Mardi 28 mars 2017
- Présidence de M. Henri Cabanel, président -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Audition de Mme Florence Denier-Pasquier, secrétaire nationale de France nature environnement (FNE)
M. Henri Cabanel, président. - Nous poursuivons les auditions de notre mission d'information en recevant la secrétaire nationale de France nature environnement - FNE - Mme Florence Denier-Pasquier. Cette structure a été fondée en 1968 et fédère plusieurs milliers d'associations.
Nous avions également convié trois autres associations de protection de la nature et de l'environnement, qui n'ont malheureusement pas pu être présentes cet après-midi. Nous avons transmis aux membres de la mission les documents que la Ligue de protection des oiseaux nous a fait parvenir. Nous avons proposé aux deux autres associations de nous envoyer des contributions écrites.
La mission d'information s'interroge sur l'efficacité et la légitimité des décisions publiques. Elle a choisi d'examiner des cas concrets, parmi lesquels figurent les conditions de conception et de réalisation des infrastructures. Pourquoi les procédures sont-elles si longues et, parfois, n'aboutissent-elles pas ? Comment les simplifier tout en incitant le public à donner son avis sur les projets structurants et en garantissant, évidemment, le respect de notre environnement ?
Sur ce sujet des infrastructures, nous avons déjà entendu des représentants de l'administration, du Conseil d'État, des porteurs de projet et des juristes. Lors de nos déplacements, nous nous sommes également intéressés à des cas spécifiques, comme le centre de loisirs de Roybon en Isère, la ligne ferroviaire Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse, dite CEVA, à la frontière franco-suisse, et le projet du Grand Paris Express.
L'audition de cet après-midi nous permettra de compléter notre travail en recueillant le point de vue d'une structure regroupant un nombre important d'associations de protection de la nature et de l'environnement sur les procédures en vigueur et les pistes d'amélioration envisageables.
Je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, d'une diffusion en direct sur le site internet du Sénat et d'un compte rendu écrit. Elle est également ouverte au public et à la presse.
Madame Florence Denier-Pasquier, je vous propose d'intervenir à titre liminaire pour quelques minutes. Je donnerai ensuite la parole à notre rapporteur, M. Philippe Bonnecarrère, puis à nos collègues pour qu'ils puissent vous poser toutes leurs questions.
Mme Florence Denier-Pasquier, secrétaire nationale de France nature environnement. - Je vous remercie de me recevoir, en tant que représentante de France nature environnement, et vous prie d'excuser l'absence de mes collègues membres des trois autres associations. Je précise que nos positions convergent largement sur un certain nombre des sujets qui vous occupent.
Je souhaiterais commencer mon intervention par quelques propos liminaires sur la position de France nature environnement (FNE) au regard de la démocratie environnementale.
FNE est une fédération comptant 75 membres « directs », mais regroupant, si l'on tient compte des fédérations régionales, départementales et d'autres associations membres, près de 3 000 associations. On estime à plus de 800 000 le nombre d'adhérents à une association appartenant à notre tissu associatif.
Notre fonctionnement est démocratique. Il repose sur l'organisation d'assemblées générales et sur une charte fédérale certifiant l'application de nos règles démocratiques sur tous les territoires. En découle, pour nos membres, un apprentissage de la délibération et du fonctionnement collectif.
À cela s'ajoute un grand attachement de notre association à l'état de droit et au principe de légalité. Nous disposons d'ailleurs, parmi quinze autres réseaux thématiques, d'un réseau juridique consacré au droit de l'environnement, qui compte environ 80 personnes.
L'activité de FNE repose à 95 % sur le bénévolat. Certes, nous avons une structure salariée à l'échelon national et au sein de nos fédérations régionales, mais l'essentiel du travail est effectué au quotidien par des bénévoles.
Outre l'arrêt de l'érosion de la biodiversité, figure dans nos priorités le changement de modèle de développement en vue d'engager une véritable transition écologique, ce qui implique notamment une rénovation démocratique.
Il nous faut une démocratie à la hauteur des enjeux écologiques. Or justement, sous cet angle, les processus de décision semblent aujourd'hui patiner.
Notre doctrine associative est essentiellement fondée sur la convention d'Aarhus, adoptée en 1998, que la France a ratifiée et que l'Europe a traduite dans ses propres directives. Cette convention établit trois piliers : la transparence, au travers d'un accès facilité à toutes les informations environnementales ; la concertation en amont, pour donner du sens à la participation citoyenne ; l'accès à la justice.
Selon nous, il ne peut y avoir de véritable démocratie environnementale sans respect de ces trois piliers.
Malheureusement, dans un certain nombre de dossiers, l'application sur le terrain des procédures - parfois bricolées - donne un sentiment d'essoufflement et les militants se découragent. S'ils perçoivent bien les effets de la consultation du public sur les petits projets, ils ont l'impression, sur les projets plus politiques, plus importants, de « participer en rond ».
Cela a été particulièrement frappant en 2014 au moment du drame de Sivens et de la mort de Rémi Fraisse, bénévole naturaliste d'une association appartenant au réseau FNE.
Nos associations de terrain avaient tout tenté pour alerter sur le déficit démocratique lié à ce projet de barrage. Hasard du calendrier, le lendemain de cet événement tragique, un rapport officiel du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer confirmait que les solutions alternatives n'avaient pas été étudiées et que les études d'impact reposaient sur des données non actualisées. Tout ce que les associations dénonçaient depuis des années sans être entendues ! Depuis, le projet a été annulé par le juge administratif....
Nous souhaitons ne plus jamais en arriver là ! Notre démocratie est suffisamment mature pour que les décideurs soient éclairés par des processus tenant compte de l'ensemble des enjeux et des règles posées par la convention d'Aarhus, tout en permettant des ajustements des projets et une anticipation des problèmes.
Après le drame de Sivens, la réaction a été très forte au sein de notre mouvement. Pour autant, nous avons choisi de demeurer dans une position pacifique, non violente et respectant l'état de droit. C'est pourquoi nous avons intensément participé aux travaux de la commission du sénateur Alain Richard, placée sous l'égide du Conseil national de la transition écologique, sur la démocratisation du dialogue environnemental.
Néanmoins, nous ne sommes pas totalement satisfaits des réformes engagées, qui ont, en outre, été adoptées par ordonnance dans le cadre d'une loi sur la croissance économique...
Même si certaines procédures nouvelles sont intéressantes, la réforme de la démocratie environnementale s'est essentiellement concentrée sur le processus de concertation, oubliant les deux autres piliers de la convention d'Aarhus, à savoir l'accès à l'information et l'accès à la justice. Un de nos militants à démontrer qu'il devait consulter seize sites internet différents pour être informé des projets d'infrastructure prévus dans son département.
Par ailleurs, nous devrions préserver le tissu associatif existant, qui fonctionne avec relativement peu de moyens et se trouve, sur certains territoires, un peu fragilisé. Ces associations, rappelons-le, poursuivent un but d'intérêt général et, pour cela, ont reçu un agrément des pouvoirs publics. C'est à ce titre, d'ailleurs, que le réseau FNE siège au Conseil économique social et environnemental (CESE) depuis 2010, avec quatorze autres représentants d'associations. J'ai moi-même l'honneur de représenter FNE dans cette structure.
La reconnaissance du tissu associatif est donc là, mais la dernière réforme ne répond pas à la révolution démocratique exigée par la transition écologique, et c'est tout l'intérêt de votre mission d'information.
J'ajoute que la dimension citoyenne et associative a été oubliée dans la dernière réforme territoriale, alors que nous devons réformer nos fédérations régionales, ce qui exige beaucoup de travail, compte tenu, notamment, des différences de culture. Nous devons également envisager de nouveaux défis, tels que le changement climatique, la gestion de l'eau, l'artificialisation des sols ou l'évolution de la forêt.
Je vous transmets également le dernier rapport de l'autorité environnementale et les rapports de ses missions régionales sur les études d'impact environnementales. La question des planifications figure parmi les axes majeurs relevés dans ces travaux.
La France empile des couches de planification, qui entretiennent parfois des rapports juridiques complexes entre elles : le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) en matière d'aménagement régional, les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et les plans locaux d'urbanisme (PLU) dans le domaine de l'urbanisme, etc. Les échelles couvertes par ces documents sont de plus en plus larges, ce qui accroît le volume des documents versés à l'enquête publique et la pluralité des compétences nécessaires à l'étude de ces derniers. Cette tendance confirme tout l'intérêt d'un examen des documents par une structure associative ! On constate néanmoins, dans les documents d'urbanisme, une difficulté à intégrer les problématiques environnementales, notamment en ce qui concerne l'artificialisation des terres agricoles et naturelles.
Sur ce sujet, une bonne réforme de la démocratie environnementale permettrait de progresser !
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Merci d'avoir présenté le travail de France nature environnement (FNE) et, d'une certaine manière, d'avoir mis en perspective les éléments d'une rénovation démocratique, employant des formules assez fortes comme le « sentiment d'essoufflement » des militants. Vous avez compris, Mme la secrétaire nationale, que notre mission d'information s'intéresse aux blocages de la société et à la façon de les lever. Mais, en arrière-plan, se trouve la défiance de nos concitoyens face aux conditions de la prise de décision.
Les élus locaux expriment souvent l'idée que les procédures devant être mises en oeuvre pour créer une infrastructure ou un grand équipement public sont trop nombreuses et trop complexes. Vous avez d'ailleurs vous-même évoqué ces « couches de procédures » qui ont été ajoutées, sans forcément de réflexion globale sur les mécanismes de participation du public. Partagez-vous le constat des élus locaux ? Sommes-nous victimes d'un « trop-plein » de complexité ?
Mme Florence Denier-Pasquier. - Ces questions ont déjà été abordées par le passé et je suis à la fois en accord et en désaccord avec ces constats.
Je suis d'accord sur le fait que, aujourd'hui, il faut être soit un spécialiste de l'urbanisme et de l'environnement, soit un militant de FNE pour parvenir à comprendre, s'agissant des infrastructures, les sigles, les schémas, les compétences et les transferts de compétences, etc. À cet égard, j'estime que nous sommes aussi une école populaire d'apprentissage de la démocratie concrète.
Les procédures d'enquête publique sont souvent décevantes, mais nous les avons défendues quand elles ont été remises en cause, parce que chaque citoyen a le droit d'obtenir une réponse à ses questions concrètes et que ces procédures peuvent toujours être améliorées.
