous demande de retenir que nous ne sommes absolument pas fermés à une réflexion sur la réserve ministérielle et que je transmettrai vos réticences sur la réserve parlementaire.

J'en viens à la question des emplois familiaux, qui a été mentionnée par plusieurs d'entre vous. Pour M. Dallier, le texte serait trop imprécis. Il a évoqué des pratiques très différentes, notamment selon les collectivités. Je connais suffisamment cela pour en convenir avec lui. Je voudrais seulement lui dire que le texte vise très précisément les seuls emplois de cabinet définis à l'article 110 de la loi sur la fonction publique territoriale. Ces emplois sont contingentés. Il semble que notre texte est sans ambiguïté aucune de ce point de vue. Seuls ces emplois sont visés.

M. Philippe Dallier. - Alors cela n'a pas de sens !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je vais maintenant répondre à Mme Cartron et lui indiquer que la liste des emplois familiaux est très précisément fixée à l'article 4 du projet de loi qui vous est soumis - conjoints, partenaires, parents, enfants, frères, grands-parents...

Le texte sera applicable aux emplois en cours. Il s'agira de licenciements ad hoc avec un préavis de deux mois.

M. Philippe Bas, président. - En tout état de cause, si nous ne sommes pas d'accord avec les propositions du Gouvernement, il nous revient de les amender.

M. Hervé Maurey. - Avant que la réunion ne soit close, je voudrais indiquer que je n'ai pas entendu de réponse à l'une de mes questions : pourquoi supprimer les emplois familiaux plutôt que renforcer les contrôles et la réglementation ? Ce qui est choquant, ce n'est pas l'emploi familial en tant que tel, c'est le fait qu'il puisse y avoir un emploi qui ne corresponde pas à un travail réel.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je crois qu'il y a deux choses. D'une part, il y a la volonté de faire en sorte que les emplois familiaux correspondent à un emploi effectif - cela me semble extrêmement normal et naturel. D'autre part, le Gouvernement, pour des raisons éthiques, a fait le choix de supprimer la catégorie que vous appelez des « emplois familiaux », qui sont en fait les emplois des proches.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie, madame la garde des sceaux, de vos réponses exhaustives.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 heures.

Mercredi 28 juin 2017

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 9 h 40.

M. Philippe Bas, président. - J'ai le plaisir d'accueillir en votre nom à tous M. Gilbert-Luc Devinaz, qui remplace M. Gérard Collomb. Nous accueillerons également bientôt Mme Josiane Costes, en remplacement de M. Jacques Mézard, ainsi que M. Alain Poyart, qui succède à notre regretté collègue Patrick Masclet.

Nomination d'un rapporteur

M. Michel Mercier est nommé rapporteur du projet de loi n° 587 (2016-2017) renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (procédure accélérée).

Projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport de M. Michel Mercier et le texte qu'elle propose pour le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence (procédure accélérée).

M. Michel Mercier, rapporteur. - Voilà la sixième fois que je rapporte un texte de prorogation de l'état d'urgence, qui a été mis en oeuvre par trois décrets pris en conseil des ministres le 14 novembre 2015, à la suite des attentats commis le 13 novembre. Avec cette nouvelle prorogation, cela porterait la durée de l'état d'urgence à deux ans, soit la période la plus longue que nous ayons connue sous la Vème République. D'où une certaine accoutumance...

M. Pierre-Yves Collombat. - Qui fait qu'il ne sert plus à rien !

M. Michel Mercier, rapporteur. - On s'accoutume à tout, mais vous serez d'accord qu'il ne faut pas s'habituer. C'est pourquoi le Gouvernement nous assure que ce sera « la der des der » puisqu'il présente concomitamment un texte visant à inscrire certaines mesures dans le droit commun, en les assortissant de garanties supplémentaires.

Cette sixième prorogation de l'état d'urgence est l'occasion de dresser le bilan de sa cinquième phase, qui a débuté le 22 décembre 2016. Cette phase mérite analyse, puisque tous les pouvoirs pouvant être confiés à l'autorité administrative dans le cadre de l'état d'urgence ont été utilisés, depuis l'assignation à résidence jusqu'à la perquisition administrative, pour un total, toutes mesures confondues, de 2 500 actes, pris entre le 22 décembre 2016 et le 28 juin 2017. Si le Conseil d'État, dans son avis, a jugé pertinente l'aire d'application retenue, qui englobe l'ensemble du territoire national, y compris l'outre-mer, je relève néanmoins que 32 départements n'ont pas utilisé ces pouvoirs.

J'en viens à quelques précisions sur les deux mesures les plus marquantes que sont la perquisition administrative et l'assignation à résidence.

La perquisition est l'un des principaux pouvoirs de police reconnus à l'autorité administrative dans le cadre de l'état d'urgence. Dans le droit commun, elle ne peut être pratiquée que sur décision d'une autorité judiciaire. Sous état d'urgence, elle peut être ordonnée par le préfet en tout lieu, y compris au domicile, lorsqu'il existe « des raisons de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ».

Le cadre juridique des perquisitions administratives a été revu tout au long de l'application de l'état d'urgence, jusqu'à l'article 38 de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, qui, encadrant les conditions dans lesquelles elles peuvent être effectuée de nuit, afin de transposer la jurisprudence du Conseil constitutionnel, précise que de telles perquisitions ne peuvent être ordonnées entre 21 heures et 6 heures que « sur motivation spéciale de la décision de perquisition, fondée sur l'urgence ou les nécessités de l'opération ». Ainsi, sur les 83 perquisitions administratives postérieures à l'entrée en vigueur de la loi du 28 février 2017, seules 4 ont été effectuées de nuit.

Si 612 perquisitions administratives ont été ordonnées entre le 22 juillet et le 21 décembre 2016, ce nombre est redescendu à 161 au cours de la cinquième phase, dont 33 dans le département des Alpes-Maritimes, 15 dans le Val-d'Oise, 9 dans le Nord, 8 dans l'Essonne et 6 dans les départements de Seine-et-Marne et des Hauts-de-Seine. Je souligne, et je veux y insister, que très peu de perquisitions ont été conduites à Paris, pour une raison fort simple : le préfet de police de Paris et le procureur de la République se réunissent régulièrement et travaillent fort bien ensemble. Preuve que l'on peut rester dans le droit commun et être efficace - ceci dit sans anticiper une discussion à venir...

Les services du ministère de l'intérieur m'ont indiqué que, parmi les perquisitions réalisées au cours de cette cinquième phase, 84 ont donné lieu à des consultations de données informatiques, 14 à des copies de données informatiques, dont 6 ont donné lieu à un accord d'exploitation par le juge des référés - le ministère ne disposant pas d'information pour les autres cas - et 27 à des saisies de matériel informatique, dont 19 ont donné lieu à une saisine du juge des référés et 4 ont fait l'objet de suites judiciaires, la saisie ayant alors été traitée dans ce cadre - le ministère ne pouvant fournir d'information pour les quatre autres cas.

Les perquisitions administratives ont donné lieu à un abondant contentieux de fond - je rappelle que la procédure du référé est en l'espèce sans objet. Entre le 14 novembre 2015 et le 31 décembre 2016, 4 367 perquisitions ont été ordonnées. Sur ce total, 115 requêtes en annulation ont été déposées devant les juridictions administratives. À ce jour, 78 décisions ont été rendues et ont conduit à l'annulation de 31 perquisitions. À quoi sert l'annulation en pareil cas, me demanderez-vous ? Le défaut de base légale, notamment, autorise un recours en responsabilité pour indemnisation. De manière générale, 241 demandes d'indemnisation, représentant un montant global de plus d'un million d'euros, ont été formulées auprès des préfectures ; 51 de ces demandes ont été acceptées, pour un montant de 46 241 euros, 144 refus ont été signifiés et 46 demandes sont en cours d'instruction.

J'en arrive à l'assignation à résidence, qui s'inscrit dans un nouveau cadre bâti, au long de ces nombreux mois, par l'action conjuguée du Parlement, du juge constitutionnel et du juge administratif, et dont on verra, lorsqu'on en dressera le bilan, qu'il introduit beaucoup plus de contrôle que ce que prévoyait la loi de 1955.

De fait, en application de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Il a en outre la possibilité : d'assortir l'assignation à résidence de mesures complémentaires, en particulier de faire conduire la personne sur le lieu de l'assignation à résidence par les services de police ou les unités de gendarmerie ; d'astreindre la personne à demeurer dans le lieu d'habitation qu'il a déterminé, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures ; d'obliger la personne à se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine, dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; d'ordonner la remise à ces services du passeport ou de tout document justificatif de l'identité, en échange de quoi il est délivré un certificat tenant lieu de pièce d'identité ; d'interdire à la personne assignée à résidence de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ; de placer, sous certaines conditions, la personne sous surveillance électronique mobile.

Or, ce cadre juridique a été profondément modifié à l'occasion de la loi de prorogation du 19 décembre 2016 et de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique.