Nous devons consacrer un minimum de temps et de moyens à la démocratie. À défaut, les citoyens ne comprennent plus les décisions publiques et sont enclins au repli démocratique. Les procédures garantissent une certaine égalité de traitement entre les citoyens. La population doit les connaître pour pouvoir se les approprier, et c'est aussi un avantage des procédures anciennes comme l'enquête publique.
De la même manière, on a pu regretter, dans le cadre de la consultation locale sur le projet de Notre-Dame-des-Landes en 2016, que l'information ait été diffusée par les seuls canaux électroniques, car une certaine partie de la population en a été privée.
Les procédures actuelles accordent de l'attention à la population, mais la tentation de rechercher la simplification et le gain de temps comporte le risque de ne pas voir les véritables enjeux que posent les projets d'infrastructure.
Toujours concernant les procédures, l'harmonisation avec la réglementation communautaire, issue de la convention d'Aarhus, aurait dû se faire naturellement. Or, d'après l'analyse de l'autorité environnementale sur les documents d'urbanisme, la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement, qui fixe notamment un principe d'évaluation environnementale en amont, associée à une forte participation du public, n'est appliquée qu'à la marge au travail d'élaboration de ces documents d'urbanisme par les collectivités territoriales.
Les planifications en la matière devraient permettre de poser et régler toutes les questions de fond faisant la une de l'actualité, notamment celles qui sont liées au changement climatique. D'après l'autorité environnementale, ces planifications ne jouent clairement pas ce rôle aujourd'hui, ou à un niveau trop faible par rapport aux enjeux.
Les documents de planification sont devenus tellement abscons que même un militant de FNE peine à s'y retrouver et à intervenir au bon moment dans les procédures de consultation du public. Pour des bénévoles, les charges de travail deviennent parfois insupportables.
L'une de nos propositions consisterait à créer un portail de service public rassemblant l'ensemble des concertations préalables et des enquêtes publiques, et prévoyant un système d'alerte permettant à tout habitant d'un territoire d'être immédiatement informé de la mise en oeuvre de ces procédures dans son département. Cela permettrait plus facilement d'intervenir au « bon moment », c'est-à-dire lorsqu'il est encore possible d'infléchir le projet pour permettre l'application de la démarche « ERC » (éviter-réduire-compenser), essentielle à la réussite de la transition écologique.
Le volet « éviter », en particulier, vise à examiner des solutions alternatives en amont du projet. En ce sens, la concertation préalable du public exigée par la convention d'Aarhus est plus intéressante que la consultation telle qu'elle est pratiquée depuis des décennies en France, c'est-à-dire en fin de processus décisionnel, quand tout est fixé.
Ainsi, pour la première fois en vingt ans de militantisme, j'ai eu la surprise, sur un projet de rocade autoroutière situé sur un périmètre de protection de captage prévue par la « loi sur l'eau » et sur une zone Natura 2000, de voir le porteur de projet retenir une solution alternative dont nous avions esquissé le contour. Cette solution s'est d'ailleurs révélée cinq fois moins onéreuse que le projet initial...
Voilà le sens de la démocratie environnementale : l'intelligence collective autour d'un territoire. Or, aujourd'hui, nous ne sommes pas en mesure de la faire fonctionner. Les associations se replient sur des projets à petite échelle et, quand elles s'engagent sur des projets importants, les résultats sont souvent décourageants.
La participation du public à l'élaboration d'une politique ou d'un projet ne prive pas les élus de leur pouvoir de décision. Mais elle implique de prévoir des phases « amont » dans lesquelles l'ensemble des alternatives peut être étudié avec, pour objectif, une réduction maximale des impacts sur l'environnement. Nous parlons bien d'une aide citoyenne à la décision, non d'une concurrence aux élus.
Aujourd'hui, personne - ni les élus ni les acteurs associatifs - ne trouve grand sens aux procédures mises en oeuvre, d'où l'urgence de mettre en place une saine articulation entre les différentes dimensions de la démocratie.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Vous évoquez une saine articulation entre les différentes dimensions de la démocratie, mais aussi une idée de pédagogie et la difficulté à appréhender les documents d'évaluation environnementale ou de planification. Derrière ces enjeux, se pose également une question de capacité à gérer les procédures de consultation du public. Comment FNE a-t-elle construit sa grille d'analyse, ses compétences et son expertise juridique en cette matière ? Estimez-vous qu'une fédération comme la vôtre est suffisamment structurée et préparée pour appréhender des dossiers complexes ?
Mme Florence Denier-Pasquier. - Notre
compétence est d'abord collective
- personne ne peut
prétendre détenir la vérité sur des dossiers aussi
complexes.
Ensuite, elle est issue de la pratique et de l'exercice sur le terrain. Formée en droit, passée par Sciences Po, j'ai commencé mes travaux pratiques le jour où je me suis retrouvée, seule, en commission préfectorale. Tous les militants FNE font de même et agissent à l'aune de leur formation propre.
En outre, notre fédération fonctionne en réseaux thématiques. Des notes de positionnement sont élaborées collectivement, sur la forêt, l'agriculture ou encore l'eau et les milieux aquatiques, à l'attention de tous ceux que le sujet intéresse.
Quand une problématique complexe émerge des remontées de terrain, nous nous appuyons sur des travaux scientifiques et sur nos compétences issues de nos expériences précédentes pour définir un positionnement. Celui-ci constitue une sorte de doctrine mais il n'est pas imposé en tant que tel à l'échelon local, en vertu du principe de subsidiarité.
Ce positionnement transversal de FNE, qui nous permet une cohérence de langage, n'est pas toujours simple à élaborer, par exemple, sur un sujet impliquant à la fois les défenseurs des énergies renouvelables et ceux de la biodiversité. Nous disposons toutefois de procédures et de lieux d'arbitrage, ainsi que de lieux de formation.
Nous sommes très attachés à ce travail d'apprentissage et de prise de position collectifs, au point que nous l'avons formalisé dans nos règles de fonctionnement interne.
Quand la compétence n'existe pas au niveau local, nous allons la chercher ailleurs. Cela constitue parfois une difficulté, notamment lorsque la compétence se situe à l'autre bout de la France car, je le répète, nous fonctionnons avec des bénévoles et faisons face à des cas d'épuisement. Au regard de la complexité des problématiques soulevées, les moyens accordés à la démocratie participative sont assez minimes. Les nôtres ne sont pas proportionnés à ceux des acteurs avec qui nous dialoguons : nous faisons souvent figure de Petit Poucet !
De là naît cette impression de « participer en rond », comme à Sivens. Certains projets franchissent toutes les étapes de concertation sans évoluer, sans que les questions posées n'obtiennent de réponse.
D'ailleurs, la France ne s'est jamais arrêtée de fonctionner. Pratiquement tous les projets d'infrastructure aboutissent, y compris des projets médiocres. Ceux qui créent des crispations sont intéressants car, comme les contentieux, ils sont révélateurs de dysfonctionnements en amont. Ils reflètent l'essoufflement d'une procédure consultative qui consistait à se tourner vers les citoyens pour leur expliquer que l'État savait ce qui était bon pour eux. De cette forme de consultation, la population ne veut plus !
J'ai cité l'exemple de la rocade autoroutière de mon département où un dialogue très constructif s'est engagé ; c'est le seul cas de cette nature que je connaisse, en vingt ans de bénévolat associatif !
À l'occasion du cinquantième anniversaire de ma fédération du Maine-et-Loire, nous nous sommes remémorés les combats gagnés, notamment celui pour une « Loire vivante », visant à limiter l'urbanisation sur les bords du fleuve. Aujourd'hui, la Loire, classée au patrimoine mondial de l'UNESCO, est le moteur touristique du département. On oublie souvent le rôle joué par les associations dans cette lutte...
M. Henri Cabanel, président. - La réussite des associations et la prise en compte de leurs propositions dépendent-elles de la volonté des porteurs de projet ?
Mme Florence Denier-Pasquier. - Le contexte est nécessairement celui d'un rapport de forces bien senti.
Dans le Maine-et-Loire, par exemple, la fédération locale de FNE a gagné d'importants contentieux. Elle a notamment obtenu l'annulation du plan local d'urbanisme (PLU) intercommunal de l'agglomération d'Angers. Cette victoire, même si j'y ai contribué, m'a laissé un petit goût amer. Elle symbolise l'échec de la concertation engagée en amont et a montré l'inutilité des efforts que nous avions déployés pendant des heures au sein du conseil de développement local pour tenter de faire comprendre les enjeux écologiques.
Toutefois, quand cette fédération déclare désormais que tel ou tel projet pose problème, elle est davantage écoutée. Pour notre fédération, avoir recours à la justice, ce n'est pas agir par vengeance, c'est tout simplement faire appel à l'état de droit.
Le tissu associatif est maintenant implanté depuis des décennies ; il a une bonne mémoire des dossiers, bien meilleure en tout cas que les services de l'État, puisque les préfets se succèdent rapidement. On ne peut pas comprendre certains dossiers comme ceux de Notre-Dame-des-Landes ou de Sivens si on ne tient pas compte de ces acteurs associatifs, qui sont présents de longue date et qui tiennent à des valeurs ainsi qu'à une certaine vision de l'aménagement durable du territoire.
Si ces projets sont bloqués, c'est parce que les difficultés apparues avec le temps se cumulent. C'est le cas de Sivens : il y a quelques années, les associations ont gagné leur procès contre un barrage illégal. Malgré cela, celui-ci a continué de fonctionner en toute illégalité. Du coup, le nouveau projet de barrage a été rejeté d'emblée par les acteurs associatifs. Cette contestation est le produit d'une forme de mémoire citoyenne.
Au moment des événements de Sivens, tout le réseau associatif de FNE a tiré le signal d'alarme. Nous avons même saisi le Président de la République de ce sujet en insistant sur le fait qu'il y avait là un enjeu à la fois pour la jeunesse et pour la démocratie environnementale et qu'il serait dommage que certains engagements pris dans les conférences environnementales ne soient finalement pas tenus.
Au cours de la dernière mandature, les représentants associatifs du CESE ont produit quinze avis. Nous sommes capables de dialoguer, notamment avec les acteurs économiques, pour tenter de définir ce que doit être l'intérêt général. Le problème, c'est que cette démarche n'a pas été transférée dans les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER) et qu'il n'existe aucun endroit où discuter sereinement et paisiblement de ces enjeux transversaux, alors même que de plus en plus de compétences sont exercées par les collectivités territoriales. Cette difficulté explique certaines crispations actuelles.
M. Michel Forissier. - Je suis élu de l'est lyonnais, territoire où se situent un aéroport, des voiries autoroutières, ainsi qu'un grand stade.