Se posait, en particulier, la question de la limitation dans le temps de l'assignation à résidence. La loi de prorogation du 19 décembre 2016 prévoit, au terme d'un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat, que sa durée totale ne peut excéder douze mois au cours d'un même état d'urgence. Son article 2 ouvrait toutefois la faculté de dépasser cette limite, pour une durée maximale de trois mois, sur demande du ministre de l'intérieur et sur décision du juge des référés du Conseil d'État. Mais le Conseil constitutionnel, dans une décision sur une question prioritaire de constitutionnalité du 16 mars 2017 a déclaré ces dispositions partiellement contraires à la Constitution. Il résulte de cette censure qu'il appartient au ministre de l'intérieur de décider d'une prorogation au-delà de douze mois, pour une durée maximale de trois mois, au regard des conditions définies par le Conseil constitutionnel dans sa décision, c'est-à-dire « sous réserve, d'une part, que le comportement de la personne en cause constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics, d'autre part, que l'autorité administrative produise des éléments nouveaux ou complémentaires, et enfin que soient prises en compte dans l'examen de la situation de l'intéressé la durée totale de son placement sous assignation à résidence, les conditions de celle-ci et les obligations complémentaires dont cette mesure a été assortie ». Ce qui compte, autrement dit, c'est la notion d'élément nouveau. Or, si élément nouveau il y a, l'autorité administrative ne peut le produire, au risque de brouiller les investigations ou les suivis en cours. On constate d'ailleurs que le juge des référés du Conseil d'État a annulé toutes les décisions de prolongation du ministre de l'intérieur. Restent aujourd'hui 63 personnes assignées à résidence, dont 11 depuis plus d'un an.

Parmi les autres mesures autorisées par l'état d'urgence, mentionnons la faculté reconnue au préfet, par la loi du 21 juillet 2016, d'ordonner des contrôles d'identité. L'utilisation de cette mesure reste géographiquement localisée : 2 070 mesures ont été prises dans 24 départements, mais huit sont à l'origine de 90 % d'entre elles : la Saône-et-Loire, pour 499, suivi par le Nord, pour 476 ; viennent ensuite la Seine-et-Marne et le Calvados, puis Paris, avec 78 mesures seulement, pour les raisons que j'ai dites.

Mentionnons également la possibilité de procéder, sous conditions, à la fermeture des lieux de culte, sur le fondement de laquelle quatre nouvelles décisions ont été prises et neuf décisions de fermeture ont été renouvelées.

Pour aller à l'essentiel, je dirai que la menace terroriste persiste, à haut niveau. Si certains attentats ont été déjoués, d'autres ont bel et bien été perpétrés, y compris autour de nous, en Grande-Bretagne, en Allemagne. Bref, la menace est élevée, ainsi que le souligne le Gouvernement.

Les pouvoirs dévolus à l'autorité administrative par l'état d'urgence sont-ils efficaces ? La réponse est oui, et notamment pour ce qui concerne les perquisitions administratives et les assignations à résidence. L'étude des données informatiques recueillies a permis aux autorités de police de déjouer des attentats et de poursuivre des individus qui s'apprêtaient très certainement à participer à des opérations terroristes.

Comme le souligne le Conseil d'État dans son avis rendu en assemblée générale le 15 juin 2017, « eu égard à la situation dans les territoires de la zone irako-syrienne et à la présence en France d'individus adhérant aux objectifs de l'organisation terroriste qui contrôle une vaste partie de ces territoires », la menace terroriste constitue bien, conformément aux termes de la loi de 1955, « un péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public ». Il a donné par conséquent un avis favorable à la prorogation de l'état d'urgence.

Je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption de ce texte. Nos concitoyens attendent des mesures de sécurité : personne ne comprendrait que l'on interrompe l'état d'urgence aujourd'hui. Quant au texte renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme que nous serons bientôt appelés à examiner, et qui se veut, au-delà de cette prorogation, une réponse, peut-être en est-il une. Mais il soulève quelques interrogations. Le péril lié à « l'évolution de la situation dans les territoires de la zone irako-syrienne et à la présence en France d'individus adhérant aux objectifs de l'organisation terroriste qui contrôle une vaste partie de ces territoire », évoqué par le Conseil d'État ne sera pas conjuré en novembre prochain. Un texte de droit commun permettra-t-il de répondre aux exigences de ce double péril ? Quand on est dans l'état d'urgence, on y est, quand on n'y est plus, on n'y est plus... N'est-ce pas ce qu'il faut lire dans cet avis ? Nous aurons l'occasion d'en reparler.

En attendant, je vous proposerai d'adopter ce texte de prorogation, avec quelques amendements, visant à préciser la date de début de la prorogation - c'est important -, à prendre en compte la décision récente du Conseil constitutionnel sur les interdictions de séjour prises sur le fondement du 3° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955, comme le fait également un amendement du Gouvernement, plus englobant, au profit duquel je suis tenté de retirer le mien, et à mettre à jour certaines dispositions relatives à l'outre-mer.

M. Philippe Bas, président. - Je me souviens de nos délibérations du 13 juillet 2016. Nous avions alors estimé, sur le fondement de votre bilan, qu'il convenait de mettre fin à l'état d'urgence. C'était la veille de l'attentat de Nice. On a beaucoup reproché au Président de la République son discours du 14 juillet, qui adoptait la même position : l'honnêteté m'oblige à reconnaître que c'est une position que nous partagions.

Je ne regrette pas, pour autant, cette position d'alors. Nous sommes toujours, bien sûr, en situation de péril imminent, mais il ne suffit pas que la situation justifie l'état d'urgence pour que l'état d'urgence soit utile. Nous avions de fait observé l'an dernier que les mesures mises en oeuvre à partir de novembre 2015 avaient, au bout de quelques mois, perdu en efficacité ; une efficacité devenue presque nulle à mesure que le temps passait. Je pense notamment aux perquisitions : ceux qui se sentent potentiellement visés prennent leurs dispositions.

Je rappelle que l'état d'urgence peut être rétabli à tout moment, par décret. Une règle parfois méconnue de nos concitoyens qui en viennent à penser que lever l'état d'urgence, c'est lever la garde. Il faut prendre en compte cette perception. Mais nous sommes installés dans l'idée que l'on ne pourra en sortir qu'en inscrivant certaines mesures propres à l'état d'urgence dans le droit commun : le texte à venir s'inspire de cette philosophie dangereuse, pour ne pas dire erronée. Nous avons su prendre l'initiative de renforcer les mesures de lutte antiterroriste. C'est ainsi que nous avons introduit dans la loi du 3 juin 2016 la plupart des mesures contenues dans notre proposition de loi relative à la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée qui nous tenaient à coeur, et nous les avons complétées encore dans la loi du 21 juillet 2016 sur l'état d'urgence. Nous nous sommes donc toujours montrés attentifs aux attentes des gouvernements successifs, en renforçant les moyens de la police et de la justice. Pour autant, l'idée que l'on ne pourrait sortir de l'état d'urgence qu'en renforçant encore cet arsenal de mesures me paraît dangereuse. Il y a des inconvénients à prendre des mesures restrictives des libertés applicables dans des temps ordinaires. L'avantage de l'état d'urgence, comme l'ont montré les abondantes jurisprudences du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel, est qu'il est assorti d'un contrôle juridictionnel très resserré, et que son application comporte un contrôle parlementaire régulier, comme en témoignent les mesures de suivi que nous avons prises, ce qui n'est pas le cas des mesures permanentes restrictives des libertés publiques.

Nous serons donc très attentifs au texte à venir. S'il faut des mesures efficaces, celles que prévoit l'état d'urgence le sont davantage. Sans oublier qu'il peut être rétabli à tout moment. Sans préjuger de ce que sera la position de la commission des lois, nous serons nombreux à estimer que s'il existe sans doute des marges de progression dans les moyens reconnus à la police et à la justice, on peut y remédier sans s'inscrire dans la philosophie qui a semblé à l'oeuvre dans la préparation du texte du ministre de l'intérieur.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je dois dire que je m'étonne du mode de raisonnement qui préside trop souvent à nos travaux. Hier, la garde des sceaux, après nous avoir dit que les élus, dans leur grande majorité, étaient gens honnêtes, concluait qu'il faut les traiter comme des délinquants potentiels. Aujourd'hui, M. Mercier, après nous avoir cité l'exemple de Paris pour témoigner de l'efficacité d'un traitement ordinaire de la sécurité, nous dit qu'il faut prolonger l'état d'urgence. Demain, sous prétexte de sortir de l'état d'urgence, on va nous proposer d'enterrer éternellement les libertés.

Dire que les Français ne comprendraient pas que l'on ne reconduise pas l'état d'urgence relève, à mon sens, de la démagogie. Quand on juge que quelqu'un ne comprend pas, ne vaut-il pas mieux s'efforcer d'expliquer ? D'autant plus que nous sommes confrontés à des formes d'attentats très différentes, tant dans leurs modalités qu'au regard des raisons pour lesquelles ils sont perpétrés, de ceux qui demandaient un traitement essentiellement policier. Les acteurs sont connus, mais on peine à les suivre. Qui pourrait passer à l'acte ?

Quelle a été l'évolution des libertés depuis dix ou vingt ans ? J'aimerais que nous procédions à une évaluation, pour voir ce qu'il s'est passé, et réagir avant qu'il ne soit trop tard.

M. François Bonhomme. - Merci de ce rapport et des chiffres que vous nous avez fournis : ils donnent une juste appréciation de l'effet d'une prorogation. Je me pose cependant une question : pourquoi proroger pour une durée de trois mois et demi ?