Vous avez peut-être entendu parler de la pollution du Rhône aux polychlorobiphényles (PCB). À l'époque, j'ai fédéré tous les maires de la vallée du Rhône, afin de porter plainte contre l'État et obtenir une cartographie détaillée de cette pollution. Nous avons fini par gagner ce combat, mais cela a pris plusieurs années.
Pour orienter les décisions en matière d'urbanisme sur mon territoire, j'ai compris qu'il me fallait devenir membre du Syndicat mixte d'études et de programmation de l'agglomération lyonnaise (SEPAL), compétent pour établir le schéma de cohérence territoriale (SCoT) de l'agglomération lyonnaise. Comme vous l'avez très justement fait observer, il faut traiter les atteintes à l'environnement le plus en amont possible des projets, dans la mesure où toute infrastructure, quelle qu'elle soit, constitue nécessairement une atteinte à l'environnement. Par ailleurs, on se trompe lorsque l'on raisonne « infrastructure par infrastructure ».
Aujourd'hui, il faut des élus engagés et impliqués dans les différents conseils d'administration et commissions qui agissent à l'échelon local. Moi-même, en tant que président de la commission locale de l'eau de l'est lyonnais, j'ai contribué à l'établissement d'un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) qui a imposé de nombreuses contraintes aux zones industrielles et à l'aéroport de la région. Il convient en effet de développer le territoire tout en préservant l'environnement. En théorie, votre argumentation est très bonne. Cela étant, comment faire pour coordonner tous les outils mis à disposition des acteurs de terrain par la loi ? Il arrive parfois que l'on oublie de recourir à ces instruments lorsque l'on prépare le cahier des charges d'un projet. Pour moi, la consultation du public doit débuter sous une forme appropriée : il faut, en effet, pouvoir adapter le cadre général de la consultation aux particularités d'un territoire.
Le dernier exemple en date au niveau de l'agglomération lyonnaise concerne un décret de déclassement de l'autoroute qui traverse Lyon, l'A6-A7 : ce texte traite d'un problème majeur mais il a été pris sans qu'aucune solution de substitution soit étudiée, si bien que l'on ne sait pas où les véhicules circuleront demain...
Aujourd'hui, l'État a parfaitement le droit de mettre en oeuvre ce type d'infrastructure. D'ailleurs, en tant qu'élus locaux, nous n'y sommes pas opposés : il était insensé de construire une autoroute en plein centre de l'agglomération lyonnaise. Il n'en reste pas moins qu'il serait préférable de définir les solutions de remplacement et les investissements à réaliser avant de prendre ce type de décisions. Les élus locaux sont aujourd'hui désarmés face à ce décret de l'État.
En outre, l'architecture des textes législatifs pose problème. Les textes existent, les grands principes environnementaux sont déclinés dans toutes les conférences environnementales. Tout le monde semble d'accord au moment de quitter la table des négociations mais, quand on retourne sur le terrain, ce n'est plus pareil ! On fait face à des résistances. Les solutions que vous préconisez sont bonnes, mais je ne sais pas comment les mettre en oeuvre. Sans compter que, aujourd'hui, nous créons des infrastructures car elles sont vraiment nécessaires, contrairement peut-être à autrefois où nous avions davantage de moyens financiers ! Il faut également se poser la question du périmètre de l'intérêt général. Que doit-on intégrer dans cette notion ? Se limite-t-elle au seul intérêt économique ? N'oublie-t-on pas trop souvent le critère environnemental ? Prend-on suffisamment en compte le bilan « bénéfices-atteintes » à l'environnement ?
M. Henri Cabanel, président. - Quelles sont vos préconisations pour parvenir à un diagnostic partagé sur les projets d'infrastructure ?
Mme Florence Denier-Pasquier. - Pour les projets d'infrastructures, certaines procédures en vigueur ne sont pas toujours bien articulées entre elles. S'agissant de certains outils d'aide à la décision, le dernier rapport annuel de l'autorité environnementale souligne que les évaluations socio-économiques se transforment souvent en « boîtes noires». Ce qui devrait être la justification ultime d'un projet est en réalité incompréhensible. Certains spécialistes, ingénieurs des Ponts et Chaussées ou inspecteurs généraux, par exemple, avouent parfois eux-mêmes ne pas tout comprendre.
Dans un récent avis sur la justice climatique, le CESE a montré que le temps gagné était souvent le critère prépondérant dans le cadre des évaluations préalables à la construction d'une infrastructure de transport. Mais gagner du temps est-ce vraiment défendre l'intérêt général aujourd'hui ?
Dans le même ordre d'idée, l'autorité environnementale regrette que lorsque les enjeux environnementaux sont pris en compte dans les évaluations socio-économiques, ils sont valorisés à des niveaux qui ne modifient jamais de manière significative le résultat des évaluations. En d'autres termes, le critère environnemental est bien pris en compte, mais il est considéré comme secondaire face à la dimension économique.
Derrière la transition écologique et les défis que nous impose le changement climatique, quels sont réellement nos besoins ? Pour moi, il faut sortir de la logique de l'offre en matière d'infrastructure. On dit aux élus : « plus vous développerez les zones industrielles, plus vous créerez de l'activité économique sur votre territoire. » Mais c'est faux ! On a tous en tête, par exemple, des zones industrielles totalement vides.
On construit encore des infrastructures qui ne seront pas utilisées ou on élude des alternatives plus intéressantes, dont le coût budgétaire et écologique est pourtant moindre. Ainsi, la rénovation de l'aéroport Nantes Atlantique - qui n'a jamais été étudiée par le porteur de projet - était sans doute plus intéressante que la construction d'un nouvel aéroport à vingt kilomètres de là, au milieu de 1 300 hectares de zones humides. Dans ce dossier, il faut reconnaître que l'étude des alternatives n'a pas été bien faite. Il ne faut donc pas s'étonner que le projet soit aujourd'hui bloqué.
La qualification des besoins pose également problème. L'autorité environnementale insiste sur le fait que les plans d'urbanisme sont tous établis sur la base de scénarios prévoyant une hausse de la population locale, même pour des territoires se situant dans la « diagonale du vide ». On dimensionne des espaces constructibles à partir d'objectifs qui ne seront pas atteints et utilisés avec une faible densité d'habitations.
Renforcer les moyens de la participation à la démocratie environnementale, parvenir à une véritable démarche « éviter-réduire-compenser », favoriser une tierce expertise sur la qualification des besoins, tout cela soulève de nombreuses questions. Mais ces logiques facilitent aussi les collaborations autour du devenir commun d'un territoire. L'évaluation stratégique des projets est primordiale et c'est en cela que le rôle des élus reste essentiel : quel est le devenir de nos territoires ?
La question de l'eau, par exemple, est très importante : les cours d'eau vont baisser en moyenne de 10 à 40 % à moyen terme selon l'expertise Explore 2070, à laquelle a participé le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Dès lors, il faut se poser la question des besoins en eau potable, des besoins en eau de l'industrie, du secteur de l'énergie, de l'agriculture, sans oublier les milieux aquatiques qui ne doivent pas servir de variable d'ajustement.
J'ai pris l'exemple de l'eau mais je sais que les situations sont complexes et différentes selon les territoires. Pour relever les défis du changement climatique sur l'ensemble du territoire, il faut veiller à maintenir une forme d'équilibre entre toutes les parties prenantes, leur permettre de s'exprimer, sans que l'une prenne le dessus sur les autres. Il faut donc une révolution démocratique à la hauteur du défi écologique.
M. Michel Forissier. - La commission locale de l'eau de l'est lyonnais va faire signer la charte « Objectif zéro phyto » à la dernière commune qui ne l'avait pas encore fait. Quand on a lancé cette initiative il y a douze ans, on nous prenait pour de doux rêveurs !
Mme Florence Denier-Pasquier. - Je vous crois sur parole. En tant que formatrice, j'ai accompagné les premières démarches des communes en la matière et pu observer les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales pilotes.
M. Michel Forissier. - En matière d'infrastructures, j'ai oublié d'évoquer la ligne Lyon-Turin, ainsi que le contournement ferroviaire de l'agglomération lyonnaise. Cela étant, mon territoire connaît un fort développement économique...
M. Henri Cabanel, président. - Madame, nous vous remercions de nous avoir éclairés sur les compétences de France Nature Environnement et les idées qu'elle défend.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 15 h 25, est reprise à 15 h 30.
Bilan d'étape - Échange de vues
M. Henri Cabanel, président. - Comme je vous l'avais annoncé par courrier, cette réunion est l'occasion, pour notre rapporteur, de procéder à un bilan d'étape de notre travail et de nous présenter ses premières réflexions que je partage dans leur grande majorité. Ce moment privilégié d'échanges nous est apparu particulièrement utile, à quelques semaines maintenant de la fin de nos travaux, qui se sont déroulés dans un esprit constructif.
Depuis sa constitution le 6 décembre dernier, la mission d'information a réalisé 18 auditions plénières, auxquelles il convient d'ajouter autant d'auditions du rapporteur ouvertes à l'ensemble des membres de la mission. Avec les tables rondes, nous avons ainsi entendu plus de 80 personnes depuis le début de nos travaux.
À ceci s'ajoutent nos déplacements : le 7 mars dernier, à la gare de « Fort d'Issy Vanves Clamart » qui constitue l'une des 68 gares prévues sur le tracé du Grand Paris Express; à Grenoble, à Annecy, à Annemasse et dans le canton de Genève du 14 au 16 mars, à propos des procédures mises en oeuvre pour plusieurs grands projets d'infrastructures et des dispositifs de démocratie participative et directe ; à la fin de cette semaine au Danemark, pays souvent cité en exemple de participation de la population, en particulier pour ses conférences de citoyens.
Nous profiterons de ce dernier déplacement pour nous intéresser aussi à la consultation de la population réalisée dans le cadre de la création de grands projets d'infrastructures dans ce pays, comme pour les nouvelles lignes de métro à Copenhague, mais aussi au fonctionnement de la démocratie sociale danoise et à sa capacité à réformer son droit du travail.
En avril prochain, nous procéderons aux dernières auditions avec, en conclusion, l'audition du directeur général du travail.
Nos travaux pourraient se poursuivre ainsi encore de longs mois. À chaque audition ou entretien, un nouvel axe de réflexion, une nouvelle piste de travail s'ouvre à nous... Il faudra pourtant bien parvenir à conclure notre mission après un peu plus de cinq mois de travail, en examinant le rapport établi par notre rapporteur.