Vous avez souligné l'efficacité du travail mené en bonne intelligence par le procureur de la République et le préfet de police de Paris. Une telle pratique peut-elle être étendue ? Et si tel n'est pas le cas, faut-il considérer qu'il existe de fait deux régimes, l'un pour Paris, l'autre pour le reste du territoire ?

M. Alain Marc. - Je voterai la prorogation. Je m'inquiète, comme rapporteur pour avis des crédits budgétaires affectés à la mission « Sécurités », d'un phénomène sur lequel m'ont alerté des officiers supérieurs de gendarmerie : le nombre d'armes de guerre qui circulent en France. Or, seuls les douaniers sont autorisés à ouvrir des véhicules, sauf cas de perquisition judiciaire ou administrative, lesquelles exigent un cadre temporel précis et un lieu prédéterminé. Je souhaite que nous trouvions, dans les mois à venir, les voies et moyens juridiques de faciliter l'ouverture des coffres de véhicules par les gendarmes et les policiers.

M. Jacques Bigot. - Le 19 février 2016, nous étions appelés à proroger l'état d'urgence jusqu'à l'adoption de la loi du 3 juin 2016. On se souvient, ensuite, des déclarations du Président de la République, le 14 juillet 2016, jugeant que notre arsenal, désormais efficace, nous permettait de sortir de l'état d'urgence. Est venu l'attentat de Nice, et l'état d'urgence a été prorogé.

Dans un ouvrage intitulé Révolution, l'actuel président de la République écrivait, en novembre 2016, que l'on ne pouvait vivre en permanence dans un régime d'exception, qu'il fallait donc en revenir au droit commun, tel que renforcé par le législateur. « Nous avons tout l'appareil législatif permettant de répondre, dans la durée, à la situation qui est la nôtre », ajoutait-il. Mais aux mêmes causes, les mêmes effets : après les attentats commis en Grande-Bretagne et sur notre territoire par des individus isolés, voilà qu'il demande à son tour une prorogation, ajoutant qu'il va renforcer notre arsenal législatif. Si cela ne suffit pas, y reviendra-t-on, pour « rassurer les Français » ? Cela devient de mode, comme disait Pierre-Yves Collombat. Tel est l'esprit dans lequel s'ouvre cette période « révolutionnaire ».

Nous serions bien en peine de refuser la prorogation ; mais on ne pourra toujours proroger. Nous devons nous demander en quoi introduire certaines mesures dans le droit commun est utile. Comme le soulignait le rapporteur, l'intérêt des règles d'exception, c'est qu'elles sont assorties d'un contrôle permanent, ce qui ne sera pas le cas si on les introduit dans le droit commun.

Montrons-nous des parlementaires utiles. Ne nous laissons pas contraindre par l'état de l'opinion. Essayons plutôt d'oeuvrer pour qu'elle comprenne que nous sommes sous un péril permanent, d'autant plus important que le danger vient d'individus isolés qui peuvent en venir à commettre un attentat imprévisible, au point que bien des élus sont conduits à renforcer les précautions pour la moindre fête d'école. On l'a vu sur les Champs Élysées et à la gare de Bruxelles : là est bien la menace, qui doit nous conduire à travailler différemment. Le contrôle mis en place sous l'état d'urgence est plein d'intérêt, et il faudra se poser la question lorsque nous examinerons le texte à venir.

Mme Catherine Troendlé. - L'état d'urgence a montré ses limites et s'il faut probablement apporter quelques compléments au texte que nous avons pris l'an passé, par exemple sur la fermeture administrative de lieux de cultes ou encore sur la surveillance des communications hertziennes, ces mesures nouvelles qui pourront figurer dans le texte que le Gouvernement nous annonce, ne représentent certainement pas des changements de fond. Nous sommes déjà allés très loin, les textes existent, il faut les appliquer.

Ensuite, nous devons reprendre les politiques de prévention de la radicalisation et la prise en charge des personnes radicalisées, là où nous avons agi dans l'urgence : il faut des mesures plus fortes et plus cohérentes, ce travail reste largement devant nous.

M. André Reichardt. - La prorogation actuelle courant jusqu'au 15 juillet et le Gouvernement annonçant un texte censé rendre l'état d'urgence inutile, pourquoi nous demander de proroger jusqu'à novembre ? N'a-t-on pas le temps de prendre la loi avant le 15 juillet ?

Mme Esther Benbassa. - L'état d'urgence a démontré qu'il était inutile, il n'a pas empêché les attaques à Magnanville, à Nice, à Saint-Etienne-du-Rouvray ni aux Champs-Elysées - et vous savez comme moi que nos voisins britanniques, allemands ou belges n'ont pas instauré l'état d'urgence et qu'ils n'en n'ont pas été plus attaqués que nous. Quand on regarde les choses dans leur détail, on voit bien que l'état d'urgence ne règle rien au problème posé et que nous devons plutôt, avec beaucoup d'humilité, rechercher des solutions sur le temps long. Et avant de prendre encore un nouveau texte, nous devrions au moins évaluer ceux que nous venons tout juste d'adopter !