Conformément au calendrier que nous nous étions initialement fixé, nous pourrions ainsi envisager la date du mercredi 17 mai pour la présentation du rapport.
Ce travail corrobore mon intime conviction depuis que je suis sénateur. La stratégie de mandat que j'ai mise en place, avec notamment le travail en groupe, avec les associations de citoyens, a ainsi motivé mon souhait de m'investir dans cette mission car je suis persuadé que l'état de santé de notre démocratie est lié à l'état de santé de notre société et de notre pays. Or, les outils pensés par les élus et le législateur sont aujourd'hui décalés par rapport aux véritables enjeux ; ils sont plus des outils d'image et de communication au service d'élus que le signe d'une véritable volonté d'associer le citoyen.
La création de multiples associations citoyennes en témoigne. Les citoyens se sont appropriés l'espace de débat car ils en ont été privés et ont initié de nouveaux outils de contrôle de l'activité des élus, de « co-construction » de la loi, d'espace d'échanges, montrant que notre modèle démocratique est aujourd'hui obsolète et qu'il n'est plus adapté à l'attente de la société.
Il y a urgence à identifier les problématiques et les enjeux, puis à procéder à un diagnostic. Les critères de la décision publique doivent être expliqués aux participants, ces derniers devant comprendre que le choix final appartiendra à l'élu après cette phase d'explication, de concertation et donc de débat. Mais cela ne s'arrête pas là : concerter, puis décider sans expliquer entraîne la perte de confiance des citoyens envers les élus.
De mon point de vue, le but n'est pas de faire participer un plus grand nombre de citoyens - nous savons tous que seule une faible partie de la population s'investira - mais de diversifier les profils de personnes impliquées et de faire preuve d'ouverture, de dialogue et de transparence pour regagner cette confiance perdue.
L'existence d'une évaluation obligatoire de la décision publique montrera que l'élu est prêt à se remettre en question dans le but d'améliorer l'action publique, dans l'intérêt général et en toute transparence. Je suis persuadé que les citoyens sont prêts à cette mutation car ils nous ont ouvert la voie. Reste à convaincre une partie des élus ! Une formation obligatoire qui permettrait sans doute de s'imprégner de cette nouvelle façon de décider...
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Merci, chers collègues, de votre présence. Je suis heureux de vous présenter aujourd'hui un bilan d'étape de notre mission d'information. Lors de la réunion constitutive, j'avais prédit un travail particulièrement riche et ambitieux ; cela se confirme ! Je vous propose de débattre des trois grands axes de notre travail - démocratie participative et son articulation avec la démocratie représentative, grands projets d'infrastructures, démocratie paritaire - l'un après l'autre.
Face au besoin de renforcer le lien de confiance entre les élus et les citoyens, dont certains aspirent à s'exprimer directement, nous nous sommes interrogés sur la représentation démocratique et la légitimité de la décision publique. Nous avons alors recherché les moyens permettant concrètement d'améliorer les procédures pour que des projets puissent aboutir dans notre pays.
À cette occasion, outre l'analyse des outils participatifs et l'amélioration de l'information et de l'association de la population, nous nous sommes plus précisément intéressés aux projets d'infrastructures et d'équipement d'envergure, d'une part, ainsi qu'aux relations entre la démocratie représentative et la démocratie sociale, d'autre part, pour que le « paritarisme de décision » facilite la conduite de réformes. La mission a ainsi concentré ses efforts sur les procédures et la bonne méthode permettant de mieux décider.
Certes, beaucoup d'autres éléments peuvent entrer en ligne de compte dans la légitimité et l'efficacité de la décision. Certains d'entre vous ont ainsi pu mettre en évidence les problématiques relatives à la représentation des citoyens, au statut des élus, avec la question de la transparence, de leur représentativité, de leur mode d'élection ou encore des conditions d'exercice de leur mandat, qui peuvent renforcer leur légitimité. Tout ne pouvait toutefois être abordé d'ici le mois de mai. Ces sujets pourront néanmoins constituer des pistes de réflexion complémentaires et être mentionnés en tant que telles dans le rapport. En outre, ils renvoient à des enjeux directement liés à nos institutions qu'il paraîtrait difficile d'aborder dans la période électorale actuelle. Enfin, cela outrepasserait les ambitions initiales de la mission d'information.
Pour les infrastructures, nous nous sommes concentrés sur les dispositifs juridiques et de concertation visant à proposer un déroulement serein de la procédure, sans nous intéresser au fond des projets, à leur opportunité ou encore aux mesures de compensation environnementale, même si ces éléments sont bien sûr indissociables de la réussite du projet.
S'agissant de la démocratie sociale, nous n'abordons pas le paritarisme dans sa globalité, déjà traité récemment dans de nombreux rapports. Nous nous concentrons sur le « paritarisme de décision » au niveau législatif, principalement dans le champ du code du travail. Nous n'abordons le dialogue social en entreprise et le paritarisme de gestion, concernant l'assurance chômage et les régimes de retraite complémentaire, que si ces sujets ont un impact sur nos travaux. Les liens entre démocratie sociale et projet de loi de financement de la sécurité sociale sont exclus de notre analyse, compte tenu de l' « étatisation » de la sécurité sociale constatée depuis 1995.
La démocratie représentative demeure le socle de notre système politique, même si elle doit évoluer pour tenir compte de la volonté des citoyens de s'impliquer dans le processus de décision. Tous nos travaux, toutes vos interventions montrent que la démocratie représentative est « l'alpha et l'oméga » de la prise de décision publique, mais qu'elle connaît à l'heure actuelle de nombreuses critiques, beaucoup d'observateurs affirmant même qu'elle traverse une crise. S'agit-il d'une simple crise conjoncturelle, liée à des critiques visant des élus, ou, au contraire, d'une crise structurelle plus profonde ? En tout état de cause, on assiste à des phénomènes inquiétants, avec en particulier une montée de l'abstention et du vote contestataire, mais aussi l'expression de désaccords forts et persistants des citoyens vis-à-vis de positions défendues par leurs représentants. Tout ceci se traduit par des blocages nuisant à l'efficacité de la décision publique, à l'heure où notre pays a pourtant besoin d'avancer et de se réformer.
Parallèlement à cette défiance vis-à-vis des institutions représentatives, les citoyens - ou du moins certains citoyens - manifestent leur souhait d'être davantage associés à la prise de décision publique, à l'échelle tant locale que nationale. Cette implication ne s'explique pas seulement par une méfiance, voire une défiance de principe vis-à-vis de leurs représentants élus, mais aussi, plus positivement, par l'élévation de leur niveau d'information et d'éducation et par une volonté de changement. Le numérique a également favorisé cette tendance, réduisant la distance entre représentants et représentés.
Le nombre de dispositifs qui se sont développés à cet égard, depuis plusieurs décennies, est d'ailleurs assez impressionnant, au-delà des mécanismes plus anciens d'association des populations comme les conseils de quartiers et autres réunions publiques - que vous connaissez bien, chers collègues, pour les avoir beaucoup pratiqués... On voit ainsi apparaître des budgets participatifs, des ateliers de citoyens ou encore des consultations numériques. Parmi ces procédés, il faut distinguer les dispositifs descendants, issus de l'initiative même des représentants, et les dispositifs ascendants, créés par les citoyens eux-mêmes, pour interpeller leurs représentants : pétitions en ligne, civic techs, etc.
Plusieurs personnalités entendues en audition ont mis en évidence les risques inhérents à ces dispositifs participatifs, Marcel Gauchet indiquant par exemple qu'ils pourraient favoriser l'avènement d'une « vétocratie », où les décisions seraient systématiquement contestées. On peut en effet craindre une surreprésentation des plus motivés exprimant une opinion minoritaire, au détriment d'une majorité silencieuse. Les dispositifs participatifs ne conduisent pas non plus nécessairement à l'expression du plus grand nombre. Il est possible que ce soit toujours les mêmes citoyens qui y contribuent : les « TLM », « toujours les mêmes », réalité de terrain que vous connaissez.
Finalement, la démocratie représentative demeurerait le socle de notre processus décisionnel. À l'exception de la procédure particulière du référendum, l'élection resterait ainsi le meilleur moyen procurant la légitimité suffisante pour décider. La démocratie participative serait conçue comme un complément - et non une substitution - utile à la démocratie représentative. Pour autant, comme l'a dit Marcel Gauchet, la « légitimité de position » que confère l'élection ne suffit plus à garantir la « légitimité de décision ». Les élus doivent expliquer les projets et réformes envisagés, en apportant d'autres garanties que leur simple élection pour défendre leurs choix. Les procédures décisionnelles doivent tenir compte de cette nouvelle exigence.
Premier champ de réflexion : l'émergence d'une démocratie « continue » ou « permanente », où les décisions sont expliquées et les citoyens entendus en amont.
Quels que soient les sujets abordés - réforme d'une politique publique, modification du droit du travail, projet d'infrastructure - certains principes devraient être appliqués : l'élaboration d'un diagnostic partagé entre le décideur et les citoyens, entre partenaires sociaux et patronaux et le Gouvernement,... ; l'établissement de bonnes pratiques pour mener à bien un projet ou une négociation, au premier rang desquelles le partage d'information et la transparence, ainsi que le respect d'une méthodologie de la concertation. Jean-Denis Combrexelle, président de la section sociale du Conseil d'État, l'a rappelé lors de son audition devant la mission d'information : la société a besoin d'explications pour comprendre les réformes les plus complexes et leur donner du sens. Les dispositifs participatifs peuvent favoriser ce diagnostic partagé et renforcer la légitimité de la décision, aux côtés de l'étude d'impact et du travail des experts, par ailleurs indispensables.
Un large panel de mécanismes participatifs s'offre alors aux pouvoirs publics, à l'exemple des conférences de consensus et autres panels de citoyens qui, même s'ils reposent sur le travail d'un nombre restreint de personnes représentatives, ont le mérite de proposer un point de vue différent des experts et ne souffrent pas du risque de surreprésentation de « minorités agissantes ». L'outil numérique est également susceptible de favoriser la participation d'un nombre plus important de citoyens : la consultation organisée à l'occasion de la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 constitue à ce titre une initiative intéressante qui pourrait être utilement réitérée à l'avenir.
Pour autant, des questions se posent alors : quelles formes cette consultation numérique des citoyens doit-elle prendre ? Faut-il la généraliser ou l'appliquer au cas par cas ? Qui peut provoquer cette consultation : les seuls représentants ou également les citoyens ? Qui doit en être le maître d'oeuvre au niveau national : le Gouvernement, avec transmission des résultats aux assemblées parlementaires, ou chaque assemblée de manière autonome ? Comment les résultats sont-ils traités et de quelle façon cette consultation s'insère-t-elle dans la procédure délibérative ?
En tout état de cause, les décideurs publics ne doivent pas utiliser ces dispositifs participatifs comme de simples moyens de communication ou d'adhésion de la population à leur solution. Les participants doivent avoir le sentiment d'être écoutés et de connaître les raisons pour lesquelles leurs positions ne sont finalement pas retenues si tel est le cas. Il importe aussi de développer la culture de la participation, chez les acteurs publics comme dans l'administration. De même, les méthodes pour une concertation réussie doivent être objectivées et partagées, tandis que les différents outils participatifs doivent être « panachés » en fonction du projet concerné.
Au-delà de la nécessité d'un réel engagement des représentants - suivi des propositions de la société civile, réponses à apporter aux propositions, coût budgétaire, etc. - et des citoyens - disponibilité suffisante, motivation forte... - la réussite des procédés participatifs est conditionnée à un niveau d'information correct de la population, alors que se développe le phénomène des fake news ou fausses informations, ouvrant la porte à l'ère de la « post-vérité », soit la coexistence d'une multitude de vérités propres à chaque personne.
Faut-il également aller plus loin en termes de participation des citoyens et envisager davantage de démocratie directe ? L'exemple suisse est intéressant : il est caractérisé par la banalisation du référendum, y compris d'initiative citoyenne. Il ne faut toutefois pas négliger l'importance de l'ancrage culturel de ce procédé dans la démocratie de ce pays, comme nous l'a démontré notre déplacement à Genève : il est permis de douter qu'une même pratique référendaire puisse être efficacement développée en France sans une acculturation préalable.
Dans certains pays européens, notamment du Nord, se développe également ce que l'on appelle l'initiative citoyenne : un sujet soutenu par un nombre significatif de citoyens doit être débattu par le Parlement. Faut-il envisager ce type de dispositifs en France, ou bien les décideurs publics doivent-ils conserver, non seulement la maîtrise de la décision, mais aussi le monopole de l'ordre du jour du débat public, au risque que l'expression populaire ne prenne une autre voie ?
En conclusion sur ce premier thème de la démocratie participative, nous sommes en train de changer de monde, de logiciel, mais il ne faut pas que le balancier aille trop loin et conduise à une refonte totale de notre démocratie. Je sollicite à présent vos avis sur ma présentation et, plus particulièrement, sur quatre points : la « co-construction », l'interpellation, la consultation numérique et le référendum. Je serais particulièrement prudent sur la « co-construction ». Je verrais d'un oeil plutôt favorable les mécanismes de pétition ou d'interpellation, quelques réserves mises à part. Je ferais preuve d'ouverture sur la consultation numérique, en particulier en amont du travail législatif. Je proposerais un « oui, mais » à l'extension du référendum : notre culture politique y mettant trop de dramaturgie, il faudrait commencer par le pratiquer au niveau local et prendre certaines précautions.
M. Alain Gournac. - L'analyse de notre rapporteur me paraît bonne : tout ne va pas bien !
Il faudra bien insister sur la notion d'intérêt général. Ainsi, la ligne de chemin de fer entre Paris et Saint-Germain-en-Laye n'aurait jamais pu voir le jour si le Gouvernement n'avait pas su faire prévaloir l'intérêt général... La démocratie doit aussi être respectée. À titre d'exemple, des gens ont été invités à s'exprimer lors d'une consultation sur la construction d'un aéroport, ils ont fait l'effort de se déplacer et, finalement, leur décision n'a pas été respectée et la déception est totale...
Parmi vos propositions, il faudra les doser et les utiliser en fonction des situations.
Enfin, vous avez raison de dire que ce sont toujours les mêmes personnes qui participent aux dispositifs participatifs - je peux vous en donner la liste dans ma ville ! Ils ne sont pas forcément pour ou contre un projet donné. Il faut inciter d'autres citoyens à participer... Comment faire ?
Mme Catherine Génisson. - Merci, monsieur le rapporteur, pour votre travail de grande qualité, et qui n'est pas facile : comment s'exonérer du contexte politique ? Mais il ne faut pas non plus nous contenter de suivre les programmes des différents candidats à l'élection présidentielle... Nous sommes d'accord globalement sur la démocratie représentative. Mais n'oublions pas que certains candidats remettent en cause la compétence et la qualité de l'élu représentant le peuple. Sur la démocratie sociale, nous sommes en plein débat pratique, avec l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Unedic). Des candidats proposent aussi de supprimer la gestion paritaire de l'assurance chômage, tandis que d'autres y voient le sémaphore de la négociation sociale.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Nous parlerons de la démocratie sociale plus tard, mais je vous rappelle que nous avons décidé d'écarter le paritarisme de gestion.
Mme Catherine Génisson. - C'est dommage, mais soit. Vos quatre pistes d'interrogation me semblent bonnes. Personnellement, je préfère la consultation à la « co-construction ».
Pratiquer le référendum est compliqué : les Français ne répondent pas à la question, mais à la personne qui la pose. L'Italie connaît d'ailleurs des difficultés comparables... Sur la consultation réalisée pour l'aéroport de Notre-Dame des Landes, il faut reconnaître que le résultat n'aurait peut-être pas été le même avec un autre périmètre de consultation...
M. Michel Forissier. - Il y a une crise de la société, mais pas une crise du système démocratique. Il suffit, pour le voir, de proposer des conseils citoyens à des habitants de certains quartiers, qui se débattent déjà avec tant de problèmes que cela les dépasse. Ils ne peuvent pas « s'auto-représenter » ; ils ont besoin de personnes fortes à leurs côtés.
Il faut faire de la pédagogie. Je suis intervenu dans bien des débats publics où tout le monde était d'accord sur un point, et qui débouchaient pourtant sur une décision contraire. On avait oublié de dire aux gens que cela fonctionne un peu comme le travail en commission : c'est l'assemblée délibérante - ou la séance publique dans le cas du Parlement - qui tranche à la fin du processus.
Il faut une présentation aux citoyens, mais celle-ci ne doit pas être trop technique ; sinon, tous les experts interviennent et proposent des systèmes expérimentaux qui ne sont pas toujours cohérents avec le reste du projet... Les quatre pistes mentionnées par notre rapporteur sont à manier avec précaution, en indiquant clairement les limites de chacune. La participation des citoyens doit être encouragée, mais très en amont du projet.
J'ai accepté l'installation d'un établissement pénitentiaire pour mineurs sur ma commune. Au début, beaucoup de citoyens m'ont critiqué. Finalement, j'ai non seulement été réélu, mais les habitants se sont volontairement associés à la gestion de l'établissement. Il faut faire de la vulgarisation lorsque nous, les représentants, présentons des dossiers : si on se contente de montrer au public le dossier de l'ingénieur des ponts et chaussées, c'est fini ! Il faut que le sujet soit compréhensible pour le public.
Enfin, il faut parfois montrer qu'on peut écouter la population : j'ai par exemple annulé une opération de voirie qui aurait excessivement perturbé le cadre de vie d'un quartier de ma ville.
Mme Agnès Canayer. - Il ne s'agit pas de remettre en cause la démocratie représentative mais de moderniser ses procédures. L'article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958, qui dispose que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce, par ses représentants ou par la voie du référendum, montre bien que ces deux axes sont complémentaires. Il nous faut donc aller au-delà des modalités retenues actuellement pour le référendum. L'interpellation et la consultation des citoyens, qui permettent d'éclairer les élus, me semblent aller dans le bon sens, mais ne doivent pas dépasser certaines limites. De même, avant toute « banalisation » du référendum, son cadre devra être clairement défini.
Je suis en revanche plus réservée sur la « co-construction » dans la mesure où l'élaboration de la norme doit rester du ressort des parlementaires.
Mme Corinne Féret. - Comme ma collègue Agnès Canayer, je suis réservée sur la « co-construction » car je suis attachée à la démocratie représentative.
En France, nous n'avons pas la même culture du référendum qu'en Suisse : nos concitoyens ne répondent pas nécessairement à la question posée. Pourquoi ne pas développer les référendums locaux pour consulter nos concitoyens sur des sujets de proximité ? Ils répondraient certainement mieux aux questions posées et l'on pourrait alors envisager des expérimentations locales.
Si l'on veut consulter nos concitoyens, il faut le faire très en amont et les porteurs de projet devront faire preuve de grande pédagogie. À Caen, nous avions proposé des formations à celles et ceux qui souhaitaient s'investir dans cette démocratie participative. Par ailleurs, les dossiers techniques sont parfois totalement inaccessibles pour les non spécialistes.
Mme Corinne Bouchoux. - Je suis d'accord avec les quatre mots clés qui nous ont été proposés par notre rapporteur, même si le « curseur » des propositions évoluera en fonction des convictions de chacun. Il faudrait définir la bonne échelle géographique pour discuter d'un projet, en différenciant le local du national. En outre, il faut en finir avec la culture de la défiance et de l'opposition systématique. Lorsque des propositions citoyennes sont prises en compte, les mentalités évoluent. À Grenoble, le maire a constitué une liste avec des personnes jusqu'alors toujours opposées aux projets. Aujourd'hui, elles doivent adopter une attitude positive pour faire avancer les dossiers, ce qui me semble bénéfique.
En annexe de nos travaux, pourquoi ne pas insérer une grille qui recenserait les positions des onze candidats à l'élection présidentielle sur les quatre orientations de notre rapporteur qui, me semble-t-il, sont dans l'air du temps ?
Pour l'avoir déjà fait à l'occasion d'autres structures temporaires, pourquoi ne pas présenter un rapport ambitieux, assorti de contributions complémentaires de celles et ceux qui préfèreraient modérer telle ou telle proposition spécifique ?
La question des études d'impact n'a pas vraiment été traitée. Où les situez-vous ?
Enfin, n'oublions pas de rappeler en introduction du rapport que le contexte politique actuel justifie d'autant plus les travaux de notre mission d'information.
M. Henri Cabanel, président. - Aucune des personnes que nous avons entendues lors des auditions ou déplacements n'a remis en cause la démocratie représentative. Nous voilà rassurés.
N'oublions pas de mentionner, dans le rapport, la notion de concertation. Notre objectif est de retrouver la confiance de nos concitoyens. Il nous faut donc les informer très en amont de tout projet.