M. Michel Mercier, rapporteur. - Je ne répondrai pas aux prises de positions générales, politiques, qui sont tout à fait légitimes mais qui dépassent le propos d'un rapporteur - et je me contenterai de rappeler que l'état d'urgence n'a pas pour objectif de régler le problème dans son ensemble, mais de donner à l'autorité administrative des outils pour faire face à un péril imminent, ceci sous contrôle du juge et maintenant du Parlement. La loi ne peut tout faire, c'est un classique ; elle interdit le vol depuis longtemps, ce n'est pas pour autant que le vol a disparu ! L'enjeu, c'est d'assurer, par un travail permanent de tous ceux qui se réclament de la République, d'assurer que contre le terrorisme, nos valeurs continuent d'exister et de s'épanouir.

Pourquoi proroger jusqu'au mois de novembre prochain ? Mais parce qu'il faut un peu de temps pour adopter le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme : le temps du débat, bien sûr, mais aussi des contrôles, en particulier celui du Conseil constitutionnel. La démocratie, c'est le règne de la loi écrite - c'est Platon qui l'a écrit et c'est, je crois, la définition la plus ancienne qu'on puisse trouver de la démocratie. La procédure est soeur jumelle de la liberté, la République consiste aussi en un ensemble de règles.

La fouille des voitures est réservée aux agents des douanes dans des cas précis ou bien elle nécessite des réquisitions du procureur de la République ou la présence d'un officier de police judiciaire, dans un cadre lui aussi très précis : c'est notre État de droit et nous tenons à ce qu'il en soit ainsi, car la fouille des véhicules touche à la vie privée, ce n'est pas une mince affaire que l'on pourrait confier à un auxiliaire de police ou de gendarmerie. Il en va de nos libertés publiques, je les défendrai toujours.

Nous avons considérablement renforcé notre arsenal juridique depuis la fin 2015, peut-être devons-nous davantage le faire savoir, mieux l'expliquer. L'exemple cité de Paris, où l'excellente concertation entre le préfet de police et le procureur de la République a rendu moins intense le recours aux mesures permises par l'état d'urgence, ne saurait valoir pour l'ensemble du territoire national : certains départements comptent plusieurs procureurs, c'est l'héritage de l'histoire, la situation est alors plus complexe - mais l'exemple de Paris n'est pas unique.

EXAMEN DES ARTICLES

Article unique

M. Michel Mercier, rapporteur. - Avec l'amendement COM-1, je précise que cette prorogation de l'état d'urgence débute le 16 juillet 2017.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'amendement rédactionnel COM-2 est adopté.

Articles additionnels après l'article unique

L'amendement COM-3 est retiré.

M. Michel Mercier, rapporteur. - Comme dans l'amendement COM-3 que je viens de retirer pour me rallier au sien, le Gouvernement, avec l'amendement COM-5, tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 9 juin 2017 dans laquelle il a jugé inconstitutionnelles, car trop larges, les conditions de l'interdiction de séjour fixées par l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 sur l'état d'urgence. Ces précisions portées à ces dispositions maintiennent la possibilité d'interdictions de séjour, dans des conditions mieux définies et mieux garanties.

L'amendement COM-5 est adopté.

L'amendement COM-4 est adopté.

Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. M. MERCIER, rapporteur

1

Fixation au 16 juillet 2017 du début de la sixième phase de l'état d'urgence

Adopté

M. M. MERCIER, rapporteur

2

Précision rédactionnelle

Adopté

Articles additionnels après l'article unique

M. M. MERCIER, rapporteur

3

Rétablissement du pouvoir d'interdiction
de séjourner dans tout ou partie du département dans des conditions respectant la décision n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017
du Conseil constitutionnel

Retiré

Le Gouvernement

5

Rétablissement du pouvoir d'interdiction
de séjourner dans tout ou partie du département dans des conditions respectant la décision n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017
du Conseil constitutionnel

Adopté

M. M. MERCIER, rapporteur

4

Actualisation du compteur outre-mer

Adopté

Projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-1360 du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières - Examen du rapport et du texte de la commission

Puis la commission examine le rapport de Mme Catherine Di Folco et le texte qu'elle propose pour le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-1360 du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Ce projet de loi tend à ratifier l'ordonnance du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières. Elle a été prise sur le fondement de l'article 86 de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui a habilité le Gouvernement à intervenir dans le domaine législatif pour : adapter les règles régissant l'exercice de l'activité des magistrats et personnels de la Cour des comptes et des magistrats et rapporteurs des chambres régionales et territoriales des comptes, leur régime disciplinaire et leur avancement, afin d'améliorer la garantie de leur indépendance ; modifier les règles statutaires relatives aux magistrats de ces juridictions ; moderniser le code des juridictions financières, « afin d'en supprimer les dispositions devenues obsolètes, redondantes ou de les clarifier » ; limiter la durée de certaines fonctions juridictionnelles ou administratives exercées par les magistrats concernés. Cette dernière mesure n'a toutefois pas été reprise au sein de l'ordonnance.