Nos collègues ont rappelé des notions clés : l'intérêt général, la méthodologie, l'expérimentation, la formation, l'échelle géographique des dispositifs mis en oeuvre. Si la démocratie représentative nous accorde le pouvoir de décision, ce n'est pas pour autant que nous sommes les seuls à avoir les bonnes idées au bon moment, d'où la nécessité de partager les analyses en amont.
Et puis, que dire du référendum sur l'Europe en 2005 et de la consultation sur l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes dont les résultats n'ont pas été pris en compte par les représentants ? Commençons donc par encourager les référendums locaux afin de les ancrer dans la culture de nos concitoyens avant d'envisager une « banalisation » de cet outil à l'échelle nationale.
Il nous reste encore du travail pour que ce rapport ne soit pas un rapport de plus mais qu'il soir remarqué par son originalité, alors que nous assistons, jour après jour, au spectacle lamentable offert par la campagne présidentielle.
Mme Catherine Génisson. - Même s'il serait intéressant d'avoir l'avis des candidats sur nos propositions, je crains que ce rapport ne soit publié après l'élection présidentielle.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - En réponse à monsieur le président, je confirme que le terme de « concertation » occupera une large place dans le rapport.
Je vous ai fait part de mes réserves sur la « co-construction » qui me semble effectivement très compliquée à mettre en oeuvre. En outre, nous devons privilégier, sur ce type de questions, les raisonnements à droit constant, sans envisager de réforme de la Constitution.
J'en viens à la notion de consultation : sa réussite impliquerait qu'elle intervienne avant la délibération et qu'elle soit organisée sur la base du volontariat, sans nécessité d'adopter un texte contraignant. Pour un projet de loi, une étude d'impact et les modalités de consultation citoyenne devraient être définies par le Gouvernement et intervenir avant toute discussion.
Il faudrait systématiser les consultations comme celle qui a eu lieu pour la loi « République numérique » du 7 octobre 2016 ou comme celles mises en oeuvre par la Commission européenne. Ainsi, lorsqu'un projet de directive est présenté, un appel à contribution est lancé. Dans le cas français, je préconise qu'une synthèse soit présentée et que les contributions soient mises à disposition en open data. Le législateur doit être systématiquement éclairé par l'avis de nos concitoyens.
Sur les sujets de société, je propose la tenue de conférences de consensus ou de panels de citoyens, ce qui permettrait d'avoir une approche plus qualitative que celles proposées par les études d'impact.
En revanche, il faudrait écarter de ces différentes procédures des projets de loi de financement de la sécurité sociale ou des projets de loi de finances, car il serait extrêmement difficile de gérer les demandes particulières sur tel ou tel budget ou telle ou telle prestation.
Pour les propositions de loi, je propose que la commission saisie au fond puisse décider, ou non, si une consultation citoyenne s'impose. La mise en oeuvre de ces consultations citoyennes pourrait se faire à droit constant.
J'en viens au droit d'interpellation ou de pétition qui a été demandé par plusieurs organisations non gouvernementales. J'y suis favorable, sous réserve qu'un seuil minimum soit défini avant de permettre l'interpellation du Parlement. En outre, une sorte de cahier des charges permettrait de vérifier l'intérêt pour la représentation nationale de débattre de la question posée. Enfin, la commission compétente aurait un « droit de filtrage » sur les pétitions reçues. Ainsi, le Parlement ne deviendrait pas une juridiction d'appel pour les textes qui viennent seulement d'être adoptés. En effet, il serait dommage qu'une pétition remette en cause un texte adopté six mois auparavant. Nous ne pouvons passer notre temps à « tricoter » et « détricoter » des lois...En revanche, un droit d'interpellation doit permettre de débatte d'un sujet spécifique.
La question du référendum est complexe à traiter. Si vous souhaitez aborder ce sujet, il faut commencer par une phase d'acculturation, c'est-à-dire au niveau local. Nous devrons ensuite trouver les modalités d'une « banalisation ». À l'heure actuelle, le référendum se transforme en vote pour ou contre celui qui le propose. L'échec d'un référendum ne devra pas mener les élus locaux à démissionner.
Pour banaliser le référendum, il faudrait peut-être poser plusieurs questions à la fois. Il conviendrait aussi de demander quelles sont les collectivités territoriales candidates pour l'expérimenter au niveau local. Enfin, nous avons trop encadré les modalités des référendums locaux, si bien qu'il s'en fait rarement et que, lorsqu'un référendum a lieu, son résultat devient un enjeu politicien.
Il nous faudra donc être très prudent si nous voulons développer l'usage du référendum.
J'en viens maintenant au deuxième volet de ma réflexion qui concerne les projets d'infrastructures et d'équipements publics les plus structurants.
Sur ce sujet, la participation du public est un principe juridiquement reconnu depuis plusieurs décennies et désormais constitutionnellement consacré. Pour autant, cela n'empêche pas les blocages, les oppositions allant désormais jusqu'à la constitution de « zones à défendre » (ZAD).
Très récemment, les dispositifs législatifs ont évolué, sous l'effet de quatre ordonnances prises entre avril 2016 et janvier 2017, à la suite des travaux de la commission présidée par notre collègue Alain Richard, que nous avons d'ailleurs entendu en audition. Ces textes ont notamment pour vocation de regrouper certaines procédures (avec l'autorisation environnementale unique) et de renforcer la participation du public (avec la possibilité de consultations locales et la systématisation de la concertation préalable avec garant pour les plus gros projets). En outre, une charte de la participation du public a été élaborée fin 2016.
Si ces textes semblent aller globalement dans le bon sens, nous ne disposons pas encore du recul nécessaire pour apprécier leurs effets À titre d'exemple, l'autorisation environnementale unique est entrée en vigueur le 1er mars de cette année...
Ces dispositifs complexifient toutefois certaines étapes de la procédure. À moyen terme, ils devront donc faire l'objet d'une véritable évaluation pour peser leurs avantages et leurs inconvénients.
En pratique, les projets d'infrastructure et d'équipement cumulent encore les difficultés. On peut évoquer : la complexité des dossiers sur le fond ; la multiplication des procédures, qui semblent s'être sédimentées au fur et à mesure de l'adoption de nouveaux textes ; les délais très longs entre le moment où le projet est envisagé et sa mise en service, compte tenu aussi des difficultés à boucler son plan de financement... ; enfin, la mobilisation du public peut s'avérer décevante, en particulier lors de l'enquête publique, avec un risque de surreprésentation des opinions de « minorités agissantes ».
De nos travaux, il ressort que la réussite des projets implique surtout, encore une fois, une association du public le plus en amont possible, avec des modes d'expression diversifiés (réunions publiques, consultations numériques...), toujours dans le souci d'informer les citoyens en leur expliquant les projets, mais aussi d'entendre au plus tôt les éventuelles critiques. Il faut également favoriser, le plus possible, la continuité de la concertation, jusqu'à l'enquête publique, sans laisser de période creuse, afin de maintenir le contact avec la population.
Sur le long terme, nous devons examiner l'articulation entre le garant désigné par la Commission nationale du débat public (CNDP) et le commissaire-enquêteur désigné par le tribunal administratif. À l'heure actuelle, nos concitoyens ne savent pas à quel moment ils peuvent intervenir dans la procédure. En outre, les rôles du commissaire-enquêteur et du garant ne sont pas identiques, ce qui est source de confusion. Pourquoi ne pas imaginer, à terme, instaurer un continuum entre concertation et enquête publique, un responsable unique suivant la procédure de bout en bout et dressant le bilan global des interventions et des remarques des uns et des autres ? Ce rapport serait adressé au maire, au préfet ou au ministre, responsables de la décision finale. Je proposerais donc, à terme, d'envisager une homogénéisation de ces procédures.
Au-delà de ce que le droit prévoit déjà, il semble également indispensable de renforcer la culture de la participation dans les projets d'infrastructures, mais aussi de favoriser l'appropriation du dossier technique par la population avec, par exemple, des documents plus accessibles pour les profanes.
Certes, l'ensemble de ces mécanismes de participation ont un coût parfois loin d'être négligeable, un débat public organisé par la CNDP constituant à lui seul une dépense d'au moins 500 000 euros. Néanmoins, les porteurs de projet n'y voient pas d'inconvénient majeur, dès lors que les dispositifs de participation vont dans le sens d'une meilleure acceptation des infrastructures envisagées.
En tout état de cause, s'il semble difficile, voire impossible, d'obtenir un consensus sur une infrastructure, même en développant la participation du public, il faut, au minimum, chercher à éviter, la cristallisation d'oppositions diverses.
Il semble, par ailleurs, nécessaire de stabiliser, à ce stade, le droit applicable aux projets d'infrastructure, ce qui est d'ailleurs souhaité par les parties prenantes. Le système actuel semble globalement convenir à tous, qu'il s'agisse des associations mais aussi des porteurs de projet ou des cabinets d'avocats. En revanche, une réflexion devrait être menée sur des mesures techniques permettant, à court terme, de simplifier les procédures. Je pense ainsi à l'articulation entre le droit de l'environnement et le droit de l'urbanisme, notamment en ce qui concerne les concertations, dont la définition est différente d'un code à l'autre.
Le droit au recours est un principe incontestable. Au cours des auditions, le risque croissant de multiplication des contentieux n'est pas apparu comme la principale difficulté rencontrée par les porteurs de projet. Il semble toutefois bienvenu d'accélérer les procédures contentieuses pour éviter l'enlisement des projets. Pourquoi ne pas travailler sur la régularisation des illégalités formelles ? Lorsque le juge administratif estime un acte critiquable, il pourrait accorder un délai pour régulariser la situation. Ces modalités sont de bon aloi et de nature à dédramatiser les procédures. Dans la même logique, je vous proposerai que les contentieux des procédures soumises à concertation préalable soient directement examinés par la cour administrative d'appel et non par le tribunal administratif. Ainsi, le porteur de projet faisant l'effort de le soumettre à concertation bénéficierait d'un gain dans la gestion de son contentieux.
M. Henri Cabanel, président. - Pourrait-on envisager des mesures plus sévères contre les recours abusifs ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Rien ne l'interdit même si le code de justice administrative prévoit déjà, dans sa partie règlementaire, une amende en cas de recours abusifs. Cette disposition est toutefois compliquée à mettre en oeuvre en pratique. Par ailleurs, les associations environnementales, agréées par le ministère, représentent l'intérêt général. Devrait-on les soupçonner de recours abusifs ? En outre, une telle mesure pourrait être perçue comme une régression par rapport au droit en vigueur et aller à l'encontre d'un droit conventionnellement reconnu aux associations environnementales.