Le projet de loi a été adopté sans modification par l'Assemblée nationale, en première lecture, le 16 février 2017.

L'ordonnance est entrée en vigueur le 1er mai 2017. Ses 53 articles modifient l'ensemble des livres du code des juridictions financières. Ils concernent la Cour des comptes, les chambres régionales et territoriales des comptes, mais également la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF).

L'ordonnance introduit peu de modifications de fond, à l'exception des questions statutaires et de la modernisation de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Sur les missions, l'organisation et les procédures des juridictions financières, l'ordonnance modifie en profondeur la présentation du code ; elle tient compte de l'évolution des missions des juridictions au fil du temps, avec notamment l'ajout des fonctions d'évaluation des politiques publiques et de certification des comptes de diverses structures.

Ainsi, l'ordonnance harmonise les procédures d'enquêtes demandées à la Cour des comptes par le Parlement (article 8). Toutes les commissions parlementaires compétentes peuvent faire une demande d'enquête, les commissions des affaires sociales bénéficiant désormais des mêmes prérogatives que les commissions des finances et les commissions d'enquête. De même, l'ordonnance simplifie certaines procédures obsolètes concernant, en particulier, le contrôle des entreprises publiques et de leurs filiales (article 9). Elle renforce les droits des personnes contrôlées à être entendues sur l'ensemble des observations formulées par la Cour des comptes, y compris les observations qui ne sont pas rendues publiques (article 13). Enfin, elle adapte les compétences des juridictions financières à l'évolution de leurs missions (article 11 et 14).

L'ordonnance modifie, ensuite, le statut des membres de la Cour des comptes (articles 3 à 6) et des chambres régionales et territoriales des comptes (articles 16 à 20). Ainsi, elle applique les « normes professionnelles » des juridictions financières à l'ensemble de leurs membres (articles 3 et 16) : les magistrats financiers mais également les conseillers maîtres et référendaires en service extraordinaire, les rapporteurs extérieurs et les conseillers experts

Elle modifie le régime disciplinaire des magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes (articles 6 et 19) en s'inspirant de celui prévu par les articles 26 et 27 de la loi « déontologie des fonctionnaires » du 20 avril 2016 pour les agents publics et les militaires.

Elle modifie également certaines des conditions d'avancement des magistrats de la Cour des comptes (article 4).

Elle assouplit le régime de détachement et de mise en disponibilité des magistrats des chambres régionales et territoriales des comptes auprès des collectivités territoriales, établissements publics et organismes de leur ressort (article 18). Il est ainsi permis à certains magistrats financiers du siège d'être détachés ou mis à disposition auprès d'une collectivité territoriale, d'un établissement public ou d'un organisme de leur ressort, avec des garanties suffisantes pour prévenir tout risque de conflit d'intérêts.

Les articles 45 à 49 de l'ordonnance modifient certaines règles de procédure applicables devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). Les possibilités de représentation et d'assistance du procureur général près la Cour sont rendues plus claires et la liste des autorités pouvant déférer une affaire au ministère public est ajustée. L'ordonnance fait évoluer les conditions d'instruction des affaires devant la CDBF en renforçant l'indépendance du rapporteur et en précisant les règles de prescription. Les droits des personnes mises en cause devant la Cour sont également renforcés : elles peuvent désormais avoir accès à leur dossier dès l'instruction et n'ont plus à attendre le renvoi de l'affaire. Les avis du ministre concerné par les faits et du ministre des finances ont été supprimés.

L'ordonnance renforce également les critères d'impartialité de la CDBF, conformément à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Un dispositif de récusation des magistrats est consacré au niveau législatif, lorsqu'il existe une raison sérieuse de mettre en doute leur impartialité.

La prépondérance de la voix du président de la formation de jugement en cas de partage des voix est supprimée.

Enfin, des modifications sont apportées au régime de publication des arrêts de la Cour : désormais, ceux-ci peuvent être publiés même lorsqu'ils n'ont pas acquis un caractère définitif.