Il ne faut pas non plus imposer des délais pour le traitement du contentieux, notamment en raison de l'opposition des juges administratifs à cette mesure et à ses incertitudes juridiques. C'est pourquoi je vous propose, en substitution, de rendre les cours administratives d'appel directement compétentes pour certains projets.
Enfin, j'achève ma présentation en abordant la démocratie sociale et le « paritarisme de décision ». Concernant la loi « Larcher » du 31 janvier 2007 sur la modernisation du dialogue social et l'article L1 du code du travail qui en est issu, le président du Sénat est bien sûr attaché à cette réforme qui a globalement donné satisfaction, sans toutefois avoir encore fait l'objet d'un bilan. Vous avez entendu la réserve des syndicats de salariés sur la constitutionnalisation de l'article L. 1. Restons-en à voir comment l'appliquer au mieux.
Nous pourrions proposer que, comme pour les autres décisions publiques, les réformes du droit du travail fassent l'objet d'une information claire et transparente auprès des partenaires sociaux et, plus globalement, des citoyens. L'explication des décisions vaut d'ailleurs pour les politiques mais aussi pour les acteurs sociaux.
Encore une fois, un « diagnostic partagé » devrait systématiquement être recherché et une méthodologie de la concertation et de la négociation clairement établie au début de la procédure. En revanche, je ne propose pas de rechercher systématiquement des accords de méthodologie. Les Allemands nous ont bien dit qu'ils avaient une culture de la négociation mais qu'ils n'avaient jamais légiféré en ce domaine. Si l'obtention d'un accord ne pourra être systématiquement garanti, à tout le moins la discussion préalablement nécessaire aura été permise.
Tirant les enseignements de l'adoption de la loi « Travail », il semblerait utile d'éviter, dans la mesure du possible, l'ajout de réformes importantes et non abordées au préalable avec les partenaires sociaux, car ces méthodes provoquent de forts mécontentements.
Une autre piste de réflexion pourrait être de disposer d'un agenda des réformes sociales envisagées, clairement établi avec, par exemple, une feuille de route du Gouvernement couvrant toute la période du quinquennat. Il faut éviter de brûler les étapes ou de traiter en catastrophe un sujet qui n'a pas été préalablement abordé avec les partenaires sociaux.
Il pourrait également être utile de renforcer l'implication du Parlement au moment de l'ouverture d'une négociation et de l'établissement du document d'orientation par le Gouvernement. Sans remettre en cause, bien entendu, le travail de négociation et l'aboutissement d'un accord, cela pourrait utilement faciliter ensuite sa consécration au niveau législatif. Le document d'orientation pourrait être soumis à concertation avec le Parlement. Il pourrait a minima également être présenté par le ministre devant la commission compétente, qui pourrait ensuite lui faire part de ses éventuelles remarques.
Enfin, il est permis de s'interroger sur la place que pourrait occuper la participation des citoyens dans le cadre des réformes sociales. Une conférence de citoyens ou une consultation numérique ne pourraient-elles pas, également, éclairer le débat et renforcer la légitimité des décisions prises ? Je m'interroge néanmoins sur la réaction des syndicats face à de telles mesures.
Je demanderai donc à mes collègues de poursuivre la réflexion sur ces propositions.
M. Henri Cabanel, président. - Ces perspectives me conviennent tout à fait.
La réunion est close à 17 h 05.
Mercredi 29 mars 2017
- Présidence de M. Henri Cabanel, président -
La réunion est ouverte à 11 heures.
Audition de M. Jean-Éric Paquet, secrétaire général adjoint de la Commission européenne
M. Henri Cabanel. - Nous échangeons aujourd'hui en visioconférence avec M. Jean-Éric Paquet, secrétaire général adjoint de la Commission européenne, accompagné de son équipe.
L'Union européenne a mis en place des procédures de consultation pour recueillir l'opinion des citoyens et des parties prenantes lorsqu'elle élabore des politiques ou des mesures législatives. Ces consultations sont publiques, de même que les réponses adressées aux contributeurs et les suites qui leur sont données. Pourriez-vous nous présenter votre méthode et les améliorations que vous avez pu lui apporter, notamment au regard des critiques qui ont pu vous être retournées. Combien de temps dure cette procédure et quel est son coût ?
S'ajoute à ces consultations la procédure d'initiative citoyenne européenne (ICE), entrée en vigueur le 1er avril 2012, qui permet à un million de citoyens de l'Union européenne de participer directement à l'élaboration des politiques européennes, en invitant la Commission européenne à présenter une proposition législative, celle-ci conservant toutefois le choix de le faire ou non. Trois initiatives visant à abolir la vivisection, à protéger la dignité et l'intégrité de l'embryon humain et à faire du droit à l'eau et à l'assainissement un droit humain imprescriptible sont ainsi parvenues à recueillir le nombre prévu de soutiens. L'engouement pour cette forme d'expression ne semble pas se démentir : le 22 mars dernier, la Commission européenne a ainsi enregistré deux nouvelles initiatives citoyennes européennes consacrées aux droits des citoyens de l'Union dans le contexte du retrait d'un État membre de l'Union européenne - l'avenir dira si ces propositions prospèrent - tandis qu'elle rejetait une troisième proposition visant à s'opposer au Brexit, au motif que celle-ci ne relevait pas de sa compétence. Quel bilan dressez-vous de cette procédure ? Quelles en sont les limites et les évolutions éventuelles ?
Cette audition est ouverte au public et à la presse et fera l'objet d'un compte rendu écrit.
M. Jean-Éric Paquet, secrétaire général adjoint de la Commission européenne. - Merci. Je note que le Sénat est particulièrement bien informé, y compris sur les tous derniers développements de l'ICE. Je vous propose de traiter d'abord la consultation.
La Commission européenne a une pratique longue de la consultation dans le cadre de la recherche d'une meilleure réglementation. En mai 2015, son président M. Jean-Claude Juncker et son premier vice-président M. Frans Timmermans ont souhaité aller plus avant dans la consultation des parties prenantes et des citoyens. Il a ainsi été décidé qu'elle aurait lieu à toutes les étapes, et pas seulement pendant la phase traditionnelle de consultation publique, qui a donné lieu à 700 consultations au cours des dernières années avec, en moyenne, 400 contributions par consultation, permettant dans bien des cas d'ajuster la portée des dispositions.
Nous consultons ainsi les citoyens dès le début du processus, lorsque les services de la Commission préparent la « feuille de route » d'un texte, qui décrit le contexte et présente les éléments-clés. Depuis un an, un portail électronique permet à chacun de commenter ce document et notamment d'indiquer si des éléments ont été oubliés. Le portail recueille aujourd'hui une douzaine de prises de positions en moyenne... C'est peu ! Il s'agit généralement des acteurs directement concernés.
Puis vient à proprement parler l'étape de la consultation publique, avec un questionnaire couvrant les éléments les plus concrets de la proposition. Son élaboration nécessite de trouver un équilibre entre la nécessité de laisser s'exprimer les citoyens et les parties prenantes et celle d'obtenir des réponses précises. La consultation dure douze semaines. La Commission mène dans presque tous les cas des consultations plus ciblées : réunions avec les parties intéressées y compris dans les États membres, réunions avec les administrations des États membres ou avec leurs parlements.
Une fois que la Commission a adopté sa proposition législative et qu'elle l'a présentée aux co-législateurs, le Conseil et le Parlement européen, elle prévoit aussi une période de huit semaines où les parties peuvent faire valoir leurs vues en les présentant aux co-législateurs. Ce mécanisme est tout récent et son utilisation est encore trop limitée. L'un des chantiers que nous menons est de rendre plus populaires cette phase ainsi que la phase préparatoire.
Autres points très important pour le président et le premier vice-président de la Commission européenne : l'acquisition d'outils informatiques, et le fait de montrer à nos interlocuteurs qui ont fait l'effort de participer à nos travaux que leur contribution a été prise en compte, même si nous ne reprenons pas forcément leur position. C'est le rôle du document que nous établissons pour chaque consultation et qui en retrace les résultats, mais cet outil indispensable peut encore être amélioré.
Les consultations ont une dimension politique : montrer que le travail législatif de la Commission est participatif, ouvert, transparent. Elles ont aussi une dimension analytique et technique, car dans nombre de cas, les analyses d'impact ont été très largement documentées par les contributions.
Dernière évolution qui se concrétisera dans les prochaines semaines : la traduction des consultations dans toutes les langues communautaires. Aujourd'hui, en effet, si elles sont rarement dans une seule langue, elles ne sont jamais traduites dans toutes les langues de l'Union.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Merci de vos explications. Notre but est de contribuer à résoudre les blocages de la société française - qui valent aussi pour l'Europe - que sont la difficulté à réformer et à construire de grandes infrastructures, mais aussi la défiance vis-à-vis des politiques, qui nous inquiète beaucoup. Nous cherchons si la démocratie participative ne pourrait pas nous aider, sans remettre en cause l'organisation de la démocratie depuis la Révolution, selon laquelle le peuple s'exprime par la voix de ses représentants.
Pour vous, qu'est-ce qu'une consultation numérique réussie ? Mesure-t-on ce succès au nombre de contributions ? À la qualité de l'information reçue par les participants ? Les contributions doivent-elles être obligatoirement signées ou peuvent-elles être anonymes ? Tout projet donne-t-il lieu à une consultation, ou bien faites-vous une sélection ?
M. Jean-Éric Paquet. - Aux consultations pour les actes législatifs, qui sont systématiques, il faut ajouter les actes délégués et les actes de mise en oeuvre, qui représentent le droit secondaire européen, comme sur les pesticides et les OGM, pour citer des sujets sensibles. Lorsque la Commission prépare ces actes, elle pose des questions aux États membres, mais elle met également les textes à disposition des parties prenantes pour une dernière vérification avant l'entrée en vigueur. Les retours éventuels sont utilisés de manière discrétionnaire par le collège.
Sur la question des tarifs transfrontaliers de téléphonie sans fil - le roaming - qui disparait cette année, par exemple, la consultation a eu un impact très substantiel sur la teneur de la mesure effectivement adoptée.
La qualité de la consultation publique dépend d'abord du travail au sein de la Commission. Le questionnaire est déterminant. Le secrétariat général accompagne les directions thématiques pour sa rédaction. Sur la politique agricole commune (PAC) par exemple, il s'agissait de savoir comment on pouvait la faire évoluer pour mieux accompagner les bouleversements, et faire face aux exigences écologiques.