En conclusion, d'un point de vue formel, on peut constater que le Gouvernement a respecté le délai de l'habilitation fixé par le législateur ainsi que le délai qui lui était imparti pour déposer un projet de loi de ratification. Il convient également de saluer les efforts de clarification et de structuration du code des juridictions financières.

Sur le fond, l'ordonnance ne modifie qu'à la marge les procédures applicables devant la Cour des comptes et devant les chambres régionales et territoriales des comptes.

En revanche, elle modifie de façon importante les procédures de la Cour de discipline budgétaire et financière, alors même qu'il s'agit d'un sujet en soit, comme je l'avais souligné en tant que rapporteur de la proposition de loi de notre collègue Vincent Delahaye visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales. Sur ce sujet important, l'ordonnance prend des mesures qui dépassent de loin le simple « toilettage » et donc le périmètre de l'habilitation : je m'étonne de cette façon de faire.

Néanmoins, la plupart de ces modifications vise à renforcer les droits des personnes mises en cause devant la CBDF. Je me suis interrogée sur la suppression de la voix prépondérante du président de la formation de jugement. Cette mesure ne va pas de soi, d'autant que les magistrats de la Cour siègent en nombre pair. Je rappelle, par exemple, que l'assemblée du contentieux du Conseil d'État ne peut statuer qu'en nombre impair et que le président du Conseil constitutionnel dispose encore d'une voix prépondérante en cas de partage.

Lors de son audition, M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes et président de la Cour de discipline budgétaire et financière, a précisé qu'historiquement, il n'a jamais été fait appel à sa voix prépondérante, aucun partage de voix n'ayant été constaté.

Il a également souligné qu'en cas de partage des voix et en l'absence de voix prépondérante du président, le bénéfice du doute serait accordé à la personne mise en cause.

Dès lors, ces observations ne me paraissent pas constituer un obstacle dirimant à la ratification de l'ordonnance du 13 octobre 2016. Je vous soumets toutefois cinq amendements pour en préciser le contenu, corriger quelques erreurs matérielles et coordonner les dispositions relatives à l'outre-mer.

M. René Vandierendonck. - Je salue la qualité de votre rapport ; vous proposez des amendements très utiles concernant une ordonnance sur laquelle l'Assemblée nationale n'a rien trouvé à redire... J'y souscris donc tout à fait et je crois que la procédure tant décriée des ordonnances trouve, ici, avec l'organisation des juridictions financières, une démonstration de son utilité.

M. Alain Richard. - Cette ordonnance rénove utilement le code des juridictions financières, qui n'avait pas suffisamment tenu compte du rapprochement de la Cour des comptes, d'une part, et des chambres régionales et territoriales des comptes, d'autre part. Ce rapprochement s'est traduit par des responsabilités plus grandes confiées aux chambres régionales et territoriales, au service de l'évaluation des politiques publiques.

Ce rapport conduit à s'interroger sur le maintien, à long terme, de la Cour de discipline budgétaire et financière, c'est-à-dire une juridiction administrative née en 1948 à l'instigation de l'inspection générale des finances et dotée de pouvoirs de sanction dans une matière quasiment pénale, pour réprimer des actes graves de mauvaise gestion ou de malhonnêteté.

Faut-il, encore aujourd'hui, une juridiction administrative disciplinaire spécialisée dans un tel champ ? L'expérience montre qu'il fallait acquérir une jurisprudence, c'est à l'actif de cette Cour et sa composition est un gage de son indépendance. Ce débat, ancien, porte en fait sur la justice administrative dans son ensemble : l'outil est-il pertinent quand des sanctions importantes sont en jeu ?

Le premier président de la Cour de cassation paraît répondre par la négative, mais les exemples ne manquent pas, dans l'histoire, au bénéfice de la juridiction administrative. Je ne souhaite pas, pour ma part, que la répression des actes de malversation ou des fautes de gestionnaires d'entreprises ou de services publics « bascule » dans le champ de compétences des juridictions pénales, qui n'ont pas du tout cette spécialité.

EXAMEN DES ARTICLES

Articles additionnels après l'article unique 

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-1 corrige des erreurs matérielles dans le texte de l'ordonnance.

L'amendement COM-1 est adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Avec l'amendement COM-2, je propose de préciser, au niveau législatif, la liste des formations délibérantes des juridictions financières exerçant des fonctions juridictionnelles.

L'amendement COM-2 est adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-3 est de coordination outre-mer.

L'amendement COM-3 est adopté.

Les amendements de précision et de coordination COM-4 et COM-5 sont adoptés.

Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Articles additionnels après l'article unique

Mme DI FOLCO, rapporteur

1

Corrections d'erreurs matérielles

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

2

Liste des formations délibérantes

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

3

Coordinations outre-mer

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

4

Précision

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

5

Coordination

Adopté

La réunion est close à 10 h 55.