Un deuxième point est la durée de la consultation. Celle-ci a été fixée à douze semaines, mais à chaque fois, nos collègues de la Commission font valoir une situation d'urgence et demandent une réduction à huit semaines, voire moins. Mais le secrétariat général reste très strict dans ce domaine : il faut une durée suffisante pour que chacun puisse s'exprimer.
Nous recueillons parfois des centaines de milliers de contributions, comme sur la protection de la nature, qui en a suscité 150 000. Certes, les contributions sont souvent des lettres types préparées par des organisations de défense de l'environnement ou de chasseurs... Les contributions sont venues de tous les États membres. Cela a permis de constater l'attachement de l'ensemble des parties prenantes à la législation actuelle de protection de la nature dont chacun, y compris les chasseurs et les acteurs économiques, reconnaît la valeur mais dont il faut améliorer la mise en oeuvre.
Une autre façon de juger la qualité d'une consultation est de mesurer les informations apportées, notamment en termes d'impact, permettant de mieux distinguer les options disponibles.
Dernier point, dans une approche plus stratégique : il faut choisir le bon moment pour une consultation large du public, pour organiser des séminaires ou des conférences, pour travailler avec les États membres, pour distiller les orientations de la Commission... Dans ce domaine, les directions thématiques sont assez libres.
Sur la signature des contributions, les personnes sont libres de signer ou de rester anonymes.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Comment repérez-vous, sur 400 contributions en moyenne, celles qui sont contrôlées par les lobbies ? Comment savoir si le résultat d'une consultation n'a pas été influencé par des gens plus motivés, mieux organisés que les autres ? Comment faire face au risque de dérapage, d'instrumentalisation inhérent à chaque consultation ? Cela me semble être un travail d'analyse considérable pour les services de la Commission : utilisent-ils des algorithmes ? Ont-ils recours à des traitements automatisés ?
M. Jean-Éric Paquet. - C'est, à l'évidence, un enjeu majeur. Sur la protection de la nature comme sur l'accord de libre-échange transatlantique, nous avons reçu quelques 150 000 contributions. Faire une analyse quantitative prend un peu de temps mais n'est pas si compliqué. Dans l'étude d'impact du projet, nous quantifions l'origine des contributions reçues.
Il faut ensuite identifier systématiquement les contributions. Pour être tout à fait transparent, le secrétariat général de la Commission est fréquemment critique à l'égard du travail des directions thématiques, dont l'analyse est souvent partiellement orientée pour favoriser les options qu'elles prennent.
Nous insistons sur la nécessité de bien rendre compte de la consultation : sur le secteur ferroviaire, par exemple, il faut présenter à la fois la position des opérateurs historiques, celle des nouveaux entrants, etc.
Le plus difficile est de parvenir à capturer les attentes des citoyens, en dehors des parties prenantes constituées. Cela passe bien sûr par des statistiques - c'est le plus facile - mais aussi par des outils de data mining par mots-clés ou expressions-clés, plus ou moins performants, et qui ne sont pas utilisés de manière systématique. Un des chantiers en cours est précisément d'en équiper tous les services de la Commission.
M.
Philippe Bonnecarrère, rapporteur. -
Bravo pour vos consultations. Mais
- sans vouloir faire de
provocation - quelle en est le véritable but ? S'agit-il pour
la Commission de pouvoir dire au Conseil et au Parlement européen :
« nous avons consulté tout le monde ; vous voyez bien que
l'Europe n'est pas éloignée des citoyens » ?
S'agit-il, en d'autres termes, d'une « consultation
prétexte » ou bien d'une consultation utile ? Dans
nos communes, il est souvent reproché au maire d'organiser des
réunions de quartier qui relèvent plus de la communication que de
la consultation proprement dite.
M. Jean-Éric Paquet. - Il ne s'agit en aucun cas de « consultations prétextes ». C'était peut-être le cas il y a dix ans, lorsque nous avons commencé ; mais aujourd'hui nous avons professionnalisé l'exercice.
Les consultations ont une dimension politique très importante pour la Commission, en démontrant qu'elle a été à l'écoute des citoyens, que les politiques publiques européennes se construisent avec l'ensemble des sociétés européennes. Cela rejoint l'inquiétude du Sénat à propos de la méfiance des citoyens. Nous répondons avec cet instrument, mais aussi avec les autres outils de transparence concernant le circuit de la décision de la Commission.
Les lobbies font partie du système et sont utiles pour fournir l'information indispensable à la prise de décision. L'enjeu est d'assurer de manière systématique que l'ensemble des parties prenantes aient accès à la Commission, et pas seulement les lobbies industriels comme on le prétend parfois. C'est dans ce cadre que des ONG, oeuvrant dans le domaine de la consommation ou de l'environnement, sont en partie financées par le budget européen.
Mme Mona Björklund, chef de l'unité « Analyse d'impact » au sein de la direction « Réglementation intelligente et programme de travail » du secrétariat général. - Les consultations sont un bon moyen pour collecter des informations, notamment des données scientifiques pouvant être d'accès difficile. Sur le copyright, en août et septembre de l'année dernière - matière clivante s'il en est - la consultation a permis de savoir quelle voie pouvait être acceptée par les différentes parties. La consultation a servi à trouver le juste milieu.
M. Jean-Éric Paquet. - Autre exemple, les carcinogènes dans l'environnement professionnel au sujet desquels la réglementation est en train d'être mise à jour. L'étude d'impact avec les agences européennes sur le seuil licite d'exposition des travailleurs a suscité des réactions extrêmement positives au sein des États membres. La consultation peut ainsi faciliter les discussions politiques au Conseil.
M. Henri Cabanel, président. - Pour les consultations publiques, les contributions sont-elles réparties équitablement au sein des États membres, ou y en a-t-il de plus participatifs que d'autres ? Peut-être le relais national en matière de publicité est-il plus efficient dans certains pays ?
M. Jean-Éric Paquet. - La répartition est rarement équilibrée. Nous avons beaucoup de contributions belges, pour des raisons géographiques évidentes. Il y a aussi une question linguistique. Les relais nationaux ne sont pas utilisés de manière systématique.
Mme Mona Björklund. - Nous demandons aux lobbies de s'inscrire sur un registre, ce qui nous permet de savoir s'ils se sont exprimés ou non sur un sujet et de les avertir de l'ouverture d'une consultation.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Passons maintenant au second point : l'initiative européenne citoyenne (ICE). Est est-elle aussi difficile à mettre en oeuvre qu'on le dit ? Comment s'articule-t-elle avec le droit de pétition ? Pouvez-vous nous faire un retour d'expérience sur ces sujets ?
M. Jean-Éric Paquet. - Je ne peux pas vraiment m'avancer sur le droit de pétition : les pétitions sont adressées au Parlement européen, dont une commission permanente est chargée de les instruire.
L'ICE, introduite par le traité de Lisbonne, est encadrée par un règlement de 2012. Depuis cette date, on en compte 43, qui ont récolté globalement 6 millions de signatures, mais dont 3 seulement sont parvenues à atteindre le seuil du million de signatures dans 7 États membres : celle sur la vivisection, l'initiative « un de nous » et celle sur le droit à l'eau.
Cette procédure est très encadrée pour éviter la prolifération de référendums en Europe et pour que la mobilisation importante de ressources qu'elle implique soit pertinente. La toute première étape est donc de déterminer si un objet peut être éligible au titre du traité. Ce n'était pas le cas pour l'initiative « Stop Brexit », certes très positive politiquement, mais qui n'a pu être enregistrée.
Depuis la semaine dernière, nous acceptons le principe d'un enregistrement partiel d'une initiative, ce qui était impossible jusqu'à présent, en vertu du règlement. Un arrêt de la Cour de justice et des discussions au Parlement européen ont conduit le collège à évoluer sur ce point. L'une des initiatives sur le Brexit, par exemple, proposait la création d'une citoyenneté européenne pour des Britanniques, y compris si leur pays quittait l'Union. Dans le cadre des traités, c'est impossible, car la citoyenneté européenne est attachée à la nationalité d'un des États membres. Mais il a été considéré qu'une partie des droits attachés à la citoyenneté européenne pouvait être reconnue à des citoyens d'États tiers.
Ce matin même, le collège des commissaires a également décidé d'enregistrer une autre initiative citoyenne sur ce que ses promoteurs appellent les « nationalités régionales ou minoritaires », qui concerneraient selon eux 40 à 60 millions de citoyens. Cette initiative avait été refusée en 2013, car sur les onze actions spécifiques, 3 étaient inéligibles et 8 éligibles. La Cour de justice a estimé que la décision de la Commission n'était pas assez motivée.
L'enregistrement et l'analyse juridique ne préjugent en rien de ce que la Commission ferait si l'initiative recueillait ensuite un million de signatures dans sept États membres. Il s'agit simplement du point de départ des douze mois de récolte des signatures. Il y a aujourd'hui de grandes divergences au sein des États membres sur la méthode d'identification qui évite les doubles signatures. À la demande du Parlement européen, la Commission travaille pour faciliter techniquement l'action des organisateurs des initiatives.
À ce jour, seulement trois initiatives ont été couronnées de succès ; « Stop vivisection » et « Un parmi nous » n'ont pas eu de suites législatives. La Commission doit à chaque fois justifier son choix. Elle peut organiser une conférence des parties prenantes pour leur permettre de débattre avec le Parlement de son éventuel suivi. L'initiative sur le droit à l'eau aura une suite cette année, un peu décalée dans le temps, mais il fallait attendre le moment approprié. La procédure d'ICE suscite un regain d'intérêt : 6 initiatives ont été déposées depuis septembre 2016, notamment celle sur l'usage de glyphosate et de pesticides dans l'agriculture, dont le suivi politique sera sensible si elle aboutit.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Au regard de votre vision très large des 28, ou plutôt des 27 pays de l'Union européenne, y a-t-il des pratiques de consultation numérique particulièrement pertinentes dans les États membres ?
M. Jean-Éric Paquet. - La Finlande dispose d'un outil informatique de consultation de très bonne qualité, qui permet même l'échange entre les contributeurs. C'est un choix courageux, car cela demande aussi que l'on modère le forum. Si la Commission faisait ce choix, il serait difficile à traiter. Il existe des États membres ambitieux pour parvenir à une meilleure réglementation : sous réserve de précisions ultérieures, je pense au Royaume-Uni, au Danemark, aux Pays-Bas et à l'Allemagne en matière de consultation.
M. Henri Cabanel, président. - Cela correspond à ceux que nous avions repérés. Merci de votre disponibilité. Nous ne manquerons pas de vous informer du résultat de notre réflexion.
La réunion est levée à 12 heures.